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UNIVERSITATEA DIN PITEŞTI
FACULTATEA DE LITERE
SPECIAIZAREA LIMBI MODERNE APLICATE
FILIALA RM. VÂLCEA
LUCRARE DE LICENŢĂ
COORDONATOR ŞTIINŢIFIC:
Conf.univ.dr. Ana-Marina Tomescu
ABSOLVENT:
Butucea Loredana
2009
UNIVERSITATEA DIN PITEŞTI
FACULTATEA DE LITERE
SPECIAIZAREA LIMBI MODERNE APLICATE
FILIALA RM. VÂLCEA
CONSIDÉRATIONS SUR
L’IMPRESSIONNISME
LITTÉRAIRE FRANÇAIS
COORDONATOR ŞTIINŢIFIC:
Conf.univ.dr. Tomescu Ana-Marina
ABSOLVENT:
Butucea Loredana
2009
3
Table des matières
Argument……………………………………………………………………………........5
Introduction………………………………………………………………………………7
Chapitre I : L’impressionnisme littéraire - généralités …………………...................13
1.1. Relations historiques entre peinture et littérature à l’époque de
l’impressionnisme…………………………………………………………….........14
1.2. L’influence de la peinture impressionniste sur l’œuvre des
écrivains………........................................................................................................20
1.3. L’attitude personnelle des écrivains à l’égard du mouvement
impressionniste……………………………………...……………………………..31
Chapitre II : Le primat de la sensation et ses corrélats : pictural et littéraire……..37
2.1. Le primat de la sensation………………………………………………….......38
2.2. La place de la tache et son effet sur la rétine…………………...………..........41
2.3. L’écriture « un art verbal qui transpose les impressions »………………….....47
Chapitre III : Pôle perceptif et pôle artistique ……………………………………….52
3.1. La vision de la critique actuelle sur l’impressionnisme littéraire…………......52
3.2. Les glissements du pôle perceptif au pôle artistique……………………….....60
3.3. La perception des couleurs…………………………………...…………….....65
3.3.1. La couleur- lumière …………………………………..………………....67
3.3.2. La couleur- matière………………………………………..….................69
3.3.3. Le contraste……………………………………………………...............71
3.4. L’ impressionnisme et ses « problèmes modernes »………………………......75
3.5. Le tactile, l’optique et « l’œil innocent »…………………………………..….81
Conclusions……………………………………………………………………………...84
Annexe………………………………………………………………………………..….85
Bibliographie……………………………………………………………………………86
4
Argument
Est-ce qu’il y a ou non un impressionnisme littéraire ? Est-ce qu’il représente
dans la littérature la même chose que le symbolisme, le romantisme, le classicisme, etc. ?
Avait-il coexisté avec l’impressionnisme pictural ? Avait-il influencé seulement la
littérature du XIXe siècle ou est-ce qu’il y a encore des influences aujourd’hui ? Telles
sont les principales questions qui seront débattues au cours de cette étude qui croise
peinture, littérature, plume et pinceau.
L’impressionnisme littéraire ne signifie pas un courant comme le réalisme, le
symbolisme, le romantisme. Il est une empreinte à part posée sur tous les courants dès
son apparition jusqu’au présent. Il représente une somme d’impressions et de pensées. Un
écrivain impressionniste a besoin plus de talent pour créer une œuvre littéraire à l’aide de
toutes les sensations (olfactives, visuelles, sonores), de toutes les touches, de toutes les
vibrations. Son œuvre doit produire le même effet sur nous que les chefs-d’œuvre de
Monet, Manet, Renoir, Cézanne, Pissarro, etc. produisent encore dans notre esprit.
Même si le terme « impressionnisme littéraire » a été mentionné pour la première
fois par Ferdinand de Brunetière peu de temps que le groupe officiel de peintres était né,
il n’a pas prévalu. Les relations entre les peintres impressionnistes et les écrivains de
cette époque ont influencé l’écriture du XIXe siècle et comme nous le verrons dans cette
étude les écrivains Flaubert, Zola, Maupassant, Verlaine, Rimbaud, Mallarmé, Laforgue,
Proust, etc. présentent influences de la peinture impressionniste dans leurs œuvres.
Termes comme sensation, lumière, touche, plein air, croquis, etc. sont trouvés en
peinture, mais prendront forme aussi dans la littérature.
L’impressionnisme littéraire n’est pas resté seulement dans le XIXe siècle. Il a
continué jusqu’à nous jours dans chaque poésie pour peindre un paysage avec les mots,
dans chaque texte pour présenter les impressions et les émotions de ses personnages.
5
Quant à l’illustration, le plus souvent documentaire et toujours en relation avec les
textes choisis, elle mettra sous les yeux, quelques œuvres d’artistes célèbres, tout en
soulignant la parenté et les « correspondances » entre la littérature et les beaux-arts.
Qu’il nous soit permis en terminant, de rendre hommage à Mme. Tomescu Ana-
Marina et à Mme. Şerbănescu Gabriela qui, se joignant à nous, ont contribué à la
réalisation de l’ouvrage dans un effort également partagé ; c’est leur précieuse
collaboration, animée du meilleur « esprit d’équipe » qui nous avons permis de présenter
cet ouvrage.
6
Introduction
L’impressionnisme est le courant pictural qui exprime le sentiment et la
sensibilité artistique du peuple français et de ses créateurs, et incarne une forme
supérieure de l’amour, de la nature et de l’homme. En 1860 à peu près 30 artistes
commençaient à expérimenter avec une nouvelle forme d’expression. Ils sont connus par
l’histoire comme les impressionnistes, les artistes qui ont révolutionné tous les arts.
Le présent mémoire de licence intitulé Considérations sur l’impressionnisme
littéraire français met en pleine lumière les liens de l'impressionnisme pictural et de la
littérature du XIXe siècle et l’héritage littéraire, conceptuelle et artistique que la peinture
impressionniste apporte aux peintres, critiques et écrivains. Les relations entre écrivains
et peintres seront si serrés que les écrivains emprunteront non seulement le courage
d’affronter les critiques qui sont de plus en plus animées, mais aussi la technique
innovatrice de créer une œuvre à l’aide de l’impression fugace et éphémère de la nature,
du reflet de la lumière et de son pouvoir de dissoudre les contours, de la perception des
couleurs morcelées, si vives et expressives.
Dans le premier chapitre, présenté sous le titre de L’impressionnisme littéraire-
généralités nous allons mettre en évidence le cadre historique dans lequel les peintres et
écrivains se sont réunis, la nouveauté apportée par cette peinture moderne et l’influence
qu’elle exerce sur les courants (parnasse, symbolisme, naturalisme, réalisme) dans tous
les arts littérature, musique, sculpture, etc.
La vision impressionniste a commencé avec les recherches révolutionnaires de
Jean-Baptiste Corot, appelé aussi « le père de l’impressionnisme ». Elle a été bouleversé
par l’invention de la photographie et a connu la beauté du paysage avec l’école du
Barbizon. Cette tendance a découvert l’importance du chaque moment avec l’estampe
japonaise et a rompu les règles de l’Académie avec le réaliste Gustave Courbet. En 1874
le courant a pris son nom du tableau Impression, soleil levant. Il a connu son apogée
7
plastique avec ses représentants : Édouard Manet, Claude Monet, Auguste Renoir, Paul
Cézanne, Edgar Degas, Camille Pissarro, Frédéric Bazille, Alfred Sisley, Berthe Morisot,
etc. et sa théorisation avec George Seurat, Paul Signac, Vincent van Gogh, Paul
Gauguin, etc. Il a envahi non seulement les courants picturaux du futur mais aussi les
œuvres des écrivains.
La volonté de modernité apportée par les impressionnistes et son souci
d’évocations fugitives se transposeront en littérature dans un ton impressionniste qui
apparaît à la fois chez certains naturalistes, parnassiens, symbolistes et décadents, comme
les frères Goncourt, Jules Vallès, Alphonse Daudet, Pierre Loti, Flaubert, Zola,
Maupassant, Proust, Verlaine, Laforgue, Mallarmé et Rimbaud. Le modèle de ce type de
littérature trouve un antécédent certain dans la poésie de Walt Whitman. Les sensations
exprimées par l’écrivain dans ses poèmes sont celles qui brilleront dans les tableaux
impressionnistes et particulièrement dans ceux de Monet comme celles de la gare Saint-
Lazare ou des pommiers de Vétheuil, des Lilas d’Argenteuil, etc.
En France, la poésie, comme la prose, ont évolué d’une écriture rythmée en
longues phrases vibrantes vers des mélodies plus subtiles. Les rejets et enjambements, les
poèmes en prose de Baudelaire et de Banville précèdent le vers libre qui apparaîtra chez
Jules Laforgue comme une équivalence à la liberté des touches prônées par Monet et
Manet. Nous trouverons la variété de l’impression visuelle de Goncourt et le goût pour
une écriture discontinue qui fragmente et dissoudre la réalité chez Zola. L’œuvre de Zola
contient des nombreux exemples qui ont trouvé des équivalents plastiques dans les
tableaux de Manet, de Monet, de Renoir, de Pissarro : la description des boulevards, le
goût pour décrire les foules et les lumières dansantes, juxtaposant les mots comme des
taches et décrivant des ombres bleues. Nous connaîtrons aussi l’importance donnée à la
description des couleurs chez Banville et le besoin de décrire les images avec un sens
aigu qui cherche transcrire l’impression ressentie chez Verlaine.
Dans l’œuvre de Laforgue nous découvrirons une musique assourdie, mais
entièrement faite pour suggérer en touches discontinues et syncopées les images et les
sentiments. Les marques du style impressionniste aux frères Goncourt, à Alphonse
Daudet, à Jules Vallès et à Pierre Loti se caractérisent par la « sensibilité orientée vers le
subjectif » et la « fraîcheur du style » ; par le « foisonnement des tableaux » « le fréquent
8
changement des temps verbaux » et le « sens libre de la composition » qui produit des
effets d’éparpillement, de mouvement, d’intermittence. Nous verrons également que les
écrits de courtes dimensions : la lettre, le reportage, l’anecdote, le croquis, la légende, se
prêtent particulièrement au style oral, à l’écriture rapide, nerveuse, à la perception
fugitive des sensations, marques de l’impressionnisme littéraire. Nous pouvons
considérer Baudelaire le premier poète du Paris moderne et un illustrateur littéraire de la
peinture impressionniste. Le baudelairisme se manifeste comme tendance à exprimer des
états d’âme troubles, indéfinissables, qui s’éloignent souvent de la norme commune, les
images disparates dans la transcription des rêves, des malaises, des obsessions ; il se
caractérise aussi par l’association de certains sentiments ou idées qui semblent
contradictoires au premier abord.
La poésie de la seconde moitié du XIXe siècle est une poésie plus libre, faite de
demi-teintes, d’imprécision, de vague, tantôt vaporeuse, tantôt d’une extrême densité.
L’écrivain dont l'œuvre représente sans doute la quintessence de l'impressionnisme est
Marcel Proust. La place donnée par celui-ci au personnage du peintre Elstir dans À la
recherche du temps perdu montre toute la richesse et la subtilité des relations entre
l'impressionnisme et la littérature. (MONNERET, 1987 : 312)
L’attitude personnelle des écrivains à l’égard du mouvement impressionniste est
partagée en différentes opinions. Les uns l’ont reçu avec chaleur (Baudelaire, Verlaine,
Rimbaud, Théophile Gautier, Jules Laforgue) les autres avec indifférence (Pierre Loti,
Edmond de Goncourt) et rejet (Albert Aurier). L’écrivain Emile Zola est vu comme le
« défenseur des impressionnistes » mais son attitude n’a été toujours protectrice. Malgré
l’abondance de ses écrits sur l’art dont il critique positivement chaque peintre
impressionniste, il arrive à la conclusion qu’ils sont tous des précurseurs et que l’homme
de génie n’est pas né. Il dit qu’ils restent inférieurs à l’œuvre qu’ils tentent, ils bégayent
sans pouvoir trouver le mot. (FAUCHEREAU, 1994 : 83) Avec plusieurs de ses
contemporaines (Stevenson, Huysmans) Zola partage le point de vue que
l’impressionnisme est une formule de réalisme, parce qu’ils peignent ce qu’ils ont sous
les yeux et non pas des scènes mythologiques ou des reconstitutions historiques.
Le deuxième chapitre, présenté sous le titre de Le primat de la sensation et ses
corrélats : pictural et littéraire fait l’objet de la mise en évidence de deux problèmes
9
importantes : la sensation brute et la difficulté de l’y rendre à travers le pinceau ou la
plume. Pour en préciser le sens esthétique, l’écrivain pose comme premier principe la
vérité optique qui, pour le peintre, équivaut à la perception sensorielle. Aux yeux des
impressionnistes, l’univers était l’expérience, la sensation du moi, et rien d’autre.
Nous avons partagé l’affirmation du compositeur, pianiste et poète Ernest
Cabaner qui mit en musique quelques poèmes de ses contemporaines, notamment de
Baudelaire et de Mallarmé et qui soutient qu’il est difficile d’exprimer la sensation pure à
travers du langage. Il dit aussi que c’est impossible de parler en revenant continuellement
sur le chemin parcouru et on ne peut prononcer une seule syllabe nouvelle sans répéter
toutes les syllabes prononcées auparavant. (DÉCAUDIN, 1870-1900 : 136)
Il n’est pas permis au poète de n'être, selon la formule du peintre, qu' « un œil,
une main ». Le mot est toujours chargé d'un contenu affectif ou intellectuel et il ne se
réduit pas à la pure sensation que provoque la tache colorée parce qu’il n’est pas sûr s’il
peut atteindre les mêmes effets.
Le poète belge, d’expression française, Émile Verhaeren soutient que l’idée part
de la chose vue, ouïe, sentie, tâtée, goûtée et c’est pour ça qu’il est plus difficile de
transposer la sensation à travers des mots qu’à travers de touches parce que la première
implique plus des sensations que la seconde. L’impressionnisme est le seul courant qui
préserve la sensation telle qu’elle est perçue. Les autres courants la transforme, l’exorcise
pour aller au-delà des apparences. Proust est l’écrivain qui cherche à surprendre l’instant
avec tous ses sensations, jamais semblables aux celles du moment précédent ou ultérieur.
En tenant compte du rôle primordial de la sensation sur la peinture et la littérature,
nous avons voulu mettre en évidence la place de la tache et son effet sur la rétine et sur
l’état d’âme que l’écrivain et le peintre veulent imposer. En peinture, Paul Signac
harmonisera la composition à sa conception, adaptera les directions et les angles, les tons,
les teintes au caractère qu'il voudra faire prévaloir. En littérature, l’écrivain français
Alphonse Daudet est le premier qui donne des exemples pour rendre le primat de la
sensation et la place de la «tache » dans le roman Les Rois en exil.
« L’écriture est un art verbal qui transpose les impressions ». Pour soutenir cette
affirmation le professeur de l’Université de Bordeaux, Bernard Vouilloux propose une
typologie des modes d’apparition de la peinture dans le texte. Il prend comme exemple le
10
texte balzacien. Il dit que pour révéler la présence de l’image ou de l’impression visuelle
dans le texte, Balzac a utilisé dans son œuvre La Comédie Humaine : des discours des
artistes, des comparaisons avec des objets esthétiques (portraits), un vocabulaire
spécialisé, des passages où d’après une description on peut faire un tableau (la perception
artistique), multiplication des références picturales dans les préfaces et aussi des
réflexions esthétiques d’un narrateur omniscient. (http://www.poesie-arts.com/Bernard-
Vouilloux-et-les-problemes.html)
Dans le troisième chapitre nous avons découvert les liaisons entre le pôle
perceptif et le pôle artistique. Pour faire ça nous avons tenu en compte l’opinion des
critiques sur l’impressionnisme littéraire français. Les opinions des critiques actuelles
sont restées fidèles aux analyses faites par les critiques de l’époque impressionniste, mais
elles sont en totale contradiction avec les analyses données par les critiques d’art.
(VOUILLOUX, 2000 : 66)
Nous partageons l’opinion de critique italien du XIXe siècle, Enzo Caramaschi
sur la notion d’impressionnisme littéraire qui dit que la mise en parallèle des deux arts
doit être souple et méfiante parce qu’elle présente une infirmité pour représenter et pour
décrire, mais elle est supérieure par rapport à l’introduction du changement, du
mouvement, du temps.
La perception du peintre impressionniste s'attache en principe sur le réel et fixe
l’éphémère. L’artiste n’est rien d’autre qu’un homme disposant de la capacité et du désir
de transformer sa perception visuelle dans une forme matérielle. La première partie de
cette démarche est perceptive, la seconde est expressive, mais en pratique il est
impossible de séparer les deux parties parce que l’artiste exprime ce qu’il perçoit. Il
perçoit ce qu’il exprime.
Tout ce qui est arrivé n'est pas nécessairement « poétique » et tout ce qui existe ne
mérite pas pour cela d'être éternisé par l'art. Il y a des « correspondances » entre le monde
et le poète; toute sensation doit le conduire à une idée; et dans cette idée, il doit retrouver
quelque chose d'analogue à sa sensation.
Les historiens modernes sont enclins à voir dans la peinture impressionniste le
déroulement d’une série de transformations et ont tendance à neutraliser la différence
entre les lois qui gouvernent le fonctionnement de la perception visuelle et celles qui
11
régissent la construction picturale. Une manifestation bien connue de cette neutralisation
de l’écart entre le perceptif et l’artistique concerne plus spécialement le problème de la
perceptions des couleurs et bien sur de la confusion quasi constante entre leurs aspects
lumineux et matériels. (VOUILLOUX, 2000: 66)
Nous avons expliqué la différence entre la couleur lumière obtenue par la
synthèse additive et la couleur matière obtenue par la synthèse soustractive. La couleur
n’est pas seulement importante dans la peinture. L’écrivain a besoin d’elle aussi. Des
écrivains comme Flaubert, Verlaine, Zola, Baudelaire, Rimbaud, Mallarmé sont les
principaux qui ont induit la catégorie d’impressionnisme littéraire dont la couleur a un
rôle très important. Avec le naturalisme, la couleur devient le véhicule de la description
qui donne vie au texte qui donne accès aux émotions primordiales et instaure ainsi une
proximité entre les personnages et le lecteur.
Les problèmes modernes que les impressionnistes rencontrent dans ce nouvelle
type d’art sont le rapport « de la forme et de la lumière », la « triangulation de l’espace »
et la « représentation polysensorielle ». D’abord, en ce qui concerne la forme et la
lumière, le professeur Bernard Vouilloux affirme que dans l’art impressionniste la forme
contour se vaporise dans la forme tache et ce que jadis se soumettait au contour,
désormais il ne sera plus qu'une trace à peine suggérée à travers les limites de la tache
triomphante. Puis, en ce qui est de la triangulation de l’espace, définitoire c’est la théorie
de Cézanne qui cherche à simplifier la peinture par la réduction des formes et le retour à
la couleur. Cette théorie se transformera plus tard en cubisme. Ensuite, la représentation
polysensorielle signifie le mixage de perceptions olfactive, visuelle et sonore qui incitera
la curiosité du spectateur innocent, le poussera et l'encouragera à établir des liens entre
les éléments occupant l'espace.
En concluant notre présentation nous pouvons faire connaître l’affirmation de
Laforgue qui soutient que l'œil impressionniste est dans l'évolution humaine l'œil le plus
avancé qui peut rendre la nature telle qu'elle est, c'est-à-dire uniquement en vibrations
colorées. Ni dessin, ni lumière, ni modèle, ni perspective, ni clair-obscur, ces
classifications enfantines: tout cela se résout en réalité en vibrations colorées et doit être
obtenu sur la toile uniquement par vibrations colorées.
12
Chapitre I
L’impressionnisme littéraire- généralités
L’impressionnisme apparaît dans la peinture comme un courant artistique qui ne
se répand pas énormément, mais dont les résonances vont se ressentir dans le cadre de
chaque style qui suivra. La nouveauté réside dans la tendance de plus en plus accentuée
de se dédire de n’importe quelle représentation fixée dans la réalité d’abdiquer des idéaux
hérités depuis la Renaissance, dont les buts étaient de garder un rapport d’une certaine
congruence entre le plan réel et le plan idéal artistique.
Jusqu’à l’apparition de l’impressionnisme, on cherchait la profondeur dans la
réalité, la représentation du clair-obscur, le réalisme ancré dans l’introspection du modèle
choisi. L’impressionnisme reste la chaîne qui unit l’art figuratif de l’art non-figuratif,
c’est le seuil qui sépare le concret de l’abstrait, c’est la frontière entre un art rationnel et
un art instinctif axée sur l’exploration de la subconscience. L’artiste remarque le fait que
la réalité est perçue par un miroir, l’œuvre d’art étant l’expression du contact entre le plan
du monde réel et le plan du monde subjectif.
L’art impressionniste devient un art de l’expérience individuelle, une expérience
filtrée par le tempérament de l’artiste. C’est ainsi que la peinture impressionniste signifie
une telle explosion au nom de l’originalité, qui voulait glacer ces traits de l’âme de
l’artiste devant la nature, de ses aspects extérieurs. Son but était de transmettre la
fraîcheur de l’émotion, l’esprit du naturel et tendreté libérée de la pression de la
raison, des significations accumulées comme expérience de vie. On essaie un retour à
l’état originaire du suggestif étonnement devant la réalité, indifféremment de la
perspective que celle-ci pouvait offrir.
Le courant impressionniste est et reste, en essence, pictural, le rôle de la peinture
étant primordial. Il s’impose non seulement dans la peinture, mais aussi dans la
13
littérature, la sculpture, la musique. Dans la littérature sur le versant de la prose
romanesque, chez les frères Goncourt, mais surtout chez les écrivains Jules Vallès,
Alphonse Daudet , Pierre Loti, Flaubert, Zola, Maupassant et Proust et sur le versant de
la poésie Verlaine et Laforgue mais aussi Mallarmé et Rimbaud.
1.1. Relations historiques entre peinture et littérature à l’époque de
l’impressionnisme
Les liens de l'impressionnisme et de la littérature sont multiples : les uns
concernent les relations amicales entre écrivains et peintres; d'autres sont constitués par
les nombreuses allusions faites à cet art, non seulement dans la presse et les ouvrages de
critique, mais dans toutes sortes d'oeuvres littéraires, d'autres montrent des affinités entre
le style des peintres et celui de certains auteurs.
Les impressionnistes qui auront pour amis intimes quelques-uns des plus grands
écrivains de leur temps, ont connu la seconde génération romantique (Gautier, Dumas,
Murger, Baudelaire, Banville), les parnassiens (Leconte de Liste, José Maria de Heredia,
Sully Prudhomme) les naturalistes (Goncourt, Zola, Maupassant, Huysmans) les grands
indépendants (Barbey d'Aurevilly, Villiers de L'Isle-Adam, Rimbaud, Charles Cros) et les
symbolistes (Verlaine, Mallarmé, Dierx). (MONNERET, 1987 : 291)
Écrivains et peintres se côtoient ainsi soit dans des cafés (Brasserie des Martyrs,
Guerbois, Nouvelle-Athènes, etc.), soit dans des lieux de villégiature (Marlotte, Bougival,
Honneur, Dieppe, L'Estaque, etc.). soit dans des salons, ceux de Banville, du docteur
Antoine Cros, de Méry Laurent, de Mallarmé, de Berthe Morisot, de Mme Charpentier.
Une sincère amitié liera Manet à Baudelaire qui en 1848 a fréquenté assidûment
Courbet, professe pour Delacroix une admiration peu payée de retour, et prône une
modernité représentée pour lui par Constantin Guys, modernité qui deviendra le cheval
de bataille de la jeune génération. Manet fait avec Baudelaire de longues stations au
restaurant Dinochau et dans le salon de leurs amis Lejosne.
