licenta - impressionnisme2

146
UNIVERSITATEA DIN PITEŞTI FACULTATEA DE LITERE SPECIAIZAREA LIMBI MODERNE APLICATE FILIALA RM. VÂLCEA LUCRARE DE LICENŢĂ COORDONATOR ŞTIINŢIFIC: Conf.univ.dr. Ana-Marina Tomescu ABSOLVENT: Butucea Loredana

description

Licenta impresionism

Transcript of licenta - impressionnisme2

Page 1: licenta - impressionnisme2

UNIVERSITATEA DIN PITEŞTI

FACULTATEA DE LITERE

SPECIAIZAREA LIMBI MODERNE APLICATE

FILIALA RM. VÂLCEA

LUCRARE DE LICENŢĂ

COORDONATOR ŞTIINŢIFIC:

Conf.univ.dr. Ana-Marina Tomescu

ABSOLVENT:

Butucea Loredana

2009

Page 2: licenta - impressionnisme2

UNIVERSITATEA DIN PITEŞTI

FACULTATEA DE LITERE

SPECIAIZAREA LIMBI MODERNE APLICATE

FILIALA RM. VÂLCEA

CONSIDÉRATIONS SUR

L’IMPRESSIONNISME

LITTÉRAIRE FRANÇAIS

COORDONATOR ŞTIINŢIFIC:

Conf.univ.dr. Tomescu Ana-Marina

ABSOLVENT:

Butucea Loredana

2009

3

Page 3: licenta - impressionnisme2

Table des matières

Argument……………………………………………………………………………........5

Introduction………………………………………………………………………………7

Chapitre I : L’impressionnisme littéraire - généralités …………………...................13

1.1. Relations historiques entre peinture et littérature à l’époque de

l’impressionnisme…………………………………………………………….........14

1.2. L’influence de la peinture impressionniste sur l’œuvre des

écrivains………........................................................................................................20

1.3. L’attitude personnelle des écrivains à l’égard du mouvement

impressionniste……………………………………...……………………………..31

Chapitre II : Le primat de la sensation et ses corrélats : pictural et littéraire……..37

2.1. Le primat de la sensation………………………………………………….......38

2.2. La place de la tache et son effet sur la rétine…………………...………..........41

2.3. L’écriture « un art verbal qui transpose les impressions »………………….....47

Chapitre III : Pôle perceptif et pôle artistique ……………………………………….52

3.1. La vision de la critique actuelle sur l’impressionnisme littéraire…………......52

3.2. Les glissements du pôle perceptif au pôle artistique……………………….....60

3.3. La perception des couleurs…………………………………...…………….....65

3.3.1. La couleur- lumière …………………………………..………………....67

3.3.2. La couleur- matière………………………………………..….................69

3.3.3. Le contraste……………………………………………………...............71

3.4. L’ impressionnisme et ses « problèmes modernes »………………………......75

3.5. Le tactile, l’optique et « l’œil innocent »…………………………………..….81

Conclusions……………………………………………………………………………...84

Annexe………………………………………………………………………………..….85

Bibliographie……………………………………………………………………………86

4

Page 4: licenta - impressionnisme2

Argument

Est-ce qu’il y a ou non un impressionnisme littéraire ? Est-ce qu’il représente

dans la littérature la même chose que le symbolisme, le romantisme, le classicisme, etc. ?

Avait-il coexisté avec l’impressionnisme pictural ? Avait-il influencé seulement la

littérature du XIXe siècle ou est-ce qu’il y a encore des influences aujourd’hui ? Telles

sont les principales questions qui seront débattues au cours de cette étude qui croise

peinture, littérature, plume et pinceau.

L’impressionnisme littéraire ne signifie pas un courant comme le réalisme, le

symbolisme, le romantisme. Il est une empreinte à part posée sur tous les courants dès

son apparition jusqu’au présent. Il représente une somme d’impressions et de pensées. Un

écrivain impressionniste a besoin plus de talent pour créer une œuvre littéraire à l’aide de

toutes les sensations (olfactives, visuelles, sonores), de toutes les touches, de toutes les

vibrations. Son œuvre doit produire le même effet sur nous que les chefs-d’œuvre de

Monet, Manet, Renoir, Cézanne, Pissarro, etc. produisent encore dans notre esprit.

Même si le terme « impressionnisme littéraire » a été mentionné pour la première

fois par Ferdinand de Brunetière peu de temps que le groupe officiel de peintres était né,

il n’a pas prévalu. Les relations entre les peintres impressionnistes et les écrivains de

cette époque ont influencé l’écriture du XIXe siècle et comme nous le verrons dans cette

étude les écrivains Flaubert, Zola, Maupassant, Verlaine, Rimbaud, Mallarmé, Laforgue,

Proust, etc. présentent influences de la peinture impressionniste dans leurs œuvres.

Termes comme sensation, lumière, touche, plein air, croquis, etc. sont trouvés en

peinture, mais prendront forme aussi dans la littérature.

L’impressionnisme littéraire n’est pas resté seulement dans le XIXe siècle. Il a

continué jusqu’à nous jours dans chaque poésie pour peindre un paysage avec les mots,

dans chaque texte pour présenter les impressions et les émotions de ses personnages.

5

Page 5: licenta - impressionnisme2

Quant à l’illustration, le plus souvent documentaire et toujours en relation avec les

textes choisis, elle mettra sous les yeux, quelques œuvres d’artistes célèbres, tout en

soulignant la parenté et les « correspondances » entre la littérature et les beaux-arts.

Qu’il nous soit permis en terminant, de rendre hommage à Mme. Tomescu Ana-

Marina et à Mme. Şerbănescu Gabriela qui, se joignant à nous, ont contribué à la

réalisation de l’ouvrage dans un effort également partagé ; c’est leur précieuse

collaboration, animée du meilleur « esprit d’équipe » qui nous avons permis de présenter

cet ouvrage.

6

Page 6: licenta - impressionnisme2

Introduction

L’impressionnisme est le courant pictural qui exprime le sentiment et la

sensibilité artistique du peuple français et de ses créateurs, et incarne une forme

supérieure de l’amour, de la nature et de l’homme. En 1860 à peu près 30 artistes

commençaient à expérimenter avec une nouvelle forme d’expression. Ils sont connus par

l’histoire comme les impressionnistes, les artistes qui ont révolutionné tous les arts.

Le présent mémoire de licence intitulé Considérations sur l’impressionnisme

littéraire français met en pleine lumière les liens de l'impressionnisme pictural et de la

littérature du XIXe siècle et l’héritage littéraire, conceptuelle et artistique que la peinture

impressionniste apporte aux peintres, critiques et écrivains. Les relations entre écrivains

et peintres seront si serrés que les écrivains emprunteront non seulement le courage

d’affronter les critiques qui sont de plus en plus animées, mais aussi la technique

innovatrice de créer une œuvre à l’aide de l’impression fugace et éphémère de la nature,

du reflet de la lumière et de son pouvoir de dissoudre les contours, de la perception des

couleurs morcelées, si vives et expressives.

Dans le premier chapitre, présenté sous le titre de L’impressionnisme littéraire-

généralités nous allons mettre en évidence le cadre historique dans lequel les peintres et

écrivains se sont réunis, la nouveauté apportée par cette peinture moderne et l’influence

qu’elle exerce sur les courants (parnasse, symbolisme, naturalisme, réalisme) dans tous

les arts littérature, musique, sculpture, etc.

La vision impressionniste a commencé avec les recherches révolutionnaires de

Jean-Baptiste Corot, appelé aussi « le père de l’impressionnisme ». Elle a été bouleversé

par l’invention de la photographie et a connu la beauté du paysage avec l’école du

Barbizon. Cette tendance a découvert l’importance du chaque moment avec l’estampe

japonaise et a rompu les règles de l’Académie avec le réaliste Gustave Courbet. En 1874

le courant a pris son nom du tableau Impression, soleil levant. Il a connu son apogée

7

Page 7: licenta - impressionnisme2

plastique avec ses représentants : Édouard Manet, Claude Monet, Auguste Renoir, Paul

Cézanne, Edgar Degas, Camille Pissarro, Frédéric Bazille, Alfred Sisley, Berthe Morisot,

etc. et sa théorisation avec George Seurat, Paul Signac, Vincent van Gogh, Paul

Gauguin, etc. Il a envahi non seulement les courants picturaux du futur mais aussi les

œuvres des écrivains.

La volonté de modernité apportée par les impressionnistes et son souci

d’évocations fugitives se transposeront en littérature dans un ton impressionniste qui

apparaît à la fois chez certains naturalistes, parnassiens, symbolistes et décadents, comme

les frères Goncourt, Jules Vallès, Alphonse Daudet, Pierre Loti, Flaubert, Zola,

Maupassant, Proust, Verlaine, Laforgue, Mallarmé et Rimbaud. Le modèle de ce type de

littérature trouve un antécédent certain dans la poésie de Walt Whitman. Les sensations

exprimées par l’écrivain dans ses poèmes sont celles qui brilleront dans les tableaux

impressionnistes et particulièrement dans ceux de Monet comme celles de la gare Saint-

Lazare ou des pommiers de Vétheuil, des Lilas d’Argenteuil, etc.

En France, la poésie, comme la prose, ont évolué d’une écriture rythmée en

longues phrases vibrantes vers des mélodies plus subtiles. Les rejets et enjambements, les

poèmes en prose de Baudelaire et de Banville précèdent le vers libre qui apparaîtra chez

Jules Laforgue comme une équivalence à la liberté des touches prônées par Monet et

Manet. Nous trouverons la variété de l’impression visuelle de Goncourt et le goût pour

une écriture discontinue qui fragmente et dissoudre la réalité chez Zola. L’œuvre de Zola

contient des nombreux exemples qui ont trouvé des équivalents plastiques dans les

tableaux de Manet, de Monet, de Renoir, de Pissarro : la description des boulevards, le

goût pour décrire les foules et les lumières dansantes, juxtaposant les mots comme des

taches et décrivant des ombres bleues. Nous connaîtrons aussi l’importance donnée à la

description des couleurs chez Banville et le besoin de décrire les images avec un sens

aigu qui cherche transcrire l’impression ressentie chez Verlaine.

Dans l’œuvre de Laforgue nous découvrirons une musique assourdie, mais

entièrement faite pour suggérer en touches discontinues et syncopées les images et les

sentiments. Les marques du style impressionniste aux frères Goncourt, à Alphonse

Daudet, à Jules Vallès et à Pierre Loti se caractérisent par la « sensibilité orientée vers le

subjectif » et la « fraîcheur du style » ; par le « foisonnement des tableaux » « le fréquent

8

Page 8: licenta - impressionnisme2

changement des temps verbaux » et le « sens libre de la composition » qui produit des

effets d’éparpillement, de mouvement, d’intermittence. Nous verrons également que les

écrits de courtes dimensions : la lettre, le reportage, l’anecdote, le croquis, la légende, se

prêtent particulièrement au style oral, à l’écriture rapide, nerveuse, à la perception

fugitive des sensations, marques de l’impressionnisme littéraire. Nous pouvons

considérer Baudelaire le premier poète du Paris moderne et un illustrateur littéraire de la

peinture impressionniste. Le baudelairisme se manifeste comme tendance à exprimer des

états d’âme troubles, indéfinissables, qui s’éloignent souvent de la norme commune, les

images disparates dans la transcription des rêves, des malaises, des obsessions ; il se

caractérise aussi par l’association de certains sentiments ou idées qui semblent

contradictoires au premier abord.

La poésie de la seconde moitié du XIXe siècle est une poésie plus libre, faite de

demi-teintes, d’imprécision, de vague, tantôt vaporeuse, tantôt d’une extrême densité.

L’écrivain dont l'œuvre représente sans doute la quintessence de l'impressionnisme est

Marcel Proust. La place donnée par celui-ci au personnage du peintre Elstir dans À la

recherche du temps perdu montre toute la richesse et la subtilité des relations entre

l'impressionnisme et la littérature. (MONNERET, 1987 : 312)

L’attitude personnelle des écrivains à l’égard du mouvement impressionniste est

partagée en différentes opinions. Les uns l’ont reçu avec chaleur (Baudelaire, Verlaine,

Rimbaud, Théophile Gautier, Jules Laforgue) les autres avec indifférence (Pierre Loti,

Edmond de Goncourt) et rejet (Albert Aurier). L’écrivain Emile Zola est vu comme le

« défenseur des impressionnistes » mais son attitude n’a été toujours protectrice. Malgré

l’abondance de ses écrits sur l’art dont il critique positivement chaque peintre

impressionniste, il arrive à la conclusion qu’ils sont tous des précurseurs et que l’homme

de génie n’est pas né. Il dit qu’ils restent inférieurs à l’œuvre qu’ils tentent, ils bégayent

sans pouvoir trouver le mot. (FAUCHEREAU, 1994 : 83) Avec plusieurs de ses

contemporaines (Stevenson, Huysmans) Zola partage le point de vue que

l’impressionnisme est une formule de réalisme, parce qu’ils peignent ce qu’ils ont sous

les yeux et non pas des scènes mythologiques ou des reconstitutions historiques.

Le deuxième chapitre, présenté sous le titre de Le primat de la sensation et ses

corrélats : pictural et littéraire fait l’objet de la mise en évidence de deux problèmes

9

Page 9: licenta - impressionnisme2

importantes : la sensation brute et la difficulté de l’y rendre à travers le pinceau ou la

plume. Pour en préciser le sens esthétique, l’écrivain pose comme premier principe la

vérité optique qui, pour le peintre, équivaut à la perception sensorielle. Aux yeux des

impressionnistes, l’univers était l’expérience, la sensation du moi, et rien d’autre.

Nous avons partagé l’affirmation du compositeur, pianiste et poète Ernest

Cabaner qui mit en musique quelques poèmes de ses contemporaines, notamment de

Baudelaire et de Mallarmé et qui soutient qu’il est difficile d’exprimer la sensation pure à

travers du langage. Il dit aussi que c’est impossible de parler en revenant continuellement

sur le chemin parcouru et on ne peut prononcer une seule syllabe nouvelle sans répéter

toutes les syllabes prononcées auparavant. (DÉCAUDIN, 1870-1900 : 136)

Il n’est pas permis au poète de n'être, selon la formule du peintre, qu' « un œil,

une main ». Le mot est toujours chargé d'un contenu affectif ou intellectuel et il ne se

réduit pas à la pure sensation que provoque la tache colorée parce qu’il n’est pas sûr s’il

peut atteindre les mêmes effets.

Le poète belge, d’expression française, Émile Verhaeren soutient que l’idée part

de la chose vue, ouïe, sentie, tâtée, goûtée et c’est pour ça qu’il est plus difficile de

transposer la sensation à travers des mots qu’à travers de touches parce que la première

implique plus des sensations que la seconde. L’impressionnisme est le seul courant qui

préserve la sensation telle qu’elle est perçue. Les autres courants la transforme, l’exorcise

pour aller au-delà des apparences. Proust est l’écrivain qui cherche à surprendre l’instant

avec tous ses sensations, jamais semblables aux celles du moment précédent ou ultérieur.

En tenant compte du rôle primordial de la sensation sur la peinture et la littérature,

nous avons voulu mettre en évidence la place de la tache et son effet sur la rétine et sur

l’état d’âme que l’écrivain et le peintre veulent imposer. En peinture, Paul Signac

harmonisera la composition à sa conception, adaptera les directions et les angles, les tons,

les teintes au caractère qu'il voudra faire prévaloir. En littérature, l’écrivain français

Alphonse Daudet est le premier qui donne des exemples pour rendre le primat de la

sensation et la place de la «tache » dans le roman Les Rois en exil.

« L’écriture est un art verbal qui transpose les impressions ». Pour soutenir cette

affirmation le professeur de l’Université de Bordeaux, Bernard Vouilloux propose une

typologie des modes d’apparition de la peinture dans le texte. Il prend comme exemple le

10

Page 10: licenta - impressionnisme2

texte balzacien. Il dit que pour révéler la présence de l’image ou de l’impression visuelle

dans le texte, Balzac a utilisé dans son œuvre La Comédie Humaine : des discours des

artistes, des comparaisons avec des objets esthétiques (portraits), un vocabulaire

spécialisé, des passages où d’après une description on peut faire un tableau (la perception

artistique), multiplication des références picturales dans les préfaces et aussi des

réflexions esthétiques d’un narrateur omniscient. (http://www.poesie-arts.com/Bernard-

Vouilloux-et-les-problemes.html)

Dans le troisième chapitre nous avons découvert les liaisons entre le pôle

perceptif et le pôle artistique. Pour faire ça nous avons tenu en compte l’opinion des

critiques sur l’impressionnisme littéraire français. Les opinions des critiques actuelles

sont restées fidèles aux analyses faites par les critiques de l’époque impressionniste, mais

elles sont en totale contradiction avec les analyses données par les critiques d’art.

(VOUILLOUX, 2000 : 66)

Nous partageons l’opinion de critique italien du XIXe siècle, Enzo Caramaschi

sur la notion d’impressionnisme littéraire qui dit que la mise en parallèle des deux arts

doit être souple et méfiante parce qu’elle présente une infirmité pour représenter et pour

décrire, mais elle est supérieure par rapport à l’introduction du changement, du

mouvement, du temps.

La perception du peintre impressionniste s'attache en principe sur le réel et fixe

l’éphémère. L’artiste n’est rien d’autre qu’un homme disposant de la capacité et du désir

de transformer sa perception visuelle dans une forme matérielle. La première partie de

cette démarche est perceptive, la seconde est expressive, mais en pratique il est

impossible de séparer les deux parties parce que l’artiste exprime ce qu’il perçoit. Il

perçoit ce qu’il exprime.

Tout ce qui est arrivé n'est pas nécessairement « poétique » et tout ce qui existe ne

mérite pas pour cela d'être éternisé par l'art. Il y a des « correspondances » entre le monde

et le poète; toute sensation doit le conduire à une idée; et dans cette idée, il doit retrouver

quelque chose d'analogue à sa sensation.

Les historiens modernes sont enclins à voir dans la peinture impressionniste le

déroulement d’une série de transformations et ont tendance à neutraliser la différence

entre les lois qui gouvernent le fonctionnement de la perception visuelle et celles qui

11

Page 11: licenta - impressionnisme2

régissent la construction picturale. Une manifestation bien connue de cette neutralisation

de l’écart entre le perceptif et l’artistique concerne plus spécialement le problème de la

perceptions des couleurs et bien sur de la confusion quasi constante entre leurs aspects

lumineux et matériels. (VOUILLOUX, 2000: 66)

Nous avons expliqué la différence entre la couleur lumière obtenue par la

synthèse additive et la couleur matière obtenue par la synthèse soustractive. La couleur

n’est pas seulement importante dans la peinture. L’écrivain a besoin d’elle aussi. Des

écrivains comme Flaubert, Verlaine, Zola, Baudelaire, Rimbaud, Mallarmé sont les

principaux qui ont induit la catégorie d’impressionnisme littéraire dont la couleur a un

rôle très important. Avec le naturalisme, la couleur devient le véhicule de la description

qui donne vie au texte qui donne accès aux émotions primordiales et instaure ainsi une

proximité entre les personnages et le lecteur.

Les problèmes modernes que les impressionnistes rencontrent dans ce nouvelle

type d’art sont le rapport « de la forme et de la lumière », la « triangulation de l’espace »

et la « représentation polysensorielle ». D’abord, en ce qui concerne la forme et la

lumière, le professeur Bernard Vouilloux  affirme que dans l’art impressionniste la forme

contour se vaporise dans la forme tache et ce que jadis se soumettait au contour,

désormais il ne sera plus qu'une trace à peine suggérée à travers les limites de la tache

triomphante. Puis, en ce qui est de la triangulation de l’espace, définitoire c’est la théorie

de Cézanne qui cherche à simplifier la peinture par la réduction des formes et le retour à

la couleur. Cette théorie se transformera plus tard en cubisme. Ensuite, la représentation

polysensorielle signifie le mixage de perceptions olfactive, visuelle et sonore qui incitera

la curiosité du spectateur innocent, le poussera et l'encouragera à établir des liens entre

les éléments occupant l'espace.

En concluant notre présentation nous pouvons faire connaître l’affirmation de

Laforgue qui soutient que l'œil impressionniste est dans l'évolution humaine l'œil le plus

avancé qui peut rendre la nature telle qu'elle est, c'est-à-dire uniquement en vibrations

colorées. Ni dessin, ni lumière, ni modèle, ni perspective, ni clair-obscur, ces

classifications enfantines: tout cela se résout en réalité en vibrations colorées et doit être

obtenu sur la toile uniquement par vibrations colorées.

12

Page 12: licenta - impressionnisme2

Chapitre I

L’impressionnisme littéraire- généralités

L’impressionnisme apparaît dans la peinture comme un courant artistique qui ne

se répand pas énormément, mais dont les résonances vont se ressentir dans le cadre de

chaque style qui suivra. La nouveauté réside dans la tendance de plus en plus accentuée

de se dédire de n’importe quelle représentation fixée dans la réalité d’abdiquer des idéaux

hérités depuis la Renaissance, dont les buts étaient de garder un rapport d’une certaine

congruence entre le plan réel et le plan idéal artistique.

Jusqu’à l’apparition de l’impressionnisme, on cherchait la profondeur dans la

réalité, la représentation du clair-obscur, le réalisme ancré dans l’introspection du modèle

choisi. L’impressionnisme reste la chaîne qui unit l’art figuratif de l’art non-figuratif,

c’est le seuil qui sépare le concret de l’abstrait, c’est la frontière entre un art rationnel et

un art instinctif axée sur l’exploration de la subconscience. L’artiste remarque le fait que

la réalité est perçue par un miroir, l’œuvre d’art étant l’expression du contact entre le plan

du monde réel et le plan du monde subjectif.

L’art impressionniste devient un art de l’expérience individuelle, une expérience

filtrée par le tempérament de l’artiste. C’est ainsi que la peinture impressionniste signifie

une telle explosion au nom de l’originalité, qui voulait glacer ces traits de l’âme de

l’artiste devant la nature, de ses aspects extérieurs. Son but était de transmettre la

fraîcheur de l’émotion, l’esprit du naturel et tendreté libérée de la pression de la

raison, des significations accumulées comme expérience de vie. On essaie un retour à

l’état originaire du suggestif étonnement devant la réalité, indifféremment de la

perspective que celle-ci pouvait offrir.

Le courant impressionniste est et reste, en essence, pictural, le rôle de la peinture

étant primordial. Il s’impose non seulement dans la peinture, mais aussi dans la

13

Page 13: licenta - impressionnisme2

littérature, la sculpture, la musique. Dans la littérature sur le versant de la prose

romanesque, chez les frères Goncourt, mais surtout chez les écrivains Jules Vallès,

Alphonse Daudet , Pierre Loti, Flaubert, Zola, Maupassant et Proust et sur le versant de

la poésie Verlaine et Laforgue mais aussi Mallarmé et Rimbaud.

1.1. Relations historiques entre peinture et littérature à l’époque de

l’impressionnisme

Les liens de l'impressionnisme et de la littérature sont multiples : les uns

concernent les relations amicales entre écrivains et peintres; d'autres sont constitués par

les nombreuses allusions faites à cet art, non seulement dans la presse et les ouvrages de

critique, mais dans toutes sortes d'oeuvres littéraires, d'autres montrent des affinités entre

le style des peintres et celui de certains auteurs.

Les impressionnistes qui auront pour amis intimes quelques-uns des plus grands

écrivains de leur temps, ont connu la seconde génération romantique (Gautier, Dumas,

Murger, Baudelaire, Banville), les parnassiens (Leconte de Liste, José Maria de Heredia,

Sully Prudhomme) les naturalistes (Goncourt, Zola, Maupassant, Huysmans) les grands

indépendants (Barbey d'Aurevilly, Villiers de L'Isle-Adam, Rimbaud, Charles Cros) et les

symbolistes (Verlaine, Mallarmé, Dierx). (MONNERET, 1987 : 291)

Écrivains et peintres se côtoient ainsi soit dans des cafés (Brasserie des Martyrs,

Guerbois, Nouvelle-Athènes, etc.), soit dans des lieux de villégiature (Marlotte, Bougival,

Honneur, Dieppe, L'Estaque, etc.). soit dans des salons, ceux de Banville, du docteur

Antoine Cros, de Méry Laurent, de Mallarmé, de Berthe Morisot, de Mme Charpentier.

Une sincère amitié liera Manet à Baudelaire qui en 1848 a fréquenté assidûment

Courbet, professe pour Delacroix une admiration peu payée de retour, et prône une

modernité représentée pour lui par Constantin Guys, modernité qui deviendra le cheval

de bataille de la jeune génération. Manet fait avec Baudelaire de longues stations au

restaurant Dinochau et dans le salon de leurs amis Lejosne.

