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ION MURĂREŢ SYNTAXE LA PHRASE COMPLEXE (I) – LES PRINCIPAUX CIRCONSTANTS ET LA PHRASE DE COMPARAISON – Deuxième édition

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ION MURĂREŢ

SYNTAXE

LA PHRASE COMPLEXE (I) – LES PRINCIPAUX CIRCONSTANTS ET LA PHRASE DE COMPARAISON –

Deuxième édition

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Descrierea CIP a Bibliotecii Naţionale a României MURĂREŢ, ION Syntaxe. La phrase complèxe (I) / Ion Murăreţ. – Ed. a 2-a – Bucureşti: Editura Fundaţiei România de Mâine, 2006 376 p.; 20,5 cm. Bibliogr.

ISBN 973-725-471-6 Vol. I – 2006 ISBN 973-725-500-3

811.133.1′367(075.8) 811.133.1′367.4(075.8)

© Editura Fundaţiei România de Mâine, 2006

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UNIVERSITATEA SPIRU HARET FACULTATEA DE LIMBI ŞI LITERATURI STRĂINE

Prof. univ. dr. ION MURĂREŢ

SYNTAXE

LA PHRASE COMPLEXE (I) – LES PRINCIPAUX CIRCONSTANTS ET LA PHRASE DE COMPARAISON –

Deuxième édition

EDITURA FUNDAŢIEI ROMÂNIA DE MÂINE Bucureşti, 2006

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TABLE DES MATIÈRES

LE CIRCONSTANT

LES CIRCONSTANTS TEMPORELS

Le circonstant de temps constitué par une proposition à verbe fini … 11 La proposition temporelle ……………………………………….… 11 Antériorité. Subordonnants ………………………………………… 12 Nuances d’aspect duratif dans l’antériorité ……………………... 17 Postériorité. Subordonnants …………………………………….…. 26 La postériorité immédiate du fait exprimé par la principale …… 26 Nuances d’aspect duratif dans la postériorité …………………… 28 Éloignement dans le temps ……………………………………… 31 Locution qui marque la limite à partir de laquelle commence

un fait …………………………………………………………… 31 Simultanéité. Subordonnants ………………………………………. 32 La répétition fréquente de l’action ……………………………… 40 La prolongation dans la durée …………………………………... 40 La progression dans la durée ……………………………………. 41 Systèmes temporels formés au moyen de la conjonction que ….. 42 Systèmes temporels formés au moyen des locutions: Il y a … que;

voici … que; voilà … que (il y a, voici, voilà, combinés à que) … 43Les circonstants de temps ayant des verbes à un mode impersonnel

(non personnel) …………………………………………………. 44 – Le circonstant de temps constitué par une construction

infinitive ……………………………………………………….. 44 – Le circonstant de temps ayant dans sa structure un participe

passé de forme simple …………………………………………. 46 – Le circonstant de temps ayant dans sa structure un participe

passé de forme composée ……………………………………… 47 – Le circonstant de temps ayant dans sa structure un participe

présent (participe en -ant) ……………………………………... 47 – Le circonstant de temps ayant dans sa structure un gérondif 47

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Le circonstant de temps constitué par un adverbe ou une locution adverbiale ……………………………………………………….. 48

Classement des adverbes de temps selon Jacqueline Pinchon ……… 49Théorie de H. Weinrich concernant les adverbes de temps ………… 51Emplois des certaines adverbes de temps ………………………….. 53Remarques sur quelques locutions adverbiales de temps …………… 67

Le circonstant de temps constitué par un groupe prépositionnel ….. 69Les marques de début et de fin ………………………………….… 70Prépositions ………………………………………………………... 70Autres exemples …………………………………………………… 73Locutions prépositives …………………………………………….. 76

Le circonstant de temps constitué par un groupe nominal de construction (rection) directe ………………………………. 79

Structures équivalentes ……………………………………………. 80

LES CIRCONSTANTS SPATIAUX

Le circonstant spatial constitué par une proposition à verbe fini ….. 81Le circonstant spatial constitué par un adverbe ou une locution

adverbiale ………………………………………………………. 83 Adverbes …………………………………………………………… 84 Locutions adverbiales ...……………………………………………. 90Le circonstant spatial constitué par un groupe prépositionnel …….. 94 Prépositions ………………………………………………………... 95 Locutions prépositives ……………………………………………... 105Le circonstant spatial constitué par un groupe nominal

de rection directe ……………………………………………….. 115

LES CIRCONSTANTS DE CAUSE

Le circonstant de cause constitué par une proposition à verbe fini …. 116 Subordonnants de cause …………………………………………… 116 – Locutions conjonctives appartenant à l’origine à la langue

juridique et administrative …………………………………….. 128 – Conjonctions et locutions conjonctives de cause à nuance

temporelle: comme, du moment que, dès lors que, maintenant que, dès que, à présent que, quand, alors que, lorsque ……….. 130

– Locutions conjonctives causales à nuance comparative (d’autant que, d’autant plus que, d’autant moins que, d’autant mieux que) …....………………………………………………... 136

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– La cause est rejetée ………………………………………….. 138 – La cause est absente ou insuffisante …………………………. 138 – Les fausses causes; la cause faussement alléguée …………… 139 – La cause est nieé (on écarte la cause) ………………………... 140 – Hésitation entre les causes …………………………………… 142 – La locution conjonctive pour que introduisant une causale …. 144 – Emploi du mode dans la proposition de cause (généralités) … 146Les circonstants ayant des verbes à un mode impersonnel

(non personnel) ….....……………………………………………. 147 – Le circonstant de cause constitué par une construction

infinitive …............…………………………………………….. 147 – Le circonstant de cause ayant dans sa structure un participe

passé de forme simple………………………………………….. 151 – Le circonstant de cause ayant dans sa structure un participe

passé de forme composée ……………………………………… 151 – Le circonstant de cause ayant dans sa structure un participe

présent (ou un participe en -ant)…......…………………... 152 – Le circonstant de cause ayant dans sa structure un gérondif … 152Le circonstant de cause formé par un groupe prépositionnel …......... 153 – Les exposants de motifs (ligatures spéciales de cause) …........ 156 – Le circonstant introduit par des locutions prépositives ............ 157 – Locutions prépositives exprimant à l’origine des motifs

sentimentaux ….………………………………………………... 160 Structures équivalentes …………………………………………….. 165

LES CIRCONSTANTS DE CONSÉQUENCE

Le circonstant de conséquence constitué par une proposition à verbe fini …......………………………………………………... 169

Subordonnants ……………………………………………………... 169 – Locutions conjonctives formées à l’aide du mot point ou

des mots point et tel …........……………………………………. 179 – La proposition subordonnée de conséquence amenée par pour

que et les adverbes de quantité assez, suffisamment, trop …....... 181Les circonstants ayant des verbes à un mode impersonnel

(non personnel) ...........……………………………………….…. 187 – Le circonstant de conséquence constitué par une construction

infinitive ……………………………………………………….. 187Le circonstant de conséquence est formé par un groupe

prépositionnel …........…………………………………………… 191 Structures équivalentes ...............................................................…... 192

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LES CIRCONSTANTS DE BUT

Le circonstant de but constitué par une proposition à verbe fini …... 198 Subordonnants …...................................................………………… 198Les circonstants de but ayant des verbes à un mode impersonnel

(non personnel) ….………………………………………………. 207 – Le circonstant de but constitué par une construction infinitive …. 207 – Le circonstant de but constitué par un groupe prépositionnel … 213 Structures équivalentes ….............................................……………. 214

LES CIRCONSTANTS DE CONCESSION ET D’OPPOSITION

Le circonstant de concession et d’opposition constituée par une proposition à verbe fini …...............................................…. 215

Subordonnants ….......................................………………………… 215 A. La proposition à valeur adversative ou d’opposition …............... 215 B. La proposition de concession proprement dite …...............…….. 222Les circonstants ayant des verbes à un mode impersonnel

(non personnel) .............…………………………………………. 242Les circonstants de concession et d’opposition constitués par

une construction infinitive ….................…………………….…. 242 A. La construction infinitive exprime un rapport de concession …... 242 B. La construction infinitive exprime un rapport d’opposition …..... 243Les circonstants de concession et d’opposition ayant dans leur

structure un participe passé ….................................................... 244Les circonstants de concession et d’opposition ayant dans leur

structure un participe présent (ou un participe en -ant) .......... 245Les circonstants de concession et d’opposition ayant dans leur

structure un gérondif …………………………………………… 245Les circonstants de concession et d’opposition constitués par

un groupe prépositionnel ….............................................……… 245

LES CIRCONSTANTS HYPOTHÉTIQUES

Le circonstant hypothétique constitué par une proposition à verbe fini introduite par si hypothétique (ou conditionnel) …............ 257

La subordonnée hypothétique exprime: A. Une hypothèse pure et simple …..............................................… 257 B. Une hypothèse possible (le potentiel) …..................................… 260

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C. L’irréel du présent …......................................………………….. 260 D. L’irréel du passé …..................................................................…. 260 Variantes principales …..................................................................... 263 Variantes secondaires ...................................................................…. 264 Si non hypothétique …..................................................................…. 269 Locutions formées avec si hypothétique …....................................... 270 Autres subordonnants ….............................................................….. 278 – subordonnants ayant des valeurs hypothétiques spéciales …... 283 – subordonnants marquant la supposition proprement dite ......... 287 Propositions à verbe fini exprimant l’hypothèse sans qu’elles soient

introduites par un subordonnant ….........................................…….. 292Les circonstants hypothétiques ayant des verbes à un mode

impersonnel (non personnel) …........………………………….. 300 – circonstant hypothétique constitué par une construction

infinitive …...…………………………………………………... 300 – construction infinitive marquant l’alternative dans

l’hypothèse ….........……………………………………………. 303Les circonstants hypothétiques ayant dans leur structure

un participe passé de forme simple …..……………………….. 303Les circonstants hypothétiques ayant dans leur structure

un participe présent ….…………………………………………. 303Les circonstants hypothétiques ayant dans leur structure

un gérondif …...............…………………………………………. 304Les circonstants hypothétiques constitués par un groupe

prépositionnel …..........………………………………………….. 304

LES CIRCONSTANTS EXCEPTIFS

Les circonstants exceptifs constitués par une proposition à verbe fini ….................………………………………………… 307

Les circonstants exceptifs constitués par une construction infinitive …. 309Les circonstants exceptifs constitués par un groupe prépositionnel …. 309

LA PHRASE DE COMPARAISON

Les rapports de comparaison ................................................................. 312 – Égalité .....................................................................................…… 312 – Inégalité ......................................................................................… 313 – Proportionnalité ..........................................................................… 313

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– Constructions infinitives exprimant la comparaison ...................... 314 – Égalité .....................................................................................…… 314 A. Égalité proprement dite. „Morphèmes” d’égalité …………... 314 B. Identité. Comparatifs de l’identité (ou de la similitude) …… 321 C. Conformité (ressemblance) …………………………………. 322 La conformité peut s’exprimer au moyen de locutions

adverbiales ……………………………………………………... 339 – Inégalité ......................................................................................… 340 – Proportionnalité ..........................................................................… 361 Le rapport de proportionnalité …………………………………. 361 BIBLIOGRAPHIE ..............................................………………………. 373

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LE CIRCONSTANT Définition. On donne le nom de circonstant à tout élément

exerçant dans la phrase une fonction circonstancielle quelle qu’en soit la manifestation: adverbe simple ou composé (locution adverbiale), syntagme prépositionnel (ou dans certains cas non prépositionnel), proposition subordonnée, etc. (M. Arrivé, Gadet, Galmiche, Le français d’aujourd’hui, Paris, Flammarion, 1986).

LES CIRCONSTANTS TEMPORELS

Le circonstant de temps constitué par une proposition à verbe fini La proposition temporelle

La proposition temporelle ou de temps indique le moment où se situe l’action de la principale par rapport à une autre action exprimée dans la subordonnée: „il s’agit moins d’une indication de temps abso-lument déterminée que d’une relation d’antériorité, de postériorité ou (de façon beaucoup moins précise) de simultanéité entre deux faits…” (W. von Wartburg, P. Zumthor, Précis de syntaxe, Berne, Francke, 1973, p. 86). Au point de vue des valeurs et des relations temporelles, le processus exprimé par la principale est relativement au processus marqué par la subordonnée soit antérieur, soit postérieur, soit simultané; par conséquent, les termes d’antériorité et de postériorité concernent la proposition principale et non pas la proposition subordonnée ou dépendante.

Antériorité Il y a antériorité quand la proposition principale marque un fait

antérieur à celui de la subordonnée (le fait exprimé par le verbe principal est antérieur au fait exprimé par le verbe de la proposition dépendante).

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Subordonnants Avant que, aussitôt avant que, à peine … que, d’ici à ce que, d’ici

que, en attendant que, jusqu’à ce que, jusqu’au moment où, jusqu’à tant que, jusqu’au temps que, le temps que, ne … pas plus tôt … que.

Avant que

1. La locution conjonctive avant que employée sans ne explétif ou discordantiel.

Ex.: „Mais voici qu’avant que le dîner fût sonné mon grand-père eut la férocité inconsciente de dire: „Le petit a l’air fatigué, il devrait monter se coucher” (Proust, Du côté de chez Swann). „Voilà que le sommeil l’a pris en traître d’un coup sur la nuque avant même qu’il ait fermé les yeux” (Bernanos, M. Ouine). „À Canton, il y a avait soixante-dix ans, quarante mille rats étaient morts de la peste avant que le fléau s’intéressât aux habitants” (Camus, La Peste). „La carrière d’enfant prodige de Raphaël était oubliée depuis des années, et nul ne savait combien de temps il faudrait attendre avant que la renommée vînt le couronner” (Tournier, Que ma joie demeure). „Une fois, un fiancé avait apporté un bouquet de fleurs à sa fiancée qui lui dit merci; mais avant qu’elle lui eût dit merci, lui, sans dire un seul mot, lui prit les fleurs qu’il lui avait données pour lui donner une bonne leçon…” (Ionesco, La Cantatrice chauve). Avant qu’il ait le temps de se jeter sur eux – avec cet instinct sûr, cet instinct de défense, cette vitalité facile qui faisait leur force inquiétante, ils se retourneraient sur lui et, d’un seul coup, il ne savait comment, l’assommeraient” (N. Sarraute, Tropismes). „Quelquefois les phrases disparaissaient avant que j’eusse pu les comprendre, d’autres fois j’avais compris d’avance et elles continuaient de rouler noblement vers leur fin sans me faire grâce d’une virgule” (Sartre, Les Mots).

Remarque I. La locution conjonctive avant que se construit le plus souvent avec le ne explétif (modal ou discordantiel). La Grammaire de Girault-Duvivier, publiée au XIX-e siècle, a essayé de formuler une règle concernant l’emploi du ne explétif avec avant que:

„On doit faire usage de ne après avant que toutes les fois qu’il y a du doute sur la réalité exprimée par le verbe qui vient après avant que; et l’on doit supprimer ne toutes les fois que ce verbe exprime une action sur l’existence de laquelle il ne s’élève aucun doute. Exemple: Fermez la cage avant que l’oiseau ne sorte (on indique les précautions

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que l’on doit prendre mais on n’affirme pas que l’oiseau sortira). Dans la phrase suivante où il n’y a pas de doute, on n’emploie plus ne explétif: „Il faut tenir ce petit oiseau dans un nid ou dans le coton, pour qu’il ne souffre pas avant que ses plumes aient paru”.

La règle de Girault-Duvivier est critiquée par Littré: „Les grammairiens ont essayé de faire une distinction entre

avant que sans ne, et avant que avec ne, disant qu’on doit faire usage de la négative ne après avant que, toutes les fois qu’il y a du doute sur la réalité de l’action exprimée par le verbe qui vient après avant que; et que l’on doit supprimer le ne toutes les fois que le verbe qui suit avant que exprime une action sur l’existence de laquelle il ne s’élève aucun doute. Cette distinction n’est pas justifiée; et le ne est ici un gallicisme, pour lequel l’oreille seule intervient” (Littré, Avant).

Cependant, A. Thérive dans Querelles du langage, Paris, Stock, s.d., est de l’avis des grammairiens qui approuvent la règle de Girault-Duvivier: „Dans le chef de gare siffle avant que le train parte, le ne est inutile. Mais dans Je veux arriver sur le quai avant que le train ne parte, il y a une crainte, le ne est indispensable”.

Le Dictionnaire de l’Académie française (VIII-e édition) donne sans faire de commentaires un certain nombre d’exemples avec et sans ne: J’irai le voir avant qu’il parte ou avant qu’il ne parte. Avant que je fusse venu ou que je ne fusse venu. Avant qu’il fasse froid ou qu’il ne fasse froid. Le Dictionnaire du français contemporain et le Lexis ne font aucune distinction entre „Rentre avant qu’il pleuve” et „rentre avant qu’il ne pleuve”. Maurice Grevisse dans le Bon Usage, Paris, Geuthner, p. 829, s’aligne sur la décision de Littré: „Après avant que, l’emploi de ne est facultatif: c’est l’oreille qui décide; il semble, toutefois, que, le plus souvent, les auteurs préfèrent mettre ne”. Hanse dans Nouveau Dictionnaire des difficultés du français moderne est du même avis: „L’emploi de ne explétif est facultatif. Certains gram-mairiens veulent conférer à sa présence une valeur qui peut apparaître chez certains écrivains (doute ou désir que la chose ne se produise pas ou soit retardée). Mais l’usage, même celui des meilleurs écrivains, ne se préoccupe pas de cette intention. On pourrait multiplier les exemples qui justifient dans n’importe quel sens „J’ai voulu la voir avant qu’elle s’en allât ou qu’elle ne s’en allât”.

Remarque II. L’emploi de ne explétif est surtout fréquent dans les phrases impératives. Georges et Robert Le Bidois expliquent l’emploi de ne explétif dans ces phrases, après avant que, de la manière suivante:

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„Ces phrases à l’impératif supposent une intention prohibitive ou négative: on veut que l’action qui fait l’objet de l’ordre ou du conseil se produise avant une autre action; donc l’action exprimée dans la subordonnée ne doit pas se produire avant celle que l’on conseille: de là l’emploi de ne. Il en est de même quand le verbe de la principale est à l’indicatif futur: Dis, mon petit, avant qu’elle n’entre ici, tu fileras, n’est-ce pas?” (Syntaxe du français moderne, vol. II).

Autres exemples: Retiens-le avant qu’il ne parte. Sortez avant qu’il ne pleuve. Va vite, avant qu’on ne soit là, etc.

2. Avant que suivi de ne explétif. Ex.: „Je m’habillai, et parvins à m’en aller avant que personne

ne fût venu” (Apollinaire, La Disparition d’Honoré Subrac). „Nous nous en irons vers nos demeures, / L’un vers la mer, l’autre vers les monts, Frère, parle avant que tu ne meures. / Merlin est mort, mais nous nous aimons” (Apollinaire, L’Enchanteur). „La vue de la petit madeleine ne m’avait rien rappelé avant que je n’y eusse goûté” (Proust, Du côté de chez Swann). „Avant que la maison ne soit mise à sac, viens choisir, en souvenir de moi, un objet qui t’accompagnera dans le désert” (Tournier, Le petit Poucet). „Robinson pensait aux armes et aux provisions de toute sorte que contenaient ses flancs (= les flancs du navire) et qu’il devrait bien sauver avant qu’une nouvelle tempête ne balayât définitivement l’épave” (Tournier, Vendredi). „De toutes façons l’église était condamnée car les Allemands détruisirent le village avec des bombes incendiaires quelques jours avant que nous ne quittions le secteur fin février” (Cendrars, La main coupée). Avant qu’il n’ait atteint la porte cochère, toute trace de son attendrissement de tout à l’heure a disparu – le sillage que laissent en nous ces sortes de mouvements s’efface souvent très vite dès que nous nous retrouvons seuls …” (N. Sarraute, Le Planétarium). „J’ébauche un geste pour refermer la porte, mais juste à cet instant, avant même que ma main n’ait atteint le bord du battant que je m’apprête à repousser en arrière, la minuterie s’éteint dans le corridor et ma silhouette, qui se découpait en noir sur le clair de l’embrasure, disparut d’un coup” (Alain Robbe-Grillet, Projet pour une révolution à New-York). „Dans le triangle de lumière, la petite flaque reflétait le ciel. Avant qu’elle ne se soit entièrement vidée, l’éclat en fut obscurci soudain, comme par le passage d’un grand oiseau” (Alain Robbe-Grillet, Le Voyeur).

Remarques: 1. La locution avant que peut être remplacée par que dans la seconde subordonnée coordonnée avec la première.

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Ex.: „Le soleil commençait à décliner. C’était l’heure où Robinson avait accoutumé de s’exposer à ses rayons pour faire son plein d’énergie chaleureuse avant que les ombres s’allongent et que la brise marine fasse chuchoter entre eux les eucalyptus de la plage” (Tournier, Vendredi).

2. Certains auteurs suppriment la conjonction que qui remplace dans la deuxième proposition la locution conjonctive avant que.

Ex.: „Je pense encore à son regard, avant qu’elle ne se détourne et ne marche à grands pas vers la route qui longe la voie ferrée” (Le Clézio, Le chercheur d’or).

3. Les écrivains emploient parfois une tmèse en intercalant seulement ou même entre avant et que.

Ex.: Avant même que B. n’ait ouvert la bouche, Darius confessa: „Ce que vous craigniez s’est réalisé, monsieur le Commissaire …” (Exbrayat, Félicité). „Le roi (= Louis XIV) voulut voir ce chef-d’œuvre avant même qu’il fût achevé (il s’agit de Tartuffe de Molière). Deux hommes avaient été enlevés brusquement, passant de vie à trépas sous le nez du major, avant seulement que ce cancre ahurri eût eu le temps de se reconnaître” (Courteline; Sandf.).

4. L’antériorité peut être marquée par la conjonction que suivie de la particule ne après une principale négative ou interrogative, au lieu de avant que.

Ex.: Ne partez pas que tout ne soit terminé (H.). A-t-on jamais vendu la peau de l’ours qu’on ne l’ait mis par terre? „Ne te montre point que je ne t’appelle” (Musset; F.B.). Tu ne bougeras pas d’ici que tu n’aies demandé pardon (Sand; Grev.). Nous ne partirons pas en promenade que vous n’ayez fini votre travail (Z). Je ne m’en irai pas que tout ne soit achevé (Cayrou). „Je t’ai conté mes péchés, tu ne sortiras pas d’ici que tu ne m’aies conté les tiens” (Voltaire; Wag.).

5. Certains auteurs emploient la locution sans que au sens de avant que.

Ex.: „Lorsque la nuit de l’épreuve sera venue, elle (= l’épée) sera ma seule alliée, ma seule amie, et je ne succomberai pas sans qu’elle ait jonché le pavé du corps de mes assassins” (Tournier, Les Météores).

Aussitôt avant que (… ne) Cette locution conjonctive marque l’antériorité immédiate. Ex.: Il la reconnut aussitôt avant qu’elle ne s’approchât de lui. Il

arriva aussitôt avant que son frère ne repartît (Z.).

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À peine1 … que2 Cette construction a le sens de „depuis un moment tout au plus

que …”. Placée en tête de la proposition principale, la locution à peine

(suivie au début de la subordonnée par que) souligne que l’action exprimée par le verbe principal est immédiatement antérieure à celle de la subordonnée; ce formant discontinu marque, en général, que la succession des deux actions est très rapide. Dans la langue littéraire, on pratique l’inversion du sujet dans la proposition principale.

Ex.: „À peine l’inspecteur eut-il mis le pied sur le trottoir de la rue Chazière qu’il fut littéralement happé par la dame Arvine qui guettait son apparition” (Exbrayat, Félicité). „À peine arrivions-nous dans l’obscure antichambre de ma tante que nous apercevions dans l’ombre, sous les tuyaux d’un bonnet éblouissant, raide et fragile, … les remous concentriques d’un sourire de reconnaissance anticipé” (Proust, Du côté de chez Swann). „Méjean n’était pas des plus farauds lorsqu’il entra au commissariat. À peine avait-il mis le pied dans son bureau qu’un agent le prévint que le commissaire le mandait d’urgence” (Exbrayat, Félicité). À peine le soleil était-il levé qu’on aperçut l’en-nemi (Acad.). À peine était-il sorti que la pluie recommença. À peine étiez-vous parti qu’il arriva (le Lexis). À peine était-il loin que je sortis (Z.). À peine est-il arrivé depuis une semaine qu’il veut repartir.

Remarques. 1. Dans la locution à peine … que, la conjonction que introduisant la subordonnée, peut être omise; en ce cas, les deux propositions sont juxtaposées, ou coordonnées par et.

Ex.: à peine était-il sorti, Mme Hortense apparut à la porte de la cuisine (Duhamel; Grev). „À peine avons-nous décollé, nous lâchons ces chemins qui s’inclinent vers les abreuvoirs” (Saint-Exupéry; Gram. Lar.). „O Multitude! Multitude sans nom! Vous êtes née ennemie des noms! à peine avez-vous fait une gloire, vous la trouvez trop haute” (Vigny, Stello: P.R.). À peine a-t-il saisi le manche à balai et déjà nous sentons l’avion lui obéir.

2. Très rarement la proposition introduite par à peine se trouve placée en fin de phrase: „Un message du général Leclerc m’apprend l’entrée de ses troupes à Strasbourg à peine y ont-elles pénétrées” (De Gaulle, Le Salut). ________________

1 À peine se trouve dans la principale. 2 Que introduit la subordonnée temporelle (v. Kr. Sandfeld, Syntaxe du

français contemporain, Genève, Droz, 1967, p. 264).

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Ne … pas plus tôt3 … que4 Ce formant discontinu possède presque le même sens que à

peine … que: „Par ce tour à la fois comparatif et temporel, on rapproche dans

la pensée deux faits successifs, et l’on feint de nier que le premier se soit produit avant (plus tôt que) le second; en somme, on donne à croire que la succession a été si rapide qu’elle équivaut presque à une simultanéité” (G. et R. Le Bidois, op. cit. § 1440).

Ex.: Il n’était pas plus tôt sorti que j’entrais. „Cette idée n’eut pas plus tôt surgi en moi qu’une autre évidence m’est apparue” (Bourget, La Geôle; L.B.). „Comme elle avait l’esprit prompt et facile, et en même temps, ce penchant à l’imitation qui est naturel aux enfants, elle n’eut pas plus tôt causé une heure avec madame Dorodour, qu’elle essaya de se modeler sur elle” (Musset). „Nous n’étions pas plus tôt rentrés à Paris qu’une dépêche rappelait ma mère au Havre!” (A. Gide, Porte étroite). „Vergisson n’eut pas plutôt prononcé le mot de colique, que le major l’avait renvoyé à la chambre” (Courteline; Sandf.; dans cette phrase plus tôt est confondu avec plutôt). „Il n’eut pas plus tôt jeté ce cri de révolte qu’il eut vers son père un retour passionné” (Bourget; Sandf.). Il n’était pas plus tôt arrivé à Londres qu’il dut partir pour Zurich où il était demandé par ses hommes d’affaires afin de signer un contrat important.

Nuances d’aspect duratif dans l’antériorité: jusqu’à ce que

Cette locution conjonctive indique une limite temporelle, un point d’arrivée dans le temps; elle marque qu’une action interviendra au terme de la durée de l’action principale; elle suppose une continuité temporelle interrompue par un fait; elle exprime la durée dans l’antériorité.

Ex.: Travaillez ferme jusqu’à ce que vous réussissiez (Acad.). „Lalla n’avait jamais fait tellement attention à la lumière jusqu’à ce que le Hartani lui apprenne à la regarder” (Le Clézio, Désert). „Je nage contre le courant d’eau douce jusqu’à ce que je sente les petits cailloux aigus contre mon ventre et mes genoux”. (Le Clézio, ________________

3 Ne … pas plus tôt se trouve dans la proposition principale. 4 Que introduit la subordonnée temporelle (v. Kr. Sandfeld, Syntaxe du

français contemporain, éd. cit, p. 266).

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Le chercheur d’or). Nous insisterons jusqu’à ce qu’il ait cédé (Acad.). Patientez jusqu’à ce que nous vous le réclamions. „Il le suivit des yeux jusqu’à ce que la porte se fût refermée” (Bernanos, Histoire de Mouchette). „Elle lut un jour avec émotion que les mères eskimos donnaient le sein à leurs enfants jusqu’à ce qu’ils fussent capables de mâcher le poisson gelé … donc jusqu’à trois ou quatre ans”. (Tournier, Les météores). „Il mollit ses muscles, s’abondonna, roula doucement sur lui-même, jusqu’à ce qu’il eût dégagé sa hanche droite” (Bernanos, Une Nuit). „Lucky ploie lentement jusqu’à ce que la valise frôle le sol, se redresse brusquement, recommence à ployer” (Beckett, Godot).

Remarques. 1. Si la proposition principale est négative, jusqu’à ce que (qui introduit la subordonnée) a le plus souvent le sens de avant que.

Ex.: Ne partez pas jusqu’à ce qu’elle soit revenue. 2. La locution conjonctive jusqu’à ce que peut être remplacée

par que dans une deuxième proposition coordonnée à la première. Ex.: „Je nage avec délices vers la barrière des récifs jusqu’à ce

que je trouve les couches froides de l’eau, et que le grondement des vagues soit tout proche” (Le Clézio, Le chercheur d’or).

3. La subordonnée introduite par jusqu’à ce que peut être séparée de la principale par un signe de ponctuation.

Ex: „On chantait. Sans répit. Jusqu’à ce que le soleil se couche et que la lune se lève, et que les guitares se taisent, et que les bouti-quiers et les bourgeois sortent enfin des restaurants du bord de l’eau, que les lampions s’éteignent, et que tout le monde rentre en ville, aille dormir, harcelé toute la nuit par les moustiques” (Cendrars, Gênes).

4. En français contemporain, jusqu’à ce que est suivi du sub-jonctif, même lorsque le fait introduit par cette locution est présenté comme réalisé. Au XVIIe et au XVIIIe siècle, on employait souvent l’indicatif après jusqu’à ce que: „On ne voit plus que carnage; le sang enivre le soldat jusqu’à ce que ce grand prince calma les courages émus” (Bossuet, Oraison funèbre du prince de Condé; L.B.). Certains auteurs emploient encore l’indicatif après cette locution, mais cet usage doit être blâmé: „La menace sera là dès le premier regard, les premiers mots échangés. Elle grossira tout le temps, jusqu’à ce qu’enfin, pour abréger son supplice et reprendre en main son sort, pareil au condamné à mort qui se suicide, il se lèvera tout à coup avant l’heure …” (N. Sarraute, Le Planétarium).

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5. Une subordonnée temporelle introduite par jusqu’à ce que derrière attendre est rencontrée fréquemment dans la conversation mais plus rarement dans la langue écrite: „Il a attendu jusqu’à ce qu’il fût bien sûr de son expérience” (Brunot, LPL). „Nous avons encore entre les mains Vladivostok et Sakhaline. Faut-il attendre jusqu’à ce qu’ils passent aussi aux mains de l’ennemi?” (Plattner II; Sandf.).

6. Après attendre, jusqu’à ce que peut se réduire parfois à que: J’attendrai jusqu’à ce qu’il s’en aille ou j’attendrai qu’il s’en aille (H.).

Jusqu’à tant que

Cette locution n’est plus employée qu’en français populaire ou dans les dialectes du français5. Elle indique une limite temporelle en insistant sur la durée de l’attente. Elle est suivie du subjonctif.

Ex.: Elle restera ici jusqu’à tant qu’elle soit guérie (le Lexis). Restez jusqu’à tant qu’il revienne. „Plusieurs années s’écoulèrent ainsi; grâce aux subventions d’Estelle jusqu’à tant que la mère mourût” (Henriot; Grev). „Quand nous avons la sécheresse, moi je n’y vais pas (= à la messe), jusqu’à tant qu’il pleuve. Le bon Dieu a besoin qu’on lui fasse comprendre ” ((dit un paysan). Pagnol, Gloire de mon père (Grev.)). „(Je veux) vous haïr tous, tant que vous êtes, jusqu’à tant que j’aie vu Arlequin” (Marivaux, Double inconstance; L.B.). Plusieurs années s’écoulèrent ainsi jusqu’à tant que la mère mourût (Thérive).

Jusqu’au moment où

Cette locution indique la limite temporelle précise. Elle exige l’emploi de l’indicatif 6.

Ex.: „Il continua de bougonner jusqu’au moment où ils furent devant la grille de la porte, où se trouvait Jérôme Baudoin” (Duhamel, Suzanne). Vous pouvez garder ce livre jusqu’au moment où je vous le réclamerai (H.). Il a été malheureux jusqu’au moment où, par hasard, il l’a rencontré (le Lexis). Les prodigues dépensent sans compter ________________

5 Elle se rencontre dans la langue classique et chez les écrivains modernes attachés aux constructions de cette langue.

6 On emploie le conditionnel (temps de l’indicatif) lorsqu’on doit exprimer une action subordonnée hypothétique introduite par jusqu’au moment où. Ex.: Je resterais à la maison, jusqu’au moment où il arriverait (Cl.D.).

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jusqu’au moment où ils n’ont plus le sou (G.M.). „Le Prussien se mit à danser, en poussant des cris frénétiques, jusqu’au moment où il tomba” (Maupassant, Contes; Sandf.).

Jusqu’au temps que

Cette locution conjonctive a le sens de jusqu’au moment où. Elle exige l’emploi du subjonctif. Jusqu’au temps que appartient surtout au français littéraire.

Ex.: „Ce sont tous les amants qui crurent l’existence / Pareille au seul amour qu’ils avaient ressenti / Jusqu’au temps qu’un poignard, l’exil ou la potence / Comme au dernier vers à la stance / Vienne à leur cœur dément apporter démenti” (Aragon, Les yeux d’Elsa; P.R.).

Le temps que

Cette locution exprime un aspect de la durée dans l’antériorité, de même que jusqu’a tant que. Elle est suivie du subjonctif 7.

Ex.: „Cache-les moi le temps que Boudou ait fini sa ronde” (Colette, Mitsou). „On a prévenu les pompiers, mais le temps qu’ils viennent, la fumée aura étouffé ces petits” (Gide, Caves du Vatican; Sandf.). „Toutes ces pensées ne durèrent que l’espace d’une seconde, le temps qu’il portât la main à son cœur”. (Proust, Du côté de chez Swann; L.B.). Restez auprès de mon enfant quelques minutes, le temps que j’aille donner un coup de téléphone. Je resterai ici le temps qu’il arrive (Z). „Le temps qu’il enfilât sa culotte, ouvrît sa fenêtre, elle avait déjà secoué la sonnette du cabaretier Mendol chez qui le vieux garde champêtre Firmin prend pension depuis la mort de sa femme” (Bernanos, Un crime).

En attendant que

Cette locution insiste sur l’idée de durée. Selon Zumthor (Syntaxe) elle „met l’accent sur la durée qui s’étendra avant l’accomplissement de l’action exprimée par la subordonnée”; c’est une variante sémantique de jusqu’à ce que. Elle est suivie du subjonctif.

Ex.: „Dans les vastes étendues de l’Afrique, la France pouvait, en effet, se refaire une armée et une souveraineté, en attendant que ________________

7 Le temps que appartient à la langue familière. Cette locution a le sens de „juste assez de temps de, juste assez de temps pour que”.

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l’entrée en ligne d’alliés nouveaux, à côté des anciens, renversât la balance des forces” (De Gaulle, L’Appel). „Le concierge était resté quelque temps sur le pas de la porte, tenant les rats par les pattes, en attendant que les coupables voulussent bien se trahir par quelque sarcasme”. (Camus, La Peste). Dressons le couvert en attendant que nos invités arrivent (B.). L’enfant enrichit continuellement sa mémoire en attendant que son jugement puisse en profiter (P.R.). Je le soigne en attendant qu’il me soigne à son tour (F.B.). Je restai encore quelques moments en attendant qu’elle revînt. „Le but et l’utilité de cette méthode était de tenir les savants des divers pays au courant des écrits nouveaux en attendant qu’ils pussent se procurer l’ouvrage même” (Sainte-Beuve, Lundis; P.R.). En attendant qu’il m’apportât sa réponse à nos propositions, je ne pris aucun engagement nouveau (ap. Zumthor). „Il regarde le ciel en attendant que le jour se lève” (Le Clézio, Le chercheur d’or).

D’ici à ce que

Cette locution précise les deux limites du processus; elle marque qu’une action dure à partir du moment où l’on parle jusqu’à un certain moment de l’avenir. Cette locution exige l’emploi du subjonctif.

Ex: Il se passera du temps d’ici à ce qu’il rende l’argent qu’on lui a prêté. „D’ici à ce que ton neveu ait l’âge de Péclet, la condition des travailleurs peut s’être améliorée” (J. Romains, Hommes de bonne volonté; P.R.). „Vous serez sûr que d’ici à ce que nous l’ayons rattrapée, elle ne manquera de rien ” (Tillier; L.B.).

D’ici que

Cette locution énonce un terme simplement envisagé; elle est suivie du subjonctif.

Ex.: D’ici que tu sois revenu, tout cela se tassera. „D’ici que l’eau vienne, vous seriez bien gentil d’aller jusqu’à la route me faire un peu d’herbe pour mes lapins” (A. Daudet, Jack, Grev.).

Postériorité

Il y a postériorité lorsque le processus ou le fait exprimé par la proposition principale est postérieur au fait marqué par la subordonnée.

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Subordonnants Après que; aussitôt que; à présent que; depuis que; du plus loin

que; maintenant que; sitôt que, sitôt après que; tout de suite que; une fois que, etc.

Après que Cette locution conjonctive indique le rapport de postériorité

d’une manière générale8. Après que peut signifier „immédiatement après” ou „après un grand laps de temps”, etc.

Ex.: Chacun donna son avis après qu’il eut parlé. Après que vous aurez parlé, il parlera. „Et même après que le docteur Rieux eut reconnu, devant son ami, qu’une poignée de malades dispersés venaient, sans avertissement, de mourir de la peste, le danger demeurait irréel pour lui” (Camus, La Peste). „Après qu’on se fut séparé, au milieu du brouhaha, dans la Cour de la Préfecture, je rentrai atterré à Beauvais, tandis que le Président du Conseil télégraphiait au Président Roosevelt pour l’adjurer d’intervenir” (De Gaulle, L’Appel). „Je n’étais pas non plus médiocrement fier vis-à-vis de Françoise de ce retour des choses humaines, qui, une heure après que maman avait refusé de monter dans ma chambre et m’avait fait dédaigneusement répondre que je devrais dormir, m’élevait à la dignité de grande personne” (Proust, Du côté de chez Swann). „Les jours qui suivirent, Vendredi se montra fort préoccupé d’un petit vautour qu’il avait recueilli après que sa mère l’eut chassé du nid pour des raisons obscures” (Tournier, Vendredi). „Après que Salomon eut bâti à Dieu un temple si magnifique, il se bâtit pour lui-même un palais, qui dura quatorze ans à faire, où l’or brillait de toutes parts et où la magnificence des colonnes et des sculptures attirait les yeux de tout le monde” (Le Clézio, Le chercheur d’or).

Remarques. 1. Après que se construit avec l’indicatif ou le conditionnel: „Après qu’ils eurent dîné… Après que vous auriez parlé, que vous avez eu parlé, que vous eûtes parlé” (Acad.). On remarque, dans l’usage des journalistes et même de quelques écrivains, la tendance à construire la locution après que avec le subjonctif, fait qui est contraire à la logique, étant donné que la subordonnée introduite par ________________

8 Bien qu’elle contienne l’adverbe près, „cette locution ne présente pas nécessairement l’action du verbe principal comme rapprochée” (Le Bidois, op. cit., p. 428).

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après que exprime un fait passé, complètement révolu, donc quelque chose de sûr. J. Hanse, dans son Nouveau Dictionnaire des difficultés du français moderne, Paris, 1986, écrit à ce sujet:

„C’est à notre époque seulement que l’emploi du subjonctif après la locution après que est devenu en assez peu de temps une habitude, dans la presse, à la radio, dans l’usage courant et même chez les écrivains. Les grammairiens eux-mêmes ne tenant pas compte des exemples infiniment plus nombreux de l’emploi de l’indicatif dans les milieux cultivés et dans la langue littéraire, tolèrent le subjonctif au nom de l’usage et tentent même de le justifier au nom de l’histoire de la langue. Or cette histoire montre que les emplois certains du subjonctif sont exceptionnels pendant huit siècles. Les exemples des formes comme eust souffert, eust ressucité dans l’ancienne langue n’ont aucune valeur probante car elles pouvaient parfois représenter un indicatif passé antérieur aussi bien qu’un subjonctif plus-que-parfait”.

2. Les conjonctions quand et lorsque peuvent s’employer avec la valeur de après que si le verbe qu’elles introduisent se trouve à un temps composé ou à un temps surcomposé.

Ex: „Lorsque Roch eut fini de tout lire, il déposa la carte postale et la lettre sur la table, près de l’enveloppe” (Le Clézio, La fièvre). „Quand tout ce monde eut été congédié, Haydée et Juan se trouvèrent seuls en la douce société de leurs cœurs” (Apollinaire, Don Juan d’Angleterre). Lorsqu’il eut déjeuné, il se mit au piano. Quand il eut fini son travail (ou quand il a eu fini son travail), il est sorti. „Quand il a eu fini le point, le capitaine Bradmer a rangé avec soin son sextant dans l’alcôve” (Le Clézio, Le chercheur d’or) „Quand je l’ai eu bien regardée, je l’ai ôtée (= la bague) de mon doigt et je l’ai jetée dans la mer” (Le Clézio, Désert). „Quand Dieu m’a eu donné une fille, je l’ai appelée Noémie” (Renan, Souvenirs d’enfance; P.R.).

Remarque. Les temps surcomposés. Officiellement, les temps surcomposés qui ont un auxiliaire de plus dans un temps déjà composé9, ont été admis dans la quatrième édition du Dictionnaire de ________________

9 „Les temps surcomposés sont les temps dans lesquels certains verbes conjugués avec avoir (rarement avec être) ajoutent un auxiliaire de plus à un temps déjà composé: dans ce temps déjà composé, au lieu de laisser l’auxiliaire au temps simple, on le met au temps composé correspondant: par exemple, les temps composés j’ai planté, je suis arrivé deviennent surcomposés si l’on dit: j’ai eu planté, j’ai été arrivé” (M. Grevisse, Le Bon Usage).

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l’Académie (1762). Il faut cependant souligner que ces temps existaient déjà dans le système verbal depuis la fin de l’étape de l’ancien français. C’est au XIIIe siècle qu’on rencontre dans les textes quelques exemples de passé surcomposé ou de plus-que-parfait surcomposé:

„Je suis cil qui mon droit atent Des granz enuiz que tu as faiz Que nous avons eüz retraiz”10 (Renard, 7800)

Les temps surcomposés indiquent qu’un procès est tout à fait achevé dans le passé:

„Ces temps, le passé surcomposé, le passé antérieur surcomposé ont pour valeur propre de marquer avec plus de force que le passé indéfini, le passé antérieur et le plus-que-parfait, l’aspect de l’accompli” (P. Zumthor et W. von Wartburg, Syntaxe du français contemporain, p. 350).

Damourette et Pichon appellent le parfait surcomposé „le bisan-térieur”:

„La fonction du bisantérieur est d’exprimer un fait que du point de vue du présent, on aperçoit comme déjà acquis lors de la survenance d’un autre fait lui-même maintenant acquis” (J. Damourette et E. Pichon, Essai de grammaire, t. V, & 1775).

Les temps surcomposés qui se répandent en moyen français ne pénètrent que lentement dans la langue littéraire. Ils sont plus fré-quemment employés dans le code oral et on les trouve dans les écrits qui reproduisent le français parlé.