L'un des fidèles de Baudelaire, le romancier réaliste Champfleury est également
un habitué de ces diverses soirées auxquelles écrivains et peintres participent. En mai
1865 pour un article (dans La Nouvelle Revue de Paris) il demande au poète quelques
14
vers à mettre en épigraphe et lui écrit en même temps à propos de l'Olympia de Manet
dont l'envoi au Salon est accompagné d'un poème grandiloquent de leur camarade,
Zacharie Astruc1: « L'ensemble du tableau de « l’auguste jeune fille » m'a logé dans la
tête toutes sortes de jolis tons» et dans une autre lettre précise : « Je ne vois guère au
Salon que l'œuvre de Manet vraiment nouvelle, mais il y a beaucoup de mais,
l'intelligence, la grande intelligence qui a souvent soutenu Delacroix manque
évidemment. La nature da travaux de ce maître dont on pouvait suivre la vie minute par
minute à l’exposition de sa vente posthume était d’une rude enseignement. Aucun des
jeunes gens que nous connaissons n'en est sorti je crois avec l'idée du prodigieux travail
qui fait qu'un homme arrive à la vieillesse en commandant à sa main de ne pas faillir.».
Parmi ces jeunes gens se trouvent plusieurs des futurs impressionnistes; certains d'entre
eux, Bazille, Renoir, Sisley, se sont rencontrés dans l'atelier du peintre suisse Charles
Gleyre.
Les débuts de Monet ont été encouragés par Boudin2 et par Jongkind3, auquel
s'intéressent Baudelaire et son éditeur Poulet-Malassis qui lui achète un tableau. Le jeune
peintre a d'ailleurs d'autres liens avec la littérature du temps et l’histoire le montrera. Il
entretient des relations cordiales avec Mallarmé qu'il rencontre aux dîners
impressionnistes ainsi que le sculpteur Francisque Duret et le journaliste Gustave
Geffroy.
Au café Guerbois se réuniront régulièrement les futurs impressionnistes et leurs
camarades un peu moins audacieux et le groupe de plusieurs futurs littérateurs : Théodore
Duret, futur historien de l'impressionnisme, Hippolyte Babou (1824-1878), ami de
Baudelaire et créateur du titre Les Fleurs du Mal , les romanciers réalistes Louis Edmond
Duranty et Zola.
1 Critique d’art, poète, peintre et sculpteur français né à Angers, 8 février 1835 et mort à Paris le 24 mai 1907. Il s’intéressa et participa activement à la vie culturelle de la deuxième moitié du XIXe siècle, se posant en partisan d’un renouveau vers une peinture plus moderne. Comme critique et ami, il défendit activement les peintres Manet, Monet, Fantin-Latour et Alphonse Legros. ( http://fr.wikipedia.org/wiki/Zacharie_Astruc ) 2 Eugène-Louis Boudin est un peintre français, né à Honfleur (Calvados) le 12 juillet 1824, mort à Deauville (Calvados) le 8 août 1898. Il fut l'un des premiers peintres français à saisir les paysages à l'extérieur d'un atelier. Grand peintre de marines, il est considéré comme l'un des précurseurs de l'impressionnisme. (http://fr.wikipedia.org/wiki/Eug%C3%A8ne_Boudin)3 Johan Barthold Jongkind, né à Lattrop le 3 juin 1819 et mort aux environs de Grenoble le 9 février 1891, est un peintre et un graveur néerlandais, considéré comme l'un des précurseurs de l'impressionnisme. ( http://fr.wikipedia.org/wiki/Johan_Barthold_Jongkind)
15
Un des événements marquants de l'histoire de l'impressionnisme est la parution
dans L'Evénement des articles de Zola défendant hautement l’art de Manet et des artistes
qu'il rencontre à l'atelier de celui-ci. Dans ces années qui précèdent la guerre, le jeune
écrivain convie à dîner tous les jeudis soir son intime de toujours, Cézanne, Bazille,
Guillaumin, Pissarro, le sculpteur Solari et des écrivains originaires d'Aix, amis de
Cézanne.
L’Exposition de 1863 va déterminer une réaction dure de la part des représentants
de l’art académique, quand un grand nombre de tableaux marqués par des accents
innovateurs sera refusé. C’est ainsi qu’en 1863, on a constitué le groupe de refusés, d’où,
plus tard, seront choisis les impressionnistes.
Le 20 janvier 1866, une lettre de Catulle Mendès a annoncé à Baudelaire la
fondation du Parnasse contemporain4 qui réunira les parnassiens Verlaine, José Maria de
Heredia Anthony Deschamps, Alphonse Daudet, Anatole France, François Coppée, Léon
Dierx et les peintres Bazille, Manet. Fantin-Latour, etc. (MONNERET, 1987 : 295)
L’année 1874 représente la date officielle de la naissance de l’impressionnisme. À
cette année, le photographe Félix Nadar, coordonne dans son propre studio parisien une
exposition de peinture organisée par Degas où les chefs- d’ouvre de Manet, de Monet, de
Renoir, de Sisley, de Pissarro, de Cézanne y seront exposés. Avec son tableau
Impression, soleil levant Claude Monet fournit au critique Louis Leroy, le mot clé pour
son article défavorable dans le journal humoristique Le Charivari intitulé « L’Exposition
des impressionnistes ». Le nom de cette tendance artistique qui devenait déterminante
dans la deuxième moitie du XXe siècle, était né. L’épithète impliquait quelque chose
brusque et passager lié d’une œuvre d’art qui devait exprimer une émotion durable, saisie
pour l’éternité, mais il a paru si bizarre et déplacé pour les critiques de cette époque-là
qui ont qualifié en tournant en dérision le mouvement et en le présentant comme ci à
l’opinion publique. (OPRESCU, 1986: 165)
En 1877 c’est la première exposition des impressionnistes. Elle est la première
des huit expositions qui, de 1874 à 1886 définissent historiquement l’impressionnisme.
Manet est de tous les impressionnistes celui qui a eu les relations les plus
brillantes dans le milieu des écrivains que charment ses répliques, son enthousiasme, ses
4 Recueil poétique en trois volumes
16
caprices. En 1878 Manet confie à l'un de ses hôtes habituels, Arsène Houssaye son désir
de faire un portrait de Victor Hugo : « Allez-y donc, Hugo sera ravi de vous voir»,
répond Houssaye mais ce projet spectaculaire ne sera pas réalisé. Concourt, bien que
n'éprouvant pas une sympathie profonde pour Manet, passe quelquefois à son atelier et le
rencontre également souvent dans le monde ou au théâtre, entre autres aux premières des
pièces de Zola dont l'amitié pour le peintre se poursuivra jusqu'à la mort de celui-ci et qui
entretiendra toujours avec lui les relations d'amitié et d'admiration réciproques nées au
temps du café Guerbois. À la première représentation de L'Assommoir, le 21 janvier
1879, Manet confie à Goncourt être «inquiet de l'acceptation sans bataille de la chose. Il
trouvait cela trop beau. Manet meurt prématurément et dans la foule qui se presse à son
enterrement, comme parmi les assistants du banquet qui célébrera sa mémoire, on trouve
les noms de tous les écrivains qui l'aimaient : Zola, Mallarmé, le critique d’art Armand
Silvestre, etc. Manet, dont on a dit qu’il lisait peu, inspire quelques-unes de ses œuvres
sur des œuvres littéraires. Il lit Théophile Gautier, Théodore de Banville, les Concourt,
Duranty, Zola, et Maupassant dont plusieurs de ses œuvres, En Bateau. Dans la serre.
Chez le père Lathuille, semblent transcrire l'atmosphère. Il pense à illustrer Le Fleuve de
Charles Cros et L'Après-midi d'un faune de Mallarmé; la traduction de Poe par celui-ci
sera l'un des derniers projets pour lequel il fera des recherches graphiques.
Un des convives les plus habituels des dîners de Berthe Morisot (la belle-sœur de
Manet), Degas a eu toujours un goût très vif pour la littérature. Au temps du Guerbois il a
bien connu Zola et continue à le retrouver chez les Charpentier, chez le peintre italien
Giuseppe De Nittis ou à des premières. Ils n'ont cependant guère de sympathie l'un pour
l'autre : Degas trouve que l'écrivain lui fait « l'effet d'un géant qui travaille le Bottin5 » et Zola écrit que le peintre « est un constipé du plus joli talent». Degas paraissait
n’aimer plus les écrivains de son époque .Un ami de Renoir, Georges Rivière,
écrira : « Degas avait plus d'inclination pour les Goncourt que pour Emile Zola; leur
réalisme élégant convenait à l'esprit de ce bourgeois bien né.» Une incompatibilité
d'humeur évidente opposait cependant Degas à Edmond de Goncourt. L'humour du
premier irritait le second qui en manque totalement. Degas voit aussi Maupassant chez 5 Sébastien Bottin (né à Grimonviller en 1764, mort à Paris en 1853) fut un administrateur et un statisticien français. Il a donné son nom à l'annuaire du commerce et de l'industrie. À sa mort, la famille Didot reprend son entreprise et poursuit la publication de l'annuaire. En 1903, elle publie le Bottin mondain, premier répertoire français des personnalités du tout-Paris. (http://fr.wikipedia.org/wiki/Didot-Bottin)
17
Mme Straus, une hôtesse très en vogue. Marcel Proust aura l'occasion de rencontrer
Degas qui lui servira de modèle pour certains traits concernant son personnage d'Elstir
dans A la recherche du temps perdu. Un des poètes qui ont le mieux connu et admiré
Degas a été Paul Valéry, auquel les aphorismes du peintre ont inspiré Monsieur Teste6
et qui dans son livre Degas, Danse, Dessin remarque : « Personne n'a plus positivement
que lui méprisé les honneurs, les avantages, la fortune et cette gloire que l'écrivain peut
dispenser si aisément à l'artiste avec une généreuse légèreté.»
Admiré par toute la nouvelle génération d'écrivains qui gravite autour de
Mallarmé, Degas ne semble pas goûter la littérature symboliste et décadente bien qu'il
apporte ses suffrages à une pièce typiquement symboliste Antonia (1891) de Dujardin.
Lui-même s'exerce à la poésie : « La belle Gautier a mon chien / Je pense qu'elle lui veut du
bien, », mais surtout se lance vers 1888-1889 dans la composition de sonnets.
Une grande diversité caractérise ses goûts littéraires, le portant aussi bien vers Les
Mille et Une Nuits qu'il lit avec plaisir, les œuvres de Joseph de Maistre, les ouvrages
d'Alexandre Dumas père. Il aime particulièrement Voltaire et il admire Vigny, Musset,
Leconte de Lisle, Hugo, Théophile Gautier et Flaubert.
Renoir, souvent invité avec Degas et Mallarmé chez Berthe Morisot, a lui aussi
côtoyé beaucoup d'hommes de lettres à travers sa vie. Dès sa jeunesse, il fait la
connaissance d'Alphonse Daudet, entre ensuite en contact avec les auteurs qui fréquentent
le café Guerbois (Duret, Zola, Duranty) et fréquente les parnassiens. Protégé par l'éditeur
Charpentier, il rencontre tous les auteurs contemporains aux soirées données par celui-ci
comme Maupassant, Banville, Léon Dierx, Théodore de Wyzewa, etc. Comme Degas
Renoir apprécie Les Mille et Une Nuits et il a une passion pour Alexandre Dumas. Mais la
peinture l'absorbe plus que la littérature, dans sa bibliothèque il y avait des livres de
Marcel Prévost, Loti, Baudelaire, e t au s s i de Hugo, dont il déclare : « il faudrait être
fou pour dire que Hugo n’a pas de génie, mais son art tel qu’il est m’est horripilant…
c’est lui qui a déshabitué les Français de parler simplement » (MONNERET, 1987 : 301)
Jusqu’en 1886 Cézanne continue à voir régulièrement Zola, qui, depuis ses
premiers succès, s’isole de plus en plus à Médan au milieu d’une cour d’écrivains
naturalistes. Le peintre connaît ici Paul Alexis, pour qui son amitié ne se démentira
6 Œuvre littéraire : La Soirée avec monsieur Teste (1896) (http://fr.wikipedia.org/wiki/Paul_Val%C3%A9ry)
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jamais, Maupassant et Huysmans. Il avait dans sa jeunesse quelques dispositions pour les
lettres, couronnées par des prix au collège et s'exprimant dans sa correspondance en vers
avec Zola. La littérature latine a nettement influencé sa façon de voir la nature et des
allusions à Virgile accompagnent ses descriptions des tableaux qu'il entreprend.
Baudelaire a marqué sa sensibilité, et ses auteurs préférés étaient cependant Balzac et
Flaubert.
Sisley est un des peintres qui a eu des relations d’amitié non seulement avec les
peintres impressionnistes et les écrivains français mais aussi avec les critiques qui
défendent les impressionnistes et fréquentent leurs ateliers et aussi avec des écrivains
anglais comme Walt Whitman et Robert Louis Stevenson.
Pissarro a rencontré Cézanne à l'académie Suisse et, par lui, a donc connu très tôt
Zola et tous les écrivains qui s'y rassemblent. En habitant aux environs de Paris, Pissarro
se rend fréquemment dans la capitale, assiste aux dîners impressionnistes mensuellement
organisés à partir de 1877 au café Riche où il retrouve Burty, Mallarmé, Huysmans,
Moore, avec lesquels il discutait d'art et de littérature. En 1885, Pissarro et son fils Lucien
ont adopté avec enthousiasme les théories néo-impressionnistes de peintres qu'ils
rencontrent chez Robert Caze au café Gambrinus dont les nouvelles tendances picturales
étaient encouragées par la jeune génération d'écrivains des petites revues symbolistes.
Les post-impressionnistes Paul Gauguin, Georges Seurat, Paul Signac, Henri de
Toulouse-Lautrec et Vincent Van Gogh ont été différemment mêlés au monde littéraire
de cette époque et leur cercle d’amis se tournent vers les écrivains impressionnistes Zola,
Maupassant, Flaubert, Verlaine etc. et les critiques Albert Aurier, Octave Mirbeau,
Camille Mauclair, Félix Fénéon, John Ruskin, etc.
À l’étranger on remarque d’une part des adeptes de la technique impressionniste
et néo-impressionniste, d’autre part des caractères plus créateurs qui d’abord emploient
celle-ci comme moyen de libération vis-à-vis de l’académisme, puis s’orientent vers
d’autres esthétiques qui souvent correspondent à des tendances profondément enracinées
dans le tempérament de chaque pays.
Une extraordinaire richesse de relations entre la littérature (naturaliste,
symboliste, décadente) et la peinture caractérise la fin du XIXe siècle et le début du
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XXe siècle et elle est évoquée dans les ouvrages, les articles et les revues de chaque
courant. (MONNERET, 1987 : 309)
1.2. L’influence de la peinture impressionniste sur l’attitude et l’œuvre
des écrivains
Le dix-neuvième siècle voit s'accélérer une tendance que Diderot avait notamment
amorcée au siècle précédent : les écrivains se passionnent pour la peinture et pour les
théories esthétiques. La critique d'art fait partie de leurs activités régulières. Avec une
préoccupation que l'on retrouve chez tous : définir et prendre pour repère une esthétique
nouvelle représentée par une notion que l'on retrouve aussi bien chez Zola que chez
Baudelaire : la modernité. Bien des écrivains peinent à suivre les peintres dans leurs
audaces techniques dans lesquelles ils voient parfois plus un relâchement du métier
qu'une vision nouvelle. Beaucoup de ces écrivains fréquentés ou admirés par les
impressionnistes représentent en littérature des tendances imposées par ceux-ci.
En 1888 Degas déclare à Goncourt que toute la littérature actuelle est inspirée par
la peinture ce qui exaspère l’écrivain, qui considère avoir montré le chemin aux peintres
et particulièrement à Degas en décrivant dans Manette Salomon des blanchisseuses et
des danseuses. De nombreuses interférences entre les descriptions des romanciers et les
œuvres des artistes : les chiffonniers et philosophes de Manet relèvent de Baudelaire, le
Paradou de Zola est concomitant des jardins fleuris de Renoir, les banlieues décrites par
Goncourt se retrouvent chez Seurat.
D’autre part, la volonté de modernité apportée par les impressionnistes et son
souci d’évocations fugitives se transposeront en littérature en un ton impressionniste qui
apparaît à la fois chez certains naturalistes, parnassiens, symbolistes et décadents, mais à
propos duquel il faut indiquer qu’il trouve un antécédent certain dans la poésie de Walt
Whitman. Les sensations exprimées par l’écrivain dans ses poèmes sont celles qui
brilleront dans les tableaux impressionnistes et particulièrement dans ceux de Monet. Il
parait impossible que le peintre ait ignoré l’alphabet plastique que lui offrait le poète, non
seulement dans À une locomotive en hiver où se lisent les images des séries de la gare
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Saint-Lazare, mais dans tant d’autre vers qui semblent illustrer Les pommiers de Vétheuil,
Les Lilas d’Argenteuil, Le Boulevard des Capucines, etc.
En France, la poésie, comme la prose, a évolué d’une écriture rythmée en longues
phrases vibrantes vers des mélodies plus subtiles. Les rejets et enjambements, les poèmes
en prose de Baudelaire et de Banville précèdent le vers libre qui apparaîtra chez Jules
Laforgue comme une équivalence à la liberté des touches prônées par Monet et Manet.
« L’écriture artiste » des Goncourt est un pur impressionnisme dont le chatoiement leur
a, d’abord, été inspiré par ces ancêtres des impressionnistes que furent Watteau et Jean
Honoré Fragonard auxquels les deux frères consacrent leurs premières études. Leur goût
d’une écriture discontinue se transmet à Zola qui, avec ses amis peintres, assiste à la
naissance de l’impressionnisme et se pénètre de sa vision. Son œuvre contient des
nombreux exemples qui ont trouvé des équivalents plastiques dans les tableaux de Manet,
de Monet, de Renoir, de Pissarro : la description des boulevards, son goût pour décrire les
foules et les lumières dansantes, juxtaposant les mots comme des taches et décrivant des
ombres bleues. Sa procédure d’écriture fragmente la réalité pour la dissoudre mais en
même temps structure très profondément chacun de ses romans montrant ainsi un souci
de création tout à fait proche de celui de son ami Cézanne.
L’importance donnée à la description des couleurs apparaît chez des nombreux
écrivains, ainsi Banville notant dans un poème en prose, Le Troupeau : « En rang,
conduites par des religieuses jaunes comme l’ivoire, passent les orphelines vêtues de
leurs violettes à raies. » (MONNERET, 1987 : 311)
Dès l’année 1865 Verlaine a lui aussi indiqué le besoin de « sens aiguisés et
vibrants » pour décrire les images : sa poésie ne cherchera jamais un réalisme descriptif
mais l’impression ressentie, transcrite, explique-t-il dans la Critique des poèmes
saturniens avec de « fréquentes allitérations quelque chose comme de l’assonance
souvent dans le corps du vers, rimes plutôt rares que riches, le mot propre évité, des fois à
des sein ou presque… ». Se dégageant des rêveries romantiques, la poésie prend de plus
en plus pour thème la vie quotidienne. L’un des poètes qui apportent la meilleure
La notion « L’écriture artiste » est une notion qui exprime la vérité de l’impression, essentiellement visuelle par laquelle le monde se signale à nous. Cette écriture part du principe que ce qui constitue la réalité, et donc la vérité des choses, n’est rien d’autre que la sensation des choses qu’elle font naître en nous. Pour les frères Goncourt cette sensation passe par l’impression chromatique et lumineuse produite par les choses sur la rétine (CABANES, 1997 : 330)
21
contribution à l’impressionnisme littéraire est le poète et inventeur français Charles Cros
avec l’œuvre Coffret de santal.
Rimbaud et Verlaine iront en Angleterre et connaîtront la poésie anglaise dans laquelle
la recherche des impressions de nature a toujours joué un rôle important, ce qui est d'ailleurs le
cas dans l'œuvre de l'ami de Whistler, Swinburne dont les Poèmes et Ballades et Chansons
avant le lever du soleil produisent des effets musicaux très impressionnistes.
En 1876, année de la IIe Exposition impressionniste parait Le Drageoir aux épices
de l’écrivain naturaliste Joris Karl Huysmans qui sera l'un des champions du mouvement
impressionniste en littérature par les équivalences recherchées dans ses Croquis parisiens dont
ses amis, le peintre et graveur Jean François Rafaëlli et le graveur Louis-Henri Forain,
seront les illustrateurs. Huysmans a eu une évolution exemplaire. Son enrôlement sous le
courent naturaliste est de courte durée. Très épris de symbolisme et grand défenseur de
l’impressionnisme Huysmans a saisi tous les symptômes de la crise esthétique à la fin du
siècle. Son apport est considérable à l’épanouissement de l’écriture artiste qui lui a
apporté l’appréciation des écrivains et des critiques.
Stéphane Mallarmé est le poète d’un thème unique, des « variations sur un seul
sujet » ; celui de l’écriture, envisagée sous tous ses angles et aspects, aussi bien à partir
d’elle-même, qu’à partir de son créateur. La poétique de Mallarmé a été exposée à
plusieurs reprises dans des textes souvent repris, polis et repolis, publiés parfois dans un
grand nombre de variantes mais qui présentent tous un intérêt capital pour la
compréhension de sa pensée, ce qui fait que le seul ordre efficace possible de leur
présentation est celui que la logique et non la chronologie impose. (Ion,1982 : 140)
Un raffinement austère, la magie sans concession des métaphores, le refus de
toute facilité, différencie ce poète de tous ses contemporains. Mais il sait admirablement
créer une musique impressionniste pour ses amis dans les vers écrits sur des feuillets
d'album, des éventails ou des billets adressés à Méry Laurent, Berthe Morisot, Whistler,
etc. (MONNERET, 1987 : 311)
Un impressionnisme fulgurant apparaît dans l'œuvre si brève de Rimbaud. Les théories
de celui-ci, symboliste avant tout, font donc de la poésie un acte essentiel, primordial et
exemplaire, un mode de la connaissance, et posent la nécessité de trouver un langage
poétique nouveau qui lui permettra de satisfaire sa mission. Dans l’œuvre de Laforgue il y a
22
une musique assourdie mais entièrement faite pour suggérer en touches discontinues et
syncopées les images et les sentiments.
A partir des années 1880 le succès rencontré par la peinture impressionniste suscite chez
les écrivains une sorte d'émulation. Pissarro rencontre chez Robert Caze « un jeune auteur de
vers impressionnistes » et Jean Ajalbert dit « poète impressionniste pour chanter le gazon pâle
des fortifications et les fétidités de la Bièvre ».
Pour Alphonse Daudet la technique pointilliste de la description a des éléments
qui assurent, en dernière analyse, l’originalité dans l’espace naturaliste français. Selon le
philologue romaniste belge, Jacques Dubois, cette modalité artistique, propre aux frères
Goncourt, à Alphonse Daudet, à Jules Vallès et à Pierre Loti se caractérise par la
« sensibilité orientée vers le subjectif » et la « fraîcheur du style » ; par le « foisonnement
des tableaux » et le « sens libre de la composition » et produit des effets d’éparpillement,
de mouvement, d’intermittence. Les écrits de courtes dimensions : la lettre, le reportage,
l’anecdote, le croquis, la légende, se prêtent particulièrement au style oral, à l’écriture
rapide, nerveuse, à la perception fugitive des sensations, marques de l’impressionnisme
littéraire. Si la doctrine esthétique du naturalisme français ne doit presque rien à
Alphonse Daudet, la thématique et l’expression en sont visiblement enrichies. (ION,
1982 :153)
Jules Vallès met en question le discours autobiographique classique, grâce à sa
fragmentation, à sa « structure discontinue », à l’entrecroisement des voix narratives et au
changement fréquent des temps verbaux, grâce, enfin, à son « jeu délibéré de rupture des
attentes conventionnelles »
La participation au spectacle offert par la ville et ses habitants ouvre une
perspective des plus intéressantes sur Baudelaire, qu’on peut considérer le premier poète
du Paris moderne et un illustrateur littéraire de la peinture impressionniste. Le
baudelairisme se manifeste comme tendance à exprimer des états d’âme troubles,
indéfinissables, qui s’éloignent souvent de la norme commune, les images disparates dans
la transcription des rêves, des malaises, des obsessions ; il se caractérise aussi par
l’association de certains sentiments ou idées qui semblent contradictoires au premier
abord. L’unité essentielle du cosmos est assurée justement par les analogies qui existent
entre les choses et les diverses classes de sensations « Les parfums, les couleurs et les
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sons se répondent » que seule une imagination particulièrement développe est capable de
découvrir.