L'un des fidèles de Baudelaire, le romancier réaliste Champfleury est également

un habitué de ces diverses soirées auxquelles écrivains et peintres participent. En mai

1865 pour un article (dans La Nouvelle Revue de Paris) il demande au poète quelques

14

Page 14: licenta - impressionnisme2

vers à mettre en épigraphe et lui écrit en même temps à propos de l'Olympia de Manet

dont l'envoi au Salon est accompagné d'un poème grandiloquent de leur camarade,

Zacharie Astruc1: « L'ensemble du tableau de « l’auguste jeune fille » m'a logé dans la

tête toutes sortes de jolis tons» et dans une autre lettre précise : «  Je ne vois guère au

Salon que l'œuvre de Manet vraiment nouvelle, mais il y a beaucoup de mais,

l'intelligence, la grande intelligence qui a souvent soutenu Delacroix manque

évidemment. La nature da travaux de ce maître dont on pouvait suivre la vie minute par

minute à l’exposition de sa vente posthume était d’une rude enseignement. Aucun des

jeunes gens que nous connaissons n'en est sorti je crois avec l'idée du prodigieux travail

qui fait qu'un homme arrive à la vieillesse en commandant à sa main de ne pas faillir.».

Parmi ces jeunes gens se trouvent plusieurs des futurs impressionnistes; certains d'entre

eux, Bazille, Renoir, Sisley, se sont rencontrés dans l'atelier du peintre suisse Charles

Gleyre.

Les débuts de Monet ont été encouragés par Boudin2 et par Jongkind3, auquel

s'intéressent Baudelaire et son éditeur Poulet-Malassis qui lui achète un tableau. Le jeune

peintre a d'ailleurs d'autres liens avec la littérature du temps et l’histoire le montrera. Il

entretient des relations cordiales avec Mallarmé qu'il rencontre aux dîners

impressionnistes ainsi que le sculpteur Francisque Duret et le journaliste Gustave

Geffroy.

Au café Guerbois se réuniront régulièrement les futurs impressionnistes et leurs

camarades un peu moins audacieux et le groupe de plusieurs futurs littérateurs : Théodore

Duret, futur historien de l'impressionnisme, Hippolyte Babou (1824-1878), ami de

Baudelaire et créateur du titre Les Fleurs du Mal , les romanciers réalistes Louis Edmond

Duranty et Zola.

1 Critique d’art, poète, peintre et sculpteur français né à Angers, 8 février 1835 et mort à Paris le 24 mai 1907. Il s’intéressa et participa activement à la vie culturelle de la deuxième moitié du XIXe siècle, se posant en partisan d’un renouveau vers une peinture plus moderne. Comme critique et ami, il défendit activement les peintres Manet, Monet, Fantin-Latour et Alphonse Legros. ( http://fr.wikipedia.org/wiki/Zacharie_Astruc ) 2 Eugène-Louis Boudin est un peintre français, né à Honfleur (Calvados) le 12 juillet 1824, mort à Deauville (Calvados) le 8 août 1898. Il fut l'un des premiers peintres français à saisir les paysages à l'extérieur d'un atelier. Grand peintre de marines, il est considéré comme l'un des précurseurs de l'impressionnisme. (http://fr.wikipedia.org/wiki/Eug%C3%A8ne_Boudin)3 Johan Barthold Jongkind, né à Lattrop le 3 juin 1819 et mort aux environs de Grenoble le 9 février 1891, est un peintre et un graveur néerlandais, considéré comme l'un des précurseurs de l'impressionnisme. ( http://fr.wikipedia.org/wiki/Johan_Barthold_Jongkind)

15

Page 15: licenta - impressionnisme2

Un des événements marquants de l'histoire de l'impressionnisme est la parution

dans L'Evénement des articles de Zola défendant hautement l’art de Manet et des artistes

qu'il rencontre à l'atelier de celui-ci. Dans ces années qui précèdent la guerre, le jeune

écrivain convie à dîner tous les jeudis soir son intime de toujours, Cézanne, Bazille,

Guillaumin, Pissarro, le sculpteur Solari et des écrivains originaires d'Aix, amis de

Cézanne.

L’Exposition de 1863 va déterminer une réaction dure de la part des représentants

de l’art académique, quand un grand nombre de tableaux marqués par des accents

innovateurs sera refusé. C’est ainsi qu’en 1863, on a constitué le groupe de refusés, d’où,

plus tard, seront choisis les impressionnistes.

Le 20 janvier 1866, une lettre de Catulle Mendès a annoncé à Baudelaire la

fondation du Parnasse contemporain4 qui réunira les parnassiens Verlaine, José Maria de

Heredia Anthony Deschamps, Alphonse Daudet, Anatole France, François Coppée, Léon

Dierx et les peintres Bazille, Manet. Fantin-Latour, etc. (MONNERET, 1987 : 295)

L’année 1874 représente la date officielle de la naissance de l’impressionnisme. À

cette année, le photographe Félix Nadar, coordonne dans son propre studio parisien une

exposition de peinture organisée par Degas où les chefs- d’ouvre de Manet, de Monet, de

Renoir, de Sisley, de Pissarro, de Cézanne y seront exposés. Avec son tableau

Impression, soleil levant Claude Monet fournit au critique Louis Leroy, le mot clé pour

son article défavorable dans le journal humoristique Le Charivari intitulé « L’Exposition

des impressionnistes ». Le nom de cette tendance artistique qui devenait déterminante

dans la deuxième moitie du XXe siècle, était né. L’épithète impliquait quelque chose

brusque et passager lié d’une œuvre d’art qui devait exprimer une émotion durable, saisie

pour l’éternité, mais il a paru si bizarre et déplacé pour les critiques de cette époque-là

qui ont qualifié en tournant en dérision le mouvement et en le présentant comme ci à

l’opinion publique. (OPRESCU, 1986: 165)

En 1877 c’est la première exposition des impressionnistes. Elle est la première

des huit expositions qui, de 1874 à 1886 définissent historiquement l’impressionnisme.

Manet est de tous les impressionnistes celui qui a eu les relations les plus

brillantes dans le milieu des écrivains que charment ses répliques, son enthousiasme, ses

4 Recueil poétique en trois volumes

16

Page 16: licenta - impressionnisme2

caprices. En 1878 Manet confie à l'un de ses hôtes habituels, Arsène Houssaye son désir

de faire un portrait de Victor Hugo : «  Allez-y donc, Hugo sera ravi de vous voir»,

répond Houssaye mais ce projet spectaculaire ne sera pas réalisé. Concourt, bien que

n'éprouvant pas une sympathie profonde pour Manet, passe quelquefois à son atelier et le

rencontre également souvent dans le monde ou au théâtre, entre autres aux premières des

pièces de Zola dont l'amitié pour le peintre se poursuivra jusqu'à la mort de celui-ci et qui

entretiendra toujours avec lui les relations d'amitié et d'admiration réciproques nées au

temps du café Guerbois. À la première représentation de L'Assommoir, le 21 janvier

1879, Manet confie à Goncourt être «inquiet de l'acceptation sans bataille de la chose. Il

trouvait cela trop beau. Manet meurt prématurément et dans la foule qui se presse à son

enterrement, comme parmi les assistants du banquet qui célébrera sa mémoire, on trouve

les noms de tous les écrivains qui l'aimaient : Zola, Mallarmé, le critique d’art Armand

Silvestre, etc. Manet, dont on a dit qu’il lisait peu, inspire quelques-unes de ses œuvres

sur des œuvres littéraires. Il lit Théophile Gautier, Théodore de Banville, les Concourt,

Duranty, Zola, et Maupassant dont plusieurs de ses œuvres, En Bateau. Dans la serre.

Chez le père Lathuille, semblent transcrire l'atmosphère. Il pense à illustrer Le Fleuve de

Charles Cros et L'Après-midi d'un faune de Mallarmé; la traduction de Poe par celui-ci

sera l'un des derniers projets pour lequel il fera des recherches graphiques.

Un des convives les plus habituels des dîners de Berthe Morisot (la belle-sœur de

Manet), Degas a eu toujours un goût très vif pour la littérature. Au temps du Guerbois il a

bien connu Zola et continue à le retrouver chez les Charpentier, chez le peintre italien

Giuseppe De Nittis ou à des premières. Ils n'ont cependant guère de sympathie l'un pour

l'autre : Degas trouve que l'écrivain lui fait « l'effet d'un géant qui travaille le Bottin5 » et Zola écrit que le peintre « est un constipé du plus joli talent». Degas paraissait

n’aimer plus les écrivains de son époque .Un ami de Renoir, Georges Rivière,

écrira : « Degas avait plus d'inclination pour les Goncourt que pour Emile Zola; leur

réalisme élégant convenait à l'esprit de ce bourgeois bien né.» Une incompatibilité

d'humeur évidente opposait cependant Degas à Edmond de Goncourt. L'humour du

premier irritait le second qui en manque totalement. Degas voit aussi Maupassant chez 5 Sébastien Bottin (né à Grimonviller en 1764, mort à Paris en 1853) fut un administrateur et un statisticien français. Il a donné son nom à l'annuaire du commerce et de l'industrie. À sa mort, la famille Didot reprend son entreprise et poursuit la publication de l'annuaire. En 1903, elle publie le Bottin mondain, premier répertoire français des personnalités du tout-Paris. (http://fr.wikipedia.org/wiki/Didot-Bottin)

17

Page 17: licenta - impressionnisme2

Mme Straus, une hôtesse très en vogue. Marcel Proust aura l'occasion de rencontrer

Degas qui lui servira de modèle pour certains traits concernant son personnage d'Elstir

dans A la recherche du temps perdu. Un des poètes qui ont le mieux connu et admiré

Degas a été Paul Valéry, auquel les aphorismes du peintre ont inspiré Monsieur Teste6

et qui dans son livre Degas, Danse, Dessin remarque : « Personne n'a plus positivement

que lui méprisé les honneurs, les avantages, la fortune et cette gloire que l'écrivain peut

dispenser si aisément à l'artiste avec une généreuse légèreté.»

Admiré par toute la nouvelle génération d'écrivains qui gravite autour de

Mallarmé, Degas ne semble pas goûter la littérature symboliste et décadente bien qu'il

apporte ses suffrages à une pièce typiquement symboliste Antonia (1891) de Dujardin.

Lui-même s'exerce à la poésie : « La belle Gautier a mon chien / Je pense qu'elle lui veut du

bien, », mais surtout se lance vers 1888-1889 dans la composition de sonnets.

Une grande diversité caractérise ses goûts littéraires, le portant aussi bien vers Les

Mille et Une Nuits qu'il lit avec plaisir, les œuvres de Joseph de Maistre, les ouvrages

d'Alexandre Dumas père. Il aime particulièrement Voltaire et il admire Vigny, Musset,

Leconte de Lisle, Hugo, Théophile Gautier et Flaubert.

Renoir, souvent invité avec Degas et Mallarmé chez Berthe Morisot, a lui aussi

côtoyé beaucoup d'hommes de lettres à travers sa vie. Dès sa jeunesse, il fait la

connaissance d'Alphonse Daudet, entre ensuite en contact avec les auteurs qui fréquentent

le café Guerbois (Duret, Zola, Duranty) et fréquente les parnassiens. Protégé par l'éditeur

Charpentier, il rencontre tous les auteurs contemporains aux soirées données par celui-ci

comme Maupassant, Banville, Léon Dierx, Théodore de Wyzewa, etc. Comme Degas

Renoir apprécie Les Mille et Une Nuits et il a une passion pour Alexandre Dumas. Mais la

peinture l'absorbe plus que la littérature, dans sa bibliothèque il y avait des livres de

Marcel Prévost, Loti, Baudelaire, e t au s s i de Hugo, dont il déclare : « il faudrait être

fou pour dire que Hugo n’a pas de génie, mais son art tel qu’il est m’est horripilant…

c’est lui qui a déshabitué les Français de parler simplement » (MONNERET, 1987 : 301)

Jusqu’en 1886 Cézanne continue à voir régulièrement Zola, qui, depuis ses

premiers succès, s’isole de plus en plus à Médan au milieu d’une cour d’écrivains

naturalistes. Le peintre connaît ici Paul Alexis, pour qui son amitié ne se démentira

6 Œuvre littéraire : La Soirée avec monsieur Teste (1896) (http://fr.wikipedia.org/wiki/Paul_Val%C3%A9ry)

18

Page 18: licenta - impressionnisme2

jamais, Maupassant et Huysmans. Il avait dans sa jeunesse quelques dispositions pour les

lettres, couronnées par des prix au collège et s'exprimant dans sa correspondance en vers

avec Zola. La littérature latine a nettement influencé sa façon de voir la nature et des

allusions à Virgile accompagnent ses descriptions des tableaux qu'il entreprend.

Baudelaire a marqué sa sensibilité, et ses auteurs préférés étaient cependant Balzac et

Flaubert.

Sisley est un des peintres qui a eu des relations d’amitié non seulement avec les

peintres impressionnistes et les écrivains français mais aussi avec les critiques qui

défendent les impressionnistes et fréquentent leurs ateliers et aussi avec des écrivains

anglais comme Walt Whitman et Robert Louis Stevenson.

Pissarro a rencontré Cézanne à l'académie Suisse et, par lui, a donc connu très tôt

Zola et tous les écrivains qui s'y rassemblent. En habitant aux environs de Paris, Pissarro

se rend fréquemment dans la capitale, assiste aux dîners impressionnistes mensuellement

organisés à partir de 1877 au café Riche où il retrouve Burty, Mallarmé, Huysmans,

Moore, avec lesquels il discutait d'art et de littérature. En 1885, Pissarro et son fils Lucien

ont adopté avec enthousiasme les théories néo-impressionnistes de peintres qu'ils

rencontrent chez Robert Caze au café Gambrinus dont les nouvelles tendances picturales

étaient encouragées par la jeune génération d'écrivains des petites revues symbolistes.

Les post-impressionnistes Paul Gauguin, Georges Seurat, Paul Signac, Henri de

Toulouse-Lautrec et Vincent Van Gogh ont été différemment mêlés au monde littéraire

de cette époque et leur cercle d’amis se tournent vers les écrivains impressionnistes Zola,

Maupassant, Flaubert, Verlaine etc. et les critiques Albert Aurier, Octave Mirbeau,

Camille Mauclair, Félix Fénéon, John Ruskin, etc.

À l’étranger on remarque d’une part des adeptes de la technique impressionniste

et néo-impressionniste, d’autre part des caractères plus créateurs qui d’abord emploient

celle-ci comme moyen de libération vis-à-vis de l’académisme, puis s’orientent vers

d’autres esthétiques qui souvent correspondent à des tendances profondément enracinées

dans le tempérament de chaque pays.

Une extraordinaire richesse de relations entre la littérature (naturaliste,

symboliste, décadente) et la peinture caractérise la fin du XIXe siècle et le début du

19

Page 19: licenta - impressionnisme2

XXe siècle et elle est évoquée dans les ouvrages, les articles et les revues de chaque

courant. (MONNERET, 1987 : 309)

1.2. L’influence de la peinture impressionniste sur l’attitude et l’œuvre

des écrivains

Le dix-neuvième siècle voit s'accélérer une tendance que Diderot avait notamment

amorcée au siècle précédent : les écrivains se passionnent pour la peinture et pour les

théories esthétiques. La critique d'art fait partie de leurs activités régulières. Avec une

préoccupation que l'on retrouve chez tous : définir et prendre pour repère une esthétique

nouvelle représentée par une notion que l'on retrouve aussi bien chez Zola que chez

Baudelaire : la modernité. Bien des écrivains peinent à suivre les peintres dans leurs

audaces techniques dans lesquelles ils voient parfois plus un relâchement du métier

qu'une vision nouvelle. Beaucoup de ces écrivains fréquentés ou admirés par les

impressionnistes représentent en littérature des tendances imposées par ceux-ci.

En 1888 Degas déclare à Goncourt que toute la littérature actuelle est inspirée par

la peinture ce qui exaspère l’écrivain, qui considère avoir montré le chemin aux peintres

et particulièrement à Degas en décrivant dans Manette Salomon des blanchisseuses  et

des  danseuses. De nombreuses interférences entre les descriptions des romanciers et les

œuvres des artistes : les chiffonniers et philosophes de Manet relèvent de Baudelaire, le

Paradou de Zola est concomitant des jardins fleuris de Renoir, les banlieues décrites par

Goncourt se retrouvent chez Seurat.

D’autre part, la volonté de modernité apportée par les impressionnistes et son

souci d’évocations fugitives se transposeront en littérature en un ton impressionniste qui

apparaît à la fois chez certains naturalistes, parnassiens, symbolistes et décadents, mais à

propos duquel il faut indiquer qu’il trouve un antécédent certain dans la poésie de Walt

Whitman. Les sensations exprimées par l’écrivain dans ses poèmes sont celles qui

brilleront dans les tableaux impressionnistes et particulièrement dans ceux de Monet. Il

parait impossible que le peintre ait ignoré l’alphabet plastique que lui offrait le poète, non

seulement dans À une locomotive en hiver où se lisent les images des séries de la gare

20

Page 20: licenta - impressionnisme2

Saint-Lazare, mais dans tant d’autre vers qui semblent illustrer Les pommiers de Vétheuil,

Les Lilas d’Argenteuil, Le Boulevard des Capucines, etc.

En France, la poésie, comme la prose, a évolué d’une écriture rythmée en longues

phrases vibrantes vers des mélodies plus subtiles. Les rejets et enjambements, les poèmes

en prose de Baudelaire et de Banville précèdent le vers libre qui apparaîtra chez Jules

Laforgue comme une équivalence à la liberté des touches prônées par Monet et Manet.

« L’écriture artiste » des Goncourt est un pur impressionnisme dont le chatoiement leur

a, d’abord, été inspiré par ces ancêtres des impressionnistes que furent Watteau et Jean

Honoré Fragonard auxquels les deux frères consacrent leurs premières études. Leur goût

d’une écriture discontinue se transmet à Zola qui, avec ses amis peintres, assiste à la

naissance de l’impressionnisme et se pénètre de sa vision. Son œuvre contient des

nombreux exemples qui ont trouvé des équivalents plastiques dans les tableaux de Manet,

de Monet, de Renoir, de Pissarro : la description des boulevards, son goût pour décrire les

foules et les lumières dansantes, juxtaposant les mots comme des taches et décrivant des

ombres bleues. Sa procédure d’écriture fragmente la réalité pour la dissoudre mais en

même temps structure très profondément chacun de ses romans montrant ainsi un souci

de création tout à fait proche de celui de son ami Cézanne.

L’importance donnée à la description des couleurs apparaît chez des nombreux

écrivains, ainsi Banville notant dans un poème en prose, Le Troupeau : « En rang,

conduites par des religieuses jaunes comme l’ivoire, passent les orphelines vêtues de

leurs violettes à raies. » (MONNERET, 1987 : 311)

Dès l’année 1865 Verlaine a lui aussi indiqué le besoin de « sens aiguisés et

vibrants » pour décrire les images : sa poésie ne cherchera jamais un réalisme descriptif

mais l’impression ressentie, transcrite, explique-t-il dans la Critique des poèmes

saturniens avec de « fréquentes allitérations quelque chose comme de l’assonance

souvent dans le corps du vers, rimes plutôt rares que riches, le mot propre évité, des fois à

des sein ou presque… ». Se dégageant des rêveries romantiques, la poésie prend de plus

en plus pour thème la vie quotidienne. L’un des poètes qui apportent la meilleure

La notion « L’écriture artiste » est une notion qui exprime la vérité de l’impression, essentiellement visuelle par laquelle le monde se signale à nous. Cette écriture part du principe que ce qui constitue la réalité, et donc la vérité des choses, n’est rien d’autre que la sensation des choses qu’elle font naître en nous. Pour les frères Goncourt cette sensation passe par l’impression chromatique et lumineuse produite par les choses sur la rétine (CABANES, 1997 : 330)

21

Page 21: licenta - impressionnisme2

contribution à l’impressionnisme littéraire est le poète et inventeur français Charles Cros

avec l’œuvre Coffret de santal.

Rimbaud et Verlaine iront en Angleterre et connaîtront la poésie anglaise dans laquelle

la recherche des impressions de nature a toujours joué un rôle important, ce qui est d'ailleurs le

cas dans l'œuvre de l'ami de Whistler, Swinburne dont les Poèmes et Ballades et Chansons

avant le lever du soleil produisent des effets musicaux très impressionnistes.

En 1876, année de la IIe Exposition impressionniste parait Le Drageoir aux épices

de l’écrivain naturaliste Joris Karl Huysmans qui sera l'un des champions du mouvement

impressionniste en littérature par les équivalences recherchées dans ses Croquis parisiens dont

ses amis, le peintre et graveur Jean François Rafaëlli et le graveur Louis-Henri Forain,

seront les illustrateurs. Huysmans a eu une évolution exemplaire. Son enrôlement sous le

courent naturaliste est de courte durée. Très épris de symbolisme et grand défenseur de

l’impressionnisme Huysmans a saisi tous les symptômes de la crise esthétique à la fin du

siècle. Son apport est considérable à l’épanouissement de l’écriture artiste qui lui a

apporté l’appréciation des écrivains et des critiques.

Stéphane Mallarmé est le poète d’un thème unique, des « variations sur un seul

sujet » ; celui de l’écriture, envisagée sous tous ses angles et aspects, aussi bien à partir

d’elle-même, qu’à partir de son créateur. La poétique de Mallarmé a été exposée à

plusieurs reprises dans des textes souvent repris, polis et repolis, publiés parfois dans un

grand nombre de variantes mais qui présentent tous un intérêt capital pour la

compréhension de sa pensée, ce qui fait que le seul ordre efficace possible de leur

présentation est celui que la logique et non la chronologie impose. (Ion,1982 : 140)

Un raffinement austère, la magie sans concession des métaphores, le refus de

toute facilité, différencie ce poète de tous ses contemporains. Mais il sait admirablement

créer une musique impressionniste pour ses amis dans les vers écrits sur des feuillets

d'album, des éventails ou des billets adressés à Méry Laurent, Berthe Morisot, Whistler,

etc. (MONNERET, 1987 : 311)

Un impressionnisme fulgurant apparaît dans l'œuvre si brève de Rimbaud. Les théories

de celui-ci, symboliste avant tout, font donc de la poésie un acte essentiel, primordial et

exemplaire, un mode de la connaissance, et posent la nécessité de trouver un langage

poétique nouveau qui lui permettra de satisfaire sa mission. Dans l’œuvre de Laforgue il y a

22

Page 22: licenta - impressionnisme2

une musique assourdie mais entièrement faite pour suggérer en touches discontinues et

syncopées les images et les sentiments.

A partir des années 1880 le succès rencontré par la peinture impressionniste suscite chez

les écrivains une sorte d'émulation. Pissarro rencontre chez Robert Caze « un jeune auteur de

vers impressionnistes » et Jean Ajalbert dit « poète impressionniste pour chanter le gazon pâle

des fortifications et les fétidités de la Bièvre ».

Pour Alphonse Daudet la technique pointilliste de la description a des éléments

qui assurent, en dernière analyse, l’originalité dans l’espace naturaliste français. Selon le

philologue romaniste belge, Jacques Dubois, cette modalité artistique, propre aux frères

Goncourt, à Alphonse Daudet, à Jules Vallès et à Pierre Loti se caractérise par la

« sensibilité orientée vers le subjectif » et la « fraîcheur du style » ; par le « foisonnement

des tableaux » et le « sens libre de la composition » et produit des effets d’éparpillement,

de mouvement, d’intermittence. Les écrits de courtes dimensions : la lettre, le reportage,

l’anecdote, le croquis, la légende, se prêtent particulièrement au style oral, à l’écriture

rapide, nerveuse, à la perception fugitive des sensations, marques de l’impressionnisme

littéraire. Si la doctrine esthétique du naturalisme français ne doit presque rien à

Alphonse Daudet, la thématique et l’expression en sont visiblement enrichies. (ION,

1982 :153)

Jules Vallès met en question le discours autobiographique classique, grâce à sa

fragmentation, à sa « structure discontinue », à l’entrecroisement des voix narratives et au

changement fréquent des temps verbaux, grâce, enfin, à son « jeu délibéré de rupture des

attentes conventionnelles »

La participation au spectacle offert par la ville et ses habitants ouvre une

perspective des plus intéressantes sur Baudelaire, qu’on peut considérer le premier poète

du Paris moderne et un illustrateur littéraire de la peinture impressionniste. Le

baudelairisme se manifeste comme tendance à exprimer des états d’âme troubles,

indéfinissables, qui s’éloignent souvent de la norme commune, les images disparates dans

la transcription des rêves, des malaises, des obsessions ; il se caractérise aussi par

l’association de certains sentiments ou idées qui semblent contradictoires au premier

abord. L’unité essentielle du cosmos est assurée justement par les analogies qui existent

entre les choses et les diverses classes de sensations « Les parfums, les couleurs et les

23

Page 23: licenta - impressionnisme2

sons se répondent » que seule une imagination particulièrement développe est capable de

découvrir.