Au XVe siècle, par exemple, on rencontre des formes de temps surcomposés dans Le Mystère du Vieil Testament:

„Père, j’ai a l’Ange parlé Lequel ne m’a pas escondit (= refusé, éconduit) Quand vostre cas luy ay eu dit” En 1531, Jacques Dubois, dit Sylvius Ambianus, décrit les temps

surcomposés dans sa grammaire „In linguam gallicam isagoge”: „Nous avons en outre un troisième parfait qui indique plus

qu’aucun autre qu’une chose est achevée et passée. Nous le formons avec le verbe hau-oir et le participe de hau-oir et celui du verbe. ________________

10 „J’attends réparation des dommages considérables dont tu es l’auteur et dont l’énumération complète a été faite”.

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Exemples: g-hai heu faict, g-hai heu aimé; d’où l’optatif parfait: g-heusse heu faict, g-heusse heu aimé”. Maigret, dans son Tretté de la grammaire françoese, en 1550, mentionne les temps surcomposés:

„J’ai eu aimé, j’aurai eu aimé, que j’aie eu aimé, que j’eusse eu aimé, j’aurais eu aimé”.

Au XVIe siècle, ces formes sont peu employées dans la langue littéraire. Cependant on peut les rencontrer dans le style familier comme le montrent les comédies de Pierre Larivey ou l’introduction de Bernard Palissy au Discours admirables de la nature des eaux et fontaines, tant naturelles qu’artificielles: „Si tost que i’ay eu dict à Hippolite, qu’il torchast hardiment sa bouche …” (Pierre de Larivey, Les Escolliers; R. 209). „Quand j’ay eu bien long temps et de pres considéré la cause des sources des fonteines naturelles” (Bernard Palissy, Discours admirables…).

Au XVIIe siècle, les formes surcomposées sont rares dans le français littéraire. Descartes, Mme de Sévigné, Mme de Scudéry, Perrault, Bossuet, Gilles Ménage sont presque les seuls à utiliser ces temps. Les temps surcomposés se rencontrent seulement à la voix active et à l’indicatif.

Les exemples de formes surcomposées au conditionnel (condi-tionnel passé surcomposé) sont exceptionnels.

Voici quelques exemples de formes surcomposées: „Mais, sitôt que j’ai eu acquis quelques notions générales touchant

la physique…” (Descartes, Discours de la Méthode, I). „Aussitôt que j’ai eu envoyé mon paquet, j’ai appris, ma bonne, une triste nouvelle” (Mme de Sévigné, Œuvres, II, 14).

Au XVIIIe siècle, presque toutes les grammaires étudient ces formes et précisent que les plus répandues sont j’ai eu fait et j’aurais eu fait.

Nicolas Beauzée à l’article Temps de l’Encyclopédie méthodique (1782) a introduit les verbes pronominaux dans le système des formes surcomposées. Les écrivains employaient ces temps sans méfiance: „Après que les grands écrivains ont eu enrichi la langue…” (Condillac, Cours d’Étude pour le prince de Parme, I). „Quand je lui ai eu tout expliqué…” (Laclos, Liaisons, XXIX). „Dès que je les ai eu logés…” (Voltaire à Bernis, 11 mai 1770).

Au XIXe et au XXe siècles, l’emploi des temps surcomposés devient plus fréquent.

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On peut établir entre les temps composés et les temps surcom-posés les relations suivantes:

Passé composé: j’ai fait. Passé composé surcomposé: j’ai eu fait. Plus-que-parfait: j’avais fait. Plus-que-parfait surcomposé: j’avais eu fait. Futur antérieur: j’aurai fait. Futur antérieur surcomposé: j’aurai eu fait. Conditionnel passé: j’aurais fait. Conditionnel passé surcomposé: j’aurais eu fait. Subjonctif passé: que j’aie fait. Subjonctif passé sur-composé: que j’aie eu fait.

La postériorité immédiate du fait exprimé par la principale

Subordonnants: dès que, aussitôt que, sitôt que, tout de suite que Dès que

Ex.: Dès que vous arriverez, je pourrai partir. Je viendrai dès que je le pourrai. „Depuis quelques semaines, le soir, dès qu’il fermait les yeux, il voyait des vases, des coupes, des jaspes surprenants” (Lucette Desvignes, Les nœuds d’argile). „L’humeur du policier s’assombrissait malheureusement et ce depuis quelques années – dès qu’il franchissait le seuil du commissariat, et plus encore lorsqu’il frappait à la porte du commissaire Blaise Bernard…” (Exbrayat, Félicité…). „Mais dès que Raul installé à une table du fond, eut fait un signe au journaliste et que Rambert se fut dirigé vers lui, la curiosité disparut des visages qui revinrent à leurs assiettes” (Camus, La Peste). „Dès qu’ils furent à l’intérieur de la maison, l’inconnu apporta une lampe qui éclaira bientôt un salon meublé avec goût” (Apollinaire, Le Matelot d’Amsterdam).

„Ses mains devenues des moignons crochus ne lui servaient plus qu’à marcher car il était pris de vertige dès qu’il tentait de se mettre debout” (Tournier, Vendredi). „Dès qu’on est en haut des dunes, le vent souffle à la figure avec violence, et Lalla manque de tomber à la renverse” (Le Clézio, Désert). „Dès qu’on prononce le nom de sa femme, il se trouble, balbutie, ses lèvres tremblent” (Bernanos, M. Ouine). „Dès qu’elle est restée seule, l’image un instant effacée a reparu, le bon frère si affectueux s’est métamorphosé de nouveau: il était en train de se dépêcher sûrement” (N. Sarraute, Le Planétarium). „Dès que nous le pouvons, nous nous échappons du jardin, nous mar-chons à travers les cannes vers la mer” (Le Clézio, Le chercheur d’or).

Remarques. 1. Après la locution dès que, on peut employer un verbe au présent de l’indicatif, tandis que la locution après que n’admet pas une telle construction.

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Ex.: „Seul, j’appartiens à la tristesse, dès que ne m’accapare plus le travail” (A. Gide, Journal).

2. On peut allonger la locution dès que en intercalant entre ses éléments des lexèmes qui indiquent le temps, tels que l’instant, lors (dès l’instant que, dès lors que).

Ex.: Dès l’instant qu’il le vit, il se tut. Je me passai fort bien de ce livre, dès lors que j’acquis la certitude que je l’avais déjà lu.

Aussitôt que Cette locution a le sens de „immédiatement, à l’instant où, dans

le moment même où”. Ex.: „Aussitôt qu’il eut disparu, les animaux s’agitèrent et se

séparent, les mâles d’un côté, les femelles de l’autre” (Apollinaire, L’Enchanteur). „Aussitôt qu’il était là, tout se remettait en place” (N. Sarraute, Le Planétarium). „Aussitôt qu’il eut ouvert la valise, il prit l’agenda pour le placer vivement au fond du couvercle renversé dans l’espoir de dissimuler la poupée à sa cliente” (A. Robbe-Grillet, Le Voyeur). „Cette chose, Robinson s’en doutait, c’était son propre corps, et après de nombreux essais, il finit par trouver en effet la position qui lui assurait une insertion si exacte dans l’alvéole qu’il oublia les limites de son corps aussitôt qu’il l’eut adoptée” (Tournier, Vendredi). Aussitôt que Pierre apprit la nouvelle de la réussite de son ami, il lui envoya une lettre de félicitations (le Lexis). Il le reconnut aussitôt qu’il le vit. Vous me préviendrez aussitôt qu’il sera là. Aussitôt que vous aurez fini, vous pourrez aller vous coucher. Aussitôt qu’il fut parti, l’autre arriva. „Ce qu’il fallait souligner, c’est l’aspect banal de la ville et de la vie. Mais on passe ses journées sans difficultés aussitôt qu’on a des habitudes” (Camus, La Peste). Aussitôt qu’il m’aperçut, il vint à moi. (H.)

Remarques. 1. Aussitôt que peut se construire avec un verbe au présent de l’indicatif.

Ex.: „Aussitôt que le char chemine, / Et qu’elle voit les gens marcher, / Elle s’en attribue uniquement la gloire” (La F. VII,9).

2. Les adverbes presque et tout précédant immédiatement aussitôt que peuvent donner des précisions concernant le degré de rapidité avec laquelle se suivent les actions: „Presque aussitôt que l’accordéon et les chants de ces pauvres larves eurent cessé, le ciel se débrouilla” (Daudet; Sandf.). „Nous savons assez que le peuple ne déteste pas qu’on chansonne ceux qu’il choisit, même ceux qu’il nomme, tout aussitôt qu’ils sont au pouvoir” (E. Faguet; Sandf.).

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Sitôt que

Cette locution signifie aussitôt que, immédiatement que, juste au moment où.

Ex.: „Le lundi, sitôt que le commissaire fut arrivé, Méjean alla lui exposer ce qu’il tenait pour un détail susceptible de relancer l’affaire Lanvallay” (Exbrayat, Félicité). „Sitôt que ses doigts l’effleurèrent, elle s’abattit entre ses bras, tout d’une pièce” (Bernanos, Un crime). „Alors, elles (= les âmes de ceux que nous avons perdus) tressaillent, nous appellent, et sitôt que nous les avons reconnues, l’enchantement est brisé” (Proust, Du côté de chez Swann). Sitôt qu’il l’a vu, il s’est précipité vers lui (F.B.). „Sitôt que se posent sur les touches du geignant harmonium les longs doigts de Madame …, sa faible poitrine se serre si douloureusement que les larmes lui viennent aux yeux” (Bernanos, Nouvelle histoire de Mouchette). Sitôt que j’arriverai, vous partirez. Il commença l’examen du manuscrit sitôt qu’il lui fut remis (le Lexis). „La jalousie finit sitôt qu’on passe du doute à la certitude”. (La Rochefoucauld, Maximes). „Sitôt qu’il reconnut Rodolphe, il s’avança vivement” (Flaubert, Bovary; L.B.).

Sitôt après que

Ex.: Sitôt après qu’on l’eut averti de l’accident, il se rendit à l’hôpital (le Lexis). Sitôt après qu’il lui eut remis le dossier, mon secrétaire en commença l’examen (Z). Sitôt après qu’il eut connu cette belle jeune fille, il la demanda en mariage.

Tout de suite que

Cette locution a le sens de aussitôt que, immédiatement après que; elle est employée dans la langue populaire et dans la langue familière.

Ex.: J’y ai été tout de suite qu’il me l’a dit (Z). „Tout de suite que je me suis marié, j’ai commandé mon ménage à différents four-nisseurs” (Bataille; Sandf.). Tout de suite que nous sommes sortis de la ville, nous avons été surpris par une averse.

Nuances d’aspect duratif dans la postériorité

Relateurs qui marquent l’instant à partir duquel une action se produit ou commence à durer.

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Une fois que

Cette locution a le sens de „à partir du moment où, dès l’instant où”.

Ex.: Une fois que vous aurez essayé ce produit, vous ne voudrez plus en employer d’autres. Une fois que nous connaîtrons le résultat du concours, nous vous donnerons un coup de téléphone. Une fois qu’il s’est mis quelque chose en tête, il ne veut plus rien entendre. Une fois que vous serez mariés, je n’aurai plus rien à faire près de vous (F.B.). Une fois qu’il a décidé quelque chose, rien ne peut l’en faire démordre (le Lexis). „Une fois que l’enfant commence à marcher, non seulement on l’endurcit et on l’entraîne, mais encore on l’assouplit, et on le fortifie avec méthode” (Taine, La philosophie de l’art; P.R.)

Depuis que

Cette locution peut indiquer la postériorité sous l’aspect duratif; elle peut marquer, par exemple, un état qui dure encore au moment de la parole ou un état qui s’est continué jusqu’à un moment donné du passé.

Ex.: „Depuis que je suis entré dans la plantation, je suis suivi par des yeux inquiets” (Le Clézio, Le chercheur d’or). „Depuis que ce poste avait été miné par une section du génie, ils prétendaient que le génie voulait nous faire payer le vin volé en nous faisant, un beau jour, sauter en l’air sans crier gare” (Cendrars, L’Homme foudroyé). „Vous pensez, soupira le commissaire, en sortant, nous avons d’autres chats à fouetter, depuis qu’on parle de cette fièvre” (Camus, La Peste). „Depuis que tu es parti, les jours furent obscurs comme dans la gueule du loup” (Apollinaire, Les Pèlerins piémontais). „Depuis que Xavière avait débarqué à l’hôtel Bayard, Françoise avait appris à ne jamais frapper chez elle à l’improviste, à ne jamais devancer l’heure d’un rendez-vous” (S. de Beauvoir, L’Invitée). „Depuis qu’il avait embarqué à Lima sur la Virginie, Robinson avait réussi à éviter tout tête à tête avec ce diable d’homme, ayant été bientôt choqué par son intelligence dissolvante et l’épicurisme cynique qu’il étalait” (Tournier, Vendredi). „Depuis près de vingt ans qu’elle était mariée, elle n’avait pas encore eu l’occasion de voir un convive – à qui elle servait son gratin – ne pas se récrier d’admiration reconnaissante” (Exbrayat, Félicité…)

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Remarques. 1. Avec un temps composé, la négation ne pas est souvent réduite à ne dans une construction où figure depuis que: Plusieurs années se sont passées depuis que je ne l’ai vu, depuis qu’on ne s’est vu (v. J. Hanse; et A. Thomas, Dictionnaire des difficultés…).

2. Depuis que peut être remplacé par que dans une deuxième subordonnée: „Depuis que les pompeuses escadres des rois de France et d’Angleterre ne se livrent plus des batailles d’extermination au large, que les vaisseaux de deux et de trois ponts démâtés et les vigilantes frégates ne viennent plus y faire relâche pour réparer leurs avaries, se défaire de leurs prises ou s’embouquer vingt-quatre heures pour voler vers de nouveaux combats, les ports de la côte des Asturies ou de Galice se ressemblent tous…” (Cendrars, Bourlinguer).

Maintenant que

Cette locution a le sens de „à cette heure que, à cette heure où, à présent que”. Selon L. Wagner elle est „vague” et peut marquer indifféremment la simultanéité ou la postériorité; maintenant que peut aussi attirer l’attention sur un état qui dure ou indiquer une relation causale.

Ex.: „Maintenant qu’il s’est plus ou moins assimilé ces nourritures exotiques - qui se sont révélées comme étant, malgré leur richesse et leur diversité apparentes, bien moins fortifiantes qu’on ne croyait – le lecteur français, à son tour, s’en détourne” (N. Sarraute, L’ère du soupçon). „Au retour de ces équipées tortueuses et de plus en plus fréquentes, on entendait des chansons d’Afrique et des refrains bachiques retentir entre les lignes, maintenant que nos maraudeurs étaient chaque nuit de sortie” (Cendrars, L’Homme foudroyé). „Maintenant que les autres pillent tout sur leur passage, nos Messieurs se réveillent et parlent de fermer la frontière” (Adamov, L’Invasion). Maintenant que nous sommes seuls, nous pourrons parler avec franchise. „Maintenant qu’elle avait besoin de lui, voilà qu’il déclarait n’avoir rien à lui offrir” (P. Benoit, Axelle; L.B.).

À présent que

Cette locution a le sens de maintenant que. Ex.: „À présent qu’elle s’était tué, il sentait bien qu’il avait été

tout à l’heure sensible moins aux raisons de sa maîtresse qu’à sa voix

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et à son accent” (Bernanos, Histoire de Mouchette). à présent que je sais où nous allons, je prendrai les mesures nécessaire (Z). „À présent que ses yeux étaient clos, plus rien ne restait, dans l’expression de ses traits, que d’austère” (A. Gide, Et nunc manet in te; P.R.). à présent qu’il avait rempli ce devoir de convenance d’aller annoncer à ses amis la décision prise, Pierre était très satisfait.

Présentement que

Cette locution est devenue archaïque selon l’Académie. Elle a le sens de maintenant que.

Ex.: Présentement que j’ai résolu de vivre tranquille … (Acad.).

Éloignement dans le temps

Les locutions conjonctives qui marquent l’éloignement dans le temps sont les suivantes: aussi loin que, d’aussi loin que, de si loin que, au plus loin que, du plus loin que. Ces locutions se construisent le plus souvent avec le subjonctif.

Ex.: Aussi loin que nous puissions remonter dans le passé, nos ancêtres ont toujours défendu courageusement notre pays. D’aussi loin que je m’en souvienne, je l’ai toujours aimée. Si loin qu’elle se souvienne, ses parents aimaient passer leurs vacances à Nice. „Aussi loin que l’on puisse remonter dans l’histoire du latin, on saisit l’existence de deux registres linguistiques: le registre parlé, plus simple, plus libre des couches populaires sans instruction, et le latin écrit, appris à l’école des grammairiens, soumis à des règles et à des conventions” (G. Zink, L’Ancien français).

Du plus loin qu’il me souvienne, qu’il m’en souvienne, je n’ai rien à lui reprocher.

„Du plus loin qu’il m’en souvienne, j’ai entendu la mer” (Le Clézio, Le chercheur d’or).

Locution qui marque la limite à partir de laquelle commence un fait

Du jour où

Cette locution a le sens de „à partir du jour où”, „depuis que”. Ex.: Du jour où il me raconta ce qui s’était passé, je ne le vis

plus. Du jour où l’on prit cette décision les choses empirèrent.

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Simultanéité En ce qui concerne la simultanéité, G. et R. Le Bidois écrivent

les lignes suivantes: „En général, quand et lorsque énoncent un rapport de simultanéité.

Mais la véritable simultanéité est assez rare dans l’expression linguis-tique. Ce qu’on prend pour simultanéité n’est, le plus souvent, qu’une succession plus ou moins rapide. Ainsi dans cette phrase de V. Hugo „Lorsque l’enfant paraît, le cercle de famille /Applaudit à grands cris” (Feuilles d’automne, XIX), les deux actions ne sont pas simultanées, mais successives. Dans ces vers, les verbes de la principale et de la subordonnée sont au présent de l’indicatif; mais, il en est de même quand les verbes du système temporel sont à des temps différents: „Elle attendait depuis trois quarts d’heure, quand tout à coup elle aperçut Rodolphe” (Flaubert, Bovary)11.

Paul Zumthor et Walter von Wartburg attirent eux aussi l’attention sur cette fausse simultanéité:

„Deux conjonctions temporelles marquent plus particulièrement ce rapport (= le rapport de simultanéité): quand et lorsque; il est toutefois assez rare que la simultanéité soit rigoureuse: la phrase à actions simultanées, je sortis quand il entra, est un type peu fréquent” (Précis de syntaxe, éd. cit. p. 89).

Quand

La conjonction quand marquant la simultanéité a le sens de „dans le même temps que”.

Cette conjonction peut introduire une subordonnée exprimant ou indiquant:

a) un fait, une action aussi proche que possible, au point de vue du temps, du fait, de l’action exprimée par la proposition principale.

Ex.: „Quand les deux femmes envoyèrent la lettre, elles rirent aux larmes en pensant à la stupeur du destinataire” (Sartre, Les Mots). „Quand Georges Duroy parvint au boulevard, il s’arrêta encore indécis sur ce qu’il allait faire” (Maupassant, Bel-Ami). „Quand je me regarde dans une glace, je trouve que j’ai l’air d’une petite fille de dix ans” (Tournier, Amandine). „Quand le malade commença à se lever, nous le décidâmes à prendre un peu l’air” (Duhamel). ________________

11 G. et R. Le Bidois, Syntaxe du français moderne, éd. cit. II. p. 416.

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b) une action qui se produit pendant qu’une autre se déroule. Ex.: Nous regardions la télé, quand un tremblement de terre se

produisit. Il écrivait quand j’entrai (Z). „Après le déjeuner, Rieux relisait le télégramme de la maison de santé qui lui annonçait l’arrivée de sa femme, quand le téléphone se fit entendre” (Camus, La Peste).

„Le petit Oiselin dormait à poings fermés, quand les fidèles défilèrent devant la crèche, les yeux affûtés par la curiosité” (Tournier, La Mère Noël).

c) une action qui se répète: Ex.: „Quand il marchait, Roch balançait maladroitement ses bras

à contretemps, ce qui disloquait le rythme de ses jambes”(Le Clézio, La fièvre). Quand il sortait en ville, il passait devant le palais du Luxembourg. „Quand j’étais enfant, et qu’on m’enfermait, parce que j’avais été insupportable, je m’allongeais sur le tapis de ma chambre” (P. Benoit, Sandf.). „Quand un microbe est capable en trois jours de quadrupler le volume de la rate, de donner aux ganglions mésentériques le volume d’une orange, il n’autorise justement pas d’hésitations” (Camus, La Peste).

Remarque. Quand est remplacé par que lorsque une seconde subordonnée est coordonnée à la première.

Ex.: „Quand je serai riche et que j’habiterai chez moi, j’aurais toujours une bouteille de Vat 69 dans mon armoire, dit Gerbert” (S. de Beauvoir, L’Invitée).

„Le soir, quand le soleil était près de l’horizon et que l’ombre des buissons s’allongeaient démesurément, les hommes et les bêtes cessaient de marcher” (Le Clézio, Désert).

Lorsque Cette conjonction a presque les mêmes emplois que la conjonction

quand. Lorsque, contrairement à quand, marque mieux les circonstances, l’enchaînement des faits. Selon Lafaye „quand est général, vague, hypothétique. Au contraire, lorsque est d’un emploi plus littéraire que quand”.

Ex.: „Lorsqu’elle l’aperçut enfin, le sang rentra comme à flots dans son coeur” (Bernanos, Histoire de Mouchette). „Lorsqu’il fit part de sa décision de demeurer sur l’île, seul Joseph manifesta de la surprise” (Tournier, Vendredi).

„Lorsque j’ouvre la porte de la chambre, je découvre Laura dans cette posture d’attente anxieuse qu’elle n’a pas quittée …” (Robbe-Grillet, Projet d’une rév.).

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„Les fléaux, en effet, sont une chose commune, mais on croit difficilement aux fléaux lorsqu’ils vous tombent sur la tête” (Camus, La Peste). „Lorsque Adam se réveilla, il sauta sur ses pieds et faillit s’envoler tant il se sentit léger” (Tournier, La Famille Adam).

Remarque. Lorsque peut être remplacé par que dans une deuxième subordonnée coordonnée à la première.

Ex.: „Lorsqu’il ouvrit la porte et que le soleil lui gicla en pleine figure, Méni rit” (Exbrayat, Barthélémy).

Au moment que Cette locution a vieilli

Ex.: „Ne pense pas qu’au moment que je t’aime, Innocente à mes yeux, je m’approuve moi-même” (Racine, Phèdre, II, 5). „Au moment que j’ouvre la bouche pour célébrer la gloire immortelle de Louis de Bourbon, prince de Condé, je me sens également confondu et par la grandeur du sujet, et, s’il m’est permis de l’avouer, par l’inutilité du travail” (Bossuet, Oraison funèbre du prince de Condé). „J’avais senti pétiller mon argent au moment qu’il avait lâché le mot de cartes et de dés” (Hamilton, Mémoires du chevalier de Grammont). „Si je n’avais pas encore, au moment que la guerre éclata, goûté les fruits amers de la maturité …” (Duhamel, Scène vie future, P.R.). „La chose se passe au moment qu’on ne l’attendait pas” (Bernanos, Monsieur Ouine).

Au moment où

Cette locution indique le temps précis où un événement s’est produit ou se produira; elle a le sens de à l’instant où, lorsque.

Ex.: „Au moment où je venais de commettre une faute telle que je m’attendais à être obligé de quitter la maison, mes parents m’ac-cordaient plus que je n’eusse jamais obtenu d’eux comme récompense d’une belle action” (Proust, Du côté de chez Swann). „Au moment où il arrivera, je lui parlerai de vous”. „Le 8 octobre, au moment où les bateaux français allaient s’engager dans l’estuaire de Wouri, les navires anglais les saluèrent et prirent le large”. (De Gaulle, L’Appel). „Au moment où la vérité l’écrasait et où elle aurait eu besoin de s’en délivrer par des paroles, nous la condamnions au silence” (S. de Beauvoir, Une mort très douce). „Je vécus dans le malaise: au moment où leurs cérémonies me persuadaient que rien n’existe sans raison et que

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chacun, du plus grand au plus petit, a sa place marquée dans l’Univers, ma raison d’être à moi, se dérobait, je découvrais tout à coup que je comptais pour du beurre et j’avais honte de ma présence insolite dans ce monde en ordre” (Sartre, Les Mots). „J’écrivais ce livre au moment où par le mariage, je venais de fixer ma vie” (Gide, Nourritures terrestres). „Il y a je ne sais quelle force cachée, a dit Lucrèce (ce que d’autres avec Bossuet nommeront Providence) qui semble se plaire à briser les choses humaines, à faire manquer d’un coup l’appareil établi de la puissance, et à déjouer la pièce juste au moment où elle promettait de mieux aller” (Sainte-Beuve, Causeries du lundi, 6 mai 1880).

À partir du moment où

Cette locution indique le point de départ. Elle signifie „dès l’instant que”.

Ex.: à partir du moment où il la rencontra, il l’aima. „Tout ne commence vraiment à être irrémédiable qu’à partir du moment où, à leur tour, les meilleurs renoncent et s’inclinent devant ce mythe: la fatalité des événements!” (Martin du Gard, Les Thibault).

„Quand vingt-cinq bonshommes deviennent marteaux, chacun tire sa folie à son tonneau, et, après tout … à partir du moment où l’on est dingue, on est bien libre de l’être à son idée” (Duhamel, Récits temps de guerre).

À l’instant où

Cette locution a le sens de „au moment précis où, à l’instant même où”.

Ex.: à l’instant où j’allais sortir, le téléphone sonna (le Lexis). „Chaque division, formant carré, ses bagages au centre, ses canons aux angles, prenait l’aspect d’une forteresse vivante dont les brèches se réparaient à l’instant même où elles se creusaient” (Madelin, Histoire du Consulat; P.R.).

À l’instant que

Ex.: „Il y a toujours cent contre un à parier, en Frances, qu’une chose quelconque ne durera pas; c’est à l’instant que le gouvernement paraît le mieux assis qu’il s’écroule” (Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe).

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Dans le moment que Cette locution est surtout employée dans le français littéraire. Ex.: „Dans le moment qu’ils tenaient ces propos / Le Lion sort,

et vient d’un pas agile” (La F.VI.2). „J’arrivai dans le moment même qu’il venait de sortir” (Acad.).

Dans le moment où

Ex.: J’arrivai dans le moment où il sortait (Acad.)

Comme Comme a le sens de quand, lorsque, juste dans le moment où; il

peut introduire une action qui continue au moment où se produit une autre action (il marque une action durative au cours de laquelle a lieu une action momentanée).

Ex.: „Donc ce lundi, comme Robinet se présentait au studio quelques minutes avant le début de son émission, il vit venir à lui Mlle Flavie dans un état d’agitation dont il ne l’aurait jamais crue capable” (Tournier, Tristan Vox). Comme il entrait, le téléphone sonna (H). Le matin, vers dix heures, comme j’arrive à Paris, la pluie commence à tomber. „Comme nous déjeunions, le facteur entra” (Cy.). „J’entrais comme elle descendait de voiture” (Gyp; Sandf.). „La malle-poste arriva comme il faisait l’indifférent. Il y avait deux places libres” (Stendhal, Le Rouge et le Noir, P.R.). „Comme huit heures sonnaient à l’horloge de l’usine, Julien rentra chez Syria” (Estaunié; L.B.). „Comme il allait atteindre le quai, le colonel croisa un officier de la Garde Nationale” (Aragon).

Alors que Cette locution a le sens de „dans le moment où”; „à l’époque

où”; elle exprime une simultanéité d’action sur le plan du passé. Bien qu’elle soit aussi employée dans la proposition de concession-op-position, elle appartient avant tout à la proposition temporelle, étant donné le sens primitif de alors que ((à + lors (lors < illa hora = à cette heure) < alors)).

Ex.: „Plus tard, à bord du navire, alors que les hommes sont installés dans la cale pour jouer ou dormir, je regarde la nuit” (Le Clézio, Le chercheur d’or). „Le deuxième qui déserta, quelques jours plus tard, alors que nous étions dans un village, au repos, était un

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Suisse, dont j’ai oublié le nom, un grand et beau gaillard moderne, sportif et qui n’avait pas froid aux yeux” (Cendrars, L’Homme foudroyé). „À la fin de l’après-midi de ce 29 septembre 1759, alors que la Virginie devait se trouver au niveau du 32e parallèle de latitude sud, le baromètre avait accusé une chute verticale, tandis que des feux Saint-Elme s’allumaient en aigrettes lumineuses à l’extrémité des mâts et des vergues annonçant un orage d’une rare violence” (Tournier, Vendredi). „Une seconde plus tard, alors qu’il se retournait pour la suivre, il la vit dans un éclair, à l’autre extrémité de la salle, dressée sur la pointe de ses petits pieds, s’efforçant d’atteindre quelque chose au mur, de ses bras tendus” (Bernanos, Histoire de Mouchette).

Cependant que Cette locution était très employée dans le français classique; elle

est sortie de l’usage courant. Dans la langue littéraire, la locution cependant que est encore usitée; elle marque souvent qu’il s’agit de faits simultanés présentés sous l’aspect duratif.

Ex.: „Cependant que Robinson se faisait ce triste raisonnement, il examinait la configuration de l’île” (Tournier, Vendredi). Didier me regardait cependant que je prononçais ce petit discours (Duhamel, le Lexis). „La voix de Bernard, cependant qu’il parlait, reprenait un peu d’assurance” (Gide, Les Faux-Monnayeurs). „Robinson ayant refusé de boire, le tarot avait surgi du tiroir de la table, et Van Deyssel donnait libre cours à sa verve divinatrice – cependant que le vacarme de la tempête retentissait aux oreilles de Robinson comme celui d’un sabbat de sorcières accompagnant le jeu maléfique auquel il était mêlé malgré lui” (Tournier, Vendredi).

Pendant que Cette locution a le sens de „dans le même temps que”; „dans

tout le temps que”; „au moment où”; „cependant que”. Elle marque la durée indéterminée d’une action ou d’un état avec lesquels une autre action ou un autre état sont simultanés à une époque donnée.

Ex.: „Les enfants ont éloigné les bêtes à coups de pierres, pendant que les hommes se sont agenouillés pour prier” (Le Clézio, Désert). „Puis elle s’est mise à tirer des bordées d’un trottoir à l’autre, et tout cela, vertigineusement vite, pendant que le tonnerre tombait et que la pluie roulait comme elle roule aujourd’hui sur notre colline de Nesles”(Duhamel, Suzanne). „Pendant que ma tante devisait ainsi

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avec Françoise, j’accompagnais mes parents à la messe” (Proust, Du côté de chez Swann). „Pendant qu’on parlait, le temps se gâtait” (Camus, La Peste). „Ce traitement de faveur me semblait légitime; ce que pensaient les „fils du peuple”, mes égaux, je l’ignore; je crois qu’ils s’en foutaient. Moi, leur turbulence me fatiguait et je trouvais distingué de m’ennuyer auprès de M. Barrault pendant qu’ils jouaient aux barres” (Sartre, Les Mots). „Pendant que je me rasais, je me suis demandé ce que j’allais faire et j’ai décidé d’aller me baigner” (Camus, L’Étranger). Il sciait du bois pendant que sa femme préparait le déjeuner (A. Th.). „Sur le quai, pendant que nous nous séchions, elle m’a dit: „Je suis plus brave que vous” (Camus, L’Étranger).

Tandis que

Cette locution qui a le sens de pendant que, dans le moment que s’emploie pour marquer une action qui dure et dont la durée coïncide avec l’action de la proposition principale; elle peut aussi être employée pour indiquer une durée au cours de laquelle se produit un événement (la proposition principale marque „une action-point”, le verbe de cette proposition exprimant un aspect ponctuel ou momentané).

Ex.: „À un moment, une rafale a couché le Zeta, toile tendue à se rompre, et j’écoutais la coque craquer sous l’effort, tandis que l’horizon basculait devant le beaupré” (Le Clézio, Le chercheur d’or). „Un choc sourd secoua le navire, tandis que le fanal accusait un angle de quarante-cinq degrés avec le plafond” (Tournier, Vendredi). „Mon Patron, saint Benoît, vint à ma rencontre, suivi d’un ange, d’un lion, d’un boeuf, tandis qu’un aigle volait au-dessus de lui” (Apollinaire, L’Hérésiarque). „Tandis qu’ils dînaient avec leur entourage, je m’assis près de la table et posai nettement la question de l’Afrique du Nord” (De Gaulle, L’Appel). „Et il regardait stupidement sa main sanglante, l’oreille encore occupée du bruissement sauvage des feuilles, tandis qu’une pluie de grosses fleurs blanches tombait sur son cou et ses épaules, lourdes comme des fruits” (Bernanos, Une Nuit). „La nuit du désert était pleine de ces feux qui palpitaient doucement, tandis que le vent passait et repassait comme un souffle” (Le Clézio). „Tandis que se préparait cette pénible opération, je quittai le Cameroun pour visiter les autres territoires” (De Gaulle, id.).

Remarque. Tandis que, comme la plupart des locutions con-jonctives, peut être remplacé par que dans une subordonnée coordonnée à la première.

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Ex.: „Alors, tandis que le grondement de la pluie redoublait sur les feuillages et que tout semblait vouloir se dissoudre dans la nuée vaporeuse qui montait du sol, il vit se former à l’horizon un arc-en-ciel plus vaste … que la nature seule n’en peut créer” (Tournier, Vendredi).

En même temps que Cette locution conjonctive marque soit la concomitance de deux

actions, soit leur parallélisme et leur relation naturelle. Ex.: „Le flanc du navire continuait à se déplacer parallèlement

au bord de la rampe; la largeur du couloir qui l’en séparait encore devait diminuer peu à peu, en même temps que l’avance se poursuivait – était censée se poursuivre – le long de la jetée” (A. Robbe-Grillet, Le Voyeur). „La plupart des minorités ethniques, au XIXe siècle, en même temps qu’elles luttaient pour leur indépendance, ont passionnément tenté de ressuciter leurs langues nationales” (Sartre, Situations III; P.R.). „Son intention était de faire sa carrière dans le professorat, en même temps qu’il travaillerait à quelques livres” (P. Bourget; Sandf.) „(Il y avait là) un grand crucifix où leur chapelain plaçait un nouveau buis bénit, en même temps qu’il renouvelait au jour de Pâques fleuries l’eau du bénitier incrusté au bas de la croix” (Balzac, L’enfant maudit; P.R.). „L’horizon qui cerne cette plaine, c’est celui qui cerne toute vie; il donne une place d’honneur à notre soif d’infini en même temps qu’il nous rappelle nos limites” (Barrès, La colline inspirée; L.B.).

Dans le temps que Ex.: „Dans le temps qu’il refrène les violents, il stimule les

hésitants” (R. Rolland, Mahatma Gandhi; P.R.). „Si nous pouvions nous retourner sur nous-même et dégager la portée historique de nos actes dans le même temps que nous les accomplissions, il nous semble que nous présenterions à nos neveux une appréciation si pertinente et si complète de notre époque qu’ils n’auraient plus qu’à l’entériner”. (Sartre, Situations II; P.R.).

Durant que Cette locution conjonctive a vieilli. Elle signifie pendant que. Ex.: „Durant que me parlait cet homme, la prisonnière criait

toujours” (Carco; Sandf.). „Elle s’appuie au bras de Robert, durant que les deux grooms se livrent à leur chasse crépusculaire” (Colette; Sandf.). „Durant que j’hésitais, elle me reconnut” (Colette; Grev.). Durant que le peuple errait … (H.D.T.).

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La répétition fréquente de l’action La répétition fréquente de l’action est marquée par les locutions

conjonctives toutes les fois que, chaque fois que.

Toutes les fois que Ex.: „Toutes les fois que nous trouvons dans le discours ces

particules, parce que, car, puisque, et les autres que l’on nomme causales, c’est la marque indubitable du raisonnement” (Bossuet, Traité de la connaissance de Dieu et de soi-même; P.R.). „Toutes les fois qu’il a été question de réviser le Code … on a dû s’en tenir à modestes amendements, à de légères retouches, se contenter de combler quelques lacunes, de faire quelques additions” (Madelin, Histoire du Consulat).

Chaque fois que Cette locution souligne le caractère distributif et itératif de la

circonstance temporelle. Selon Hanse, dans l’usage courant, chaque fois que est remplacé parfois par à chaque fois que (v. Nouveau Dictionnaire des difficultés du français moderne).

Ex.: „Chaque fois que la porte s’ouvrait, la concierge appuyait sur un bouton électrique qui éclairait l’escalier” (M. Proust, Du côté de chez Swann). „Abdalonim frissonnait chaque fois qu’il le voyait se rapprocher des parcs” (Flaubert, Salammbô; L.B.). Chaque fois qu’on lui en parle, il fait la sourde oreille. „Chaque fois que nous faisons le bien, Dieu opère en nous et avec nous” (Mauriac, Pascal, Grev.).

À chaque fois que Cette locution appartient surtout à la langue littéraire. Ex.: à chaque fois qu’on applaudissait un élève qui chantait

faux, j’enrageais. (Sandf.). à chaque fois que Jean Jaurès commençait ses discours, les auditeurs devenaient très attentifs.

La prolongation dans la durée Les locutions conjonctives aussi longtemps que, tant que

marquent une certaine prolongation dans la durée. Elles indiquent que deux actions ou deux états sont de durée égale (v. Sandfeld, op. cit., p. 272).

Aussi longtemps que Ex.: Il est resté chez nous aussi longtemps qu’il a voulu. La

dernière carte n’est bonne qu’aussi longtemps qu’elle n’est pas jouée.

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„Aussi longtemps que chaque médecin n’avait pas eu connaissance de plus de deux ou trois cas, personne n’avait pensé à bouger” (Camus, La Peste). „La méfiance dans mon état, est une bonne chose, excel-lente même, aussi longtemps qu’elle excite le jugement mais ne le commande pas, ne devient pas un simple réflexe” (Bernanos, Un crime).

Tant que Cette locution énonce la temporalité sous l’aspect de la durée et

marque aussi l’intensité. Ex.: Tant qu’il vivra, la propriété restera intacte. „Les choses

allèrent ainsi, avec quelques incidents, tant que restèrent parallèles les intérêts et les politiques de l’Angleterre et de la France Libre ” (De Gaulle, L’Appel). „Tant que je serai là, les papiers ne seront détruits ni publiés” (Adamov, L’Invasion). „Ils se croyaient libres et personne ne sera jamais libre tant qu’il y aura des fléaux” (Camus, La Peste). „Mais le Père, trois ou quatre jours durant, restait sombre et peu bavard, tant qu’il n’avait pas repris l’espoir d’une vente plus avan-tageuse” (Desvignes, Nœuds d’argile). „Je revins glorieux et tendu. Il y eut des cris mais pas d’embrassements et ma mère s’enferma dans sa chambre pour pleurer. Il y avait pis: tant qu’elles (= les boucles) voltigeaient autour de mes oreilles, mes belles anglaises (= longues boucles de cheveux) lui avaient permis de refuser l’évidence de ma laideur” (Sartre, Les Mots). „Il peut trembler tant qu’il voudra, elle ne l’empêchera pas de faire ce qu’il lui plaît” (N. Sarraute, Le Planétarium).

La progression dans la durée À mesure que

Cette locution conjonctive marque la progression dans la durée; elle peut indiquer la simultanéité dans la progression.

Ex.: „À mesure que la petite aiguille de la pendule adminis-trative se rapprochait du chiffre 7, Méjean tenait de moins en moins en place” (Exbrayat, Félicité). „Le ciel quoique bleu, avait un éclat terne qui s’adoucissait à mesure que l’après-midi s’avançait” (Camus, La Peste). „La foule devenait de plus en plus clairsemée à mesure que nous avancions” (Butor; le Lexis). À mesure qu’il exposait ses arguments, nous nous sentions plus sceptiques (Z.). „À mesure qu’augmentait leur ivresse, ils se rappelaient de plus en plus l’injustice de Carthage” (Flaubert, Salammbô; L.B.). „Tout poissait aux mains à mesure que la journée avançait et Rieux sentait son appréhension croître à chaque visite” (Camus, La Peste).

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Au fur et à mesure que Cette locution indique la simultanéité dans la progression. Elle a

le sens de „dans le même temps et dans la même proportion”. Ex.: „Au fur et à mesure que le voyage se prolonge, le capitaine

Bradmer devient plus aimable avec moi” (Le Clézio, Le chercheur d’or). „La lumière devenait de plus en plus vive au fur et à mesure qu’il avançait dans le couloir” (le Lexis). Il enleva les marchandises au fur et à mesure qu’elles étaient vendues (F.B.). On trie les lettres au fur et à mesure qu’elles arrivent. „Au fur et à mesure que le jour passait, les activités des gens de mer se ralentissaient, et bientôt il n’y avait plus personne, sauf quelques mendiants qui dormaient à l’ombre des arbres ou qui glanait les débris du marché” (Le Clézio, Le cher-cheur d’or). Les enfants mangeaient les beignets au fur et à mesure qu’on les retirait de la poêle. „Peu à peu, au fur et à mesure qu’il butait contre les impossibilités, il s’affolait” (Exbrayat, Barthélémy).

Systèmes temporels formés au moyen de la conjonction que Walther von Wartburg et Paul Zumthor (Syntaxe du français

contemporain, p. 89) soulignent que la conjonction que „unit à une grande force contraignante une imprécision de sens qui permet de l’engager dans les combinaisons syntaxiques les plus diverses, où souvent le contexte seul lui confère une signification déterminée”; par conséquent, la conjonction que équivalant à une conjonction ou à une locution conjonctive de temps peut être employée à la constitution de systèmes temporels. Ces systèmes peuvent marquer le fait que:

1. Une action point est incidente à une action ligne (ce système exprime l’incidence d’un fait considéré sous l’aspect momentané par rapport à un fait considéré sous l’aspect duratif).

Ex.: „Je vous ai vu que12 vous n’étiez pas plus grand que cela” (Molière, Misanthrope; L.B.). Il me connut que13 j’étais encore un gamin en culottes courtes (Z).

2. Une action continue après qu’une première action s’est achevée (ce système indique la continuation d’un fait au-delà du point d’achèvement d’un autre). ________________

12 que = alors que: Je vous ai connu alors que vous n’étiez … 13 La proposition subordonnée ou dépendante est introduite par il y a,

tandis que la principale ou „la proposition régissante” est introduite par que. C’est pourquoi la proposition temporelle est appelée dans ce cas, inversive.

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Ex.: „Il avait disparu que Freydet regardait encore” (Daudet, Immortel; L.B.). „La prière était finie que le nouveau tenait encore sa casquette sur ses deux genoux” (Flaubert, Mme Bovary; P.R.).

3. Deux actions se produisent simultanément et durent un temps indéfini.

Ex.: Pierre dormait déjà profondément que Marie continuait à mettre l’appartement en ordre.

4. Une action n’a pas encore eu le temps de se produire au moment où une autre a lieu.

Ex.: Il n’avait pas encore commencé à nager qu’il vit l’épave. 5. Un fait est commencé, mais non achevé au moment où se

produit un second fait. Ex.: „L’hiver n’était pas encore achevé que je me remis à

voyager” (Descartes, Discours de la méthode). Le jour n’était pas encore fini que les loups apparurent à la lisière de la forêt.

Systèmes temporels formés au moyen des locutions: Il y a … que; voici … que; voilà … que

(il y a, voici, voilà, combinés à que) Ces locutions sont, en général, suivies d’un adverbe de temps ou

d’un complément circonstanciel de temps. Elles forment des systèmes temporels qui peuvent avoir des sens différents suivant le temps présenté par le verbe principal.