Pour Flaubert la description se résorbe dans la narration. Sa dilatation et sa prise
en charge par la narration, concomitantes à la réduction des scènes dramatiques,
correspondent par les romans flaubertiens à la nécessite d’objectiver, à partir de
l’intérieur, la durée subjective des personnages. Sans abandonner complètement le
modèle descriptif balzacien, la description flaubertienne manifeste surtout la dévoration
des impressions venues de l’extérieur dans le flux temporel subjectif de la conscience.
Rêve limité pour Flaubert, traduisant la fascination incoercible du signifiant : le livre
idéal serait, pour lui comme pour Mallarmé, celui qui parviendrait à se détacher
complètement de la réalité « Ce qui me semble beau, ce qui je voudrais faire, c’est un
livre sur rien ». Aux yeux de Proust, la grande révolution accomplie par Flaubert se
mesure à la portée remarquable de ce renversement dans l’économie temporelle et
logique du récit : « Ce qui jusqu’à Flaubert était action devient impression ». La poésie
de la seconde moitie du XIXe siècle est une poésie plus libre, faite de demi-teintes,
d’imprécision, de vague, tantôt vaporeuse, tantôt d’une extrême densité. Elle fera son
propre chemin par les œuvres de Rimbaud et de Mallarmé, poètes de sensibilité moderne
et inclassables, tout comme Baudelaire, explorateurs du rêve et des mystères du monde et
de l’être, ainsi que par les créations des poètes désignés du nom de symbolistes.
D’autre part, le XIXe siècle a connu un grand essor des sciences, la littérature se
faisait l’écho des nouvelles réalisations et découvertes dans tous les domaines. On assiste
à une union de l’art et de la science, notamment la philosophie, l’optique, l’archéologie,
la philologie, les sciences naturelles, sous l’influence du positivisme. La critique moderne
reproche à Verlaine son goût de la pénombre et une certaine « fadeur », illustrant un
« quiétisme du sentir », c’est-à-dire justement ce qui enchantait ses contemporaines.
Cependant, visant l’impression, la nature, le flou « déliquescent », en pleine époque de
l’impressionnisme, Verlaine ne faisait que prendre le contre-pied du courant positiviste
qui se manifestait en littérature sous les formes impitoyables du naturalisme ; ce qui lui
est personnel, c’est le désir d’abolition, de disparition dans la douceur, de lent glissement
dans le néant, témoin d’une volonté sans vigueur, agitée, telle sa vie, entre des contraires
ennemis. (ION, 1982 : 133)
24
Les deux écrivains dont l'œuvre représente sans doute la quintessence de
l'impressionnisme sont Henry James et Marcel Proust. La place donnée par ce dernier au
personnage du peintre Elstir dans À la recherche du temps perdu montre toute la richesse et
la subtilité des relations entre l'impressionnisme et la littérature. (MONNERET, 1987 : 312)
Image 1.1. (DOUCHEY, 1993 : 284)
Vincent Van Gogh, Champs de blé aux corbeau, 1890 (huile sur toile, 103 × 50 cm, Musée van Gogh)
Ma bohème (Fantaisie)
Je m'en allais, les poings dans mes poches
crevées;
Mon paletot soudain devenait idéal,
J'allais sous le ciel, Muse, et j'étais ton féal;
Oh! là là! que d'amours splendides j'ai rêvées!
Mon unique culotte avait un large trou.
Petit-Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.
Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou
Et je les écoutais, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre où je sentais des
gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur;
Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon
coeur!
Arthur Rimbaud
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Les peintres impressionnistes constatent qu’un paysage se modifie en fonction des
conditions climatiques, souhaitent fixer sur leur toile une sensation instantanée, le soleil
filtré par les feuillages, au moyen de coloris clairs, vibrant par l’emploi systématique des
touches superposées. Les formes semblent se dissoudre dans l’entrecroisement des
touchent aux variations chromatiques infinies. L’invention du conditionnement de la
peinture en tube leur permet de travailler en plein air « sur le vif » ce qui implique une
touche brossée rapidement et une certaine imprécision des formes due à l’épaisseur de la
matière. Van Gogh découvert les nouvelles possibilités de la couleur et, dès lors il adopta
une palette au chromatisme intense, plus conforme à sa violence intérieure. En
privilégiant la couleur, en modelant les formes pour la nécessite de l’expression, il ouvrit
la voie aux fauves et aux expressionnistes. Les critiques et historiens d'art voient
généralement dans ce tableau une représentation de l'état d'esprit préoccupé de van Gogh,
avec un ciel foncé et menaçant. L'indécision de trois chemins allant dans différentes
directions et les corbeaux noirs sont vus comme signes de pressentiment ou même de
mort. Van Gogh s'est suicidé quelques jours après avoir peint ce tableau (DOUCHEY,
1993 : 284).
Rimbaud est un jeune poète de 16 ans lorsqu’il compose ce sonnet qui évoque
sans doute l’une ou plusieurs de ses fugues. Était-il vraiment un « sans cœur » ou plutôt
une âme très jeune, ardente de vie et de liberté qui refusait de se plier à la volonté
maternelle détestant trop l’étroitesse de son milieu ? Ce « sans cœur » ressemble
étrangement au portrait fantaisiste qu’il a brosse lui-même dans « ma bohème ou maint
trait fait allusion à ses fugues ». Les deux poings dans les poches, il s’en va pour dormir à
la belle étoile, c’est un certain état d’esprit dans lequel le poète devait volontairement se
mettre pour accéder à l’inconnu. Il voulait « inspecter l’invisible » ou « entendre
l’inouï ». Ce poème relève les futures orientations de Rimbaud et son voyage initiatique.
On peut considérer aujourd’hui le sonnet comme un exercice possible de Rimbaud en
quête de cette langue, « de l’âme pour l’âme, résumant tout, parfumes, sons, couleurs de
la pensée et tirant » (Doucey, 1993 : 289)
La génération surréaliste a également revendiqué Rimbaud. Elle en a donne
plusieurs raisons : Rimbaud aurait préféré la vie à la poésie, l’existence vécue à la
création poétique, fut-elle géniale ; secondement, dans les poèmes visionnaires des
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« Illuminations » il a réussi à absorber cette partie de l’inconnu, indispensable à la
mission de la nouvelle poésie. L’état de « voyance » donne la possibilité au poète de
vivre ce rêve éveille, état sollicité et préféré des surréalistes.
Image 1.2.
(DOUCHEY, 1993 :
289)
Paul Cézanne (1839-
1906),
Mardi Gras, 1888 (huile sur toile, 102 x 81 cm ;Moscou, Musée Pouchkine)
Fêtes galantes- 1869
Fantoches
Scaramouche et Pulcinella
Qu'un mauvais destin rassembla
Gesticulent, noirs sous la lune.
Cependant l'excellent docteur
Bolonais cueille avec lenteur
Des simples parmi l'herbe brune.
Lors sa fille, piquant minois,
Sous la charmille, en tapinois,
Se glisse, demi-nue, en quête
De son beau pirate espagnol,
Dont un langoureux rossignol
Clame la détresse à tue-tête.
Paul Verlaine
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Formé à l’école classique, Cézanne découvrait l’impressionnisme avec Pissarro.
Son art qui privilégie la forme et le volume et accorde une importance particulière à la
couleur a exercé une grande influence sur la peinture contemporaine.
Arlequin, personnage type de la Commedia dell'arte7, apparu au XVI e siècle en
Italie, dont le costume est fait de losanges8 multicolores qui représente les multiples
facettes de son personnalité. Les tons clairs et vifs des vêtements des personnages, les
touches précises et directes, le jeu subtil des nuances aussi que le fort contraste
chromatique donné par le mur vert et le costume rouge donnent l’impression que c’est en
effet une préparation pour un événement plus important comme le Mardi Gras9.
Fêtes galantes est une recueil de poésies dont Verlaine met en scène des
personnages de la Commedia dell’arte dans une contexte de fêtes à la fois brillantes et
mélancoliques. Verlaine publie en 1869 ce recueil inspiré d’évidence par le tableau de
réception de Watteau à l’Académie, Pèlerinage à l'île de Cythère.
Les Fêtes galantes ne sont qu’en apparence une transposition picturale en poésie,
en réalité c’est toujours le paysage verlainien, chargé d’une tristesse et d’une angoisse qui
lui sont propres. Un autre trait du lyrisme verlainien est sa candeur. Le poète a toujours
gardé l’âme d’un enfant.
Dans le deux œuvres, les personnages : Arlequin et Pierrot dans la peinture et
Scaramouche et Pulcinella dans la poésie sont des personnes qui prennent les images
imposantes et symbolique des personnages de la Commedia dell’arte. (DOUCHEY,
1993 : 289)
7 Genre de théâtre populaire italien apparu avec les premières troupes de comédie avec masque, en 1528. Signifiant littéralement : « théâtre interprété par des gens de l’art » ; autrement dit : des comédiens professionnels.8 Quadrilatère dont les quatre côtés ont même longueur et dont les diagonales sont perpendiculaires. Les diagonales d’un losange se coupent en leur lieu et sont perpendiculaire l’une à l’autre. Sa surface est égale au produit de sa base par sa hauteur ou au demi-produit de ses deux diagonales. (Le Petit Larousse, dictionnaire encyclopédique, 1993, 610) 9 Dernier jour avant le début du carême célèbre par un carnaval. (Larousse, 1993 : 631)
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Image 1.3.
(DOUCHEY, 1993 : 289)
Odilon Redon (1840-1916), Pégase, 1900, (pastel, 80,7x 65 cm ; Hiroshima, Musée Hiroshima
Une saison en enfer
« À moi. L'histoire d'une de mes folies.Depuis longtemps je me vantais de posséder tous les paysages possibles, et trouvais
dérisoires les célébrités de la peinture et de la poésie moderne.
J'aimais les peintures idiotes, dessus de portes, décors, toiles de saltimbanques, enseignes,
enluminures populaires ; la littérature démodée, latine d'église, livres érotiques sans orthographe,
romans de nos aïeules, contes de fées, petits livres de l'enfance, opéras vieux, refrains niais,
rythmes naïfs.
Je rêvais croisades, voyages de découvertes dont on n'a pas de relations, républiques sans
histoires, guerres de religion étouffées, révolutions de moeurs, déplacements de races et de
continents : je croyais à tous les enchantements.
J'inventai la couleur des voyelles ! - A noir, E blanc, I rouge, O bleu, U vert. - Je réglai la
forme et le mouvement de chaque consonne, et, avec des rythmes instinctifs, je me flattai
d'inventer un verbe poétique accessible, un jour ou l'autre, à tous les sens. Je réservais la
traduction.
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Ce fut d'abord une étude. J'écrivais des silences, des nuits, je notais l'inexprimable. Je
fixais des vertiges. »
Arthur Rimbaud
Pégase10, la peinture de Odilon Redon respecte les couleurs vifs des
impressionnistes à qu’ il ajoute un jeu subtil des nuances, des tons estompés pour
suggérer la beauté et la puissance de l’art et la création divine de l’artiste soit il peintre ou
écrivain. Le motif de la peinture est étranger et fantastique dont le clair-obscur, les
nuances mélangés, le contraste de la terre avec l’azur du ciel et de la lumière créent
l’impression d’un monde inexistant, féerique que seulement le vrai artiste le peut toucher.
Même si Redon a vécu dans l’époque des impressionnistes il n’as pas adopté leur vision
et leurs principes, il s’opposait rejetant l’inspiration par la nature et adoptant les principes
symbolistes qui s’adressent non pas au regard de l’homme, mais à son esprit, et à la
imagination que ce dernier est à même de produire.
Une Saison en Enfer est le seul ouvrage qu’Arthur Rimbaud a fait publier lui-
même et se situe à une période douloureuse de son existence. Il relate ses souffrances
proches de la folie qui l’ont conduit aux portes de la mort, l’échec de son existence de
poète voyant. Il parle de ses désillusions, de ses doutes mais aussi de ses espoirs.
Rimbaud n’hésite pas à comparer le poète au « voleur de feu », au Promethe du
mythe antique. Le poète sera même « le grand savant » comme s’exprime Rimbaud dans
le sens qu’il dirigera l’action des hommes au lieu de la suivre, en absorbant une quantité
de plus en plus grande d’inconnu qu’il dévoilera à tous. Pour être nouveau, pour définir
cette quantité d’inconnu, le poète doit se forger une langue capable de l’exprimer. Aussi
Rimbaud fait appel à toutes les ressources de la langue ; expressions familières, formes
dialectales, archaïsmes, mots rarement employés. Ces audaces verbales lui ont valu la
sympathie des décadents, de même que l’inattendu des images a été très apprécié à
l’époque du surréalisme. Rimbaud est l’enfant colère qui associe souvent la beauté et la
violence dans ses diatribes contre les injustices sociales, contre les monstres de la laideur
et de la méchanceté, contre les préjuges poétiques. À l’époque symboliste, il fut considère
10 Pégase (en grec ancien Πήγασος / Pếgasos, en latin et en anglais Pegasus) est, dans la mythologie grecque, un cheval ailé généralement représenté de couleur blanche. Il est ne du sang de Méduse, monté par Persée et par Bellérophon. Pégase fit jaillir la fontaine Hippocrène où les poètes venaient puiser leur inspiration.
30
un précurseur et certainement, la pièce sur laquelle on s’appuyait avec plus de conviction
c’était le fameux sonnet des voyelles. Comme les impressionnistes font le passage de la
peinture classique qui ne portait rien de nouveau à la peinture plein de couleur et de vie,
Rimbaud renouvelle la poésie, quitte « la littérature démodée » qui jadis aimait et crée
une langue nouvelle plein de « la couleur des voyelles ! - A noir, E blanc, I rouge, O
bleu, U vert ». Avec lui, la poésie a la couleur de la musique et de la peinture, le
mouvement de la danse et du rêve.
1.3. L’attitude personnelle des écrivains à l’égard du mouvement
impressionniste
L’historien de l'art français, Henri Focillon, nomme ce mouvement un
« rajeunissement de la peinture » en ce qui concerne l’attitude de l’artiste créateur devant
la vie et sur l’objet qui l’inspire.
Gustave Courbet, peintre français, chef de l’école réaliste ouvre les yeux des
peintres, il les fait réagir contre leur indifférence. Il montre la partie banale, stéréotypique
de la peinture de son temps où la manière à laquelle les modèles posent, leur
conformation anatomique était plus connue et infiniment répétée. Il libère la peinture des
quelques préjugés en ce qui concernait le publique et les critiques d’art qui jugeaient
l’œuvre de leurs contemporaines seulement à travers leurs vision, en ce qui concerne le
sujet.
En ce qui concerne l’exécution, Delacroix a présenté l’une des techniques utilisée
après lui. Il découvrait la manière dont se comportent les couleurs en nature, unes face
aux autres et dans les modèles que le peintre avait toujours devant lui.
La lumière est donc l’agent principal qui donne de la vie, qui aime et qui modifie
constamment les paysages, même si les éléments qui les composent restent comme ça.
Quand elle est présente, la nature scintille en mille couleurs, est joyeuse, plein de couleur,
et vibre tout le temps, mais quand elle est absente, tout est sombre, la couleur perd sa
fraîcheur et les nuances tendent toutes vers gris.
Les impressionnistes regardent la lumière comme la force qui change tout, qui
varie d’une saison à l’autre, du moment de la journée, si le ciel est clair ou couvert par
31
des nuages, si le vent souffle ou si l’atmosphère est calme contrairement aux peintres
antérieures qui croyaient que la peinture de la nature ne diffère pas même si elle souffre
des changements pendant les années ou pendant la journée.
La sensibilité vigilante et fraîche en présence du motif c’est l’apanage du groupe
impressionniste. L’effet de leur attitude est en première place la libération des instincts
pour lesquels avaient lutté Courbet et Manet. Les théories impressionnistes ont été
rejetées par plusieurs critiques et les peintres étaient contraints de combattre ces
affirmations. (OPRESCU, 1986 :167)
Dans la fraîcheur du premier regard, nous voyons Mallarmé et Zola plaidant,
chacun à sa manière, pour Manet, ou bien Huysmans et Fénéon décrivant, dans des pages
très travaillées, les femmes au tub de Degas. Deux tendances, sinon deux générations,
s'affrontent ici, qui proposent deux conceptions, deux lectures. Rien de commun entre les
exigences de Duranty (il veut «enlever la cloison qui sépare l'atelier de la vie commune»)
et les préoccupations formelles de Duret pour qui le sujet n'est qu'un «accessoire» devant
céder la place à la «valeur intrinsèque de la peinture en soi». Et tandis que pour
Castagnary l'impressionnisme n'est rien de plus que l'issue logique du naturalisme, Paul
Adam y voit une «école d'abstraction», et Mallarmé définit la peinture comme un art «fait
d'onguents et de couleurs. Ils sont contemporains des huit expositions qui virent le
mouvement se constituer en école, subir les assauts d'une critique malveillante («singes»,
«toqués», «barbouilleurs», «communards»), triompher et se dissoudre à la fin, rongé par
les conflits internes. (http://membres.lycos.fr/michelmirbeau/darticles%20francais/Lair-
impressionnisme.pdf)
Le poète, romancier, peintre et critique d'art français, Pierre Jules Théophile
Gautier est le premier à défendre l’impressionnisme. En 1860, il écrit un long article dans
La Gazette des Beaux intitulé Arts Exposition de tableaux modernes dont il ne défend pas
seulement des Meissonier et Roqueplan, mais plutôt le romantisme et les environs de
Barbizon : Ingres, Delacroix, Millet, Diaz, Corot, etc. Cependant, il s’efforce à suivre la
peinture nouvelle, même s’il ne la comprend pas. Il soutient Manet en 1861, puis se
rétracte plus ou moins. Rendant compte du Salon de 1868, il se remémore l’hostilité
rencontrée par la peinture aujourd’hui admirée et cela l’incline à la modération et à la
tolérance. Gautier dit que Manet et Moreau sont « aux deux pôles de l’art ». La
32
comparaison de Manet avec Théodore Rousseau et la proximité immédiate dans laquelle
Gautier place Courbet instaurent un malentendu que l’on retrouvera chez Zola ou
Stevenson : « ’impressionnisme comme forme du réalisme » (FAUCHEREAU, 1994 :
27)
Le célèbre poète français, Charles Pierre Baudelaire peut être nommé comme le
prophète de l’impressionnisme. Dans son article, Peintres et aqua-fortistes à la page
consacrée à Boudin, on peut remarquer la chaleur avec laquelle Baudelaire aurait
accueilli l’impressionnisme, s’il avait vécu plus longtemps. « Depuis l’époque
climatérique où les arts et la littérature ont fait en France une explosion simultanée, le
sens du beau, du fort et même du pittoresque a toujours été diminuant et se dégradant.
Toute la gloire de l’École française, pendant plusieurs années, a paru se concentrer dans
un seul homme dont la fécondité et l’énergie, si grandes qu’elles soient, ne suffisaient pas
à nous consoler de la pauvreté du reste. […] M. Manet est l’auteur du Guitariste, qui a
produit une vive sensation au Salon dernier. On verra plusieurs tableaux de lui empreints
de la saveur espagnole la plus forte, et qui donnent à croire que le génie espagnol s’est
réfugié en France. […] Il était naturel que ces artistes se tournassent surtout vers un genre
et une méthode d’expression qui sont, dans leur pleine réussite, la traduction la plus nette
possible du caractère de l’artiste… » (FAUCHEREAU, 1994 : 39)
Dès 1865 environ, les noms de Monet, Pissarro, Degas glorifieront celui de
Manet, exemple même de l’artiste fier et intransigeant. Ses premières interventions en
faveur de ces révolutionnaires annoncent déjà la volonté de théoriser qui s’exprimera en
1880 dans Le Roman expérimental et constituent l’équivalent pictural de ce manifeste.
Car Zola annexe sans plus de difficultés le mouvement impressionniste au naturalisme
littéraire ; les appellations choisies, au demeurant, ne trompent pas, l’assimilation
transparaissant dans l’identité des dénominations : « actualistes », « naturalistes »...
(http://membres.lycos.fr/michelmirbeau/darticles%20francais/Lair-impressionnisme.pdf)
L’image de l’écrivain Emile Zola est celle de « défenseur des impressionnistes »
mais il ne peut être regardé seulement comme leur meilleur protecteur, mais aussi comme
un de leur aimé critique. En 1876 il rend compte du Salon et de la première exposition du
groupe impressionniste puis, en 1877, de nouveau, du Salon. Dans les deux cas il parle
sans aménité des impressionnistes, comme s’ils n’avaient jamais encore produit d’œuvre
33
majeure. En 1880, à la naïve demande de Cézanne, il revient à la critique sous le titre Le
naturalisme au Salon et se montre bien injuste envers ses anciens amis qu’il traite comme
des débutants dont on attend encore des solides réalisations. « Certaines artistes se sont
donc réunis pour exposer leurs œuvres dans une salle louée pour eux. Les uns, comme
MM. Claude Monet, Renoir et Pissarro, étaient irrités de se voir chaque année refusés par
les jurys des Salons, qui croyaient devoir protester ainsi contre leur tendance artistique ;
les autres, comme M. Degas, étaient bien reçus chaque année, mais ils se sentaient si peu
regardés, qu’ils voulaient être chez eux pour s’accrocher eux-mêmes en belle place et
triompher tout seuls. » Il parle sur chaque peintre et sur leur attitude vers le Salon. « M.
Renoir fut le premier à comprendre que les commandes n’arriveraient jamais par ce
moyen ; et, comme il avait besoin de vivre, il commença à envoyer au Salon officiel, ce
qui le fit traiter de rénégat.[…] Et j’insisterai plus encore dur le cas de M. Claude Monet.
Voilà un peintre de l’originalité la plus vive qui, depuis dix ans, s’agite dans le vide,
parce qu’il s’est jeté dans des sentiers de traverse, au lieu d’aller tout bourgeoisement
devant lui. […] En somme, M. Degas seul a tiré un véritable profit des expositions
particulières des impressionnistes ; et il faut en chercher la raison dans le talent même de
la peinture. M. Degas n’a jamais été un persécuté, aux Salons officiels. » Il présente aussi
l’influence que les impressionnistes ont eu en ce moment-là sur l’école française. « Cette
influence est considérable. Et j’emploie ce mot ici d’ « impressionniste », parce qu’il faut
bien une étiquette pour designer le groupe de jeunes artistes, qui, à la suite de Courbet et
de nos grands paysagistes, se sont voués à l’étude de la nature ; autrement, ce mot me
semble étroit en lui-même et ne signifie pas grand-chose. »
Zola souligne l’importance des peintres impressionnistes en parlant sur leur
contribution mais il met aussi en évidence le mécontentement de ce courant. « Voilà
donc ce qu’apportent les peintres impressionnistes : une recherche plus exacte des causes
et des effets de la lumière influant aussi sur le dessin que sur la lumière. On les a accusés
avec raison de s’être inspirés des gravures japonaises, si intéressantes, qui sont
aujourd’hui entre toutes les mains. Il y avait là une simplicité de moyens et une intensité
d’effet qui ont frappé nos jeunes artistes et les ont poussées dans cette voie de peinture
trempée d’air et de lumière, où s’engagent aujourd’hui tous les nouveaux venus de talent.