Pour Flaubert la description se résorbe dans la narration. Sa dilatation et sa prise

en charge par la narration, concomitantes à la réduction des scènes dramatiques,

correspondent par les romans flaubertiens à la nécessite d’objectiver, à partir de

l’intérieur, la durée subjective des personnages. Sans abandonner complètement le

modèle descriptif balzacien, la description flaubertienne manifeste surtout la dévoration

des impressions venues de l’extérieur dans le flux temporel subjectif de la conscience.

Rêve limité pour Flaubert, traduisant la fascination incoercible du signifiant : le livre

idéal serait, pour lui comme pour Mallarmé, celui qui parviendrait à se détacher

complètement de la réalité « Ce qui me semble beau, ce qui je voudrais faire, c’est un

livre sur rien ». Aux yeux de Proust, la grande révolution accomplie par Flaubert se

mesure à la portée remarquable de ce renversement dans l’économie temporelle et

logique du récit : « Ce qui jusqu’à Flaubert était action devient impression ». La poésie

de la seconde moitie du XIXe siècle est une poésie plus libre, faite de demi-teintes,

d’imprécision, de vague, tantôt vaporeuse, tantôt d’une extrême densité. Elle fera son

propre chemin par les œuvres de Rimbaud et de Mallarmé, poètes de sensibilité moderne

et inclassables, tout comme Baudelaire, explorateurs du rêve et des mystères du monde et

de l’être, ainsi que par les créations des poètes désignés du nom de symbolistes.

D’autre part, le XIXe siècle a connu un grand essor des sciences, la littérature se

faisait l’écho des nouvelles réalisations et découvertes dans tous les domaines. On assiste

à une union de l’art et de la science, notamment la philosophie, l’optique, l’archéologie,

la philologie, les sciences naturelles, sous l’influence du positivisme. La critique moderne

reproche à Verlaine son goût de la pénombre et une certaine « fadeur », illustrant un

« quiétisme du sentir », c’est-à-dire justement ce qui enchantait ses contemporaines.

Cependant, visant l’impression, la nature, le flou « déliquescent », en pleine époque de

l’impressionnisme, Verlaine ne faisait que prendre le contre-pied du courant positiviste

qui se manifestait en littérature sous les formes impitoyables du naturalisme ; ce qui lui

est personnel, c’est le désir d’abolition, de disparition dans la douceur, de lent glissement

dans le néant, témoin d’une volonté sans vigueur, agitée, telle sa vie, entre des contraires

ennemis. (ION, 1982 : 133)

24

Page 24: licenta - impressionnisme2

Les deux écrivains dont l'œuvre représente sans doute la quintessence de

l'impressionnisme sont Henry James et Marcel Proust. La place donnée par ce dernier au

personnage du peintre Elstir dans À la recherche du temps perdu montre toute la richesse et

la subtilité des relations entre l'impressionnisme et la littérature. (MONNERET, 1987 : 312)

Image 1.1. (DOUCHEY, 1993 : 284)

Vincent Van Gogh, Champs de blé aux corbeau, 1890 (huile sur toile, 103 × 50 cm, Musée van Gogh)

Ma bohème (Fantaisie)

Je m'en allais, les poings dans mes poches

crevées;

Mon paletot soudain devenait idéal,

J'allais sous le ciel, Muse, et j'étais ton féal;

Oh! là là! que d'amours splendides j'ai rêvées!

Mon unique culotte avait un large trou.

Petit-Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course

Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.

Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou

Et je les écoutais, assis au bord des routes,

Ces bons soirs de septembre où je sentais des

gouttes

De rosée à mon front, comme un vin de vigueur;

Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,

Comme des lyres, je tirais les élastiques

De mes souliers blessés, un pied près de mon

coeur!

Arthur Rimbaud

25

Page 25: licenta - impressionnisme2

Les peintres impressionnistes constatent qu’un paysage se modifie en fonction des

conditions climatiques, souhaitent fixer sur leur toile une sensation instantanée, le soleil

filtré par les feuillages, au moyen de coloris clairs, vibrant par l’emploi systématique des

touches superposées. Les formes semblent se dissoudre dans l’entrecroisement des

touchent aux variations chromatiques infinies. L’invention du conditionnement de la

peinture en tube leur permet de travailler en plein air « sur le vif » ce qui implique une

touche brossée rapidement et une certaine imprécision des formes due à l’épaisseur de la

matière. Van Gogh découvert les nouvelles possibilités de la couleur et, dès lors il adopta

une palette au chromatisme intense, plus conforme à sa violence intérieure. En

privilégiant la couleur, en modelant les formes pour la nécessite de l’expression, il ouvrit

la voie aux fauves et aux expressionnistes. Les critiques et historiens d'art voient

généralement dans ce tableau une représentation de l'état d'esprit préoccupé de van Gogh,

avec un ciel foncé et menaçant. L'indécision de trois chemins allant dans différentes

directions et les corbeaux noirs sont vus comme signes de pressentiment ou même de

mort. Van Gogh s'est suicidé quelques jours après avoir peint ce tableau (DOUCHEY,

1993 : 284).

Rimbaud est un jeune poète de 16 ans lorsqu’il compose ce sonnet qui évoque

sans doute l’une ou plusieurs de ses fugues. Était-il vraiment un « sans cœur » ou plutôt

une âme très jeune, ardente de vie et de liberté qui refusait de se plier à la volonté

maternelle détestant trop l’étroitesse de son milieu ? Ce « sans cœur » ressemble

étrangement au portrait fantaisiste qu’il a brosse lui-même dans « ma bohème ou maint

trait fait allusion à ses fugues ». Les deux poings dans les poches, il s’en va pour dormir à

la belle étoile, c’est un certain état d’esprit dans lequel le poète devait volontairement se

mettre pour accéder à l’inconnu. Il voulait « inspecter l’invisible » ou « entendre

l’inouï ». Ce poème relève les futures orientations de Rimbaud et son voyage initiatique.

On peut considérer aujourd’hui le sonnet comme un exercice possible de Rimbaud en

quête de cette langue, « de l’âme pour l’âme, résumant tout, parfumes, sons, couleurs de

la pensée et tirant » (Doucey, 1993 : 289)

La génération surréaliste a également revendiqué Rimbaud. Elle en a donne

plusieurs raisons : Rimbaud aurait préféré la vie à la poésie, l’existence vécue à la

création poétique, fut-elle géniale ; secondement, dans les poèmes visionnaires des

26

Page 26: licenta - impressionnisme2

« Illuminations » il a réussi à absorber cette partie de l’inconnu, indispensable à la

mission de la nouvelle poésie. L’état de « voyance » donne la possibilité au poète de

vivre ce rêve éveille, état sollicité et préféré des surréalistes.

Image 1.2.

(DOUCHEY, 1993 :

289)

Paul Cézanne (1839-

1906),

Mardi Gras, 1888 (huile sur toile, 102 x 81 cm ;Moscou, Musée Pouchkine)

Fêtes galantes- 1869

Fantoches

Scaramouche et Pulcinella

Qu'un mauvais destin rassembla

Gesticulent, noirs sous la lune.

Cependant l'excellent docteur

Bolonais cueille avec lenteur

Des simples parmi l'herbe brune.

Lors sa fille, piquant minois,

Sous la charmille, en tapinois,

Se glisse, demi-nue, en quête

De son beau pirate espagnol,

Dont un langoureux rossignol

Clame la détresse à tue-tête.

Paul Verlaine

27

Page 27: licenta - impressionnisme2

Formé à l’école classique, Cézanne découvrait l’impressionnisme avec Pissarro.

Son art qui privilégie la forme et le volume et accorde une importance particulière à la

couleur a exercé une grande influence sur la peinture contemporaine.

Arlequin, personnage type de la Commedia dell'arte7, apparu au XVI e siècle en

Italie, dont le costume est fait de losanges8 multicolores qui représente les multiples

facettes de son personnalité. Les tons clairs et vifs des vêtements des personnages, les

touches précises et directes, le jeu subtil des nuances aussi que le fort contraste

chromatique donné par le mur vert et le costume rouge donnent l’impression que c’est en

effet une préparation pour un événement plus important comme le Mardi Gras9.

Fêtes galantes est une recueil de poésies dont Verlaine met en scène des

personnages de la Commedia dell’arte dans une contexte de fêtes à la fois brillantes et

mélancoliques. Verlaine publie en 1869 ce recueil inspiré d’évidence par le tableau de

réception de Watteau à l’Académie, Pèlerinage à l'île de Cythère.

Les Fêtes galantes ne sont qu’en apparence une transposition picturale en poésie,

en réalité c’est toujours le paysage verlainien, chargé d’une tristesse et d’une angoisse qui

lui sont propres. Un autre trait du lyrisme verlainien est sa candeur. Le poète a toujours

gardé l’âme d’un enfant.

Dans le deux œuvres, les personnages : Arlequin et Pierrot dans la peinture et

Scaramouche et Pulcinella dans la poésie sont des personnes qui prennent les images

imposantes et symbolique des personnages de la Commedia dell’arte. (DOUCHEY,

1993 : 289)

7 Genre de théâtre populaire italien apparu avec les premières troupes de comédie avec masque, en 1528. Signifiant littéralement : « théâtre interprété par des gens de l’art » ; autrement dit : des comédiens professionnels.8 Quadrilatère dont les quatre côtés ont même longueur et dont les diagonales sont perpendiculaires. Les diagonales d’un losange se coupent en leur lieu et sont perpendiculaire l’une à l’autre. Sa surface est égale au produit de sa base par sa hauteur ou au demi-produit de ses deux diagonales. (Le Petit Larousse, dictionnaire encyclopédique, 1993, 610) 9 Dernier jour avant le début du carême célèbre par un carnaval. (Larousse, 1993 : 631)

28

Page 28: licenta - impressionnisme2

Image 1.3.

(DOUCHEY, 1993 : 289)

Odilon Redon (1840-1916), Pégase, 1900, (pastel, 80,7x 65 cm ; Hiroshima, Musée Hiroshima

Une saison en enfer

« À moi. L'histoire d'une de mes folies.Depuis longtemps je me vantais de posséder tous les paysages possibles, et trouvais

dérisoires les célébrités de la peinture et de la poésie moderne.

J'aimais les peintures idiotes, dessus de portes, décors, toiles de saltimbanques, enseignes,

enluminures populaires ; la littérature démodée, latine d'église, livres érotiques sans orthographe,

romans de nos aïeules, contes de fées, petits livres de l'enfance, opéras vieux, refrains niais,

rythmes naïfs.

Je rêvais croisades, voyages de découvertes dont on n'a pas de relations, républiques sans

histoires, guerres de religion étouffées, révolutions de moeurs, déplacements de races et de

continents : je croyais à tous les enchantements.

J'inventai la couleur des voyelles ! - A noir, E blanc, I rouge, O bleu, U vert. - Je réglai la

forme et le mouvement de chaque consonne, et, avec des rythmes instinctifs, je me flattai

d'inventer un verbe poétique accessible, un jour ou l'autre, à tous les sens. Je réservais la

traduction.

29

Page 29: licenta - impressionnisme2

Ce fut d'abord une étude. J'écrivais des silences, des nuits, je notais l'inexprimable. Je

fixais des vertiges. »

Arthur Rimbaud

Pégase10, la peinture de Odilon Redon respecte les couleurs vifs des

impressionnistes à qu’ il ajoute un jeu subtil des nuances, des tons estompés pour

suggérer la beauté et la puissance de l’art et la création divine de l’artiste soit il peintre ou

écrivain. Le motif de la peinture est étranger et fantastique dont le clair-obscur, les

nuances mélangés, le contraste de la terre avec l’azur du ciel et de la lumière créent

l’impression d’un monde inexistant, féerique que seulement le vrai artiste le peut toucher.

Même si Redon a vécu dans l’époque des impressionnistes il n’as pas adopté leur vision

et leurs principes, il s’opposait rejetant l’inspiration par la nature et adoptant les principes

symbolistes qui s’adressent non pas au regard de l’homme, mais à son esprit, et à la

imagination que ce dernier est à même de produire.

Une Saison en Enfer est le seul ouvrage qu’Arthur Rimbaud a fait publier lui-

même et se situe à une période douloureuse de son existence. Il relate ses souffrances

proches de la folie qui l’ont conduit aux portes de la mort, l’échec de son existence de

poète voyant. Il parle de ses désillusions, de ses doutes mais aussi de ses espoirs.

Rimbaud n’hésite pas à comparer le poète au « voleur de feu », au Promethe du

mythe antique. Le poète sera même « le grand savant » comme s’exprime Rimbaud dans

le sens qu’il dirigera l’action des hommes au lieu de la suivre, en absorbant une quantité

de plus en plus grande d’inconnu qu’il dévoilera à tous. Pour être nouveau, pour définir

cette quantité d’inconnu, le poète doit se forger une langue capable de l’exprimer. Aussi

Rimbaud fait appel à toutes les ressources de la langue ; expressions familières, formes

dialectales, archaïsmes, mots rarement employés. Ces audaces verbales lui ont valu la

sympathie des décadents, de même que l’inattendu des images a été très apprécié à

l’époque du surréalisme. Rimbaud est l’enfant colère qui associe souvent la beauté et la

violence dans ses diatribes contre les injustices sociales, contre les monstres de la laideur

et de la méchanceté, contre les préjuges poétiques. À l’époque symboliste, il fut considère

10 Pégase (en grec ancien Πήγασος / Pếgasos, en latin et en anglais Pegasus) est, dans la mythologie grecque, un cheval ailé généralement représenté de couleur blanche. Il est ne du sang de Méduse, monté par Persée et par Bellérophon. Pégase fit jaillir la fontaine Hippocrène où les poètes venaient puiser leur inspiration.

30

Page 30: licenta - impressionnisme2

un précurseur et certainement, la pièce sur laquelle on s’appuyait avec plus de conviction

c’était le fameux sonnet des voyelles. Comme les impressionnistes font le passage de la

peinture classique qui ne portait rien de nouveau à la peinture plein de couleur et de vie,

Rimbaud renouvelle la poésie, quitte « la littérature démodée » qui jadis aimait et crée

une langue nouvelle plein de «  la couleur des voyelles ! - A noir, E blanc, I rouge, O

bleu, U vert ». Avec lui, la poésie a la couleur de la musique et de la peinture, le

mouvement de la danse et du rêve.

1.3. L’attitude personnelle des écrivains à l’égard du mouvement

impressionniste

L’historien de l'art français, Henri Focillon, nomme ce mouvement un

« rajeunissement de la peinture » en ce qui concerne l’attitude de l’artiste créateur devant

la vie et sur l’objet qui l’inspire.

Gustave Courbet, peintre français, chef de l’école réaliste ouvre les yeux des

peintres, il les fait réagir contre leur indifférence. Il montre la partie banale, stéréotypique

de la peinture de son temps où la manière à laquelle les modèles posent, leur

conformation anatomique était plus connue et infiniment répétée. Il libère la peinture des

quelques préjugés en ce qui concernait le publique et les critiques d’art qui jugeaient

l’œuvre de leurs contemporaines seulement à travers leurs vision, en ce qui concerne le

sujet.

En ce qui concerne l’exécution, Delacroix a présenté l’une des techniques utilisée

après lui. Il découvrait la manière dont se comportent les couleurs en nature, unes face

aux autres et dans les modèles que le peintre avait toujours devant lui.

La lumière est donc l’agent principal qui donne de la vie, qui aime et qui modifie

constamment les paysages, même si les éléments qui les composent restent comme ça.

Quand elle est présente, la nature scintille en mille couleurs, est joyeuse, plein de couleur,

et vibre tout le temps, mais quand elle est absente, tout est sombre, la couleur perd sa

fraîcheur et les nuances tendent toutes vers gris.

Les impressionnistes regardent la lumière comme la force qui change tout, qui

varie d’une saison à l’autre, du moment de la journée, si le ciel est clair ou couvert par

31

Page 31: licenta - impressionnisme2

des nuages, si le vent souffle ou si l’atmosphère est calme contrairement aux peintres

antérieures qui croyaient que la peinture de la nature ne diffère pas même si elle souffre

des changements pendant les années ou pendant la journée.

La sensibilité vigilante et fraîche en présence du motif c’est l’apanage du groupe

impressionniste. L’effet de leur attitude est en première place la libération des instincts

pour lesquels avaient lutté Courbet et Manet. Les théories impressionnistes ont été

rejetées par plusieurs critiques et les peintres étaient contraints de combattre ces

affirmations. (OPRESCU, 1986 :167)

Dans la fraîcheur du premier regard, nous voyons Mallarmé et Zola plaidant,

chacun à sa manière, pour Manet, ou bien Huysmans et Fénéon décrivant, dans des pages

très travaillées, les femmes au tub de Degas. Deux tendances, sinon deux générations,

s'affrontent ici, qui proposent deux conceptions, deux lectures. Rien de commun entre les

exigences de Duranty (il veut «enlever la cloison qui sépare l'atelier de la vie commune»)

et les préoccupations formelles de Duret pour qui le sujet n'est qu'un «accessoire» devant

céder la place à la «valeur intrinsèque de la peinture en soi». Et tandis que pour

Castagnary l'impressionnisme n'est rien de plus que l'issue logique du naturalisme, Paul

Adam y voit une «école d'abstraction», et Mallarmé définit la peinture comme un art «fait

d'onguents et de couleurs. Ils sont contemporains des huit expositions qui virent le

mouvement se constituer en école, subir les assauts d'une critique malveillante («singes»,

«toqués», «barbouilleurs», «communards»), triompher et se dissoudre à la fin, rongé par

les conflits internes. (http://membres.lycos.fr/michelmirbeau/darticles%20francais/Lair-

impressionnisme.pdf)

Le poète, romancier, peintre et critique d'art français, Pierre Jules Théophile

Gautier est le premier à défendre l’impressionnisme. En 1860, il écrit un long article dans

La Gazette des Beaux intitulé Arts Exposition de tableaux modernes dont il ne défend pas

seulement des Meissonier et Roqueplan, mais plutôt le romantisme et les environs de

Barbizon : Ingres, Delacroix, Millet, Diaz, Corot, etc. Cependant, il s’efforce à suivre la

peinture nouvelle, même s’il ne la comprend pas. Il soutient Manet en 1861, puis se

rétracte plus ou moins. Rendant compte du Salon de 1868, il se remémore l’hostilité

rencontrée par la peinture aujourd’hui admirée et cela l’incline à la modération et à la

tolérance. Gautier dit que Manet et Moreau sont « aux deux pôles de l’art ». La

32

Page 32: licenta - impressionnisme2

comparaison de Manet avec Théodore Rousseau et la proximité immédiate dans laquelle

Gautier place Courbet instaurent un malentendu que l’on retrouvera chez Zola ou

Stevenson : « ’impressionnisme comme forme du réalisme » (FAUCHEREAU, 1994 :

27)

Le célèbre poète français, Charles Pierre Baudelaire peut être nommé comme le

prophète de l’impressionnisme. Dans son article, Peintres et aqua-fortistes à la page

consacrée à Boudin, on peut remarquer la chaleur avec laquelle Baudelaire aurait

accueilli l’impressionnisme, s’il avait vécu plus longtemps. « Depuis l’époque

climatérique où les arts et la littérature ont fait en France une explosion simultanée, le

sens du beau, du fort et même du pittoresque a toujours été diminuant et se dégradant.

Toute la gloire de l’École française, pendant plusieurs années, a paru se concentrer dans

un seul homme dont la fécondité et l’énergie, si grandes qu’elles soient, ne suffisaient pas

à nous consoler de la pauvreté du reste. […] M. Manet est l’auteur du Guitariste, qui a

produit une vive sensation au Salon dernier. On verra plusieurs tableaux de lui empreints

de la saveur espagnole la plus forte, et qui donnent à croire que le génie espagnol s’est

réfugié en France. […] Il était naturel que ces artistes se tournassent surtout vers un genre

et une méthode d’expression qui sont, dans leur pleine réussite, la traduction la plus nette

possible du caractère de l’artiste… » (FAUCHEREAU, 1994 : 39)

Dès 1865 environ, les noms de Monet, Pissarro, Degas glorifieront celui de

Manet, exemple même de l’artiste fier et intransigeant. Ses premières interventions en

faveur de ces révolutionnaires annoncent déjà la volonté de théoriser qui s’exprimera en

1880 dans Le Roman expérimental et constituent l’équivalent pictural de ce manifeste.

Car Zola annexe sans plus de difficultés le mouvement impressionniste au naturalisme

littéraire ; les appellations choisies, au demeurant, ne trompent pas, l’assimilation

transparaissant dans l’identité des dénominations : « actualistes », « naturalistes »...

(http://membres.lycos.fr/michelmirbeau/darticles%20francais/Lair-impressionnisme.pdf)

L’image de l’écrivain Emile Zola est celle de « défenseur des impressionnistes »

mais il ne peut être regardé seulement comme leur meilleur protecteur, mais aussi comme

un de leur aimé critique. En 1876 il rend compte du Salon et de la première exposition du

groupe impressionniste puis, en 1877, de nouveau, du Salon. Dans les deux cas il parle

sans aménité des impressionnistes, comme s’ils n’avaient jamais encore produit d’œuvre

33

Page 33: licenta - impressionnisme2

majeure. En 1880, à la naïve demande de Cézanne, il revient à la critique sous le titre Le

naturalisme au Salon et se montre bien injuste envers ses anciens amis qu’il traite comme

des débutants dont on attend encore des solides réalisations. « Certaines artistes se sont

donc réunis pour exposer leurs œuvres dans une salle louée pour eux. Les uns, comme

MM. Claude Monet, Renoir et Pissarro, étaient irrités de se voir chaque année refusés par

les jurys des Salons, qui croyaient devoir protester ainsi contre leur tendance artistique ;

les autres, comme M. Degas, étaient bien reçus chaque année, mais ils se sentaient si peu

regardés, qu’ils voulaient être chez eux pour s’accrocher eux-mêmes en belle place et

triompher tout seuls. » Il parle sur chaque peintre et sur leur attitude vers le Salon. « M.

Renoir fut le premier à comprendre que les commandes n’arriveraient jamais par ce

moyen ; et, comme il avait besoin de vivre, il commença à envoyer au Salon officiel, ce

qui le fit traiter de rénégat.[…] Et j’insisterai plus encore dur le cas de M. Claude Monet.

Voilà un peintre de l’originalité la plus vive qui, depuis dix ans, s’agite dans le vide,

parce qu’il s’est jeté dans des sentiers de traverse, au lieu d’aller tout bourgeoisement

devant lui. […] En somme, M. Degas seul a tiré un véritable profit des expositions

particulières des impressionnistes ; et il faut en chercher la raison dans le talent même de

la peinture. M. Degas n’a jamais été un persécuté, aux Salons officiels. » Il présente aussi

l’influence que les impressionnistes ont eu en ce moment-là sur l’école française. « Cette

influence est considérable. Et j’emploie ce mot ici d’ « impressionniste », parce qu’il faut

bien une étiquette pour designer le groupe de jeunes artistes, qui, à la suite de Courbet et

de nos grands paysagistes, se sont voués à l’étude de la nature ; autrement, ce mot me

semble étroit en lui-même et ne signifie pas grand-chose. »

Zola souligne l’importance des peintres impressionnistes en parlant sur leur

contribution mais il met aussi en évidence le mécontentement de ce courant. « Voilà

donc ce qu’apportent les peintres impressionnistes : une recherche plus exacte des causes

et des effets de la lumière influant aussi sur le dessin que sur la lumière. On les a accusés

avec raison de s’être inspirés des gravures japonaises, si intéressantes, qui sont

aujourd’hui entre toutes les mains. Il y avait là une simplicité de moyens et une intensité

d’effet qui ont frappé nos jeunes artistes et les ont poussées dans cette voie de peinture

trempée d’air et de lumière, où s’engagent aujourd’hui tous les nouveaux venus de talent.

[…] Le grand malheur, c’est que pas d’un artiste de ce groupe n’a réalisé puissamment et

34

Page 34: licenta - impressionnisme2

définitivement la formule nouvelle qu’ils apportent tous, éparse dans leurs œuvres. La

formule est là, divisée à l’infini ; mais nulle part , dans aucun d’eux, on ne la trouve

appliquée par un maître. Ce sont tous des précurseurs, l’homme de génie n’est pas né.