Il y a ... que; il y a déjà... que14

Ex. Il y a deux heures qu’ils se racontent des histoires de pêche. Il y a longtemps que je voulais acheter une voiture à mon fils. Il y a un mois qu’il est parti. „Il y a trois ans que je l’ai vu. Il y a trois ans que je ne l’ai vu” (P.R.) Il y a déjà un mois qu’elle est malade. Il y avait deux jours qu’il ne mangeait plus. Il y a longtemps que je ne le vois plus. Il y a longtemps qu’il n’a donné de ses nouvelles ou Il y a longtemps qu’il n’a pas donné de ses nouvelles (H.)

Voici... que ((= il y a (certain temps) que)) Ex.:Voici bien deux ans que je n’ai quitté Strasbourg. „Voici

cinq ans... que je suis desservant sans casuel ni supplément de ________________ 14 „Le tour avec voilà ... fait voir le temps écoulé, du point de vue actuel,

c’est-à-dire dans son rapport avec le moment où l’on parle. „Voilà trois ans que je ne l’ai vu” (G. et R. Le Bidois, op. cit. § 317).

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traitement” (Balzac, Les paysans; P.R.). „Voici des siècles, des milliers de siècles, que notre pauvre humanité accomplit sa destinée sur la terre” (Martin du Gard, Thibauld; P.R.). „Voici dix années bientôt qu’elle avait fait ce beau coup, et pas une heure ne s’était écoulée sans qu’elle en eût le repentir” (Zola, La bête humaine; P.R.).

Voilà... que15 ((= il y a (telle durée) que))

Ex.: „Voilà trois mois que je lis exclusivement de la métaphysique...” (Flaubert, Correspondance; P.R.). „Voilà huit jours que je n’y suis allé ” ou „voilà huit jours que je n’y suis pas allé” (H.). „Voilà quinze jours qu’elle a décampé avec ses frusques, à l’anglaise” (ap.Martin du Gard, Thibault).

La conjonction que remplaçant dans la seconde subordonnée une conjonction ou une locution temporelle.

La conjonction que sert à reprendre en tête d’une seconde pro-position subordonnée temporelle:

a) une locution conjonctive Ex.: Je nage avec délices vers la barrière des récifs jusqu’à ce

que je trouve les couches froides de l’eau, et que le grondement des vagues soit tout proche.

b) une conjonction temporelle qui ne contient pas que Ex.: Quand le moment sera venu et que les circonstances le

permettront, nous révélerons ces faits.

Circonstants de temps ayant des verbes à un mode impersonnel (non personnel)

Le circonstant de temps constitué par une construction infinitive

La construction infinitive peut marquer généralement un rapport d’antériorité ou de postériorité. Une telle construction n’est possible que si le sujet du verbe à l’infinitif est identique au sujet du verbe principal.

A. Le rapport d’antériorité temporelle est exprimé à l’aide des locutions avant de, aussitôt avant de. ________________

15 „Le tour avec voilà ... fait voir le temps écoulé, du point de vue actuel, c’est-à-dire dans son rapport avec le moment où l’on parle. „Voilà trois ans que je ne l’ai vu” (G. et R. Le Bidois, op. cit. § 317).

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Avant de + infinitif Ex.: „J’avais bien chargé le poêle avant de descendre” (Lucette

Desvignes, Nœuds d’argile). „Cependant avant d’entrer dans le détail de ces nouveaux événements, le narrateur croit utile de donner sur la période qui vient d’être décrite l’opinion d’un autre témoin” (Camus, La Peste) „Avant de regagner mon poste à Wangenbourg, je demeurai quelques jours auprès du Président du Conseil installé au quai d’Orsay” (De Gaulle, L’Appel). „Pendant deux heures, elle avait rampé sur le plancher avant d’atteindre le téléphone” (Simone de Beauvoir, Une mort très douce). „Avant de se mettre au travail, Robinson lut à haute voix quelques pages de la Bible” (Tournier, Vendredi). „Réfléchissez avant de commettre une imprudence” (Beckett, Godot). „Avant de partir, j’aimerais vous poser une question un peu particulière” (Adamov, La Parodie). „À Frise avant de nous installer dans nos cagnas du bord de l’eau qui, comme les cavernes des troglodytes, étaient du moins bien orientées, au soleil, nous avions occupé des tranchées misérables et peu profondes, derrière la sucrerie” (Cendrars, La main coupée). „Sur le pont de ce navire, avant de m’endormir, je vois le ciel comme je ne l’ai jamais vu encore si grand, bleu sombre sur la mer phosphorescente” (Le Clézio, Le chercheur d’or).

Remarque. La locution avant que de appartient au français clasique, mais elle est encore employée dans la langue littéraire.

Ex.: Le lâche croit que tout est impossible et renonce avant que d’avoir entrepris (Maurois, Art de vivre; P.R.).

Il disait les grandes nouvelles du jour dès avant que de quitter son pardessus” (Duhamel, Pasquier); P.R.).

Aussitôt avant de

Ex.: Aussitôt avant de décoller, le pilote adressa quelques paroles de bienvenue aux passagers de l’avion.

B. Le rapport de postériorité est exprimé au moyen des locutions après, aussitôt après, sitôt après suivies de l’infinitif passé.

Après + infinitif passé Ex.: „ Après avoir déposé comme d’habitude sa clef sur le

marbre de la console, près du bougeoir en cuivre jaune, il gravit avec lenteur les marches une à une, en s’appuyant à la rampe de bois...” (A.Robbe-Grillet, Projet...). „Après être resté quelques instants dans

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la cale, la lumière m’éblouit si fort que j’ai les yeux pleins de larmes” (Le Clézio, Le chercheur d’or). „ Après avoir traversé une zone de terre rougeâtre semée d’une maigre brousse arborescente, ils s’engagèrent dans le lit d’un oued qu’ils remontèrent sur plusieurs kilomètres” (Tournier, La goutte d’or). „Le soir venu, après avoir dit ma prière, je me couchai et commençai le rosaire” (Apollinaire, L’Hérésiarque). „Après avoir entreposé les quarante tonneaux de poudre noire au plus profond de la grotte, il y rangea trois coffres de vêtements, cinq sacs de céréales, deux corbeilles de vaisselles”. (Tournier, Vendredi). „C’est ainsi qu’après avoir relaté que la découverte d’un rat mort avait poussé le caissier de l’hôtel à commettre une erreur dans sa note, Tarrou avait ajouté, d’une écriture moins nette que d’habitude: question: comment faire pour ne pas perdre son temps?...” (Camus, La Peste).

Aussitôt après + infinitif passé

Ex.: Il est parti aussitôt après avoir passé ses examens.

Sitôt après + infinitif passé Ex.: Sitôt après avoir averti sa mère de l’accident de Pierre, il se

rendit à l’hôpital.

Le circonstant de temps ayant dans sa structure un participe passé de forme simple

1. Le participe a le même sujet que le verbe principal. Ex.: Acquitté, il fut aussitôt libéré. Arrivé à la maison, il envoya

chercher le médecin parce qu’il avait attrapé la grippe. „Rentré chez lui, Rieux téléphona au dépôt de produits pharmaceutiques” (Camus, La Peste).

2. Le participe fait partie d’une proposition participiale. On l’appelle aussi participe „absolu” ou participe en construction „absolue”. Il a son propre sujet et il n’est régi par aucun terme de la principale.

Ex.: „Le concierge parti, Rieux demanda au père Paneloux ce qu’il pensait de cette histoire de rats” (Camus, La Peste). „Le matin venu, ils sortirent de leurs tentes” (Le Clézio, Désert). „La lumière une fois revenue, le petit homme le regarda avec des yeux clignotants” (Camus, La Peste). Sitôt la porte close, Pierre s’avança d’un air agité. Le repas fini, les invités furent priés de passer dans le salon.

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Le circonstant de temps ayant dans sa structure un participe passé de forme composée

1. Le participe a le même sujet que le verbe principal. Ex.: Ayant pris la ville, l’ennemi la pilla (Cy). „Ayant fait mes

adieux à ma division, je pris la route de Paris” (De Gaulle, L’Appel). „Ayant égrené ses épis en les battant au fléau dans une voile pliée en deux, il vanna son grain en le faisant couler d’une calebasse dans une autre, en plein air, un jour de vent vif” (Tournier, Vendredi). „Ayant visité les nôtres, je prends contact avec Alexander au quartier de Caserte” (De Gaulle, L’Unité). „Ayant fait le plein à la station-service de Joigny, il reprit sa vitesse de croisière jusqu’à la sortie de Pouilly-en-Auxois” (Tournier, L’aire du Muguet).

2. Le participe passé possède son propre sujet. Il forme une proposition participe (ou participiale).

Ex.: Les directeurs ayant réuni leurs collaborateurs, le ministre leur exposa ses nouveaux projets.

Le circonstant de temps ayant dans sa structure un participe présent (participe en - ant)

1. Le participe présent n’a pas de sujet qui lui soit propre. Ex.: Nous la trouvâmes berçant son nourrisson. „Et continuant

d’y penser, le docteur trouvait à l’employé un air de petit mystère” (Camus, La Peste). J’ai déjà vu cet homme jouant de la flûte (Z). Entrant brusquement je criai: „Me voilà!” (Cy).

2. Le participe présent possède un sujet qui lui est propre. Ex.: „La nièce arrivant, c’était le feu dans la maison” (G. de

Nerval, Wag.). Midi sonnant, on nous invita à déjeuner.

Le circonstant de temps ayant dans sa structure un gérondif Un circonstant de temps peut être constitué par un gérondif. En

ce cas, le sujet de cette forme adverbiale du verbe et le sujet du verbe principal sont identiques: „l’usage moderne veut que l’agent du verbe au gérondif soit le même que celui du verbe au mode personnel qui détermine le gérondif” (R.L.Wagner, Grammaire, éd.cit., p. 315).

Le rapport temporel exprimé peut être: a) un rapport de simultanéité, le gérondif étant surtout apte à

marquer la circonstance simultanée (La valeur de simultanéité du gérondif peut être soulignée par l’adverbe tout).

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Ex.: „Cottard, en s’asseyant, bougonna qu’il allait bien et qu’il irait encore mieux s’il pouvait être sûr que personne ne s’occupât de lui” (Camus, La Peste). „Pour mieux courir, Mouchette a quitté ses galoches. En les remettant, elle se trompe de pied” (Bernanos, Nouvelle histoire de Mouchette). „En fuyant, Macarée s’accrocha au bras du premier homme qu’elle rencontra” (Apollinaire, le Poète assassiné). „En écoutant ces récits, ma grand-mère faisait semblant de s’indigner, elle appelait son mari „mécréant” et „parpaillot”, elle lui donnait des tapes sur les doigts, mais l’indulgence de son sourire achevait de me désabuser ...” (Sartre, Les Mots). „En sortant de la perception, Méjean était convaincu que les lettres anonymes prove-naient d’un mauvais plaisant désireux de jouer un méchant tour à ce pauvre Lanvallay...” (Exbrayat, Félicité). En débarquant dans le port, j’eus la surprise de l’apercevoir.

b) un rapport d’antériorité exprimé au moyen du gérondif „en attendant”.

Ex.: En attendant toujours le dernier train, on peut le rater. En attendant de passer à table, voulez-vous prendre un verre de vin?

Le circonstant de temps constitué par un adverbe ou une locution adverbiale

Théorie de Damourette et Pichon16 concernant la classification des adverbes et des locutions adverbiales de temps (affonctifs). Selon ces auteurs, il y a deux grands groupes d’affonctifs:

I. Le groupe nynégocentrique axé sur le moi-ici-maintenant17. II. Le groupe allocentrique, non axé sur le moi-ici-maintenant18. I. Le groupe nynégocentrique comprend: 1. Les affonctifs situants qui indiquent un point du temps par

rapport au moi-ici-maintenant. Parmi ces situants, les uns comportent une mesure tels que

aujourd’hui, hier, avant-hier, demain, etc.: les autres qui ne com-portent pas de mesure impliquent forcément une part d’appréciation ________________

16 J. Damourette, Éd. Pichon, Des Mots à la Pensée. Essai de Grammaire de la Langue française. Paris, d’Artrey, 1911-1950, 7 vol.

17 On l’appelle aussi le système centrique ayant pour point de repère le moment de l’énonciation (T0).

18 Le moment de l’instance énonciative T1 est différent par rapport au moment T0.

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subjective tels que maintenant, à cette heure, jadis, autrefois, naguère, bientôt. Un terme comme autrefois, par exemple, désigne suivant les circonstances le temps de la jeunesse du locuteur, ou celui des origines de la nation, ou tel autre.

Une opposition comme jadis / naguère peut aussi bien servir à opposer 1888 à 1925 que l’époque de Vercingétorix à celle de Louis XVIII selon les circonstances. De même, bientôt peut signifier „dans une heure” ou „dans trois ans”. Le glissement sémantique des emplois des fonctifs situants qui comportent une mesure aux emplois des fonctifs situants qui ne comportent pas de mesure est d’ailleurs très aisé. Des mots comme aujourd’hui, hier, demain désignent souvent un présent de plus d’une journée, un passé plus lointain que la veille, un avenir plus éloigné que le lendemain.

2. Les affonctifs durantiels. En opposition avec les situants, il faut mettre les durantiels qui indiquent toute une époque: jusqu’ici, dorénavant, désormais.

Remarque. Pour la fonction situante, on a pour le passé il y a, pour l’avenir dans. Pour la fonction durative, on a pour le passé depuis.

II. Le groupe allocentrique des affonctifs temporels non centrés sur le moi-ici-maintenant comprend:

1. des narratifs situants: a) il y a des narratifs situants avec une notion de mesure; ex.:

l’avant-veille, la veille, le lendemain, le surlendemain. b) il y a des narratifs situants sans notion de mesure; ex.: alors,

auparavant, puis, ensuite; longtemps après, peu auparavant, il y a longtemps, dans peu de temps.

2. des durantiels Ex.: longtemps, pendant ce temps-là, pendant longtemps. Ces

fonctifs peuvent marquer la simultanéité durantielle. Dans la langue soutenue, la simultanéité durantielle peut être exprimée par cependant.

3. des appréciatifs Ex.: tôt, tard (ce sont des fonctifs temporels situants appréciatifs). 4. des alternatifs Ex.: tantôt... tantôt

Classement des adverbes de temps selon Jacqueline Pinchon (Langue française, 1, p. 79-81)

Suivant J. Pinchon, il est difficile d’établir un classement des adverbes de temps grammaticalement fondé. Cependant, on peut retenir certains points acquis des classifications sémantiques. Ces classifications

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reposent sur les attributs de la notion de temps; situation dans la durée lorsqu’il s’agit: a) de la date (hier; aujourd’hui, demain); b) de l’époque (dernièrement, maintenant, récemment, bientôt, prochainement); situation par rapport à un autre fait; c) simultanéité (simultanément); d) postériorité (après, puis, ensuite); e) origine (depuis, désormais, dorénavant); f) durée (longtemps); g) fréquence (jamais, parfois, quelquefois, souvent, toujours). Le classement sémantique montre qu’il n’y a pas nécessairement symétrie entre passé et futur, entre antériorité et postériorité. L’antériorité ne dispose que de avant, tandis que la postériorité dispose de après, ensuite, puis. L’expression de la durée n’est représentée que par un seul adverbe longtemps dont les degrés précisent la longueur du temps écoulé (pas, peu, assez, très, moins, plus longtemps). Le passage du style direct au style indirect montre que des adverbes comme maintenant, aujourd’hui, actuel-lement, hier, demain ne prennent de valeur au point de vue sémantique que dans l’acte de parole; ces adverbes se définissent par rapport au présent du locuteur et ils correspondent en style indirect à des substantifs: la veille, ce jour-là, à cette époque-là, le lendemain. Certains adverbes apparaissent différents des autres par leur place dans la proposition et par rapport au verbe; on distingue deux groupes d’adverbes selon qu’ils ont ou non la possibilité de s’insérer entre auxiliant et auxilié. Ainsi, toujours, déjà, parfois, souvent, etc. ont une certaine affinité avec l’auxiliaire; au contraire, les adverbes de temps hier, aujourd’hui s’insèrent plus difficilement entre l’auxiliant et l’auxilié et seulement dans des conditions déterminées.

Classement des adverbes et des locutions adverbiales de temps selon G. Cayrou19

Les adverbes et les locutions adverbiales de temps, peuvent exprimer: 10 le moment de l’action; 20 la durée de l’action; 30 la répé-tition de l’action; 40 l’ordre de succession des actions.

1. Les adverbes exprimant le moment de l’action ou de l’état. a) le moment concerne le présent: maintenant, à présent, en ce

moment, aujourd’hui. b) le moment concerne le passé: autrefois, jadis, récemment,

naguère, dernièrement, avant-hier, hier. c) le moment concerne l’avenir: bientôt, sous peu, prochainement,

demain, après-demain. ________________

19 G. Cayrou et alii, Le français d’aujourd’hui, Paris, A. Colin, s.d.

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Certains de ces adverbes s’appliquent indifféremment: au passé et à l’avenir (tout à l’heure, tantôt, un jour), au présent, au passé et à l’avenir (encore, déjà, quand).

2. Les adverbes exprimant la durée de l’action ou de l’état: - toujours, longtemps, quelque temps, peu de temps, pendant ce

temps. - depuis toujours, depuis longtemps, depuis lors, depuis. - jusque-là; jusqu’à présent; jusqu’ici; désormais; dorénavant, à

jamais. 3. Les adverbes exprimant la répétition de l’action ou de l’état: - toujours, ordinairement, souvent, fréquemment, bien des fois, - parfois, quelquefois, plusieurs fois, de temps en temps, de loin

en loin, une fois. - de nouveau, encore; ne... plus, ne... jamais. 4. Les adverbes exprimant l’ordre de succession des actions ou

des états - avant, auparavant, antérieurement, précédemment, plus tôt. - d’abord, en premier lieu, au début. - après, puis, ensuite, postérieurement, ultérieurement, dans la

suite, plus tard. - enfin, en dernier lieu, à la fois. - alors, dès lors, aussitôt, sitôt, immédiatement, sur-le-champ,

tout de suite. - soudainement, tout à coup; ensemble, simultanément, en même

temps.

Théorie de H. Weinrich concernant les adverbes de temps Dans Grammaire textuelle du français, Paris, Didier-Hatier,

1989, p. 336 sq., Weinrich distingue plusieurs catégories d’adverbes de temps.

a) les adverbes temporels de la perspective b) les adverbes temporels de registre c) les adverbes temporels de relief Les adverbes temporels de la perspective sont divisés en

adverbes de temps rétrospectifs et adverbes de temps prospectifs. Selon Weinrich les adverbes de temps rétrospectifs sont les

suivants: hier, avant-hier, la veille, la semaine dernière, l’autre jour, récemment, il y a huit jours, dernièrement, autrefois, jadis, ancien-nement, depuis, jusqu’ici.

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Selon l’auteur, les adverbes de temps prospectifs sont: demain, après-demain, le lendemain, l’année prochaine, le mois

suivant, un autre jour, sous peu, prochainement, dans quinze jours, à l’avenir, désormais, dorénavant, bientôt.

Parfois, c’est le contexte seul qui fait apparaître la perspective temporelle de certains adverbes.

Ex.: l’adverbe tout à l’heure a) la perspective temporelle rétrospective: Le télégraphiste est passé ici tout à l’heure. b) la perspective temporelle prospective: Le facteur passera ici tout à l’heure. Les adverbes du registre temporel sont divisés en adverbes du

commentaire20 et en adverbes du récit. a) adverbes du commentaire: aujourd’hui, en ce moment, hier,

avant-hier, demain, après-demain, l’année dernière, la semaine prochaine, l’autre jour.

b) adverbes du récit: ce jour-là, à ce moment (-là), la veille, l’avant-veille, le lendemain, le surlendemain, l’année précédente, la semaine suivante, un jour.

Exemples d’emploi des adverbes du commentaire et des adverbes du récit:

„En ce moment je me trouve un peu à court d’argent!” (com-mentaire).

À ce moment-là il se trouvait un peu à court d’argent! (récit). „J’ai perdu hier une grosse somme au casino de Monte-Carlo”

(commentaire). Il avait perdu la veille une grosse somme au casino de Monte-

Carlo (récit). Selon Weinrich les adverbes temporels de relief se divisent en

adverbes de premier plan et adverbes d’arrière plan. Les adverbes de premier plan sont: soudain, tout à coup, brusquement, subitement, tout de suite, immédiatement, sur-le-champ, promptement, aussitôt, vite, hâtivement; à la catégorie des adverbes d’arrière plan appartiennent les adverbes: longtemps, d’habitude, d’ordinaire, normalement, habituel-lement, régulièrement, par moments, etc. ________________

20 Les temps du commentaire de Weinrich correspondent aux temps du discours de Benveniste.

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Emplois de certains adverbes de temps Alors

Cet adverbe signifie „à ce moment-là”, „à cette heure-là”, „sur ces entrefaites”.

Ex.: Alors ils le reconnurent pour chef. Ils étaient heureux alors. En 1810, Napoléon Ier était alors à l’apogée de sa puissance. „Françoise, en effet, qui était depuis des années à son service et ne se doutait pas alors qu’elle entrerait un jour tout à fait au nôtre...” (Proust, Du côté de chez Swann). „Alors, par une plaisante rencontre, la même question posée quelques heures plus tôt par Malorthy se retrouva sur les lèvres de Cadigan” (Bernanos, Histoire de Mouchette). „Alors elle éclata de rire, les deux mains pressées sur sa gorge nue, le col renversé en arrière, s’enivrant de son défi sonore” (Bernanos, id.).

Remarques. 1. Alors peut marquer un rapport de postériorité: Que ferez-vous alors?

2. Lorsqu’il signifie „à ce moment-là”, alors ne peut s’employer avec un présent, sauf si c’est un présent historique: „Alors il commence à le regarder (H.). „Une flatteuse erreur emporte alors nos âmes” (La F. VII, 10).

Après

Cet adverbe signifie „ce qui est postérieur dans le temps”; il marque la postériorité dans le temps.

Ex.: a) Payez d’abord, nous verrons après. Terminez d’abord votre travail, vous partirez après. „Vous qui n’avez ici point d’autres intérêts / que d’emplir votre poche et vous enfuir après” (V.Hugo, Ruy Blas; P.R.).

b) Les événements qui survinrent après prouvèrent qu’il avait eu raison.

Après-demain

Ex.: Aujourd’hui c’est lundi; nous vous attendrons chez nous après-demain. Pierre arrivera après-demain. Ce sera si vous voulez pour après-demain. L’affaire a été renvoyée à après-demain (P.R.).

Aujourd’hui

1. En ce jour même, au jour où l’on est, durant le jour où nous sommes.

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Ex.: J’ai différé jusqu’aujourd’hui ou jusqu’à aujourd’hui à vous donner de mes nouvelles (Acad.). „S’il s’est dérangé pour rien hier soir, tu penses bien qu’il ne viendra pas aujourd’hui” (Beckett, Godot). Ne remettez pas à demain ce que vous pouvez faire aujourd’hui même.

2. Par extension, aujourd’hui peut être employé d’une manière indéterminée (= au temps où nous sommes, actuellement, à l’époque actuelle, en ce moment, à présent, à l’heure qu’il est, de nos jours, maintenant, présentement).

Ex.: „En vérité, il était plus jeune aujourd’hui que le jeune homme pieux et avare qui s’était embarqué sur la Virginia” (Tournier, Vendredi). „Il la connaissait depuis plusieurs années et la cotait à son prix de jeune jeune fille d’aujourd’hui” (Colette, La Chatte; P.R.). „Hier n’existait pas pour elle; elle vivait dans la plénitude d’aujourd’hui” (V.Hugo, Travailleurs de la mer; id.).

Remarque. On dit „Je reviendrai d’aujourd’hui en quinze” (dans quinze jours à compter d’aujourd’hui).

Auparavant Cet adverbe signifie „avant tel événement, telle action”; il

indique qu’un fait se situe dans le temps avant un autre; il marque la priorité dans le temps.

Ex.: „Voulez-vous auparavant voir votre mère une dernière fois?” (Camus, L’Étranger). Vous me raconterez cela, mais auparavant asseyez-vous! Pierre peut sortir avec toi en ville, mais auparavant il faut que tu fasses tes devoirs. Envoyez ce télégramme, mais il faut le relire auparavant. „Cottard devait plutôt, une minute auparavant, se tenir assis et réfléchir dans la pénombre” (Camus, La Peste). „Dix jours auparavant, une ligne verte à l’horizon bâbord avait averti l’équipage qu’ayant franchi le tropique du Capricorne il doublait les îles Desventurados” (Tournier, Vendredi).

Aussitôt Cet adverbe signifie „un moment après”, „tout de suite”,

„immédiatement”; il indique la postériorité immédiate. Ex.: a) „L’administrateur Rémy que nous avons alerté va

aussitôt procéder à une enquête” (Gide, Journal; P.R.). b) „Je monte aussitôt sur le pont, pieds nus, sans prendre la

peine d’enfiler ma chemise” (Le Clézio, Le chercheur d’or).

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c) „Et il fut aussitôt étonné du silence” (Bernanos, Histoire de Mouchette). „Robinson fit un effort pour s’asseoir et éprouva aussitôt une douleur fulgurante à l’épaule gauche” (Tournier, Vendredi). „Vendredi récoltait des fleurs de myrte... lorsqu’il aperçut un point blanc à l’horizon, du côté du levant. Aussitôt il sauta de branche en branche jusqu’au sol et courut d’une traite prévenir Robinson” (Tournier, id.).

Autrefois

Cet adverbe signifie „dans un temps passé, autre, différent du nôtre; dans un autre temps, en parlant du passé”. Selon La Faye, il s’emploie quand on veut marquer un contraste entre le passé et le présent, faire sentir que les choses n’en sont à présent où elles en étaient à l’époque dont on parle” (Dict. des synonymes).

Ex.: a) Saint Saëns apporte à notre inquiétude artistique un peu de la lumière et de la douceur d’autrefois” (R.Rolland, Musique d’aujourd’hui; P.R.). Autrefois il était un excellent cavalier, maintenant, après avoir été victime d’un accident de voiture, il doit se contenter d’assister aux concours hippiques.

b) „La main du temps s’était appesantie sur cet homme autrefois si énergique” (Stendhal, Le Rouge et le Noir).

Avant Cet adverbe marque la priorité de temps, l’antériorité dans le temps. Ex.: a) Réfléchissez avant, vous parlerez après (Acad.). N’attendez

pas son retour, partez avant (le Lexis). Je vous prie de venir me voir, mais prévenez-moi quelques jours avant.

b) Il ne fut reçu qu’à midi, mais il était arrivé avant. Il avait terminé bien avant.

Avant-hier

Ex.: Avant-hier soir nous sommes allés à un spectacle de variétés. Avant-hier la température était en hausse. Il est parti avant-hier pour Paris. Ils ne sont arrivés qu’avant-hier.

Bientôt Cet adverbe signifie „dans peu de temps”, „dans un futur proche”.

Il indique qu’un fait se produira au bout d’un temps relativement bref, dans un avenir proche.

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Ex.: a) Aurez-vous bientôt fini? (H.). L’affaire sera bientôt conclue. Il ira bientôt voir ses parents, en Auvergne. „Bientôt mes yeux aussi se fermeront pour l’éternité, sans que j’en aie appris beaucoup plus que toi (petit chien) sur la vie et la mort” (A.France, Petit Pierre; P.R.).

b) „Bientôt un couvercle de nuages parfaitement homogène s’appesantit d’un horizon à l’autre, et les premières gouttes mitrail-lèrent la coque de l’Évasion” (Tournier, Vendredi). „Bientôt ma tante pouvait tremper dans l’infusion bouillante dont elle savourait le goût de feuille morte ou de fleur fanée une petite madeleine” (Proust, Du côté de chez Swann).

Déjà

Cet adverbe signifie: 10 Dès maintenant, dès l’heure présente, dès ce moment-là (indique

ce qui est accompli). Ex.: Il est déjà tard pour arriver à temps à la gare. „Vous êtes

déjà là? Je ne vous attendais pas si tôt” (P.R.). Par extension, il signifie dès lors, dès ce temps, en parlant du

passé ou de l’avenir. Ex.: Il était déjà aux États-Unis à ce moment-là. Quand vous

lirez cette lettre, je serai déjà loin (P.R.). „Ce siècle avait deux ans. Rome remplaçait Sparte. Déjà Napoléon

perçait sous Bonaparte...” (Hugo, Feuilles d’automne; P.R.). „Il a déjà très bien conscience de sa supériorité d’homme” (Martin du Gard, Thibault).

20 auparavant, avant. Ex.: J’ai déjà vu ce film la semaine passée. Nous lui avons déjà

dit cela, nous ne le lui répéterons plus.

Demain Cet adverbe signifie: a) le jour qui suit immédiatement celui où l’on est: Ex.: Je me couche de bonne heure car demain je dois participer à

une compétition sportive. b) dans un avenir proche, bientôt Ex.: „Hâtons-nous aujourd’hui de jouir de la vie; Qui sait si nous

serons demain?” (Racine, Athalie, II, 9). „Si tu ne penses pas comme lui ce soir, tu penseras comme lui demain” (Martin du Gard; le Lexis). „Aujourd’hui ton père tombe chez moi comme une bombe, et me

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menace du gendarme. Demain, j’aurais tout le canton sur les bras; il ne faut que cette vieille chouette pour rassembler cent corbeaux” (Bernanos, Histoire de Mouchette).

Depuis Cet adverbe signifie „à partir d’une date, d’un moment, à partir

d’une époque déterminée”. Il marque le point à partir duquel une chose dure.

Ex.: Elle est rentrée à midi; qu’a-t-elle fait depuis? Je ne l’ai pas revue depuis. Je l’ai vue l’an dernier à Paris, mais je ne l’ai plus ren-contrée depuis.

Désormais Cet adverbe signifie „à partir de ce moment” (à partir du mo-

ment actuel). Ex.: „Ne songez désormais qu’à vos erreurs passées” (La F. XI, 8).

„Je ne vais désormais penser qu’à nous venger” (Racine, Mithridate, III, 3). Désormais nous ne les écouterons plus. „Si vous donnez des leçons „gratuites”, personne désormais ne voudra payer” (Pagnol: le Lexis).

„Il eut le pressentiment, la certitude d’un malheur désormais inévitable” (Bernanos, Histoire de Mouchette). „Il avait souffert, il avait traversé des crises meurtrières, il se sentait capable désormais avec Vendredi à ses côtés de défier le temps...” (Tournier, Vendredi).

Dorénavant Cet adverbe signifie „à partir de ce moment”, „à l’avenir”. Ex.: a) „Je veux, j’exige que tout autour de moi soit dorénavant

mesuré, prouvé, certifié...” (Tournier, Vendredi). „L’histoire de l’empire grec, c’est ainsi que nous nommerons dorénavant l’empire romain” (Montesquieu, Rom., 21; H.D.T.). „J’ai décidé de rire dorénavant le moins possible à cause de mes rides” (Montherlant; P.R.).

b) Il décida que dorénavant il travaillerait le soir.

Encore 1. Indique la persistance d’une action ou d’un état; marque le

fait qu’au moment précis où se passe l’action, celle-ci dure ou durait. Ex.: a) La révolte dure encore. Il fait encore nuit. Elle est encore

belle. „Dans ces grands tombeaux où leurs âmes hautaines, Font encore les vaines” (Malherbe; H.D.T.).

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b) „À quarante et un ans, l’on disait qu’il était encore séduisant” (Aragon; le Lexis).

2. Indique la répétition de l’action: Ex.: Il a encore perdu de l’argent aux courses. Il nous a encore

répondu la même chose. „Il ne pouvait confesser sa faute sans glisser malgré lui au

besoin de la commettre encore en pensée” (Zola, Faute de l’abbé Mouret; P.R.).

Enfin Cet adverbe marque qu’une chose arrive après s’être fait

attendre; il indique qu’un événement se produit le dernier d’une série. Ex.: a) Enfin je vous trouve. Enfin je vous rencontre après une si

longue absence. Il a enfin trouvé le virus qui est à l’origine de cette maladie.

b) Après de longues recherches, Marie Curie isola enfin le radium à l’état métallique en 1910. „Enfin il lui parut tout à coup que l’île, ses rochers, ses forêts n’étaient que la paupière et le sourcil d’un oeil immense, bleu et humide, scrutant les profondeurs du ciel” (Tournier, Vendredi).

Ensuite Cet adverbe a le sens de „après cela”, „plus tard”, etc. Ex: Travaillez jusqu’à midi, vous irez au cinéma ensuite. Mais

ensuite qu’allez-vous faire? „Les richesses ne sont belles à amasser que pour les dépenser

facilement ensuite” (Gide, Journal; P.R.). „L’art d’enseigner n’est que l’art d’éveiller la curiosité des jeunes âmes pour la satisfaire ensuite” (A.France, Crime de Sylvestre Bonnard).

„Rieux pensa au concierge et décida qu’il le verrait ensuite” (Camus, La Peste).

Entre-temps Cet adverbe signifie „dans l’intervalle”, „pendant ce temps-là”. Ex.: a) Ils se sont absentés quelques minutes; le train est arrivé

entre-temps. b) „Entre-temps il m’était arrivé plus d’une fois d’asseoir

Gertrude devant le petit harmonium de notre chapelle...” (Gide, Sym-phonie pastorale; P.R.).

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Hier 1. Le jour qui précède immédiatement celui où l’on est. Ex.: Nous l’avons rencontré hier soir. Elle est arrivée hier. Hier,

il a fait mauvais temps. Hier matin, il est parti pour Lyon. 2. Dans un passé récent, d’une date récente. Il y a peu de temps. Ex.: Il me semble que tout cela s’est passé hier. (H.D.T.). Ce qui

était bon, valable hier est caduc aujourd’hui. Il y a vingt ans depuis cet événement, mais je m’en souviens mieux que d’hier.

Incontinent Cet adverbe signifie „sans le moindre retard”, „sur-le-champ”,

„sur l’heure”. Il appartient aujourd’hui au style soutenu. Ex.: a) Je veux que tout soit réglé incontinent (Claudel, Annonce

faite à Marie; P.R.). Elles sont parties incontinent (H). Je partirai incontinent (H.D.T.).

b) „(Un prince belliqueux) trouve incontinent un grand nombre d’hommes qui n’ont rien à perdre: il les habille d’un gros drap bleu à cent dix sous l’aune, borde leurs chapeaux avec du gros fil blanc, les fait tourner à droite et à gauche, et marche à la gloire” (Voltaire, Dict. philos.; Guerre).

c) La terre est représenté telle qu’elle était incontinent après le déluge (La F., Daphné; H.D.T.).

Jadis Cet adverbe signifie „dans le temps passé, en un temps fort

éloigné dans le passé; il y a longtemps”. Par rapport à anciennement, jadis s’applique à un temps plus rapproché, moins avant dans les siècles.

Ex.: „Dans Florence vivait jadis un médecin” (Boileau, Art poétique; H.D.T.). „Jadis, il s’était présenté à l’École normale. Cette formation littéraire avait marqué sur lui plus que tout autre influence” (Chardonne, Amour du prochain). Il se rappelait que la Grèce avait jadis enseigné au monde la sagesse et les arts (G.L.L.F.). „Certaines modes en dissimulant aux yeux des hommes le corps tout entier des femmes donnait jadis du prix à une robe effleurée” (Maurois, Climats; P.R.). Jadis, les châteaux de la Loire appartenaient aux rois de France. Le luxe que jadis les grands déployaient dans leurs maisons était ruineux. „Jadis plus d’un amant, aux jardins de Bourgueil, a gravé plus d’un nom dans l’écorce qu’il ouvre” (Heredia, Sur le livre des Amours de Pierre de Ronsard).

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„C’était un de ces galions espagnols de jadis, destinés à rap-porter à la mère patrie les gemmes et les métaux précieux du Mexique” (Tournier, Vendredi). „Les belles demeures de jadis étaient normalement vides” (Tournier, Les météores). „Jadis, nous nous voyions souvent” (Adamov, La Parodie).

Jamais

1. Employé avec un sens positif, jamais a le sens de „en un moment quelconque, un jour, en un temps quelconque” (passé ou futur).

a) Dans un contexte négatif: Je ne crois pas l’avoir jamais rencontré.

b) Dans un contexte interrogatif: A-t-on jamais vu cela? „Et quel temps fut jamais si fertile en miracles? (Racine, Athalie I, 1). Vit-on jamais plus belle chose? Quelqu’un aurait-il jamais cru que le quark soit la plus petite particule subatomique?

c) Dans un contexte conditionnel: „S’il sort jamais de cette retraite, il s’apercevra que mon âme monolithique a subi d’intimes fissures” (Tournier, Vendredi). Si jamais vous le voyez, vous lui direz que j’ai besoin de son aide (le Lexis). Si jamais je vous y prends...

d) Dans un contexte comparatif: „Soigne-toi toujours bien afin que, dans un mois, je te trouve plus florissante et plus gaillarde que jamais” (Flaubert, Corresp.; P.R.). Je suis plus pauvre que jamais. Ils se sont disputés plus violemment que jamais.

e) Dans un contexte superlatif: C’est le plus beau paysage que j’aie jamais vu. Ainsi finit la bataille la plus disputée qui fût jamais. Le plus honnête homme que j’aie jamais rencontré.

2. Employé avec un sens négatif avec ne ou sans (jamais servant à former une négation de temps): Nous ne l’avons jamais rencontré. Je ne le ferai jamais plus (H.) Nos beaux jours ne reviennent jamais (P.R.). Il n’est presque jamais au club.

Ils s’occuperont de tout sans jamais vous importuner. Il l’écoute attentivement sans jamais perdre patience. Il travaille d’arrache-pied sans jamais se plaindre.

Longtemps Cet adverbe signifie „pendant un long espace de temps”. a) Restez aussi longtemps que vous voudrez. N’y restez pas trop

longtemps, ne vous y éternisez pas! Je l’attends depuis longtemps. Ne soyez pas trop longtemps absent.

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b) Cet hiver très rude est longtemps resté dans notre souvenir. „Nous sommes restés silencieux assez longtemps” (Camus, L’Étranger). „Il avait longtemps souffert d’un rétrécissement de l’aorte” (Camus, La Peste). Ils avaient longtemps porté les armes (P.R.).

Maintenant

10 Dans le moment présent, à l’époque actuelle, au temps où nous sommes; dans le temps actuel; à partir de l’instant où l’on est.

Ex.: Je n’ai pas le temps maintenant. J’étais fatigué, maintenant je me sens mieux. Tout à l’heure vous parlerez, maintenant écoutez-moi! „Maintenant je ne cherche plus à vous comprendre, je n’ai pas besoin: il me semble que toutes vos peines passent par moi” (Bernanos, Monsieur Ouine). „Nous autres civilisations nous savons maintenant que nous sommes mortelles” (P. Valéry; P.R.). „Je mangerais bien la soupe maintenant si elle est chaude” (Lucette Desvignes, Les nœuds d’argile).

20 Maintenant avec un verbe au futur peut marquer la posté-riorité (= désormais, à partir de l’instant présent). Ex.: Vous cesserez maintenant de parler de cette affaire. Il sera maintenant plus sage.

30 On emploie maintenant avec un verbe au passé pour marquer un moment du passé considéré comme présent (Cet emploi de main-tenant dans le système allocentrique était condamné par les gram-mairiens au XVIIIe siècle. L’abbé Féraud dans son Dictionnaire critique de la langue française, Marseille, 1787-1788, 3 vol., souligne que Maintenant „se dit du temps présent par rapport à celui qui parle, qui raconte”. Il précise que l’abbé Prévost a eu tort d’écrire: „Elles renouvelèrent leurs éternelles complaintes sur les progrès du papisme; toujours le premier et maintenant l’unique sujet de leur chagrins”. Selon l’abbé Féraud, il fallait écrire, „et alors l’unique sujet...”).

Ex.: „On s’apercevait maintenant que ce phénomène dont on ne pouvait encore ni préciser l’ampleur ni déceler l’origine avait quelque chose de menaçant” (Camus, La Peste). „Il se plaignait maintenant d’une douleur intérieure” (Camus, id.). „Alors Frédéric s’informa de la Maréchale. Elle était maintenant avec un homme riche, un Russe, le prince Tzernoukoff qui l’avait vue aux courses du Champ de Mars l’été dernier” (G. Flaubert, L’Éducation sentimentale). „Elle (= Mme Bovary) se rappela des soirs d’été tout pleins de soleil. Quel bonheur d’illusions! Il n’en restait plus maintenant!” (G. Flaubert, Madame Bovary). „Le bel arbre maintenant dépouillé de ses feuilles déployait,

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nue et noire sous le ciel, sa puissante et fine membrure” (A.France, Anneau d’améthyste). „Maintenant elle lui apparaissait au fond de ce lointain, sous un aspect nouveau” (P. Loti, Mon frère Yves; P.R.). „Il riait maintenant d’un bon rire large, d’un rire de cabaret” (Bernanos, Histoire de Mouchette). „Toute crainte s’était maintenant évanouie du coeur de la vieille femme, car elle croyait réellement l’aube prochaine” (Bernanos, Un crime).

Naguère Cet adverbe signifie „il y a quelque temps, il y a peu de temps;

récemment”. Il ne faut pas confondre naguère et jadis. Naguère signifie

„récemment” et ne peut s’appliquer qu’à un passé assez proche. Naguère s’emploie surtout dans le style soutenu. Ex.: „Naguère elle cochait elle-même le calendrier” (Bazin, le

Lexis). Il était naguère encore plein d’entrain; maintenant la maladie l’a abattu (D). „Naguère insouciant en fait de toilette, je respectais maintenant mon habit comme un autre moi-même” (Balzac, Peau de chagrin; P.R.). „Pitoyable situation, deux fois pitoyable lorsqu’on songe quelle génération, naguère pleine d’énergie, semblait maintenant s’aveulir” (Madelin, Histoire du Consulat et de l’Empire). „De nos jours, où pourtant le risque d’un discrédit moral est moins grand qu’il n’était naguère et la sanction moins rigoureuse, les feintes et les camouflages en littérature sont nombreux” (Gide, Journal, 8 décembre 1929). „Est-ce lui qui naguère, aux dépens de sa vie, / Sauva des ennemis votre empereur Décie?” (Corneille, Poly., I, 3, H.D.T.). „Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule! Lui, naguère si beau, qu’il est comique et lourd” (Baudelaire, L’Albatros).

Parfois Cet adverbe marque que le fait a lieu dans des circonstances

rares à des moments espacés. Il a le sens de „à certains moments, de temps en temps, dans

certaines circonstances”. Ex.: Il y a parfois des paroles qui laissent entrevoir une certaine

nostalgie. „Les oiseaux n’évitaient que paresseusement les pierres ou les bûches dont il les bombardait parfois dans son exaspération” (Tournier, Vendredi). „Mais il éprouvait parfois un grand accablement de solitude entre sa femme toujours enceinte et exclusivement préoccupée

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de ses petits, et la foule grise et laborieuse des Pierres Sonnantes” (Tournier, Les météores).

Puis Cet adverbe indique une succession dans le temps. Il signifie

„après cela, dans le temps qui suit, ensuite”. Ex.: „Elle a rougi, puis s’est mise à sourire” (Corneille, Oth. I, 3).

Il cueillit des violettes, puis en fit un petit bouquet. „Mais des taches apparaissaient au ventre et aux jambes, un ganglion cessait de suppurer, puis se regonflait” (Camus, La Peste). „Il vit en elle (= dans la mer) une surface dure et élastique où il n’aurait tenu qu’à lui de s’élancer et de rebondir. Puis, allant plus loin, il se figura qu’il s’agissait du dos de quelque animal fabuleux dont la tête devait se trouver de l’autre côté de l’horizon” (Tournier, Vendredi). On entendit un crissement de pneus, puis un bruit de tôles froissées (D). „Le vieux Castel... leva des yeux clairs sur Rieux. Puis il tourna un regard bienveillant vers l’as-sistance et fit remarquer qu’il savait très bien que c’était la peste...” (Camus, La Peste).