[…] Le grand malheur, c’est que pas d’un artiste de ce groupe n’a réalisé puissamment et
34
définitivement la formule nouvelle qu’ils apportent tous, éparse dans leurs œuvres. La
formule est là, divisée à l’infini ; mais nulle part , dans aucun d’eux, on ne la trouve
appliquée par un maître. Ce sont tous des précurseurs, l’homme de génie n’est pas né.
[…] Voila pourquoi la lutte des impressionnistes n’a pas encore abouti ; ils restent
inférieurs à l’œuvre qu’ils tentent, ils bégayent sans pouvoir trouver le mot. »
(FAUCHEREAU, 1994 : 83)
Dans le journal L’Evénement il consacre un article, Adieux d’un critique d’art au
Édouard Manet. Il parle sur l’opinion de la majorité sur le peintre et ses œuvres et aussi il
affirme qu’il est le premier a louer sans restriction Manet. « J’ai taché de rendre à M. Manet
la place qui lui appartient, une des premiers. On rira peut-être du panégyriste comme on a ri du
peintre. Un jour, nous serons venges tous deux. Il y a une vérité éternelle qui me soutient en
critique : c’est que les tempéraments seuls vivent et dominent les âges, il est impossible, -
impossible, entendez-vous-, que M. Manet n’ait pas son jour de triomphe, et qu’il n’écrase pas les
médiocrités timides qui l’entourent. »
Pour Zola, souligner la volonté qu’ont ces peintres de réhabiliter la réalité dans ce
qu’elle a de trivial, de repoussant, permet de démontrer la parenté d’idéal entre l’écrivain
moderne qu’il est et Monet ; celui-ci, sous la plume de Zola, excelle à peindre :
« [...] de petits flots verdâtres [...] en mares glauques » [...] ou « l’eau dormante des ports
étalée par plaques huileuses [...] la grande eau livide de l’énorme océan qui se vautre en
secouant son écume salie [...] brisant contre les blocs de béton des vagues boueuses,
jaunies par la vase du fond. »
L’article critique Lettres de Paris : deux expositions d’art au mois de mai est un
des plus favorables aux impressionnistes parce qu’il parle sur le style et sur le talent de
chaque peintre. Il finit l’article avec la conclusion que l’impressionnisme est « le
mouvement révolutionnaire qui s’amorce transformera assurément notre école française d’ici
vingt ans. Voilà pourquoi j’éprouve une tendresse particulière pour les novateurs pour ceux qui
marchent hardiment en avant, ne craignant pas de compromettre leur carrière artistique. On ne
saurait leur souhaiter qu’une chose :c’est de continuer sans vaciller ce qu’ils ont commencé, et de
trouver dans leur milieu un ou plusieurs peintres assez doués pour fortifier par des chefs-d’œuvre
la nouvelle formule artistique »
Avec plusieurs de ses contemporaines (Stevenson, Huysmans) Zola partage le
point de vue que l’impressionnisme est une formule de réalisme, parce qu’ils peignent ce
35
qu’ils ont sous les yeux et non pas des scènes mythologiques ou des reconstitutions
historiques. Il les appellera aussi « actualistes » et finalement « naturalistes », comme
s’ils produisent une version plastique du roman naturaliste dont Zola est lui- même le
principal représentant. Désormais, les impressionnistes savent qu’ils ne peuvent plus
compter sur Zola comme allié. Il n’écrira d’ailleurs plus rien en leur faveur et L’œuvre
(1886), roman d’un peintre raté où chacun put reconnaître Cézanne, met un point final à
leurs relations. (FAUCHEREAU, 1994 : 52)
Verlaine et Rimbaud sont associés le plus souvent aux peintres impressionnistes
mais ils sont vus comme les amis qui « fraternisaient à la même table » avec le peintres et
non comme des critiques sur la peinture. Verlaine a assez peu écrit sur la peinture. Le
petit texte sur le portrait de Mallarmé est extrait de l’avertissement dont il a fait précéder
son recueil des Poètes maudits (1884). Stéphane Mallarmé a beaucoup aimé des peintres,
et ceux-ci le lui rendaient bien. Les seuls textes écrits par Mallarmé sur la peinture sont
sur Manet, Whistler et Berthe Morisot.
Le poète et critique d’art Jules Laforgue a été un grand connaisseur d’art qui a
enrichi les études impressionnistes sur la lumière et sur la couleur. Selon lui l’œil
impressionniste est dans l’évolution humaine l’œil le plus avancé, celui qui a saisi et a
rendu les combinaisons les plus compliquées connues. Il dit que le peintre
impressionniste voit et rend la nature telle qu’elle est, c’est-à-dire uniquement en
vibration colorées. « Ni dessin, ni lumière, ni modèle, ni perspective, ni clair obscur, ces
classifications enfantines : tout cela se résout en réalité en vibrations colorées et doit être
obtenu sur la toile uniquement par vibrations colorées. » (FAUCHEREAU, 1994 : 143)
Pour les écrivains du XIXe siècle et XXe siècle le mouvement impressionniste a
eu un impact vraiment colossal et non seulement parce qu’il a laissé un témoignage
précieux pour l’histoire de l’art mais parce qu’il a changé tous les arts : photographie,
sculpture, musique, littérature, etc.
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Chapitre II
Le primat de la sensation et ses corrélats :
pictural et littéraire
L’esthétique impressionniste est structurée à la façon d’une syntaxe. Pour elle il
n’y a que des faits, qu’un univers lisible, perceptible par les sens et mesurable par
l’intelligence. Elle assure l’autonomie d’un style unitaire et cohérent dont les dimensions
spirituelles n’ont rien en commun avec les spéculations esthétiques et philosophiques
habituelles, rien en commun non plus avec la religion, la mystique, l’histoire etc.
Son domaine est celui des idées concrètes, voire banales, mais réduites aux proportions et
à l’échelle humaine. L’impressionnisme va aussi beaucoup plus loin que la fidélité
naturaliste en se laissant emporter par le sentiment de la vie réelle et en glorifiant le fait
exact, grâce à une observation minutieuse, hostile à toute spontanéité comme a tout
élément fortuit. Pour en préciser le sens esthétique, l’écrivain pose comme premier
principe la vérité optique qui, pour le peintre, équivaut à la perception sensorielle.
Pour ce qui est des principes démocratiques l’impressionnisme considérait tous
les hommes égaux et voulait que l’évolution de la société et des idées introduisît des
rapports sociaux démocratiques et progressistes. Adepte de la démocratie, l’artiste
reconnaît le joug de la féodalité et de l’académisme. C’est grâce à l’impressionnisme que
s’accomplit la révolution que incorpora à l’art la science, la technique et la photographie.
C’est lui aussi qui révéla les liens intimes unissant la peinture à la littérature et à la
musique. Peintres, écrivains, compositeurs faisaient triompher la sensation aux dépens de
la méthode rationaliste, célébraient les faits matériels, notaient au vol leurs impressions et
le mouvement le plus fugace.
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Aux yeux des impressionnistes l’univers était l’expérience, la sensation du moi, et
rien d’autre. Hostile à toute connaissance métaphysique située en dehors du « moi »,
l’impressionnisme était proche de la réalité objective. À cet égard, un certain aspect du
positivisme d’ Auguste Comte, le naturalisme, l’art de Courbet, le matérialisme
scientifique, qui, à la même époque prenait les allures d’une science de la société lui
avaient frayé la voie.
2.1. Le primat de la sensation
Dès le milieu du XIX e siècle, en France et ailleurs, partout où se développait la
vie urbaine, l’industrie et l’économie, on découvrait le sentiment de la nature, en
peinture, mais aussi en littérature et en musique.
Le compositeur, pianiste et poète Ernest Cabaner qui mit en musique quelques
poèmes de ses contemporaines notamment de Baudelaire et de Mallarmé et qui fréquenta
les impressionnistes au Café Guerbois, le salon de Nina de Villard et le Cercle des
Zutistes évoque la difficulté d’exprimer la sensation pure à travers le langage :
« Ce qui est impossible, dit-il, c'est l’absolu. Il est impossible de parler en revenant
continuellement sur le chemin parcouru, à savoir, de ne pas prononcer une seule syllabe nouvelle
sans répéter toutes les syllabes prononcées auparavant. L'homme n'est pas capable d'une puissance
telle. Il n’y a que Dieu, et je m’avance beaucoup. Il est encore impossible de faire un poème
épique, de plusieurs milliers de vers, qui serait un chef-d'oeuvre, parce qu'il donnerait au lecteur
intéressé par l’intrigue les sensations les plus diverses et les plus émouvantes, et qui, cependant, ne
serait écrit dans aucune langue connue, mais avec des assemblages habiles de voyelles et de
consonnes sans signification. Qui sait ? Ce travail n’est pas impossible, il est seulement difficile,
puisque voici le commencement de la chanson de la petite pluie: Flic, Floc, Floc, Flic. »
(DÉCAUDIN, 1870-1900 : 136)
La nature même de cette esthétique est ici en cause. Il n’est pas permis au poète
de n'être, selon la formule du peintre, qu' « un œil, une main ». Le grand animateur de la
vie parisienne et ami intime de Rimbaud et des impressionnistes Ernest Cabaner dit que
le mot est toujours chargé d'un contenu affectif ou intellectuel, il ne se réduit pas à la pure
sensation que provoque la tache colorée parce qu’il n’est pas sûr s’il peut atteindre aux
38
mêmes effets. L'inspiration impressionniste de 1872-1873 n’a été qu'une étape dans
l’évolution de Verlaine et il a bien senti que la poésie avait d'autres choses, plus
profondes et plus graves, à exprimer. L'impressionnisme pur est, dans les arts du langage,
un pari et c'est pourquoi on le voit si souvent se fondre dans d'autres tendances.
L’écrivain d’origine polonise Téodor de Wyzewa rattache la peinture impres-
sionniste à sa conception idéaliste de l’art mais il ne distingue pas la sensation de
1'emotion. L'originalité de 1’école nouvelle consiste selon lui à avoir introduit dans la
peinture un facteur émotionnel.
Émile Adolphe Verhaeren, poète belge flamand, d'expression française avait écrit
que dans ces jours-là on partait de la chose vue, ouïe, sentie, tâtée, goûtée, pour en faire
naître l’évocation et la somme par l’idée. « Un poète regarde Paris fourmillant de lumières
nocturnes, émietté en une infinité de feux et colossal d'ombre et d’étendue. S'il en donne la vue
directe, comme pourrait le faire Zola, c'est-à-dire en le décrivant dans ses rues, ses places, ses
monuments, ses rampes de gaz, ses mers nocturnes d'encre, ses agitations fiévreuses sous les astres
immobiles, il en présentera, certes, une sensation très artistique, mais rien ne sera moins
symboliste. Si, par contre, il en dresse pour l’esprit la vision indirecte, évocatoire, s'il prononce: «
une immense algèbre dont la clé est perdue », cette phrase nue réalisera, loin de toute description
et de toute notation de faits, le Paris lumineux, ténébreux et formidable. » (DÉCAUDIN, 1870-
1900 : 141).
L’impressionnisme est le seul courant qui préserve la sensation telle qu’elle est
perçue. À la différence du poète impressionniste qui se laisse prendre aux séductions
fugaces du monde de sensations le poète symboliste exorcise les sensations et va au-delà
des apparences. Ce qui est fin en soi pour l'artiste impressionniste n'est pour l’artiste
symboliste qu'une étape dans la quête de 1'absolu. N'est-ce pas là le sens de
l’impressionnisme de Mallarmé ou de celui de Valéry ? Les écrivains qui adoptent la
vision impressionniste sont insatisfaits et quand ils découvrent Mallarmé, leur choix
change. Le poète Francis Vielé Griffin dit que le petit salon de la rue Condorcet, que
décoraient des plâtres d’art et des peintures de Raffaëlli, était tout à «l’impressionnisme»,
en peinture et en littérature et voulait fixer des « instants de vie ». Zola qui est vécu dans
la même période, avec son gros crayon déformait la vision vitale, avec l'illusion de
transcrire la vérité.
39
La littérature impressionniste est dépassée de celle symboliste qui traduit d'heure
en heure la sensation directe et l’obligation, et use jusqu’à l'abus des facultés sensorielles,
en vivant sans doute, mais vivant bassement sans ordre. D'autre part, le devoir d’un
écrivain plus qu’impressionniste préconise d'intensifier la vie cérébrale par le triage et le
choix des sensations transposées. Les artistes qui suivront veulent se détourner d'un art
matériel d'expression plastique, vers un art spirituel d'expression musicale.
L’écrivain, poète, critique et théoricien de l'art français de la fin du XIXe siècle,
George Albert Aurier qui, définissant ce qu'il appelle l’art idéiste ou symboliste, s'oppose
à l’impressionnisme : « L'impressionnisme, c'est et ce ne peut être qu'une variété du
réalisme, un réalisme affiné, spiritualisé, de dilettantisme, mais toujours le réalisme. Le
but visé c'est encore 1'imitation de la matière, non plus peut-être avec sa forme propre, sa
couleur propre, mais avec sa forme perçue, avec sa couleur perçue, c'est la traduction de
la sensation instantanée, avec toutes les déformations d'une rapide synthèse subjective. »
(DÉCAUDIN, 1870-1900 : 141)
À l’heure actuelle, à en juger d’après le critique d'art français, Gaëtan Picot dans
son Panorama de la littérature française Proust appartiendrait à « la génération
exceptionnelle » qui aurait donne à la France ses « derniers classiques » et qui renouvelle
la littérature comme les impressionnistes renouvellent l’art. Le problème essentiel autour
duquel gravite la construction proustienne tout entière, c’est le problème du temps.
Comme les peintres impressionnistes, Proust cherche à surprendre l’instant avec
tous ses sensations, jamais semblables aux celles du moment précédent ou ultérieur. Son
style est une juxtaposition d’impressions, un amalgame du concret et de l’abstrait. Les
symbolistes essayaient de saisir les instants par l’intermédiaire des synesthésies, des
sensations visuelles, auditives, olfactives et tactiles. Les impressionnistes surprenaient le
temps à l’aide de la variation de la lumière aux différents moments de la journée. Vivant
à l’époque de gloire de l’impressionnisme et du symbolisme Proust a transposé dans son
roman À la recherche du temps perdu une part des principes et des modalités de création
des ces deux courants en utilisant la synesthésie et essayant de retenir la sensation que
l’on ne peut confondre de chaque moment vécu. (DRÎMBA, 1993: 227)
Proust compare la mémoire habituelle ou volontaire aux mauvais peintres qui
donneraient à tout un passé étendu sur une même toile des tons conventionnels et tous
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pareils. Ce passé est une superposition successive de nos « moi » qui, avec l’écoulement
des années, peut devenir gigantesque. Une simple excitation, une sensation quelconque
suffit pour provoquer de tels soulèvements. Seulement, celle sensation ce n’est pas
l’œuvre de notre volonté ou de notre intelligence. Elle est l’œuvre du pur hasard, ayant la
faculté prodigieuse de déclencher tout un monde vécu, d’amener à la surface un de nos
« moi » anciens qui dormait depuis longtemps sous les couches des années. On se
souvient mais c’est pour revivre.
Ainsi, la saveur d’une madeleine, trempée dans une tasse de thé porte en elle la
vertu d’une véritable résurrection : le narrateur, accablé par une morne journée se trouve
comme par miracle transporté dans un état de félicité indicible comme si la tasse de thé
eût contenu un breuvage enchanté. Cette analogie surprenante situe Proust à un certain
moment de la durée. La simultanéité entre l’état d’âme et la sensation établit une
réciprocité, une interaction, ce que Proust le comprend assez clairement et arrive à la
conclusion : « Mais qu’un bruit, qu’une odeur, déjà entendu ou respirés jadis, le soient de
nouveau, à la fois dans le présent et dans le passé, réels sans être actuels, idéaux sans être
abstraits, aussitôt l’essence permanente et habituellement cachée des choses se trouve
libérée, et notre vrai « moi » qui, parfois, depuis longtemps, semblait mort, mais ne l’était
pas entièrement, s’éveille, s’anime, en recevant la céleste nourriture qui lui est apportée.
Une minute affranchie de l’ordre du temps a récrée en nous, pour le sentir, l’homme
affranchi de l’ordre du temps. Et celui-là on comprend qu’il soit confiant dans sa joie,
même si le simple goût d’une madeleine ne semble pas contenir logiquement les raisons
de cette joie. » (LAGARDE, 1962 : 247)
Pour les impressionnistes, écrivains ou peintres, la représentation spontané des
sensations et des perceptions des êtres humains et des événements naturels est plus
importante que la représentation de la réalité même. (WORLD BOOK
ENCYCLOPEDIA, 1993 :95)
2.2. La place de la tache et son effet sur la rétine
41
Les impressionnistes avaient purifié la couleur, ils l’avaient débarrassée de la
« sauce brune », du clair-obscur artificiel, pour permettre aux couleurs de vibrer de toute
leur intensité naturelle. Mais ce qu’ils avaient essayé de créer, on a pu l’appeler un
« cocktail visuel » ; c’est-à-dire une juxtaposition de couleurs qui s’unissent et donnent
naissance, dans l’acte même de la perception, à l’impression de la vie. Leur utilisation de
la perception fut aussi impressionniste que leur emploi de la ligne, ce qui, chez un peintre
tel que Renoir, devait mener à un mélange de la couleur, absolument distinct de ce que
Cézanne entendait par modulation. Moduler signifie plutôt ajuster une zone de couleur
aux zones de couleurs voisines, processus continu qui accorde la multiplicité à l’union de
l’ensemble. Cézanne découvrait que la solitude ou la monumentalité d’une peinture tient
autant à cette « maçonnerie » patiente qu’à la conception architecturale de l’ensemble. Le
résultat du point de vue de la réalité picturale, est une apparente rupture de la surface
plate d’une zone de couleur en une mosaïque de facettes colorées distinctes les uns des
autres. Ce processus devient de plus en plus évident au fur et à mesure de l’évolution de
Cézanne ; il l’est particulièrement dans une œuvre comme « Le Jardin des Lauves » ou
dans les aquarelles des dernières années, comme « Le Paysage au moulin ». Un détail
isolé pris dans n’importe quelle œuvre postérieure à 1880 montrera la même surface
construite en mosaïque. Mais il ne faut pas oublier que ce que nous isolons de la sorte
pour en disséquer les différents plans, est complètement intégré à l’œuvre prise comme
un tout. Pour Cézanne, la justification de cette technique, c’est qu’elle est une « bonne
méthode de construction ».Comme dans tout monument architectural achevé, nous ne
devons pas remarquer les différents éléments qui, ensemble, forment un tout.
(HERBERT, 1960 : 19)
L’indication la plus claire de la direction qu’allait prendre l’art au XXe siècle, on
peut la trouver dans l’art inachevée d’un génie mort trop tôt : Georges Seurat (1859-
1891). Etudiant à l’École des Beaux-arts, Seurat investigue sur les traités scientifiques
courants sur l’optique et la couleur, et en particulier ceux d’Eugène Chevreul sur la
division de la lumière en couleurs fondamentales. Se fondant sur cette théorie Seurat
élabora la technique qui devait être connue sous le nom de pointillisme, quoiqu’il
préférait à ce terme celui de divisionnisme. Elle consistait à isoler dans les couleurs qui se
trouvaient dans la nature les éléments premiers qui les constituaient, et à transférer ces
42
derniers sur la toile dans leur état pur ou primaire, sous forme de petits traits ou de petits
touches de pinceau, en laissant à la rétine du spectateur la tache de recombiner ces tons
en une « mixture optique ». L’objectif final, naturellement, était de conserver les couleurs
de la nature dans toute leur réalité et leur vivacité, ambition qui remontait à Constable et
Delacroix. Ses recherches sur la couleur qui n’auraient pas été plus loin que ses amis
impressionnistes ont été suivies par des recherches sur la ligne et, d’une façon plus
générale, sur le fondement scientifique de l’harmonie esthétique.
Charles Henry, mathématicien extrêmement brillant et d’une fécondité
extraordinaire, semble avoir nourri l’ambition de réconcilier la société et l’art dans une
sorte de synthèse intellectuelle plus élevée, ce que Paul Valery appela « un système unifié
de la sensibilité et de l’activité humaine » . Le but final que Seurat se proposait était un
« art de l’harmonie ». L’harmonie peut être réduite à des éléments de ton, de couleur et
de ligne, comme il le dit dans sa fameuse « esthétique » et ces harmonies peuvent
exprimer des sentiments de joie, de calme ou de tristesse. Les moyens doivent être l’objet
de calculs, mais les effets sont incalculables puisqu’ils jouent sur l’éventail infini de la
sensibilité humaine. Avec la mort de Seurat, meurt le pointillisme aussi, mais il donnera
naissance à d’autres effets qui, plus tard, auront une grande importance artistique. Seurat
a apporté non pas une technique ou l’idée que l’esthétique devait être fondée sur la
science mais une prise de conscience de problèmes intérieurs à la démarche artistique
elle-même, problèmes qui ne pouvaient être résolus que par une transformation radicale
de la signification de l’art en tant que connaissance du monde. Le vieux langage de l’art
ne convenait désormais plus à la conscience humaine : un nouveau langage devait être
créé, syllabe par syllabe, image par image, avant que l’art puisse encore une fois être
nécessité sociale aussi bien qu’individuelle. (HERBERT, 1960 : 39)
Asservir la couleur en fonction des nouvelles connaissances scientifiques ne suffit
cependant pas à Seurat et Signac: il faut également aller au-delà de la spontanéité et de la
méthode intuitive propres aux impressionnistes. Paul Signac soutenait que la première
préoccupation du peintre devant sa toile, doit être de «décider quelles courbes et quelles
arabesques vont en découper la surface, quelles teintes et quels tons la couvrir. » Conduit
par la tradition et par la science, il harmonisera la composition à sa conception, c'est-à-
dire qu'il adaptera les directions et les angles, les tons, les teintes au caractère qu'il voudra
43
faire prévaloir. La dominante des lignes sera horizontale pour le calme, ascendante pour
la joie, et descendante pour la tristesse, avec toutes les lignes intermédiaires pour figurer
toutes les autres sensations en leur variété infinie. « Un jeu polychrome, non moins
expressif et divers, se conjugue à ce jeu linéaire: aux lignes ascendantes, correspondront
des teintes chaudes et des tons clairs; avec les lignes descendantes, prédomineront des
teintes froides et des tons foncés; un équilibre plus ou moins parfait des teintes chaudes et
froides, des tons pâles et intenses, ajoutera au calme des lignes horizontales. Soumettant
ainsi la couleur et la ligne à l'émotion qu'il a ressentie et qu'il veut traduire, le peintre fera
œuvre de poète, de créateur.»11
La notion d’impressionnisme littéraire est devenue objet historique; en même
temps que le discours informé abandonnait les positions axiologiques qui étaient celles
des premiers commentateurs pour une description plus objective, la connaissance de la
période gagnait en rigueur grâce à l'apport des méthodes de travail venues des sciences
humaines. Il n'en est que plus remarquable qu'un consensus semble avoir prévalu depuis
le début pour dégager comme un trait définitoire majeur du style littéraire impressionniste
(en son acception historique ou transhistorique) ou de certains aspects de 1'écriture, telle
la substantivation de l'adjectif, confèrent une certaine autonomie à la notation de la
«sensation» et pour en faire un équivalent littéraire du primat de la tache chromatique sur
la forme objectale, censé caractériser la vision impressionniste de peintres comme Monet
ou Pissarro.