[…] Voila pourquoi la lutte des impressionnistes n’a pas encore abouti ; ils restent

inférieurs à l’œuvre qu’ils tentent, ils bégayent sans pouvoir trouver le mot. »

(FAUCHEREAU, 1994 : 83)

Dans le journal L’Evénement il consacre un article, Adieux d’un critique d’art au

Édouard Manet. Il parle sur l’opinion de la majorité sur le peintre et ses œuvres et aussi il

affirme qu’il est le premier a louer sans restriction Manet. « J’ai taché de rendre à M. Manet

la place qui lui appartient, une des premiers. On rira peut-être du panégyriste comme on a ri du

peintre. Un jour, nous serons venges tous deux. Il y a une vérité éternelle qui me soutient en

critique : c’est que les tempéraments seuls vivent et dominent les âges, il est impossible, -

impossible, entendez-vous-, que M. Manet n’ait pas son jour de triomphe, et qu’il n’écrase pas les

médiocrités timides qui l’entourent. »

Pour Zola, souligner la volonté qu’ont ces peintres de réhabiliter la réalité dans ce

qu’elle a de trivial, de repoussant, permet de démontrer la parenté d’idéal entre l’écrivain

moderne qu’il est et Monet ; celui-ci, sous la plume de Zola, excelle à peindre :

« [...] de petits flots verdâtres [...] en mares glauques » [...] ou « l’eau dormante des ports

étalée par plaques huileuses [...] la grande eau livide de l’énorme océan qui se vautre en

secouant son écume salie [...] brisant contre les blocs de béton des vagues boueuses,

jaunies par la vase du fond. »

L’article critique Lettres de Paris : deux expositions d’art au mois de mai est un

des plus favorables aux impressionnistes parce qu’il parle sur le style et sur le talent de

chaque peintre. Il finit l’article avec la conclusion que l’impressionnisme est « le

mouvement révolutionnaire qui s’amorce transformera assurément notre école française d’ici

vingt ans. Voilà pourquoi j’éprouve une tendresse particulière pour les novateurs pour ceux qui

marchent hardiment en avant, ne craignant pas de compromettre leur carrière artistique. On ne

saurait leur souhaiter qu’une chose :c’est de continuer sans vaciller ce qu’ils ont commencé, et de

trouver dans leur milieu un ou plusieurs peintres assez doués pour fortifier par des chefs-d’œuvre

la nouvelle formule artistique »

Avec plusieurs de ses contemporaines (Stevenson, Huysmans) Zola partage le

point de vue que l’impressionnisme est une formule de réalisme, parce qu’ils peignent ce

35

Page 35: licenta - impressionnisme2

qu’ils ont sous les yeux et non pas des scènes mythologiques ou des reconstitutions

historiques. Il les appellera aussi « actualistes » et finalement « naturalistes », comme

s’ils produisent une version plastique du roman naturaliste dont Zola est lui- même le

principal représentant. Désormais, les impressionnistes savent qu’ils ne peuvent plus

compter sur Zola comme allié. Il n’écrira d’ailleurs plus rien en leur faveur et L’œuvre

(1886), roman d’un peintre raté où chacun put reconnaître Cézanne, met un point final à

leurs relations. (FAUCHEREAU, 1994 : 52)

Verlaine et Rimbaud sont associés le plus souvent aux peintres impressionnistes

mais ils sont vus comme les amis qui « fraternisaient à la même table » avec le peintres et

non comme des critiques sur la peinture. Verlaine a assez peu écrit sur la peinture. Le

petit texte sur le portrait de Mallarmé est extrait de l’avertissement dont il a fait précéder

son recueil des Poètes maudits (1884). Stéphane Mallarmé a beaucoup aimé des peintres,

et ceux-ci le lui rendaient bien. Les seuls textes écrits par Mallarmé sur la peinture sont

sur Manet, Whistler et Berthe Morisot.

Le poète et critique d’art Jules Laforgue a été un grand connaisseur d’art qui a

enrichi les études impressionnistes sur la lumière et sur la couleur. Selon lui l’œil

impressionniste est dans l’évolution humaine l’œil le plus avancé, celui qui a saisi et a

rendu les combinaisons les plus compliquées connues. Il dit que le peintre

impressionniste voit et rend la nature telle qu’elle est, c’est-à-dire uniquement en

vibration colorées. « Ni dessin, ni lumière, ni modèle, ni perspective, ni clair obscur, ces

classifications enfantines : tout cela se résout en réalité en vibrations colorées et doit être

obtenu sur la toile uniquement par vibrations colorées. » (FAUCHEREAU, 1994 : 143)

Pour les écrivains du XIXe siècle et XXe siècle le mouvement impressionniste a

eu un impact vraiment colossal et non seulement parce qu’il a laissé un témoignage

précieux pour l’histoire de l’art mais parce qu’il a changé tous les arts : photographie,

sculpture, musique, littérature, etc.

36

Page 36: licenta - impressionnisme2

Chapitre II 

Le primat de la sensation et ses corrélats :

pictural et littéraire

L’esthétique impressionniste est structurée à la façon d’une syntaxe. Pour elle il

n’y a que des faits, qu’un univers lisible, perceptible par les sens et mesurable par

l’intelligence. Elle assure l’autonomie d’un style unitaire et cohérent dont les dimensions

spirituelles n’ont rien en commun avec les spéculations esthétiques et philosophiques

habituelles, rien en commun non plus avec la religion, la mystique, l’histoire etc.

Son domaine est celui des idées concrètes, voire banales, mais réduites aux proportions et

à l’échelle humaine. L’impressionnisme va aussi beaucoup plus loin que la fidélité

naturaliste en se laissant emporter par le sentiment de la vie réelle et en glorifiant le fait

exact, grâce à une observation minutieuse, hostile à toute spontanéité comme a tout

élément fortuit. Pour en préciser le sens esthétique, l’écrivain pose comme premier

principe la vérité optique qui, pour le peintre, équivaut à la perception sensorielle.

Pour ce qui est des principes démocratiques l’impressionnisme considérait tous

les hommes égaux et voulait que l’évolution de la société et des idées introduisît des

rapports sociaux démocratiques et progressistes. Adepte de la démocratie, l’artiste

reconnaît le joug de la féodalité et de l’académisme. C’est grâce à l’impressionnisme que

s’accomplit la révolution que incorpora à l’art la science, la technique et la photographie.

C’est lui aussi qui révéla les liens intimes unissant la peinture à la littérature et à la

musique. Peintres, écrivains, compositeurs faisaient triompher la sensation aux dépens de

la méthode rationaliste, célébraient les faits matériels, notaient au vol leurs impressions et

le mouvement le plus fugace.

37

Page 37: licenta - impressionnisme2

Aux yeux des impressionnistes l’univers était l’expérience, la sensation du moi, et

rien d’autre. Hostile à toute connaissance métaphysique située en dehors du « moi »,

l’impressionnisme était proche de la réalité objective. À cet égard, un certain aspect du

positivisme d’ Auguste Comte, le naturalisme, l’art de Courbet, le matérialisme

scientifique, qui, à la même époque prenait les allures d’une science de la société lui

avaient frayé la voie.

2.1. Le primat de la sensation

Dès le milieu du XIX e siècle, en France et ailleurs, partout où se développait la

vie urbaine, l’industrie et l’économie, on découvrait le sentiment de la nature, en

peinture, mais aussi en littérature et en musique.

Le compositeur, pianiste et poète Ernest Cabaner qui mit en musique quelques

poèmes de ses contemporaines notamment de Baudelaire et de Mallarmé et qui fréquenta

les impressionnistes au Café Guerbois, le salon de Nina de Villard et le Cercle des

Zutistes évoque la difficulté d’exprimer la sensation pure à travers le langage :

« Ce qui est impossible, dit-il, c'est l’absolu. Il est impossible de parler en revenant

continuellement sur le chemin parcouru, à savoir, de ne pas prononcer une seule syllabe nouvelle

sans répéter toutes les syllabes prononcées auparavant. L'homme n'est pas capable d'une puissance

telle. Il n’y a que Dieu, et je m’avance beaucoup. Il est encore impossible de faire un poème

épique, de plusieurs milliers de vers, qui serait un chef-d'oeuvre, parce qu'il donnerait au lecteur

intéressé par l’intrigue les sensations les plus diverses et les plus émouvantes, et qui, cependant, ne

serait écrit dans aucune langue connue, mais avec des assemblages habiles de voyelles et de

consonnes sans signification. Qui sait ? Ce travail n’est pas impossible, il est seulement difficile,

puisque voici le commencement de la chanson de la petite pluie: Flic, Floc, Floc, Flic. »

(DÉCAUDIN, 1870-1900 : 136)

La nature même de cette esthétique est ici en cause. Il n’est pas permis au poète

de n'être, selon la formule du peintre, qu' « un œil, une main ». Le grand animateur de la

vie parisienne et ami intime de Rimbaud et des impressionnistes Ernest Cabaner dit que

le mot est toujours chargé d'un contenu affectif ou intellectuel, il ne se réduit pas à la pure

sensation que provoque la tache colorée parce qu’il n’est pas sûr s’il peut atteindre aux

38

Page 38: licenta - impressionnisme2

mêmes effets. L'inspiration impressionniste de 1872-1873 n’a été qu'une étape dans

l’évolution de Verlaine et il a bien senti que la poésie avait d'autres choses, plus

profondes et plus graves, à exprimer. L'impressionnisme pur est, dans les arts du langage,

un pari et c'est pourquoi on le voit si souvent se fondre dans d'autres tendances.

L’écrivain d’origine polonise Téodor de Wyzewa rattache la peinture impres-

sionniste à sa conception idéaliste de l’art mais il ne distingue pas la sensation de

1'emotion. L'originalité de 1’école nouvelle consiste selon lui à avoir introduit dans la

peinture un facteur émotionnel.

Émile Adolphe Verhaeren, poète belge flamand, d'expression française avait écrit

que dans ces jours-là on partait de la chose vue, ouïe, sentie, tâtée, goûtée, pour en faire

naître l’évocation et la somme par l’idée. « Un poète regarde Paris fourmillant de lumières

nocturnes, émietté en une infinité de feux et colossal d'ombre et d’étendue. S'il en donne la vue

directe, comme pourrait le faire Zola, c'est-à-dire en le décrivant dans ses rues, ses places, ses

monuments, ses rampes de gaz, ses mers nocturnes d'encre, ses agitations fiévreuses sous les astres

immobiles, il en présentera, certes, une sensation très artistique, mais rien ne sera moins

symboliste. Si, par contre, il en dresse pour l’esprit la vision indirecte, évocatoire, s'il prononce: «

une immense algèbre dont la clé est perdue », cette phrase nue réalisera, loin de toute description

et de toute notation de faits, le Paris lumineux, ténébreux et formidable. » (DÉCAUDIN, 1870-

1900 : 141).

L’impressionnisme est le seul courant qui préserve la sensation telle qu’elle est

perçue. À la différence du poète impressionniste qui se laisse prendre aux séductions

fugaces du monde de sensations le poète symboliste exorcise les sensations et va au-delà

des apparences. Ce qui est fin en soi pour l'artiste impressionniste n'est pour l’artiste

symboliste qu'une étape dans la quête de 1'absolu. N'est-ce pas là le sens de

l’impressionnisme de Mallarmé ou de celui de Valéry ? Les écrivains qui adoptent la

vision impressionniste sont insatisfaits et quand ils découvrent Mallarmé, leur choix

change. Le poète Francis Vielé Griffin dit que le petit salon de la rue Condorcet, que

décoraient des plâtres d’art et des peintures de Raffaëlli, était tout à «l’impressionnisme»,

en peinture et en littérature et voulait fixer des « instants de vie ». Zola qui est vécu dans

la même période, avec son gros crayon déformait la vision vitale, avec l'illusion de

transcrire la vérité.

39

Page 39: licenta - impressionnisme2

La littérature impressionniste est dépassée de celle symboliste qui traduit d'heure

en heure la sensation directe et l’obligation, et use jusqu’à l'abus des facultés sensorielles,

en vivant sans doute, mais vivant bassement sans ordre. D'autre part, le devoir d’un

écrivain plus qu’impressionniste préconise d'intensifier la vie cérébrale par le triage et le

choix des sensations transposées. Les artistes qui suivront veulent se détourner d'un art

matériel d'expression plastique, vers un art spirituel d'expression musicale.

L’écrivain, poète, critique et théoricien de l'art français de la fin du XIXe siècle,

George Albert Aurier qui, définissant ce qu'il appelle l’art idéiste ou symboliste, s'oppose

à l’impressionnisme : « L'impressionnisme, c'est et ce ne peut être qu'une variété du

réalisme, un réalisme affiné, spiritualisé, de dilettantisme, mais toujours le réalisme. Le

but visé c'est encore 1'imitation de la matière, non plus peut-être avec sa forme propre, sa

couleur propre, mais avec sa forme perçue, avec sa couleur perçue, c'est la traduction de

la sensation instantanée, avec toutes les déformations d'une rapide synthèse subjective. »

(DÉCAUDIN, 1870-1900 : 141)

À l’heure actuelle, à en juger d’après le critique d'art français, Gaëtan Picot dans

son Panorama de la littérature française Proust appartiendrait à « la génération

exceptionnelle » qui aurait donne à la France ses « derniers classiques » et qui renouvelle

la littérature comme les impressionnistes renouvellent l’art. Le problème essentiel autour

duquel gravite la construction proustienne tout entière, c’est le problème du temps.

Comme les peintres impressionnistes, Proust cherche à surprendre l’instant avec

tous ses sensations, jamais semblables aux celles du moment précédent ou ultérieur. Son

style est une juxtaposition d’impressions, un amalgame du concret et de l’abstrait. Les

symbolistes essayaient de saisir les instants par l’intermédiaire des synesthésies, des

sensations visuelles, auditives, olfactives et tactiles. Les impressionnistes surprenaient le

temps à l’aide de la variation de la lumière aux différents moments de la journée. Vivant

à l’époque de gloire de l’impressionnisme et du symbolisme Proust a transposé dans son

roman À la recherche du temps perdu une part des principes et des modalités de création

des ces deux courants en utilisant la synesthésie et essayant de retenir la sensation que

l’on ne peut confondre de chaque moment vécu. (DRÎMBA, 1993: 227)

Proust compare la mémoire habituelle ou volontaire aux mauvais peintres qui

donneraient à tout un passé étendu sur une même toile des tons conventionnels et tous

40

Page 40: licenta - impressionnisme2

pareils. Ce passé est une superposition successive de nos « moi » qui, avec l’écoulement

des années, peut devenir gigantesque. Une simple excitation, une sensation quelconque

suffit pour provoquer de tels soulèvements. Seulement, celle sensation ce n’est pas

l’œuvre de notre volonté ou de notre intelligence. Elle est l’œuvre du pur hasard, ayant la

faculté prodigieuse de déclencher tout un monde vécu, d’amener à la surface un de nos

« moi » anciens qui dormait depuis longtemps sous les couches des années. On se

souvient mais c’est pour revivre.

Ainsi, la saveur d’une madeleine, trempée dans une tasse de thé porte en elle la

vertu d’une véritable résurrection : le narrateur, accablé par une morne journée se trouve

comme par miracle transporté dans un état de félicité indicible comme si la tasse de thé

eût contenu un breuvage enchanté. Cette analogie surprenante situe Proust à un certain

moment de la durée. La simultanéité entre l’état d’âme et la sensation établit une

réciprocité, une interaction, ce que Proust le comprend assez clairement et arrive à la

conclusion : « Mais qu’un bruit, qu’une odeur, déjà entendu ou respirés jadis, le soient de

nouveau, à la fois dans le présent et dans le passé, réels sans être actuels, idéaux sans être

abstraits, aussitôt l’essence permanente et habituellement cachée des choses se trouve

libérée, et notre vrai « moi » qui, parfois, depuis longtemps, semblait mort, mais ne l’était

pas entièrement, s’éveille, s’anime, en recevant la céleste nourriture qui lui est apportée.

Une minute affranchie de l’ordre du temps a récrée en nous, pour le sentir, l’homme

affranchi de l’ordre du temps. Et celui-là on comprend qu’il soit confiant dans sa joie,

même si le simple goût d’une madeleine ne semble pas contenir logiquement les raisons

de cette joie. » (LAGARDE, 1962 : 247)

Pour les impressionnistes, écrivains ou peintres, la représentation spontané des

sensations et des perceptions des êtres humains et des événements naturels est plus

importante que la représentation de la réalité même. (WORLD BOOK

ENCYCLOPEDIA, 1993 :95)

2.2. La place de la tache et son effet sur la rétine

41

Page 41: licenta - impressionnisme2

Les impressionnistes avaient purifié la couleur, ils l’avaient débarrassée de la

« sauce brune », du clair-obscur artificiel, pour permettre aux couleurs de vibrer de toute

leur intensité naturelle. Mais ce qu’ils avaient essayé de créer, on a pu l’appeler un

« cocktail visuel » ; c’est-à-dire une juxtaposition de couleurs qui s’unissent et donnent

naissance, dans l’acte même de la perception, à l’impression de la vie. Leur utilisation de

la perception fut aussi impressionniste que leur emploi de la ligne, ce qui, chez un peintre

tel que Renoir, devait mener à un mélange de la couleur, absolument distinct de ce que

Cézanne entendait par modulation. Moduler signifie plutôt ajuster une zone de couleur

aux zones de couleurs voisines, processus continu qui accorde la multiplicité à l’union de

l’ensemble. Cézanne découvrait que la solitude ou la monumentalité d’une peinture tient

autant à cette « maçonnerie » patiente qu’à la conception architecturale de l’ensemble. Le

résultat du point de vue de la réalité picturale, est une apparente rupture de la surface

plate d’une zone de couleur en une mosaïque de facettes colorées distinctes les uns des

autres. Ce processus devient de plus en plus évident au fur et à mesure de l’évolution de

Cézanne ; il l’est particulièrement dans une œuvre comme «  Le Jardin des Lauves » ou

dans les aquarelles des dernières années, comme « Le Paysage au moulin ». Un détail

isolé pris dans n’importe quelle œuvre postérieure à 1880 montrera la même surface

construite en mosaïque. Mais il ne faut pas oublier que ce que nous isolons de la sorte

pour en disséquer les différents plans, est complètement intégré à l’œuvre prise comme

un tout. Pour Cézanne, la justification de cette technique, c’est qu’elle est une « bonne

méthode de construction ».Comme dans tout monument architectural achevé, nous ne

devons pas remarquer les différents éléments qui, ensemble, forment un tout.

(HERBERT, 1960 : 19)

L’indication la plus claire de la direction qu’allait prendre l’art au XXe siècle, on

peut la trouver dans l’art inachevée d’un génie mort trop tôt : Georges Seurat (1859-

1891). Etudiant à l’École des Beaux-arts, Seurat investigue sur les traités scientifiques

courants sur l’optique et la couleur, et en particulier ceux d’Eugène Chevreul sur la

division de la lumière en couleurs fondamentales. Se fondant sur cette théorie Seurat

élabora la technique qui devait être connue sous le nom de pointillisme, quoiqu’il

préférait à ce terme celui de divisionnisme. Elle consistait à isoler dans les couleurs qui se

trouvaient dans la nature les éléments premiers qui les constituaient, et à transférer ces

42

Page 42: licenta - impressionnisme2

derniers sur la toile dans leur état pur ou primaire, sous forme de petits traits ou de petits

touches de pinceau, en laissant à la rétine du spectateur la tache de recombiner ces tons

en une « mixture optique ». L’objectif final, naturellement, était de conserver les couleurs

de la nature dans toute leur réalité et leur vivacité, ambition qui remontait à Constable et

Delacroix. Ses recherches sur la couleur qui n’auraient pas été plus loin que ses amis

impressionnistes ont été suivies par des recherches sur la ligne et, d’une façon plus

générale, sur le fondement scientifique de l’harmonie esthétique.

Charles Henry, mathématicien extrêmement brillant et d’une fécondité

extraordinaire, semble avoir nourri l’ambition de réconcilier la société et l’art dans une

sorte de synthèse intellectuelle plus élevée, ce que Paul Valery appela « un système unifié

de la sensibilité et de l’activité humaine » . Le but final que Seurat se proposait était un

« art de l’harmonie ». L’harmonie peut être réduite à des éléments de ton, de couleur et

de ligne, comme il le dit dans sa fameuse « esthétique » et ces harmonies peuvent

exprimer des sentiments de joie, de calme ou de tristesse. Les moyens doivent être l’objet

de calculs, mais les effets sont incalculables puisqu’ils jouent sur l’éventail infini de la

sensibilité humaine. Avec la mort de Seurat, meurt le pointillisme aussi, mais il donnera

naissance à d’autres effets qui, plus tard, auront une grande importance artistique. Seurat

a apporté non pas une technique ou l’idée que l’esthétique devait être fondée sur la

science mais une prise de conscience de problèmes intérieurs à la démarche artistique

elle-même, problèmes qui ne pouvaient être résolus que par une transformation radicale

de la signification de l’art en tant que connaissance du monde. Le vieux langage de l’art

ne convenait désormais plus à la conscience humaine : un nouveau langage devait être

créé, syllabe par syllabe, image par image, avant que l’art puisse encore une fois être

nécessité sociale aussi bien qu’individuelle. (HERBERT, 1960 : 39)

Asservir la couleur en fonction des nouvelles connaissances scientifiques ne suffit

cependant pas à Seurat et Signac: il faut également aller au-delà de la spontanéité et de la

méthode intuitive propres aux impressionnistes. Paul Signac soutenait que la première

préoccupation du peintre devant sa toile, doit être de «décider quelles courbes et quelles

arabesques vont en découper la surface, quelles teintes et quels tons la couvrir. » Conduit

par la tradition et par la science, il harmonisera la composition à sa conception, c'est-à-

dire qu'il adaptera les directions et les angles, les tons, les teintes au caractère qu'il voudra

43

Page 43: licenta - impressionnisme2

faire prévaloir. La dominante des lignes sera horizontale pour le calme, ascendante pour

la joie, et descendante pour la tristesse, avec toutes les lignes intermédiaires pour figurer

toutes les autres sensations en leur variété infinie. « Un jeu polychrome, non moins

expressif et divers, se conjugue à ce jeu linéaire: aux lignes ascendantes, correspondront

des teintes chaudes et des tons clairs; avec les lignes descendantes, prédomineront des

teintes froides et des tons foncés; un équilibre plus ou moins parfait des teintes chaudes et

froides, des tons pâles et intenses, ajoutera au calme des lignes horizontales. Soumettant

ainsi la couleur et la ligne à l'émotion qu'il a ressentie et qu'il veut traduire, le peintre fera

œuvre de poète, de créateur.»11

La notion d’impressionnisme littéraire est devenue objet historique; en même

temps que le discours informé abandonnait les positions axiologiques qui étaient celles

des premiers commentateurs pour une description plus objective, la connaissance de la

période gagnait en rigueur grâce à l'apport des méthodes de travail venues des sciences

humaines. Il n'en est que plus remarquable qu'un consensus semble avoir prévalu depuis

le début pour dégager comme un trait définitoire majeur du style littéraire impressionniste

(en son acception historique ou transhistorique) ou de certains aspects de 1'écriture, telle

la substantivation de l'adjectif, confèrent une certaine autonomie à la notation de la

«sensation» et pour en faire un équivalent littéraire du primat de la tache chromatique sur

la forme objectale, censé caractériser la vision impressionniste de peintres comme Monet

ou Pissarro.

Le premier qui a parlé d’un «impressionnisme littéraire »fut le critique littéraire

français Ferdinand Brunetière dans son article qui contenait un certain nombre de

remarques que ses successeurs sauront exploiter et approfondir. Il a entrevu le principe et

il le formulait ainsi: «  Ouvrir les yeux d'abord, les habituer à voir la tache et habituer la

main en même temps à rendre pour l'œil d’autrui ce premier aspect des choses. »

L’écrivain français Alphonse Daudet a été le premier qui avait donné des

exemples pour exprimer le primat de la sensation et la place de la «tache » dans le

roman Les Rois en exil : « Des deux femmes on ne voyait que des cheveux noirs, des cheveux

fauves, et cette attitude de mère passionnée. » ; « II se fit conduire à son cercle, y trouva quelques

calvities absorbées sur de silencieuses parties de whist, et des sommeils majestueux autour de la

11 http://agora.qc.ca/mot.nsf/Dossiers/Neo-impressionnisme

44

Page 44: licenta - impressionnisme2

grande table du salon de lecture. » Les termes chargés selon lui d'exprimer le primat de la

sensation et de tenir dans la phrase la place de la «tache » («cheveux noirs», «cheveux

fauves», «calvities ») sont des syntagmes qui sont transformes en substantifs. Ils sont

dotés d'un fort coefficient eidétique12 admettant l'identification des substantifs dénotant

des objets à des concepts objectaux. Il n'y a donc pas ici de «taches» au sens où l’on tient

que la peinture impressionniste en comporte, mais seulement des objets pourvus de leur

ton local (des mots dénotant des objets, etc.). Par ce phénomène on ne voit pas des

masses colorées et lumineuses (des taches) à la place des objets, mais des objets vus de

très près, en gros plan. S'il fallait à toute force trouver des comparants dans le domaine

pictural, on devrait aller les chercher non dans la technique tachiste le « non finito »13 de

pochade14 que présente un large pan de la peinture impressionniste, mais dans les

cadrages qui mettent en forme l'espace représenté et dont on sait que les impressionnistes

(en particulier Manet, et Degas) trouvèrent des modèles dans l'estampe japonaise.