Quelquefois Cet adverbe indique que le fait se produit dans un nombre de cas

relativement peu élevé ou à des moments espacés. Il signifie „un certain nombre de fois, dans un certain nombre de cas, certaines fois”.

Ex.: „Le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable” (Boileau, Art poétique). „Ajoutez quelquefois et souvent effacez” (Boileau, id.). „C’était le père, Paneloux, un jésuite et militant qu’il avait rencontré quelquefois et qui était très estimé dans notre ville” (Camus, La Peste).

Sitôt Cet adverbe signifie „aussi rapidement, au bout d’un temps si

bref, aussitôt”. Ex.: a) avec un participe: Sitôt entré dans la chambre, il salua les

gens qui s’y trouvaient. „Accoutumé à ses servantes sitôt quittées que conquises, il rêva de cette jeune fille désinvolte” (Colette, Maison de Claudine; P.R.).

b) devant une préposition: „... Chaque auteur devrait faire, presque sitôt après sa mort, un plongeon dans un oubli momentané” (Gide, Ainsi soit-il, P.R.). „Sitôt après la gare de Lausanne le train s’arrêta” (le Lexis).

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c) avec un adjectif: „Mais sitôt libre, elle franchit l’escalier en deux bonds de biche, et referma sa porte en coup de vent” (Bernanos, Histoire de Mouchette).

Remarque. La locution de sitôt signifie „prochainement, d’ici longtemps”: Il est parti et on ne le reverra pas de sitôt.

Soudain Cet adverbe signifie „dans le même instant, tout à coup; d’un

seul mouvement, sans transition ni retard. Ex.: „Il ouvre un oeil mourant, qu’il renferme soudain” (Racine,

Phèdre, V, 6). „J’ai vu naître soudain dans tous les cœurs une soif insatiable des richesses”. (Montesquieu, Lettres persanes; H.D.T.). „Plusieurs fois j’ai exaspéré Christian par des querelles injustes et vaines. Hier soir, soudain, il s’est fâché et m’a fait une scène d’une extraordinaire violence” (Maurois, Terre promise; P.R.). „Il passa et repassa plusieurs fois devant la maison avec un battement de son cœur et un désarroi de sa volonté dont il eut soudain honte” (Bourget, Un divorce; id.).

Souvent Cet adverbe a le sens de „plusieurs fois ou peu de temps; d’une

manière répétée; à plusieurs reprises dans un espace de temps limité”. Ex.: Je lui ai souvent écrit à Paris, ces derniers mois. Il venait

souvent nous voir chez nous. „Le Vieux, je te l’ai dit souvent, déteste les politiques et ne se prive pas de répondre en paroles son dédain...” (Duhamel, Pasquier; P.R.). La puissance ne consiste pas à frapper fort ou souvent mais à frapper juste (P.R.).

Souvent peut s’employer au comparatif et au superlatif. Ex.: à partir de la semaine prochaine, ils se verront plus souvent.

Le plus souvent il est à l’heure (H).

Tantôt 1. Dans un temps prochain, un proche avenir (vx). Ex.: „Me voilà tantôt au comble de mes vœux” (Racine,

Thébaïde, IV, 3). „Voici tantôt mille ans que l’on ne vous a vue” (La F., Fab. III. 15). Il y a bien tantôt six mois de cela.

2. Peu après, c’est-à-dire dans la journée par rapport au matin. Ex.: Il reviendra tantôt. Je l’ai vu ce matin (p. ex.: à huit heures)

et je le reverrai tantôt (p.ex.: à onze heures). Grevisse, B.U.

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3. Peu auparavant, c’est-à-dire dans la journée même, par rapport au soir (vx).

Ex.: „Vous n’aviez point tantôt ces agitations; / Vous paraissiez plus ferme en vos intentions” (Corneille, Cinna, III, 2). J’ai vu tantôt (à dix heures du matin) l’homme dont vous me parlez (à quatorze heures). Grevisse. B.U. „Ne m’avez-vous pas vous-même, ici tantôt, ordonné son trépas?” (Racine, Andromaque, V, 3).

4. Cet après-midi (on trouve ce sens de tantôt surtout dans la région parisienne selon M.Grevisse).

Ex.: Je l’ai vu ce matin, et je le reverrai encore tantôt (Acad.). Venez tantôt prendre le thé (P.R.).

„J’ai bonne envie d’aller, tantôt, voir cette usine de Montrouge” (Duhamel, Salavin, P.R.).

J. Hanse écrit les lignes suivantes concernant l’emploi de tantôt: „Tantôt a signifié aussitôt, puis il y a peu de temps, à l’intérieur

du jour où l’on parle, puis cet après-midi (écoulé ou à venir). Ce dernier sens, auquel se tient l’Académie en 1935, a été confirmé par plusieurs linguistes, qui y ont vu un usage parisien. Les Parisiens s’en défendent aujourd’hui et voient là un usage provincial; plusieurs m’ont déclaré n’employer que tantôt... tantôt. Les sens „il y a peu de temps” et „dans peu de temps” sont restés vivants dans certaines régions de France; quant au sens „cet après-midi”, il a certainement été vivant à Paris de même qu’en province où il survit. En réalité, on n’est pas toujours certain d’être bien compris quand on emploie tantôt et mieux vaut dire tout à l’heure (Je l’ai vu tout à l’heure. à tout à l’heure) ou cet après-midi” (Nouveau dictionnaire des difficultés du français moderne, Paris, Duculot, 1983)21.

Tard

1. À un moment avancé de la journée, de la nuit; à la fin d’une période, d’une partie déterminée du temps.

Ex.: Se lever tard dans la matinée. Dîner tard. Il est rentré tard. L’avion a atterri sur la piste tard dans la nuit. Il la vit seule le soir très tard (P.R.). ________________

21 Tantôt... tantôt sert à marquer l’alternative, la succession. Cette structure signifie à tel moment... à tel autre; à tel moment... à un autre moment: „Elle fit quelques pas vers la table, sautant d’un pied sur l’autre, tantôt riant à grand bruit, tantôt fronçant les lèvres” (Bernanos, Un crime).

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„Mais le dimanche, tard dans la nuit, elle percevait des frois-sements légers de papier de soie, des touchers de feuilles” (Chardonne, Dest. sentim.; P.R.). Il a la mauvaise habitude de se coucher tard toutes les nuits.

2. Sensiblement après le moment habituel; après un temps considéré comme long.

Ex.: Il ne s’est mis à l’espagnol que très tard. Il est arrivé trop tard au secours de ses compagnons. „Le corbeau honteux et confus jura mais un peu tard qu’on ne l’y prendrait plus” (La F. I, 2). On a beau déguiser la vérité là-dessus, elle se venge tôt ou tard (P.R.).

Tôt

Dans un temps rapproché: a) par rapport au moment de l’élo-cution (vx). Ex.: „– Dépêchez. – Faites tôt, et hâtez nos plaisirs” (Molière, Femmes savantes, III, 1).

„Dis ton ordre tôt” (Molière, Fâcheux, II, 3; H.D.T.). Tôt a ici le sens de „promptement”, „vite”.

En français contemporain: Ils ont tôt fait de s’associer. b) par rapport à un moment déterminé. Ex.: „Tôt après, vaincu par Constance, il se tua lui-même”

(Bossuet; H.D.T.). „Comme tous les enfants, il ne vivait que du présent car le passé s’évanouissait tôt dans l’oubli, et l’avenir n’éveillait en lui qu’impatience” (Martin du Gard, Thibault). Vingt ans plus tôt...

c) par rapport au moment où la chose se fait d’ordinaire. Ex. Il a l’habitude de se lever tôt et de se coucher tôt.

Toujours

1. Dans tout le temps à venir. Ex.: La médecine donnera toujours aux hommes de nouveaux

moyens de guérison. Il le regrettera toujours. 2. Dans tout le temps passé. Ex.: Il l’avait toujours aimée. Il pensait toujours à elle.

Alexandre le Grand a toujours été célèbre dans l’Orient. 3. En tout temps. Ex.: Les absents ont toujours tort. „La raison du plus fort est

toujours la meilleure” „(La F. I, 10). „L’Être éternel est toujours s’il est une fois” (Pascal, Pensées, P.R.).

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Remarques sur quelques locutions adverbiales de temps À l’instant

Cette locution signifie „il y a très peu de temps; court espace de temps immédiat; aussitôt”.

Ex.: Nous l’avons quitté à l’instant. „Qu’à ce monstre à l’instant l’âme soit arrachée” (Racine, Esther; P.R.). „Mais sa langue en sa bouche à l’instant s’est glacée” (Racine, Athalie, II, 2). Je reviens à l’instant.

À l’instant même Indique une simultanéité des actions

Ex.: „À l’instant même où je prenais la barre, j’étais donc, de pied en cap, devant ce sujet-là” (De Gaulle, Mémoires d’Espoir). À l’instant même où j’entrais dans l’appartement, j’entendis la sonnerie du téléphone.

Pour l’instant Pour le moment, à présent. Ex.: „Pour l’instant, les hostilités sont heureusement suspendues.

Les peuples vainqueurs se partagent la dépouille ottomane” (Aragon, Beaux Quartiers).

À présent Au moment où l’on parle; dans cette partie de la durée. Ex.: a) à présent, Anne va mieux. Ils ont à présent plusieurs

calculatrices de poche. „J’ai grand effort à faire pour persuader que j’ai l’âge à présent de ceux qui me paraissaient si vieux quand j’étais jeune” (Gide, Journal). à présent, il faut agir vite.

b) „Ses cheveux encore gris le mois dernier devenaient blancs à présent” (Maupassant, Pierre et Jean).

À temps Juste assez tôt, à point nommé, au moment propice. Ex.: Il est arrivé à temps. „Je l’ai décroché à temps, disait Grand

qui semblait toujours chercher ses mots” (Camus, La Peste).

De temps en temps Quelquefois, à des intervalles plus ou moins espacés. Ex.: Ils viennent de temps en temps me voir. „Ils riaient encore,

mais de temps en temps, ils paraissaient fatigués et songeurs” (Camus, L’Étranger).

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De temps à autre Quelquefois, à des intervalles plus ou moins espacés. Ex.: „De temps à autre je lançai un cri” (Pagnol; le Lexis). „Les

prêtres, de temps à autre, pinçaient sur leurs lyres des accords presque étouffés” (Flaubert, Salammbô). „La beauté de cette poésie serait inconcevable sans une sensualité sous-jacente qui, de temps à autre affleure” (A. Maurois, Terre prom.; P.R.).

Depuis lors Depuis le moment indiqué. Ex.: Il tomba malade à cause du tabagisme et depuis lors il cessa

de fumer. Nous avons fait le service militaire dans la marine et depuis lors nous sommes devenus amis.

Dès lors Cette locution signifie „dès ce moment”. Ex.: Il tomba malade et, dès lors, il cessa de faire du ski. Dès

lors, il décida de partir. „Dès lors, Robinson s’appliqua à vivre de rien tout en travaillant à une exploitation intense des ressources de l’île” (Tournier, Vendredi).

Jusqu’alors Cette locution indique surtout une limite temporelle précise dans

le passé. Ex.: „Mais si c’était par routine qu’il les (= les vêtements) avait

conservés jusqu’alors, il éprouvait par son désespoir la valeur de cette armure de laine et de lin” (Tournier, Vendredi). „Jusqu’alors on s’était seulement plaint d’un accident un peu répugnant” (Camus, La Peste).

Jusqu’à présent Cette locution marque le fait que la durée à une limite. Ex.: Jusqu’à présent, il n’a pas écrit à ses parents. „À force de

précautions, d’atermoiements, et avec cette manie de réserver toujours pour de plus dignes temps le meilleur, il me semble que tout encore reste à dire et que je n’ai fait jusqu’à présent que préparer” (Gide, Journal; P.R.).

Tout de suite Cette locution signifie „sans délai, sans plus attendre”. Ex.: Il céda tout de suite sans discussion. Ils avaient beau

marcher lentement tout deux même sous l’arrosage des ondées qui

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font courir, le bout de la rue était tout de suite atteint” (P. Loti, Matelot; P.R.). Envoyez-moi de l’argent tout de suite.

De suite Cette locution signifie „sans interruption, l’un après l’autre, sur-

le-champ”. Ex.: Dix fois de suite l’expérience de chimie manqua. Le pilote

de ce long-courrier s’est trouvé aux commandes de son appareil six heures de suite. Il s’est mis de suite à rédiger son discours.

Dans la suite

Cette locution signifie „après cela, plus tard, dans la période qui a suivi”.

Ex.: La prise de la Bastille fut dans la suite le symbole du ren-versement de l’Ancien Régime.

Sur-le-champ (Immédiatement, sur l’heure)

Ex.: La question fut réglée sur-le-champ. Il paya la contraven-tion pour stationnement interdit sur-le-champ. „Robinson s’y engagea et constata que la grotte était de vastes dimensions et si profonde qu’il ne pouvait songer à l’explorer sur-le-champ” (Tournier, Vendredi).

Tout à coup (Soudaiment, subitement)

Ex.: Le vent se leva tout à coup. „Robinson mesura tout à coup le poids extraordinaire des quelques instants qui restaient avant que l’homme de proue croche dans les rochers avec sa gaffe” (Tournier, Vendredi). „Il lui parut tout à coup que l’île, ses rochers, ses forêts n’étaient que la paupière et le sourcil d’un œil immense, bleu et humide, scrutant les profondeurs du ciel” (Tournier, id.). L’atmosphère lui sembla s’être raréfiée tout à coup; il étouffait (Martin du Gard, Thibault).

Le circonstant de temps constitué par un groupe prépositionnel

Les prépositions et les locutions prépositives de temps peuvent indiquer:

1. L’antériorité: avant (elle partit avant la fin de la réunion); sous (cela se passait sous Napoléon III), dès avant (= déjà avant,

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immédiatement avant; ex.: dès avant la découverte du radium, Marie Curie avait montré l’importance des éléments radioactifs).

2. La postériorité: après (cet ouvrage fut publié après la mort de l’écrivain), dans (il sera de retour dans dix jours).

3. La simultanéité (dans la durée): pendant (on s’est connu pendant le stage organisé pour les professeurs de langues vivantes), durant (il est resté debout durant la cérémonie), au cours de (j’ai observé la conduite de cet élève au cours de l’année scolaire).

Les marques de début et de fin Certaines prépositions présentent dans leur sémantisme des

éléments qui indiquent le début ou la fin. a) le point de départ temporel: de (de ce jour, nous ne le vîmes

plus); dès (dès son arrivée, il a été mis au courant). b) le point à partir duquel une chose dure: depuis (depuis le jour

où je l’ai rencontrée, je l’ai aimée), à partir de ((„c’est à partir de ce moment que les carnets de Tarrou commencent à parler avec un peu de détails de cette fièvre inconnue dont on s’inquiétait déjà dans le public” (Camus, La Peste)), à compter de (le nouveau service fonction-nera à compter de lundi), à dater de (à dater de jeudi les billets de 25 francs n’auront plus cours).

c) le point d’arrivée; l’arrivée à un terme: jusque (cette prépo-sition n’est employée qu’en combinaison avec d’autres prépositions: jusqu’à, jusqu’en, etc. formant des locutions prépositives): Jusqu’à dix ans, il fut élevé par ses grands-parents.

N.B. La limite initiale et la limite finale peuvent être combinées au moyen de: depuis... jusqu’à (Depuis David jusqu’à nos jours la conception de la peinture a beaucoup évolué).

Prépositions À

Cette préposition peut marquer: a) l’accomplissement dans le temps Ex.: Les ouvriers sont sortis de l’usine à seize heures. Il est parti

pour Paris à midi. À l’âge de vingt ans, il conçut le dessein de participer à cette expédition arctique.

b) la coïncidence par rapport à un temps Ex.: „Je rougis, je pâlis à sa vue” (Racine, Phèdre, I, 3). „À ces

mots, le corbeau ne se sent pas de joie” (La F. I, 2).

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c) la progression vers un temps Ex.: La cause est ajournée à huitaine (H.D.T.). Nous avons remis

la suite de la discussion à mercredi prochain. Remarques. 1. La préposition à peut se trouver dans un système

de référence centrique (point de repère: le moment de l’énonciation T0). Ex.: J’espère que vous êtes chez vous à l’heure actuelle. 2. La préposition à peut se trouver dans un système de référence

allocentrique (point de repère: un moment (T1), autre que le moment de l’énonciation).

Ex.: L’avion décolla à midi. Nous ne rentrâmes qu’à l’heure convenue.

Après

Cette préposition marque la postériorité dans le temps. Plus loin que quelqu’un, quelque chose dans le temps.

1. Après peut se trouver dans un système de référence centrique. Ex.: Après le déjeuner nous irons au cinéma. 2. Après peut se trouver dans un système de référence allocentrique. Ex.: Cet ouvrage fut publié après la mort de l’auteur. „Après

plusieurs heures d’escalade, il parvint au pied d’un massif rocheux”. Autres exemples: Il prend du café après le repas. „Après la

messe, on entrait dire à Théodore d’apporter une brioche plus grosse que d’habitude...” (Proust, Du côté de chez Swann). „Après ces quelques indications, Tarrou se demandait pourquoi Camps était entré à l’Orphéon contre son intérêt...” (Camus, La Peste).

Avant

Cette préposition marque la priorité ou l’antériorité dans le temps: 1. Point de repère: une date chiffrée. Ex.: Il a exercé le commandement de la troisième armée avant le

16 avril 1951. 2. Point de repère: un moment T1 autre que le moment de

l’énonciation. Ex.: Il arriva avant Pierre à l’hôpital où se trouvait leur ami

André. Elle partit avant la fin de la réunion. 3. Point de repère: le moment de l’énonciation: T0 (système de

référence centrique). Ex.: Je viendrai avant vous.

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Autres exemples: „Je ne puis penser que la «Nature» était inconnue avant Rouseau, ni la «Méthode» avant Descartes; ni l’«Expérience» avant Bacon; ni tout ce qui est évident avant quelqu’un” (P. Valéry, Rhumbs; P.R.). Les derniers mois avant le mariage de Victor avaient été vraiment pénibles” (Desvignes, Nœuds d’argile). „Combray, de loin, à dix lieues à la ronde, vu du chemin de fer quand nous y arrivions la dernière semaine avant Pâques, ce n’était qu’une église résumant la ville” (Proust, Du côté de chez Swann). „Il faudrait encore avant le déjeuner remettre à niveau ses trois viviers d’eau douce que la saison sèche éprouvait dangereusement” (Tournier, Vendredi).

Dans Cette préposition marque: a) la date, la postériorité. Il sera de retour dans dix jours, le 12 mai. b) la durée. Il est dans sa cinquantième année. Remarques. 1. La préposition dans peut se trouver dans un

système de référence centrique, marquant la postériorité. Ex.: Je ferai cela dans les huit jours. J’irai le voir dans une semaine. 2. Dans peut se trouver dans un système de référence allocentrique. Ex: Cela lui arriva dans son enfance. „La fierté de Julien, si

récemment blessée en fit un sot dans ce moment” (Stendhal, Le Rouge et le Noir).

3. à l’expression dans dix jours, dans cinq ans correspond pour l’antériorité, il y a dix jours, il y a cinq ans.

De

a) Cette préposition est réservée à l’indication du point de départ temporel.

Ex.: De ce moment (de ce jour) nous ne le vîmes plus. Ils le connaissent de ce matin. „Un cœur ne commence à vivre / Que du jour qu’il sait aimer” (Molière; P.R.).

b) De peut marquer l’intervalle, la mesure du temps qui s’est écoulé.

Ex.: Ce château date de la Renaissance. c) De peut avoir la valeur de durant, pendant; cette préposition

peut indiquer une durée. Ex.: Il n’a pas dormi de la nuit.

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Autres exemples Cette affaire date de deux mois. Il reçoit de cinq à six. Il travaille

de nuit. Nous ne l’avons vu de six semaines. Je ne vous pardonnerai cette offense de ma vie. Le malaise date de ce jour-là.

Depuis

Cette préposition marque la date, le moment; elle indique la limite initiale, le point à partir duquel une chose dure.

Ex.: Le Centre national de la recherche scientifique existe depuis 1939. Il est parti depuis mardi. Je le cherche depuis dix minutes. Depuis le jour où il vous a rencontré, il vous a aimée.

„Depuis le lycée ses connaissances s’étaient estompées” (Camus, L’Étranger).

Remarque. Depuis peut se trouver dans un système de référence centrique.

Ex.: „Depuis vingt ans je règne” (Corneille, Cinna, IV, 3).

Dès La préposition dès insiste sur le point de départ dans le temps,

marque une limite temporelle initiale (= immédiatement, à partir d’un moment donné).

Remarque. 1. Dès peut se trouver dans un système de référence centrique: Ex.: Vous viendrez me voir dès mon retour.

2. Cette préposition peut aussi se trouver dans un système de référence allocentrique.

Ex.: „Dès le lendemain, Tarrou se mit au travail et réunit une première équipe qui devait être suivie de beaucoup d’autres” (Camus, La Peste).

Autres exemples: L’homme dès sa naissance a le sentiment du plaisir et de la douleur (Marmontel). Dès son arrivée, il sera mis au courant. Il s’est mis à pleuvoir dès le 15 mars. Dès la fin du XIXe siècle, l’électricité avait transformé les conditions de la vie.

Dès le jour où il a appris ce fait, il a changé d’attitude à mon égard. „La presse du soir s’empara de l’affaire, dès ce jour-là, et demanda si la municipalité, oui ou non, se proposait d’agir...” (Camus, id.).

Note. On trouve souvent dès dans des structures du type dès cette époque, dès ce moment, dès l’enfance, dès l’origine, dès le com-mencement, dès le début.

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Durant Cette préposition marque la simultanéité continue. Elle a le sens

de „pendant la durée de”; „au cours de”. Selon F.Brunot „il suffit, pour qu’on puisse employer durant,

que les limites de l’action coïncident avec la durée exprimée”. Remarque. Durant peut se trouver dans un système de référence

allocentrique. Ex.: Le fort résista durant deux mois. Autres exemples: Durant une infinité de siècles, la Terre a existé

sans l’homme” (F.Brunot). Il y eut durant trois jours, de grandes festivités (D.). Il est resté debout durant la cérémonie (H.). Durant trois heures, ils se battirent comme des lions (F.B.).

Note. Durant peut être placé après le nom pour insister sur la continuité: Toute sa vie durant, il a été un homme d’honneur. Il résista deux mois durant. Il a parlé deux heures durant.

En Cette préposition marque: a) le moment Ex.: La réunion eut lieu en novembre. En été, nous partons pour Nice. „Les curieux événements qui

font le sujet de cette chronique se sont produits en 194., à Oran” (Camus, La Peste). Les feuilles tombent des arbres en automne.

b) la durée Ex.: Il a parcouru trois milles en une heure et demie. Les maçons

ont construit le mur en cinq jours. Entre

Cette préposition indique un intervalle de temps défini par plusieurs points formant une limite.

Ex.: Téléphonez-moi entre midi et deux heures (le Lexis). Nous passerons chez vous entre 10 et 11 heures (P.R.).

„D’abord ce ne furent que des souffles passagers de sirocco... Peu à peu il y eut moins d’intervalles entre les bouffées” (Fromentin, P.R.). Entre les deux guerres mondiales, la littérature française a été illustrée par de nombreux chefs-d’œuvre. Il se lève entre six et sept heures. Cette action s’est accomplie entre le lever et le coucher du soleil.

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Par Cette préposition peut avoir le sens de „en ce moment” ou

„pendant”. 1. en parlant des conditions atmosphériques. Exemples: Par un temps glacial nous sommes partis pour Paris.

Par une belle après-midi d’été, nous avons visité la Côte d’Azur. Par les beaux jours d’été quand un soleil éblouissant brûle les rues de la ville, une lumière blanchâtre tombe des vitres... „C’était, il m’en souvient, par une nuit d’automne” (Musset, Nuit d’octobre; P.R.).

2. par extension. Ex.: Par le temps qui court. Son caractère était plus doux que

par le passé. Elle m’accorda plus d’attention que par le passé.

Pendant Cette préposition marque la simultanéité continue ou partielle.

Elle a le sens de „au moment de”, „à l’époque de”, „durant”. Pendant peut être suivi d’un terme qui exprime avec plus ou moins de précision, l’espace de temps dans lequel une action a eu lieu de manière con-tinue; il peut être suivi d’un nom exprimant un état ou un fait simultané par rapport à l’état ou fait qu’exprime le verbe de la proposition.

Ex.: „Pendant l’été, le soleil incendie les maisons trop sèches et couvre les murs d’une cendre grise” (Camus, La Peste). „Il possède une faculté d’application qu’on ne peut ne point lui envier. Il est capable de fixer son attention pendant huit ou dix heures de suite, ce qui me semble prodigieux” (Duhamel, P.R.). Juste pendant cet arrêt du train, des avions ennemis ont bombardé la gare. „Pendant toute la journée, le docteur sentit croître le petit vertige qui le prenait chaque fois qu’il pensait à la peste” (Camus, id.). On s’est connu pendant l’entraînement.

Sous Cette préposition peut indiquer le temps. Elle peut marquer une

époque, un laps de temps, un moment déterminé, une durée. Ex.: Cela se passait sous Louis XV, sous la Révolution, sous

l’Empire, etc. Sous le règne de ce roi a eu lieu une guerre effroyable. La nomenclature des poids et mesures a été créée sous la Révolution. „Versailles, alors petite maison de chasse, achetée par Louis XIII vingt mille écus, est devenue, sous Louis XIV un des plus grands palais d’Europe” (Voltaire). „C’est commode, vous savez, de pouvoir

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dire, comme faisaient nos grands-pères: „quand nous avons déménagé sous Louis-Philippe” ou „c’est sous Charles X que la petite est née?” (Aragon; P.R.).

Sur Cette préposition peut marquer l’immédiate postériorité, l’im-

minence d’une action, l’approximation temporelle. Valeurs sémantiques: „immédiatement après”, „à la suite de”, „là-dessus”, „environ”, „vers”.

Ex.: Ils sont partis sur les onze heures, sur le coup de onze heures. Sur le soir, ils rentrèrent au logis. Il est sur le départ (= prêt à partir). „Enfin, sur trois heures, le ciel étant lavé, j’entendis parmi l’égouttement des feuilles et le débordement des ruisseaux gonflés, les sonnailles de la mule” (Duhamel; P.R.). Ils étaient en train de se disputer; sur ces entrefaites22 survint un de leurs amis qui les sépara (le Lexis). Sur ce23, il s’est fâché (H.). Sur ce, je vous quitte (H.D.T.).

Vers Cette préposition marque l’approximation surtout dans le temps;

elle indique d’une façon approximative un moment, une date, une époque. Ex.: Il arrivera vers midi . On entendit passer l’express vers quatre

heures. „Vers la fin de l’après-midi le capitaine Bradmer se lève de son fauteuil, il donne des ordres au timonier qui les répète, et les hommes hissent les grands-voiles” (Le Clézio, Le chercheur d’or). „Il ne refusait pas d’admettre qu’il aimait par-dessus tout une certaine cloche de son quartier qui résonnait doucement vers cinq heures du soir” (Camus, La Peste).

Locutions prépositives À longueur de

Cette locution a le sens de „pendant toute la durée de, sans discontinuer”.

Ex.: „Ainsi, à longueur de semaine, les prisonniers de la peste se débattirent comme ils le purent” (Camus, La Peste). Il écrit des romans à longueur d’année (B.). „Des flots ininterrompus de chaleur et de lumière inondèrent la ville à longueur de journée” (Camus, id.). On l’entend récriminer à longueur d’année (le Lexis). ________________

22 sur ces entrefaites = au moment même où un événement se produi-sait, il arriva inopinément que... (dans un récit au passé; v. le Lexis).

23 Cela étant dit ou fait.

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À la suite de Cette locution a le sens de après, aussitôt après. Elle marque la

succession dans le temps. Ex.: Un vote eut lieu à la suite de ce débat (B.). À la suite de

cette démarche, nous avons rompu (H.). Trois coups furent tirés à la suite. „On n’osa imposer le dixième, que dans l’année 1710. Mais ce dixième, levé à la suite de tant d’autres impôts onéreux, parut si dur qu’on n’osa pas l’exiger avec rigueur” (Voltaire, Siècle de Louis XIV; P.R.).

À partir de Cette locution signifie „en prenant tel moment pour origine,

pour point de départ”. Ex.: „C’est à partir de ce moment que les carnets de Tarrou

commencent à parler avec un peu de détails de cette fièvre inconnue dont on s’inquiétait déjà dans le public” (Camus, La Peste). „Toute la nuit, à partir de 10 heures, la lointaine canonnade a fait trembler le sol dans un indistinct grondement continu” (A. Gide, Journal, 1943). „C’est à partir de ce moment que la peur et la réflexion avec elle, commencèrent” (Camus, id.). „À partir d’un certain âge, on ne choisit plus tant ses amis, que l’on est choisi par eux” (Gide, id; P.R.). „Car, à partir du 18, les usines et les entrepôts dégorgèrent, en effet, des centaines de cadavres de rats” (Camus, id.).

À compter de

Cette locution signifie à partir de. Ex.: Le nouveau service fonctionnera à compter de lundi. À

compter d’aujourd’hui. à compter de cette nuit.

À dater de Cette locution signifie à partir de. Ex.: à dater de samedi, les billets de vingt-cinq francs n’auront

plus cours. à dater de ce jour les traitements seront relevés (le Lexis).

À l’occasion de Cette locution a le sens de lors de. Ex.: Je l’ai vu à l’occasion du mariage de sa sœur (P.R.). On a

organisé une surprise-partie à l’occasion de ses vingt ans (le Lexis).

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Au cours de Cette locution a le sens de pendant toute la duré de. Ex.: J’observai ses attitudes au cours de ce déjeuner (Butor;

le Lexis). Il a été souvent malade au cours de l’année (B.)

Au long de

Cette locution a le sens de durant, pendant toute la durée de. Ex.: „L’expérience acquise au long de la carrière m’a confirmé

dans ce sentiment...” (Duhamel, Discours aux nuages; P.R.). „Les joncs reprenaient leur friselis monotone abandonnés enfin de ce fort tremblement qui les avait secoués au long d’une lutte interminable” (Genevoix, Raboliot; P.R.).

Dès avant Cette locution employée surtout dans le code écrit a le sens de

„déjà avant, immédiatement avant”. Ex.: Dès avant sa demande je lui avait donné bon espoir (G.M.).

Je finirai d’écrire ce roman dès avant la fin de l’année.

Jusqu’à, Jusqu’au, etc.

Cette locution marque la limite temporelle; elle indique l’arrivée à un terme que l’on ne dépasse pas.

Ex.: Jusqu’à dix ans, il fut élevé par ses grands-parents. „C’est ainsi que faute de trouver le mot juste, notre concitoyen continua d’exercer ses obscures fonctions jusqu’à un âge assez avancé” (Camus, La Peste). Il est resté éveillé jusqu’au matin. Cette tradition remonte jusqu’aux siècles les plus reculés. „Ainsi, la Beauce, devant lui, déroula sa verdure de novembre à juillet, depuis le moment où les pointes vertes se montrent, jusqu’à celui où les hautes tiges jau-nissent”24 (Zola, La Terre; P.R.).

Lors de Cette locution a le sens de „au moment de, à l’époque de”. Ex.: „Lors de mon dernier passage à Saint-Petersbourg, j’avais

eu l’occasion d’embarquer ces caisses sur un cargo à destination ________________

24 La limite initiale et la limite finale peuvent être combinées au moyen de depuis... jusqu’à, etc.

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d’Anvers” (Cendrars, Bourlinguer). Il visita le Louvre lors de son premier voyage à Paris (B.). Lors de son départ, il prononça une brève allocution de remerciement. Lors de son élection, de son mariage (Acad.). „Lorsque Robinson sauta sur le pont du Whitebird, il y fut accueilli par un Vendredi radieux que la chaloupe avait amené lors de son précédent voyage” (Tournier, Vendredi). „La solitude et moi, nous nous sommes rencontrées lors de mes longues promenades méditatives sur les bords de l’Ouse” (Tournier, id.)

Le circonstant de temps constitué par un groupe nominal de construction (rection) directe

Il indique: a) la date chiffrée (pas de préposition, mais article défini). Ex.: Je suis né le 3 juillet 1950. b) la partie de la journée (matin, soir, etc.): pas de préposition

en général, mais article ou adjectif démonstratif. Ex.: a’) système centrique: j’arrive ce soir b’) système allocentrique: il arriva le soir même. Autres exemples: J’ai beaucoup travaillé ce matin. Tel rit le

matin qui le soir pleurera. „L’après-midi du même jour, au début de sa consultation, Rieux

reçut un jeune homme dont on lui dit qu’il était journaliste” (Camus, La Peste). Prendre un cachet matin, midi et soir. „J’aime les soirs sereins et beaux, j’aime les soirs / Soit qu’ils dorent le front des antiques manoirs...” (V. Hugo, Feuilles d’automne; P.R.). „Le matin du 16 avril, le docteur Bernard Rieux sortit de son cabinet et buta sur un rat mort, au milieu du palier” (Camus, id.). „Le matin, la mer est noire, fermée” (Le Clézio, Le chercheur d’or). Il travailla ce matin-là, cet après-midi-là, ce soir-là.

c) le jour de la semaine. Ex.: a’) système centrique: Nous partons lundi pour Paris. b’) système allocentrique: „M. Véron, directeur du Constitutionnel

eut l’obligeance de m’offrir les colonnes de son journal chaque lundi” (Sainte-Beuve, Causeries du lundi; P.R.).

Autres exemples. Le magasin est fermé le lundi. Le magasin sera fermé lundi. Ils se réunissent tous les lundis (Acad.). Le magasin est ouvert le samedi, tous les samedis.

d) la semaine, la quinzaine (pas de préposition; mais article défini, adjectif démonstratif).

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Ex.: a’) système centrique: Je reviendrai la semaine prochaine, la quinzaine prochaine.

b’) système allocentrique: Ex.: Il m’invita chez lui la semaine passée, mais je ne pus (pas)

m’y rendre. Il vint la semaine suivante. Avec l’adjectif démonstratif: Il viendra cette semaine, cette quinzaine. e) l’année, l’an (avec un adjectif, le nom sans préposition). Ex.: Il est parti l’an dernier ou l’année dernière. Il reviendra

l’an prochain ou l’année prochaine (H.). a’) système centrique: je partirai pour la France l’année

prochaine. b’) système allocentrique: il revint l’année suivante.

Structures équivalentes

Le temps peut en outre être exprimé: 1. Par une proposition indépendante coordonnée ou juxtaposée. Au lieu de dire „Après qu’elle eut chanté, elle dansa”, on peut

dire, „Elle chanta et puis elle dansa”. Au lieu de dire „Quand j’entre, il sort”, on peut dire „j’entre, il

sort” (G.M.). 2. La subordonnée temporelle peut être remplacée par une

proposition de forme interrogative ou exclamative. Ex.: „Riait-il? Apparaissait un râtelier bien fait” (= quand il

riait; Estaunié, Solit.; Le Bidois, op.cit., II, p. 414). Paraît-il, on l’embrasse! (= lorsqu’il paraît; Le Bidois, id., p.

528) Pleure-t-il? On le console. 3. Par un attribut placé en tête de la phrase, avec ellipse du verbe

être et de son sujet. Ex.: Enfant, il craignait la solitude, adulte, il l’adora. 4. Au moyen du subjonctif présent du verbe venir, sans que. Ex.: Vienne l’hiver, nous partons pour la montagne. 5. Par une proposition relative. Ex.: Un enfant qui pleure n’est pas forcément malade.

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LES CIRCONSTANTS SPATIAUX

Le circonstant spatial constitué par une proposition à verbe fini Il y a plusieurs catégories de propositions qui peuvent marquer

une indication spatiale. a) les propositions introduites par aussi loin que, d’aussi loin

que, de si loin que, au plus loin que, du plus loin que. Ces locutions conjonctives marquent, en général, l’éloignement dans le temps, mais elles peuvent aussi indiquer l’éloignement dans l’espace. En ce cas, elles se construisent fréquemment avec l’indicatif ou avec la forme en – rais (le conditionnel) et plus rarement avec le subjonctif.

Ex.: Au plus loin que ma vue puisse s’étendre, je n’aperçois rien. Aussi loin que je puisse voir, il n’y a que cela: la mer, les vallées profondes entre les vagues, l’écume sur les crêtes” (Le Clézio, Le chercheur d’or). Si loin que porte ma vue, ce n’est qu’une houle vivante dans le soleil, sous le tricolore” (De Gaulle, L’Unité). „Aussi loin que la vue allait, tout était nu” (Maupassant, Au Soleil). „Du plus loin qu’il les vit, il sautilla vers eux” (Martin du Gard, Les Thibault). Du plus loin qu’ils l’apercevaient, les Carthaginois s’enfuyaient bien vite...” (Flaubert, Salammbô; P.R.). D’aussi loin que je l’ai aperçu, il me parut de bonne humeur.

b) la proposition introduite par où que25 (= en quelque lieu que); cette proposition a une forte nuance concessive; où que exige l’emploi du subjonctif.

Ex.: „Officiers français, soldats français, aviateurs français, ingénieurs français, où que vous soyez, efforcez-vous de rejoindre ceux qui veulent combattre encore” (De Gaulle, Discours, 24 juin 1940). Où qu’il aille, il sait se faire aimer. Où que vous alliez, conformez-vous aux mœurs du pays. Je le reconnaîtrai où qu’il soit (B.). „Où que ________________

25 „Où sert à former le relatif indéfini où que” (Grevisse, Le Bon Usage). Le Lexis considère que où que est une locution conjonctive.

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se portent mes regards, je ne vois autour de moi que détresse” (A.Gide, Journal; P.R.). „Je sais ce que c’est que d’être un reprouvé, un homme qui, où qu’il aille, fait fausse route” (Mauriac, Nœud de vipères). „Il ne serait pas tolérable que la panique de Bordeaux ait pu traverser la mer. Soldats de France où que vous soyez, debout!” (De Gaulle, Discours, 19 juin 1940). „Où que ce fût et quoi qu’il arrivât, on pourrait désormais prévoir, pour ainsi dire à coup sûr, ce que pen-seraient et comment se conduiraient les Français libres” (De Gaulle, L’Appel). „Où qu’il m’arrivât de paraître, le clergé s’empressait à déployer ses hommages officiels” (De Gaulle, Le Salut). „Je suis tranquille à présent parce que je me suis persuadée que où que j’aille, le reste du monde se déplace avec moi” (S. de Beauvoir, L’Invitée). „ Où qu’il aille, quoi qu’il fasse, ils étaient là (= les vautours) bossus, goitreux et pelés, guettant – non certes sa propre mort comme il s’en persuadait dans ses moments de dépression, mais tous les débris comestibles qu’il semait dans sa journée” (Tournier, Vendredi). „Il était né je ne sais où et de je ne sais qui... Mais où qu’il fût né, il était étrange” (Barbey d’Aurevilly, Les diaboliques; P.R.).

Remarques. 1. On emploie parfois n’importe où au lieu de où que.

Ex.: „Juste au bord des eaux, qui baissent chaque jour, une teinte verte persiste aux branches; autrement, n’importe où l’on regarde, c’est dirait-on la rouille de l’arrière-automne, ou les grisailles de l’hiver” (P. Loti, L’Inde). „N’importe où elle ira tomber, elle (= l’épée) sera toujours dans de meilleures mains que les vôtres” (Lavedan, Aurec; Sandf.).

2. D’où que est une variante de où que: „Puig ne souffrait plus de ses plaies et savourant la quiétude dans cette salle d’hôpital où il se trouvait à l’abri des coups d’où qu’ils vinssent, il tenta de se mettre dans la peau de l’inspecteur Lluji...” (Exbrayat, Paco).

c) les propositions introduites par le pronom relatif sans antécédent où (v. Grammaire Larousse du français contemporain, p. 257 sq.).

10 où = là où, à l’endroit où Ex.: Nous irons où ils voudront. Où nous sommes, il ne peut pas

nous voir. „Mes fils, soyez contents; l’honneur est où vous êtes” (V. Hugo; Grammaire Larousse). „Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages, / Les Fleuves m’ont laissé descendre où je voulais” (Rimbaud, Bateau ivre). „Je vais où le regard voit briller l’espérance; / Je vais où va le son qui de mon luth s’élance...” (Lamartine, Nouvelles méditations; P.R.).

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20 où précédé d’une préposition. Ex.: „Comme s’il reprenait brusquement conscience de la

réalité, Jacques se détacha d’où il était” (Martin du Gard, Thibault; Sandf.). On est puni par où on a péché. Ils sont allés jusqu’où vous leur aviez dit (P.R.). „D’où il était, il aurait pu s’apercevoir de ma présence” (P. Benoit, Axelle).

Remarque. Certains grammairiens ne reconnaissent pas l’existence des propositions circonstancielles de lieu; ils les assimilent à des relatives (lorsqu’elles sont introduites par où, d’où, par où, jusqu’ où), à des propositions temporelles (lorsqu’elle sont introduites par du plus loin que, etc.) ou à des propositions concessives (lorsqu’elles sont introduites par où que, de quelque côté que: „De quelque côté qu’il se tournât, Puig s’avouait que sans don Jgnacio, il n’était plus rien” (Exbrayat, Paco).

Le circonstant spatial constitué par un adverbe ou une locution adverbiale

Les adverbes et les locutions adverbiales peuvent être groupés par couples de contraires.

1. Antériorité /vs/ postériorité a) antériorité: avant (N’allez pas trop avant dans la grotte); en

avant (Regarder en avant; placez-vous en avant); devant (Naguère, dans une loge de théâtre, les dames étaient placées devant); par-devant (La fusée toucha l’avion par-devant).

b) postériorité: après (Il est parti avant eux mais à cause d’un empêchement, il n’est arrivé que longtemps après); arrière (Ce bateau à voiles navigue maintenant vent arrière; avoir vent arrière = avoir le vent en poupe); en arrière (Faites trois pas en arrière); par-derrière („Ses cheveux... allaient se confondre par-derrière en un chignon abondant” (Flaubert, Bovary; P.R.).

2. Supériorité /vs/ infériorité a) supériorité: dessus (Mes lunettes sont tombées par terre et j’ai

marché dessus); au-dessus (Devant vous, il y a un bureau Louis XIV et, au-dessus un tableau Philippe de Champaigne); en dessus (Ce pain est brûlé en dessus; Q.); par-dessus (Le mur n’est pas haut; il est facile de passer par-dessus); en haut (Regarder en haut).

b) infériorité: dessous (Le rat s’enfuit vers le tas de bois et se cacha dessous); au-dessous (Le bombardier se trouvait à dix mille mètres d’altitude et le chasseur à sept mille mètres au-dessous); en

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dessous (ce vêtement est fait pour se mettre en dessous); par-dessous (La palissade du jardin est résistante mais un renard peut se glisser par-dessous); en bas (Tomber en bas d’une échelle).

3. Intériorité /vs/ extériorité a) intériorité: dedans (L’alpiniste n’a pas remarqué le gouffre à

temps et il est tombé dedans); au-dedans (Par ce temps froid et humide, nous travaillons au-dedans); en dedans (Les policiers ont remarqué que la porte de la chambre était fermée et que la clef se trouvait en dedans).

b) extériorité: dehors (Il a passé la nuit dehors); au-dehors (Il faisait au-dehors un temps affreux); en dehors (La fenêtre s’ouvre en dehors).