Le premier qui a parlé d’un «impressionnisme littéraire »fut le critique littéraire
français Ferdinand Brunetière dans son article qui contenait un certain nombre de
remarques que ses successeurs sauront exploiter et approfondir. Il a entrevu le principe et
il le formulait ainsi: « Ouvrir les yeux d'abord, les habituer à voir la tache et habituer la
main en même temps à rendre pour l'œil d’autrui ce premier aspect des choses. »
L’écrivain français Alphonse Daudet a été le premier qui avait donné des
exemples pour exprimer le primat de la sensation et la place de la «tache » dans le
roman Les Rois en exil : « Des deux femmes on ne voyait que des cheveux noirs, des cheveux
fauves, et cette attitude de mère passionnée. » ; « II se fit conduire à son cercle, y trouva quelques
calvities absorbées sur de silencieuses parties de whist, et des sommeils majestueux autour de la
11 http://agora.qc.ca/mot.nsf/Dossiers/Neo-impressionnisme
44
grande table du salon de lecture. » Les termes chargés selon lui d'exprimer le primat de la
sensation et de tenir dans la phrase la place de la «tache » («cheveux noirs», «cheveux
fauves», «calvities ») sont des syntagmes qui sont transformes en substantifs. Ils sont
dotés d'un fort coefficient eidétique12 admettant l'identification des substantifs dénotant
des objets à des concepts objectaux. Il n'y a donc pas ici de «taches» au sens où l’on tient
que la peinture impressionniste en comporte, mais seulement des objets pourvus de leur
ton local (des mots dénotant des objets, etc.). Par ce phénomène on ne voit pas des
masses colorées et lumineuses (des taches) à la place des objets, mais des objets vus de
très près, en gros plan. S'il fallait à toute force trouver des comparants dans le domaine
pictural, on devrait aller les chercher non dans la technique tachiste le « non finito »13 de
pochade14 que présente un large pan de la peinture impressionniste, mais dans les
cadrages qui mettent en forme l'espace représenté et dont on sait que les impressionnistes
(en particulier Manet, et Degas) trouvèrent des modèles dans l'estampe japonaise.
Selon le mot de Brunetière, l’écrivain français Paul Bourget, aura été le premier à
isoler le trait verbal supposé «transposer» le primat de la sensation dans la revue En
ménage :
« N'est-il pas vrai que 1'écrivain a vu des objets, non plus leur ligne, mais leur tache,
mais l’espèce de trou criard qu’ils creusent sur le fond uniforme du jour, et qu’alors la
décomposition presque barbare de l’adjectif et du substantif s’est faite comme d’elle-même : - les
noirs de casquettes…les coups de rouge des gilets... ? »
De cette analyse Bourget croyait trouver une confirmation supplémentaire dans un
passage du feuilleton Césette écrite par l’écrivain français Emile Pouvillon, à propos
duquel il notait : « […] la tache affecte la rétine qui saisit non plus le contour, mais le
petit mouvement lumineux qui fait couleur. » En peinture si nous fixons pendant une
dizaine de secondes une teinte et nous regardons ensuite une feuille blanche nous voyons
12 vif, détaillé, d'une netteté hallucinatoire, qui concerne l’essence des choses par opposition à leur réalité sensible (LAEOUSSE, 1993 : 922)13 L'esthétique de l'inachevé ou le « non finito » (selon le terme italien) est une désignation données aux sculptures inachevées par l'artiste, volontairement ou non. (http://fr.wikipedia.org/wiki/Non_finito)14 La pochade est une technique de peinture permettant de faire des croquis préparatoires avancés ou des croquis sur le vif en peinture. Cela peut être un croquis de modèle vivant à la peinture en une ou plusieurs dizaines de minutes ou un croquis de paysage sur le terrain. La technique de la pochade implique des séchages rapides afin d'exécuter dans un minimum de temps le croquis.(http://fr.wikipedia.org/wiki/Pochade )
45
apparaître sur la feuille la couleur contraire. En fait, c'est quand on regarde une couleur
en étant concentré dessus, puis, soit on ferme les yeux, soit on regarde une feuille
blanche, on voit alors apparaître la couleur complémentaire.
L'effet peut être attaché à la substantivation de l'adjectif qui donne une sensibilité qui
attire l’attention. Dans un article de synthèse, le professeur de littérature du XXe siècle
Henri Mitterrand va énoncer de nouveau le principe général dégagé par Brunetière :
« [...] l'essentiel est pour 1'écrivain de fixer sur sa page, comme le peintre sur sa
toile, certaines qualités de la vision, la substance ou l'objet de cette vision passant au
second plan. »
L’écrivain français Alain Pagès s’arrête aux emplois au pluriel de certains
substantifs, du type « des gaietés », « des blancheurs » «
« La qualité est mise en avant, au détriment de la réalité qui sert de support ; l’emploi du
pluriel renforce la notation de l'impression, donne la vision du concret :(alors que l'article défini
singulier pousse vers la généralisation) ; il décompose la surface de l'objet en touches multiples -
produisant des effets comparables à ceux qui sont crées dans la peinture de la même époque. »
Aussi le professeur de philosophie Françoise Gaillard, scrutant le groupe « des
blancheurs de femmes », retrouve le questionnement même de Brunetière : « Qu’est-ce
qui, en effet, a été vu ? D’abord des taches blanches produisant sur l’œil un effet de
blancheur presque aveuglant… Ensuite des formes ont été distinguées, puis identifiées
comme étant des femmes. »
II y a plusieurs façons d'aborder et de traiter le problème posé par le système de
corrélations que les analyses de l'impressionnisme littéraire ont mis en vedette (tache
visuelle-adjectif substantivisé versus forme objectale-substantif concret). L'une d'elles
consisterait à entreprendre l'opposition concret / abstrait qui imprègnent la métalangue
grammaticale et introduisent implicitement ou explicitement dans la description
linguistique un certain nombre d'hypothèses causales sur le rapport du locuteur au monde
perçu et, plus généralement, sur les connexions entre fonctionnement langagier et activité
cognitive. Une autre stratégie serait de faire la part des inductions abusives que favorisent
dans le discours critique l'expression métaphorique et l’homonymie (ainsi de notation, de
touche, d' impression, de pointillisme, etc., appliqués tantôt au texte, tantôt au tableau):
après avoir montré que le discours sur l’impressionnisme littéraire est, sur ce point,
46
l'héritier d’une tradition humaniste et académique qui, depuis les paradoxes du poète grec
Simonide de Céos, a entretenu de telles confusions, il resterait à dégager les conditions
sous lesquelles des équivalences, des correspondances ou des transpositions entre deux
systèmes sémiotiques aussi différents que ceux de la littérature et de la peinture sont
possibles. Pour arriver à l'impressionnisme littéraire il faut repartir de l'impressionnisme
pictural. (VOUILLOUX, 2000 : 65)
2.3. L’écriture « un art verbal qui transpose les impressions »
« Un peintre, ou un poète, ne peut pas se détacher de la réalité pour s’isoler dans
un monde qui a uniquement du fantastique et de l’invention ». Le poète et peintre Franco
Santamarina dit que la peinture et la poésie « sont des formes très nobles de langage, qui,
même avec des signes différents ont le but de communiquer avec le sentiment »15.
Si l’on considère le XIXe siècle comme celui des révolutions politiques et
industrielles, il faut le voir aussi comme celui des paradoxes et des contrastes avec une
caractéristique particulière : une remarquable coïncidence entre l’évolution historique et
les courants culturels. Cette coïncidence met en relief leurs nombreuses interactions.
Jamais encore, peut-être la littérature et les arts n’auront été à ce point le reflet des
mentalités et des sensibilités.
Selon la thèse de Platon, l’art n’est que l' « imitation de la nature » et c’est
pour qu’on peut définir l’écriture comme un art verbal qui transpose les impressions, qui
restitue l’art visuel de la peinture impressionniste ou qui transpose les effets visuels de
celle-ci. Il est hautement significatif, que, chaque fois que les critiques commencent à
critiquer « ce qui est écrit » ils commencent par se demander « ce qui a été vu ».
N’importe quel soit la place du processus de la transposition l’essentiel est que, si
l’écrivain fait voir les choses à son lecteur comme certaines peintres, c’est que lui-
même les a vues ainsi. Comme Ferdinand Brunetière l’avait déjà dit « de l’œil qui
voit à la main qui écrit, ce serait ni plus ni moins que la sensation. (VOUILLOUX,
2000 : 65)
15 http://web.tiscalinet.it/santamariaPoesia/prefazioni/pref2.htm
47
En littérature, comme en art, on ne peut perdre de vue les œuvres, infiniment et
indéfiniment réceptives et dont jamais personne ne peut affirmer avoir épuisé le contenu
et fixé la formule. C’est dire que la littérature n’est pas objet de savoir : elle est exercice,
goût, plaisir. On ne la sait pas, on ne l’apprend pas : on la pratique, on la cultive, on
l’aime.
Pour nous, la littérature, comme d’ailleurs l’art, la philosophie, sont avant tout des
langages, des moyens de l’homme de communiquer avec d’autres êtres qui peuvent être
ses contemporains, les générations à venir, Dieu ou des lecteurs imaginaires.
Sur le plan de la culture et de la diffusion des idées, le XIXe siècle connaît des
progrès notables. On comprend que l’homme de Lettres et l’artiste aient été concernés par
l’évolution d’une société dont ils sont à la fois les témoins, les porte-parole ou les
critiquent. Souvent mal acceptés, souvent mal à l’aise, ils sont observateurs miroirs d’un
monde qui les inspire et dont ils rejettent le conformisme. Mais ils laissent à la postérité,
par leurs œuvres, une illustration et un écho de l’histoire dans le domaine des
comportements et des mentalités. Ils la doublent, l’éclairent, faisant apparaître ce que le
récit des événements laisse dans l’ombre l’histoire des hommes.
Depuis, le XIXe siècle l’adjectif s’applique à l’expression des émotions et des
sentiments personnels, mouvements de l’âme, regrets, admiration, enthousiasme,
bonheur. C’est pourquoi on peut parler du lyrisme de Chateaubriand évoquant ses soucis
et ses aspirations : « Ainsi disant, je marchais à grands pas, le visage enflammé, le vent sifflant
dans ma chevelure. Ne sentant ni pluie ni frimas, enchanté, tourmenté et comme possédé par le
démon de mon cœur » (René Chateaubriand – « Le Génie du Christianisme »). La tonalité
lyrique étant associée à l’expression des sentiments, elle se reconnaît à plusieurs indices.
À l’époque de l’impressionnisme le lexique des écrivains saisissait tous les termes
exprimant les impressions, les sentiments, les émotions et les états d’âme. Du désespoir
au bonheur, ce vocabulaire englobe des mots que l’on retrouve aussi dans La Nuit de
Décembre de Musset : tristesse, douceur, solitude, amour, chagrin, cœur, larmes,
douleur « Du temps qui J’étais écolier, Je restai un soir à veiller, Dans notre salle solitaire. »
Le professeur de l’Université de Bordeaux, Bernard Vouilloux aborde la question
de la définition du champ « Texte/image » et dit que c’est un champ très large, aux
frontières floues. Il propose donc de le définir plus strictement par le couple « Verbal et
48
visuel » puisque « texte / image » a pour défaut de restreindre implicitement le champ
aux pratiques « artistiques ». Selon ses propres termes, parfois techniques, il s’intéresse à
la « notion de co-implication du verbal et du visuel dans les processus de symbolisation
(ou de sémiotisation), par visualisation ou par verbalisation, qui président à la production
et à la réception des textes et des images ». Le professeur considère un texte ou une
image comme des dispositions dynamiques d’énoncés et de visibilités. Son approche
cherche à rompre avec un certain nombre d’idées reçues qui obstruent l’« inter
discipline » des mots et des images.
« De même que le champ textuel se trouve implicitement réduit à celui de la
littérature, de même l’ensemble des images est-il implicitement réduit à celui des images
que la nature de leur médium (peinture à l’huile, sculpture…) fait considérer, dans le
paradigme esthétique qui est le nôtre, comme constitutivement artistiques ».
La notion de « visuel » c’est la notion la plus fréquente dans les collaborations
entre écrivains et artistes. Mais se pose un premier problème : « visuel » ne désigne pas
seulement des artefacts, mais aussi des éléments abstraits et de l’ordre de l’imagination
qui présente une différence de nature sur laquelle il faut sans doute insister davantage.
Une des causes de la mauvaise presse de la discipline « texte image » est justement
qu’elle passe beaucoup trop vite de l’objet visuel (tableau, dessin, photo…) au « visuel »
non palpable (dans le texte, dans l’imagination du producteur, du récepteur…). Le
professeur Vouilloux soutient que la dénomination permet tout d’abord d’englober tous
les artefacts visuels, qu’ils soient ou non iconiques, qu’ils soient ou non artistiques. Mais
elle peut aussi à s’étendre aux objets ou phénomènes naturels, en tant qu’ils sollicitent la
perception optique. Celle-ci s’appuie à des processus cognitifs tout aussi complexes que
ceux qui interviennent dans la compréhension des messages verbaux. « Dès l’instant, en
effet, où l’on accepte de travailler avec une hypothèse qui ne soit plus naïvement
perceptiviste et objectale, il devient impossible de ne pas prendre en considération, par
delà les artefacts iconiques à fonction esthétique, les objets et les expériences qui, dans
les textes et ailleurs, mobilisent le visuel. » (« Texte et image ou verbal et visuel ? », pp.
27-28)16.
16 http://www.poesie-arts.com/Bernard-Vouilloux-et-les-problemes.html
49
Le fait qu’on ne puisse prouver qu’un poète, ou un lecteur de poésie, a une
« vision », voit se former dans son esprit une image mentale rappelle le problème de la
performance par exemple : absence de documents, de preuves, et caractère unique de
l’événement. Cette caractéristique rapproche la poésie des arts de la scène. Bernard
Vouilloux justifie cet élargissement du cadre en expliquant que le couple « verbal /
visuel » permet de mieux comprendre le rapport : « Le véritable enjeu des études sur le
texte et l’image se trouve ailleurs que dans la sphère des relations existant entre certains
objets culturels possédant un statut artistique : les problèmes que posent ces relations ne
peuvent trouver les conditions de leur résolution que s’ils sont situés à leur niveau et
inscrits non plus seulement dans le cadre artistique et esthétique de la littérature et de la
peinture, mais dans le cadre sémiotique et anthropologique du verbal et du visuel. »
(« Texte et image ou verbal et visuel ? », p. 28)17.
Au début de l’article sur l’« impressionnisme littéraire » l’influence est présentée
comme une hypothèse rivale à celle de « l’air du temps ». Bernard Vouilloux propose une
typologie et détaille les modalités de l’influence jusqu’à l’indifférence. Il résume la
distinction fondamentale entre un rapport in « praesentia » et in « absentia ». Dans le
rapport in « praesentia », « l’image est effectivement coprésente au texte », tandis que
dans le rapport in « absentia » : « elle n’est que verbalement prédiquée ». Entre ces deux
pôles, il existe toute une échelle de possibles : « De l’allusion picturale la plus ténue, la
plus figée, à la collaboration effective d’un peintre et d’un écrivain produisant un objet
commun, toutes les possibilités sont comprises dans ces deux classes. » (« Langages et
arts visuels »). Bernard Vouilloux explique que le terme « poésie » est connoté dans la
sphère des études verbal / visuel, par l’ « ut pictura poesis18 » en particulier. La poésie
paraît donc traditionnellement plus légitime dans ce type de recherche, mais ce pour des
raisons historiques et non à cause du statut textuel de la poésie. Une autre cause de ce
statut à part pourrait être l’idée reçue selon laquelle l’imaginaire est davantage sollicité en
poésie qu’en prose. Dans l’article « la peinture dans l’écriture », Bernard Vouilloux
propose une typologie des modes d’apparition de la peinture dans le texte et il prend
comme exemple le texte balzacien. Il dit que pour révéler la présence de l’image ou de
l’impression visuelle dans le texte, Balzac a utilisé dans son œuvre La Comédie
17 http://www.poesie-arts.com/Bernard-Vouilloux-et-les-problemes.html18 la poésie est comme la peinture
50
Humaine : des discours des artistes, des comparaisons avec des objets esthétiques
(portraits), un vocabulaire spécialisé, des passages où d’après une description on peut
faire un tableau (la perception artistique), multiplication des références picturales dans les
préfaces et aussi des réflexions esthétiques d’un narrateur omniscient.
Dans l’article « Texte et image ou verbal et visuel ? », Vouilloux montre que le
visuel existe aussi dans le hors-texte, ce qui est un des problèmes auquel on est souvent
confronté. La notion d’activité imageante se base sur la distinction entre les « images
naturelles », les « images artefactuelles » et les « images immatérielles ». La dernière
catégorie englobe selon Aristote les images accompagnant le processus de la pensée, du
souvenir et du rêve.
Dans l’article Langage et arts visuels Bernard Vouilloux fait l’historique de
l’essor des études sur le texte et l’image, depuis le milieu des années 1960, sous
l’impulsion du structuralisme et principalement des philosophes de formation. Des
nombreux chercheurs dans ce domaine se sont souvent employés à transférer des notions
utilisées en littérature vers l’analyse visuelle et surtout picturale : la métaphore, la
métonymie, l’allégorie etc. Le professeur dit que « C’est donc bien après le tournant
structuraliste des années soixante et soixante-dix, dominé, on l’a vu, par un souci très
marqué de conceptualisation qui portait principalement sur le pôle pictural, et c’est
seulement une fois posé dans toute son épaisseur sémiotique le statut de la médiation
textuelle, que les chercheurs en littérature se tournèrent, peu à peu, vers l’étude extensive
des rapports entre langage et arts visuels »19.
19 http://www.poesie-arts.com/Bernard-Vouilloux-et-les-problemes.html
51
Chapitre III
Pôle perceptif et pôle artistique
3.1. La vision de la critique actuelle sur l’impressionnisme littéraire
La caractérisation de l’impressionnisme littéraire par la critique actuelle est restée
fidèle aux analyses faites par les critiques de l’époque impressionniste, mais elle est en
totale contradiction avec les analyses donnes par les critiques d’art. (VOUILLOUX,
2000 : 66)
Le critique d’art, Paul Jamot a consacré part de son étude à la seconde moitie du
XIXe siècle essayant de donner une explication pourquoi un des plus grands
impressionnistes a était reçu avec tellement brutalité chaque fois qu’il présentait une de
ses œuvres. Il soutient que dans les siècles antérieurs existait une élite des personnages
comme la cour royale, les nobles, la haute bourgeoisie qui avait besoin des services des
peintres et des sculpteurs. Entourées tout leur vie par des œuvres d’art ils avaient de
spirite esthétique. Mais, avec la démocratie, cette élite a été noyée par les autres classes
sociales et elle n’a pas soutenu de ce moment la production artistique, comme il faisait
naguère. Le goût du publique formée par des hommes communes n’avaient pas ni
l’intérêt, ni la formation indispensable pour comprendre ce qui était nouveau et ce qui ne
se conformait avec les lois habituelles des belles arts. Cette démocratie a eu comme
conséquence une diminution du critère sur quel ont été jugé les œuvres. Sur une côté
étaient les artistes auxquels ration pour exister était de porter le nouveau et sur l’autre
côté était un publique hostile qui n’acceptait ce type d’art et poussait les artistes à faire
des peintures même plus exagérés.
Aujourd’hui quand on peut nous rendre compte avec l’aide du temps de la
signification de son œuvre on dit que la peinture impressionniste est une de la plus belle
et de la plus innovatrice.
52
La nouveauté de l’art de Manet consiste dans le choix des sujets de ses œuvres,
comme il transposait sa personnalité dans son œuvre et finalement la beauté du produit
fini. (OPRESCU, 1986: 166).
Pour le critique Octave Mirbeau l’art commence par la sensation. Tout est chez lui
éminemment physique. Son hypersensibilité fait que les chefs-d’oeuvre lui donnent le
frisson, le bouleversent aux larmes. Les deux mots-clés de sa critique d’art sont
« frisson » et « frissonner ». Monet est pour lui un frère « sensitif » qui a rendu tous les
«frissons de la nature » et quand il présente Van Gogh, il parle de « ce si frissonnant
artiste ». La critique d’art de Mirbeau n’appartient pas à la génération baudelairienne de
la critique « littéraire » avec quelques exceptions notables près dont le texte sur Monet et,
en partie, celui sur Pissarro, parus tous deux dans L’Art dans les Deux Mondes. Cela ne
l’empêche cependant nullement d’être influencée par l’auteur des Fleurs du Mal tant
l’imprégnation baudelairienne sur toute cette époque est importante.
Pour Mirbeau seulement quelques peintres sont intouchables et il les nomme
« artistes de génie ». Il admire les artistes du passe comme Rembrandt mais aussi les
artistes appartiennent au XIXe siècle : Delacroix, Ingres, Corot, Courbet, Puvis de
Chavannes, Manet, Rops, Monet, Rodin, Cézanne, et, enfin, Camille Claudel. Mirbeau
reconnaît régulièrement le génie de Manet mais il ne lui consacre aucun article,
n’esquisse aucun bilan de son oeuvre. Il milite activement aux côtés de Monet pour « la
souscription Olympia », certaines de ses remarques « les pastels qu’Eva Gonzalès semble
avoir affectionnés, et dont elle a poussé peut-être la science délicate plus loin que Manet
sont la preuve de son manque de clairvoyance.
Mirbeau défend l’impressionnisme en tant que regroupement spontané d’artistes
indépendants, grandis en dehors de l’École des Beaux-Arts et qui, s’étant affranchi de la
tradition sclérosante, ont été rejetés du Salon officiel et se sont alors courageusement
regroupés pour montrer leurs œuvres. Fidèle à son opinion, il voit dans
l’Impressionnisme une révolte, une rébellion contre l’ordre établi dans les Beaux-Arts,
une idée globalement imposée aux yeux du grand public. Pour que tout le monde
connaisse ces peintres nouveaux, il entreprend une campagne, une « véritable bataille ».
La fermeté de son propos, son ton offensif rappelle le Bon Combat de Zola.
53
Les artistes qu’il défend ont substitué aux immuables recettes de l’école
l’attention à la nature et à la vie, la fidélité aux sensations éprouvées. Pour lui, il s’agit là
d’une véritable révolution copernicienne : les impressionnistes ont réveillé la peinture du
« sommeil dogmatique » dans lequel elle était noyée. Il insiste constamment sur « la
révolution du regard », « la révolution dans l’art de voir » qu’est pour lui
fondamentalement l’Impressionnisme et il insiste aussi sur le fait que l’Impressionnisme
n’est ni un système, ni une théorie, ni une formule. Il dit que l’Impressionnisme suppose
des créateurs libres devant la vie et la nature comme devant la technique picturale et il
défend davantage quelques impressionnistes, quelques individualités : Monet surtout,
Pissarro, Renoir et, tardivement, Cézanne. Il dédie seulement un article en La France à
Degas et en 1892, il est déçu par Sisley. Plus qu’une école ou qu’un mouvement, Mirbeau
considère l’Impressionnisme comme une réunion de tempéraments, de personnalités
libres, plus ou moins fortes ou originales dont certaines l’intéressent plus que d’autres. Il
privilégie le contact personnel avec les artistes, les relations d’ateliers ou de cafés.
L’entretien avec l’artiste constitue l’originalité de sa méthode de critique. Avant d’écrire
sur eux dans La France, il rencontre en 1884, Monet, Degas, Renoir et Pissarro par
l’intermédiaire de Durand-Ruel, leur marchand. En 1891, pour d’attirer l’attention sur
Gauguin à la veille de son départ pour Tahiti, il fait venir l’artiste chez lui aux Damps
afin de s’entretenir avec lui. Cette attention au discours de l’artiste, à ses intentions, lui
donne la réputation d’être le porte-voix des créateurs qu’il fréquente. Il diffuse
fidèlement, pieusement, l’idée de Monet en ce qui concerne la peinture sur le motif parce
qu’il sait les longues heures que le peintre passait dans son atelier. Il n’hésite pas à mettre
en avant le rôle du marchand de tableaux, jusque là obscur. À partir de 1895, il change de
ton, passe à la critique dialoguée afin d’enfoncer les « peintres de l’âme » ; il ne suit plus
que quelques artistes avec lesquels il entretient des relations amicales. Dans les années
1889-1892, Mirbeau participe avec Geffroy, Lecomte et d’autres critiques à
l’élargissement de la conception de l’impressionnisme. Il dit que la nouveauté tient dans
le changement de registre.. Le texte évolue dans un véritable poème en prose, dans une
incantation célébrant l’aspect cosmique de la peinture de Monet :
« C’est la vie, en effet, qui emplit ces toiles d’un rajeunissement de passion, d’un souffle
d’art nouveau et qui étonne : la vie de l’air, la vie de l’eau, la vie des parfums et des lumières,
54
l’insaisissable, l’invisible vie des météores, synthétisée en d’admirables hardiesses, en
d’éloquentes audaces, lesquelles, en réalité, ne sont que des délicatesses de perception et dénotent
une supérieure intelligence des grandes harmonies de la nature »20.