Selon le mot de Brunetière, l’écrivain français Paul Bourget, aura été le premier à

isoler le trait verbal supposé «transposer» le primat de la sensation dans la revue En

ménage :

« N'est-il pas vrai que 1'écrivain a vu des objets, non plus leur ligne, mais leur tache,

mais l’espèce de trou criard qu’ils creusent sur le fond uniforme du jour, et qu’alors la

décomposition presque barbare de l’adjectif et du substantif s’est faite comme d’elle-même : - les

noirs de casquettes…les coups de rouge des gilets... ? »

De cette analyse Bourget croyait trouver une confirmation supplémentaire dans un

passage du feuilleton Césette écrite par l’écrivain français Emile Pouvillon, à propos

duquel il notait : « […] la tache affecte la rétine qui saisit non plus le contour, mais le

petit mouvement lumineux qui fait couleur. » En peinture si nous fixons pendant une

dizaine de secondes une teinte et nous regardons ensuite une feuille blanche nous voyons

12 vif, détaillé, d'une netteté hallucinatoire, qui concerne l’essence des choses par opposition à leur réalité sensible (LAEOUSSE, 1993 : 922)13 L'esthétique de l'inachevé ou le « non finito » (selon le terme italien) est une désignation données aux sculptures inachevées par l'artiste, volontairement ou non. (http://fr.wikipedia.org/wiki/Non_finito)14 La pochade est une technique de peinture permettant de faire des croquis préparatoires avancés ou des croquis sur le vif en peinture. Cela peut être un croquis de modèle vivant à la peinture en une ou plusieurs dizaines de minutes ou un croquis de paysage sur le terrain. La technique de la pochade implique des séchages rapides afin d'exécuter dans un minimum de temps le croquis.(http://fr.wikipedia.org/wiki/Pochade )

45

Page 45: licenta - impressionnisme2

apparaître sur la feuille la couleur contraire. En fait, c'est quand on regarde une couleur

en étant concentré dessus, puis, soit on ferme les yeux, soit on regarde une feuille

blanche, on voit alors apparaître la couleur complémentaire.

L'effet peut être attaché à la substantivation de l'adjectif qui donne une sensibilité qui

attire l’attention. Dans un article de synthèse, le professeur de littérature du XXe siècle

Henri Mitterrand va énoncer de nouveau le principe général dégagé par Brunetière :

« [...] l'essentiel est pour 1'écrivain de fixer sur sa page, comme le peintre sur sa

toile, certaines qualités de la vision, la substance ou l'objet de cette vision passant au

second plan. »

L’écrivain français Alain Pagès s’arrête aux emplois au pluriel de certains

substantifs, du type « des gaietés », « des blancheurs » «

«  La qualité est mise en avant, au détriment de la réalité qui sert de support  ; l’emploi du

pluriel renforce la notation de l'impression, donne la vision du concret :(alors que l'article défini

singulier pousse vers la généralisation) ; il décompose la surface de l'objet en touches multiples -

produisant des effets comparables à ceux qui sont crées dans la peinture de la même époque. »

Aussi le professeur de philosophie Françoise Gaillard, scrutant le groupe « des

blancheurs de femmes », retrouve le questionnement même de Brunetière : «  Qu’est-ce

qui, en effet, a été vu ? D’abord des taches blanches produisant sur l’œil un effet de

blancheur presque aveuglant… Ensuite des formes ont été distinguées, puis identifiées

comme étant des femmes. »

II y a plusieurs façons d'aborder et de traiter le problème posé par le système de

corrélations que les analyses de l'impressionnisme littéraire ont mis en vedette (tache

visuelle-adjectif substantivisé versus forme objectale-substantif concret). L'une d'elles

consisterait à entreprendre l'opposition concret / abstrait qui imprègnent la métalangue

grammaticale et introduisent implicitement ou explicitement dans la description

linguistique un certain nombre d'hypothèses causales sur le rapport du locuteur au monde

perçu et, plus généralement, sur les connexions entre fonctionnement langagier et activité

cognitive. Une autre stratégie serait de faire la part des inductions abusives que favorisent

dans le discours critique l'expression métaphorique et l’homonymie (ainsi de notation, de

touche, d' impression, de pointillisme, etc., appliqués tantôt au texte, tantôt au tableau):

après avoir montré que le discours sur l’impressionnisme littéraire est, sur ce point,

46

Page 46: licenta - impressionnisme2

l'héritier d’une tradition humaniste et académique qui, depuis les paradoxes du poète grec

Simonide de Céos, a entretenu de telles confusions, il resterait à dégager les conditions

sous lesquelles des équivalences, des correspondances ou des transpositions entre deux

systèmes sémiotiques aussi différents que ceux de la littérature et de la peinture sont

possibles. Pour arriver à l'impressionnisme littéraire il faut repartir de l'impressionnisme

pictural. (VOUILLOUX, 2000 : 65)

2.3. L’écriture « un art verbal qui transpose les impressions »

« Un peintre, ou un poète, ne peut pas se détacher de la réalité pour s’isoler dans

un monde qui a uniquement du fantastique et de l’invention ». Le poète et peintre Franco

Santamarina dit que la peinture et la poésie « sont des formes très nobles de langage, qui,

même avec des signes différents ont le but de communiquer avec le sentiment »15.

Si l’on considère le XIXe siècle comme celui des révolutions politiques et

industrielles, il faut le voir aussi comme celui des paradoxes et des contrastes avec une

caractéristique particulière : une remarquable coïncidence entre l’évolution historique et

les courants culturels. Cette coïncidence met en relief leurs nombreuses interactions.

Jamais encore, peut-être la littérature et les arts n’auront été à ce point le reflet des

mentalités et des sensibilités.

Selon la thèse de Platon, l’art n’est que  l' « imitation de la nature »  et c’est

pour qu’on peut définir l’écriture comme un art verbal qui transpose les impressions, qui

restitue l’art visuel de la peinture impressionniste ou qui transpose les effets visuels de

celle-ci. Il est hautement significatif, que, chaque fois que les critiques commencent à

critiquer « ce qui est écrit » ils commencent par se demander « ce qui a été vu ».

N’importe quel soit la place du processus de la transposition l’essentiel est que, si

l’écrivain fait voir les choses à son lecteur comme certaines peintres, c’est que lui-

même les a vues ainsi.  Comme Ferdinand Brunetière l’avait déjà dit « de l’œil qui

voit à la main qui écrit, ce serait ni plus ni moins que la sensation. (VOUILLOUX,

2000 : 65)

15 http://web.tiscalinet.it/santamariaPoesia/prefazioni/pref2.htm

47

Page 47: licenta - impressionnisme2

En littérature, comme en art, on ne peut perdre de vue les œuvres, infiniment et

indéfiniment réceptives et dont jamais personne ne peut affirmer avoir épuisé le contenu

et fixé la formule. C’est dire que la littérature n’est pas objet de savoir : elle est exercice,

goût, plaisir. On ne la sait pas, on ne l’apprend pas : on la pratique, on la cultive, on

l’aime.

Pour nous, la littérature, comme d’ailleurs l’art, la philosophie, sont avant tout des

langages, des moyens de l’homme de communiquer avec d’autres êtres qui peuvent être

ses contemporains, les générations à venir, Dieu ou des lecteurs imaginaires.

Sur le plan de la culture et de la diffusion des idées, le XIXe siècle connaît des

progrès notables. On comprend que l’homme de Lettres et l’artiste aient été concernés par

l’évolution d’une société dont ils sont à la fois les témoins, les porte-parole ou les

critiquent. Souvent mal acceptés, souvent mal à l’aise, ils sont observateurs miroirs d’un

monde qui les inspire et dont ils rejettent le conformisme. Mais ils laissent à la postérité,

par leurs œuvres, une illustration et un écho de l’histoire dans le domaine des

comportements et des mentalités. Ils la doublent, l’éclairent, faisant apparaître ce que le

récit des événements laisse dans l’ombre l’histoire des hommes.

Depuis, le XIXe siècle l’adjectif s’applique à l’expression des émotions et des

sentiments personnels, mouvements de l’âme, regrets, admiration, enthousiasme,

bonheur. C’est pourquoi on peut parler du lyrisme de Chateaubriand évoquant ses soucis

et ses aspirations : « Ainsi disant, je marchais à grands pas, le visage enflammé, le vent sifflant

dans ma chevelure. Ne sentant ni pluie ni frimas, enchanté, tourmenté et comme possédé par le

démon de mon cœur » (René Chateaubriand – « Le Génie du Christianisme »). La tonalité

lyrique étant associée à l’expression des sentiments, elle se reconnaît à plusieurs indices.

À l’époque de l’impressionnisme le lexique des écrivains saisissait tous les termes

exprimant les impressions, les sentiments, les émotions et les états d’âme. Du désespoir

au bonheur, ce vocabulaire englobe des mots que l’on retrouve aussi dans  La Nuit de

Décembre  de Musset : tristesse, douceur, solitude, amour, chagrin, cœur, larmes,

douleur « Du temps qui J’étais écolier, Je restai un soir à veiller, Dans notre salle solitaire. »

Le professeur de l’Université de Bordeaux, Bernard Vouilloux aborde la question

de la définition du champ « Texte/image » et dit que c’est un champ très large, aux

frontières floues. Il propose donc de le définir plus strictement par le couple « Verbal et

48

Page 48: licenta - impressionnisme2

visuel » puisque « texte / image » a pour défaut de restreindre implicitement le champ

aux pratiques « artistiques ». Selon ses propres termes, parfois techniques, il s’intéresse à

la « notion de co-implication du verbal et du visuel dans les processus de symbolisation

(ou de sémiotisation), par visualisation ou par verbalisation, qui président à la production

et à la réception des textes et des images ». Le professeur considère un texte ou une

image comme des dispositions dynamiques d’énoncés et de visibilités. Son approche

cherche à rompre avec un certain nombre d’idées reçues qui obstruent l’« inter

discipline » des mots et des images.

« De même que le champ textuel se trouve implicitement réduit à celui de la

littérature, de même l’ensemble des images est-il implicitement réduit à celui des images

que la nature de leur médium (peinture à l’huile, sculpture…) fait considérer, dans le

paradigme esthétique qui est le nôtre, comme constitutivement artistiques ».

La notion de « visuel » c’est la notion la plus fréquente dans les collaborations

entre écrivains et artistes. Mais se pose un premier problème : « visuel » ne désigne pas

seulement des artefacts, mais aussi des éléments abstraits et de l’ordre de l’imagination

qui présente une différence de nature sur laquelle il faut sans doute insister davantage.

Une des causes de la mauvaise presse de la discipline « texte image » est justement

qu’elle passe beaucoup trop vite de l’objet visuel (tableau, dessin, photo…) au « visuel »

non palpable (dans le texte, dans l’imagination du producteur, du récepteur…). Le

professeur Vouilloux soutient que la dénomination permet tout d’abord d’englober tous

les artefacts visuels, qu’ils soient ou non iconiques, qu’ils soient ou non artistiques. Mais

elle peut aussi à s’étendre aux objets ou phénomènes naturels, en tant qu’ils sollicitent la

perception optique. Celle-ci s’appuie à des processus cognitifs tout aussi complexes que

ceux qui interviennent dans la compréhension des messages verbaux. « Dès l’instant, en

effet, où l’on accepte de travailler avec une hypothèse qui ne soit plus naïvement

perceptiviste et objectale, il devient impossible de ne pas prendre en considération, par

delà les artefacts iconiques à fonction esthétique, les objets et les expériences qui, dans

les textes et ailleurs, mobilisent le visuel. » (« Texte et image ou verbal et visuel ? », pp.

27-28)16.

16 http://www.poesie-arts.com/Bernard-Vouilloux-et-les-problemes.html

49

Page 49: licenta - impressionnisme2

Le fait qu’on ne puisse prouver qu’un poète, ou un lecteur de poésie, a une

« vision », voit se former dans son esprit une image mentale rappelle le problème de la

performance par exemple : absence de documents, de preuves, et caractère unique de

l’événement. Cette caractéristique rapproche la poésie des arts de la scène. Bernard

Vouilloux justifie cet élargissement du cadre en expliquant que le couple « verbal /

visuel » permet de mieux comprendre le rapport : « Le véritable enjeu des études sur le

texte et l’image se trouve ailleurs que dans la sphère des relations existant entre certains

objets culturels possédant un statut artistique : les problèmes que posent ces relations ne

peuvent trouver les conditions de leur résolution que s’ils sont situés à leur niveau et

inscrits non plus seulement dans le cadre artistique et esthétique de la littérature et de la

peinture, mais dans le cadre sémiotique et anthropologique du verbal et du visuel. »

(« Texte et image ou verbal et visuel ? », p. 28)17.

Au début de l’article sur l’« impressionnisme littéraire » l’influence est présentée

comme une hypothèse rivale à celle de « l’air du temps ». Bernard Vouilloux propose une

typologie et détaille les modalités de l’influence jusqu’à l’indifférence. Il résume la

distinction fondamentale entre un rapport in « praesentia » et in « absentia ». Dans le

rapport in « praesentia », « l’image est effectivement coprésente au texte », tandis que

dans le rapport in « absentia » : « elle n’est que verbalement prédiquée ». Entre ces deux

pôles, il existe toute une échelle de possibles : « De l’allusion picturale la plus ténue, la

plus figée, à la collaboration effective d’un peintre et d’un écrivain produisant un objet

commun, toutes les possibilités sont comprises dans ces deux classes. » (« Langages et

arts visuels »). Bernard Vouilloux explique que le terme « poésie » est connoté dans la

sphère des études verbal / visuel, par l’ « ut pictura poesis18 » en particulier. La poésie

paraît donc traditionnellement plus légitime dans ce type de recherche, mais ce pour des

raisons historiques et non à cause du statut textuel de la poésie. Une autre cause de ce

statut à part pourrait être l’idée reçue selon laquelle l’imaginaire est davantage sollicité en

poésie qu’en prose. Dans l’article « la peinture dans l’écriture », Bernard Vouilloux

propose une typologie des modes d’apparition de la peinture dans le texte et il prend

comme exemple le texte balzacien. Il dit que pour révéler la présence de l’image ou de

l’impression visuelle dans le texte, Balzac a utilisé dans son œuvre La Comédie

17 http://www.poesie-arts.com/Bernard-Vouilloux-et-les-problemes.html18 la poésie est comme la peinture

50

Page 50: licenta - impressionnisme2

Humaine : des discours des artistes, des comparaisons avec des objets esthétiques

(portraits), un vocabulaire spécialisé, des passages où d’après une description on peut

faire un tableau (la perception artistique), multiplication des références picturales dans les

préfaces et aussi des réflexions esthétiques d’un narrateur omniscient.

Dans l’article « Texte et image ou verbal et visuel ? », Vouilloux montre que le

visuel existe aussi dans le hors-texte, ce qui est un des problèmes auquel on est souvent

confronté. La notion d’activité imageante se base sur la distinction entre les « images

naturelles », les « images artefactuelles » et les « images immatérielles ». La dernière

catégorie englobe selon Aristote les images accompagnant le processus de la pensée, du

souvenir et du rêve.

Dans l’article Langage et arts visuels Bernard Vouilloux fait l’historique de

l’essor des études sur le texte et l’image, depuis le milieu des années 1960, sous

l’impulsion du structuralisme et principalement des philosophes de formation. Des

nombreux chercheurs dans ce domaine se sont souvent employés à transférer des notions

utilisées en littérature vers l’analyse visuelle et surtout picturale : la métaphore, la

métonymie, l’allégorie etc. Le professeur dit que « C’est donc bien après le tournant

structuraliste des années soixante et soixante-dix, dominé, on l’a vu, par un souci très

marqué de conceptualisation qui portait principalement sur le pôle pictural, et c’est

seulement une fois posé dans toute son épaisseur sémiotique le statut de la médiation

textuelle, que les chercheurs en littérature se tournèrent, peu à peu, vers l’étude extensive

des rapports entre langage et arts visuels »19.

19 http://www.poesie-arts.com/Bernard-Vouilloux-et-les-problemes.html

51

Page 51: licenta - impressionnisme2

Chapitre III

Pôle perceptif et pôle artistique

3.1. La vision de la critique actuelle sur l’impressionnisme littéraire

La caractérisation de l’impressionnisme littéraire par la critique actuelle est restée

fidèle aux analyses faites par les critiques de l’époque impressionniste, mais elle est en

totale contradiction avec les analyses donnes par les critiques d’art. (VOUILLOUX,

2000 : 66)

Le critique d’art, Paul Jamot a consacré part de son étude à la seconde moitie du

XIXe siècle essayant de donner une explication pourquoi un des plus grands

impressionnistes a était reçu avec tellement brutalité chaque fois qu’il présentait une de

ses œuvres. Il soutient que dans les siècles antérieurs existait une élite des personnages

comme la cour royale, les nobles, la haute bourgeoisie qui avait besoin des services des

peintres et des sculpteurs. Entourées tout leur vie par des œuvres d’art ils avaient de

spirite esthétique. Mais, avec la démocratie, cette élite a été noyée par les autres classes

sociales et elle n’a pas soutenu de ce moment la production artistique, comme il faisait

naguère. Le goût du publique formée par des hommes communes n’avaient pas ni

l’intérêt, ni la formation indispensable pour comprendre ce qui était nouveau et ce qui ne

se conformait avec les lois habituelles des belles arts. Cette démocratie a eu comme

conséquence une diminution du critère sur quel ont été jugé les œuvres. Sur une côté

étaient les artistes auxquels ration pour exister était de porter le nouveau et sur l’autre

côté était un publique hostile qui n’acceptait ce type d’art et poussait les artistes à faire

des peintures même plus exagérés.

Aujourd’hui quand on peut nous rendre compte avec l’aide du temps de la

signification de son œuvre on dit que la peinture impressionniste est une de la plus belle

et de la plus innovatrice.

52

Page 52: licenta - impressionnisme2

La nouveauté de l’art de Manet consiste dans le choix des sujets de ses œuvres,

comme il transposait sa personnalité dans son œuvre et finalement la beauté du produit

fini. (OPRESCU, 1986: 166).

Pour le critique Octave Mirbeau l’art commence par la sensation. Tout est chez lui

éminemment physique. Son hypersensibilité fait que les chefs-d’oeuvre lui donnent le

frisson, le bouleversent aux larmes. Les deux mots-clés de sa critique d’art sont

« frisson » et « frissonner ». Monet est pour lui un frère « sensitif » qui a rendu tous les

«frissons de la nature » et quand il présente Van Gogh, il parle de « ce si frissonnant

artiste ». La critique d’art de Mirbeau n’appartient pas à la génération baudelairienne de

la critique « littéraire » avec quelques exceptions notables près dont le texte sur Monet et,

en partie, celui sur Pissarro, parus tous deux dans L’Art dans les Deux Mondes. Cela ne

l’empêche cependant nullement d’être influencée par l’auteur des Fleurs du Mal tant

l’imprégnation baudelairienne sur toute cette époque est importante.

Pour Mirbeau seulement quelques peintres sont intouchables et il les nomme

« artistes de génie ». Il admire les artistes du passe comme Rembrandt mais aussi les

artistes appartiennent au XIXe siècle : Delacroix, Ingres, Corot, Courbet, Puvis de

Chavannes, Manet, Rops, Monet, Rodin, Cézanne, et, enfin, Camille Claudel. Mirbeau

reconnaît régulièrement le génie de Manet mais il ne lui consacre aucun article,

n’esquisse aucun bilan de son oeuvre. Il milite activement aux côtés de Monet pour « la

souscription Olympia », certaines de ses remarques « les pastels qu’Eva Gonzalès semble

avoir affectionnés, et dont elle a poussé peut-être la science délicate plus loin que Manet

sont la preuve de son manque de clairvoyance.

Mirbeau défend l’impressionnisme en tant que regroupement spontané d’artistes

indépendants, grandis en dehors de l’École des Beaux-Arts et qui, s’étant affranchi de la

tradition sclérosante, ont été rejetés du Salon officiel et se sont alors courageusement

regroupés pour montrer leurs œuvres. Fidèle à son opinion, il voit dans

l’Impressionnisme une révolte, une rébellion contre l’ordre établi dans les Beaux-Arts,

une idée globalement imposée aux yeux du grand public. Pour que tout le monde

connaisse ces peintres nouveaux, il entreprend une campagne, une « véritable bataille ».

La fermeté de son propos, son ton offensif rappelle le Bon Combat de Zola.

53

Page 53: licenta - impressionnisme2

Les artistes qu’il défend ont substitué aux immuables recettes de l’école

l’attention à la nature et à la vie, la fidélité aux sensations éprouvées. Pour lui, il s’agit là

d’une véritable révolution copernicienne : les impressionnistes ont réveillé la peinture du

« sommeil dogmatique » dans lequel elle était noyée. Il insiste constamment sur « la

révolution du regard », « la révolution dans l’art de voir » qu’est pour lui

fondamentalement l’Impressionnisme et il insiste aussi sur le fait que l’Impressionnisme

n’est ni un système, ni une théorie, ni une formule. Il dit que l’Impressionnisme suppose

des créateurs libres devant la vie et la nature comme devant la technique picturale et il

défend davantage quelques impressionnistes, quelques individualités : Monet surtout,

Pissarro, Renoir et, tardivement, Cézanne. Il dédie seulement un article en La France à

Degas et en 1892, il est déçu par Sisley. Plus qu’une école ou qu’un mouvement, Mirbeau

considère l’Impressionnisme comme une réunion de tempéraments, de personnalités

libres, plus ou moins fortes ou originales dont certaines l’intéressent plus que d’autres. Il

privilégie le contact personnel avec les artistes, les relations d’ateliers ou de cafés.

L’entretien avec l’artiste constitue l’originalité de sa méthode de critique. Avant d’écrire

sur eux dans La France, il rencontre en 1884, Monet, Degas, Renoir et Pissarro par

l’intermédiaire de Durand-Ruel, leur marchand. En 1891, pour d’attirer l’attention sur

Gauguin à la veille de son départ pour Tahiti, il fait venir l’artiste chez lui aux Damps

afin de s’entretenir avec lui. Cette attention au discours de l’artiste, à ses intentions, lui

donne la réputation d’être le porte-voix des créateurs qu’il fréquente. Il diffuse

fidèlement, pieusement, l’idée de Monet en ce qui concerne la peinture sur le motif parce

qu’il sait les longues heures que le peintre passait dans son atelier. Il n’hésite pas à mettre

en avant le rôle du marchand de tableaux, jusque là obscur. À partir de 1895, il change de

ton, passe à la critique dialoguée afin d’enfoncer les « peintres de l’âme » ; il ne suit plus

que quelques artistes avec lesquels il entretient des relations amicales. Dans les années

1889-1892, Mirbeau participe avec Geffroy, Lecomte et d’autres critiques à

l’élargissement de la conception de l’impressionnisme. Il dit que la nouveauté tient dans

le changement de registre.. Le texte évolue dans un véritable poème en prose, dans une

incantation célébrant l’aspect cosmique de la peinture de Monet :

« C’est la vie, en effet, qui emplit ces toiles d’un rajeunissement de passion, d’un souffle

d’art nouveau et qui étonne : la vie de l’air, la vie de l’eau, la vie des parfums et des lumières,

54

Page 54: licenta - impressionnisme2

l’insaisissable, l’invisible vie des météores, synthétisée en d’admirables hardiesses, en

d’éloquentes audaces, lesquelles, en réalité, ne sont que des délicatesses de perception et dénotent

une supérieure intelligence des grandes harmonies de la nature »20.

Il situe Monet et aussi Pissarro entre un réalisme étroit, borné, et un symbolisme

complètement coupé des phénomènes naturels.

En 1891, le critique et théoricien de l'art français de la fin du XIXe siècle, Gabriel

Albert Aurier considère que la peinture de Monet et de Pissarro ne constitue, en fait,

qu’une variante du réalisme. Dans son article sur Gauguin, il écrit que pareil à Courbet,

ils ne traduisent que la forme et la couleur. Le substratum et le but dernier de leur art,

c’est une chose matérielle, une chose réelle. Mirbeau semble répondre à cette critique

dans sa célèbre formule sur Monet : « Réaliste évidemment, il ne se borne pas à traduire

la nature » mais il peint le mystère, « tout le rêve mystérieusement enclos dans la nature»,

« tout le rêve mystérieusement épars dans la divine lumière ». Et son propos culmine

dans cette formule : « Les paysages de Claude Monet sont, pour ainsi dire, l’illumination

des états de conscience de la planète, et les formes suprasensibles de nos pensées. ».

Mirbeau dit que l’art de Gauguin est fondé sur « un mélange inquiétant et

savoureux de splendeur barbare, de liturgie catholique, de rêverie hindoue, d’imagerie

gothique, de symbolisme obscur et subtil. ». Cet article a une importance historique par

l’impact médiatique qu’il a eu, car il a su condenserl’essentiel de ce qu’à l’époque on

pouvait dire de Gauguin et de son art. Après la mort dramatique de Van Gogh, Mirbeau

introduit dans son texte une distinction fondamentale entre « s’absorber dans la nature »

et « absorber la nature en soi » ce qu’a fait Van Gogh en raison de sa personnalité qui

«débordait de lui en illuminations ardentes sur tout ce qu’il voyait, tout ce qu’il touchait,

tout ce qu’il sentait ». Selon Mirbeau, Van Gogh a imposé sa volonté à la nature au lieu

de simplement l’expérimenter plus ou moins passivement. Après cet article Mirbeau

aboutit à une définition simple et pertinente du style : « Le style, c’est-à-dire l’affirmation

de la personnalité ».