4. Proximité /vs/ éloignement a) proximité: ici (Ici on ne sait jamais trop bien ce qui se passe

là-bas; W.); auprès: „Un ruisseau coule auprès et forme un doux murmure” (La F., Songe de Vaux; H.D.T.); alentour (Il ouvrit la fenêtre; tout reposait alentour; B.); autour (Il regarda tout autour si on le suivait); près (Comme il habite tout près, il se rend à pied au bureau; v. le Lexis. Venez ici près); proche (Il demeure ici proche; Q.).

b) éloignement: loin (Le ballon de plage a été emporté très loin par les vagues); là (Nous proposons d’aller de Prague à Berlin et de là à Bruxelles); là-bas (Si vous avez passé tant d’années en France, vous devez avoir beaucoup d’amis là-bas); ailleurs (Si vous ne trouvez rien ici, cherchez ailleurs).

Les adverbes peuvent aussi être classifiés selon qu’ils répondent ou non à certaines questions.

1. Où? (Situation et direction): à droite, à gauche, ailleurs, alentour, à part, au (en) bas, au (en) dedans, au (en) dehors, au-delà, au (en) dessous, au (en) dessus, au (en) haut, auprès, çà, ci, dedans, dehors, delà, de part et d’autre, derrière, dessous, dessus, de toutes parts, devant, hors, ici, là, loin, nulle part, par-derrière, par-devant, partout, près, quelque part, y.

2. Par où l’on passe?: deçà, par ici, par là, partout, en passant. 3. D’où l’on vient?: d’ailleurs, de là, de quelque part, d’ici, du

dedans, du dehors, en. Ailleurs

Cet adverbe signifie „en (dans) un autre lieu que celui où l’on est ou dont il est question”.

Ex.: „Et, déjà, on l’appelait ailleurs pour des cas semblables” (Camus, La Peste). Elle ne l’aime pas, son cœur est pris ailleurs. Vous

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trouverez cet article ailleurs que dans ce magasin. Vous ne trouverez cette marque nulle part ailleurs. Pourquoi chercher ailleurs ce que l’on a chez soi? „Bon, puisque vous ne voulez pas de moi, j’irai m’adresser ailleurs” (P.Ch.).

Alentour Cet adverbe signifie „dans les environs, aux environs, dans l’es-

pace environnant, dans un espace situé tout autour, à proximité, autour”. Ex.: „Les plaisirs nonchalants folâtrent alentour” (Boileau, Lutrin;

H.D.T.). „De tous les quartiers alentour, comme chaque soir dans notre ville, une légère brise charriait des murmures” (Camus, La Peste). „Aucune branche de verdure au-dessus de leur tête, ni alentour, rien que le ciel immense” (P. Loti, Pêcheur d’Islande; P.R.).

Après Cet adverbe marque la postériorité dans l’espace; indique qu’une

chose ou une personne en a suivi ou en suivra une autre dans l’espace. Ex.: Il le plaça le premier, et me mit immédiatement après

(Littré). Les plus jeunes marchent en tête, les autres viennent après. Dans le cortège les femmes marchent après (P.R.).

Arrière Cet adverbe signifie „du côté opposé à celui vers lequel on va,

vers lequel on est tourné; du côté qui est derrière. Ex.: Avoir le vent arrière (en parlant d’un bateau à voiles = avoir

le vent en poupe). Faire machine arrière (= terme de marine; fig. revenir sur ses dires).

Auprès Cet adverbe signifie „à proximité”, „tout près”, „dans le voisinage”.

Ex.: „Un ruisseau coule auprès et forme un doux murmure” (La Fontaine, Songe de Vaux). Son frère était malade, il est resté auprès (le Lexis). Allez tout droit, vous voyez ce bâtiment, le restaurant est auprès.

Autour

Cet adverbe signifie „dans l’espace qui fait le tour, dans le voisi-nage immédiat”; il indique l’espace environnant (= aux environs, aux alentours).

Ex.: La fusée est dans l’orbite de la lune et tourne maintenant autour. „Un rat s’abstient d’aller flairer autour” (La F. III, 18).

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Remarque. Autour est parfois renforcé de l’adverbe tout: L’aigle tournait tout autour dans le ciel. Il regarda tout autour si on le suivait. „Sur des planchettes tout autour, on voyait des serrures, des boulons” (Flaubert).

Avant Cet adverbe marque: a) l’antériorité de situation dans l’espace;

un progrès par rapport au lieu. Ex.: S’avancer trop avant dans la forêt. N’allez pas trop avant

dans le bois. „Je m’engageai plus avant dans le couloir” (M. Proust; P.R.).

b) la priorité de rang. Ex.: De Corneille ou de Racine, qui doit être placé avant?

Çà Çà s’emploie en français contemporain dans la locution adver-

biale cà et là (= de côté et d’autre). Ex.: Courir çà et là. Tous les meubles étaient jetés çà et là

(Acad.). Çà et là des boîtes de conserve jonchaient la clairière (Acad.). „Un moulin, çà et là, dans les terres montrait seulement le bout de ses ailes brunes” (M. Van der Meersch).

Contre Contre peut être employé adverbialement et alors il marque la

proximité, le contact, la juxtaposition. Ex.: Prenez la rampe, appuyez-vous contre. Mon ami habite là,

tout contre (B.). „La porte fermée et l’oreille contre, elle écoute” (Barbey d’Aurevilly, in G.L.F.).

Dedans Cet adverbe marque la situation à l’intérieur de quelque chose. Ex.: J’ai ouvert la valise et je n’ai rien trouvé dedans. „Avez-

vous mis le chèque dans l’enveloppe? Oui, il est dedans”. „J’ai nagé jusqu’à la pirogue et je me suis hissé dedans” (Tournier, Vendredi).

Dehors Cet adverbe signifie „à l’extérieur de”, „hors du lieu”, „hors de

la chose dont il s’agit”. Ex.: Attends-moi dehors, je n’en ai que pour quelques instants.

„Vous n’avez pas rangé toutes les chemises dans l’harmonie, vous en

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avez laissé quelques-unes dehors. Il fait un temps à ne pas mettre un chien dehors (= un temps affreux). Il fait meilleur chez soi que dehors. Il sera dehors toute la journée (= hors de chez lui).

Derrière Cet adverbe signifie en arrière, après ou du côté opposé au

devant, du côté opposé à la face, à l’endroit. Ex.: Il est resté derrière. Un vêtement qui se boutonne derrière.

Demeurer un peu derrière. Regarder derrière. Corsage qui s’agrafe derrière.

Dessous Cet adverbe signifie „dans une situation plus basse, à un niveau

inférieur, à la face inférieure, dans la partie inférieure; dans une position inférieure à celle d’un autre objet”.

Ex.: Le prix de cet objet est marqué dessous. Cherchons un abri et mettons-nous dessous. „Il faut réunir le bois en pyramide et laisser un peu d’air dessous” (Mac Orlan, Quai des brumes; P.R.). La clôture était trop haute, il a réussi à passer dessous.

Dessus Cet adverbe signifie „à la face supérieure, à la face extérieure,

dans une position supérieure à, sur la face supérieure de”. Ex.: Prenez l’enveloppe, l’adresse est marquée dessus. Cette chaise

est solide, vous pouvez vous asseoir dessus. Vous pouvez mettre la lettre à la poste, le timbre est dessus. Le banc est sale, ne laisse pas tes affaires traîner dessus.

Devant Cet adverbe signifie „du même côté que le visage d’une personne,

que la face, le côté visible ou accessible d’une chose; vis-à-vis, du côté de la face d’une personne, d’une chose”.

Ex.: Passez devant puisque vous êtes pressé! Allez devant, je vous joindrai. Les éclaireurs marchaient devant, l’armée suivait.

En En tant qu’adverbe, en désigne le lieu d’où l’on vient. Ex.: As-tu jamais vu Paris? Mais oui, j’en viens (Z.). Il entrait

dans le musée du Louvre comme j’en sortais. Vous allez au marché? – Moi, j’en viens.

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Ici Ici indique: le lieu où se trouve celui qui parle; il signifie „dans

ce lieu”; il peut marquer un endroit précis mais qui ne soit pas forcément l’endroit où l’on se trouve.

Ex.: a) Demeurez ici. Il a passé par ici. Je suis ici dans ma chambre. Ici tout va bien. Je reviendrai ici demain.

b) Regardez ici dans ce livre, ce que l’on dit de l’eau lourde. Il y a ici une faute d’impression. „C’est ici que se place l’originalité de Grand, ou du moins l’un de ses signes” (Camus, La Peste).

Remarque. Ici s’emploie par opposition à là pour désigner un lieu ou un fait déterminé ou non.

Ex.: Ici tout va bien, là tout va mal. „Ici gronde le fleuve aux vagues écumantes; / Il serpente, et s’enfonce en un lointain obscur; / Là le lac immobile étend ses eaux dormantes / Où l’étoile du soir se lève dans l’azur” (Lamartine, L’Isolement). Ici le chômage, là le travail (Thomas).

Là Là signifie „en cet endroit, celui que l’on indique, par opposition

à celui où l’on est; dans tel lieu autre que celui où l’on est”. Il peut marquer le lieu d’où l’on vient, le point de départ d’une chose, ou le lieu où l’on va.

Ex.: Il est allé à Lisbonne et de là à New-York. J’irai passer mes vacances là où vous êtes allé cet été. C’est là qu’il doit se rendre. C’est de là qu’est partie cette nouvelle. Ne restez pas ici, allez là. Les clés ne sont pas là. „La mer Morte était bleu pâle. J’avais soif rien qu’en la regardant. Je me disais, c’est là que nous irons passer notre lune de miel” (Beckett, Godot).

Remarques. 1. Là peut indiquer le lieu où l’on est et remplacer ici. Ex.: „Puis-je lui parler? – Non, il „n’est pas là”. C’est là où nous

sommes que l’accident s’est produit. 2. Ici et là sont des déictiques.

Loin Cet adverbe signifie „à une grande distance dans l’espace”; il

indique l’éloignement relativement à un point situé dans l’espace. Ex.: Nous n’irons pas plus loin. Vous êtes trop loin, rapprochez-

vous. L’hiver n’est pas loin maintenant. Il n’ira pas loin avec une telle voiture. „Son appartement particulier donnait sur la rue Saint-Jacques

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qui aboutissait beaucoup plus loin au Grand-Pré” (Proust, Du côté de chez Swann).

Outre Cet adverbe signifie au-delà, plus loin. Il est rarement employé

sauf dans certaines expressions. Ex.: Passer outre, aller outre; passer outre à quelque chose (=

n’en pas tenir compte et aller plus loin: fig. passer outre à une objection) „Il tournait le dos au chemin et ne me voyait pas. Je passai outre sans l’interpeller, et ainsi j’arrivai chez Rose sans avoir parlé à âme qui vive” (Bosco, Rameau de la nuit). „Ce qui me soulevait d’ardeur... c’était de traverser plusieurs cantons, plusieurs pays, de franchir les montagnes, mais toujours pour aller outre, de découvrir chaque jour des horizons nouveaux” (Duhamel, Biogr. de mes fantômes).

Partout Cet adverbe signifie „en tout lieu (en tous lieux), n’importe où”. Ex.: Partout se manifestent des signes de reprises économiques.

„Ce qui a été cru par tous, et toujours et partout a toutes les chances d’être faux” (Valéry, Tel quel; P.R.). L’exilé partout est seul. „Vous ne savez pas ce que c’est que d’avoir un toit où il pleut de partout” (Jouhandeau). „Partout en ce moment on me bénit, on m’aime” (Racine, Britannicus, IV, 3). „Partout on voit la douleur et le désespoir” (Bossuet; H.D.T.).

Près Cet adverbe indique la proximité et la distance courte; „à très

petite distance”. Il s’emploie souvent avec tout, très, si, trop. Ex.: Il demeure tout près. Venez ici près. Le coup passa si près

que le chapeau tomba (P.R.). La ville est tout près.

Proche Proche en tant qu’adverbe est devenu archaïque. Il signifie près,

à très peu de distance. Au lieu de „il demeure ici proche” (Acad.), on dit „Il habite ici

tout près”. Y

L’adverbe y désigne le lieu où l’on est, le lieu où l’on va. Ex.: „Es-tu à l’école? – J’y suis”. „Vas-tu à la gare? – J’y vais”.

„Vous n’êtes pas d’ici? – Non, je n’y suis venu que pour voir la fête de

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demain” (P.R.) „Turpin, n’as-tu rien vu dans la fond du torrent? – J’y vois deux chevaliers: l’un mort, l’autre expirant” (Vigny, Le cor; P.R.). J’y suis, j’y reste. „Vous y pourriez rencontrer votre perte” (Racine, Mith, I. 3; H.D.T.). Je suis passé chez vous hier mais vous n’y étiez pas.

Locutions adverbiales À droite

Ex.: Suivez cette rue, puis tournez à droite (B). Regardez à droite. Visez plus à droite. Il ne faut pas doubler à droite.

À gauche Ex.: Prenez la première rue à gauche. Marcher, rouler, tourner à

gauche. „Lucas tournait la tête à droite et à gauche ainsi qu’un dindon inquiet” (Mac Orlan, La Bandera: P.R.).

À part

Cette locution signifie „séparément”, en séparant d’un ensemble, d’un groupe, en mettant à l’écart.

Ex.: Il faut ranger ces volumes à part. Prendre quelqu’un à part pour lui confier un secret. Détacher un article de revue et le faire relier à part. Mettez cela à part .

Au-dedans Cette locution signifie „à extérieur”. Ex.: Il y a quatre places au-dedans (= dans l’autocar; Lex.). Par

ce temps froid, je travaille au-dedans. „La guerre civile, la guerre étrangère, le feu au-dedans et au-dehors” (Bossuet, A. de Gonz).

Au-dehors Cette locution signifie „à intérieur”. Ex.: Le récipient se brisa et le contenu se répandit au-dehors. Je

prends le repas de midi au-dehors (B). „La maison du seigneur, / Se présente au-dehors de murs environnée” (Boileau, Epîtres, H.D.T.).

Au-delà Cette locution signifie „plus loin”; indique l’éloignement par

rapport à une situation ou à un endroit.

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Ex.: Vous voyez la poste, la boulangerie est un peu au-delà (le Lexis). Il est allé au village et même au-delà (B). Orléans est près de Paris. Châteauroux est au-delà (P.R.).

Au-dessous

Cette locution signifie „plus bas, en bas”. Ex.: Allons jusqu’à l’arbre et mettons-nous à l’abri au-dessous

(le Lexis). Un casque domine la panoplie; deux pistolets sont suspendus au-dessous (B).

Au-dessus Cette locution signifie „en haut”, „à un niveau supérieur”. Ex.: Les chambres sont au-dessus. Ma valise est solide, mettez

la vôtre au-dessus (le Lexis). En arrière

Cette locution indique une direction opposée à celle qui est devant soi; elle signifie „vers le lieu, le côté qui est derrière”.

Ex.: Faire un pas en arrière (B). Aller, retourner en arrière. Pourquoi restez-vous toujours en arrière? Pencher, renverser la tête en arrière. L’écrevisse se meut aussi bien en arrière qu’en avant. „L’empereur étonné se jetant en arrière / Suspend du destrier la marche aventurière” (Vigny, Le Cor; P.R.).

En avant Cette locution signifie „vers le lieu, le côté qui est devant,

devant soi”. Ex.: Pousser son cheval en avant. Se pencher en avant. Il nous a

distancés, il est très loin en avant. „Elle avait une façon de se tenir un peu penchée en avant qui lui donnait toujours l’air d’accourir vers un ami” (Martin du Gard, Thibault).

En bas Cette locution signifie „dans le lieu qui est plus bas, qui est au-

dessous; vers le bas, vers la terre; au-dessous, en dessous”. Ex.: Il loge en bas, au rez-de-chaussée. Attendez-moi en bas. Le

bruit vient d’en bas. „D’en bas monta, par la fenêtre ouverte, sur le jardin, la voix de baryton du docteur Arnaud” (Colette, Fin de Chéri).

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En dedans Cette locution signifie „à l’intérieur, du côté de l’intérieur”. Ex.: La porte était fermée et la clé se trouvait en dedans. Cette

villa est mieux en dehors qu’en dedans (P.R.). La maison est plus belle en dedans qu’en dehors (H.D.T.).

En dehors

Cette locution signifie „vers l’extérieur; vers le côté extérieur. Ex.: Ne pas se pencher en dehors. Cette porte s’ouvre en dehors

(B). „Il marchait en traînant un peu les semelles; les jambes molles, les pieds en dehors” (J. Romains, Hommes de bonne volonté; P.R.)

En dessous Cette locution signifie „sur la face inférieure, dessous et tout contre”. Ex.: Ce gilet se porte en dessous (B). Soulevez ce livre, le billet

est en dessous (P.R.). En dessus

Cette locution signifie „sur le dessus”, à un niveau supérieur. Ex.: Tissu écossais en dessus et uni en dessous (P.R.). Dans cette

bibliothèque, les auteurs latins sont en dessous, les auteurs grecs en dessus (le Lexis).

Remarques. 1. Ci forme avec dessus, dessous, devant, après, contre des locutions adverbiales qui marquent ce qui précède ou ce qui suit: Ci-dessus (Vous pouvez trouver ci-dessus tous les renseigne-ments utiles); ci-dessous (Vous trouverez ci-dessous tous les détails qui vous intéressent); ci-après (On a fait ci-après le résumé du livre); ci-contre (consultez le tableau ci-contre).

2. Là forme avec bas, haut, dedans, dessous, etc. des locutions adverbiales: Là-bas (J’aperçois qqn. là-bas); là-haut (Là-haut sur la colline, il y a la tour de contrôle); là-dedans (que faites-vous là-dedans?); là-dessous (Le chat est caché là-dessous; là-dessus (Montez là-dessus).

En haut Ex.: Regardez en haut (B). – Qu’as-tu fait de la valise? – Elle est

restée en haut (le Lexis). Il loge en haut et moi en bas. Gilet boutonné jusqu’en haut. Étoile qui brille en haut. Tirer en haut.

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De part et d’autre Cette locution signifie „d’un côté comme de l’autre”. Ex. Le match s’est déroulé avec la même ardeur de part et

d’autre (B). Courir de part et d’autre. „C’était une grande ville qui s’étendait de part et d’autre d’un beau et large fleuve” (Durras; le Lexis). Je crois qu’on est fort content de part et d’autre (H.D.T.).

De toute (s) parts (s) Cette locution signifie „de tous côtés, partout”. Ex.: Le navire faisait eau de toutes parts. L’armée se trouva

attaquée de toutes parts à la fois. Il arrivait des gens de toutes parts.

Nulle part Cette locution signifie „en aucun lieu”. Ex.: Elle ne veut aller nulle part. On ne l’a vue nulle part (le

Lexis). Je ne suis jamais bien nulle part. Je ne l’ai trouvé nulle part.

Par-derrière Cette locution signifie „du côté opposé à celui auquel une

personne ou une chose fait face”. Ex.: La patrouille a été attaquée par-derrière. Il a été frappé par-

derrière. „Par-derrière un beau jardin planté s’étendait jusqu’au passage des Piques, toujours désert, dont il était séparé par un mur” (Maupassant, Sœur Rondoli; P.R.).

Par-devant Cette locution signifie „par la partie antérieure”. Ex.: La voiture a été endommagée par-devant. „Elle porte un

béret noir avec une petite ancre d’argent par-devant (B). Passez par-devant nous suivrons (P.R.). Il a été blessé par-devant (H.D.T.).

Par-dessous Cette locution signifie „du côté inférieur, par le côté inférieur”. Ex.: Baissez-vous et passez par-dessous (P.R.). On avait fait une

digue, mais l’eau a filtré par-dessous.

Par-dessus Cette locution signifie „du côté supérieur, par le côté supérieur”. Ex.: Mettez cela dans votre poche et votre mouchoir par-dessus

(Q). La barrière n’est pas haute, vous pouvez sauter par-dessus (P.R.).

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Quelque part Cette locution signifie „en un lieu indéterminé, qu’on ne peut ou

qu’on ne veut pas désigner avec précision; en quelque endroit, de quelque côté”.

Ex.: Le trésor se trouvait quelque part dans la forêt. Voilà un homme que je dois avoir vu quelque part (Q).

Le circonstant spatial constitué par un groupe prépositionnel

Un certain nombre de prépositions et de locutions prépositives peuvent être groupées par couples de contraires.

1. Antériorité /vs/ postériorité (dans l’espace) a) antériorité: avant (l’orgueilleux se place avant tout le

monde), devant (la statue de ce grand écrivain se trouve devant la mairie), au-devant (vous allez au-devant de grands dangers), en face de (sa maison est située en face de la poste).

b) postériorité: après (la maison se trouve après l’église), derrière („Il était coiffé d’un foulard rouge noué derrière la nuque à la manière des pêcheurs du sud”. Mac Orlan, Quai des brumes; P.R.), en arrière de (il est resté en arrière du groupe).

2. Supériorité /vs/ infériorité a) supériorité: sur („Les marins sautent sur la digue en criant”.

Le Clézio); au-dessus de (Aujourd’hui il y a vingt-cinq degrés au-dessus de zéro), en haut de (il habite en haut de la colline).

b) infériorité: sous (il a longtemps nagé sous l’eau), au-dessous de (elle porte la jupe au-dessous du genou), en bas de (il habite en bas de la côte).

3. Intériorité /vs/ extériorité a) intériorité: dans (la terre n’est qu’un point dans l’univers), en

(mettre du vin en bouteilles, voyager en voiture), à l’intérieur de (à l’intérieur de l’église, il avait beaucoup de monde), au dedans de („...mais les sentiments gardés trop longtemps au-dedans de nous” (Barbey d’Aurev, Une histoire), en dedans de (Posez l’écriteau en dedans de la porte).

b) extériorité: hors (il a eu un destin hors ligne: il a un talent hors pair), hors de („Rieux trouva son malade à demi versé hors du lit”. Camus, La Peste), en dehors de (l’aéroport se trouve très loin, en dehors de la ville), à l’extérieur de (Rentrez les chaises dans la maison, ne les laissez pas à l’extérieur).

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4. Proximité /vs/ éloignement a) proximité: près de (le cargo a échoué près du port), tout près

de (le château se trouve tout près du lac), auprès de (l’enfant se trouve auprès de sa mère).

b) éloignement: loin de (en ce moment, la voiture doit être loin de Paris), à l’extrémité de (loger à l’extrémité de la ville).

Prépositions À

Cette préposition peut marquer: 1o le lieu où l’on est, la position dans un lieu. Ex.: Il se trouve à Lyon. Je suis à la maison. „La diligence s’arrêta

au croisement de deux pauvres chemins, devant un vieux poteau” (H. Bosco, Malicroix).

2o la distance par rapport à un lieu. Ex.: „L’asile de vieillards se trouve à Marengo à quatre-vingts

kilomètres d’Alger” (Camus, L’Étranger). 3o la direction où l’on va. Ex.: Je vais à Nice. Il se rend à la Faculté des Lettres. 4o L’arrivée, le point d’arrivée. Ex.: Il arrive à Paris dans trois jours. Nous arriverons à Marseille

à midi. Après

Cette préposition indique le fait que quelque chose ou quelqu’un est plus loin dans l’espace qu’une autre chose ou qu’une autre personne; marque la postériorité de situation dans l’espace.

Ex.: C’est la première maison après l’église. La maison est juste après la mairie. Après le vestibule, il y a le salon. „Au bas de la côté, après le pont, commence une chaussée plantée de jeunes arbres” (Flaubert, Bovary; P.R.). Après le pont la route bifurque (G.L.F.). L’accident s’est produit après le carrefour (B). Après la maison, il y a un sentier (H).

Avant Cette préposition marque l’antériorité de situation dans l’espace

(ou la priorité de situation par rapport au lieu), dans le cours d’un mouvement réel.

Ex.: Sa maison est avant la mairie. La maison de mon frère est juste avant le bois sur votre gauche (P.R.). Avant Paris, il y a sa

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banlieue. Bayonne est avant Biarritz sur la route d’Espagne (G.L.F.). Mettre la charrue avant les bœufs. Tournez á gauche avant le petit bois (B).

Avant peut indiquer la priorité de rang. Ex.: Il faut mettre ce chapitre avant l’autre. Il place son intérêt

avant celui des autres (le Lexis). Chez

Cette préposition indique une localisation dans: a) la maison de Ex.: Il s’est réfugié chez ses parents. Il est rentré chez lui. Je

reviens de chez vous26. b) le pays de Ex.: Porter la guerre chez l’ennemi (= dans le pays de). c) la civilisation de Ex.: Chez les Grecs, le dieu suprême était Zeus. d) l’œuvre littéraire de Ex.: Chez Racine on voit surtout une soumission presque

absolue aux „règles” et un exercice de style toujours renouvelé. Remarques. 1. Chez peut être précédé d’une autre préposition

(de, par, vers, jusque). Ex.: Venez jusque chez moi. Je viens de chez moi. Ils passèrent

par chez moi. Il habite près de chez moi. Ils habitent vers chez moi. 2. On ne doit pas dire aller au médecin, etc. mais chez le

médecin, etc. 3. Chez peut précéder des noms d’insectes, d’animaux, surtout

dans les fables. Ex.: „Elle alla crier famine / Chez la fourmi sa voisine” (La F., I, 1).

Contre Cette préposition indique la proximité dans l’espace, le contact. Ex.: Lancer une pierre contre une vitre. Pousser le lit contre le

mur. Sa maison est juste contre la mairie. Presser quelqu’un contre sa poitrine. „En posant le verre, il le fit tinter contre la carafe” (Martin du ________________

26 Autres exemples: „Je voulais cependant qu’elle reste avec moi et je lui dis que nous pouvions dîner ensemble chez Céleste” (Camus, L’Étranger). „Venez vite, il est arrivé quelque chose chez mon voisin” (Camus, La Peste). „Rentré chez lui, Rieux téléphonait à son confrère Richard, un des médecins les plus importants de la ville” (Camus, id.).

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Gard, Thib). „L’Arabe s’était aplati dans l’eau, la face contre le fond...” (Camus, L’Étranger). „Il la serra contre lui et sur le quai maintenant, de l’autre côté de la vitre, il ne voyait plus que son sourire” (Camus, La Peste). „Il appuya sa tête contre le tronc d’un cyprès” (Tournier, Vendredi).

Dans Cette préposition marque le lieu, la situation d’une personne,

d’une chose; elle peut s’employer avec le nom d’une ville considérée dans son étendue, avec le nom d’un département. Avec un nom d’auteur, elle indique la référence à l’œuvre de celui-ci; elle s’emploie aussi avec des termes abstraits marquant une localisation.

Ex.: Entrer dans sa chambre. Monter dans un autobus. Enfouir un trésor dans la terre. Passer ses vacances dans les Alpes. Lire dans un livre, dans un journal. „Mme Bertin les avait vus entrer ensemble dans le bois des Larmes” (M. Aymé, Uranus)”. Rien ne bougeait dans les coins” (Camus, La Peste). Il devient difficile de circuler en voiture dans Bucarest. Il possède une villa dans le Var. „L’ombre s’épais-sissait dans la pièce” (Camus, La Peste). „Au nord et à l’est, l’horizon s’ouvrait librement vers le large, mais à l’ouest il était barré par une falaise rocheuse qui s’avançait dans la mer” (Tournier, Vendredi).

Remarques. 1. Devant les noms de lieux désignant des provinces, en et dans sont en concurrence. On dit, par exemple, en Auvergne, en Lorraine, mais dans les Vosges, dans le Lyonnais. En ce qui concerne les noms de départements, dans est employé devant les noms simples (dans le Doubs, dans la Meuse), tandis que devant les noms de départements composés de deux termes coordonnés par et, on emploie, en général en (en Seine-et-Oise, en Lot-et-Garonne)27. On emploie dans devant un nom de ville (Dans Paris, il est de plus en plus difficile de garer sa voiture).

2. On dit: se promener dans le soleil, jouer dans un pré, se trouver dans un train (mais sur la plate-forme).

De La préposition de marque: a) le lieu d’où l’on vient: Ex.: Pierre vient de l’école. Ces touristes viennent de Grande-

Bretagne. „Des ministres, des parents, des cagots venaient de Genève ________________

27 v. F.Brunot, La Pensée et la Langue, éd. cit., p. 425.

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et de Suisse” (Rousseau, Confessions). „Et lui apparut venant du ciel un ange qui le réconfortait...” (Saint-Luc, XXII).

b) le lieu d’où l’on sort. Ex.: „Enfin je vis un homme. Il avait dû sortir de la forêt et il

marchait dans ma direction” (H. Bosco, Malicroix). Il est parti de grand matin de Limoges pour être ici à midi. „Nous avons suivi les porteurs et nous sommes sortis de l’usine” (Camus, L’Étranger).

c) la distance que l’on doit parcourir entre deux limites (en relation avec la préposition à):

Ex.: Aller de Paris à Marseille. Le train a parcouru la distance de Nantes à Paris en trois heures.

d) l’enlèvement de quelque chose d’un lieu. Ex.: Ôtez cela de mon jardin. Rayez cela de vos papiers.

Deçà

Cette préposition qui a vieilli signifie „de ce côté-ci” Ex.: Deçà le Danube. Nous sommes deçà le Rhin. Il est deçà la

rivière (H.D.T.) Dedans

Cette préposition signifie „à l’intérieur de”, „dans”. Elle était couramment employée en français classique. Elle est inusitée aujourd’hui.

Ex.: „Voulez-vous demeurer dedans la rêverie?” (Corneille, Cid; H.D.T.). „Va dedans les enfers plaindre ton Curiace” (Corneille, Horace, IV, 5). „Dedans mon ennemi je trouve mon amant” (Corneille, Cid, III, 3).

Delà Cette préposition signifie „l’autre côté de, plus loin que, au-delà

de”. Elle a vieilli: Ex.: Delà les monts (Acad.). „Porter delà les mers ses hautes

destinées” (Corneille, Cid, II, 5). „Ce qui s’appelle delà les monts la furie française, a plus d’une fois réussi...” (Guez de Balzac, 5e discours sur la cour). „Les troupes du Roi donnèrent à M. le Prince le temps de se retirer, delà l’eau” (La Rochefoucauld, Mémoires).

Depuis Cette préposition marque le lieu à partir duquel une chose se

produit ou existe (= à partir de tel ou tel endroit); elle exprime le point de départ dans l’espace.

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Ex.: Un chien m’a suivi depuis la ferme (B). „Autrefois, depuis cette chambre, je pouvais suivre vos conversations” (Mauriac, G.L.F.). „Depuis la porte, en s’en allant, elle vérifie qu’on ne peut rien voir” (Genevoix, Rroû; Grev.).

Les puristes exigent que depuis soit en ce cas remplacé par de; il faut donc dire: Je le vis de ma fenêtre et non pas Je le vis depuis ma fenêtre. Je lui fis signe du balcon et non pas Je lui fis signe depuis le balcon. Cependant beaucoup d’écrivains emploient depuis au lieu de la préposition de.

La préposition depuis est employée, en général, en corrélation avec jusqu’à.

Ex.: Nous avons eu du soleil depuis Paris jusqu’à Lyon. Les Pyrénées s’étendent depuis l’Atlantique jusqu’à la Méditerranée. „Mais depuis les quartiers extérieurs jusqu’au centre de la ville, partout où le docteur Rieux venait à passer, partout où nos concitoyens se rassemblent, les rats attendaient en tas” (Camus, La Peste).

Derrière

La préposition derrière marque la postériorité, une situation, un lieu qui se trouve dans le dos d’une chose; elle signifie que quelque chose se trouve du côté visible d’une chose.

Ex.: Marcher derrière le guide. Se cacher derrière quelqu’un. Avoir les mains croisées derrière le dos. Regarder derrière soi. „Il y a eu du remue-ménage derrière les fenêtres” (Camus, L’Étranger). „Oh! dit le père, ce doit être une épidémie et ses yeux sourirent derrière les lunettes rondes” (Camus, La Peste). „Même dans les courses qu’on avait à faire, derrière l’église tout semblait ordonné par rapport au clocher surgi ici ou là entre les maisons” (Proust, Du côté de chez Swann).

Dès Cette préposition signifie „à partir de”, „depuis”, „immédiatement

à partir de ce lieu”; elle exprime le point de départ dans l’espace. Ex.: Dès Valence le temps est devenu très beau. Dès le seuil, on

entendait battre l’horloge. Dès Nice nous dûmes ralentir. Le fleuve est navigable dès sa source.

Dessous Cette préposition signifie „à la face intérieure de quelque

chose”; elle indique la position d’une chose sous une autre. L’emploi

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de cette préposition appartient surtout au français littéraire. Elle était fréquemment utilisée en français classique.

Ex.: Chercher dessous la table (Acad.)28. „Je sais qu’il est rangé dessous les lois d’un autre” (Molière, Dépit amoureux, II, 3). „Le lièvre était gîté dessous un maître chou” (La F. IV ). „Me trouvant enfin dessous un toit rustique” (Corneille, Clitandre).

Dessus Cette préposition signifie „sur”, „à la face supérieure de quelque

chose”. Elle appartient au français classique; elle a vieilli. Ex.: Elle n’est ni dessus ni dessous la table (Acad.). „Chaque

jour, chaque instant entasse pour ma gloire / Laurier dessus laurier, victoire sur victoire” (Corneille, Cid, I, 3). „Il me faut immoler dessus leur sépulture” (Corneille, Méd. V, 5, H.D.T.). „Plus brusquement qu’un chat dessus une souris” (Molière, Étourdi, IV, 4). „L’âne qui portait une idole dessus son dos” (Bussy; le Lexis).

Devant Cette préposition signifie „du même côté que le visage d’une

personne, que la face, le côté visible ou accessible d’une chose”; indique une situation, un lieu en face d’une personne, d’une chose, ou le rang qui précède.

Ex.: Pour arriver à la gare, marchez droit devant vous. „Devant sa villa résidentielle et les bâtiments du Pavillon des Poids et Mesures, du Palais de Justice et du Temple se dressait maintenant une enceinte crénelée” (Tournier, Vendredi). „Devant moi, au milieu des cannes, il y a une meule de pierres de lave noire” (Le Clézio, Le chercheur d’or). Devant la grande porte de l’hôtel, quelques voitures stationnent.

Devers Cette préposition a vieilli. Elle appartient au français classique.

Elle signifie: 1. En partant de ce côté. Ex.: „Ce fut un signal / Pour s’enfuir

devers sa tanière” (La F.II,14). 2. En allant de ce côté. Ex.: „Quel mauvais démon devers nous

le conduit?” (Corneille, Hér, III, 1; H.D.T.). „Tourne un peu ton visage devers moi” (Molière, Georges Dandin, II, 1). ________________

28 On dit aujourd’hui chercher sous la table ou tirer quelque chose de dessous la table.

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En Cette préposition indique la situation à l’intérieur d’un lieu; elle

exprime la relation d’une chose avec ce qui la contient, avec le milieu d’une autre.

Ex.: „Il ne rougissait pas de convenir qu’il aimait ses neveux et sa soeur, seule parente qu’il eût gardée et qu’il allait tous les deux ans, visiter en France” (Camus, La Peste). „Le pauvre en sa cabane où le chaume le couvre / Est sujet à ses lois” (Malherbe, Consolation à M. Du Périer). Il est parti en province. Nous avons dîné en ville. Ils sont montés en avion à l’heure fixée.

Remarques. 1. On se sert, en général, de en devant un nom féminin de pays ou un nom de pays masculin commençant par une voyelle.

Ex.: Aller en Angleterre, en Irak, en Uruguay. 2. Devant les noms de provinces, on emploie en, en concurrence

avec dans au masculin: en Alsace, en Lorraine, en ou dans le Périgord. 3. Devant les noms de départements, dans s’emploie en concur-

rence avec en pour les noms féminins composés: dans la ou en Seine-Inférieure.

4. La préposition en suivie par l’article défini l’ou la est employée dans certaines locutions consacrées: en l’air, en l’absence de, en l’espace de, en l’honneur de, en la personne de, en l’église.

Entre Cette préposition signifie „dans l’espace qui sépare deux ou

plusieurs choses, deux ou plusieurs personnes”; elle indique un intervalle défini par plusieurs points formant une limite. Entre s’emploie parfois avec la valeur de parmi (On le choisit entre tous pour son courage) ou encore avec la valeur de dans (Tenir un enfant entre ses bras).

Ex.: La rivière coule entre deux rangées de saules. Entre ces deux villes, on trouve plusieurs villages. Blois se trouve entre Orléans et Tours. „La pauvre femme eut si grand peur / Qu’elle chercha quelque assurance entre (= dans) les bras de son époux” (La F. IX,15). „Levant la tête, on voyait là-haut, entre les plus hautes branches des arbres, couler une rivière de ciel” (Renard, Journal; P.R.). Ce bataillon se trouvait entre deux feux (Acad.).

Hors Cette préposition ayant le sens de „à l’extérieur de, au-delà de”

ne s’emploie plus que dans quelques expressions figées et dans quel-ques noms de lieux.

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Ex.: hors commerce, hors concours, hors jeu, hors ligne, hors la loi, hors rang, hors série, hors texte. J’ai été me promener hors les murs (Acad.). Saint-Paul-hors-les Murs (= hors des limites de l’ancienne Rome).

Jusque ou jusques Cette préposition (jusques dans la langue poétique) marque la

limite que l’on ne dépasse pas; elle indique la limite spatiale. Ex.: Il a couru jusqu’à l’hôtel. Il la suivrait jusqu’au bout du

monde. „Le chuintement de la locomotive arrivait jusqu’à eux” (Camus , La Peste). „Ferdinand dit cela parce qu’il est jaloux, lui aussi voudrait marcher dans les cannes avec Denis, jusqu’à la mer” (Le Clézio, Le chercheur d’or). De la Baie de l’Évasion aux dunes du Levant... de la forêt occidentale jusqu’aux lagunes orientales, il courut, trébuchant et criant, désespérément convaincu au fond de lui-même que ses recherches étaient vaines” (Tournier, Vendredi).

Outre

Cette préposition signifie „au-delà de”; elle s’emploie de nos jours dans certaines locutions; aller outre-mer (en Orient, en Amérique), aller outre-Atlantique; outre-tombe, outre-Manche, outre-Rhin, outre-monts (= en Italie, en Espagne). Les pays d’outre-Meuse.

Par Cette préposition marque le lieu de passage ou la position où se

situe l’action; elle peut signifier à travers; dans. Ex.: Le Nil se jette dans la mer par plusieurs embouchures.

„Intrigué, Rieux décida de commencer sa tournée par les quartiers extérieurs où habitaient les plus pauvres de ses clients” (Camus, La Peste). „À cause de mon cœur nous ne prîmes pas par la pente des charmilles et suivîmes l’allée des tilleuls qui contourne la maison” (F. Mauriac, Nœud de vipères).

Parmi Cette préposition indique: a) un ensemble dont font partie des choses ou des êtres que l’on

distingue. Ex.: Il compte des héros parmi ses ancêtres. b) le milieu qui sert de cadre à l’action considérée.

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Ex.: „Ensemble nous redescendons, nous recommençons à marcher à l’aveuglette parmi les cannes, dans la direction de la mer” (Le Clézio, Le chercheur d’or). „Exactement, il n’imaginait pas la place de ces manies au milieu de la peste et il jugeait donc que pratiquement, la peste était sans avenir parmi nos concitoyens” (Camus, La Peste). L’ivraie est mêlée parmi le bon grain (Acad.).

Passé

Cette préposition, mot invariable, peut se placer devant un nom de lieu pour exprimer le dépassement d’un point de l’espace.

Ex. Passé la poste, vous tournez à gauche. „Mais passé la ferme de la Saudraie, l’enfant me fit prendre une route où jusqu’alors je ne m’étais jamais aventuré” (Gide, Symphonie pastorale; P.R.). Passé la ferme, il n’y a plus que des campagnes (H.).

Pour

Cette préposition accompagnée d’un nom de lieu indique la direction vers quelque chose; elle marque la destination, le but dans l’espace.

Ex.: Il est parti pour Rome. Il s’est embarqué pour New-York. Partir pour une destination, une ville, un pays. „Oh! combien de

marins, combien de capitaines, / Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines / Dans ce morne horizon se sont évanouis!” (V. Hugo, Oceano Nox). Il prend l’avion pour Rome. Le train pour Paris.

Près

Cette préposition marque la proximité dans l’espace, la proximité de lieu. Elle subsiste dans quelques locutions figées et dans certaines expressions géographiques.

Ex.: Greffier près la Cour d’Appel. Châteaulin près Brest. Ambas-sadeur près le Saint-Siège.

Près marquant la proximité peut être rencontré chez certains écrivains.

Ex.: „En entrant dans la serre, il vit, sous les larges feuilles d’un caladium près le jet d’eau...” (Flaubert, Éducation sentimentale; P.R.). „Tous deux, descendant l’allée aux fleurs, allaient s’asseoir dans le rond-point, près l’escalier du potager” (Gide, Porte étroite; P.R.).

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Proche L’emploi de cette préposition a vieilli. Elle signifie „près de” et

est encore employée dans la langue littéraire. J. Hanse blâme l’usage de proche.

Ex.: „Mais proche la croisée au nord vacante...” (Mallarmé, Sonnet, IV). „Nous campions dans les dortoirs du Collège qui se trouvait alors proche le Palais” (Duhamel, Invent. abîme; P.R.).

Sous

Cette préposition marque la position „en bas” par rapport à ce qui est „en haut” ou „en dedans” par rapport à ce qui est „en dehors”; sous indique la position d’une chose par rapport à ce qui est plus haut, en contact avec elle, dans la même direction.

Ex.: „Il sentit sous ses doigts fins la sciure rouge de l’Évasion...” (Tournier, Vendredi). „Une rosée abondante alourdissait les plantes qui se courbaient éplorées sous cette lumière pâle...” (Tournier, id.). „D’aspect tranquille, il faut quelque temps, pour apercevoir ce qui la rend différente (= la ville d’Oran) de tant d’autres villes com-merçantes, sous toutes les latitudes” (Camus, La Peste).

Glisser un papier sous le paillasson. Nager sous l’eau. Camper sous les remparts. Mettre un tabouret sous ses pieds.

Suivant Cette préposition signifie, „en suivant, en direction de, en allant

dans la direction de”. Ex.: Se déplacer suivant telle ou telle ligne. Ce mobile se déplace

suivant le vecteur AB (Bordas). Se déplacer suivant telle direction.

Sur Cette préposition indique la position d’une chose par rapport à

ce qui est plus bas dans une même direction verticale; elle marque le lieu sur lequel on va ou le lieu dans la direction duquel on va.

Ex.: Avoir la tête sur l’oreiller. Construire un pont sur pilotis. Battre le fer sur l’enclume. Appliquer un enduit sur un mur. L’orage est suspendu sur sa tête. „Il trouva son premier malade au lit, dans une pièce donnant sur la rue...” (Camus, La Peste). „Robinson se laissa rouler sur le dos” (Tournier, Vendredi). „Puis il le vit s’élancer dans les haubans, se hisser sur la hune et repartir de là sur les marchepieds

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de la vergue” (Tournier, id.). „Les marins sautent sur la digue en criant” (Le Clézio, Le chercheur d’or).

Vers

Cette préposition indique la direction prise ou le terme d’un tendance, d’une évolution. Elle peut exprimer l’approximation dans l’espace.

Ex.: Aller vers la montagne. Se diriger vers la piscine. Remonter vers les grands boulevards. Habiter vers le faubourg Saint-Honoré. „Quand on la regarde du beau jardin qui descend des perrons vers la rivière, la flèche gothique d’une église s’élance” (Proust, Du côté de chez Swann). „Rieux eut un mouvement dans la direction du train mais se retourna vers la sortie” (Camus, La Peste). „L’entrée prin-cipale, au centre de la façade orientée vers l’est, est précédée d’un perron” (Bernanos). „À demi-inconscient encore, Robinson se ramassa sur lui-même et rampa de quelques mètres vers la plage” (Tournier, Vendredi).