Il situe Monet et aussi Pissarro entre un réalisme étroit, borné, et un symbolisme
complètement coupé des phénomènes naturels.
En 1891, le critique et théoricien de l'art français de la fin du XIXe siècle, Gabriel
Albert Aurier considère que la peinture de Monet et de Pissarro ne constitue, en fait,
qu’une variante du réalisme. Dans son article sur Gauguin, il écrit que pareil à Courbet,
ils ne traduisent que la forme et la couleur. Le substratum et le but dernier de leur art,
c’est une chose matérielle, une chose réelle. Mirbeau semble répondre à cette critique
dans sa célèbre formule sur Monet : « Réaliste évidemment, il ne se borne pas à traduire
la nature » mais il peint le mystère, « tout le rêve mystérieusement enclos dans la nature»,
« tout le rêve mystérieusement épars dans la divine lumière ». Et son propos culmine
dans cette formule : « Les paysages de Claude Monet sont, pour ainsi dire, l’illumination
des états de conscience de la planète, et les formes suprasensibles de nos pensées. ».
Mirbeau dit que l’art de Gauguin est fondé sur « un mélange inquiétant et
savoureux de splendeur barbare, de liturgie catholique, de rêverie hindoue, d’imagerie
gothique, de symbolisme obscur et subtil. ». Cet article a une importance historique par
l’impact médiatique qu’il a eu, car il a su condenserl’essentiel de ce qu’à l’époque on
pouvait dire de Gauguin et de son art. Après la mort dramatique de Van Gogh, Mirbeau
introduit dans son texte une distinction fondamentale entre « s’absorber dans la nature »
et « absorber la nature en soi » ce qu’a fait Van Gogh en raison de sa personnalité qui
«débordait de lui en illuminations ardentes sur tout ce qu’il voyait, tout ce qu’il touchait,
tout ce qu’il sentait ». Selon Mirbeau, Van Gogh a imposé sa volonté à la nature au lieu
de simplement l’expérimenter plus ou moins passivement. Après cet article Mirbeau
aboutit à une définition simple et pertinente du style : « Le style, c’est-à-dire l’affirmation
de la personnalité ».
Sans faire de Mirbeau un symboliste ou un partisan du symbolisme, ses textes
écrits autour des années 1890 constituent une contribution importante au débat de
20 http://membres.lycos.fr/michelmirbeau/darticles%20francais/Limousin-OM%20critique%20art.pdf
55
l’époque : effaçant les différences entre Impressionnisme et Symbolisme et rompant les
liens historiques qui unissait l’Impressionnisme au Réalisme21.
Le critique littéraire, Charles Augustin Sainte-Beuve est celui qui renouvelle la
critique du XIXe siècle et qui affirme que l’œuvre littéraire est le produit d’une
individualité révélée par les détails biographiques. Portraits littéraires présenté par lui ne
sont pas des tableaux statistiques, rigides, mais témoignes d’un art où il se trouve la
touche de l’anatomise, la présence de l’élément plastique, la remarque physiologique,
médicale ou psychologique. Généralement les détails sont d’ordre moral mais souvent le
portrait devient un jeu en soi où la verve mordante, scintillante ou ironique du critique se
sent très à l’aise. Dans ses yeux le portrait n’est qu’une étape vers un autre modèle
d’appréciation critique encore plus général. Inscrit dans le chemin ouvert par les sciences
naturelles, le critique devient « un naturaliste des esprits » qui veut tout analyser. Il va
placer l’homme au centre du groupe auquel il appartient et s’efforcera de le définir en
tenant compte des proches et des contraires, des déterminations au milieu desquelles il est
ne. La lecture moderne de Sainte-Beuve signifie mettre en pleine lumière sa critique
« stylisticienne » non seulement la critique historienne et biographique. Car souvent
Sainte-Beuve pratique une analyse qui tient de la plus pure stylistique, recherchent le mot
juste, l’harmonie verbale, les formes d’expressions spécifiques à tel ou tel auteur : il est
conscient de la poétique propre à chaque écrivain, de la spécificité de chaque œuvre
d’art. Il faut chercher le mot ou les mots qui s’y représentent avec plus de fréquence. Le
passage d’une critique à l’autre, du style à l’histoire, de l’histoire au style, se fait sans
cesse par un glissement souvent difficile à suivre. La leçon de Sainte-Beuve deviendra,
en concordance avec l’esprit du temps, une leçon sur la « science littéraire » reprise par la
suite par ses disciples et successeurs. (ION, 1982 : 168)
Ce dialogue sera continué par Hippolyte Taine, intellectuel d’élite, esthéticien,
critique d’art et critique littéraire, qui soutient que derrière chaque œuvre littéraire,
derrière chaque effort créateur il y a des causes. Il dit que l’écrivain et son produit
artistique est déterminé par l’esprit de la nation où il est né, par la période où il vit le
moment. Taine fut « le peintre », « le coloriste », « le poète » sans pareil d’une entière
époque. Taine laisse en héritage une question, matière à réflexion pour ses successeurs :
21 http://membres.lycos.fr/michelmirbeau/darticles%20francais/Limousin-OM%20critique%20art.pdf
56
« la critique est elle un art ou une science ? ». Positivistes, impressionnistes, professeurs
et créateurs s’efforcent de répondre dans de véritables programmes critiques qui les
diviseront et les rassembleront tour à tour. (Ion, 1982 : 169)
Dans l’opinion de critique italien du XIXe siècle, Enzo Caramaschi la notion
impressionnisme littéraire est assez vague, même si elle correspond à certaines
impressions, même s’il y a une association esthétique et thématique entre lisible et
visible. Parce qu’il n’existe pas une unité sémiologique il est nécessaire de remettre en
cause la communauté de fonctionnement des arts. Il mit en évidence l’infirmité de la
langue pour représenter et pour décrire mais sa supériorité par rapport à l’introduction du
changement, du mouvement, du temps. Dans son œuvre Arts visuels et littérature, de
Stendhal à l'Impressionnisme Caramaschi pose quelques-uns des problèmes
fondamentaux qui lient arts plastiques et littérature, par exemple, l'intégration de la
description dans le récit narratif. Enfin, le recueil d'études réuni par Enzo Caramaschi
pose une question centrale de la critique : « le texte, littéraire ou non, peut-il rendre
compte de 1'image ? » Selon des points de vue différents, à propos d'œuvres différentes,
ce livre apporte sans aucun doute des éléments de réponse pour les problèmes esthétiques
du XIXe siècle22.
Un autre critique, Ferdinand Brunetière, affirme que les impressionnistes sont
quelques « hypersensibles à la tyrannie des règles » qui nient tout déterminisme23, tout
positivisme24 et scientisme25 dans le monde subjectif des livres. Le critique Remy de
Gourmont aussi que les critiques intellectualistes ont la tendance de s’efforcer de rester à
égale distance des variations impressionnistes et des enquêtes psychologiques et
historiques. (ION, 1982 : 170)
Littérature, peinture, critique, existence, ne peuvent pas être considérées
séparément et le XIXe siècle s’efforce d’offrir des réponses aux éternelles interrogations
22 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1991_num_21_71_574323 Doctrine philosophique suivant laquelle tous les événements, et en particulier les actions humaines, sont liés et déterminés par la chaîne des événements antérieurs. (Le Petit Robert, 1997)24 Système philosophique du philosophe français Auguste Comte qui expose que l’unique fondement de la connaissance c’est dans l’observation des faits positifs et dans l’expérience. (Larousse, 1993 : 809)25 Opinion philosophique de la fin du XIXe siècle, qui affirme que la science nous fait connaître le domaine de la connaissance, présente les caractères de rigueur, d’exigence, d’objectivité caractéristiques des sciences. (Larousse, 1993 : 922)
57
humaines, aux cours desquelles prend naissance la face de l’homme moderne, dans sa
tentative héroïque de se libérer des anciens préjuges. (ION, 1982 :171)
Comme les réalistes, dont ils procèdent, les impressionnistes sont contre les
conventions de l'école; ils prétendent n’être « qu'un œil, une main » et bannissent de la
peinture toute intention d'ordre intellectuel ou moral. Quand la notion d'impressionnisme
est appliquée à la littérature tout devient confus et les écrivains les plus avertis des
problèmes littéraires et artistiques semblent eux-mêmes étrangement hésitants.
(DÉCAUDIN, 1900 : 133)
Les critiques et les historiens de la fin du XIXe siècle qui ont identifié
l’impressionnisme des peintres au symbolisme des poètes, ont oublié l’existence d’une
école symboliste en peinture et ont oublié aussi que Zola avait défendu Manet autant que
Mallarmé ou Fénéon. Ils ont été conduits à considérer l’impressionnisme en littérature
comme un aspect particulier, une branche indécise du symbolisme. On pourrait aussi parler
d'une parenté entre le roman réaliste, voire naturaliste, et l’impressionnisme et on peut
rappeler l'analogie entre la technique descriptive des Goncourt et celle des peintres.
(DÉCAUDIN, 1900 : 135)
Les critiques vont découvrir de préoccupations analogues à celles des peintres à l’époque
du Parnasse et du symbolisme et dire de quelle nature sont les similitudes qui se révèlent.
Ils disons que en 1872-1873 Verlaine a imité dans ses vers les procédés des peintres qu'il
fréquentait et rêvé d’une poésie impressionniste.
« II suffit de se reporter aux Paysages belges : pas de « dessin » dans Walcourt,
rien qu’ une suite de notations dans une tonalité lumineuse et gaie, sans armature
grammaticale ; Bruxelles est un paysage urbain fixé à un moment déterminé du crépuscule;
Malines, une suite d'impressions saisies d'un wagon en marche. Les notes des Croquis
parisiens révèlent également, comme l'a en particulier signalé M. Adam, des
préoccupations du même ordre. Allons jusqu'a son projet de Choses: ces grands poèmes
qui devaient s'appeler Vie au grenier, Sous l’eau, L’ Ile, Le Sable, ces « paysages purs et simples
d'un Robinson sans Vendredi », ne font-ils pas penser, d'après le peu que nous en savons, à
ce que Monet disait de ses premiers Nymphéas : « quelque chose d'impossible, de 1'eau avec
des herbes qui ondulent sous les rayons du soleil » ? » (DÉCAUDIN, 1900 : 135)
58
Pour chercher d’autres indices qui permettent prouver que existait un courant
impressionniste dans le mouvement poétique de 1870-1885, analogue dans sa technique
et ses ambitions à l’impressionnisme pictural qui lui sert de modèle on doit trouver et
examiner les revues de l’époque. Si la peinture connaît un admirable épanouissement, le
courant littéraire reste de faible importance et, après la réussite, d'ailleurs passée
inaperçue, des Paysages belges, s’épuise dans des essais hésitantes et dans œuvres
mineures.
Après avoir été contaminée avec la sensation de l’instant et l’émotion,
l’impressionnisme finit par être une des attitudes diverses et complémentaires qui constituent
la vie créatrice de l'esprit et c’est pour ça qu’il n’as pas des rapports avec le symbolisme et
de la parenté que quelque critique qu'ont voulu établir entre eux. Sans doute existe-t-il une
part, quelquefois importante, d'impressionnisme dans le symbolisme. Le poète symboliste se
profite de l’enthousiasme de l’instant mais il ne s’y attarde pas ; il ne se laisse prendre aux
séductions fugaces du monde des sensations que pour les exorciser et aller au-delà des
apparences. Pour l'artiste impressionniste ce qui est fin en soi n'est qu'une étape dans la
quête de 1'absolu. Cette quête est le sens de l’impressionnisme de Mallarmé et de celui de
Valéry. Mais en même temps qu'il l’absorbait ainsi pour l’éclater, le symbolisme s'opposait
à l’impressionnisme. Le poète symboliste français d’origine américaine, Francis Vielé-
Griffin a nettement marque cette coupure dans un article publie par La Phalange du 15 mai
1907, La Discipline mallarméenne. II y évoque le salon du romancier naturaliste Robert
Caze, qui sentait la nécessite d’un changement :
« Le petit salon de la rue Condorcet, que décoraient des plâtres d’art et des peintures de
Raffaëlli, était tout a « l’impressionnisme », en peinture et en littérature; on y voulait fixer des « instants de
vie » ; c’était déjà mieux que la « tranche de vie » réclamée par les Zolistes ; on y aspirait a plus
de délicatesse, mais l’on n'y atteignait guère qu’à une ironie volontairement cruelle, à une sorte de
caricature, moins lourde et qui avait cette supériorité d'être consciente; cependant que, de son
gros crayon, Zola déformait la vision vitale, avec l'illusion de transcrire la vérité. »
(DÉCAUDIN, 1900 : 140)
Mallarmé rappelle la formule par laquelle il définit le nécessaire dépassement de la
pure impression. Il dit qu’il ne suffit pas transposer un fait de nature en sa presque
59
disparition, vibratoire selon le jeu de la parole cependant si ce n’est pour émaner sans
la timidité d’un proche ou concret rappel la notion pure.
Le critique Camille Mauclair souligne dans son œuvre Les Maitres de
l’impressionnisme le paradoxe entre le symbolisme et l’impressionnisme. Il dit que on ne
peut pas se laisse tromper par l’admiration que les écrivains symbolistes éprouvèrent pour
la peinture impressionniste, ni par certains rapprochements superficiels parce que les deux
esthétiques ne sont pas parentes. L’une s'attache au réel et fixe l’éphémère ; l'autre est
tournée vers l’absolu, vers le rêve et l'idéal. Il est vrai que souvent l’expérience poétique du
symbolisme passe par l’impressionnisme mais l’école symboliste s'est affirmée contre les
tendances purement impressionnistes. Il faut approfondir l’étude sur l’impressionnisme en
poésie qui se manifestait dans l’épanouissement de l’impressionnisme pictural sur un plan
esthétique et analysant l’histoire littéraire. (DÉCAUDIN, 1900 : 142)
3.2. Les glissements du pôle perceptif au pôle artistique
L’art constitue un moyen de concevoir le monde visuellement. Il y a plusieurs
moyens de concevoir le monde : nous pouvons prendre des mesures que nous
consignerons à l’aide d’un système de signes convenus, chiffres ou lettres ; nous pouvons
fonder des affirmations sur des expériences ; nous pouvons faire appel à l’imagination
pour construire des systèmes qui expliquent le monde. Mais il ne faut pas confondre
l’art avec l’une de ces activités ; l’art est « une question toujours nouvelle posée au
monde par le sens visuel », et l’artiste n’est rien d’autre qu’un homme disposant de la
capacité et du désir de transformer sa perception visuelle en une forme matérielle.
La première partie de cette démarche est perceptive, la seconde est expressive,
mais en pratique il est impossible de séparer les deux parties l’une de l’autre : l’artiste
exprime ce qu’il perçoit. Il perçoit ce qu’il exprime. (HERBERT, 1960 : 11)
Il n’y a aucun doute qu’à l’origine de ce qu’on appelle le mouvement artistique
moderne se trouve la volonté arrêtée et entêtée d’un peintre français de voir le monde
objectivement. Il n’y a rien de mystérieux dans ce mot : ce que Cézanne voulait voir,
c’était le monde , ou cette partie du monde qu’il était en train de contempler, comme un
60
objet , sans aucune intervention d’un ordre intellectuel ou d’un désordre sentimental. Ses
prédécesseurs immédiats, les impressionnistes, avaient vu le monde subjectivement,
c’est-à-dire tel qu’il se présentait à leur sens sous des éclairages divers ou à partir de
différents points d’observation. Chaque instant apportait aux sens une impression
différente et distincte de toutes les autres, et à chacun d’eux correspondait nécessairement
une œuvre d’art différente. Mais Cézanne, lui, a voulu ignorer l’aspect ambigu et
perpétuellement changeant des choses, et parvenir à la réalité qui ne change pas, qui est
toujours présente sous l’image brillante mais trompeuse offerte par le kaléidoscope26 des
sens.
Nous savons, par exemple, qu’à différents moments de l’histoire de l’art, des
tentatives ont été faites pour rendre l’art « imitatif » ; non seulement l’art grec et l’art
romain, mais aussi celui de la Renaissance classique en Europe représentent des périodes
artistiques pendant lesquelles on a cherché à représenter le monde « tel qu’il est
réellement ». (HERBERT, 1960 : 12)
Entre la vision elle-même et l’acte consistant à représenter cette vision, a toujours
pris place une activité que nous ne pouvons appeler qu’interprétation. Cette intervention
semblait être rendue nécessaire par la nature même de la perception qui n’offre jamais
aux sens une image plate, en deux dimensions , avec des limites précises, mais un foyer
central entouré d’un cercle d’objets vaguement perçus et selon tout vraisemblance
déformés. L’artiste pouvait mettre au point sa vision sur un objet précis, disons par
exemple une silhouette humaine ou même simplement une tête, mais la encore, il y avait
des problèmes tels que ceux, en peinture, de la représentation de la densité de l’objet ou
de sa place dans l’espace.
Avant Cézanne, chaque fois qu’un artiste avait voulu résoudre ces problèmes, il
avait fait intervenir des facultés étrangères à la vision, soit l’imagination, qui lui
permettait de transformer les objets du monde visible et, par là, de créer un espace idéal
peuplé de formes idéales ; soit l’intelligence, qui lui permettait de construire un système
de représentation scientifique, une perspective à l’intérieur de laquelle il pouvait situer
26 Un tube de miroirs réfléchissant à l'infini et en couleurs la lumière extérieure. Le nom de ce jouet vient du grec, kalos signifie « beau », eidos « image », et skopein « regarder ». Certains modèles contiennent des fragments mobiles de verres colorés, produisant d'infinies combinaisons de jolies images. L'observateur regarde d'un côté du tube, la lumière entre de l'autre et se réfléchit sur les miroirs. Succession rapide et changeante d’impressions, de sensations, d’activités. (http://fr.wikipedia.org/wiki/Kal%C3%A9idoscope)
61
l’objet très précisément. Mais un système de perspective ne donne pas plus une
représentation exacte de ce que voit l’œil qu’une projection de Mercator ne représente
exactement le monde vu de Sirius. Ce système sert de guide à l’intelligence mais ne nous
permet pas d’avoir le moindre soupçon de la réalité.
On pourrait tirer comme morale de l’histoire de l’art que la réalité, prise dans ce
sens, n’est rien de plus qu’un feu follet, quelque chose qui existe, que nous pouvons voir,
mais que nous sommes à jamais incapables de saisir. Comme nous l’avons dit, la nature
est une chose et l’art en est une autre. Mais Cézanne, tout familier qu’il fût avec « l’art
des musées » et bien qu’il respectât les efforts des ses prédécesseurs pour trouver un
terrain d’entente avec la nature, ne désespéra pas de réussir là où ils avaient échoué,
c’est-à-dire de parvenir à « réaliser » ses sensations en présence de la nature.
Par tempérament, Cézanne n’était pas un révolutionnaire et il n’est pas facile
d’expliquer pourquoi son œuvre était néanmoins destinée à jouer un rôle aussi important
pour l’avenir tout entier de la peinture. L’explication dépend de la compréhension
correcte de deux termes utilisés par Cézanne ceux de la réalisation et de la modulation.
Réaliser, dans le sens où l’emploie Cézanne signifie « faire naître » et ne fait appel à
aucun réalisme, littéraire ou académique. Moduler signifie adapter une matière donnée,
dans ce cas la peinture, à un certain degré d’intensité, de couleur.
La méthode picturale de Cézanne consistait d’abord à choisir le motif, un
paysage, une personne dont il s’agissait de faire le portrait, une nature morte ; puis à
exprimer sa perception visuelle de ce motif, et cela sans rien perdre de l’intensité vitale
que possédait le motif dans sa réalité matérielle.
« Réaliser » la perception visuelle du motif était le premier problème en raison de
la difficulté à trouver un centre d’intérêt et une règle de construction. Le premier pas vers
la solution de ce problème était de choisir un motif adéquat. L’impressionniste type,
Monet, par exemple , était prêt à trouver un motif partout – une meule de foin ou un lac
recouvert de nénuphars, cette question n’avait pas d’importance parce que ce
qui l’intéressait avant tout, c’étaient les effets de lumière. Cela donna à la peinture de
Monet une certaine qualité informelle, qui ne devait être pleinement comprise et utilisée
que par une nouvelle génération d’artistes, un demi-siècle plus tard. Et c’était
précisément là une des tendances sous-jacentes de l’Impressionnisme contre laquelle
62
s’insurgeait instinctivement le « tempérament » de Cézanne. Cézanne possédait un
tempérament fondamentalement classique. Il était pour la construction à tout prix, c’est-
à-dire pour un style qui trouvât sa source dans la nature des choses et non pas dans les
impressions subjectives de l’individu, qui sont toujours « confuses ». Il avait le sentiment
profond qu’il ne pourrait jamais «réaliser » sa vision sans une organisation des lignes et
des couleurs qui donnât stabilité et clarté à l’image transposée sur la toile.
Les « sensations » que les impressionnistes cherchaient avant tout à représenter ;
subtils effets de lumière changeante ; mouvements imperceptibles, lui paraissaient
compromettre définitivement le but réel de l’art, sa véritable raison d’être, qui est de créer
quelque chose d’aussi monumental et d’aussi durable que l’art des grands maîtres du
passé. Non pas que l’artiste dût imiter les grands maîtres ils n’étaient parvenus à la
monumentalité qu’en sacrifiant la réalité, l’intensité de l’image visuelle. Son ambition à
lui était de parvenir au même effet de monumentalité tout en préservant l’intensité de
l’image visuelle , et c’était là ce qu’il entendait l’image visuelle, et c’était là ce qu’il
entendait par « faire du Poussin27 d’après nature », « peindre un Poussin vivant en plein
air, avec la couleur et la lumière, au lieu d’une de ces œuvres créées dans l’atelier, où tout
prend la coloration brune de la lumière du jour affaiblie, sans les reflets du ciel ».
Cézanne a toujours insisté sur le point que la perception humaine est par principe
« confuse ». Dans une lettre à Joachim Gasquet28 , il parle de « ces sensations confuses
que nous apportons en naissant ». Mais il estimait qu’avec de la concentration et « des
recherches », l’artiste serait sans doute capable de mettre de l’ordre dans cette confusion ;
que l’art consistait essentiellement à réaliser, dans le champ de nos impressions visuelles,
un univers construit. Il parle de l’art comme d’une théorie développée et appliquée au
contact de la nature ; il veut reconstruire la nature par le cylindre, la sphère, le cône, le
tout mis en perspective, de sorte que « chaque côté d’un objet, d’un plan se dirige vers
un point central ». « Pour les progrès à réaliser, il n’y a que la nature, et l’œil s’éduque à
son contact. Il devient concentrique à force de regarder et de travailler. Je veux dire que
27 Célèbre peintre français, considéré à juste titre comme le maître de l’art classique en France, né à Villers, près des Andelys, en 1594, mort à Rome le 19 novembre 1665.(http://agora.qc.ca/mot.nsf/Dossiers/Nicolas_Poussin)28 Poète et critique d'art provençal né en 1873 à Aix-en-Provence et mort en 1921. Il est surtout connu pour avoir écrit sur les peintres de son époque, en particulier Paul Cézanne.(http://fr.wikipedia.org/wiki/Joachim_Gasquet)
63
dans une orange, une pomme, une boule, une tête, il y a un point culminant ; et ce point
est toujours- malgré le terrible effet : lumières et ombres, sensations colorantes - le plus
rapproché de notre œil ; les bords des objets fuient vers un centre placé à notre horizon ».