Sans faire de Mirbeau un symboliste ou un partisan du symbolisme, ses textes

écrits autour des années 1890 constituent une contribution importante au débat de

20 http://membres.lycos.fr/michelmirbeau/darticles%20francais/Limousin-OM%20critique%20art.pdf

55

Page 55: licenta - impressionnisme2

l’époque : effaçant les différences entre Impressionnisme et Symbolisme et rompant les

liens historiques qui unissait l’Impressionnisme au Réalisme21.

Le critique littéraire, Charles Augustin Sainte-Beuve est celui qui renouvelle la

critique du XIXe siècle et qui affirme que l’œuvre littéraire est le produit d’une

individualité révélée par les détails biographiques. Portraits littéraires présenté par lui ne

sont pas des tableaux statistiques, rigides, mais témoignes d’un art où il se trouve la

touche de l’anatomise, la présence de l’élément plastique, la remarque physiologique,

médicale ou psychologique. Généralement les détails sont d’ordre moral mais souvent le

portrait devient un jeu en soi où la verve mordante, scintillante ou ironique du critique se

sent très à l’aise. Dans ses yeux le portrait n’est qu’une étape vers un autre modèle

d’appréciation critique encore plus général. Inscrit dans le chemin ouvert par les sciences

naturelles, le critique devient « un naturaliste des esprits » qui veut tout analyser. Il va

placer l’homme au centre du groupe auquel il appartient et s’efforcera de le définir en

tenant compte des proches et des contraires, des déterminations au milieu desquelles il est

ne. La lecture moderne de Sainte-Beuve signifie mettre en pleine lumière sa critique

« stylisticienne » non seulement la critique historienne et biographique. Car souvent

Sainte-Beuve pratique une analyse qui tient de la plus pure stylistique, recherchent le mot

juste, l’harmonie verbale, les formes d’expressions spécifiques à tel ou tel auteur : il est

conscient de la poétique propre à chaque écrivain, de la spécificité de chaque œuvre

d’art. Il faut chercher le mot ou les mots qui s’y représentent avec plus de fréquence. Le

passage d’une critique à l’autre, du style à l’histoire, de l’histoire au style, se fait sans

cesse par un glissement souvent difficile à suivre. La leçon de Sainte-Beuve deviendra,

en concordance avec l’esprit du temps, une leçon sur la « science littéraire » reprise par la

suite par ses disciples et successeurs. (ION, 1982 : 168)

Ce dialogue sera continué par Hippolyte Taine, intellectuel d’élite, esthéticien,

critique d’art et critique littéraire, qui soutient que derrière chaque œuvre littéraire,

derrière chaque effort créateur il y a des causes. Il dit que l’écrivain et son produit

artistique est déterminé par l’esprit de la nation où il est né, par la période où il vit le

moment. Taine fut « le peintre », « le coloriste », « le poète » sans pareil d’une entière

époque. Taine laisse en héritage une question, matière à réflexion pour ses successeurs :

21 http://membres.lycos.fr/michelmirbeau/darticles%20francais/Limousin-OM%20critique%20art.pdf

56

Page 56: licenta - impressionnisme2

« la critique est elle un art ou une science ? ». Positivistes, impressionnistes, professeurs

et créateurs s’efforcent de répondre dans de véritables programmes critiques qui les

diviseront et les rassembleront tour à tour. (Ion, 1982 : 169)

Dans l’opinion de critique italien du XIXe siècle, Enzo Caramaschi la notion

impressionnisme littéraire est assez vague, même si elle correspond à certaines

impressions, même s’il y a une association esthétique et thématique entre lisible et

visible. Parce qu’il n’existe pas une unité sémiologique il est nécessaire de remettre en

cause la communauté de fonctionnement des arts. Il mit en évidence l’infirmité de la

langue pour représenter et pour décrire mais sa supériorité par rapport à l’introduction du

changement, du mouvement, du temps. Dans son œuvre Arts visuels et littérature, de

Stendhal à l'Impressionnisme Caramaschi pose quelques-uns des problèmes

fondamentaux qui lient arts plastiques et littérature, par exemple, l'intégration de la

description dans le récit narratif. Enfin, le recueil d'études réuni par Enzo Caramaschi

pose une question centrale de la critique : « le texte, littéraire ou non, peut-il rendre

compte de 1'image ? » Selon des points de vue différents, à propos d'œuvres différentes,

ce livre apporte sans aucun doute des éléments de réponse pour les problèmes esthétiques

du XIXe siècle22.

Un autre critique, Ferdinand Brunetière, affirme que les impressionnistes sont

quelques « hypersensibles à la tyrannie des règles » qui nient tout déterminisme23, tout

positivisme24 et scientisme25 dans le monde subjectif des livres. Le critique Remy de

Gourmont aussi que les critiques intellectualistes ont la tendance de s’efforcer de rester à

égale distance des variations impressionnistes et des enquêtes psychologiques et

historiques. (ION, 1982 : 170)

Littérature, peinture, critique, existence, ne peuvent pas être considérées

séparément et le XIXe siècle s’efforce d’offrir des réponses aux éternelles interrogations

22 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1991_num_21_71_574323 Doctrine philosophique suivant laquelle tous les événements, et en particulier les actions humaines, sont liés et déterminés par la chaîne des événements antérieurs. (Le Petit Robert, 1997)24 Système philosophique du philosophe français Auguste Comte qui expose que l’unique fondement de la connaissance c’est dans l’observation des faits positifs et dans l’expérience. (Larousse, 1993 : 809)25 Opinion philosophique de la fin du XIXe siècle, qui affirme que la science nous fait connaître le domaine de la connaissance, présente les caractères de rigueur, d’exigence, d’objectivité caractéristiques des sciences. (Larousse, 1993 : 922)

57

Page 57: licenta - impressionnisme2

humaines, aux cours desquelles prend naissance la face de l’homme moderne, dans sa

tentative héroïque de se libérer des anciens préjuges. (ION, 1982 :171)

Comme les réalistes, dont ils procèdent, les impressionnistes sont contre les

conventions de l'école; ils prétendent n’être « qu'un œil, une main » et bannissent de la

peinture toute intention d'ordre intellectuel ou moral. Quand la notion d'impressionnisme

est appliquée à la littérature tout devient confus et les écrivains les plus avertis des

problèmes littéraires et artistiques semblent eux-mêmes étrangement hésitants.

(DÉCAUDIN, 1900 : 133)

Les critiques et les historiens de la fin du XIXe siècle qui ont identifié

l’impressionnisme des peintres au symbolisme des poètes, ont oublié l’existence d’une

école symboliste en peinture et ont oublié aussi que Zola avait défendu Manet autant que

Mallarmé ou Fénéon. Ils ont été conduits à considérer l’impressionnisme en littérature

comme un aspect particulier, une branche indécise du symbolisme. On pourrait aussi parler

d'une parenté entre le roman réaliste, voire naturaliste, et l’impressionnisme et on peut

rappeler l'analogie entre la technique descriptive des Goncourt et celle des peintres.

(DÉCAUDIN, 1900 : 135)

Les critiques vont découvrir de préoccupations analogues à celles des peintres à l’époque

du Parnasse et du symbolisme et dire de quelle nature sont les similitudes qui se révèlent.

Ils disons que en 1872-1873 Verlaine a imité dans ses vers les procédés des peintres qu'il

fréquentait et rêvé d’une poésie impressionniste.

« II suffit de se reporter aux Paysages belges : pas de « dessin » dans Walcourt,

rien qu’ une suite de notations dans une tonalité lumineuse et gaie, sans armature

grammaticale ; Bruxelles est un paysage urbain fixé à un moment déterminé du crépuscule;

Malines, une suite d'impressions saisies d'un wagon en marche. Les notes des Croquis

parisiens révèlent également, comme l'a en particulier signalé M. Adam, des

préoccupations du même ordre. Allons jusqu'a son projet de Choses: ces grands poèmes

qui devaient s'appeler Vie au grenier, Sous l’eau, L’ Ile, Le Sable, ces « paysages purs et simples

d'un Robinson sans Vendredi », ne font-ils pas penser, d'après le peu que nous en savons, à

ce que Monet disait de ses premiers Nymphéas : « quelque chose d'impossible, de 1'eau avec

des herbes qui ondulent sous les rayons du soleil » ? » (DÉCAUDIN, 1900 : 135)

58

Page 58: licenta - impressionnisme2

Pour chercher d’autres indices qui permettent prouver que existait un courant

impressionniste dans le mouvement poétique de 1870-1885, analogue dans sa technique

et ses ambitions à l’impressionnisme pictural qui lui sert de modèle on doit trouver et

examiner les revues de l’époque. Si la peinture connaît un admirable épanouissement, le

courant littéraire reste de faible importance et, après la réussite, d'ailleurs passée

inaperçue, des Paysages belges, s’épuise dans des essais hésitantes et dans œuvres

mineures.

Après avoir été contaminée avec la sensation de l’instant et l’émotion,

l’impressionnisme finit par être une des attitudes diverses et complémentaires qui constituent

la vie créatrice de l'esprit et c’est pour ça qu’il n’as pas des rapports avec le symbolisme et

de la parenté que quelque critique qu'ont voulu établir entre eux. Sans doute existe-t-il une

part, quelquefois importante, d'impressionnisme dans le symbolisme. Le poète symboliste se

profite de l’enthousiasme de l’instant mais il ne s’y attarde pas ; il ne se laisse prendre aux

séductions fugaces du monde des sensations que pour les exorciser et aller au-delà des

apparences. Pour l'artiste impressionniste ce qui est fin en soi n'est qu'une étape dans la

quête de 1'absolu. Cette quête est le sens de l’impressionnisme de Mallarmé et de celui de

Valéry. Mais en même temps qu'il l’absorbait ainsi pour l’éclater, le symbolisme s'opposait

à l’impressionnisme. Le poète symboliste français d’origine américaine, Francis Vielé-

Griffin a nettement marque cette coupure dans un article publie par La Phalange du 15 mai

1907, La Discipline mallarméenne. II y évoque le salon du romancier naturaliste Robert

Caze, qui sentait la nécessite d’un changement :

« Le petit salon de la rue Condorcet, que décoraient des plâtres d’art et des peintures de

Raffaëlli, était tout a « l’impressionnisme », en peinture et en littérature; on y voulait fixer des « instants de

vie » ; c’était déjà mieux que la « tranche de vie » réclamée par les Zolistes ; on y aspirait a plus

de délicatesse, mais l’on n'y atteignait guère qu’à une ironie volontairement cruelle, à une sorte de

caricature, moins lourde et qui avait cette supériorité d'être consciente; cependant que, de son

gros crayon, Zola déformait la vision vitale, avec l'illusion de transcrire la vérité. »

(DÉCAUDIN, 1900 : 140)

Mallarmé rappelle la formule par laquelle il définit le nécessaire dépassement de la

pure impression. Il dit qu’il ne suffit pas transposer un fait de nature en sa presque

59

Page 59: licenta - impressionnisme2

disparition, vibratoire selon le jeu de la parole cependant si ce n’est pour émaner sans

la timidité d’un proche ou concret rappel la notion pure.

Le critique Camille Mauclair souligne dans son œuvre Les Maitres de

l’impressionnisme le paradoxe entre le symbolisme et l’impressionnisme. Il dit que on ne

peut pas se laisse tromper par l’admiration que les écrivains symbolistes éprouvèrent pour

la peinture impressionniste, ni par certains rapprochements superficiels parce que les deux

esthétiques ne sont pas parentes. L’une s'attache au réel et fixe l’éphémère ; l'autre est

tournée vers l’absolu, vers le rêve et l'idéal. Il est vrai que souvent l’expérience poétique du

symbolisme passe par l’impressionnisme mais l’école symboliste s'est affirmée contre les

tendances purement impressionnistes. Il faut approfondir l’étude sur l’impressionnisme en

poésie qui se manifestait dans l’épanouissement de l’impressionnisme pictural sur un plan

esthétique et analysant l’histoire littéraire. (DÉCAUDIN, 1900 : 142)

3.2. Les glissements du pôle perceptif au pôle artistique

L’art constitue un moyen de concevoir le monde visuellement. Il y a plusieurs

moyens de concevoir le monde : nous pouvons prendre des mesures que nous

consignerons à l’aide d’un système de signes convenus, chiffres ou lettres ; nous pouvons

fonder des affirmations sur des expériences ; nous pouvons faire appel à l’imagination

pour construire des systèmes qui expliquent le monde. Mais il ne faut pas confondre

l’art avec l’une de ces activités ; l’art est « une question toujours nouvelle posée au

monde par le sens visuel », et l’artiste n’est rien d’autre qu’un homme disposant de la

capacité et du désir de transformer sa perception visuelle en une forme matérielle.

La première partie de cette démarche est perceptive, la seconde est expressive,

mais en pratique il est impossible de séparer les deux parties l’une de l’autre : l’artiste

exprime ce qu’il perçoit. Il perçoit ce qu’il exprime. (HERBERT, 1960 : 11)

Il n’y a aucun doute qu’à l’origine de ce qu’on appelle le mouvement artistique

moderne se trouve la volonté arrêtée et entêtée d’un peintre français de voir le monde

objectivement. Il n’y a rien de mystérieux dans ce mot : ce que Cézanne voulait voir,

c’était le monde , ou cette partie du monde qu’il était en train de contempler, comme un

60

Page 60: licenta - impressionnisme2

objet , sans aucune intervention d’un ordre intellectuel ou d’un désordre sentimental. Ses

prédécesseurs immédiats, les impressionnistes, avaient vu le monde subjectivement,

c’est-à-dire tel qu’il se présentait à leur sens sous des éclairages divers ou à partir de

différents points d’observation. Chaque instant apportait aux sens une impression

différente et distincte de toutes les autres, et à chacun d’eux correspondait nécessairement

une œuvre d’art différente. Mais Cézanne, lui, a voulu ignorer l’aspect ambigu et

perpétuellement changeant des choses, et parvenir à la réalité qui ne change pas, qui est

toujours présente sous l’image brillante mais trompeuse offerte par le kaléidoscope26 des

sens.

Nous savons, par exemple, qu’à différents moments de l’histoire de l’art, des

tentatives ont été faites pour rendre l’art « imitatif » ; non seulement l’art grec et l’art

romain, mais aussi celui de la Renaissance classique en Europe représentent des périodes

artistiques pendant lesquelles on a cherché à représenter le monde « tel qu’il est

réellement ». (HERBERT, 1960 : 12)

Entre la vision elle-même et l’acte consistant à représenter cette vision, a toujours

pris place une activité que nous ne pouvons appeler qu’interprétation. Cette intervention

semblait être rendue nécessaire par la nature même de la perception qui n’offre jamais

aux sens une image plate, en deux dimensions , avec des limites précises, mais un foyer

central entouré d’un cercle d’objets vaguement perçus et selon tout vraisemblance

déformés. L’artiste pouvait mettre au point sa vision sur un objet précis, disons par

exemple une silhouette humaine ou même simplement une tête, mais la encore, il y avait

des problèmes tels que ceux, en peinture, de la représentation de la densité de l’objet ou

de sa place dans l’espace.

Avant Cézanne, chaque fois qu’un artiste avait voulu résoudre ces problèmes, il

avait fait intervenir des facultés étrangères à la vision, soit l’imagination, qui lui

permettait de transformer les objets du monde visible et, par là, de créer un espace idéal

peuplé de formes idéales ; soit l’intelligence, qui lui permettait de construire un système

de représentation scientifique, une perspective à l’intérieur de laquelle il pouvait situer

26 Un tube de miroirs réfléchissant à l'infini et en couleurs la lumière extérieure. Le nom de ce jouet vient du grec, kalos signifie « beau », eidos « image », et skopein « regarder ». Certains modèles contiennent des fragments mobiles de verres colorés, produisant d'infinies combinaisons de jolies images. L'observateur regarde d'un côté du tube, la lumière entre de l'autre et se réfléchit sur les miroirs. Succession rapide et changeante d’impressions, de sensations, d’activités. (http://fr.wikipedia.org/wiki/Kal%C3%A9idoscope)

61

Page 61: licenta - impressionnisme2

l’objet très précisément. Mais un système de perspective ne donne pas plus une

représentation exacte de ce que voit l’œil qu’une projection de Mercator ne représente

exactement le monde vu de Sirius. Ce système sert de guide à l’intelligence mais ne nous

permet pas d’avoir le moindre soupçon de la réalité.

On pourrait tirer comme morale de l’histoire de l’art que la réalité, prise dans ce

sens, n’est rien de plus qu’un feu follet, quelque chose qui existe, que nous pouvons voir,

mais que nous sommes à jamais incapables de saisir. Comme nous l’avons dit, la nature

est une chose et l’art en est une autre. Mais Cézanne, tout familier qu’il fût avec « l’art

des musées » et bien qu’il respectât les efforts des ses prédécesseurs pour trouver un

terrain d’entente avec la nature, ne désespéra pas de réussir là où ils avaient échoué,

c’est-à-dire de parvenir à « réaliser » ses sensations en présence de la nature.

Par tempérament, Cézanne n’était pas un révolutionnaire et il n’est pas facile

d’expliquer pourquoi son œuvre était néanmoins destinée à jouer un rôle aussi important

pour l’avenir tout entier de la peinture. L’explication dépend de la compréhension

correcte de deux termes utilisés par Cézanne ceux de la réalisation et de la modulation.

Réaliser, dans le sens où l’emploie Cézanne signifie « faire naître » et ne fait appel à

aucun réalisme, littéraire ou académique. Moduler signifie adapter une matière donnée,

dans ce cas la peinture, à un certain degré d’intensité, de couleur.

La méthode picturale de Cézanne consistait d’abord à choisir le motif, un

paysage, une personne dont il s’agissait de faire le portrait, une nature morte ; puis à

exprimer sa perception visuelle de ce motif, et cela sans rien perdre de l’intensité vitale

que possédait le motif dans sa réalité matérielle.

« Réaliser » la perception visuelle du motif était le premier problème en raison de

la difficulté à trouver un centre d’intérêt et une règle de construction. Le premier pas vers

la solution de ce problème était de choisir un motif adéquat. L’impressionniste type,

Monet, par exemple , était prêt à trouver un motif partout – une meule de foin ou un lac

recouvert de nénuphars, cette question n’avait pas d’importance parce que ce

qui l’intéressait avant tout, c’étaient les effets de lumière. Cela donna à la peinture de

Monet une certaine qualité informelle, qui ne devait être pleinement comprise et utilisée

que par une nouvelle génération d’artistes, un demi-siècle plus tard. Et c’était

précisément là une des tendances sous-jacentes de l’Impressionnisme contre laquelle

62

Page 62: licenta - impressionnisme2

s’insurgeait instinctivement le « tempérament » de Cézanne. Cézanne possédait un

tempérament fondamentalement classique. Il était pour la construction à tout prix, c’est-

à-dire pour un style qui trouvât sa source dans la nature des choses et non pas dans les

impressions subjectives de l’individu, qui sont toujours « confuses ». Il avait le sentiment

profond qu’il ne pourrait jamais «réaliser »  sa vision sans une organisation des lignes et

des couleurs qui donnât stabilité et clarté à l’image transposée sur la toile.

Les « sensations » que les impressionnistes cherchaient avant tout à représenter ;

subtils effets de lumière changeante ; mouvements imperceptibles, lui paraissaient

compromettre définitivement le but réel de l’art, sa véritable raison d’être, qui est de créer

quelque chose d’aussi monumental et d’aussi durable que l’art des grands maîtres du

passé. Non pas que l’artiste dût imiter les grands maîtres ils n’étaient parvenus à la

monumentalité qu’en sacrifiant la réalité, l’intensité de l’image visuelle. Son ambition à

lui était de parvenir au même effet de monumentalité tout en préservant l’intensité de

l’image visuelle , et c’était là ce qu’il entendait l’image visuelle, et c’était là ce qu’il

entendait par « faire du Poussin27 d’après nature », « peindre un Poussin vivant en plein

air, avec la couleur et la lumière, au lieu d’une de ces œuvres créées dans l’atelier, où tout

prend la coloration brune de la lumière du jour affaiblie, sans les reflets du ciel ».

Cézanne a toujours insisté sur le point  que la perception humaine est par principe

« confuse ». Dans une lettre à Joachim Gasquet28 , il parle de « ces sensations confuses

que nous apportons en naissant ». Mais il estimait qu’avec de la concentration et « des

recherches », l’artiste serait sans doute capable de mettre de l’ordre dans cette confusion ;

que l’art consistait essentiellement à réaliser, dans le champ de nos impressions visuelles,

un univers construit. Il parle de l’art comme d’une théorie développée et appliquée au

contact de la nature ; il veut reconstruire la nature par le cylindre, la sphère, le cône, le

tout mis en perspective, de sorte que « chaque côté d’un objet, d’un plan se dirige vers

un point central ». « Pour les progrès à réaliser, il n’y a que la nature, et l’œil s’éduque à

son contact. Il devient concentrique à force de regarder et de travailler. Je veux dire que

27 Célèbre peintre français, considéré à juste titre comme le maître de l’art classique en France, né à Villers, près des Andelys, en 1594, mort à Rome le 19 novembre 1665.(http://agora.qc.ca/mot.nsf/Dossiers/Nicolas_Poussin)28 Poète et critique d'art provençal né en 1873 à Aix-en-Provence et mort en 1921. Il est surtout connu pour avoir écrit sur les peintres de son époque, en particulier Paul Cézanne.(http://fr.wikipedia.org/wiki/Joachim_Gasquet)

63

Page 63: licenta - impressionnisme2

dans une orange, une pomme, une boule, une tête, il y a un point culminant ; et ce point

est toujours- malgré le terrible effet : lumières et ombres, sensations colorantes - le plus

rapproché de notre œil ; les bords des objets fuient vers un centre placé à notre horizon ».

(HERBERT, 1960 : 17)

On pourrait dire que Cézanne avait découvert une contradiction inhérente à la

démarche même de l’art, contradiction dont les Grecs avaient eu conscience comme le

monstre ce que dit Platon de la Mimesis, de l’imitation. L’artiste désire rendre l’image de

ce qu’il voit, sans aucune erreur due à l’émotion ou à l’intelligence, sans aucune

exagération sentimentale ni « interprétation » romantique et sans aucun des accidents dus

à l’atmosphère ou même à la lumière. Cézanne affirma plus d’une fois que la lumière

n’existait pas pour le peintre. Mais le champ de la sensation visuelle n’a pas de frontières

précises, et les éléments qui y sont enfermés sont ou disposés sans ordre ou mêlés. Nous

y introduisons donc « un foyer », un centre d’intérêt, et nous essayons d’organiser notre

sensation visuelle en fonction de ce point choisi. Il en résulte ce que Cézanne appelle lui–

même une « abstraction », une représentation incomplète du champ visuel, un « cône »,

en fait, à l’intérieur duquel les objets s’organisent autour du point central avec une

volonté d’ordre ou de cohésion. (HERBERT, 1960 : 18)

En littérature s’applique la phrase d’Horace « ut pictura poesis » qui joua

historiquement un rôle déterminant, parce qu’elle met en parallèle la peinture et la poésie .

Reprisée par les théoriciens de la Renaissance, cette comparaison sera à l'origine de ce

qu'on a appelé la doctrine de l'«  ut pictura poesis ». Alors qu'Horace comparait la poésie

à la peinture, rapportant les arts du langage à ceux de l'image, les auteurs de la

Renaissance inversent le sens de la comparaison. Un poème est comme un tableau

devient un tableau est comme un poème. L'« ut pictura poesis », telle qu'on l'entend dans

le champ du discours sur l'art, consiste toujours à définir la peinture, à déterminer sa

valeur, en fonction de critères qui sont ceux des arts poétiques. Dans la génération de

Paul Verlaine et de Stéphane Mallarmé, on commençait à trouver que la poésie mourait,

en quelque manière, sous cette perfection d'exécution. Ces contours si précis, ces vers si

pleins, ces "représentations" si fidèles, et, dans leur fidélité, si complètes, gênaient,

embarrassaient, comprimaient la liberté de l'imagination et du rêve. Point d'arrière plan,

de lointaines perspectives, rien de ce vague ni de cette obscurité de ce clair obscur, pour

64

Page 64: licenta - impressionnisme2

mieux dire, qui est bien cependant une part de la poésie. On trouvait aussi que cette

imitation de la nature s'étendait, dans le passe comme dans le présent, à bien des objets

dont l'intérêt était assez mince. Tout ce qui est arrive n'est pas nécessairement "poétique,"

et tout ce qui existe ne mérite pas pour cela d'être éternisé par l'art. Il y a des

"correspondances" entre le monde et le poète; toute sensation doit le conduire à une idée;

et dans cette idée, il doit retrouver quelque chose d'analogue à sa sensation. Sa réalité ne

s'explique pas de soi, mais à la lumière d'une vérité qui est la raison des apparences; et

toute représentation qui n'en tient pas compte est par cela même incomplète, superficielle

ou mutilée.