Locutions prépositives À bas de

Cette locution s’emploie après un verbe de mouvement, en général, pour indiquer le déplacement à un niveau plus bas.

Ex.: Il saute à bas de son lit. Se jeter à bas du lit (Acad.). „Fabrice se jeta à bas de son cheval” (Stendhal, Chartreuse de Parme; P.R.). Tomber à bas d’une échelle. Il tomba à bas de son cheval.

À côté de Cette locution indique qu’une chose est à un endroit voisin de,

près de, à quelque distance de. Ex.: Le salon est à côté de la salle à manger. L’église est à côté

du village. Mettre une balle à côté de la cible. Passer à côté d’une difficulté. „Elle croira que j’ai passé à côté d’elle sans la voir...” (Fromentin, Dominique. P.R.)”. à côté d’elle, il y avait l’ordonnateur, petit homme aux habits ridicules et un vieillard à l’allure empruntée” (Camus, L’Étranger).

À fleur de Cette locution signifie „presque au même niveau de, sur le même

plan, à peu près au même niveau qu’une certaine chose”.

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Ex.: Les rochers à fleur d’eau sont dangereux pour la navigation. „Des pensées presque philosophiques lui venaient à fleur d’âme sur la facilité qu’on éprouve à gouverner les hommes” (A. France, Orme du mail; P.R.). Il avait de gros yeux à fleur de tête. Frisson à fleur de peau. Abattre des arbres à fleur de terre.

À l’abri de

Cette locution signifie „en sûreté contre, à couvert des intem-péries, hors d’atteinte, sous le couvert de, sous la protection de”.

Ex.: Celui qui aime et qui est aimé est à l’abri des coups du sort. „L’astre roi se couchait. Calme, à l’abri du vent, / La mer réfléchissait ce globe d’or vivant” (V. Hugo, Orientales, I, 4; P.R.). Pendant la tempête, le yacht s’est mis à l’abri des vagues hautes dans une crique.

À partir de

Cette locution signifie „au-delà de en prenant pour point de départ...”.

Ex.: Le Sud de l’Italie commence à partir de Rome. à partir du pont, la route devient mauvaise. à partir de ce poteau indicateur, on change de département. „À partir de Carmona, les cactus et les aloès reparurent plus hérissés et plus féroces que jamais” (Gautier, Voyage en Espagne; P.R.).

À travers

Cette locution signifie „en traversant quelque chose de part en part, par le milieu, par un mouvement transversal, d’un bout à l’autre d’une surface ou d’un milieu”.

Ex.: La lumière du soleil passait à travers les branches. Il lui passa son épée à travers le corps. On ne voyait le soleil qu’à travers les nuages. Il regardait à travers la vitre les premiers flocons de neige qui tombaient fouettés par le vent. „Un moment après, elle lui tournait le dos et regardait à travers la vitre” (Camus, La Peste). „L’art ne naît de la vie qu’à travers un art antérieur” (Malraux, Voix du silence; P.R.).

Au bas de

Cette locution signifie au pied de, dans la partie inférieure. Ex.: Il habite au bas de la colline. Nous l’avons trouvé au bas de

l’escalier.

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Remarque. On peut dire en bas de pour au bas de. On le trouva évanoui en bas (au bas) de l’escalier. Ils étaient en bas (au bas) de la colline. En bas (ou au bas) de la page. On dit aussi en bas de page (v. A. Thomas et J. Hanse).

Au-dedans de

Cette locution signifie „à l’intérieur”. Ex.: Au-dedans de la ville, on voyait des jardins. Au-dedans de

lui-même, il regrette ses paroles (le Lexis). Il m’a dit que, toute sa vie, il avait gardé ce souvenir au-dedans de lui (P.Ch.). „La guerre civile, la guerre étrangère, le feu au-dedans du pays et au-dehors de ses frontières” (ap. Bossuet, A. de Gonzague). „Mais les sentiments gardés trop longtemps au-dedans de nous...” (Barbey d’Aurevilly, Une histoire sans nom; P.R.).

Au-dehors de

Cette locution signifie „à l’extérieur de”. Ex.: Il jouit d’une bonne réputation scientifique au-dehors de

son pays. Tout ce qui se trouve au-dehors de cette limite ne fait pas partie de mon domaine.

Au-delà de

Cette locution indique un lieu éloigné d’une certaine limite. Ex.: Il s’en est allé au-delà des mers. Vous n’irez pas au-delà de

la frontière sans passeport. L’Islande est au-delà de l’Écosse (P.R.). „Au-delà de la poudrière, le tunnel se poursuivait par un boyau en pente raide où il ne s’était jamais engagé” (Tournier, Vendredi).

Au-dessous de

Cette locution signifie plus bas que, en bas de. Elle se dit aussi pour marquer l’infériorité en quelque genre que ce soit.

Ex.: Nous sommes logés au-dessous de la famille Dupont. Elle porte la jupe au-dessous du genou. Il y a dix degrés au-dessous de zéro. L’Oise se jette dans la Seine au-dessous de Paris (P.R.). „Ses lèvres tremblaient au-dessous d’un nez truffé de points noirs” (Camus, L’Étranger). „Et il semblait à Robinson que les oeuvres vives que l’on voyait maintenant chaque fois que le flot se creusait au-dessous de la ligne de flottaison étaient en effet de couleur dorée” (Tournier, Vendredi).

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Au-dessus de

Cette locution signifie plus haut que, en haut de. Ex.: Le thermomètre marque vingt degrés au-dessus de zéro. La

température monte au-dessus de trente degrés. „Le Morne est dressé au-dessus de la mer pareil à un caillou de lave” (Le Clézio, Le chercheur d’or). „Un cèdre gigantesque qui prenait racine aux abords de la grotte s’élevait, bien au-dessus du chaos rocheux, comme le génie tutélaire de l’île” (Tournier, Vendredi). „L’autre déchirait des petits bouts de papier au-dessus de la rue” (Camus, La Peste).

Au-devant de

Cette locution signifie „à la rencontre de, en direction de, dans la direction d’où vient quelqu’un, quelque chose”.

Ex.:Aller au-devant de quelqu’un. Prends cette lettre et cours au-devant de ton ami. Il l’aperçut sur le quai et alla au-devant de lui. Vous prenez la rue en face de la gare et vous irez au-devant de lui.

Au haut de

Cette locution signifie au sommet de. Ex.: L’oiseau s’est posé au haut de l’arbre (D). „Certain renard...

vit au haut d’une treille...” (La F., Le Renard et les raisins). La corneille était perchée au haut d’un sapin.

Au long de, le long de, tout le long de

Cette locution signifie „en suivant sur toute la longueur de, en suivant sur une certaine étendue le bord de, en allant sur la plus grande dimension de”.

Ex.: Se promener le long de la rivière. „Nous restons longtemps à pêcher, tandis que la pirogue dérive le long des récifs” (Le Clézio, Le chercheur d’or). „La collecte des ordures s’y faisait beaucoup plus tard et l’auto qui roulait le long des voies droites et poussiéreuses de ce quartier frôlait les boîtes de détritus...” (Camus, La Peste). Le lierre pousse le long des murs. „Deux grosses liasses de feuillets azurés... criblés de mots abrégés, de repères en forme d’étoiles, de croix, de petits serpenteaux signalisateurs comme au long de routes” (Colette, Étoile Vesper; P.R.). Tout le long de sa vie, il n’a cessé d’espérer. Les fougères s’étendent au long des pentes.

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Au milieu de Cette locution signifie „à égale distance de, au centre de, à mi-

distance des extrémités, dans la partie du centre, entre le début et la fin, entouré de quelque chose, dans, parmi”.

Ex.: Se placer au milieu du cercle. Se perdre au milieu de la foule. Se trouver au milieu de gens de connaissance. „Je vois tout le paysage, les fumées des sucreries, la rivière Tamarin qui serpente au milieu des arbres, les collines, et enfin, la mer, sombre, étincelante, qui s’est retirée de l’autre côté des récifs” (Le Clézio, Le chercheur d’or). „Son appartement particulier donnait sur la rue Saint-Jacques qui aboutissait beaucoup plus loin au Grand-Pré par opposition au Petit-Pré, verdoyant au milieu de la ville, entre trois rues” (Proust, Du côté de chez Swann). „Mais il est juste d’ajouter qu’elle (= la cité) s’est greffée sur un paysage sans égal, au milieu d’un plateau nu, entouré de collines lumineuses, devant une baie au dessein parfait...” (Camus, La Peste).

Auprès de Cette locution indique la proximité, elle signifie tout à côté de,

dans le voisinage, à proximité de. Ex.: La maison est auprès de l’église. La mère est restée toute la

journée auprès de sa fille malade. Ma maison est située auprès du bois. Mettez votre chaise auprès de la mienne. „Cette part de lui-même, il savait qu’elle se trouvait à la Cassine, au chevet de Maria-Barbara, auprès des enfants, des jumeaux surtout” (Tournier, Les mé-téores). „Les agents de change s’employaient auprès du gouvernement afin d’obtenir un moratoire” (Martin du Gard, Thibault).

Au ras de, à ras de Cette locution signifie „au niveau de, au plus près de la surface,

tout contre”. Ex.: „Quelques rares boqueteaux se tordaient au ras du sol”

(H. Bosco, Malicroix). Les hirondelles volent parfois au ras de terre (ou à ras de terre; B). „Les chauves-souris commençaient leur danse autour des tentes, voletaient au ras de l’eau des puits” (Le Clézio, Désert). „C’étaient de grandes feuilles dentelées qui poussaient en touffes au ras de sol sur une tige très courte” (Tournier, Vendredi). „Au ras de l’amoncellement rocheux couronnant l’île, la grotte ouvrait sa gueule noire qui s’arrondissait comme un gros œil étonné...” (Tournier, id.).

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Remarque. On dit au ras de l’eau ou à ras de l’eau, au ras du sol, au ras des toits (H).

Autour de Cette locution indique l’espace environnant ou le voisinage

immédiat; dans l’espace qui fait le tour de; auprès de. Ex.: Autour de la ville, les nouveaux quartiers s’étendaient sans

cesse. „Mais Rieux trouva son malade une main sur le ventre et l’autre autour du cou” (Camus, La Peste). „Autour de lui une rumeur de paroles et de bruits domestiques composait l’ambiance familière de la maison où il était né” (Tournier, Vendredi). Dans un rayon de plusieurs kilomètres autour de la ville... Les planètes gravitent autour du soleil.

Au travers de

Cette locution s’emploie au même sens qu’à travers, mais de préférence quand il y a résistance, obstacle. Elle signifie „en passant d’un bout à l’autre; de part en part”.

Ex.: L’obus ne put passer au travers du blindage. Au travers de son masque, on voyait ses yeux briller de plaisir (D). „Des routes rares le relient à la capitale au travers d’une région à demi désertique” (J. Gracq. Le Rivage des Syrtes; P.R.). Il était impossible de rien aper-cevoir au travers de ces brumes (P. Ch.).

Aux environs de Cette locution indique une proximité de lieu. Elle signifie „du

côté de, à proximité de, dans le voisinage de, près de, aux abords de”. Ex.: Elle habite aux environs d’Autun. Le printemps en Bretagne

est plus doux qu’aux environs de Paris. Il s’est logé aux environs de la gare.

De dessous Cette locution signifie „de sous” Ex.: L’appartement de dessous est libre. J’ai sorti beaucoup de

poussière de dessous le buffet. Il est sorti de dessous la tente. Il a tiré un anneau de dessous l’armoire. Faire sortir une armée de dessous terre. „Jacques tira de dessous sa veste un énorme cahier rouge” (Daudet, Petit Chose; P.R.). „Jean Tournier était occupé, avec une équipe de jeunes gens, ces derniers matins, à extraire des blessés de dessous les décombres d’un pâté de maison” (A. Gide, Journal).

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De dessus

Ex.: Ôtez cette nappe de dessus la table. Il ne lève pas les yeux de dessus son ouvrage. Retirez la couverture de dessus le lit. „La nuit vint. Il observa, avec une joie qui lui ôta un poids immense de dessus la poitrine, qu’elle serait fort obscure” (Stendhal, Le Rouge et le Noir).

De devant

Ex.: Retirez-vous de devant la porte. Ôtez-vous de devant ma vue. Poussez-vous de devant le buffet (P.R.).

Du côté de

Cette locution marque qu’une chose se trouve „à proximité de, dans la direction de, aux environs de, vers”.

Ex.: Il habite du côté de la mairie. L’orage arrive du côté de la montagne. Nous nous dirigeons du côté de la tour Eiffel. Il est parti du côté de la Bibliothèque Nationale. „L’île qui s’étendait à leurs pieds était en partie noyée dans la brume, mais du côté du levant le ciel gris devenait incandescent” (Tournier, Vendredi). Demeurer du côté de Cannes.

En arrière de

Cette locution signifie derrière, à une certaine distance de, sur un plan plus reculé.

Ex.: Rester en arrière de la colonne. Se tenir en arrière de quelqu’un, de quelque chose. Cet hôpital est situé en arrière de la ligne de feu. Se tenir en arrière des autres.

En avant de

Cette locution signifie vers le lieu, le côté qui est devant, devant soi. Ex.: Il marchait en avant de la foule (le Lexis). La région

précordiale est située en avant du cœur (P.R.). Il était à dix mètres en avant de ses compagnons.

En bas de

Cette locution signifie „dans le partie inférieure”. Ex.: Habiter en bas de la côte. Les vagues déferlent en bas de la

falaise. „La main dans la main on se serait jeté en bas de la tour Eiffel, parmi les premiers” (Beckett, Godot).

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En deçà de Cette locution signifie: en restant en arrière par rapport à une

situation, à un lieu fixé par le complément, de ce côté-ci par rapport à au-delà de.

Ex.: L’armée resta en deçà du Rhin. C’est une région en deçà des Alpes. Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà (Pascal). Son travail est en deçà de ses possibilités. Vous restez en deçà de la vérité. „Mais alors qu’eux mêmes étaient demeurés très en deçà de l’idéal de Vérone, les jumeaux allaient très au-delà, fournissant du couple fraternel la version littérale, pure, originale, tellement que c’était maintenant Roméo et Juliette qui faisaient figure en comparaison de compromis et d’à-peu-près” (Tournier, Les chaussons amandinois).

En dedans de

Cette locution signifie „à l’intérieur de”. Ex.: Les couloirs sont en dedans de la maison. Posez l’écriteau

en dedans de la porte. La clef est restée en dedans de la porte.

En dehors de Cette locution signifie „à l’extérieur de, vers le côté extérieur de,

dans la partie qui est du côté extérieur”. Ex.: „En outre, l’îlot devait se trouver en dehors de la route

régulière des navires, puisqu’il était totalement inconnu” (Tournier, Vendredi). Tout ce qui se trouve en dehors de cette limite ne fait pas partie de la commune. Ces terrains se trouvent en dehors des fortifications.

En face de Cette locution signifie „en présence d’une chose, d’une personne,

vis-à-vis de”. Ex.: La maison est située en face de la mairie. „Le soir, il allait

quelquefois au cinéma qui se trouvait en face de la maison” (Camus, La Peste).

En haut de Ex.: Il est tout en haut de la montagne. Ce dessin se trouve en

haut de la page. Il habite en haut de la ville. Le jardin suspendu en haut d’un mur dominait le boulevard (ap. P.R.). Le concierge est en haut de l’escalier (= au dernier étage; le Lexis).

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En travers de Cette locution signifie „dans une position transversale par

rapport à l’axe de l’objet considéré ou par rapport à une direction; d’une des extrémités à l’autre dans le sens de la largeur”.

Ex.: „Une mouette tournoya dans l’air et se laissa choir sur le miroir d’eau. Elle rebondit à sa surface et s’éleva à grands coups d’ailes, un poisson d’argent en travers du bec” (Tournier, Vendredi). „Il gisait, à demi nu, les bras écartés, en travers du lit” (Martin du Gard, Thibault). On avait mis en travers du chemin une poutre.

Hors de Cette locution exprime l’extériorité au sens local; elle signifie „à

l’extérieur de, en dehors de”. Ex.: „Le bras hors de la portière, le docteur promena son doigt à

la base du cou que Michel lui tendait” (Camus, La Peste). „Les hommes sautèrent dans le déferlement des vagues et entreprirent de déhaler la chaloupe hors de la portée de la marée montante” (Tournier, Vendredi).

Loin de Cette locution signifie „à une grande distance dans l’espace”. Ex.: Construite en pleine terre, loin de tout rivage, l’arche avait

attendu que l’eau vînt à elle, tombant du ciel ou accourant des montagnes” (Tournier, Vendredi). „Dis-moi, ton cœur, parfois, s’envole-t-il Agathe, / Loin du noir océan de l’immonde cité, Vers un autre océan où la splendeur éclate?” (Baudelaire, Fleurs du mal). „À force de vivre loin des villes, au milieu des paysans, Tolstoï s’était fait un peu la façon de penser du peuple” (R. Rolland, Tolstoï; P.R.). Orléans n’est pas loin de Paris.

Par-dedans Cette locution signifie „à l’intérieur”. Ex.: Par-dedans le bourg (H.D.T.).

Par-delà Cette locution indique une situation ou un lieu éloigné d’un

point donné qui sont séparés par un obstacle: elle signifie „de l’autre côté de, plus loin que...”.

Ex.: Par-delà l’Atlantique on comprend souvent mal la manière de vivre en Europe. Par-delà son comportement social, on devine un autre aspect de sa personnalité. „C’est sans doute revenir par-delà

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le christianisme à une vision antique de la sagesse humaine, et substituer la virtus à la vertu” (Tournier, Vendredi).

Par-derrière Cette locution a le sens de „du côté opposé à celui auquel une

personne ou une chose fait face”. Ex: Passez par-derrière cette maison.

Par-dessous Cette locution signifie „sous” Ex.: Passez par-dessous la clôture. Il le prit par-dessous les bras

et le souleva de terre (le Lexis). Faire quelque chose par-dessous la jambe29 (fig. faire quelque chose d’une manière peu consciencieuse; expression familière).

Par-dessus Cette locution signifie „par la face supérieure”. Ex.: „Le capitaine Pieter Van Deyssel se pencha par-dessus son

ventre pour poser le jeu de tarot devant Robinson” (Tournier, Vendredi). Porter un manteau par-dessus son costume. „C’est alors que le fanal, décrivant un brutal quart de cercle au bout de sa chaîne, alla s’écraser au plafond de la cabine, tandis que le capitaine plongeait tête la première par-dessus la table” (Tournier, Vendredi). Les vagues passaient par-dessus les récifs et déferlaient dans le lagon” (Le Clézio, Le chercheur d’or).

Par-devant Ex.: Passez par-devant la maison. Ce contrat a été passé par-

devant notaire (ou par-devant le notaire).

Par-devers Cette locution signifie par-devant ou en possession de. Ex.: „Se pourvoir par-devers le juge (P.R.). Par-devers soi (= de

son côté: H.D.T.). Il a gardé la preuve par-devers lui. Garder des documents par-devers soi. Garder ses réflexions par-devers soi. „Pour Robinson le mai était bien plus profond. Il le dénonçait par-devers lui-même dans l’irrémédiable relativité des fins qu’il les voyait tous poursuivre fiévreusement ” (Tournier, Vendredi). „Suivez le précepte d’Horace: Ayez toujours une année de blé par-devers vous” (Voltaire, Blé,111; P.R.). ________________

29 On dit aussi abusivement, mais couramment par-dessus la jambe.

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Près de Cette locution signifie „proche, au voisinage de; à une distance

d’un observateur ou d’un point d’origine considérée comme petite; à très petite distance; attenant, contigu”.

Ex.: Le château se trouve tout près du lac. Il y a une station de métro près de chez lui (P.R.). Il est demeuré à l’hôpital durant une semaine près de son frère blessé dans un accident de voiture. Le navire a échoué près du port. „Estragon se lève et va vers Vladimir, ses deux chaussures à la main. Il les dépose près de la rampe, se redresse et regarde la lune” (Beckett, Godot). „Près de la sortie, sur le quai de la gare, Rieux heurta M. Othon, le juge d’instruction qui tenait son petit garçon par la main” (Camus, La Peste).

Proche de30 Cette locution a le sens de „à très peu de distance, près de”; elle

a vieilli. Ex.: Il habite proche de chez moi. „Lorsque les jeunes filles

furent proche du fleuve, vers l’endroit où étaient les lavoirs publics, elles dételèrent les mulets” (Fénelon; Littré).

Vis-à-vis de Cette locution signifie en face de, juste en face de. Ex.: Il est logé vis-à-vis de moi. S’asseoir vis-à-vis de

quelqu’un. J’étais placé vis-à-vis d’eux. Il habite vis-à-vis de la gare. „Si tu dois négocier avec lui, plante-toi bien vis-à-vis de la personne et regarde-le en face” (fam.; P.Ch.).

Le circonstant spatial constitué par un groupe nominal de rection31 directe

On rencontre une telle construction lorsqu’on indique l’adresse. Certains grammairiens considèrent que le relateur spécifique des constructions exprimant l’adresse est „la préposition zéro”.

Ex.: Il habite rue Gay Lussac. Il demeure Place de l’Étoile dans un bâtiment de style moderne. Il a été logé rue du Bac. Il habite une maison située rue Olivier-de-Serres. ________________

30 „On n’écrit plus: des champs proche de la rivière (dans le sens de „près de”) et moins encore proche la rivière” (J. Hanse, Dictionnaire des difficultés, éd. cit).

31 de construction directe.

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LES CIRCONSTANTS DE CAUSE

Le circonstant de cause constitué par une proposition à verbe fini

A. Martinet souligne que certaines propositions causales peuvent être identifiées comme répondant à la question pourquoi? La proposition causale montre pourquoi, pour quelle raison ou cause a lieu l’action énoncée dans la principale.

Subordonnants de cause On divise en général les subordonnants en deux catégories selon

qu’ils introduisent une cause réelle, admise, ou une cause irréelle, niée ou envisagée.

La locution conjonctive parce que Cette locution marque la cause sans aucune connotation ou

nuance afférente au sens principal; elle sert généralement à présenter la cause du fait énoncé dans la principale. On dit que la locution parce que marque la cause réelle car le fait exprimé dans la causale est présenté comme produisant effectivement un autre fait. La causale introduite par parce que est considérée comme étant simplement „constatante” (v. De Boer; Kr. Sandfeld; Wagner).

Exemples. „Tu as rêvé trente ans que tu avais du coeur; et tu te passais mille petites faiblesses parce que tout est permis aux héros” (J.P. Sartre, Huis clos). „Je sais de science certaine que chacun la porte en soi, la peste, parce que personne, non, personne n’en est indemne” (Camus, La Peste). „Il y eut une fois, à Lyon, un soyeux nommé Gorène auquel ses parents, fort pieux, avaient donné le prénom de Gaëtan parce qu’il était né le jour de la fuite du pape à Gaète” (Apollinaire, Trois histoires). „Leur vie est neuf fois sur dix une vie imaginaire. Seule leur mort est réelle parce qu’ils ne sont plus là pour la raconter. Autrement tout est mensonge à la Légion” (Blaise Cendrars, La main coupée). „Nous regardons beaucoup Saturne, Laure

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et moi, parce que notre tante Adelaïde nous a dit que c’était notre planète, celle qui régnait dans le ciel quand nous sommes nés, en décembre” (Le Clézio, Le chercheur d’or). „Je vous appelle mes amis parce que je vous aime tous et même ceux qui pourraient avoir envie de rire ou de plaisanter. Je vous aime parce que, parmi tous les êtres vivants, vous êtes bien mes frères” (Duhamel, Les compagnons de l’Apocalypse). „Je jouais dans le jardin de la villa, apeuré parce qu’on m’avait dit que Gabriel était malade et qu’il allait mourir” (J.P. Sartre, Les Mots).

Quelques structures formées avec parce que 1. La structure non seulement parce que... mais aussi parce que Ex.: „Il (= le général Clark) me fait très bonne impression. Non

seulement parce qu’il dit avec netteté ce qu’il a à dire, mais aussi parce qu’il demeure simple et droit dans l’exercice du commandement” (De Gaulle, L’Unité).

2. La structure parce que... mais surtout parce que Ex.: „Il s’adressait à Daniel parce qu’il paraissait l’aîné – on lui

eût donné seize ans – mais surtout parce que la distinction de ses traits, de toute sa personne, contraignait à certains égards” (Martin du Gard, Le cahier gris; în Al. Lorian, 1966: 34). Il l’aimait parce qu’elle était belle mais surtout parce qu’elle était généreuse.

3. La structure d’abord, parce que (détaché) ... ensuite, parce que... (et que...) enfin, parce que:

Ex.: „Il n’y a guère que le pharmacien „qui fait l’angle” de la rue Alboni et de la rue Raynouard avec lequel j’entretienne des rapports suivis. D’abord, parce qu’il ferme tard; ensuite, parce que je perds mes cheveux et qu’il essaye de les retenir; enfin, parce qu’avec trois enfants, le pharmacien devient vite de la famille” (Daninos, Sonia, les autres et moi; in Lorian, 1966: 34).

4. La structure ce n’est pas parce que...que Ex.: Ce n’est pas parce que tu lui as déjà rendu service que tu

dois l’obliger à te prêter de l’argent (P.Ch.). Ce n’est pas parce qu’il fait mauvais temps qu’il faut renoncer à prendre de l’exercice32.

Remarques. 1. La locution conjonctive parce que peut être reprise par que dans la subordonnée coordonnée à la première:

Ex.: Les voisins n’eurent jamais à se plaindre de lui et sa concierge l’estimait parce qu’il était assez bien fait de sa personne et ________________

32 Dans ces structures on peut employer aussi le subjonctif.

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qu’il avait une jolie moustache noire” (M. Aymé, Derrière chez Martin). „Allons, une petite caresse sur le plat de la tête (= du chat), entre les deux oreilles, là où il y avait cinq rayures noires; bien parallèles d’abord près du nez, puis déployées en éventail sur la nuque – là où souvent on sentait sous les doigts de petites croûtes parce que Pépère (= le chat) s’était battu la nuit et que griffes ou dents avaient labouré son crâne sous le poil” (Lucette Desvignes, Les nœuds d’argile).

La répétition de que peut être omise si les propositions causales coordonnées ont le même sujet; en ce cas, on omet le pronom sujet du deuxième verbe.

Ex.: „Rousseau ajoute que l’on ne devrait pas faire apprendre les fables de La Fontaine aux enfants, parce qu’ils ne les comprennent pas ou les comprennent de travers” (M. Grammont, in Sandf).

2. Si les causes invoquées sont différentes ou ont peu de rapport entre elles, on répète d’habitude la locution conjonctive parce que.

Ex.: „Quelquefois les garçons se moquent de Lalla, parce qu’elle ne sait pas très bien marcher pieds nus et parce qu’elle ne connaît pas les gros mots” (Le Clézio, Désert).

„S’est-elle attachée à ce mioche parce qu’elle lui avait sacrifié sa fortune, ou parce qu’elle lui avait donné son premier baiser tendre?” (Maupassant, Contes, in Sandf.).

3. On répète, en général, la locution conjonctive si les causes sont de nature diverse.

Ex.: „J’ai enchanté l’enchanteur décevant et déloyal que proté-geaient les serpents, les hydres, les crapauds, parce que je suis belle et jeune, parce que j’ai été décevante et déloyale, parce que je sais charmer les serpents, parce que les hydres et les crapauds m’aiment aussi” (Apollinaire, L’Enchanteur).

4. Pour des raisons stylistiques ou logiques, la subordonnée introduite par parce que peut être séparée de la principale par une pause (un point).

Ex.: „Je la taquine, je la provoque: Venez voir, ma tante, n’est-ce pas beau, cette vue et ces vieux toits, là-bas, au fond?... Tout de suite elle se rebiffe: „Je crois que c’est ça que vous avez payé surtout, la vue... Parce que le reste, c’est très mignon, mais enfin, ... dans quelques années, hé, hé, il faut l’espérer, vous serez à l’étroit” (N. Sarraute, Les Tropismes).

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„Je viens d’entrer dans un royaume où tu n’es jamais venu, où tu ne saurais pas me suivre pour me reprendre. Parce que tu ne sais pas ce que c’est que d’avoir mal et de s’enfoncer” (J. Anouilh, Le Sauvage).

5. Après pourquoi... ?, la locution conjonctive parce que s’emploie parfois d’une manière elliptique; le locuteur laisse entendre qu’il n’est pas en mesure de répondre clairement à la question ou de donner plus de détails. Parce que employé absolument marque ainsi le refus ou l’impossibilité d’une explication. L’emploi de ce monorème (appelé aussi par De Boer „conjonction-phrase”) appartient à la langue familière.

Ex.: – Pourquoi quittez-vous cette ville? – Parce que! – Pourquoi ne venez-vous pas? – Parce que. /„Mon cher, ça ne vaut rien d’avoir l’air godiche devant sa femme... – Pourquoi? demanda le comte surpris. – Parce que, répondit-elle lentement d’un air doctoral” (Zola, Nana). / – Tes moindres paroles ont l’air d’une menace! – Avant, tu aurais dit une promesse, Phil. – C’est la même chose, protesta-t-il véhément. – Pourquoi? – Parce que (Colette, Le blé en herbe; in Lorian, 1966: 50). / – Pourquoi as-tu fait cela? – Parce que (H.).

6. Parce que employé comme monorème peut servir encore à demander explication d’un fait mentionné antérieurement. Il est presque l’équivalent sémantique de pourquoi, dans ce cas.

Ex.: – Et savez-vous encore ce qui me rend fière? C’est que je suis sûre – je ne puis absolument douter – qu’heureuse ou malheu-reuse, quoi qu’il arrive, vous ne pourrez mettre notre amour dans un livre, jamais.

– Parce que? Elle éclata de rire, et le repoussa doucement vers le tronc du pin”

(Bernanos, Dialogues d’ombres). „– Je voudrais quitter cette maison. – Parce que? – Parce que je

n’aime plus ma mère” (J. Renard, Poil de Carotte; L.B.). „Le commissaire: Je m’empresse d’ajouter d’ailleurs, qu’à moins

d’un miracle... improbable, il n’y sera donné aucune suite. La dame: Parce que? Le commissaire: Il n’y a que les femmes pour poser des

questions pareilles! Parce que l’Assistance Publique n’est pas ce qu’un vain peuple pense...” (Courteline, in Lorian, 1966: 50).

7. La locution conjonctive parce que peut être employée dans une réponse après la question pourquoi?, la proposition de cause étant séparée de la principale parfois par d’autres éléments linguistiques.

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Ex.: Agnès: „Je n’ai pas le droit de me plaindre de Pierre”. Le premier venu: „Pierre”? Agnès: „C’est mon mari. Je n’aime pas parler de lui”. Le premier venu: „Pourquoi?” Agnès: „Parce que personne ne peut le juger, et moi, moins que personne” (Adamov, L’Invasion).

„– C’est l’histoire d’un lieutenant de pompiers qui monte en haut d’un gratte-ciel pour sauver une petite fille qui allait se jeter dans le vide. – Ah bon... Elle veut se suicider ? – Oui. – Pourquoi? – Parce qu’elle ne s’amuse pas assez à la maison” (A. Robbe-Grillet, Projet pour une révolution à New-York).

8. Après une proposition interrogative introduite par pourquoi?, formulée par le locuteur, celui-ci répond à sa propre question par une proposition subordonnée de cause introduite par parce que.

Ex.: „Pourquoi veux-tu me faire taire? Parce que tu sais que j’ai raison?” (J. Anouilh, Antigone).

9. La proposition subordonnée de cause introduite par parce que peut constituer la réponse à une question que le locuteur a posée d’une manière rhétorique.

Ex.: „Demain, j’aurais tout le canton sur les bras; il ne faut que cette vieille chouette pour rassembler cent corbeaux. Et pourquoi? à qui la faute? Parce qu’une petite fille qui fait aujourd’hui l’entêtée a pris peur, et nous a livrés pieds et poings liés, advienne que pourra!” (Bernanos, Histoire de Mouchette).

10. La locution conjonctive parce que est employée dans la langue familière surtout dans une réponse sans principale exprimée mais sous-entendue.

Ex.: – Vous êtes pressé? – Non. – Parce que nous aurions pu prendre le dîner ensemble (v. le Lexis).

„– Vous en avez pour longtemps avec lui ? /– Non./ – Parce que j’aurais pu vous attendre” (J.Romains, Hommes de

bonne volonté; P.R.). 11. Il arrive parfois que le sujet et le verbe de la proposition de

cause soient supprimés, tandis que la locution parce que est accompagnée d’un adjectif épithète (attribut du sujet de la proposition elliptique) ou d’un participe passé.

Ex.: Il ne répondit rien, parce que très embarrassé. Il est seul parce que méchant. „Il lui arrivait de plus en plus souvent de soup-çonner ses sens de le tromper, et de considérer telle ou telle perception comme nulle parce qu’entachée d’un doute impossible à lever”

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(Tournier, Vendredi). „Il se sentait entouré d’un cercle de mépris. Parce que pauvre, parce que noble, parce que pauvre et noble, parce que citadin, parce que singulier” (Montherland, Les célibataires; P.R.). Voilà l’histoire d’un homme malheureux parce que déçu (H.).

12. La locution conjonctive parce que représentant une propo-sition elliptique peut être employée absolument avec valeur stylistique.

Ex.: „Ursus médecin guérissait parce que... ou quoique. Il prati-quait les aromates. Il était versé dans les simples...” (V. Hugo, L’Homme qui rit; F.B.).

13. Parce que peut engendrer une valeur de cause incertaine s’il est suivi de la forme en – rais (conditionnel).

Ex.: L’avion s’est écrasé contre la montagne parce que ses moteurs auraient pris feu.

Mise en relief de la proposition de cause introduite par la locution conjonctive parce que

On place c’est devant parce que pour mettre en évidence la pro-position de cause.

Ex.: C’est parce que je suis ton ami que je te dis la vérité. C’est parce qu’il était malade qu’il n’est pas venu. „C’est parce que je vous aime que je vous propose cette séparation à l’amiable” (Stendhal, Chartreuse; L.B.). „C’est parce qu’il était un conspirateur qu’elle l’avait d’abord aimé” (A.France, M. Bergeret à Paris).

Remarques. 1. La locution c’est que (ou c’est donc que) suffit parfois à introduire la proposition causale. Elle devient en ce cas synonyme de c’est parce que:

„Pourquoi m’en parles-tu? – C’est sans doute que je n’ai rien à dire”. „D’où vient que nulle part elles ne sont plus vivantes que dans les pages que leur a consacrées Alphonse Daudet? C’est que justement il les a racontées en réaliste et en poète” (Ernest Daudet, Mon frère, in Sandf.). „Tout cela cependant fait un plaisir extrême./C’est que tout est vrai, c’est qu’on trompe et qu’on aime, / C’est qu’on pleure en riant; c’est qu’on est innocent / Et coupable à la fois...” (A. de Musset; F.B.). Si la technique nous fait perdre notre âme, c’est que nous ne méritons pas de la sauver (H.).

2. C’est que se combine parfois avec une proposition introduite par si, de forme hypothétique. Cette protase hypothétique met en évidence le fait principal qui ensuite est expliqué par c’est que.

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Ex.: Si je l’ai fait, c’est parce que j’avais peur de te perdre. S’il réussit c’est qu’il travaille beaucoup. Si je suis incapable d’écrire c’est que j’ai été fort troublé. Si quelque circonstance encore restait dans l’ombre, c’est que Madeleine en jugeait l’explication inutile ou peu prudente. S’il n’est pas venu c’est qu’il était malade. S’il pleure c’est qu’il souffre.

3. C’est que peut alterner avec c’est parce que. Ex.: „Si Chrétien fut très touché de la première question de

Perrinette, c’est parce qu’elle la lui adressa en levant vers lui de jolis yeux. Et si le cœur de Perrinette palpita doucement quand l’étudiant lui répondit, c’est que la voix du jeune homme fut prise alors d’un tremblement d’émotion” (Coppée, Le Coupable; in Sandf.).

Position de la causale introduite par la locution conjonctive parce que dans la phrase

La postposition de la causale est un phénomène linguistique naturel, alors que l’antéposition est un cas assez rare. Le code parlé n’emploie que d’une façon exceptionnelle l’antéposition (par exemple lorsque l’énoncé est empreint d’une forte affectivité). Dans le code écrit, le style dramatique qui imite la langue parlée n’emploie que rarement l’antéposition de la causale. Les propositions de cause anté-posées peuvent se trouver :

a) en tête de phrase, précédées d’une pause. b) placées immédiatement après une conjonction de coordination,

en tête de phrase. Ex.: a) „Parce que nous avons été créés justes et courtois, nous

nous parlons, une heure avant la guerre, comme nous nous parlerons longtemps après, en anciens combattants” (J. Giraudoux, La Guerre de Troie...).

„Parce qu’il était roux comme un renard, sa mère l’avait voué dès sa plus petite enfance aux vêtements verts, et elle lui avait inculqué la méfiance du bleu qui ne s’accordait, disait-elle, ni à la rouille de ses cheveux ni à teinte de ses vêtements” (Tournier, Vendredi). „Parce que les variations saisonnières servent de cadre à notre mémoire, notre passé nous paraît plus fortement teinté que le présent par les couleurs conventionnelles des mois de l’année, et cela d’autant plus qu’il est plus lointain” (Tournier, Les Météores).

„Parce qu’il était nomade, laissé à lui-même et chamelier, Ibrahim nourrissait à l’égard des oasiens un mépris indulgent, nullement tempéré par le fait qu’il travaillait pour eux et leur devait sa subsistance” (Tournier, La goutte d’or).

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b) La locution conjonctive parce que peut être précédée d’une conjonction de coordination :

„Chateaubriand a dépeint les légions et les barbares; mais parce qu’il pense toujours selon le progrès et selon une grande distance de temps, ce qui este refuser de croire, il n’arrive à faire tenir ses person-nages sur cette terre-ci” (Alain, Propos de littérature, in Lorian, 1966: 57).

La locution conjonctive pour ce que (= en raison du fait que, etc.)

Cette locution est devenue archaïque à la fin du XVIIe siècle. On considère que la valeur un peu particulière de cette construction provient du sens neutre de ce que et du sens complexe de la préposition pour qui est à la fois causale (= parce que) et adversative (cf. pour peu que).

Ex.: „Pour ce qu’on me persuadait...” (Descartes, Discours de la méthode). „La femme du marchand l’estimait pour ce qu’il craignait Dieu” (Henriot, Aricie Brun; L.B.). „Il pâlissait d’une joue et, tout à la fois pour ce qu’il avait vu le diable” (Aymé, Jument verte). „Le costume trotteur, ainsi nommé par antiphrase, pour ce que sa jupe bride la jambe, rapproche les genoux, use les bas et entrave la marche” (Colette, Le voyage égoïste; Sandf.). „Si donc le sujet du Cid se peut dire mauvais, nous ne croyons pas que ce soit pour ce qu’il n’y a point de nœud, mais pour ce qu’il n’est point vraisemblable” (Observations de l’Académie française sur le Cid).

Remarque. Certains auteurs emploient pour ce que au sens de autant que, comme.

Ex.: „Dans ses notes, mon père dit qu’il a écarté la possibilité que la trésor du Corsaire fût dans Frégate, à cause de la petitesse de l’île, de l’insuffisance d’eau, de bois, de ressources. Pour ce que j’ai pu voir, il avait raison” (Le Clézio, Le chercheur d’or).

La conjonction puisque Cette conjonction causale est formée de puis (lat. pop. postius,

après, ensuite) et de que; elle possédait dans l’ancien français un sens temporel et signifiait après que ou après ceci que.

Remarques sur les valeurs causales introduites par puisque (qui marque „la cause raisonnante”):

1. Cette conjonction suppose l’intention de persuader, l’existence des arguments considérés comme incontestables; elle marque le point de départ d’où le raisonnement tire une conclusion; c’est pourquoi cette

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conjonction doit être employée lorsqu’on veut exprimer un raisonnement, un jugement. Puisque indique que la cause est dans un fait antérieur; cette conjonction rappelle pour confirmer une assertion, quelque chose d’admis ou de convenu, quelque chose qu’on suppose ne pas pouvoir être désavoué ou contesté.

2. Suivant W. von Wartburg et Paul Zumthor (Syntaxe, p. 92) puisque suppose l’intention de convaincre: „celui qui parle énonce la cause de l’action principale comme s’il insistait sur le caractère incon-testable de son raisonnement; quant à l’interlocuteur il connaît déjà ou est censé connaître l’existence du fait donné ici comme la cause de l’action principale”.

3. Selon G. et R. Le Bidois puisque explique ce que la proposition principale énonce:

„Un autre point à remarquer au sujet de puisque, c’est que la causale qu’il introduit sert parfois à expliquer, non le fait contenu dans la principale, mais l’acte intellectuel (constatation, jugement, affirmation, etc.) qui conduit à poser ce fait. Ainsi quand l’âne de la fable déclare: „Je n’en avais nul droit, puisqu’il faut parler net” (La Fontaine, VII, 1), la causale n’énonce pas pourquoi l’âne n’avait aucun droit de manger l’herbe, mais elle explique pourquoi il vient de faire cet aveu. On voit qu’ici l’un des chaînons du raisonnement logique est sous-entendu: „Je n’en avais nul droit et puisqu’il faut parler net, j’en fais l’aveu devant vous” (Syntaxe du français moderne, Paris, Picard, 1965, § 1467 bis).

À l’avis de Léon Wagner „par puisque, on donne un motif comme naturel, et, pour ainsi dire, indiscutable, évident, comme quelque chose qu’on suppose ne pouvoir être désavoué ou contesté” (Grammaire du français classique et moderne, Paris, Hachette, 1962).

Selon Tesnière, puisque introduit une proposition causale coercitive; dans cette proposition „non seulement la cause est donnée comme entraînant la conséquence exprimée par la proposition régissante, mais celle-ci est donnée comme étant la conséquence inéluctable de celle-là: puisque tu le désires, je partirai” (Éléments de syntaxe structurale, Paris, Klincksieck, 1959, p. 590).

M. Arrivé et alii montrent en quoi consistent les différences sémantique et fonctionnelles entre parce que et puisque:

a) puisque ne peut pas introduire une réponse à une question, contrairement à parce que; b) parce que peut constituer à lui seul une réponse (pourquoi l’a-t-il fait? parce que); c’est d’ailleurs la seule conjonction à avoir cette propriété; c) avec parce que, c’est la principale

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qui représente le fait connu, et la subordonnée qui apporte l’information; c’est l’inverse avec puisque. D’où l’effet de présupposé de puisque; c’est pourquoi, il est plus fréquent de voir la subordonnée en puisque en tête de phrase, et celle en parce que à la fin; d) enfin, seul parce que peut être construit avec c’est... que (c’est parce qu’il sait le latin que je l’aime). La grammaire d’aujourd’hui, Paris, Flammarion, 1986.