(HERBERT, 1960 : 17)
On pourrait dire que Cézanne avait découvert une contradiction inhérente à la
démarche même de l’art, contradiction dont les Grecs avaient eu conscience comme le
monstre ce que dit Platon de la Mimesis, de l’imitation. L’artiste désire rendre l’image de
ce qu’il voit, sans aucune erreur due à l’émotion ou à l’intelligence, sans aucune
exagération sentimentale ni « interprétation » romantique et sans aucun des accidents dus
à l’atmosphère ou même à la lumière. Cézanne affirma plus d’une fois que la lumière
n’existait pas pour le peintre. Mais le champ de la sensation visuelle n’a pas de frontières
précises, et les éléments qui y sont enfermés sont ou disposés sans ordre ou mêlés. Nous
y introduisons donc « un foyer », un centre d’intérêt, et nous essayons d’organiser notre
sensation visuelle en fonction de ce point choisi. Il en résulte ce que Cézanne appelle lui–
même une « abstraction », une représentation incomplète du champ visuel, un « cône »,
en fait, à l’intérieur duquel les objets s’organisent autour du point central avec une
volonté d’ordre ou de cohésion. (HERBERT, 1960 : 18)
En littérature s’applique la phrase d’Horace « ut pictura poesis » qui joua
historiquement un rôle déterminant, parce qu’elle met en parallèle la peinture et la poésie .
Reprisée par les théoriciens de la Renaissance, cette comparaison sera à l'origine de ce
qu'on a appelé la doctrine de l'« ut pictura poesis ». Alors qu'Horace comparait la poésie
à la peinture, rapportant les arts du langage à ceux de l'image, les auteurs de la
Renaissance inversent le sens de la comparaison. Un poème est comme un tableau
devient un tableau est comme un poème. L'« ut pictura poesis », telle qu'on l'entend dans
le champ du discours sur l'art, consiste toujours à définir la peinture, à déterminer sa
valeur, en fonction de critères qui sont ceux des arts poétiques. Dans la génération de
Paul Verlaine et de Stéphane Mallarmé, on commençait à trouver que la poésie mourait,
en quelque manière, sous cette perfection d'exécution. Ces contours si précis, ces vers si
pleins, ces "représentations" si fidèles, et, dans leur fidélité, si complètes, gênaient,
embarrassaient, comprimaient la liberté de l'imagination et du rêve. Point d'arrière plan,
de lointaines perspectives, rien de ce vague ni de cette obscurité de ce clair obscur, pour
64
mieux dire, qui est bien cependant une part de la poésie. On trouvait aussi que cette
imitation de la nature s'étendait, dans le passe comme dans le présent, à bien des objets
dont l'intérêt était assez mince. Tout ce qui est arrive n'est pas nécessairement "poétique,"
et tout ce qui existe ne mérite pas pour cela d'être éternisé par l'art. Il y a des
"correspondances" entre le monde et le poète; toute sensation doit le conduire à une idée;
et dans cette idée, il doit retrouver quelque chose d'analogue à sa sensation. Sa réalité ne
s'explique pas de soi, mais à la lumière d'une vérité qui est la raison des apparences; et
toute représentation qui n'en tient pas compte est par cela même incomplète, superficielle
ou mutilée.
3.3. La perception des couleurs
Les aspectes esthétiques de l’impressionnisme étaient pris en compte par les
critiques de l’époque mais ils étaient très différents de celles qui ont fini par s’imposer
chez les historiens d’art. Ces derniers présentent la plupart des caractéristiques à l’aide
desquelles ils définissent la peinture impressionniste et recouvrent les sujets pris dans la
vie moderne, le plein air29, la palette claire, la technique de l’esquisse, le mélange optique
des touches exaltant la lumière et la couleur, l’évanescence des contours.
Le scientifique, physiologiste et acousticien Hermann Ludwig Ferdinand von
Helmholtz développe une théorie sémiotique selon laquelle nos sensations sont des signes
des objets extérieurs qui en sont la cause. Cette approche s'inspire des théories empiristes
notamment développées par John Locke, mais surtout de la théorie des énergies
nerveuses spécifiques de Johannes Müller: les qualités des choses extérieures ne sont que
des puissances capables de produire en nous certaines impressions sans qu'il nous soit
possible de déterminer si ces effets sont ou non ressemblants à ce qui les cause.
« Nous appelons sensations les impressions produites sur nos sens, en tant qu'elles
nous apparaissent seulement comme des états particuliers de notre corps, surtout de nos
appareils nerveux ; nous leur donnons, au contraire, le nom de perceptions, lorsqu'elles
29 Le pleinairisme relève la nouvelle modalité, spécifique aux impressionnistes, de peindre un tableau en plein air, fait qui facilitait le contact avec la lumière naturelle et avec ses nuances changeantes. Cette pratique existait aussi avant, mais jamais a été appliqué dans une manière excessive. (OPRESCU, 1986 : 170)
65
nous servent à nous former des représentations des objets extérieurs » Théorie
physiologique de la musique30.
Les premiers critiques tels Jules Antoine Castagnary, Philippe Burty, Ernest
Chesneau, Edmond Duranty, Theodore Duret insistent sur la connaturalité de la vision
impressionniste et de la perception originelle et comprenaient les tableaux
impressionnistes comme des tentatives visant à restituer l’immédiateté, la spontanéité et
la fraîcheur des sensations visuelles.
Les historiens modernes sont enclins à voir dans la peinture impressionniste le
déroulement d’une série de transformations et ont tendance à neutraliser la différence
entre les lois qui gouvernent le fonctionnement de la perception visuelle et celles qui
régissent la construction picturale, non seulement sur un plan strictement technique, mais
aussi sur celui des schémas perceptifs qui lui sont propres, tant dans sa phrase productrice
en ce qui concerne le regard du peintre que dans sa phase réceptrice en ce qui concerne le
regard du spectateur. Une manifestation bien connue de cette neutralisation de l’écart
entre le perceptif et l’artistique concerne plus spécialement le problème de la perceptions
des couleurs et bien sur de la confusion quasi constante entre leurs aspects lumineux et
matériels. (VOUILLOUX, 2000: 66)
La chromatologie est une partie de l’optique qui trait les couleurs. Quelques
peintres en travaillant en plein air, ont observé que sur l’action des rayons solaires les
couleurs des objets sont altérées. Pour entendre ce phénomène les peintres ont commencé
à l’étudier scientifiquement et à l’utiliser. Les physiciens ont observé que si on
décompose la lumière du soleil avec l’aide d’un prisme31 en cristal on obtient les
couleurs du spectre32 : rouge, orange, jaune, vert, bleu, indigo et violet. Une expérience
montre que si tous les couleurs rappelées antérieurement sont assemblées dans le disque
de Newton et sont tournées rapidement elles donnent la couleur blanche.
Après leur origine les couleurs peuvent être primaires, c’est-à-dire originaires, qui
ne peuvent pas être obtenues par le mélange d’autres couleurs. Elles sont au nombre de
30 http://fr.wikipedia.org/wiki/Hermann_Ludwig_von_Helmholtz31 Un prisme est un élément optique utilisé pour réfracter la lumière, la réfléchir ou la disperser en ses constituants (les différents rayonnements de l'arc-en-ciel pour la lumière blanche). C'est traditionnellement un prisme solide, droit à base triangulaire, constitué d'un matériau transparent : verre, plexiglas, notamment. (http://fr.wikipedia.org/wiki/Prisme_(optique)#Dispersion_chromatique)32 Images juxtaposées formant une suite ininterrompue de couleurs, et correspondant à la décomposition de la lumière blanche par réfraction (prisme) ou par diffraction (réseau).
66
trois : le jaune, le bleu et le rouge. Les couleurs secondaires sont obtenues à l’aide du
mélange en égales quantités des couleurs primaires entre elles : le jeune et le bleu
donnent le vert ; le bleu et le rouge donnent le violet et finalement le rouge et le jaune
donnent l’orange. Après leur composition spectrale les couleurs peuvent être
complémentaires ou non complémentaires. Helmholtz établit aussi la distinction entre le
deux types de couleurs.
3.3.1. La couleur- lumière
Les couleurs complémentaires sont deux ou trois couleurs qui, par fusion optique,
donnent la lumière blanche, comme, par exemple, le rouge avec le vert et le bleu.
La synthèse additive est l'opération consistant à combiner la lumière de plusieurs sources
émettrices colorées afin d'obtenir une nouvelle couleur. Ces couleurs complémentaires
forment des gammes des couleurs bien définies qui se caractérisent par harmonie et
équilibre.
Image 3.1.
Synthèse additive
Pour éviter tout malentendu il faudrait faire la distinction entre la
complémentarité additive, qui concerne le mélange de lumières colorées complémentaires
et dont le résultat est la restitution de la lumière blanche, et la complémentarité
soustractive qui concerne le mélange de matières colorées complémentaires et dont le
résultat est un gris neutre.
Dès lors, depuis l’Antiquité les peintres utilisent quelques pigments de base et
leur mélange offrait de nombreuses possibilités en ce qui concerne la variation de
67
couleur. Les couleurs obtenues étaient parfaitement stables et offraient une large gamme
de teintes et de luminosité qui permettaient d'exprimer toutes les sensibilités. Dès le IX e
siècle, la gamme des couleurs disponibles s'élargit, entraînant de notables changements
dans les techniques de peinture. Ainsi, la couleur participe de plus en plus pleinement à la
perspective du tableau. Les jeux d'ombre et de lumière confèrent à la toile volume et
profondeur. Au début du XXe siècle, certains peintres comme Degas cherchent à
développer une palette de tons capable de rendre une luminosité exceptionnelle. En effet,
la lumière qui éclaire un pastel33 est renvoyée d'une manière parfaitement diffuse34.
Les impressionnistes proposent de nouvelles lois de la couleur et de la lumière. Ce
qui se traduit notamment par une suppression des contours, une variété de tons, des éclats
de lumière nouveaux, des touches larges. Ils rompent avec les formes admises et ils
imposent des tons clairs, des couleurs pures, accordées ou contrastées, selon la loi des
complémentaires, en supprimant les gris et les tons intermédiaires. L’ombre colorée, la
tache, doivent donner le dessin.
Chez Manet l’exécution de ses ouvrages est simple, sûre et claire comme son
tempérament. La nouveauté portée par ses œuvres est le rapport précis et constant entre la
lumière et la couleur35. Jusqu'à lui, la lumière était représentée par les couleurs naturelles
dans leur ton36 local,37 et celles qui montraient l’ombre, étaient couvertes par un ton brun,
brun foncé ou peut-être noir. Pour Manet et pour tous qui le suivent, la lumière résulte par
le rapport des tons clairs aux tons utilisés pour illustrer l’ombre et ceux-ci aussi colorés.
Le groupe des impressionnistes démarrent de l’idée que l’ombre n’est pas noire, mais
elle-même est colorée, idée que a été entrevue par Delacroix mais seulement expliquée et
utilisée par Manet et les impressionnistes. (OPRESCU, 1986 : 157)
La grande nouvelle que Manet a donnée à la peinture de son siècle est de rendre la
lumière à travers la couleur. Cette idée est le trait commun entre lui et les
impressionnistes. Ils tendent à suggérer les différences entre les parties lumineuses et 33 Le pastel désigne une technique picturale mettant en œuvre des bâtonnets de couleur, à mi-chemin entre le dessin et la peinture. (http://fr.wikipedia.org/wiki/Pastel_(b%C3%A2tonnet))34 http://www.curiosphere.tv/rdv_science/dossier3_couleurs/dossier_edito.htm35 Sensations que produisent sur l’œil les radiations de la lumière telles qu’elles sont absorbées ou réfléchies par les corps. (Larousse, 1993 : 281)36 Couleur considérée du point de vue de son intensité lumineuse et de son degré de saturation (Larousse, 1993 : 1015)37 Couleur propre d’un objet qu’un peintre représente. (Larousse, 1993 : 1015)
68
celles obscures par un rapport des valeurs et des tons. D’ici résulte la nécessite d’utiliser
couleurs ouvertes, parfois, plus claires qu’en nature, ce qui signifie, qu’en comparant une
œuvre de Manet avec le modèle dont il se sert, on trouvera toujours, dans sa peinture, que
les objets et les personnages sont plus lumineux, parce que les harmonies des couleurs
sont plus claires qu’en réalité. Manet n’est pas un systématique, un méthodique de
plénitude comme seront les impressionnistes dorénavant. Il ne divise pas les tons pour
atteindre la vibration de la lumière. Au contraire, il se sert de trait larges de pinceau, des
tons plats qui couvrent des surfaces signifiants et qui donnent l’impression qu’ils sont
exécutés d’un seul mouvement et plus précisément et décisivement. Manet préférait
s’exprimer en contraste le fond obscur aux parties pleines de lumière. Cette tendance
disparaît plus tard, après le contact avec les impressionnistes. Avec le temps, Manet est
gagné par les théories des impressionnistes qui militent pour une peinture plus claire et
pour l’exécution en plein air. Manet avait l’œil le plus sensible pour les nuances et même
avant de se réunir avec les impressionnistes, il s’est rendu compte des variations du ton à
cause de l’influence atmosphérique. Convaincu par la justesse de ces théories, il
commence lui- même à travailler en plein air. (OPRESCU, 1986:159)
3.3.2. La couleur- matière
Les couleurs non complémentaires sont le magenta, le cyan et le jaune qui ne
donnent jamais la lumière blanche. La synthèse soustractive est l'opération consistant à
combiner l'effet d'absorption de ces couleurs afin d'en obtenir une nouvelle, qui peut être,
le rouge, le bleu ou le vert et finalement le noir. La synthèse soustractive s'illustre en
superposant des calques colorés pour filtrer la lumière. (MARIN, 1967 : 114)
Image 3.2
Synthèse soustractive
69
En imprimerie, en peinture et dans l'art du vitrail38, il ne peut être question
d'additionner des couleurs par mélange de lumière, mais plutôt de couleurs pigments. Les
couleurs pigments sont différentes des couleurs lumière parce qu’elles ne peuvent pas
donner la lumière blanche, mais seulement noire ou grise quand elles sont mélangées
avec le blanc. Les pigments qui se mélangent absorbent de plus en plus de lumière et
deviennent de plus en plus sombres
Dans une œuvre d’art, les couleurs se trouvent toujours dans des rapports
chromatiques et de lumière. Les rapports chromatiques sont de rapports de teinte39 et les
rapports de lumière sont des rapports de ton qui montrent la différence de luminosité
entre les taches.
Les qualités de la couleur sont des traits d’éclatement, de luminosité, d’intensité et
de pureté. Après la manière que les couleurs impressionnent l’œil, elles peuvent être
nomme couleurs chaudes et froides. Les couleurs qui expriment le mieux les sensations
de chaud et de froid sont respectivement le rouge et le bleu.
Les néo-impressionnistes, selon l'expression forgée par le critique Félix Fénéon
pour établir la distinction entre les Impressionnistes «romantiques» et les peintres
groupés autour de Georges Seurat dès 1884, sont fascinés par les mêmes difficultés que
Monet et Renoir: le rendu de la lumière et de la couleur, problèmes qu'ils abordent
cependant armés des découvertes récentes de physicien français Michel Eugène
Chevreul, et physiciens anglais Nicholas Ogden Rood, Joseph Henry sur la composition
des couleurs et de la lumière. La couleur n'est jamais aussi brillante, vibrante et
lumineuse que lorsqu'elle est composée de touches juxtaposées de couleurs vives,
complémentaires. Il ne s'agit plus simplement pour le peintre « d'évoquer seulement la
lumière, mais faire du tableau un foyer lumineux ». Il s'agit selon Pissarro de
« substituer le mélange optique au mélange des pigments. Autrement dit la décomposition
des tons en leurs éléments constructifs. Parce que le mélange optique suscite des
luminosités beaucoup plus intenses que le mélange des pigments». Les néo-
impressionnistes, comme les impressionnistes, n'ont sur leur palette que des couleurs
pures. Ils répudient absolument tout mélange sur la palette et ils bannissent de leurs 38 Le vitrail est une composition décorative formée de pièces de verre blanches ou colorée qui peuvent recevoir un décor. (http://fr.wikipedia.org/wiki/Vitraux)39 Couleur nuancée obtenue par mélange, nuance (Larousse, 1993 : 993)
70
palettes tout mélange de teintes rabattues. Ils évitent encore de souiller la pureté de leurs
couleurs par des rencontres d'éléments contraires sur leur subjectile40. Chaque touche,
prise pure sur la palette, reste pure sur la toile. Par le mélange optique de ces quelques
couleurs pures, en variant leur proportion, ils obtiennent une quantité infinie de teintes,
depuis les plus intenses jusqu'aux plus grises41.
3.3.3. Le contraste
L’analyse des contrastes de couleurs dans la peinture peut être dirigée par les lois
dites « des sept contrastes de couleurs » basées sur la théorie des couleurs du peintre
suisse Johannes Itten. Les sept contrastes de couleurs sont alors : le contraste de couleur
en soi, reposant sur trois couleurs primaires - le rouge, le jaune et le bleu - et sur la
variation à la base de ces trois derniers; le contraste froid-chaud, reposant sur la sensation
de température des couleurs ; le contraste clair-obscur ; le contraste complémentaire,
c’est-à-dire le contraste entre les couples de couleurs tels que le jaune-violet, l’orange-
bleu et le rouge-vert ; le contraste simultané, le phénomène qui se produit entre une
couleur et un gris, mais aussi, entre deux couleurs pures non pas exactement
complémentaires qui font que notre œil voit simultanément sa complémentarité que notre
oeil va créer lui-même, si celle-ci n’est pas donnée ; le contraste de quantité, concernant
les rapports de grandeur entre deux zones colorées et le contraste de qualité, s’agissant du
degré de pureté ou de la saturation d’une couleur qui peut être ternie à l’aide du blanc ou
du noir.
Image 3.3. Auguste Renoir. La
Lecture, 1841. Huile sur toile, 55 x 65
cm. Mussé du Louvre, Paris
Les zones 1, 2, 3, 4, 5, 6.40 Surface (mur, panneau, toile) servant de support à une peinture. (Le Petit Robert, 1997)41 http://agora.qc.ca/mot.nsf/Dossiers/Neo-impressionnisme
71
On peut observer le phénomène de contraste de couleur dans la toile La Lecture d’
Auguste Renoir. Dans cette toile, Renoir emploie une grande variété de teintes avec un
très faible contraste lumineux entre les deux filles et l’arrière-fond, ce qui crée une
impression nébuleuse comme beaucoup de ses œuvres. On peut remarquer que dans cette
peinture, entre les zones 1 et 2, les zones 3 et 4, les zones 5 et 6, la distinction ne se fait
qu’à l’appui du contraste de couleur, en particulier le contraste entre la couleur froide (le
vert) et la couleur chaude (le rose), alors que la différence de luminosité entre les deux
zones n’est que très infime. Dans ce cas, la couleur tient son éclat du contraste plutôt que
de sa qualité inhérente. Une zone colorée apparaît plus brillante lorsqu’une couleur
chaude est en contraste avec une couleur froide. Ainsi, bien que la peinture de Renoir soit
dépourvue de contraste lumineux distinctif, le travail minutieux du contraste de couleurs
vient révéler les subtilités des coloris miroitant sur la surface picturale.
Par ailleurs, Georges Seurat et Paul Signac insistaient sur l’idée de peindre avec
des pigments purs, avec des couleurs non mélangées, et sur l’idée de borner l’image par
des règles de contraste de couleur et de complémentarité. D’après le principe de contraste
de complémentarité, chacune des deux couleurs cherche à repousser l’autre du côté de sa
complémentarité. Les couleurs nous apparaissent alors dans un état d’excitation
dynamique. Dans cette optique, le travail du peintre n’est pas d’assurer la stabilité
optique des couleurs, mais de faire vibrer la surface avec les couleurs qui concourent
entre elles. Au tournant de l’époque moderne, la réhabilitation de la fonction des couleurs
introduite par les impressionnistes donne un nouveau pouvoir sensationnel aux tableaux
et prévoit une émancipation définitive de la couleur. La conception impressionniste de la
couleur est alors devenue en quelque sorte un nouveau protocole qui inspire les artistes
72
des générations suivantes, notamment les peintres fauves, avec Henry Matisse en tête de
ligne. Le mouvement fauviste représente le fruit glorieux du progrès de la technique des
pigments. La couleur est alors émancipée de toute contrainte. Le contraste de couleur est
alors devenu un principe dominant dans la création et dans la perception artistique42.
La couleur n’est pas seulement importante dans la peinture. L’écrivain a besoin
d’elle aussi. Des écrivains comme Flaubert, Verlaine, Zola, Baudelaire, Rimbaud,
Mallarmé sont les principaux qui ont induit la catégorie d’impressionnisme littéraire dont
la couleur a un rôle très important. En littérature, les auteurs utilisent la couleur de
manière à symboliser l'idée, la pensée.
Avec le naturalisme, la couleur devient le véhicule de la description. Elle saisit
les scènes de la vie dans leur tourbillon, leur joie violente, leur aspect parfois grotesque.
En donnant vie au texte, elle donne accès à des émotions primordiales et instaure ainsi
une proximité entre les personnages et le lecteur.
« Au milieu du grouillement de la foule, sur les fonds gris et mouillés du
boulevard, les couples en procession mettaient des taches violentes, la robe gros bleu de
Gervaise, la robe écrue à fleurs imprimées de Madame Fauconnier, le pantalon jaune
canari de Boche [...]. Et les sourires augmentaient encore, quand, tout au bout, pour clore
le spectacle, Mme Gaudron, la cardeuse, s'avançait dans sa robe d'un violet cru, avec son
ventre de femme enceinte, qu'elle portait énorme, très en avant » (ZOLA, 1983 :87)
C'est ainsi qu'une fois l'émotion exprimée, l'idée se libère : en peignant ces gens
attablés, grâce à la lumière. Van Gogh transmet l'idée de leur précarité, de leur solidarité
dans la misère, de leur fatigue aussi. De la même manière, Maupassant, dans Aux Champs
(Contes de la Bécasse), peint-il la détresse des paysans normands au siècle dernier.
« Tout cela vivait péniblement, de soupe, de pommes de terre et de grand air. A
sept heures le matin, puis à midi, puis à six heures, le soir, les ménagères réunissaient
leurs mioches pour donner la pâtée comme des gardeurs d'oies assemblent leurs bêtes »
Avec le romantisme les distinctions académiques sont rejettes et s’impose la
recherche d’une correspondance entre les arts. On peut citer les « correspondances » de
Baudelaire, ou les très emblématiques « Voyelles » de Rimbaud. Dans ce dernier
42 http://neuroesthetique.wordpress.com/2008/10/05/contraste-de-couleur/
73
exemple, il est à noter l'association de l'unité de base de la littérature, la lettre, avec celle
de la peinture, la couleur. A chaque voyelle, Rimbaud associe une couleur.
Voyelles
A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,Je dirai quelque jour vos naissances latentes :A, noir corset velu des mouches éclatantesQui bobinent autour des puanteurs cruelles,
Golfes d'ombre ; E, candeurs des vapeurs et des tentes,Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles ;
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres bellesDans la colère ou les ivresses pénitentes ;
U, cycles, vibrement divins des mers viriles,Paix des pâtis semés d'animaux, paix des ridesQue l'alchimie imprime aux grands fronts studieux ;
O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,Silences traversés des Mondes et des Anges :— O l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux
Arthur Rimbaud
Les romantiques s'attachèrent à représenter les sensations humaines à travers
l'inspiration que les teintes suscitaient à l'âme du penseur.