3.3. La perception des couleurs

Les aspectes esthétiques de l’impressionnisme étaient pris en compte par les

critiques de l’époque mais ils étaient très différents de celles qui ont fini par s’imposer

chez les historiens d’art. Ces derniers présentent la plupart des caractéristiques à l’aide

desquelles ils définissent la peinture impressionniste et recouvrent les sujets pris dans la

vie moderne, le plein air29, la palette claire, la technique de l’esquisse, le mélange optique

des touches exaltant la lumière et la couleur, l’évanescence des contours.

Le scientifique, physiologiste et acousticien Hermann Ludwig Ferdinand von

Helmholtz développe une théorie sémiotique selon laquelle nos sensations sont des signes

des objets extérieurs qui en sont la cause. Cette approche s'inspire des théories empiristes

notamment développées par John Locke, mais surtout de la théorie des énergies

nerveuses spécifiques de Johannes Müller: les qualités des choses extérieures ne sont que

des puissances capables de produire en nous certaines impressions sans qu'il nous soit

possible de déterminer si ces effets sont ou non ressemblants à ce qui les cause.

« Nous appelons sensations les impressions produites sur nos sens, en tant qu'elles

nous apparaissent seulement comme des états particuliers de notre corps, surtout de nos

appareils nerveux ; nous leur donnons, au contraire, le nom de perceptions, lorsqu'elles

29 Le pleinairisme relève la nouvelle modalité, spécifique aux impressionnistes, de peindre un tableau en plein air, fait qui facilitait le contact avec la lumière naturelle et avec ses nuances changeantes. Cette pratique existait aussi avant, mais jamais a été appliqué dans une manière excessive. (OPRESCU, 1986 : 170)

65

Page 65: licenta - impressionnisme2

nous servent à nous former des représentations des objets extérieurs » Théorie

physiologique de la musique30.

Les premiers critiques tels Jules Antoine Castagnary, Philippe Burty, Ernest

Chesneau, Edmond Duranty, Theodore Duret insistent sur la connaturalité de la vision

impressionniste et de la perception originelle et comprenaient les tableaux

impressionnistes comme des tentatives visant à restituer l’immédiateté, la spontanéité et

la fraîcheur des sensations visuelles.

Les historiens modernes sont enclins à voir dans la peinture impressionniste le

déroulement d’une série de transformations et ont tendance à neutraliser la différence

entre les lois qui gouvernent le fonctionnement de la perception visuelle et celles qui

régissent la construction picturale, non seulement sur un plan strictement technique, mais

aussi sur celui des schémas perceptifs qui lui sont propres, tant dans sa phrase productrice

en ce qui concerne le regard du peintre que dans sa phase réceptrice en ce qui concerne le

regard du spectateur. Une manifestation bien connue de cette neutralisation de l’écart

entre le perceptif et l’artistique concerne plus spécialement le problème de la perceptions

des couleurs et bien sur de la confusion quasi constante entre leurs aspects lumineux et

matériels. (VOUILLOUX, 2000: 66)

La chromatologie est une partie de l’optique qui trait les couleurs. Quelques

peintres en travaillant en plein air, ont observé que sur l’action des rayons solaires les

couleurs des objets sont altérées. Pour entendre ce phénomène les peintres ont commencé

à l’étudier scientifiquement et à l’utiliser. Les physiciens ont observé que si on

décompose la lumière du soleil avec l’aide d’un prisme31 en cristal on obtient les

couleurs du spectre32 : rouge, orange, jaune, vert, bleu, indigo et violet. Une expérience

montre que si tous les couleurs rappelées antérieurement sont assemblées dans le disque

de Newton et sont tournées rapidement elles donnent la couleur blanche.

Après leur origine les couleurs peuvent être primaires, c’est-à-dire originaires, qui

ne peuvent pas être obtenues par le mélange d’autres couleurs. Elles sont au nombre de

30 http://fr.wikipedia.org/wiki/Hermann_Ludwig_von_Helmholtz31 Un prisme est un élément optique utilisé pour réfracter la lumière, la réfléchir ou la disperser en ses constituants (les différents rayonnements de l'arc-en-ciel pour la lumière blanche). C'est traditionnellement un prisme solide, droit à base triangulaire, constitué d'un matériau transparent : verre, plexiglas, notamment. (http://fr.wikipedia.org/wiki/Prisme_(optique)#Dispersion_chromatique)32 Images juxtaposées formant une suite ininterrompue de couleurs, et correspondant à la décomposition de la lumière blanche par réfraction (prisme) ou par diffraction (réseau).

66

Page 66: licenta - impressionnisme2

trois : le jaune, le bleu et le rouge. Les couleurs secondaires sont obtenues à l’aide du

mélange en égales quantités des couleurs primaires entre elles : le jeune et le bleu

donnent le vert ; le bleu et le rouge donnent le violet et finalement le rouge et le jaune

donnent l’orange. Après leur composition spectrale les couleurs peuvent être

complémentaires ou non complémentaires. Helmholtz établit aussi la distinction entre le

deux types de couleurs.

3.3.1. La couleur- lumière

Les couleurs complémentaires sont deux ou trois couleurs qui, par fusion optique,

donnent la lumière blanche, comme, par exemple, le rouge avec le vert et le bleu.

La synthèse additive est l'opération consistant à combiner la lumière de plusieurs sources

émettrices colorées afin d'obtenir une nouvelle couleur. Ces couleurs complémentaires

forment des gammes des couleurs bien définies qui se caractérisent par harmonie et

équilibre.

Image 3.1.

Synthèse additive

Pour éviter tout malentendu il faudrait faire la distinction entre la

complémentarité additive, qui concerne le mélange de lumières colorées complémentaires

et dont le résultat est la restitution de la lumière blanche, et la complémentarité

soustractive qui concerne le mélange de matières colorées complémentaires et dont le

résultat est un gris neutre.

Dès lors, depuis l’Antiquité les peintres utilisent quelques pigments de base et

leur mélange offrait de nombreuses possibilités en ce qui concerne la variation de

67

Page 67: licenta - impressionnisme2

couleur. Les couleurs obtenues étaient parfaitement stables et offraient une large gamme

de teintes et de luminosité qui permettaient d'exprimer toutes les sensibilités. Dès le IX e

siècle, la gamme des couleurs disponibles s'élargit, entraînant de notables changements

dans les techniques de peinture. Ainsi, la couleur participe de plus en plus pleinement à la

perspective du tableau. Les jeux d'ombre et de lumière confèrent à la toile volume et

profondeur. Au début du XXe siècle, certains peintres comme Degas cherchent à

développer une palette de tons capable de rendre une luminosité exceptionnelle. En effet,

la lumière qui éclaire un pastel33 est renvoyée d'une manière parfaitement diffuse34.

Les impressionnistes proposent de nouvelles lois de la couleur et de la lumière. Ce

qui se traduit notamment par une suppression des contours, une variété de tons, des éclats

de lumière nouveaux, des touches larges. Ils rompent avec les formes admises et ils

imposent des tons clairs, des couleurs pures, accordées ou contrastées, selon la loi des

complémentaires, en supprimant les gris et les tons intermédiaires. L’ombre colorée, la

tache, doivent donner le dessin.

Chez Manet l’exécution de ses ouvrages est simple, sûre et claire comme son

tempérament. La nouveauté portée par ses œuvres est le rapport précis et constant entre la

lumière et la couleur35. Jusqu'à lui, la lumière était représentée par les couleurs naturelles

dans leur ton36 local,37 et celles qui montraient l’ombre, étaient couvertes par un ton brun,

brun foncé ou peut-être noir. Pour Manet et pour tous qui le suivent, la lumière résulte par

le rapport des tons clairs aux tons utilisés pour illustrer l’ombre et ceux-ci aussi colorés.

Le groupe des impressionnistes démarrent de l’idée que l’ombre n’est pas noire, mais

elle-même est colorée, idée que a été entrevue par Delacroix mais seulement expliquée et

utilisée par Manet et les impressionnistes. (OPRESCU, 1986 : 157)

La grande nouvelle que Manet a donnée à la peinture de son siècle est de rendre la

lumière à travers la couleur. Cette idée est le trait commun entre lui et les

impressionnistes. Ils tendent à suggérer les différences entre les parties lumineuses et 33 Le pastel désigne une technique picturale mettant en œuvre des bâtonnets de couleur, à mi-chemin entre le dessin et la peinture. (http://fr.wikipedia.org/wiki/Pastel_(b%C3%A2tonnet))34 http://www.curiosphere.tv/rdv_science/dossier3_couleurs/dossier_edito.htm35 Sensations que produisent sur l’œil les radiations de la lumière telles qu’elles sont absorbées ou réfléchies par les corps. (Larousse, 1993 : 281)36 Couleur considérée du point de vue de son intensité lumineuse et de son degré de saturation (Larousse, 1993 : 1015)37 Couleur propre d’un objet qu’un peintre représente. (Larousse, 1993 : 1015)

68

Page 68: licenta - impressionnisme2

celles obscures par un rapport des valeurs et des tons. D’ici résulte la nécessite d’utiliser

couleurs ouvertes, parfois, plus claires qu’en nature, ce qui signifie, qu’en comparant une

œuvre de Manet avec le modèle dont il se sert, on trouvera toujours, dans sa peinture, que

les objets et les personnages sont plus lumineux, parce que les harmonies des couleurs

sont plus claires qu’en réalité. Manet n’est pas un systématique, un méthodique de

plénitude comme seront les impressionnistes dorénavant. Il ne divise pas les tons pour

atteindre la vibration de la lumière. Au contraire, il se sert de trait larges de pinceau, des

tons plats qui couvrent des surfaces signifiants et qui donnent l’impression qu’ils sont

exécutés d’un seul mouvement et plus précisément et décisivement. Manet préférait

s’exprimer en contraste le fond obscur aux parties pleines de lumière. Cette tendance

disparaît plus tard, après le contact avec les impressionnistes. Avec le temps, Manet est

gagné par les théories des impressionnistes qui militent pour une peinture plus claire et

pour l’exécution en plein air. Manet avait l’œil le plus sensible pour les nuances et même

avant de se réunir avec les impressionnistes, il s’est rendu compte des variations du ton à

cause de l’influence atmosphérique. Convaincu par la justesse de ces théories, il

commence lui- même à travailler en plein air. (OPRESCU, 1986:159)

3.3.2. La couleur- matière

Les couleurs non complémentaires sont le magenta, le cyan et le jaune qui ne

donnent jamais la lumière blanche. La synthèse soustractive est l'opération consistant à

combiner l'effet d'absorption de ces couleurs afin d'en obtenir une nouvelle, qui peut être,

le rouge, le bleu ou le vert et finalement le noir. La synthèse soustractive s'illustre en

superposant des calques colorés pour filtrer la lumière. (MARIN, 1967 : 114)

Image 3.2

Synthèse soustractive

69

Page 69: licenta - impressionnisme2

En imprimerie, en peinture et dans l'art du vitrail38, il ne peut être question

d'additionner des couleurs par mélange de lumière, mais plutôt de couleurs pigments. Les

couleurs pigments sont différentes des couleurs lumière parce qu’elles ne peuvent pas

donner la lumière blanche, mais seulement noire ou grise quand elles sont mélangées

avec le blanc. Les pigments qui se mélangent absorbent de plus en plus de lumière et

deviennent de plus en plus sombres

Dans une œuvre d’art, les couleurs se trouvent toujours dans des rapports

chromatiques et de lumière. Les rapports chromatiques sont de rapports de teinte39 et les

rapports de lumière sont des rapports de ton qui montrent la différence de luminosité

entre les taches.

Les qualités de la couleur sont des traits d’éclatement, de luminosité, d’intensité et

de pureté. Après la manière que les couleurs impressionnent l’œil, elles peuvent être

nomme couleurs chaudes et froides.  Les couleurs qui expriment le mieux les sensations

de chaud et de froid sont respectivement le rouge et le bleu.

Les néo-impressionnistes, selon l'expression forgée par le critique Félix Fénéon

pour établir la distinction entre les Impressionnistes «romantiques» et les peintres

groupés autour de Georges Seurat dès 1884, sont fascinés par les mêmes difficultés que

Monet et Renoir: le rendu de la lumière et de la couleur, problèmes qu'ils abordent

cependant armés des découvertes récentes de physicien français Michel Eugène

Chevreul, et physiciens anglais Nicholas Ogden Rood, Joseph Henry sur la composition

des couleurs et de la lumière. La couleur n'est jamais aussi brillante, vibrante et

lumineuse que lorsqu'elle est composée de touches juxtaposées de couleurs vives,

complémentaires. Il ne s'agit plus simplement pour le peintre « d'évoquer seulement la

lumière, mais faire du tableau un foyer lumineux ». Il s'agit selon Pissarro de

« substituer le mélange optique au mélange des pigments. Autrement dit la décomposition

des tons en leurs éléments constructifs. Parce que le mélange optique suscite des

luminosités beaucoup plus intenses que le mélange des pigments». Les néo-

impressionnistes, comme les impressionnistes, n'ont sur leur palette que des couleurs

pures. Ils répudient absolument tout mélange sur la palette et ils bannissent de leurs 38 Le vitrail est une composition décorative formée de pièces de verre blanches ou colorée qui peuvent recevoir un décor. (http://fr.wikipedia.org/wiki/Vitraux)39 Couleur nuancée obtenue par mélange, nuance (Larousse, 1993 : 993)

70

Page 70: licenta - impressionnisme2

palettes tout mélange de teintes rabattues. Ils évitent encore de souiller la pureté de leurs

couleurs par des rencontres d'éléments contraires sur leur subjectile40. Chaque touche,

prise pure sur la palette, reste pure sur la toile. Par le mélange optique de ces quelques

couleurs pures, en variant leur proportion, ils obtiennent une quantité infinie de teintes,

depuis les plus intenses jusqu'aux plus grises41.

3.3.3. Le contraste

L’analyse des contrastes de couleurs dans la peinture peut être dirigée par les lois

dites « des sept contrastes de couleurs » basées sur la théorie des couleurs du peintre

suisse Johannes Itten. Les sept contrastes de couleurs sont alors : le contraste de couleur

en soi, reposant sur trois couleurs primaires - le rouge, le jaune et le bleu - et sur la

variation à la base de ces trois derniers; le contraste froid-chaud, reposant sur la sensation

de température des couleurs ; le contraste clair-obscur ; le contraste complémentaire,

c’est-à-dire le contraste entre les couples de couleurs tels que le jaune-violet, l’orange-

bleu et le rouge-vert ; le contraste simultané, le phénomène qui se produit entre une

couleur et un gris, mais aussi, entre deux couleurs pures non pas exactement

complémentaires qui font que notre œil voit simultanément sa complémentarité que notre

oeil va créer lui-même, si celle-ci n’est pas donnée ; le contraste de quantité, concernant

les rapports de grandeur entre deux zones colorées et le contraste de qualité, s’agissant du

degré de pureté ou de la saturation d’une couleur qui peut être ternie à l’aide du blanc ou

du noir.

Image 3.3. Auguste Renoir. La

Lecture, 1841. Huile sur toile, 55 x 65

cm. Mussé du Louvre, Paris

Les zones 1, 2, 3, 4, 5, 6.40 Surface (mur, panneau, toile) servant de support à une peinture. (Le Petit Robert, 1997)41 http://agora.qc.ca/mot.nsf/Dossiers/Neo-impressionnisme

71

Page 71: licenta - impressionnisme2

On peut observer le phénomène de contraste de couleur dans la toile La Lecture d’

Auguste Renoir. Dans cette toile, Renoir emploie une grande variété de teintes avec un

très faible contraste lumineux entre les deux filles et l’arrière-fond, ce qui crée une

impression nébuleuse comme beaucoup de ses œuvres. On peut remarquer que dans cette

peinture, entre les zones 1 et 2, les zones 3 et 4, les zones 5 et 6, la distinction ne se fait

qu’à l’appui du contraste de couleur, en particulier le contraste entre la couleur froide (le

vert) et la couleur chaude (le rose), alors que la différence de luminosité entre les deux

zones n’est que très infime. Dans ce cas, la couleur tient son éclat du contraste plutôt que

de sa qualité inhérente. Une zone colorée apparaît plus brillante lorsqu’une couleur

chaude est en contraste avec une couleur froide. Ainsi, bien que la peinture de Renoir soit

dépourvue de contraste lumineux distinctif, le travail minutieux du contraste de couleurs

vient révéler les subtilités des coloris miroitant sur la surface picturale.

Par ailleurs, Georges Seurat et Paul Signac insistaient sur l’idée de peindre avec

des pigments purs, avec des couleurs non mélangées, et sur l’idée de borner l’image par

des règles de contraste de couleur et de complémentarité. D’après le principe de contraste

de complémentarité, chacune des deux couleurs cherche à repousser l’autre du côté de sa

complémentarité. Les couleurs nous apparaissent alors dans un état d’excitation

dynamique. Dans cette optique, le travail du peintre n’est pas d’assurer la stabilité

optique des couleurs, mais de faire vibrer la surface avec les couleurs qui concourent

entre elles. Au tournant de l’époque moderne, la réhabilitation de la fonction des couleurs

introduite par les impressionnistes donne un nouveau pouvoir sensationnel aux tableaux

et prévoit une émancipation définitive de la couleur. La conception impressionniste de la

couleur est alors devenue en quelque sorte un nouveau protocole qui inspire les artistes

72

Page 72: licenta - impressionnisme2

des générations suivantes, notamment les peintres fauves, avec Henry Matisse en tête de

ligne. Le mouvement fauviste représente le fruit glorieux du progrès de la technique des

pigments. La couleur est alors émancipée de toute contrainte. Le contraste de couleur est

alors devenu un principe dominant dans la création et dans la perception artistique42.

La couleur n’est pas seulement importante dans la peinture. L’écrivain a besoin

d’elle aussi. Des écrivains comme Flaubert, Verlaine, Zola, Baudelaire, Rimbaud,

Mallarmé sont les principaux qui ont induit la catégorie d’impressionnisme littéraire dont

la couleur a un rôle très important. En littérature, les auteurs utilisent la couleur de

manière à symboliser l'idée, la pensée.

Avec le naturalisme, la couleur devient le véhicule de la description. Elle saisit

les scènes de la vie dans leur tourbillon, leur joie violente, leur aspect parfois grotesque.

En donnant vie au texte, elle donne accès à des émotions primordiales et instaure ainsi

une proximité entre les personnages et le lecteur.

« Au milieu du grouillement de la foule, sur les fonds gris et mouillés du

boulevard, les couples en procession mettaient des taches violentes, la robe gros bleu de

Gervaise, la robe écrue à fleurs imprimées de Madame Fauconnier, le pantalon jaune

canari de Boche [...]. Et les sourires augmentaient encore, quand, tout au bout, pour clore

le spectacle, Mme Gaudron, la cardeuse, s'avançait dans sa robe d'un violet cru, avec son

ventre de femme enceinte, qu'elle portait énorme, très en avant » (ZOLA, 1983 :87)

C'est ainsi qu'une fois l'émotion exprimée, l'idée se libère : en peignant ces gens

attablés, grâce à la lumière. Van Gogh transmet l'idée de leur précarité, de leur solidarité

dans la misère, de leur fatigue aussi. De la même manière, Maupassant, dans Aux Champs

(Contes de la Bécasse), peint-il la détresse des paysans normands au siècle dernier.

« Tout cela vivait péniblement, de soupe, de pommes de terre et de grand air. A

sept heures le matin, puis à midi, puis à six heures, le soir, les ménagères réunissaient

leurs mioches pour donner la pâtée comme des gardeurs d'oies assemblent leurs bêtes »

Avec le romantisme les distinctions académiques sont rejettes et s’impose la

recherche d’une correspondance entre les arts. On peut citer les « correspondances » de

Baudelaire, ou les très emblématiques « Voyelles » de Rimbaud. Dans ce dernier

42 http://neuroesthetique.wordpress.com/2008/10/05/contraste-de-couleur/

73

Page 73: licenta - impressionnisme2

exemple, il est à noter l'association de l'unité de base de la littérature, la lettre, avec celle

de la peinture, la couleur. A chaque voyelle, Rimbaud associe une couleur.

Voyelles

A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,Je dirai quelque jour vos naissances latentes :A, noir corset velu des mouches éclatantesQui bobinent autour des puanteurs cruelles,

Golfes d'ombre ; E, candeurs des vapeurs et des tentes,Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles ;

I, pourpres, sang craché, rire des lèvres bellesDans la colère ou les ivresses pénitentes ;

U, cycles, vibrement divins des mers viriles,Paix des pâtis semés d'animaux, paix des ridesQue l'alchimie imprime aux grands fronts studieux ;

O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,Silences traversés des Mondes et des Anges :— O l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux

Arthur Rimbaud

Les romantiques s'attachèrent à représenter les sensations humaines à travers

l'inspiration que les teintes suscitaient à l'âme du penseur. 

« Mais quand une brise vient à animer ces solitudes, à balancer ces corps flottants, à

confondre ces masses de blanc, d'azur, de vert, de rose, à mêler toutes les couleurs, à réunir tous

les murmures ; alors, il sort de tels bruits du fond des forêts, il se passe de telles choses aux yeux

que j'essaierais en vain de les décrire à ceux qui n'ont point parcouru ces champs primitifs de la

nature » (René de Chateaubriand, Atala, Garnier Flammarion)43

La couleur, c'est l'art, l'émotion primordiale qui unit les êtres dans leurs différences. Il est

impossible d'enfermer la couleur dans une palette exclusive et définitive. Unique et modulable, elle fait

oeuvre, depuis nos lointains ancêtres des cavernes, de témoignage humain, donc historique. Elle est

inséparable de notre expérience.

3.4. L’impressionnisme et ses problèmes modernes

Les quatorze premières années du XXe siècle sont caractérisées par un optimisme

qui masque, volontairement peut – être, les menaces de plus en plus précises de la guerre.

Développement, industrialisation, cosmopolitisme, sont les mots clés d’une période où

les classes favorisées s’étourdissent de luxe, tandis que le progrès laisse espérer à tout le

monde un bonheur partagé. Les arts, la littérature s’orientent dans des voies nouvelles.43 http://pagesperso-orange.fr/papiers.universitaires/lettres9.htm

74

Page 74: licenta - impressionnisme2

Le contexte d’optimisme et d’innovation du début du siècle est favorable à la

création artistique. L’éclatement du monde industriel provoque une vision fragmentée de

la réalité, qui aboutit, en peinture, au cubisme, à travers les recherches de Cézanne

d’abord, puis de Delaunay, Braque, Picasso, Fernand Léger. En même temps, un intérêt

pour l’ethnologie oriente l’inspiration des peintres et des sculpteurs vers les arts africains

et océaniens. Paradoxalement, la littérature traduit une vision morcelée du monde (celle

de Blaise Cendrars, de Valery Larbaud ou d’Apollinaire) parallèlement au courant

humaniste (Romain Rolland, Charles Vildrac) qui pense englober la totalité du monde

perceptible.

Les impressionnistes sont ceux-là qui désignent le moment où se font jour les

trois problèmes modernes dans l’art que sont le rapport « de la forme et de la lumière »,

la « triangulation de l’espace » et la « représentation polysensorielle ».

En s'arrêtant sur le premier point, qui constitue la caractéristique la plus manifeste

et la plus perçue de la peinture impressionniste, Bernard Vouilloux affirmera que nous

nous attachons plus particulièrement de l’effet qui en résulte de dilution ou de

vaporisation de la forme-contour dans la forme-tache, celle-ci n'étant qu'une évocation et

non une description de celle-là. Le spectateur d’aujourd’hui tant soit peu informé, ne peut

que souscrire à la description que l’historien et critique d'art français, Pierre Francastel

donne de la transformation la plus sensible introduite par l’impressionnisme :

« C'est la forme qui cède le pas. Le contour de la tache colorée l’emporte sur le

contour des objets. Jadis la couleur se soumettait au contour, moyennant un certain flou,

une certaine confusion des valeurs dans la pénombre; désormais le contour ne sera plus

qu'une trace a peine suggérée à travers les limites de la tache triomphante  »

(VOUILLOUX, 2000 : 67)

La description est strictement conforme à la résolution artistique que la peinture

impressionniste apporte au vieux problème posé par le rapport entre la couleur44 et le

dessin45 et par leurs limites ou contours respectifs, problème traité et tranché jusque-là

dans un sens univoque c'est-à-dire la subordination de la couleur au dessin. Assurément,

ce a quoi les moins hostiles des premiers spectateurs de tableaux impressionnistes étaient

sensibles ou réceptifs, c'était d'abord la « modernité » des sujets traités, pour autant que

44 La tache45 La forme de l'objet représenté

75

Page 75: licenta - impressionnisme2

le décor urbain, le costume et tous les accessoires de la vie contemporaine, avec les

situations et les gestes qu'ils appellent, exclus de la peinture d'histoire, n'avaient été admis

ou tolères que dans les degrés inférieurs de la hiérarchie académique des genres.