Exemples: „J’aurais voulu ne pas penser aux heures d’angoisse que je passerai ce soir seul dans ma chambre sans pouvoir m’endormir; je tâchais de me persuader qu’elles n’avaient aucune importance, puisque je les aurais oubliées demain matin...” (M. Proust, Du côté de chez Swann). „Enfin, je tenais ce qu’il me fallait; l’Ennemi haïssable, mais somme toute inoffensif, puisque ses projets n’aboutissaient pas et même, en dépit de ses efforts et de son astuce diabolique, servaient la cause du Bien” (J.-P. Sartre, les Mots). „À ce point du récit qui laisse Bernard Rieux derrière sa fenêtre, on permettra au narrateur de justifier l’incertitude et la surprise du docteur, puisque, avec des nuances, sa réaction fut celle de la plupart de nos concitoyens” (Camus, La Peste). „Richard trouvait qu’il ne fallait rien pousser au noir et que la contagion d’ailleurs n’était pas prouvée puisque les parents de ses malades étaient encore indemnes” (Camus, La Peste). „En attendant, essayons de converser sans nous exalter, puisque nous sommes incapables de nous taire” (Samuel Beckett, Godot). „Il a d’ailleurs fini par le comprendre puisqu’il m’a rappelé pour revoir tout d’un bout à l’autre avec lui” (Adamov, L’Invasion). „Cette ville a existé puisqu’elle s’est effondrée... C’était la ville de lumière, puisqu’elle s’est éteinte, éteinte depuis quatre cent mille ans” (Ionesco, Les chaises). „Aujourd’hui, nous sommes par 12038 sud et 54030 est, et le calcul de notre situation fournit la réponse à ma question sur le temps, puisque cela signifie que nous sommes à deux jours de navigation de l’île, quelques minutes trop à l’est à cause des alizés qui nous ont fait dériver pendant la nuit” (Le Clézio, Le chercheur d’or).

„Puisque l’éditeur lui disputait l’accidentel, il voulait du moins ne rien céder sur la vérité psychologique” (M. Aymé, Le romancier Martin). „Puisque monsieur le Comte est sorti, je vais être plus à l’aise pour vous exposer la chose” (M. Aymé, Clérambard). „Et puisqu’un homme mort n’a de poids que si on l’a vu mort, cent millions de cadavres semés à travers l’histoire ne sont qu’une fumée dans l’imagi-nation” (Camus, La Peste). „Mais puisqu’il entendait ne pas cesser d’entasser récolte sur récolte aussi longtemps qu’il en aurait la force, il

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fallait sévir contre les parasites” (Tournier, Vendredi). „Puisqu’il a déposé ses bagages, il est impossible que nous ayons demandé pourquoi il ne les dépose pas” (Samuel Beckett, Godot).

Remarques. 1. Le rapport de causalité se trouve renforcé lorsqu’on répète la locution conjonctive puisque:

„Qu’importe dès lors que les actions, les émotions de ces êtres d’un nouveau genre nous apparaissent comme vraies, puisque nous les avons faites nôtres, puisque c’est en vous qu’elles se produisent” (M. Proust, Du côté de chez Swann). „J’ai bien assez vécu, puisque dans mes douleurs / Je marche sans trouver de bras qui me secourent, / Puisque je ris à peine aux enfants qui m’entourent, / Puisque je ne suis plus réjoui par les fleurs...” (V. Hugo, Contemplations; P.R.). „Puisque j’ai mis ma lèvre à ta coupe encore pleine; / Puisque j’ai dans tes mains posé mon front pâli; / Puisque j’ai respiré parfois la douce haleine / De ton âme, parfum dans l’ombre enseveli...” (V. Hugo, Chants du crépuscule; F.B.). „Puisqu’on a reconnu aux femmes une exquise habileté à soigner les malades, puisqu’elles furent de tout temps des consolatrices et des guérisseuses, puisqu’elles fournissent à la société des infirmières et des sages-femmes, comment ne pas louer celles qui non contentes de l’apprentissage nécessaire, poussent jusqu’au doctorat leurs études médicales et s’accroissent ainsi en dignité et en autorité ?” (A. France, Le Jardin d’Épicure; Lorian).

2. Alors que l’ellipse du sujet et du verbe est fréquente après parce que, elle est rare après puisque:

„Le commandant Estherhazy, bon catholique, puisque zouave du pape, mais déplorable Français” (Clémenceau, L’iniquité; P.R.).

3. Puisque peut être repris par que dans une autre subordonnée coordonnée à la première:

„Puisque je consens et que ta mère approuve, ça suffit” (Guitry, Un sujet de roman; Sandf.). „Puisqu’elles (= Elsa et Anne) ne sont pas là et qu’elles se permettent de nous faire attendre, viens danser avec ton vieux père et ses rhumatismes” (Sagan, Bonjour tristesse). „Il est rentré des champs plus tôt que d’ordinaire, puisqu’il y a encore un peu de jour, et qu’on voit assez „pour se conduire dans la campagne” (Bazin, Baltus le Lorrain; Sandf.).

4. La proposition causale introduite par puisque peut dépendre d’une proposition interrogative bien que séparée de celle-ci par un point d’interrogation:

Ex.: „Qu’est-ce que je pouvais faire? Puisqu’il paraît que je ne suis même pas capable de taper à la machine!” (Adamov, L’Invasion).

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5. Puisque peut introduire une proposition exclamative indépendante. Ex.: Mais puisque je vous le dis! Mais puisqu’il n’en veut pas!

La locution conjonctive du fait que Cette locution exprime la relation causale de façon purement

objective; elle a le sens de puisque. Ex.: Elle ne viendra pas du fait qu’elle est malade (B). Du fait

qu’il ne nous avait pas avertis à temps, nous l’avons manqué (Z). Du fait qu’il ne se présenterait pas, il perdrait toute chance (H). Du fait que la tension internationale s’aggrave, les peuples sont inquiets (Mitterand).

La locution conjonctive du seul fait que En employant cette locution on souligne la cause. Elle signifie

„pour cette seule raison que”. Ex.: „Du seul fait que j’admettais la possibilité de le faire naître

artificiellement, j’en avais implicitement reconnu l’illusion” (Proust, à la recherche du temps perdu). Il a échoué à l’examen du seul fait que l’examinateur l’a questionné justement sur ce chapitre-là (Z). Du seul fait qu’on le rappelait aux affaires, il voyait la situation sous un jour moins tragique (M. Druon, Rendez-vous aux enfers; H.).

La locution conjonctive à cause que Le français populaire et le français régional emploient encore à

cause que au sens de parce que; cette locution était usuelle en français classique.

a) exemples extraits de textes écrits en français classique: „Et voilà qu’on la (= Martine) chasse avec grand fracas, / à cause qu’elle manque à parler Vaugelas” (Molière, Les Femmes Savantes, II, 7). „Sa naissance inconnue est peut-être sans tache, / Vous la présumez basse à cause qu’il la cache” (Corneille, Don Sanche). „D’où vient qu’un boiteux ne nous irrite pas et qu’un esprit boiteux nous irrite? à cause qu’un boiteux reconnaît que nous allons droit...” (Pascal, Pensées; L.B.).

b) Parmi les auteurs qui emploient au XXe siècle cette locution lorsque les personnages de leurs œuvres s’expriment en français populaire ou familier, il faut citer Francis Carco, Georges Courteline, Apollinaire.

Ex.: „À cause donc? à cause que t’oserais pas” (Courteline, Gaîtés; Sandf.). „Il m’a fait une postiche à cause que je suis rentrée après-midi” (Carco, Pigalle). „Je balbutiai sans oser nier à cause que m’imaginai

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avoir affaire à un éditeur original qui, séduit par ma littérature, venait m’en demander contre espèces” (Apollinaire, L’Hérésiarque et Cie).

Remarque. On emploie parfois cause que au lieu de à cause que. Ex.: „Il a hérité d’une tante, l’an dernier, et il a acheté un cheval

et une voiture. On lui confie des chargements, par-ci, par là, cause qu’il n’est pas demandant, mais des voyageurs, pensez-vous ?” (Bernanos, Un crime).

Les locutions conjonctives rapport que et rapport à ce que Ces locutions conjonctives appartiennent à la langue populaire.

Elles sont proscrites par les puristes et, par conséquent, elles ne doivent pas être employées dans la langue littéraire à la place de parce que.

Rapport que Ex.: „Je suis né un pied sans doigts, rapport que maman a eu

peur un jour que j’étais pas au monde” (Marni, à table; Sandf.). „Moins belle que la Judith, mais d’approche plus facile (rapport qu’elle tient café), l’Adèle est sympathique” (G. Chevalier, Cloche-merle; L.B.).

Rapport à ce que Ex.: „Il est utile à Maurice rapport à ce qu’il connaît un tas de

bookmakers” (Bataille, L’enfant de l’amour; Sandf.).

Locutions conjonctives appartenant à la langue juridique et administrative

Au XVIe siècle, lorsqu’on a constitué la langue juridique et administrative, on a éprouvé le besoin de donner des exposés de motifs dans les jugements. On a employé dans ce but vu, attendu, considéré et les locutions conjonctives formées avec ces mots vu que, attendu que, considérant que.

La locution conjonctive vu que Cette locution marque assez faiblement le rapport de causalité;

elle insiste moins qu’attendu que sur le rapport causal; en présentant la cause comme un motif d’ordre sensible, vu que fait ressortir l’idée d’une considération intellectuelle moins approfondie qu’attendu que.

Ex.: Vous ne pouvez entrer, vu qu’il y a déjà trop de monde (Acad.). Il faut renoncer à ce projet vu que les crédits sont épuisés. Il n’osait pas entrer vu qu’il n’avait pas le sou (Z.). „J’ai presque envie

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de dire „mon neveu”, vu qu’il a l’âge de l’être et que sa mère jadis fut une vraie sœur pour moi” (Jules Romains, Hommes de bonne volonté; Sandf.). Il ne viendra pas vu qu’il est malade; „On la mettait (= la girafe en pain d’épice) près de son lit quand il était malade, il avait le droit de la regarder mais pas de la toucher, vu qu’elle aurait fondu toute dure qu’elle était au contact de ses mains fiévreuses” (Lucette Desvignes). Il y a peu de clients, vu que la saison est mauvaise (P.Ch.).

La locution conjonctive attendu que Cette locution qui fait partie de la catégorie des exposants de

motifs présente la cause comme un motif d’ordre intellectuel et propre à déterminer l’effet. Attendu que signifiait „ayant fait attention que”; en français contemporain, elle a le sens de étant donné que, puisque, vu que.

Ex.: Attendu que l’accusé avoue, le jugement sera facile (Acad.). On ne peut se fier à ces résultats, attendu que les calculs sont approxi-matifs (le Lexis). Attendu que l’un des moteurs était en flammes, le pilote essaya d’atterrir en catastrophe. „Les femmes aiment les mauvais sujets et elles ont extrêmement raison, attendu que les mauvais sujets sont beaucoup plus aimables que les bons” (O. Feuillet; L.B.).

La locution conjonctive considérant que

Cette locution fait aussi partie de la catégorie des „exposants de motifs”; elle indique „comment le rôle du participe s’efface et com-ment la syntaxe qui rapportait d’abord l’action de considérer à un sujet s’oblitère”. L’expression est synonyme d’attendu que (v. F. Brunot, La Pensée et la Langue).

Ex.: Considérant que j’ai peu d’expérience, je ne jugerais pas de cette situation à la légère.

La locution conjonctive à preuve que Cette locution qui est apparentée aux „exposants de motif” a le

sens de la preuve en est que et elle appartient, en général, à la langue familière.

Ex.: „Mais je ne me cache pas! repris-je avec impatience: à preuve que je viens de frapper chez elle” (Estaunié, Tels qu’ils furent; P.R.). Les gaz sont fluides à preuve qu’ils n’ont pas de cohésion et qu’ils prennent la forme du récipient qui les contient. „Il est fait comme un

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homme. à preuve que j’ai cru que c’était mon homme” (A. France; le Lexis).

Remarque. Dans la langue populaire, on emploie à preuve que à la place de la preuve, c’est que: „À preuve que ma femme y va” (Lavedan, Les beaux dimanches; Sandf.). „À preuve que j’ai fait retirer des fonds qu’il y avait déposés” (O. Mirbeau, Le journal...).

La locution conjonctive pour la seule raison que

Ex.: „Ce qui était plus remarquable et Rambert le remarqua en conséquence, c’était la manière dont, au plus fort d’une catastrophe, un bureau pouvait continuer son service et prendre des initiatives d’un autre temps, souvent à l’insu des plus hautes autorités, pour la seule raison qu’il était pour ce service” (Camus, La Peste).

La locution conjonctive état donné que Cette locution a presque la même valeur sémantique que puisque,

mais elle marque plus puissamment encore la rigueur qui doit exister dans un raisonnement, dans une inférence33.

Ex.: „Étant donné que l’activité du pays dépend du charbon, du courant électrique, du gaz, du pétrole et dépendra un jour de la fission de l’atome, que pour porter l’économie française au niveau qu’exige le progrès, ces sources doivent être développées dans les plus vastes proportions...”. (De Gaulle, L’Appel). Étant donné qu’il ne vient pas, nous pouvons partir (P.R.).

Conjonctions et locutions conjonctives de cause à nuance temporelle:

comme, du moment que, dès lors que, maintenant que, dès que, à présent que, quand , alors que, lorsque

La conjonction comme Selon Kr. Sandfeld (op.cit., p. 324), comme: „désigne proprement

la conformité de la cause avec l’effet”. Suivant cet auteur, comme est, en quelque sorte, synonyme de puisque étant donné qu’il sert à alléguer un fait dont un autre fait est la suite naturelle”. Il souligne que la conjonction comme diffère cependant de puisque „en ce que la ________________

33 Cette locution appartient proprement au style juridique et administratif; elle s’apparente à la catégorie des „exposants de motifs”.

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proposition qu’il introduit ne marque pas un fait connu ou présenté comme tel”.

Un déplacement du sens temporel au sens causal a eu lieu anciennement en ce qui concerne la conjonction comme. Le glis-sement sémantique du domaine de la temporalité au domaine de la causalité est très visible dans l’exemple suivant extrait de Salammbô de Gustave Flaubert: „Comme le vent avait cessé, la voile tomba”. Suivant G. et R. Le Bidois (op.cit., § 1468) qui commentent cet exemple, il est clair que la voile est tombée au moment où le vent a cessé; selon ces auteurs, dans l’exemple cité, la valeur temporelle s’efface presque tout entière devant la valeur logique de causalité. Comme introduit par conséquent „une causale raisonnante” parce que cette conjonction montre qu’un fait est la suite logique d’un autre.

Position dans la phrase de la proposition de cause introduite par comme

Généralement la proposition de cause introduite par comme précède la principale; tous les grammairiens soulignent que la conjonction causale comme est presque toujours antéposée: „la proposition intro-duite par comme se place régulièrement au début de la phrase”. (Sandfeld, op.cit., p. 325): „la subordonnée causale introduite par comme précède généralement la principale” (M. Grevisse, Le Bon Usage, p. 1019). Plusieurs facteurs semblent avoir contribué à déterminer la place de comme en tête de phrase: son origine (il remonte aussi à comme comparatif qui préférait dans l’ancienne langue l’antéposition), sa valeur de base (selon Paul Imbs34, comme constitue „le point de départ et la justification d’un fait nouveau”), l’opposition avec les autres comme qui n’expriment pas la cause) „comme causal se consacre exclusivement à l’antéposition, tandis que les autres comme jouissent d’une parfaite liberté de mouvement”)35.

Comme antéposé Ex.: „Comme ma grand-tante croyait que Swann devait être

flatté par nos invitations, elle trouvait tout naturel qu’il ne vînt pas nous voir l’été sans avoir à la main un panier de pêches et de framboises de ________________

34 P. Imbs, Les propositions temporelles en ancien français. Paris, Les Belles Lettres, 1956, p. 168.

35 Lorian, op.cit., p. 91.

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son jardin” (M. Proust, Du côté de chez Swann). „Comme je n’avais aucune notion sur la hiérarchie sociale, depuis longtemps l’impossibilité que mon père trouvait à ce que nous fréquentions Mme et Mlle Swann avait eu plutôt pour effet, en me faisant imaginer entre elles et nous de grandes distances, de leur donner à mes yeux du prestige” (M. Proust, ibidem). „Comme il n’usait pas de tabac, au lieu d’une énorme mouchoir de couleur, il sortit un petit mouchoir de batiste blanche, fort peu ecclésiastique” (Apollinaire, L’Hérésiarque). „Comme ils étaient pauvres, sa grand-mère et lui, il avait dû de très bonne heure naviguer à la pêche, et son enfance s’était passée au large” (P. Loti, Pêcheur d’Islande). „Comme ils avaient le même nom, on ne pouvait pas les distinguer l’un de l’autre quand on les voyait ensemble” (Ionesco, La Cantatrice chauve). „Comme il faisait grand froid, dans ce réduit sombre, poudreux, où tout être humain ressemblait à son propre fantôme, la reine Marie-Antoinette ne put réprimer un léger frisson” (Duhamel, Suzanne). „Comme il redoutait les rayons de soleil déjà haut dans le ciel, il se coiffa d’une fougère roulée en cornet, plante qui foisonnait à la limite de la plage et de la forêt” (Tournier, Vendredi). „Comme il était violoniste, il se sentait peu compromis par les accords qu’on lui demandait de plaquer sur un vieux piano droit pour ponctuer les couplets ineptes que le chansonnier débitait sur l’avant-scène” (Tournier, Que ma joie demeure).

Remarque. Dans la phrase complexe, la causale introduite par comme peut se trouver à l’intérieur de la période, toujours en anté-position par rapport à la principale:

Ex.: „Or l’enchanteur mort avait tout entendu et comme il détestait les troupeaux, les peuplades et toute congrégation en général, il eut une violente colère et cria; et sa voix fut inouïe dans la forêt florale et ensoleillée” (Apollinaire, L’Enchanteur).

La postposition de comme causal

La postposition de comme est un fait linguistique extrêmement rare. G. et R. Le Bidois en parlent de la façon suivante: „Quand elle (= la subordonnée de cause) est introduite par comme, elle doit régulièrement précéder la principale... Cependant certains écrivains d’aujourd’hui emploient parfois l’ordre inverse: „Les visites finies (ma grand-mère dispensait que nous en fissions une chez elle, comme nous y dînions ce jour-là), je courus jusqu’aux Champs-Elysées” (Proust, à l’ombre des Jeunes-Filles...); ici comme introduit une sorte

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d’explication après-coup, plutôt qu’une causale proprement dite. Cette construction est très fréquente chez Proust” (§ 1468).

Lorian36 n’a dépisté qu’un seul exemple de postposition de comme sur les quelque cent soixante-dix cas de comme causal relevés dans un corpus de textes littéraires:

„– Vous l’avez mis à la porte? – Je n’ai pas osé. J’ai cru tout d’abord qu’il était envoyé par

Monsieur, comme je sais que Monsieur a des idées avancées” (M. Aimé, Travelingue).

Remarques. 1. Par analogie avec les locutions formées au moyen de que, la conjonction comme se fait remplacer par que devant une proposition de cause coordonnée ou juxtaposée à une autre.

Ex.: „Comme à un nouvel art il fallait une nouvelle Muse et que, d’autre part, j’étais moi-même le créateur de cet art et par conséquent sa muse, j’adjoignis tout simplement à la troupe des Neuf Sœurs ma personnification féminine sous le nom de baronne d’Ormesan” (Apollinaire, L’Amphion).

„Comme les trains sont rares, que les cars ont disparu, que l’essence est introuvable, les citadins prolongent leur journée de travail par des heures de marche ou, au mieux, de bicyclette…” (De Gaulle, L’Appel).

2. L’attribut du sujet peut être mis en évidence si on le place immédiatement après la conjonction comme:

Ex.: „Comme des cousins qu’ils étaient, ils avaient continué de se tutoyer” (P. Loti, Pêcheur d’Islande).

3. Dans la langue familière, on emploie comme dans une con-struction elliptique. Dans ce cas, comme se trouve placé après la principale. Cette structure était fréquente dans le français classique.

Ex.: Il l’a chassé comme trop insolent. „Nous rappelons le passé, pour l’arrêter comme trop prompt” (Pascal, Pensées). On préféra ce moyen comme plus doux (Acad.).

La locution conjonctive du moment que

Cette locution se prend souvent au sens causal et alors elle montre que la cause est dans un fait contemporain:

„La locution de contemporanéité du moment que est devenue une locution causale: „L’idée de résister plus ou moins longtemps du moment qu’elle ne pouvait résister toujours ne lui vint pas à l’esprit…” ________________

36 Al. Lorian, op.cit., p. 100.

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(Musset, Emmeline). „Du moment que Laurent trouvait du calme et du bien-être auprès d’elle, elle en trouvait elle-même à lui en donner” (G. Sand, Elle et lui, F. Brunot, La Pensée et la Langue, Paris, Masson, 1936).

Exemples: „Du moment que notre ville favorise justement les habitudes, on peut dire que tout est pour le mieux” (Camus, La Peste). „Du moment que nous déchirons fiévreusement chaque matin la bande du journal, alors on devrait changer les choses et mettre dans le journal, moi, je ne sais pas, les.. Pensées de Pascal !” (Proust, Du côté de chez Swann). „Du moment que ma pitance était servie à Calèse, comment serais-je allé me nourrir ailleurs?” (Mauriac, Nœud de vipères). Du moment que vous avez travaillé dans ce laboratoire, vous devriez savoir vous servir du microscope électronique. Du moment qu’on le pouvait, il fallait donner aux enfants des livres et des maîtres (Rougerie). Du moment que je l’ai connu, je l’ai aimé (Acad.). Du moment que vous me le demandez, je vous cède la place (P. Ch.).

La locution conjonctive dès lors que Cette locution peut avoir le sens de puisque, du moment que; elle

appartient plutôt à la langue soutenue. Ex.: Dès lors qu’il avoue sa faute, elle lui sera pardonnée (le

Lexis). Dès lors qu’il possède les diplômes requis, il n’y a pas de raison pour lui refuser ce poste (Z.). Nous devons renoncer à vous tirer de cette situation critique, dès lors que vous ne faites pas d’efforts. Il va de soi que je m’arrête là, dès lors que vous me trouvez ennuyeux. Dès lors que vous n’avez rien objecté, vous êtes considéré comme acceptant (B.). „Il devenait difficile, dès lors qu’elle ne s’en allait pas, de la tenir ainsi debout” (Martin Du Gard, Les Thibault; Sandf.). Dès lors que vous abandonnez vos prétentions excessives, nous devrions pouvoir nous entendre (Mitterand).

La locution conjonctive maintenant que Cette locution marque une relation causale entre deux événements

qui se suivent dans le temps. Ex.: Maintenant qu’il fait beau, nous pouvons sortir nous

promener. Maintenant que vous allez mieux, vous pourriez partir pour Nice. Maintenant que nous avons raté le train, il ne nous reste plus qu’à passer la nuit dans la salle d’attente de la gare. „Vigneron s’écoute un peu maintenant que le voilà dans l’aisance” (Becque, Corbeaux; L.B.).

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La locution conjonctive dès que Ex.: Dès qu’il avait bu un verre, il déraisonnait (H.). Dès que

vous prenez la défense d’un pareil individu, je n’ai plus rien à dire (F. Brunot). „Ainsi les roses perdent leurs bonnes joues dès qu’on heurte le vase” (Cocteau, Écart; Sandf.). „Pourquoi se feraient-ils faute de pleurer dès qu’ils voient que leurs pleurs sont bons à tant de choses?” (J.J. Rousseau, in Wagner). Dès que vous le dites, je vous crois (H.D.T.).

La locution conjonctive à présent que Ex.: „Mais à présent que ses sentiments devaient se traduire par

des déterminations qui, elles-mêmes, devaient toutes avoir des consé-quences publiques, il s’était fait une volonté” (Lemaître; F. Brunot).

La locution conjonctive dès l’instant que Cette locution indique la cause dont la conséquence immédiate

est traduite par la principale. Ex.: „Dès l’instant que tu es aussi niais que tu l’es, c’est inquiétant”

(Farrère, Dames; Sandf.). „Aux États-Unis, la science des marchés est strictement machiavélique dans son inspiration et ses méthodes, dès l’instant qu’elle analyse implacablement les conditions du recrutement d’une clientèle” (Siegfried; P.R.). „Dès l’instant que Mme Goupil a de la visite …, vous n’allez pas tarder à voir tout son monde rentrer” (Proust, Du côté de chez Swann; L.B.).

La conjonction quand Quand peut parfois marquer la cause et a alors le sens de du

moment que, dès lors que; cette valeur causale peut se combiner avec une nuance d’opposition. Une proposition amenée par quand (ou alors que, lorsque) peut prendre une valeur causale surtout si elle dépend d’une principale interrogative.

Ex.: Comment n’aurais-je pas été ému quand toute l’assemblée fondait en larmes? (Grevisse). Et pourquoi jeûne-t-il quand tout le monde mange? (Rostand; P.R.). „Comment ne nous serions-nous pas intéressé à la lutte entre M. Barodet et M. de Rémusat, quand tout Paris se passionnait pour cette élection ?” (Donnay, in Sandf.).

La locution conjonctive alors que Cette locution peut introduire des propositions causales, non

seulement des propositions temporelles et d’opposition.

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Ex.: „Comment les riches Parisiens peuvent-ils jouir gaiement de leur luxe, alors que pour quitter la ville ils doivent traverser quinze kilomètres d’une banlieue sordide?” (Duhamel, Querelles; Sandf.). „Pourquoi avez-vous fait cette dépense, alors que nous avons si peu de ressources?” (Grevisse).

La conjonction lorsque Il peut arriver que lorsque prenne une valeur causale. Ex.: Lorsque l’essence a un indice d’octane faible, elle ne peut

être utilisée que très partiellement dans le carburant ordinaire.

Locutions conjonctives causales à nuance comparative37 (d’autant que, d’autant plus que, d’autant moins que,

d’autant mieux que) La relation de causalité, le rapport cause-effet peut être exprimée

au moyen de propositions introduites par des locutions conjonctives de comparaison. Dans ces propositions, la cause semble due, entre autres, soit à un accroissement, soit à une diminution ou à un mouvement régulier: „Quand le membre conséquent ne comporte pas de comparatif, l’idée de mesure ou de proportion s’effaçant, d’autant plus que, d’autant moins que, d’autant mieux que marquent plus spéciale-ment la cause; ils signifient alors à peu près „surtout parce que” et servent, comme dit l’Académie, à relever l’importance d’un motif de penser ou d’agir” (M. Grevisse, Le Bon Usage). Selon Hanse ces locutions con-jonctives de comparaison marquent un degré sur lequel influe la cause qui suit.

La locution conjonctive d’autant que Selon P. Zumthor et coll. dans une phrase qui contient la locution

d’autant que introduisant une causale „l’effet exprimé dans la principale est donné comme ayant, par suite de cette cause, une intensité plus grande qu’il n’est vraisemblable, ou normal, ou attendu par l’interlo-cuteur” (Syntaxe, p.96).

Ex.: „J’avais grand-peur d’être grondé, d’autant que M. Hamel nous avait dit qu’il nous interrogerait sur les participes” (Daudet, La dernière classe). Je n’ai encore rien pu faire, d’autant qu’il ne m’a pas envoyé les documents (Z.) Dans cette affaire, il faut procéder avec ________________

37 Locutions proportionnelles énonçant la cause (Le Bidois, 1471).

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circonspection d’autant que les fautes qu’on peut y faire risquent d’avoir des conséquences graves.

„Il s’assimilait lui-même des éléments de toutes provenances, parfois assez disparates, et dont la disparité ne le choquait ni ne le gênait, d’autant qu’il leur faisait subir une sorte d’accommodation qui suffisait à leur donner une homogénéité superficielle” (G. Paris, in Bédier, Tristan, préface; P.R.) „Ils en avaient tous perdu la tête, d’autant qu’on était en plein cœur d’août” (A. Daudet, Tartarin sur les Alpes; Sandf.). „J’avais un faible pour la psychologie, d’autant que j’y croyais avoir quelques aptitudes” (A. Hermant, Xavier; Grev.). „Je n’osais l’interroger d’autant que, revenue soucieuse et taciturne, elle répondait distraitement à mes questions” (H. Bosco, L’Âne Culotte; Grev.). „Obéirai-je, n’obéirai-je pas? on croirait que vous ne vous êtes même pas posé la question, c’est inouï! D’autant que votre programme ne tient pas debout, permettez-moi de vous le dire” (Bernanos, Monsieur Ouine).

La locution conjonctive d’autant plus que Ex.: La chaleur dans cette ville était torride d’autant plus qu’on

ne sentait pas comme à Nice la brise de la mer. Il agissait avec d’autant plus de chaleur qu’il était animé par la reconnaissance (Acad.). „Et puis un jour, ce fut le drame. Un drame d’autant plus grave qu’il ne reposait sur rien” (Exbrayat, Félicité de la Croix Rousse). „La galerie marchande, brillamment illuminée par un éclairage cru et multicolore fait d’autant plus mal aux yeux que l’on sort d’un long passage dans la pénombre” (ap. A. Robbe-Grillet, Projet…). „La chaleur était étouffante, et Lucien souffrait dans ses vêtements sombres et épais de clerc de notaire, d’autant plus que la bière frappée qu’Edith l’avait invité à boire dès son arrivée, l’avait aussitôt inondé de sueur”. (Tournier, Le Nain rouge). „Le Père n’avait jamais voulu aller voir cette marque extérieure de richesse, et Francisque se montrait d’autant plus aimable et grand seigneur qu’il espérait bien humilier le Père à travers les commentaires du jeune frère et de la sœur invités avec tant d’insistance” (Lucette Desvignes, Les nœuds d’argile). „De tant de gêne et de privations, bien des Français s’étonnent et s’irritent, d’autant plus qu’ils avaient supposé en être, comme par enchantement, débarrassés à la libération” (De Gaulle, L’Appel). „En outre les Britanniques avaient d’autant plus tendance à nous absorber que nous compliquions leurs affaires” (De Gaulle, L’Appel).

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La locution conjonctive surtout que Cette locution a le sens de „d’autant plus que”, etc. Selon

P. Zumthor et coll. (Syntaxe, p. 95), „cette locution présente la cause de l’action principale comme ayant une valeur telle, qu’elle pourrait produire encore bien d’autres effets que ceux qui sont signalés”. Ce tour familier est condamné „par les puristes, mais il doit être considéré comme acceptable chaque fois que la valeur causale est parfaitement claire” (G. et R. Le Bidois, op. cit., 1472).

La locution surtout que, bien que généralement condamnée par les grammairiens, s’est implantée vigoureusement dans l’usage littéraire (v. M. Grevisse, Le Bon Usage, XIIe édition).

Ex: Je partirai de bon matin, surtout que les journées sont très courtes (H.). „On ne fait pas du pré dans une baissière (= creux ou séjourne l’eau de pluie dans les labours) en pleins bois, surtout que le fond est gras” (M. Aymé, La Vouivre). „Quand il aura vu Paul, il pourra bien le quitter, surtout que ce ne sera pas pour longtemps” (Chamson; le Lexis). „Cela nous amusait, surtout que c’était aux dépens des autres” (R. Dorgelès, Partir…; in Grevisse). „Ce que j’en dis est pour tranquilliser Marinette. Surtout qu’elle est un peu inquiète” (M. Aymé, Le Chat perché). „Nous ne récupérons pas la moitie des sommes à verser, surtout que nous payons les intérêts pour dix mille” (Duhamel, Le Notaire du Havre; Sandf.).

La cause est rejetée La locution conjonctive sans que

Cette locution sert parfois à rejeter une cause; elle présente la cause comme fausse ou incertaine.

Ex.: „Sans que je puisse en déceler la raison, je me mets à revoir la jeune femme sophistiquée déguisée en infirmière…” (A. Robbe-Grillet, Projet pour une révolution à New York). Il a fait cela sans qu’on l’en ait chargé ! (L.B.). Il l’a fait sans qu’on le lui ait dit (Acad.). C’est rare qu’il crie sans qu’on l’ait battu.

Remarque. Hanse conseille à ses lecteurs de ne pas employer le ne explétif avec la locution sans que, emploi condamné d’ailleurs sévèrement par l’Académie.

La cause est absente ou insuffisante La locution conjonctive faute que

Cette locution indique que le fait exprimé dans la principale s’est produit par suite de l’absence ou de l’insuffisance d’une autre

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action (v. P. Zumthor et coll., Syntaxe, p.95). Elle n’est pas enregistrée par les grands dictionnaires du français contemporain (Paul Robert, le Lexis, Bordas, etc.). Elle est mentionnée par certains grammairiens (G. et R. Bidois, C. De Boer, W. von Wartburg, M. Grevisse).

Ex.: Je n’ai pu l’atteindre, faute qu’il nous ait téléphoné à temps (Z.). „Il peut y avoir excès de maturité et pourriture, faute qu’un grand homme ait donné la secousse à temps” (Jules Romains, Les Hommes de bonne volonté; L.B.). Faute qu’on l’ait prévenu à temps, il n’a pu nous rejoindre (H.).

Remarque. Après la locution faute que on emploie le subjonctif: „On se quittait sur des sommations, faute que nous ayons cédé” (De Gaulle, Mémoires de guerre). „Ce n’est pas faute que le Corps expéditionnaire français ait prodigué ses peines et remporté des succès” (De Gaulle, L’unité; H.).

Les fausses causes; la cause faussement alléguée La locution conjonctive sous prétexte que

On se sert de cette locution lorsque la cause est dénoncée comme fausse; elle présente comme faux le motif allégué par l’action principale.

Ex.: Il n’est pas venu au rendez-vous sous prétexte qu’il a manqué le train. Certains élèves négligent l’étude de la chimie sous prétexte qu’elle est trop difficile. „Elle allait aussitôt ouvrir la fenêtre sous prétexte qu’il faisait trop chaud dans cette misérable cuisine” (M. Proust, Du côté de chez Swann).

„Voyons, Méjean, vous n’allez pas me dire que vous prétendez avoir découvert un fait nouveau sous prétexte qu’un témoin vous a dit avoir vu ce malheureux Lanvallay avec une demoiselle qui, d’après la description qu’on vous en a faite, me paraît être quelqu’un de très bien à la victime” (Exbrayat, Félicité…). „Je cessai de serrer sous le prétexte que la ficelle, surmenée, pourrait bien casser” (H. Bazin, Vipère au poing). „Mais, par une étonnante contradiction, la politique des États-Unis, représentée auprès de Pétain, se tenait écartée de la France Libre, sous prétexte qu’on ne pouvait pas préjuger du gouvernement que se donnerait la nation française quand elle serait libérée” (De Gaulle, L’Appel). „Sous prétexte que vous me détestez, vous me prêtez des sentiments bas et vous imaginez que je suis homme à profiter de cette faute professionnelle pour me venger?” (Exbrayat, Félicité…). „Le sergent Drabik se présenta au chalet et demanda à M. de Löwenberg la permission de jeter un dernier coup d’oeil sur ce qui restait du balcon, sous prétexte que l’adjudant Malek

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exigeait une description détaillée pour la joindre à son rapport” (Exbrayat, Le temps se gâte à Zakopane).

Soi-disant que Cette locution conjonctive concerne une cause prétendue; elle

appartient à la langue familière. Ex.: „Un petit môme… qui prétend m’envoyer rebondir du jour

au lendemain, soi-disant qu’il serait trop jeune pour avoir une femme” (M. Aymé, Le Chemin des écoliers). On l’a arrêté, soi-disant qu’il a volé (Lexis).

La cause est niée (on écarte la cause) On écarte la cause au moyen des locutions conjonctives

spécialisées non que et ce n’est pas que. La locution conjonctive non que peut être renforcée et présentée sous la forme de non pas que.

La locution conjonctive non que Cette locution sert à écarter une explication possible du fait que

l’on énonce, de l’opinion que l’on affirme. Elle est suivie du subjonctif. Ex.: Il ne réussira pas; non qu’il soit sot, mais il est inconstant.

„En vérité, il empennait ses flèches au-delà de toute limite raisonnable, usant à cette fin tantôt de plumes de papegais, tantôt de feuilles de palmier, et comme il découpait les pointes en forme d’ailette dans des omoplates de chèvres, il était évident qu’il s’agissait pour lui d’obtenir de ses traits, non qu’ils atteignissent une proie avec force et précision, mais qu’ils volent, qu’ils planent aussi loin, aussi longtemps que possible” (Tournier, Vendredi). „Mme de Vinteuil répondit par des paroles de doux reproche: „Voyons, voyons” qui prouvaient la bonté de sa nature, non qu’elles fussent dictées par l’indignation que cette façon de parler de son père eût pu lui causer… mais parce qu’elles étaient comme un frein que, pour ne pas se montrer égoïste, elle mettait elle-même au plaisir que son amie cherchait à procurer” (M. Proust, Du côté de chez Swann). „Elle protestait, non que cette musique lui déplût mais au contraire parce qu’elle lui causait trop d’impression” (M. Proust, ibidem). „Mille intentions ne valent pas un geste; non que les intentions n’aient aucune valeur, mais le moindre geste de bonté, de courage, de justice, exige plus d’un millier de bonnes intentions” (Maeterlinck, Sagesse et destinée). Son attitude m’agaçait; non que je sois facilement irritable, mais ses sarcasmes à répétition devenaient insupportables (Mitterand).

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La locution conjonctive non pas que Pour exprimer que le fait n’a pas existé, on emploie la forme

renforcée non pas que. Cette locution est suivie du subjonctif. Ex.: „J’étais naturellement, pour Quimper. Non pas que j’eusse

d’illusion quant à la possibilité de tenir en Bretagne, mais, si le gouvernement s’y repliait, il n’aurait pas tôt ou tard, d’autre issue que de prendre la mer” (De Gaulle, L’Appel). „Il me semble, en un mot, que la présence d’autrui – et son introduction inaperçue dans toutes les théories – est une cause grave de confusion et d’obscurité dans la relation du connaissant et du connu. Non pas qu’autrui n’ait à jouer un rôle éminent dans cette relation, mais il faudrait que cela fût en son temps et en pleine lumière seulement, et non de façon intempestive et comme à la dérobée” (Tournier, Vendredi). „C’est une pièce où nous n’entrons jamais, sauf en cachette, non pas que ce soit expressément défendu, mais il y a dans ce bureau une sorte de secret qui nous intimidait, nous effrayait même un peu” (Le Clézio, Le chercheur d’or). „Les idées que vous exprimez me rappellent un peu trop celles déjà consacrées, du professeur Ménard. Non pas que, je fasse la moindre réserve sur ces idées. Elles me semblent, au contraire, mériter la plus grande attention” (Adamov, Le Professeur Taranne). J’ai remis la rédaction de ce roman à plus tard, non pas que le découragement m’ait pris, mais parce que les matériaux me manquent. „Les deux jours que dura la traversée, Tartarin les passa tout seul dans la cabine, non pas que la mer fût mauvaise, mais le diable de chameau avait autour de lui des empressements ridicules” (A. Daudet, Tartarin de Tarascon; F. Brunot). „Il avait voté pour M. Dewinck, non pas que M. Dewinck représentât son opinion exacte, mais parce qu’il était le drapeau de l’ordre” (Zola, Pot-Bouille; Sandf.).

Remarque. Si l’on veut nier le verbe de la proposition causale introduite par non que, non pas que, alors on emploie ne devant ce verbe (on utilise aussi, mais très rarement, ne…pas).

Ex.: Il faut lui exposer ouvertement la situation, non qu’il ne soit fâcheux de le mécontenter.

La locution conjonctive ce n’est pas que Cette locution indique que le procès énoncé par la causale ne

doit pas être compris comme étant la véritable raison du fait marqué par la proposition principale. Ce n’est pas que écarte une opinion, un motif, une cause et elle est suivie du subjonctif.

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Ex.: „La fête fut célébrée par un nombreux public. Ce n’est pas qu’en temps ordinaire les habitants d’Oran soient particulièrement pieux. Le dimanche matin, par exemple, les bains de mer font une concurrence sérieuse à la messe. Ce n’était pas non plus qu’une subite conversion les eût illuminés” (Camus, La Peste). Ce n’est pas que je me sois formalisé de ce refus, mais il m’a semblé trop catégorique. On la fuit; ce n’est pas qu’elle soit laide, mais elle est méchante. „S’il ne dit rien, ce n’est pas qu’il soit sot, c’est qu’il est timide” (Cayrou). „Paris convient mal à ce petit Parisien. Ce n’est pas qu’il s’y déplaise. Au contraire, il s’y amuse trop” (A. France; L.B.). „Tartarin demanda si on pouvait lui indiquer un guide de confiance… Ce n’est pas qu’il eût peur, mais cela vaut toujours mieux d’avoir quelqu’un de sûr” (Daudet, Tartarin sur les Alpes. Sandf.). „La ville tout le long du jour restait déserte. Ce n’est pas qu’il n’y eût absolument personne dehors; mais ceux qu’on y rencontrait faisaient la sieste sur les bancs” (A. Lunel; Rougerie). „Ce n’était pas que Gisors s’amusât à jouer par la procuration des vies dont le séparait son âge; c’était que, dans tous ces drames semblables, il retrouvait celui de son fils” (Malraux; in G.L.F.C.).

Remarques. 1. On emploie parfois ce n’est pas que au présent au lieu de ce n’était pas que exigé par le sens de la phrase.

Ex.: Ce n’est pas que je lusse beaucoup… Je lisais et relisais les mêmes livres.

2. Une opposition peut être introduite si l’on emploie mais, au contraire, mais bien.

Ex.: S’il ne part pas maintenant pour Marseille ce n’est pas qu’il craigne le mauvais temps, mais il voudrait faire réviser la boîte de vitesses.

Hésitation entre les causes

Lorsqu’on hésite entre les causes ou dans l’indication d’une cause, on emploie les relateurs soit que… soit que; soit que… ou que; que… ou que. Ces relateurs discontinus marquent l’existence d’une cause alternative supposée.

Ex.: „Soit que la langue ait avancé, soit qu’elle ait rétrogradé… il est certain que je trouve quelque chose d’usé, de passé, de grisaillé, d’inanimé, de froid dans les auteurs qui firent les délices de ma jeunesse” (Chateaubriand, M. d’O-T.; P.R.). „Mais soit qu’un rayon eût brillé, soit que mon regard en bougeant eût promené à travers la verrière, tour à tour éteinte et rallumée, un mouvant et précieux incendie, l’instant d’après elle avait pris l’éclat changeant d’une traîne

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de paon…” (M. Proust, Du côté de chez Swann). „En même temps ma tante Flora qui avait compris que cette phrase était le remerciement de Céline pour le vin d’Asti, regardait également Swann avec un air mêlé de congratulations et d’ironie, soit simplement pour souligner le trait d’esprit de sa sœur, soit qu’elle enviât Swann de l’avoir inspiré, soit qu’elle ne pût s’empêcher de se moquer de lui parce qu’elle le croyait sur la sellette” (M. Proust, Du côté de chez Swann).

„Sans doute, les gouvernements des pays en guerre contre l’Axe rappelaient-ils de France leurs représentants, soit qu’ils le fissent spontanément, comme pour Sir Ronald Campbell ou le général Vanier, soit que les Allemands exigeassent ces départs” (De Gaulle, L’Appel). „Encore s’il lui eût parlé en maître, aurait-elle retrouvé peut-être, assez de volonté pour discuter; mais il n’essayait même pas de la rassurer, soit que l’idée qu’on pût refuser secours à un être humain en détresse ne lui vînt même pas, soit qu’il fût résolu par avance à ne rien demander qui dépassât l’énergie et les forces de la vieille servante” (Bernanos, Un Crime). „Soit que le silence prolongé du chanoine et de son hôte achevât de le déconcerter, soit qu’il eût entendu les derniers mots prononcés par M. Demange, son regard, naturellement appuyé ou même anxieux, prit soudain une telle expression de tristesse, d’humilité si déchirante, que le visage grossier en parut, tout à coup, resplendi” (Bernanos, La Tentation du désespoir).