« Mais quand une brise vient à animer ces solitudes, à balancer ces corps flottants, à
confondre ces masses de blanc, d'azur, de vert, de rose, à mêler toutes les couleurs, à réunir tous
les murmures ; alors, il sort de tels bruits du fond des forêts, il se passe de telles choses aux yeux
que j'essaierais en vain de les décrire à ceux qui n'ont point parcouru ces champs primitifs de la
nature » (René de Chateaubriand, Atala, Garnier Flammarion)43
La couleur, c'est l'art, l'émotion primordiale qui unit les êtres dans leurs différences. Il est
impossible d'enfermer la couleur dans une palette exclusive et définitive. Unique et modulable, elle fait
oeuvre, depuis nos lointains ancêtres des cavernes, de témoignage humain, donc historique. Elle est
inséparable de notre expérience.
3.4. L’impressionnisme et ses problèmes modernes
Les quatorze premières années du XXe siècle sont caractérisées par un optimisme
qui masque, volontairement peut – être, les menaces de plus en plus précises de la guerre.
Développement, industrialisation, cosmopolitisme, sont les mots clés d’une période où
les classes favorisées s’étourdissent de luxe, tandis que le progrès laisse espérer à tout le
monde un bonheur partagé. Les arts, la littérature s’orientent dans des voies nouvelles.43 http://pagesperso-orange.fr/papiers.universitaires/lettres9.htm
74
Le contexte d’optimisme et d’innovation du début du siècle est favorable à la
création artistique. L’éclatement du monde industriel provoque une vision fragmentée de
la réalité, qui aboutit, en peinture, au cubisme, à travers les recherches de Cézanne
d’abord, puis de Delaunay, Braque, Picasso, Fernand Léger. En même temps, un intérêt
pour l’ethnologie oriente l’inspiration des peintres et des sculpteurs vers les arts africains
et océaniens. Paradoxalement, la littérature traduit une vision morcelée du monde (celle
de Blaise Cendrars, de Valery Larbaud ou d’Apollinaire) parallèlement au courant
humaniste (Romain Rolland, Charles Vildrac) qui pense englober la totalité du monde
perceptible.
Les impressionnistes sont ceux-là qui désignent le moment où se font jour les
trois problèmes modernes dans l’art que sont le rapport « de la forme et de la lumière »,
la « triangulation de l’espace » et la « représentation polysensorielle ».
En s'arrêtant sur le premier point, qui constitue la caractéristique la plus manifeste
et la plus perçue de la peinture impressionniste, Bernard Vouilloux affirmera que nous
nous attachons plus particulièrement de l’effet qui en résulte de dilution ou de
vaporisation de la forme-contour dans la forme-tache, celle-ci n'étant qu'une évocation et
non une description de celle-là. Le spectateur d’aujourd’hui tant soit peu informé, ne peut
que souscrire à la description que l’historien et critique d'art français, Pierre Francastel
donne de la transformation la plus sensible introduite par l’impressionnisme :
« C'est la forme qui cède le pas. Le contour de la tache colorée l’emporte sur le
contour des objets. Jadis la couleur se soumettait au contour, moyennant un certain flou,
une certaine confusion des valeurs dans la pénombre; désormais le contour ne sera plus
qu'une trace a peine suggérée à travers les limites de la tache triomphante »
(VOUILLOUX, 2000 : 67)
La description est strictement conforme à la résolution artistique que la peinture
impressionniste apporte au vieux problème posé par le rapport entre la couleur44 et le
dessin45 et par leurs limites ou contours respectifs, problème traité et tranché jusque-là
dans un sens univoque c'est-à-dire la subordination de la couleur au dessin. Assurément,
ce a quoi les moins hostiles des premiers spectateurs de tableaux impressionnistes étaient
sensibles ou réceptifs, c'était d'abord la « modernité » des sujets traités, pour autant que
44 La tache45 La forme de l'objet représenté
75
le décor urbain, le costume et tous les accessoires de la vie contemporaine, avec les
situations et les gestes qu'ils appellent, exclus de la peinture d'histoire, n'avaient été admis
ou tolères que dans les degrés inférieurs de la hiérarchie académique des genres.
Quelques peintres n’abandonneront encore les grandes thèmes classiques : l’histoire, le
nu, le portrait, la nature morte et le paysage mais peu à peu l’influence classique
disparaîtra et la nouveau technique picturale se changera vers la traduction de
l’éphémère, vers tout ce qui bouge et qui passe. (BOCQUILLON, 2004 : 46) Mais
certains de leurs contemporains surent aussi percevoir les qualités « purement » picturales
liées à l'emploi de cette palette claire qui, rompant avec la cuisine des «jus » d'atelier,
déversait sur la toile la lumière du plein air. A une réserve près, toutefois, qui n'est pas de
peu de conséquences : c'était non pas pour dégager les effets du tachisme46 sur la
construction de l'espace pictural ou la conception de 1'espace que de tels effets
impliquent, mais pour subordonner la peinture impressionniste à un type de vision. Selon
ce schéma, le tableau fonctionnait comme l’équivalent technique, artefactuel, la
reproduction picturale directe de la sensation visuelle à l’état naissant, le fac-similé de
l’impression que le peintre reçoit d'une sensation pure, et qu'il transmet à l'œil du
spectateur. Un de grandes écrivains de l’époque des impressionnistes ainsi qu’un critique
d’art de renommé internationale, Théodore Duret, disait que Monet avec « son pinceau a
fixé ces mille impressions passagères que la mobilité du ciel et les changements de
1'atmosphère communiquent à l'œil du spectateur. »
Les impressionnistes constatent que la lumière d’atelier où ils travaillent pendant
leur vie était une lumière froide, triste et égale. Jusqu’au courant impressionniste les
artistes et surtout les peintres qui saisissaient les motifs de la nature, faisaient des
esquisses sommaires pour se rappeler les détailles les plus importantes d’un paysage et
les finissaient ensuite dans l’atelier. Jamais un tableau a été peint entièrement en nature.
Les impressionnistes trouvent que ce procède falsifie la réalité et q’un paysage n’importe
qu’il soit doit être exécuté où il est vu. La méthode pleinairiste a été soulevé au rang de
46 Une des tendances de la peinture abstraite des années 1950, caractérisée par la projection de taches et de couleurs. Le terme « tachisme » aurait été inventé par le critique Pierre Guéguen en 1951, bien qu'il ait été utilisé dès 1889 par le critique Félix Fénéon pour décrire la technique impressionniste, et à nouveau en 1909 par Maurice Denis pour les fauves. Dans la peinture figurative, Façon de peindre par taches de couleur uniformes juxtaposées. le pointillisme. Dans la peinture abstraite, Façon de peindre par éléments colorés de forme imprécise. (Larousse, 1993 : 984), (http://fr.wikipedia.org/wiki/Tachisme)
76
doctrine, de règle essentielle pour les impressionnistes. Ils observent comment la lumière
ne tombe jamais brutalement sur les objets, comme se présentait elle dans les œuvres des
peintres anciennes, comment elle ne saisit pas dans ses rayons surfaces pour les couvrir
entièrement et qui puisse les séparer après. Ils se rendent compte que le rayon du soleil
est quelque chose de plus matériel, de plus vif, de plus fluide et qu’il s’insinue et se
reflète n’importe où, qu’il fait vibrer l’atmosphère et briller les nuances des couleurs. La
lumière individualise et donne de la vie au ton, même si dans l’ombre, c’est-à-dire dans
ces parts que les artistes jusqu’à ce moment les considèrent comme dénués de couleur et
qui étaient couvert uniformément d’un ton sourd et gris. (OPRESCU, 1986:169)
En ce qui concerne la triangulation de l’espace, définitoire est la théorie de
Cézanne qui cherche a simplifier la peinture par la réduction des formes et le retour à la
peinture. Cette théorie se transformera plus tard en cubisme et prendra sa source dans une
lettre de Cézanne à Émile Bernard, du 15 avril 1904, de laquelle sera tirée une phrase
souvent répétée pour justifier les théories cubistes : « Traitez la nature par le cylindre, la
sphère, le cône, le tout mis en perspective, soit que chaque côté d'un objet, d'un plan, se
dirige vers un point central. »
Du peintre «traduisant » dans le tableau ses sensations visuelles au spectateur
faisant 1'expérience, devant la nature peinte, de ce qu'il voit au naturel, pour peu du
moins qu'il « sente », il était admis que la sensation se transmettait sans perte, native,
naïve, pure, neuve. La réalisation polysensorielle représente le mixage de perception
olfactive, perception visuelle et perception sonore qui incitera la curiosité du spectateur
innocent, le poussera et l'encouragera à établir des liens entre les éléments occupant
l'espace.
Le critique et collectionneur d'art russe, Charles Ephrussi insistait sur le fait que la
«traduction » picturale avait quelques chose de littéral: « [...] se mettre en face de la
nature et l’interpréter sincèrement, brutalement, sans se préoccuper de la manière
officielle de voir; traduire scrupuleusement 1'impression, la sensation, toute nue, tout
étrange qu'elle puisse paraître [...] » (apud VOUILLOUX, 2000 : 67)
Rares étaient les critiques qui, tout en étant favorables aux impressionnistes, ne
partageaient pas la doctrine qui prévalait chez les peintres et leurs partisans et préféraient
mettre l’accent sur ce qu'avait de spécifiquement pictural l'acte de la «transposition ». Le
77
peintre qui prétend que sa peinture est d’une réalité absolue se laisse trompe par une
chimère. Quant au réalisme d'impression, il est possible d'y atteindre: la peinture étant
une transposition, si l'artiste possède une habileté suffisante, il doit nous rendre
intégralement les lignes et l’harmonie du morceau transposé.
La nouvelle peinture passait pour capter la sensation à sa source et pour révéler
l’être même des choses : c'était précisément dans sa connexion phénoménale avec la
vision d'un sujet que l'objet se dévoilait comme tel. Comme Kant l'avait marqué, ce qui
importait, ce n'était pas l'opposition entre le sujet et l'objet, mais la distinction du
phénomène et de 1'apparence: relèvent du phénomène les qualités de l'objet en soi telles
qu'elles se découvrent aux sens du sujet; relèvent de 1'apparence les qualités qu'une
illusion des sens amène le sujet à attribuer indûment à l'objet. On pouvait dire qu'a
1'apparence conceptualisée des objets peints, tels que la forme-contour les délimitait dans
la peinture classique, l'impressionnisme substituait le phénomène sensible de la couleur,
telle que la forme-tache la bornait. Chaque tableau devient une improvisation née d'une
sensation neuve et dégagée de toute idée préconçue. C'est aussi de cette sorte de
nouveauté qu'il apporte dans l'exécution de chaque chose que sont nées ces factures si
variées, parce qu'elles sont naïvement le résultat d'un travail machinal sous une
impression momentanée. Le caractère « machinal» du travail pictural qui redonnait sa
pleine valeur sémantique à ce qu'impliquait de mécanique le processus perceptif de
1’impression sauvegardait la virginité ou la naïveté de l'exécution, qui répondait elle-
même, en sa quasi-improvisation, à ce qu'avait de momentané et surtout de neuf la
sensation, des lors qu'aucune « idée préconçue » ne la trahissait. Fugace et brute, la
sensation délivrait ainsi ses deux traits définitoires, qui étaient aussi ceux de la vision
mise en œuvre dans la peinture impressionniste, aussi bien en amont qu'en aval du
tableau, dans le regard du peintre comme dans celui du spectateur: la pureté originelle du
phénomène et l’instantanéité de sa perception étaient réciproquement garantes l'une de
1'autre.
La réalisation polysensorielle représente le mixage de perception olfactive,
perception visuelle et perception sonore qui incitera la curiosité du spectateur innocent ,
le poussera et l'encouragera à établir des liens entre les éléments occupant l'espace. Par
excellence ce type de représentation est une représentation globale qui désigne la pensée
78
abstraite.
Le critique d’art Jules Castagnary publiait dans le journal illustré satirique
français, Le Charivari que dans ce époque faisait des gorges chaudes du désormais
fameux tableau exposé par Monet, une définition lapidaire que probe le concept de la
sensation pour les peintres impressionnistes : « Ils sont impressionnistes en ce sens qu'ils
rendent non le paysage, mais la sensation produite par le paysage. » Même Jules
Laforgue, qui est sans doute celui qui, a le mieux saisi et le mieux formulé les
implications formelles de la révolution impressionniste, s'enchante comme bien d'autres
de ce qui en constitue l’« aspect lyrique»; en entamant son texte le plus célèbre de
critique d'art par une section sur l’Origine physiologique de l'impressionnisme, il mettait
au premier plan la problématique perceptiviste si fort en faveur chez ses contemporains.
On y voit Laforgue passer constamment du plan de l’art à celui de la perception, et
inversement. D’un côté il sait parfaitement caractériser les transformations que subissent,
respectivement le dessin-contour auxquels sont substitués «les vibrations et les contrastes
de la couleur », la « perspective théorique » qui cède la place à la « perspective naturelle
des vibrations et des contrastes des couleurs » et l’ « éclairage d’atelier » détrône par le
«plein air»: ce sont bien là, plus ou moins, les « problèmes modernes », proprement
picturaux. Mais d’un autre côté Laforgue ouvre son, article sur l’assertion selon laquelle
il s'agirai pour le peintre impressionniste de «se refaire un œil naturel», de « voir
naturellement» et de « peindre naïvement comme il voit ». L'analyse, qu'il donne du
dessin classique, repose, selon lui, sur l'association des valeurs tactiles aux valeurs
optiques et ne peut donc être produit qu'au détriment des variations lumineuses- nécessite
que soit posée en préalable l'existence d'un « œil naturel», d'un regard purement visuel,
dépourvu comme tel du supplétif cognitif constitué par le tactile :
« L'impressionniste voit et rend la nature telle qu'elle est, c'est-à-dire uniquement
en vibrations colorées. Ni dessin, ni lumière, ni modèle, ni perspective, ni clair-obscur,
ces classifications enfantines: tout cela se résout en réalité en vibrations colorées et doit
être obtenu sur la toile uniquement par vibrations colorées. » (apud VOUILLOUX, 2000 :
70)
Ecrit en 1883 à 1'occasion d'une exposition berlinoise de peinture impressionniste,
le texte de Laforgue fut publié seulement vingt ans plus tard; trop tard, donc, pour qu'il
79
pût peser dans la réception immédiate du mouvement, mais assez tôt pour servir de
caution à l’interprétation qu'en donnèrent les premiers historiens et pour établir
solidement son autorité auprès des commentateurs futurs. Cette autorité, il la doit à
l’exceptionnelle efficacité avec laquelle certaines idées dominantes de 1'époque y sont
condensées, ce qui explique aussi pourquoi il aura été mentionne aussi bien par ceux qui
continuaient d'accepter la thèse perceptiviste que par ceux qui, sans y souscrire, en
faisaient un élément décisif du premier contexte interprétatif de l’impressionnisme. Si
l'intérêt qui n'a cesse d'être porté au texte de Laforgue depuis sa publication avait besoin
d'une justification, ce n'est donc pas seulement dans l'identité de l'auteur qu'il faudrait la
chercher, non plus que dans ces qualités de style, auxquelles se reconnaîtrait le grand
écrivain, ni même, enfin, dans ces orientations thématiques et formelles qui ont amène
certains critiques à parler d'« impressionnisme » à propos de ses écrits proprement
littéraires. C'est aussi et surtout parce que s'y dessine la convergence entre deux séries de
problèmes qui préoccupaient alors un certain auteur: l'opposition des valeurs optiques et
tactiles, la postulation d'un « œil naturel ».
3.5. Le tactile, l’optique et « l’oeil innocent »
Alois Riegl, historien de l'art autrichien a décrit le tactile et l’optique comme
conjoints dans un stade intermédiaire dont ils font référence à des modes de vision
rapprochée ou éloignée, permettant de caractériser le traitement de la forme, de la surface
et du volume qui est corrélatif à la représentation des objets dans l’art antique et de
80
distinguer dans ce dernier trois grandes phases qui correspondent respectivement à l’art
de l’ ancienne Egypte, à l’art grec classique et à l’art romain tardif.
L’opposition entre l’optique et le tactile a été fait par les formalistes allemands
sous la tradition transcendantale ouverte par le philosophe Johann Friedrich Herbart et
avait comme principal souci de mettre en évidence la cohésion des rapports formels
propres à chaque art.
Chez Riegl les concepts de tactile et d’optique avaient pour but non plus de
trouver des explications génétiques ou des relations hiérarchiques phénoménales comme
étaient présentées dans la formulation psychologico-empiriste, mais de déterminer le sens
intrinsèque des phénomènes artistiques et de caractériser cas par cas en se référant à deux
possibilités fondamentales de l’attitude de la contemplation externe.
John Ruskin, critique d’art britannique a développé la théorie de l’œil innocent
dans son œuvre Elements of Drawing publié à Londres en 1856. Dans cet ouvrage la
théorie a trouvé la formulation la plus décisive et la plus frappante en ce qui concerne les
considérations sur la peinture moderne de paysage :
« Toute la force évocatrice de la technique picturale dépend de la possibilité pour
nous de retrouver ce que nous pourrions appeler l’innocence du regard ; c’est-à-dire une
sorte de perception enfantine de ces taches plates et colorées, vues simplement en tant
que telles, sans que nous prenions conscience de leur signification comme pourrait le voir
un aveugle qui, tout à coup recouvrerait la vue » (VOUILLOUX, 2000 : 72)
Dans le livre L’Art et l’Illusion le spécialiste dans l’histoire de l’art, Ernst Hans
Gombrich assemble les pièces de la théorie de Ruskin et affirme que ce dernier préfigure
la future doctrine des impressionnistes.
En 1911, le peintre anglais et écrivain d’art Wynford Dewhurst a publié l’article
What is Impressionism ?, en mettant l’accent sur quelque termes : peinture par masses,
ombres colorées, effets atmosphériques, composition, traitement des éléments paysagers.
Sa démonstration a été un peu excessive, mais il n’a pas hésité à faire de Ruskin le maître
à penser du courant impressionniste. Le rapprochement entre les idées de Ruskin et celles
de quelques impressionnistes peut être expliqué de trois manières différentes en
recouvrant les explications mises en œuvre par les historiens qui étudient le style
d’époque avec les rapports entre les formes artistiques données et les formes antérieures.
81
On peut soutenir que les idées de Ruskin préfigurent, anticipent et annoncent celles des
impressionnistes et on peut ajouter aussi que tous les critiques partagent les mêmes idées
parce qu’elles sont dans « l’air du temps ». On peut affirmer que Ruskin a influencé la
peinture impressionniste ou que ceux-ci ont trouvé dans les idées de celui-là les éléments
qui leur donnaient l’inspiration pour faire leurs propres recherches et réécrire l’histoire de
l’art à laquelle ils appartiennent.
Le contact des impressionnistes avec les idées de Ruskin a été fait par quatre
manières : par la traduction vulgaire de l’esthéticien Joseph Milsand au début des années
1860 ; par le séjour à Londres de Monet et Pissarro en 1870-1871 ; par les aperçus qui ont
donnés divers ouvrages publiés à l’époque ou peut-être par l’accès direct des certains
lecteurs français comme le poète Jules Laforgue aux textes originaux. Le poète Laforgue
affirme lui aussi que un œil naturel oublie les illusions tactiles et sa commode langue
morte, le dessin-contour et n'agit que dans sa faculté de sensibilité prismatique. Il arrive à
voir la réalité dans l'atmosphère vivante des formes, décomposée, réfractée, réfléchie par
les êtres et les choses, en incessantes variations. Pour Laforgue l'œil impressionniste est
dans l'évolution humaine l'œil le plus avancé, celui qui jusqu'ici a saisi et a rendu les
combinaisons de nuances les plus compliquées connues. L'impressionniste voit et rend la
nature telle qu'elle est, c'est-à-dire uniquement en vibrations colorées. Ni dessin, ni
lumière, ni modelé, ni perspective, ni clair-obscur, ces classifications enfantines: tout cela
se résout en réalité en vibrations colorées et doit être obtenu sur la toile uniquement par
vibrations colorées.
Pour Ruskin comme pour les impressionnistes, l’œil de l’enfant était l’avenir de la
peinture parce qu’il mettait en valeur la peinture sans avoir développé des facultés
cognitives et l’acquisition du langage et seulement refaisant la perception d’un enfant qui
voit le monde dans une multitude des taches sans significations sémantiques.
Cézanne nommait Monet le peintre de l’avenir parce que « Monet est un œil, l’œil
le plus prodigieux depuis qu’il y a des peintres ». (VOUILLOUX, 2000 : 76)
Les idées des Manet et surtout beaucoup plus explicite de Monet sont comme une
boulle de neige qui grandit et donne de la naissance d’une révolution de concepts et
critiques qui finalement s’appelleront dans un seul mot « Impressionnisme ».
82
« Quand vous sortez pour aller peindre, essayez d’oublier les objets devant vous,
l’arbre, la maison, le champ ou autre chose. Songez seulement : voici un petit carré de
bleu, une tache oblongue de rose, un trait de jaune, et peignez-les juste comme vous les
voyez, cette couleur et cette forme précises, jusqu'à ce que votre impression naïve de la
scène soit rendue » (VOUILLOUX, 2000 : 76)
Conclusions
83
La fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle sont caractérisés par une richesse
des relations et interférences entre la peinture impressionniste et les courants de l’époque
(naturalisme, symbolisme, réalisme, décadentisme). Le produit de ces relations est
l’impressionnisme littéraire.
On a présenté les relations historiques entre la peinture et la littérature à l’époque
de l’impressionnisme, l’influence que ce nouveau type de peinture a eu sur l’œuvre des
écrivains et les différentes opinions des artistes à l’égard de ce mouvement. En partant de
l’attitude des écrivains vers les peintres et vers leurs œuvres, nous sommes arrivée à la
conclusion que la peinture impressionniste a été vraiment influencée non seulement les
œuvres des écrivains, mais leur attitude et leur style de vie aussi.
Nous avons mis en évidence l’importance de la sensation et la difficulté de l’y
rendre dans la peinture et dans la littérature. D’après le peintre Paul Signac, le jeu
harmonique des teintes sur la toile dépend exclusivement de la sensation parce que, pour
peindre, l’artiste doit soumettre la couleur et la ligne à l'émotion qu'il a ressentie et qu'il
veut traduire. En littérature il est plus difficile à transposer les impressions parce que
l’œuvre littéraire implique plus de sensations qu’on a besoin pour peindre.
Le troisième chapitre de notre étude a porté sur les liaisons entre le pôle perceptif
et le pôle artistique. La perception du peintre impressionniste s'attache en principe sur le
réel et fixe l’éphémère. L’artiste dispose de la capacité et du désir de transformer sa
perception visuelle en une forme matérielle, artistique. En pratique, il est impossible de
séparer les deux parties parce que l’artiste exprime ce qu’il perçoit. Il perçoit ce qu’il
exprime. Tantôt dans la peinture, tantôt dans la littérature, la couleur a un rôle primordial.
En littérature, elle devient le véhicule de la description, donne accès à des émotions
primordiales et instaure une proximité entre les personnages et le lecteur. En peinture elle
aide l’artiste à représenter ses émotions et transposer ses sensations. Dans la peinture
l’œil impressionniste est l’œil le plus avancé parce qu’il rend sur la toile les vibrations
colorées, les vibrations de la vie.
Annexe
Petit dictionnaire impressionniste
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convergence
couleur
croquis
esquisse
espace
forme
fraîcheur
impressionnisme
lumière
matière
mélange additif
mélange optique
mélange soustractif
mouvement
œil innocent
optique
palette
pastel
perception
pictural
plein air
pointillisme
représentation polysensorielle
sensation
spontanéité
tache
tachisme
tactile
ton local
Bibliographie
85
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