Quelques peintres n’abandonneront encore les grandes thèmes classiques : l’histoire, le

nu, le portrait, la nature morte et le paysage mais peu à peu l’influence classique

disparaîtra et la nouveau technique picturale se changera vers la traduction de

l’éphémère, vers tout ce qui bouge et qui passe. (BOCQUILLON, 2004 : 46) Mais

certains de leurs contemporains surent aussi percevoir les qualités « purement » picturales

liées à l'emploi de cette palette claire qui, rompant avec la cuisine des «jus » d'atelier,

déversait sur la toile la lumière du plein air. A une réserve près, toutefois, qui n'est pas de

peu de conséquences : c'était non pas pour dégager les effets du tachisme46 sur la

construction de l'espace pictural ou la conception de 1'espace que de tels effets

impliquent, mais pour subordonner la peinture impressionniste à un type de vision. Selon

ce schéma, le tableau fonctionnait comme l’équivalent technique, artefactuel, la

reproduction picturale directe de la sensation visuelle à l’état naissant, le fac-similé de

l’impression que le peintre reçoit d'une sensation pure, et qu'il transmet à l'œil du

spectateur. Un de grandes écrivains de l’époque des impressionnistes ainsi qu’un critique

d’art de renommé internationale, Théodore Duret, disait que Monet avec « son pinceau a

fixé ces mille impressions passagères que la mobilité du ciel et les changements de

1'atmosphère communiquent à l'œil du spectateur. »

Les impressionnistes constatent que la lumière d’atelier où ils travaillent pendant

leur vie était une lumière froide, triste et égale. Jusqu’au courant impressionniste les

artistes et surtout les peintres qui saisissaient les motifs de la nature, faisaient des

esquisses sommaires pour se rappeler les détailles les plus importantes d’un paysage et

les finissaient ensuite dans l’atelier. Jamais un tableau a été peint entièrement en nature.

Les impressionnistes trouvent que ce procède falsifie la réalité et q’un paysage n’importe

qu’il soit doit être exécuté où il est vu. La méthode pleinairiste a été soulevé au rang de

46 Une des tendances de la peinture abstraite des années 1950, caractérisée par la projection de taches et de couleurs. Le terme « tachisme » aurait été inventé par le critique Pierre Guéguen en 1951, bien qu'il ait été utilisé dès 1889 par le critique Félix Fénéon pour décrire la technique impressionniste, et à nouveau en 1909 par Maurice Denis pour les fauves. Dans la peinture figurative, Façon de peindre par taches de couleur uniformes juxtaposées. le pointillisme.  Dans la peinture abstraite, Façon de peindre par éléments colorés de forme imprécise. (Larousse, 1993 : 984), (http://fr.wikipedia.org/wiki/Tachisme)

76

Page 76: licenta - impressionnisme2

doctrine, de règle essentielle pour les impressionnistes. Ils observent comment la lumière

ne tombe jamais brutalement sur les objets, comme se présentait elle dans les œuvres des

peintres anciennes, comment elle ne saisit pas dans ses rayons surfaces pour les couvrir

entièrement et qui puisse les séparer après. Ils se rendent compte que le rayon du soleil

est quelque chose de plus matériel, de plus vif, de plus fluide et qu’il s’insinue et se

reflète n’importe où, qu’il fait vibrer l’atmosphère et briller les nuances des couleurs. La

lumière individualise et donne de la vie au ton, même si dans l’ombre, c’est-à-dire dans

ces parts que les artistes jusqu’à ce moment les considèrent comme dénués de couleur et

qui étaient couvert uniformément d’un ton sourd et gris. (OPRESCU, 1986:169)

En ce qui concerne la triangulation de l’espace, définitoire est la théorie de

Cézanne qui cherche a simplifier la peinture par la réduction des formes et le retour à la

peinture. Cette théorie se transformera plus tard en cubisme et prendra sa source dans une

lettre de Cézanne à Émile Bernard, du 15 avril 1904, de laquelle sera tirée une phrase

souvent répétée pour justifier les théories cubistes : « Traitez la nature par le cylindre, la

sphère, le cône, le tout mis en perspective, soit que chaque côté d'un objet, d'un plan, se

dirige vers un point central. »

Du peintre «traduisant » dans le tableau ses sensations visuelles au spectateur

faisant 1'expérience, devant la nature peinte, de ce qu'il voit au naturel, pour peu du

moins qu'il « sente », il était admis que la sensation se transmettait sans perte, native,

naïve, pure, neuve. La réalisation polysensorielle représente le mixage de perception

olfactive, perception visuelle et perception sonore qui incitera la curiosité du spectateur

innocent, le poussera et l'encouragera à établir des liens entre les éléments occupant

l'espace.

Le critique et collectionneur d'art russe, Charles Ephrussi insistait sur le fait que la

«traduction » picturale avait quelques chose de littéral: « [...] se mettre en face de la

nature et l’interpréter sincèrement, brutalement, sans se préoccuper de la manière

officielle de voir; traduire scrupuleusement 1'impression, la sensation, toute nue, tout

étrange qu'elle puisse paraître [...] » (apud VOUILLOUX, 2000 : 67)

Rares étaient les critiques qui, tout en étant favorables aux impressionnistes, ne

partageaient pas la doctrine qui prévalait chez les peintres et leurs partisans et préféraient

mettre l’accent sur ce qu'avait de spécifiquement pictural l'acte de la «transposition ». Le

77

Page 77: licenta - impressionnisme2

peintre qui prétend que sa peinture est d’une réalité absolue se laisse trompe par une

chimère. Quant au réalisme d'impression, il est possible d'y atteindre: la peinture étant

une transposition, si l'artiste possède une habileté suffisante, il doit nous rendre

intégralement les lignes et l’harmonie du morceau transposé.

La nouvelle peinture passait pour capter la sensation à sa source et pour révéler

l’être même des choses : c'était précisément dans sa connexion phénoménale avec la

vision d'un sujet que l'objet se dévoilait comme tel. Comme Kant l'avait marqué, ce qui

importait, ce n'était pas l'opposition entre le sujet et l'objet, mais la distinction du

phénomène et de 1'apparence: relèvent du phénomène les qualités de l'objet en soi telles

qu'elles se découvrent aux sens du sujet; relèvent de 1'apparence les qualités qu'une

illusion des sens amène le sujet à attribuer indûment à l'objet. On pouvait dire qu'a

1'apparence conceptualisée des objets peints, tels que la forme-contour les délimitait dans

la peinture classique, l'impressionnisme substituait le phénomène sensible de la couleur,

telle que la forme-tache la bornait. Chaque tableau devient une improvisation née d'une

sensation neuve et dégagée de toute idée préconçue. C'est aussi de cette sorte de

nouveauté qu'il apporte dans l'exécution de chaque chose que sont nées ces factures si

variées, parce qu'elles sont naïvement le résultat d'un travail machinal sous une

impression momentanée. Le caractère « machinal» du travail pictural qui redonnait sa

pleine valeur sémantique à ce qu'impliquait de mécanique le processus perceptif de

1’impression sauvegardait la virginité ou la naïveté de l'exécution, qui répondait elle-

même, en sa quasi-improvisation, à ce qu'avait de momentané et surtout de neuf la

sensation, des lors qu'aucune « idée préconçue » ne la trahissait. Fugace et brute, la

sensation délivrait ainsi ses deux traits définitoires, qui étaient aussi ceux de la vision

mise en œuvre dans la peinture impressionniste, aussi bien en amont qu'en aval du

tableau, dans le regard du peintre comme dans celui du spectateur: la pureté originelle du

phénomène et l’instantanéité de sa perception étaient réciproquement garantes l'une de

1'autre.

La réalisation polysensorielle représente le mixage de perception olfactive,

perception visuelle et perception sonore qui incitera la curiosité du spectateur innocent ,

le poussera et l'encouragera à établir des liens entre les éléments occupant l'espace. Par

excellence ce type de représentation est une représentation globale qui désigne la pensée

78

Page 78: licenta - impressionnisme2

abstraite.

Le critique d’art Jules Castagnary publiait dans le journal illustré satirique

français, Le Charivari que dans ce époque faisait des gorges chaudes du désormais

fameux tableau exposé par Monet, une définition lapidaire que probe le concept de la

sensation pour les peintres impressionnistes : « Ils sont impressionnistes en ce sens qu'ils

rendent non le paysage, mais la sensation produite par le paysage. » Même Jules

Laforgue, qui est sans doute celui qui, a le mieux saisi et le mieux formulé les

implications formelles de la révolution impressionniste, s'enchante comme bien d'autres

de ce qui en constitue l’« aspect lyrique»; en entamant son texte le plus célèbre de

critique d'art par une section sur l’Origine physiologique de l'impressionnisme, il mettait

au premier plan la problématique perceptiviste si fort en faveur chez ses contemporains.

On y voit Laforgue passer constamment du plan de l’art à celui de la perception, et

inversement. D’un côté il sait parfaitement caractériser les transformations que subissent,

respectivement le dessin-contour auxquels sont substitués «les vibrations et les contrastes

de la couleur », la « perspective théorique » qui cède la place à la « perspective naturelle

des vibrations et des contrastes des couleurs » et l’  « éclairage d’atelier » détrône par le

«plein air»: ce sont bien là, plus ou moins, les « problèmes modernes », proprement

picturaux. Mais d’un autre côté Laforgue ouvre son, article sur l’assertion selon laquelle

il s'agirai pour le peintre impressionniste de «se refaire un œil naturel», de « voir

naturellement» et de « peindre naïvement comme il voit ». L'analyse, qu'il donne du

dessin classique, repose, selon lui, sur l'association des valeurs tactiles aux valeurs

optiques et ne peut donc être produit qu'au détriment des variations lumineuses- nécessite

que soit posée en préalable l'existence d'un « œil naturel», d'un regard purement visuel,

dépourvu comme tel du supplétif cognitif constitué par le tactile :

« L'impressionniste voit et rend la nature telle qu'elle est, c'est-à-dire uniquement

en vibrations colorées. Ni dessin, ni lumière, ni modèle, ni perspective, ni clair-obscur,

ces classifications enfantines: tout cela se résout en réalité en vibrations colorées et doit

être obtenu sur la toile uniquement par vibrations colorées. » (apud VOUILLOUX, 2000 :

70)

Ecrit en 1883 à 1'occasion d'une exposition berlinoise de peinture impressionniste,

le texte de Laforgue fut publié seulement vingt ans plus tard; trop tard, donc, pour qu'il

79

Page 79: licenta - impressionnisme2

pût peser dans la réception immédiate du mouvement, mais assez tôt pour servir de

caution à l’interprétation qu'en donnèrent les premiers historiens et pour établir

solidement son autorité auprès des commentateurs futurs. Cette autorité, il la doit à

l’exceptionnelle efficacité avec laquelle certaines idées dominantes de 1'époque y sont

condensées, ce qui explique aussi pourquoi il aura été mentionne aussi bien par ceux qui

continuaient d'accepter la thèse perceptiviste que par ceux qui, sans y souscrire, en

faisaient un élément décisif du premier contexte interprétatif de l’impressionnisme. Si

l'intérêt qui n'a cesse d'être porté au texte de Laforgue depuis sa publication avait besoin

d'une justification, ce n'est donc pas seulement dans l'identité de l'auteur qu'il faudrait la

chercher, non plus que dans ces qualités de style, auxquelles se reconnaîtrait le grand

écrivain, ni même, enfin, dans ces orientations thématiques et formelles qui ont amène

certains critiques à parler d'« impressionnisme » à propos de ses écrits proprement

littéraires. C'est aussi et surtout parce que s'y dessine la convergence entre deux séries de

problèmes qui préoccupaient alors un certain auteur: l'opposition des valeurs optiques et

tactiles, la postulation d'un « œil naturel ».

3.5. Le tactile, l’optique et « l’oeil innocent »

Alois Riegl, historien de l'art autrichien a décrit le tactile et l’optique comme

conjoints dans un stade intermédiaire dont ils font référence à des modes de vision

rapprochée ou éloignée, permettant de caractériser le traitement de la forme, de la surface

et du volume qui est corrélatif à la représentation des objets dans l’art antique et de

80

Page 80: licenta - impressionnisme2

distinguer dans ce dernier trois grandes phases qui correspondent respectivement à l’art

de l’ ancienne Egypte, à l’art grec classique et à l’art romain tardif.

L’opposition entre l’optique et le tactile a été fait par les formalistes allemands

sous la tradition transcendantale ouverte par le philosophe Johann Friedrich Herbart et

avait comme principal souci de mettre en évidence la cohésion des rapports formels

propres à chaque art.

Chez Riegl les concepts de tactile et d’optique avaient pour but non plus de

trouver des explications génétiques ou des relations hiérarchiques phénoménales comme

étaient présentées dans la formulation psychologico-empiriste, mais de déterminer le sens

intrinsèque des phénomènes artistiques et de caractériser cas par cas en se référant à deux

possibilités fondamentales de l’attitude de la contemplation externe.

John Ruskin, critique d’art britannique a développé la théorie de l’œil innocent

dans son œuvre Elements of Drawing publié à Londres en 1856. Dans cet ouvrage la

théorie a trouvé la formulation la plus décisive et la plus frappante en ce qui concerne les

considérations sur la peinture moderne de paysage :

« Toute la force évocatrice de la technique picturale dépend de la possibilité pour

nous de retrouver ce que nous pourrions appeler l’innocence du regard ; c’est-à-dire une

sorte de perception enfantine de ces taches plates et colorées, vues simplement en tant

que telles, sans que nous prenions conscience de leur signification comme pourrait le voir

un aveugle qui, tout à coup recouvrerait la vue » (VOUILLOUX, 2000 : 72)

Dans le livre L’Art et l’Illusion le spécialiste dans l’histoire de l’art, Ernst Hans

Gombrich assemble les pièces de la théorie de Ruskin et affirme que ce dernier préfigure

la future doctrine des impressionnistes.

En 1911, le peintre anglais et écrivain d’art Wynford Dewhurst a publié l’article

What is Impressionism ?, en mettant l’accent sur quelque termes : peinture par masses,

ombres colorées, effets atmosphériques, composition, traitement des éléments paysagers.

Sa démonstration a été un peu excessive, mais il n’a pas hésité à faire de Ruskin le maître

à penser du courant impressionniste. Le rapprochement entre les idées de Ruskin et celles

de quelques impressionnistes peut être expliqué de trois manières différentes en

recouvrant les explications mises en œuvre par les historiens qui étudient le style

d’époque avec les rapports entre les formes artistiques données et les formes antérieures.

81

Page 81: licenta - impressionnisme2

On peut soutenir que les idées de Ruskin préfigurent, anticipent et annoncent celles des

impressionnistes et on peut ajouter aussi que tous les critiques partagent les mêmes idées

parce qu’elles sont dans « l’air du temps ». On peut affirmer que Ruskin a influencé la

peinture impressionniste ou que ceux-ci ont trouvé dans les idées de celui-là les éléments

qui leur donnaient l’inspiration pour faire leurs propres recherches et réécrire l’histoire de

l’art à laquelle ils appartiennent.

Le contact des impressionnistes avec les idées de Ruskin a été fait par quatre

manières : par la traduction vulgaire de l’esthéticien Joseph Milsand au début des années

1860 ; par le séjour à Londres de Monet et Pissarro en 1870-1871 ; par les aperçus qui ont

donnés divers ouvrages publiés à l’époque ou peut-être par l’accès direct des certains

lecteurs français comme le poète Jules Laforgue aux textes originaux. Le poète Laforgue

affirme lui aussi que un œil naturel oublie les illusions tactiles et sa commode langue

morte, le dessin-contour et n'agit que dans sa faculté de sensibilité prismatique. Il arrive à

voir la réalité dans l'atmosphère vivante des formes, décomposée, réfractée, réfléchie par

les êtres et les choses, en incessantes variations. Pour Laforgue l'œil impressionniste est

dans l'évolution humaine l'œil le plus avancé, celui qui jusqu'ici a saisi et a rendu les

combinaisons de nuances les plus compliquées connues. L'impressionniste voit et rend la

nature telle qu'elle est, c'est-à-dire uniquement en vibrations colorées. Ni dessin, ni

lumière, ni modelé, ni perspective, ni clair-obscur, ces classifications enfantines: tout cela

se résout en réalité en vibrations colorées et doit être obtenu sur la toile uniquement par

vibrations colorées.

Pour Ruskin comme pour les impressionnistes, l’œil de l’enfant était l’avenir de la

peinture parce qu’il mettait en valeur la peinture sans avoir développé des facultés

cognitives et l’acquisition du langage et seulement refaisant la perception d’un enfant qui

voit le monde dans une multitude des taches sans significations sémantiques.

Cézanne nommait Monet le peintre de l’avenir parce que « Monet est un œil, l’œil

le plus prodigieux depuis qu’il y a des peintres ». (VOUILLOUX, 2000 : 76)

Les idées des Manet et surtout beaucoup plus explicite de Monet sont comme une

boulle de neige qui grandit et donne de la naissance d’une révolution de concepts et

critiques qui finalement s’appelleront dans un seul mot « Impressionnisme ».

82

Page 82: licenta - impressionnisme2

« Quand vous sortez pour aller peindre, essayez d’oublier les objets devant vous,

l’arbre, la maison, le champ ou autre chose. Songez seulement : voici un petit carré de

bleu, une tache oblongue de rose, un trait de jaune, et peignez-les juste comme vous les

voyez, cette couleur et cette forme précises, jusqu'à ce que votre impression naïve de la

scène soit rendue » (VOUILLOUX, 2000 : 76)

Conclusions

83

Page 83: licenta - impressionnisme2

La fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle sont caractérisés par une richesse

des relations et interférences entre la peinture impressionniste et les courants de l’époque

(naturalisme, symbolisme, réalisme, décadentisme). Le produit de ces relations est

l’impressionnisme littéraire.

On a présenté les relations historiques entre la peinture et la littérature à l’époque

de l’impressionnisme, l’influence que ce nouveau type de peinture a eu sur l’œuvre des

écrivains et les différentes opinions des artistes à l’égard de ce mouvement. En partant de

l’attitude des écrivains vers les peintres et vers leurs œuvres, nous sommes arrivée à la

conclusion que la peinture impressionniste a été vraiment influencée non seulement les

œuvres des écrivains, mais leur attitude et leur style de vie aussi.

Nous avons mis en évidence l’importance de la sensation et la difficulté de l’y

rendre dans la peinture et dans la littérature. D’après le peintre Paul Signac, le jeu

harmonique des teintes sur la toile dépend exclusivement de la sensation parce que, pour

peindre, l’artiste doit soumettre la couleur et la ligne à l'émotion qu'il a ressentie et qu'il

veut traduire. En littérature il est plus difficile à transposer les impressions parce que

l’œuvre littéraire implique plus de sensations qu’on a besoin pour peindre.

Le troisième chapitre de notre étude a porté sur les liaisons entre le pôle perceptif

et le pôle artistique. La perception du peintre impressionniste s'attache en principe sur le

réel et fixe l’éphémère. L’artiste dispose de la capacité et du désir de transformer sa

perception visuelle en une forme matérielle, artistique. En pratique, il est impossible de

séparer les deux parties parce que l’artiste exprime ce qu’il perçoit. Il perçoit ce qu’il

exprime. Tantôt dans la peinture, tantôt dans la littérature, la couleur a un rôle primordial.

En littérature, elle devient le véhicule de la description, donne accès à des émotions

primordiales et instaure une proximité entre les personnages et le lecteur. En peinture elle

aide l’artiste à représenter ses émotions et transposer ses sensations. Dans la peinture

l’œil impressionniste est l’œil le plus avancé parce qu’il rend sur la toile les vibrations

colorées, les vibrations de la vie.

Annexe

Petit dictionnaire impressionniste

84

Page 84: licenta - impressionnisme2

convergence

couleur

croquis

esquisse

espace

forme

fraîcheur

impressionnisme

lumière

matière

mélange additif

mélange optique

mélange soustractif

mouvement

œil innocent

optique

palette

pastel

perception

pictural

plein air

pointillisme

représentation polysensorielle

sensation

spontanéité

tache

tachisme

tactile

ton local

Bibliographie

85

Page 85: licenta - impressionnisme2

Livres

ALLIEZ, Eric, L’œil cerveau, Nouvelles histoires de la peinture moderne, Vrin, 2007

BOCQUILLON, Ferretti, Marina, L’impressionnisme, Presses Universitaires de France, Paris,

2004

BOISDEFFERE, Pierre, O istorie vie a literaturii franceze de azi, Univers, Bucuresti, 1972

COGNIAT, Raymond, HILLAIRET, Jacques, Les musees d’art de Paris, Somogy, Paris, 1967

DÉCAUDIN, Michel, Poésie impressionniste et poésie symboliste, Cahiers de l'Association

internationale des études françaises, Année 1960, Volume 12, Numéro 1, pp. 133 - 142, 1870-

1900

DENVIR, Bernard, Impressionism, Thames and Hudson Ltd, London, 1974

DOUCEY, Bruno, LESOT, Adeline, SABBAH, Hélène, WEIL, Catherine, Littérature Textes et

méthode, Hatier, 1993

DRAMBA, Ovidiu, IONESCU, Cristina, LAZARESCU, Gheorghe, ALECU, Viorel, Literatura

Universala, Editura Didactica si Pedagogica, Bucuresti, 1993

FAUCHEREAU, Serge, Collection Pour ou Contre L’impressionnisme, Somogy, Paris, 1994

GOLFRIN-NICOLAU, Marin, Istoria artei, vol II, Editura Didactica si Pedagogica, Bucuresti,

1967, 334

HERBERT, Read, Histoire de la peinture moderne, Aimery-Somogy, Paris, 1960

HORGA, Ioan, Şcoala de la Barbizon, Meridiane, Bucuresti, 1990

ION, Angela, Histoire de la littérature française, vol II, Editura Didactica si Pedagogica,

Bucuresti, 1982

LAGARDE, Andre, MICHARD, Laurent, AUDIBERT, Raul, LAMAITRE, Henri, XX e siècle,

Nouvelle édition, Bordas, 1962

MARCEAU, Jo, MURRELL, Simon, A World History, Elemond Editori Associati, Milan, 1998

The World Book Encyclopedia, Reg U.S. Pat & T.M. Marca Registrada, Printed in U.S., 1993

MONTABERT, M. Paillot, Traité complet de la peinture, Tome septième, Paris, 1829

OPRESCU, George, Manual de istoria artei, realismul, impresionismul, Meridiane, Bucuresti,

1986

REPETEANU, Liana-Rodica, La littérature française du XIXe siècle par les textes, Editura

Fundatiei Romania de Mâine, Bucuresti, 2004

WELLEK, René, Istoria criticii literare moderne, vol IV, Univers, Bucureşti, 1979

WILHELM, Uhde, Les impressionnistes, Phaidon, Vienne, 1937

86

Page 86: licenta - impressionnisme2

ZOLA, Emile, L'assommoir, Livre de Poche, Librairie Générale Française, 1983

Revue

VOUILLOUX, Bernard, L' « impressionnisme littéraire » : une révision ”, in Revue Poétique, no

121, Éditions du Seuil, Paris, février 2000, pp. 61-76.

Dictionnaires 

Le Petit Larousse, dictionnaire encyclopédique, 58 700 noms communs, 125 000 sens et emplois,

locutions et expressions, 25 500 noms propres, 288 cartes géographiques et historiques, 1993

Le Petit Robert, dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, version

électronique, 1996-1997

MONNERET, Sophie, L’impressionnisme et son époque, Dictionnaire International, Tome 2,

Bouquins, Paris, 1987

Sites 

http://fr.wikipedia.org/wiki/Arthur_Rimbaud#Apport_po.C3.A9tique

http://fr.wikipedia.org/wiki/Hermann_Ludwig_von_Helmholtz

http://neuroesthetique.wordpress.com/2008/10/05/contraste-de-couleur/

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-

8593_1991_num_21_71_5743

http://www.diagnopsy.com/Peinture_moderne/pages/Experiences_de_Seurat.htm

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1960_num_12_1_2171

http://books.google.ro/books?id=MgY6sttgWccC&dq=L%E2%80%99%C5%93il+cerveau,

+Nouvelles+histoires+de+la+peinture+moderne&printsec=frontcover&source=bn&hl=ro&ei=Ob

MzStrUHNOOsAazgOG2CQ&sa=X&oi=book_result&ct=result&resnum=4

http://books.google.ro/books?id=2BZz6yfatfIC&pg=PA97&lpg=PA97&dq=Trait

%C3%A9+complet+de+la+peinture,+Tome+septi

%C3%A8me&source=bl&ots=WJd7MvUl91&sig=65hKTTR_0JALoWBvnNkBOQ8YBuo&hl=

ro&ei=jLMzSpewB5Kj_AbF8rm7DQ&sa=X&oi=book_result&ct=result&resnum=5

87