Soit que ... ou que

Ex.: „Car il (= ce parterre) donnait aux fleurs un sol d’une couleur plus précieuse, plus émouvante que la couleur des fleurs elles-mêmes; et, soit que pendant l’après-midi il fît étinceler sous les nymphéas le kaléidoscope d’un bonheur attentif, silencieux et mobile, ou qu’il s’emplît vers le soir, comme quelque port lointain du rose et de la rêverie du couchant, changeant sans cesse pour rester toujours en accord avec ce qu’il a de plus mystérieux – avec ce qu’il y a d’infini dans l’heure, il semblait les avoir fait fleurir en plein ciel” (M. Proust, Du côté de chez Swann). „Cependant les flammes s’apaisèrent, soit que la provision d’elle même s’épuisât, ou que l’entassement fût trop considérable” (Flaubert, Mme Bovary, in F. Brunot et Le Bidois). „La fille est en outre blessée à la main, soit qu’elle ait heurté en tombant la vitre brisée, ou bien qu’elle se soit coupée trois secondes plus tard aux aiguilles de verre qui jonchent le sol…” (Alain Robbe-Grillet, Projet pour une révolution à New-York).

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Que … ou que Ex.: Qu’il ait été imprudent, ou qu’on l’ait mal informé, il est

tombé dans le piège. Remarque. Les relateurs discontinus soit que… soit que; soit

que… ou que; que… ou que sont suivis du subjonctif. Variantes de soit que … soit que a) soit que… soit + infinitif prépositionnel Ex.: „Soit qu’il eût deviné sa pensée, soit pour lui dire un dernier

adieu, il prit l’anneau et le porta à ses lèvres” (Mérimée, Colomba; F.B.). b) soit que… soit + pour + quelque autre + nom Ex.: „Mais soit qu’elle sentît plus que lui la gêne de ces confi-

dences, soit pour quelque autre raison, elle trouva des prétextes pour venir moins souvent” (R. Rolland, Jean-Christophe; P.R.).

c) soit + par + nom… soit que Ex.: „Si alors mon grand-père avait besoin d’attirer l’attention

des deux sœurs, il fallait qu’il eût recours à ces avertissements physiques dont usent les médecins aliénistes à l’égard de certains maniaques de la distraction: coups frappés à plusieurs reprises sur un verre avec la lame d’un couteau, coïncidant avec une brusque interpel-lation de la voix et du regard, moyens violents que ces psychiatres transportent souvent dans les rapports courants avec les gens bien portants, soit par habitude professionnelle, soit qu’ils croient tout le monde un peu fou” (M. Proust, Du côté de chez Swann).

d) soit + nom… soit que Ex.: „Soit méfiance de ses jambes flageolantes, soit qu’il trouvât

l’exercice incorrect pour un homme aussi important, il hésitait” (Daudet; Sandf.).

La locution conjonctive pour que introduisant une causale La locution conjonctive pour que introduit d’habitude des pro-

positions subordonnées de but (ou finales), mais elle peut aussi s’employer pour exprimer l’idée de cause.

Ex.: Qu’est-ce qu’il avait donc pour qu’il fût si triste? Pour que les sapeurs-pompiers soient venus avec leur grande échelle, il faut qu’ils aient été alertés par quelqu’un. Pour qu’on l’ait puni aussi sévèrement, il faut qu’il ait été coupable. „Il y avait beaucoup de grisou ce jour-là pour que la flamme fût si bleue” (Zola, Germinal; Sandf.). „D’après l’enquête, pour qu’il n’ait pas vu ce passage à niveau fermé, on suppose qu’il était en état d’ivresse” (Mauriac, Destins; Sandf.).

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Que causal La proposition de cause peut être introduite par le simple que

lorsque la phrase est à la forme interrogative ou si elle est excla-mative38.

Ex.: „Est-ce que vous avez des amis de ce côté-là, que vous connaissez si bien Balbec?” (Proust, Du côté de chez Swann). Tu es donc un lâche, que (= puisque) tu t’enfuis? (G.M.). „Vous étiez donc en bien mauvaise compagnie, que vous ne m’avez pas saluée?” (A. France, Histoire comique; Sandf.). „Comme elle dort, qu’il faut l’appeler si longtemps !” (V. Hugo, Lég. Pauvres gens; L.B.). „Est-ce que ces drôles sont dans un bénitier, qu’ils font ce bruit d’enfer?” (V. Hugo, Notre-Dame de Paris; P.R.). Qu’avez-vous donc que vous êtes si pâle? (Cayrou). Est-il malade qu’on ne le voit plus depuis trois mois? (Z.). Quelle paresse qu’on ne peut pas même obtenir cela de lui? (Z.). Étiez-vous encore endormi que vous ne répondiez pas à mes appels téléphoniques ? (Mitterand). „Peut-être le colonel avait-il reçu quelque télégramme qu’il courait si fort” (Zola, la Débâcle; Sandf.).

Remarques. 1. L’emploi de que pour marquer la cause appartient à la langue familière.

2. Le verbe de la proposition causale introduite par que peut être parfois au subjonctif.

Ex.: „On ne vous apprend donc rien, que vous ne puissiez répondre à des questions aussi simples?” (Zola, Vérité). „Mon Dieu! je suis donc bien maladroite que tu ne me comprennes pas!” (Zola, La joie de vivre; Sandf.).

3. Que peut parfois marquer la cause dans une phrase de modalité assertive.

Ex.: „Hippolyte est heureux qu’aux dépens de vos jours, / Vous-même en expirant appuyez vos discours” (Racine, Phèdre).

Si de valeur causale

La proposition de cause est parfois introduite par si (= puisqu’il est vrai que; du moment qu’il est admis que). ________________

38 „Que peut indiquer la cause, non du fait exprimé par la principale, mais de la demande ou de l’exclamation que ce fait a suscité de la part du sujet parlant” (Grevisse, Le Bon Usage (p. 1015) ; „La proposition amenée par que sert à énoncer le motif de la demande, ou à justifier l’exclamation” (G. et R. Le Bidois, op. cit., p. 658).

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Ex.: „Comment l’aurais-je fait si (= puisque) je n’étais pas né?” (La Fontaine, Fables I, 10). Il fit courageusement son devoir et, s’il le fit, vous devez en tenir compte (= puisqu’il le fit) H. Si une personne peu douée comme elle a pu réussir, vous ne devez pas douter de votre propre succès. „Un beau jour mon grand-père me dit négligemment: „Courteline doit être un bon bougre. Si tu l’aimes tant, pourquoi ne lui écris-tu pas? J’écrivis. Charles Schweitzer guida ma plume et décida de laisser plusieurs fautes d’orthographe dans ma lettre” (Sartre, Les Mots).

Emploi du mode dans la proposition de cause (généralités)

Le verbe de la proposition causale est: 1. À l’indicatif s’il exprime: a) une cause réelle; c’est-à-dire: après parce que, puisque, du fait

que; après les locutions appartenant à l’origine à la langue juridique et administrative: vu que, attendu que, considérant que, à preuve que, pour la seule raison que, étant donné que; après les conjonctions et les locutions conjonctives à nuance temporelle: comme, du moment que, dès lors que, maintenant que, dès que, à présent que; quand, alors que, lorsque; après les locutions conjonctives à nuance comparative: d’autant que, d’autant plus que, d’autant moins que, d’autant mieux que; après surtout que;

b) une cause faussement alléguée; c’est-à-dire après les locutions conjonctives sous prétexte que, soit-disant que.

On emploie aussi l’indicatif après que causal et après si de valeur causale.

Le verbe se met au conditionnel lorsque la cause est présentée comme éventuelle.

Ex.: Évitez de faire cette démarche parce que vous en éprouveriez les effets les plus malheureux.

2. Au subjonctif lorsque: a) la cause est rejetée, c’est-à-dire après sans que. b) la cause est absente ou insuffisante, c’est-à-dire après faute que. c) la cause est niée ou écartée c’est-à-dire après non que, non

pas que, ce n’est pas que. d) on hésite entre les causes, c’est-à-dire après soit que ....soit

que, soit que ...ou que. e) la causale est introduite par la locution conjonctive pour que.

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Les circonstants ayant des verbes à un mode impersonnel (non personnel)

Le circonstant de cause constitué par une construction infinitive A. La cause est dans un infinitif introduit par une préposition:

La préposition à Ex.: à trop oser, on finit par tout perdre (G.M.). à réclamer

toujours, il se fait détester. Il m’énerve, à me demander toute la journée la même chose (Z.). „À voir quelle douleur minait à la longue un homme toujours séparé de la terre maternelle, je me sentis une grande hâte de connaître et d’aborder la mienne” (A. de Vigny, Servitude et Grandeur militaire; F.B.).

Remarque. Le sujet de l’infinitif introduit par la préposition à est le même que celui de la principale.

La préposition de + infinitif présent Ex.: „Je mérite la mort de mériter sa haine” (Corneille, le Cid,

III, 1). „Et de me sentir seul, j’éprouvais une étrange crainte” (D.Rops, Mort où est ta victoire ? L.B.). Je suis enchanté de travailler dans votre usine. „Endormeuses saisons! Je vous aime et vous loue / D’en-velopper ainsi mon cœur et mon cerveau” (Baudelaire, Fleurs du mal). „De se voir si haut perchée, elle se croyait au moins aussi grande que le monde” (Daudet; in Rougerie). Je te plains de n’avoir pas d’autre aide que cet individu (Z.). „M.Eyssette, de le voir éternellement la larme à l’œil, avait fini par le prendre en grippe et l’abreuvait de taloches” (Daudet; G.L.). „Aujourd’hui, de découvrir ces haillons dans le fossé, j’ai le sentiment d’une négligence impie” (Duhamel; G.L.). „De l’éprouver si pareil à moi, si fraternel enfin, j’ai senti que j’avais été heureux, et que je l’étais encore” (Camus, L’Étranger). „Je suis heureux d’y voir clair la nuit, je reconnais de vieilles choses comme font les antiquaires. Mais je suis content aussi de n’être pas sourd” (Apollinaire, L’Enchanteur).

Remarque. La préposition de peut ne pas être exprimée et alors l’infinitif est repris dans la principale par le pronom en. „La savoir à un autre, brusquement, il en ressentait une souffrance” (A. France, Lys rouge; L.B.).

La préposition de + l’infinitif passé Ex.: „Ils avaient faim d’être allés si loin à pied” (Zola, Germinal;

F.B.).

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Il a la voix brisée d’avoir tant crié (G.M.). Ses yeux étaient rougis d’avoir pleuré. Il est essoufflé d’avoir couru. „D’avoir fermé les yeux, la pièce m’a paru encore plus éclatante de blancheur” (Camus, L’Étranger).

La préposition de + l’infinitif précédés par des adjectifs tels que heureux, joyeux, ravi, désolé, gentil.

Ex.: Il est heureux de voyager. Il est joyeux d’aimer. Il est ravi de voir cette belle ville. Je suis désolé de vous avoir fait attendre! „Ah! mon bon ami, que vous êtes gentil de nous avoir attendus” (Zola, Travail; L.B.).

La préposition par + infinitif Cette construction était fréquente en français classique. Ex.: „C’est par avoir ce qu’on aime qu’on est heureux et non par

avoir ce que les autres trouvent aimable” (La Rochefoucauld, Maximes). „Avec de méchants cœurs comme de ces gens-là, on perd tout par être généreux” (Mme de Sévigné; F.B.). „N’ayant jamais pu réussir dans le monde, il se vengeait par en médire” (Voltaire, Zadig; L.B.).

La préposition pour + infinitif passé Ex.: „Pour avoir oublié ces choses, l’apprenti sorcier a perdu la

tête.” (A.Maurois, Ce que je crois; Grev.). L’enfant est récompensé pour avoir bien étudié (G.M.). Il le gronda pour avoir sorti la voiture du garage sans sa permission. „Antoine était mort pour s’être baigné avec son frère dans un étang malsain” (Alain-Fournier, Le Grand Meaulnes).

B. La cause est dans un infinitif introduit par une locution prépositive

Cause intensive À force de

Cette locution marque l’intensité de l’action ou de l’état. La cause est dans le développement atteint.

Ex.: Il a trouvé à force de chercher. à force de crier, il a la voix éraillée. à force de mentir, il perdra la confiance de tout le monde. à force de parler d’amour, on devient amoureux. à force de tirer sur la corde, elle casse. „À force de penser à Marie, j’y pensai de moins en moins” (Camus, L’Étranger). „À force de tourner, de prendre des rues

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au hasard – des fois, on les voyait si étroites qu’on aimait mieux ne pas s’y engager – il trouva quand même quelque chose qui ressemblait à une route de sortie” (L. Desvignes, Les nœuds d’argile). „Le jour-naliste ... avait pris une idée juste de ce que pouvait être une mairie ou une préfecture, à force d’attendre sur une banquette de moleskine devant de grandes affiches invitant à souscrire à des bons du Trésor” (Camus, La Peste). „À force d’en appeler sans cesse à ce témoin irrécusable ... il semble qu’elle se soit prise elle-même à son jeu, ainsi qu’un enfant fait du tigre imaginaire dessiné par lui sur le mur” (Bernanos, M. Ouine). „À force de n’examiner autour de lui que des espaces minuscules, de fixer longtemps un seul point, les yeux de l’auteur sont devenus comme des lentilles grossissantes qui ne peuvent embrasser d’un seul coup de vastes étendues” (N. Sarraute, L’ère du soupçon).

Du (seul) fait de + (infinitif présent ou passé)

Cette locution prépositive a le sens de „à cause de”, „par l’action de ”. Ex.: Du fait de nager trop vite, il s’est fatigué. Du fait d’avoir eu cet accident, il a dû modifier l’orientation de ses études. Du seul fait d’avoir séjourné pendant une semaine chez ces gens, il est suspect de complicité (Z.). Il avait conscience d’un privilège du fait d’appartenir au corps enseignant de cette Université.

Par le fait de, par le seul fait de Ces locutions prépositives signifient „pour la raison de, pour la

seule raison de”. Ex.: „L’état d’âme ... dont ce livre était le témoignage, un jour,

ne serait plus, par le seul fait d’avoir été” (Montherlant).

Cause faussement alléguée Sous prétexte de; sous le prétexte de

Ces locutions prépositives suivies d’un infinitif marquent une cause faussement alléguée; cette structure présente une cause ou un motif comme une allégation spécieuse.

Ex.: „L’essuyage des verres était terminé; pour se donner une contenance, elle mit ses mains derrière le dos, sous prétexte de renouer les cordons défaits de son tablier” (A. Robbe-Grillet, Le Voyeur). „Ou encore si elle était de l’autre côté de la table, elle se penchait, se penchait, sous prétexte de s’acharner sur quelque chose qui restait

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collé – allez donc voir quoi! il aurait fallu une sacrée vue, oui – et son échancrure de robe laissait voir et deviner de vrais trésors pour la caresse...” (Lucette Desvignes, Les nœuds d’argile). „Les femmes gémissaient, dit-il, mais sous prétexte de gémir sur Patrocle, c’était sur son propre malheur que chacune pleurait” (Duhamel, Refuges de la lecture). „Sous prétexte d’aider son frère, Alissa avait appris avec moi le latin” (Gide, Porte étroite; P.R.). „Je sentais qu’il vivait des morts (= des auteurs qui n’étaient plus en vie) ce qui n’allait pas sans compliquer mes rapports avec eux: sous prétexte de leur rendre un culte, il les tenait dans ses chaînes et ne se privait pas de les découper en tranches pour les transporter d’une langue à l’autre plus commodément” (Sartre, Les Mots). „Sous prétexte de lui faire connaître l’âme cachée de la vieille capitale, Jan s’était institué le guide de Werner qu’il tapait sans la moindre vergogne” (Exbrayat, Le temps se gâte à Zakopane).

Sous couleur de Cette locution prépositive a le sens de „avec l’apparence de”,

„sous le prétexte de”. Ex.: Il attaque sous couleur de se défendre. Cette coutume „sous

couleur de punir un injuste attentat, / Des meilleurs combattants affaiblit un État” (Corneille, le Cid). Sous couleur de m’aider, il m’a nui. „Je ne veux plus, moi qui garde ce lieu, / Qu’on vienne, sous couleur d’y quérir un caïeu / D’ail, piller mes fruitiers et grappiller ma grappe” (Heredia, Trophées). Sous couleur de travailler à sa thèse de doctorat, il ne vient plus nous voir. Sous couleur d’être prudent, il reste passif.

L’absence peut être une cause Faute de

Cette locution prépositive marque la cause par absence; elle a le sens de „par manque de”.

Ex.: „C’est ainsi que, faute de trouver le mot juste, notre con-citoyen continua d’exercer ses obscures fonctions jusqu’à un âge assez avancé” (Camus, La Peste). „Faute de disposer nous-mêmes d’éléments de riposte équivalents, nous risquions fort d’être anéantis” (De Gaulle, L’Appel). „Ma mère était à moi, personne ne m’en contestait la tran-quille possession: j’ignorais la violence et la haine, on m’épargna ce dur apprentissage, la jalousie; faute de m’être heurté à ses angles, je

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ne connus d’abord la réalité que par sa rieuse inconsistance” (Sartre, Les Mots). Faute d’être arrivé à temps, il n’a pu entendre la lecture de votre rapport. „Faute d’y être passés, ils ne peuvent pas savoir à quoi ils condamnent des accusés” (M. Aymé, Tête des autres). Faute d’avoir été prévenu à temps, il n’a pu nous rejoindre (H.).

Le circonstant de cause ayant dans sa structure un participe passé de forme simple

a) le participe a le même sujet que le verbe principal. Ex.: Ma sœur, épuisée par un dur travail, est allée se reposer

dans une station de montagne. Révolté par cette injustice, il décida de porter plainte.

b) le participe possède un sujet qui lui est propre (le participe constitue avec son sujet une proposition participiale).

Ex.: „La salle à manger encombrée par les travaux de couture, nous dînâmes dans la cuisine” (Duhamel, Confession de minuit). La boussole perdue, il était difficile de s’orienter. „Gardez-vous, votre tête entraînée par ce poids, de tomber en avant sur le sol” (E. Rostand, Cyrano I, 4; Grev.).

Le circonstant de cause ayant dans sa structure un participe passé de forme composée

a) le participe a le même sujet que le verbe principal. Ex.: „La cigale ayant chanté tout l’été, / Se trouva fort dépourvue

quand la bise fut venue” (La Fontaine, Fables, I). „Il convient d’ajouter qu’ayant négligé de tenir un calendrier depuis le naufrage, il n’avait qu’une idée vague du temps qui s’écoulait” (Tournier, Vendredi). „Où allons-nous? Ayant maintenu le cap au nord depuis le départ, il ne fait plus de doute maintenant que nous allons vers Agalega” (Le Clézio, Le chercheur d’or). „Ayant discerné tout à coup, où, quand, de quelle façon, l’événement pouvait surgir, il (= le général De Lattre de Tassigny) déployait alors, pour ...l’exploiter, toutes les ressources d’un riche talent et d’une énergie extrême...” (De Gaulle, L’Unité). „Mais l’ayant entendu dire qu’il incline à changer sa stratégie dans le sens que recommande Juin, je lui en marque ma satisfaction” (De Gaulle, id.).

b) le participe est verbe d’une proposition en construction absolue; il possède un sujet qui lui appartient.

Ex.: La nuit étant tombée, on alluma les lampes. „Enfin, à 6 heures du soir, tout étant prévu, il put partir” (Martin du Gard, Les Thibault).

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Le train n’étant pas arrivé, nous restâmes chez nous (Z.). La guerre ayant éclaté, on mobilisa (Cayrou). „La vie l’ayant déçu de bonne heure, l’officier s’était retiré en France dans un couvent de la Règle de saint François...” (Apollinaire, Le Sacrilège). Le dopage des athlètes étant maintenant interdit, les contrôles médicaux se sont faits plus sévères (H. Mitterand).

Circonstant de cause ayant dans sa structure un participe présent (ou un participe en - ant)

a) le participe présent a le même sujet que le verbe principal. Ex.: Voyant le danger, le chauffeur ralentit. Étant malade il fut

dispensé du service militaire. „Elle appuyait son front sur la vitre et pleurait sans bruit. Et, croyant l’avoir convaincue, il lui semblait déjà moins difficile de s’apitoyer et de la plaindre” (Bernanos, Histoire de Mouchette). „Rieux, qui tripotait dans ses poches les feuilles des statistiques, l’invita à sa consultation, puis, se ravisant, lui dit qu’il allait dans son quartier le lendemain et qu’il passerait le voir en fin d’après-midi” (Camus, La Peste). „Elle se vêtit, puis s’assit de nouveau sur la pierre du sépulcre et la sentant froide s’écria: Enchanteur, certainement tu es mort, puisque, la pierre de ta tombe l’atteste” (Apollinaire, L’Enchanteur).

b) le participe présent possède un sujet qui lui appartient. c) Ex.: „Il faudrait attendre plusieurs jours d’immersion pour

que, le bois gonflant, la coque devînt étanche” (Tournier, Vendredi). „L’ivresse aidant, j’avais l’impression d’être installé à l’intérieur d’un bouchon de carafe” (Cendrars, Le vieux port). „Il ne savait pas, le malheur étant impossible à prévoir” (Camus, La Peste). La crue atteignant la cote d’alerte, les riverains évacuèrent leurs logis. Les chiens aboyant sans cesse, je sortis voir qui était venu.

Circonstant de cause ayant dans sa structure un gérondif

Ex.: L’avarice perd tout en voulant tout gagner. Il perdit courage, en la voyant si changée. En apercevant son fils, elle retrouva sa gaieté. En voyant ce temps gris et froid, j’ai pensé à m’habiller chaudement. En voulant faire un tonneau, le pilote a perdu le contrôle de l’avion. En vieillissant, il avait perdu de sa combativité. „Quelques secondes plus tard, les lampes au-dessus des rues obscurcissent tout le ciel en s’allumant” (Camus, La Peste).

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Circonstant de cause formé par un groupe prépositionnel Les prépositions et les locutions prépositives qui introduisent le

groupe prépositionnel sont les suivantes:

La préposition à

La préposition à peut marquer un rapport causal, une relation logique causale dans une situation où un fait contemporain ou antérieur apparaît comme étant la cause d’un autre.

Ex.: „À cette déclaration inattendue, une douce gaieté s’empara de moi” (G. Courteline, Le Gendarme est sans pitié). „On reconnaissait les serruriers à leurs bourgerons bleus” (Zola; P.R.). „À ces mots, le corbeau ne se sent pas de joie” (La F., I, 21). „J’aime à vous voir frémir à ce funeste nom” (Racine, Phèdre; L.B.). „À sa vue, la foule recule d’épouvante” (A. France, in G.L.). Parfois les malades peureux frémissent à l’aspect du médecin. Il a été reconnu à sa démarche (P.Ch.).

La préposition avec Ex.: „Avec un nom comme le nôtre et un sabre au côté, il aurait

pu espérer un brillant mariage” (M. Aymé, Clérambard). „À l’hôtel, le veilleur de nuit, qui est un homme digne de foi, m’a dit qu’il s’attendait à un malheur avec tous ces rats” (Camus, La Peste). „Avec sa mâture basse et sans hardiesse, sa panse courte et rebondie qui jaugeait ses deux cent cinquante tonneaux, elle (= la Virginie) tenait davantage de la marmite ou du baquet que du coursier des mers” (Tournier, Vendredi). „Avec ses épaules étriquées toutes ramenées vers l’avant, et cette poitrine creuse qu’elle cachait toujours de ses deux mains cramponnées à son fichu, on avait craint pendant des années qu’elle ne s’en aille des poumons, surtout quand on avait entendu sa petite toux sèche, discrète, comme si elle ne voulait gêner personne” (Lucette Desvignes, Les nœuds d’argile). Avec un tel argu-ment, je suis imparable (P.Ch.).

La préposition dans On construit souvent avec dans des compléments de situation

considérés comme des causes. Ex.: „Dans vos brusques chagrins je ne puis vous comprendre”

(Molière, Misanthrope). Dans son désir d’être agréable, il souscrit à votre proposition (G.M.). Dans son agitation, il a oublié de remonter

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la pendule. „Un orage s’amassait; dans leur colère, ils ne le virent pas venir” (R.Rolland; P.R.). „Dans sa généreuse résolution de ne pas laisser une tache sur le souvenir de son fiancé, elle laissa croire que la rupture venait d’elle seule” (G. Sand, Elle et lui; F.B.). „Dans mon ignorance des choses, je ne demandais qu’à l’oublier” (A. Dumas, F.B.).

La préposition de Étant donné que cette préposition marque le point de départ,

l’origine, elle est en même temps capable d’énoncer la cause. Elle exprime souvent la cause devant un nom ou après un verbe de senti-ment, de jugement, etc.

Ex.: Il souffre de la goutte. Il rougit de honte. Il pleure de joie. Il crie de douleur. „Je suis vaincu du temps; je cède à ses outrages” (Malherbe, Poésies; H.D.T.). „Une grande marque que vous vous portez bien c’est que vous n’êtes point crevé de toutes les médecines qu’on vous a fait prendre” (Molière, Malade imaginaire). J’ai trouvé un oiseau qui était mort de froid, dans mon jardin, cet hiver (Matoré). „Selon Grand, Cottard avait passé une bonne nuit. Mais il s’était réveillé le matin, souffrant de la tête et incapable d’aucune réaction” (Camus, La Peste).

La préposition devant Il arrive que des compléments de lieu introduits par devant

deviennent des compléments de cause: Ex.: Devant tant de naïveté, on ne peut que sourire (G.M.).

„Alors un désespoir l’avait pris devant cette grâce qu’il lui faudrait peut-être attendre deux années encore” (Zola, Jacques Damour; F.B.). „Devant la menace d’une invasion étrangère, tout mouvement d’insur-rection échouerait” (Martin du Gard, Les Thibault). „Ma pitié, ou du moins cette sorte de malaise devant la misère d’autrui, que nous avons accoutumé d’appeler ainsi”...(Mauriac, Pharisienne; P.R.).

La préposition par Par est souvent employé pour exprimer la cause proprement

dite. Cette préposition exprime aussi une relation de cause à effet. Ex.: Il a agi par intérêt, par avarice, par peur, par jalousie. Il a

péché par négligence. Par ma faute, j’ai laissé échapper cette occasion propice. „Personne ne le (= le pont) franchit jamais. Par hostilité d’abord, ensuite parce que la violence du mistral et la largeur du

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fleuve à cet endroit en rendent le passage très dangereux” (A.Daudet, Port-Tarascon; F.B.). „Oisive jeunesse / à tout asservie / Par délicatesse, j’ai perdu ma vie” (Rimbaud; L.B.). Il ne savait par quelle raison elle l’éloignait. „Par gloire de cette acceptation de principe qu’il n’avait pourtant pas encore confirmée, Justine avait laissé transpirer l’affaire en train” (Lucette Desvignes, Les nœuds d’argile). „S’il avait accepté l’offre qui lui était faite, ce fut pour des raisons honorables et, si l’on peut dire, par fidélité à un idéal” (Camus, La Peste).

Remarque. En parlant de la cause, par régit en ce sens le complément de tous les verbes passifs.

Ex.: César fut tué par Brutus. Annibal fut vaincu par Scipion. Rome fut fondée par Romulus. Le chêne a été renversé par l’orage.

La préposition pour Cette préposition indique, en général, que la cause est envisagée

d’une façon indirecte comme une influence, un motif agissant sur l’effet. Pour introduit d’habitude un agent causatif.

Ex.: Il est estimé pour sa sagesse. Il est puni pour sa paresse. Le café est fermé pour réparations. „Ce n’est pas pour cette injure que je le hais” (Mauriac, Nœud). „C’est bien du bruit pour un seul mort, dit-il. On ne fait pas tant de foin que ça pour la vie humaine au Maroc” (Aragon, Beaux quartiers). „Elle voulait être épousée pour sa fausse laideur et ses prétendus défauts, comme les autres femmes veulent l’être pour les qualités qu’elles n’ont pas et pour d’hypothétiques beautés” (Balzac, Vieille fille; P.R.). „Elle peut très bien écouter un quart d’heure sans broncher sans même l’entendre, une mercuriale de Madame et pour un geste, un mot, elle sent venir ce que l’institutrice désigne volontiers sous le nom de crise” (Bernanos).

La préposition sous Sa valeur causale est due à l’idée de dépendance. Elle peut

signifier „par l’effet de ”, „du fait de l’influence de”. Ex.: Il a pâli sous l’empire de la colère. „Sous les caresses de son

fils, son émoi se dissipait peu à peu...” (Daudet, Jack; P.R.). „Même l’intelligence ne fonctionne pleinement que sous l’impulsion du désir” (Claudel). „Il est bon d’être ému, de frémir sous la caresse et davantage encore sous la morsure” (Gide, Journal). „Vous êtes un peu timbré, je pense, de vous fourrer martel en tête parce qu’un employé de chez vous a commis une extravagance sous le coup d’un transport

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au cerveau” (Courteline, M.M. ronds-de-cuir). „Sous la brûlure de la térébenthine le concierge hurla: „Ah! les cochons!” (Camus, La Peste). „Avec la rigueur d’un fil de plomb, le fanal suspendu au plafond de la cabine mesurait par ses oscillations l’ampleur de la gîte que prenait la Virginie sous une houle de plus en plus creuse” (Tournier, Vendredi).

La préposition sur

Ex.: „Sur quel frivole espoir penses-tu qu’il me plaigne?” (Racine, Phèdre). Condamner quelqu’un sur un témoignage (le Lexis). Il prend la mouche sur rien (fam.). „Sur le conseil de la vieille, on courut aux informations. Une enquête méticuleuse révéla tout le passé de Léopold” (Bloy, La femme pauvre; P.R.). „L’assemblée déclara ensuite sur la proposition de Mirabeau que ses membres étaient inviolables, que quiconque mettait la main sur un député était traître, infâme et digne de mort” (Michelet, Hist. Révol. franc.). „Ce n’est pas alors sur un mot que vous m’eussiez condamnée sans m’entendre” (Musset, Com. et prov. Le chandelier, I, 1).

Les exposants de motifs (ligatures spéciales de cause)

Le circonstant de cause peut être introduit par les prépositions attendu, vu; elles ont été constituées à l’époque du moyen français, afin d’être employées comme „des exposants de motifs” dans les jugements.

La préposition attendu

Attendu employé sans auxiliaire et placé immédiatement devant l’adjectif ou le nom est considéré comme une préposition et demeure invariable.

Ex.: Attendu la situation internationale, le cabinet se réunira d’urgence (le Lexis). Attendu la bonne foi du prévenu, le tribunal lui octroie le sursis. Il fut exempté de cette corvée attendu son âge. Attendu les circonstances atténuantes, la Cour ne l’a condamné qu’à trois mois de prison avec sursis. Attendu le décret présidentiel ce traité est ratifié. Attendu les motifs invoqués, le conseil d’administration décide que... (B.). „On les avait contraints de partir sans argent, / Attendu l’état indigent / De la république attaquée” (La Fontaine, VII, 3).

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La préposition vu Le sens de cette préposition est „en considération de, eu égard à”.

Vu employé sans auxiliaire et placé immédiatement devant l’adjectif ou le nom est considéré comme une préposition et demeure invariable.

Ex.: „Vu la loi du...” „Vu l’arrêté du...” „Vu par la cour les pièces mentionnées”. „Ici aussi le calme s’était installé, avec de la tristesse bien sûr, vu les circonstances...” (Lucette Desvignes, Les nœuds d’argile). „On ne voyait rien des rives ni du paysage...Enfin, un halo, des lumières dispersées et c’est Bordeaux, Bordeaux, sa platitude, son ennui, sa pluie, ses quais déserts, ses grues efflanquées, ses lampa-daires et personne vu l’heure avancée pour accueillir les voyageurs” (Cendrars, Bordeaux). „Moi, je ne puis aller à Nohant, parce que mon temps, vu l’étroitesse de ma bourse, est calculé” (Flaubert, Lettre à George Sand.; F.B.).

Le circonstant introduit par des locutions prépositives (le lien causal est marqué par une locution)

À cause de Cette locution fournit l’explication d’un fait, d’un motif; elle a le

sens de „en raison de”, „en considération de” „pour l’amour de”. Ex.: La réunion a été rapportée à cause des fêtes du Nouvel An.

à cause de vous je lui pardonnerai. „Étant descendu de cheval, il s’approcha de la haie et, ravi, contempla la jolie fille... Son corps s’agitait de façon agréablement agaçante à cause de mouvements occasionnés par la lessive” (Apollinaire, Le Poète assassiné) „Elle porte des brûlures par endroits à cause du feu céleste” (Apollinaire, L’Enchanteur). „Ses bras un peu desserrés, il marchait vers le bas de la vallée, les yeux à demi fermés à cause de la lumière et du sable” (Le Clézio, Désert). „Elle avait une manière à elle de lui embrasser les paupières en l’appelant minet, à cause de cette couleur verte qu’elle n’avait vue chez aucun autre de ses amants” (Lucette Desvignes, Les Nœuds d’argile). „De grosses larmes d’énervement et de peine ruisselaient de ses joues. Mais à cause des rides, elles ne s’écoulaient pas” (Camus, L’Étranger). „À cause de sa petite taille, elle dut se hausser sur la pointe des pieds pour apercevoir le long du mur, et pour la première fois, son maître” (Bernanos, Un crime). „Et puis ils par-taient par les rues, la tête un peu brûlante à cause du travail de la journée, du vin et de l’alcool” (S. de Beauvoir, L’Invitée). „À cause de la marée, le départ avait été retardé jusqu’à la fin de l’après-midi” (Duhamel, Suzanne).

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Pour cause de Ex.: „Toutes les boutiques sont fermées. Mais sur quelques-unes,

l’écriteau „Fermé pour cause de peste” atteste qu’elles n’ouvriront pas tout à l’heure avec les autres” (Camus, La Peste).

Pour raison de Ex.: Il a donné sa démission pour raison de santé.

Eu égard à Cette locution signifie „compte tenu de”, „en considération de”,

„en ayant égard à”, „en raison de”. Ex.: Il a été dispensé eu égard à son âge. Eu égard à la difficulté

du travail, le directeur a accordé une gratification aux employés (B.). „Le conseil n’y voit pas d’inconvénient eu égard surtout à la personnalité si considérable de notre éminent collègue” (O. Mirbeau; F.B.). „Les conseils éclairés du capitaine Julien dissuadèrent de différer notre départ, eu égard à l’approche de la mauvaise saison” (A. Gide, Si le grain). „Si je veux bien me rendre à vos ordres, eu égard à votre état d’exaltation, vous ne sauriez moins faire, convenez-en, que de céder à ma prière” (Courteline).

En considération de Ex.: „On lui manifestait beaucoup de déférence en considération

de son grand âge” (le Lexis). J’ai fait cela en considération de votre père (H.D.T). Il a réussi à se faire embaucher en considération de sa situation de famille (B.).

En raison de Cette locution met en relief un motif logique. Ex.: En raison de ses bons services, on lui a décerné une déco-

ration. „On s’irrite moins en raison de l’offense reçue qu’en raison de l’idée que l’on s’est formée de soi” (Chateaubriand, Mémoires d’Outre-Tombe). En raison du mauvais temps le match est remis. On lui pardonne en raison de son extrême jeunesse.

Du fait de Cette locution signifie „en raison de, à cause de”. Ex.: Du fait de son accident, il a dû modifier l’orientation de ses

études (G.L.). „J’avais conscience d’un privilège, du fait de mon appartenance au continent-roi” (Siegf. L’âme des peuples; P.R.).

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Remarque. On considère comme faisant partie de la catégorie des exposants de motifs au nom de, étant donné, en vertu de.

Au nom de

Cette locution signifie „en considération de”. Ex.: Au nom de la Loi, ouvrez! „Au matin, ils sont venus à

quatre. Ils ont fait ouvrir la porte au nom de la loi” (Duhamel, Salavin; P.R.). „...au nom de principes et de convenances qu’ils invoquaient en commun avec lui, en braves gens de même acabit” (Proust, à la recherche du temps perdu). „Avoir des mœurs en ce sens délicat, qui est celui des honnêtes gens, c’est ne pas s’en croire plus qu’à personne, c’est ne prêcher, n’injurier personne au nom des mœurs” (Sainte-Beuve, Caus. du lundi; P.R.).

En vertu de Cette locution a le sens de „conformément à” „par le pouvoir

de”, „en considération de”. Ex.: Les corps tombent en vertu de la pesanteur (H.D.T.). C’est

en vertu de cet arrangement qu’il a acheté la maison. En vertu d’une vieille habitude, il lui avait adressé une carte de vœux au nouvel an. En vertu de sa grande capacité, ce réfrigérateur convient aux familles nombreuses (G.L.). „Tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la Loi, doit obéir à l’instant: il se rend coupable par la résistance” (Décla-ration des Droits de l’Homme). „Sans doute savait-il que les vents des confins désertiques ne sont pas des djenouns qui enlèvent les enfants imprudents et désobéissants, comme sa grand-mère le luit avait raconté, en vertu, sans doute, d’une tradition orale remontant à l’époque où les nomades razziaient les populations paysannes des oasis” (Tournier, La goutte d’or).

Étant donné „Étant donné, dit A. Thomas, est aujourd’hui rangé dans la caté-

gorie des attendu, excepté, y compris, vu, etc.; il reste invariable s’il est placé avant le nom auquel il se rapporte” (Dict. des difficultés de la langue française). Hanse souligne que cette locution s’accorde parfois avec le nom qui la suit: „Étant données les circonstances familiales” (J.Anouilh, Pièces brillantes; Nouveau dictionnaire des difficultés).

Ex.: Étant donné les circonstances, les dépenses prévues ont été dépassées. „Étant données les circonstances présentes, on ne peut pas

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trop tenir compte du risque” (Saint-Exupéry, Pilote de guerre) „L’amiral Cunningham rendit compte de la situation: „Étant donné, déclara-t-il, l’attitude de la place et de l’escadre qui l’appuie, je ne crois pas que le bombardement puisse aboutir à une solution” (De Gaulle, L’Appel). „Étant donné la forte baisse sur le prix des matières premières, baisse enregistrée sur tous les marchés et dont, en raison des événements, on a tout lieu de croire qu’elle s’accroîtra de plus en plus...” (Adamov, Tous contre tous).

Locutions prépositives exprimant à l’origine des motifs sentimentaux

Font partie de cette catégorie: grâce à, pour amour de, eu égard à, en haine de, par haine de, en considération de, en proie à.

Grâce à

Cette locution implique souvent un résultat heureux, favorable; elle marquait dans l’ancienne langue une idée de gratitude qui n’existe presque plus. Elle peut être employée aussi par ironie.

Ex.: „Grâce à l’indiscrétion d’un valet de chambre, nous avions pu obtenir l’intéressante scène représentant le lever du président de la République” (Apollinaire, L’Amphion). „Une goélette anglaise les avait recueillis, et il était revenu non sans avoir eu le temps de gagner une petite fortune grâce à des trafics divers assez faciles dans les Caraïbes de cette époque” (Tournier, La fin de Robinson Crusoé). „Grâce à des récits qu’il avait entendus en Auracanie, il devinait le sens de la cérémonie qui se déroulait actuellement sur le rivage” (Tournier, Vendredi). „Sur le pont, j’ai fait connaissance d’un marin rodriguais, un Noir athlétique et enfantin, du nom de Casimir. Il ne parle que le créole, et un pidgin anglais qu’il a appris en Malaisie. Grâce à ces deux langues, il m’apprend qu’il a fait plusieurs fois la traversée vers l’Europe, et qu’il connaît la France et l’Angleterre ”(Le Clézio, Le chercheur d’or). J’ai obtenu cette place grâce au bon certificat que vous m’avez donné. „Je fis fort peu de progrès grâce aux lenteurs d’une détestable méthode” (Stendhal, Sov. d’un gentilomme; dans cette phrase grâce à, implique un résultat défavorable). „Tous ont le vague espoir de sortir brusquement de l’abîme grâce à quelque coup d’agiotage” (Duhamel, Sc. de la vie future; P.R.). Il a réussi grâce à sa ténacité (P.Ch.).

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En haine de Cette locution signifie „à cause de la haine qu’on éprouve pour

quelqu’un ou quelque chose”. Ex.: Cet ouvrage a été écrit en haine de nos institutions (Acad.).

Philippe-Auguste „affectait, en haine du roi d’Angleterre, une intimité fraternelle avec son fils révolté” (Michelet, Histoire de France). Cet ouvrage a été écrit en haine de la religion (H.D.T.).

Par haine de Cette locution a le sens de „à cause de la haine que l’on éprouve

pour”. Ex.: Il a agi par haine des oppresseurs. „... on se rappelle les

mille expériences des jeunes gens de 1925: les toxiques, l’érotisme, et toutes ces vies jouées à pile ou face par haine du projet” (Sartre, Situations, I; P.R.).

„Elle (= l’Angletterre) avait encouragé les agissements de l’agence royaliste de Jersey jetant des agitateurs en Bretagne, et quoique pays protestant, favorisé, par haine du gouvernement français, les évêques qui avaient refusé de démissionner lors du Concordat” (Madelin, Hist. du Cons. et de l’Emp.; P.R.). Il a agi par haine de son ennemi.

Pour l’amour de Cette locution peut être suivie d’un nom de personne ou de

chose. Elle a le sens de „par considération pour”, „à cause de” , „par admiration pour”, „par égard pour“. Elle était très employée au XVIIe siècle.

Ex.: „...Que pour l’amour du grec, Monsieur, on vous embrasse” (Molière, Femmes savantes, III, 3). „... Je te veux donner un Louis d’or, et je te le donne pour l’amour de l’humanité” (Molière, Don Juan, III, 2). „Je me suis dérobée au bal pour l’amour d’eux (= à cause d’eux, de l’ennui qu’ils me donnent; Molière. École des maris, III, 8; H.D.T.).

En proie à Cette locution a le sens de „tourmenté par un sentiment, une

passion, une pensée; être sous l’empire de”. Elle peut exprimer un rapport cause-effet et la manière d’être.

Ex.: Pierre n’osait lever les yeux, en proie à une émotion paralysante. „En proie à la plus cruelle incertitude, et voulant la faire

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cesser, dût-elle en mourir, Norma se dispose à aller trouver Pollion” (Gautier, Norma; P.R.). La famille de la personne disparue est en proie à une angoisse permanente.

Cause intensive À force de

Cette locution signifie „par beaucoup de”, „grâce à beaucoup de” (La cause est parfois la conséquence du haut degré auquel on est parvenu dans l’accroissement).

Ex.: Il s’est laissé corrompre à force de présents. à force de repos et de soins, il recouvra la santé. Il se l’attacha à force de bonté, de bienfaits. à force de patience, il finira par réussir. à force de plaisirs, notre bonheur s’abîme. Il a économisé de l’argent, à force de privations. „C’était un massif obscur et humide dans lequel on pouvait se glisser par une fente étroite. Ensuite, on se perdait. à force de patience, on parvenait au centre. Là, sur un petit socle verdi par la moisissure, avait dû se tenir une statue” (Tournier, Tupik). „J’espérais, à force de travail, arriver à reconstruire notre fortune; mais le démon s’en mêle!” (A. Daudet, le Petit Chose). „On les considérait comme des maîtres cruels, que l’on apaisait avec des supplications et qui se laissaient corrompre à force de présents” (Flaubert, Salammbô).

La présence marquant une cause En présence de

Cette locution peut être suivie d’un nom désignant une chose ou une personne: „Il arrive que des compléments de lieu deviennent des compléments de cause” (F.Brunot, La Pensée et la Langue).

Ex.: En présence de pareils faits, on reste confondu (le Lexis). Il se troubla en présence du danger. En présence de ce refus, il ne sut où se tourner (F.B.). „Elle éprouvait toujours une vague surprise en présence de ce formidable aplomb” (Gyp; L.B.). „En présence des maux épouvantables qui nous frappent, il n’est pas nécessaire d’avoir le cœur bien haut pour se sentir pénétré de tristesse” (Bloy, Choix de textes; P.R.).

L’absence peut être une cause Faute de

Cette locution signifie „à cause du manque de quelque chose” ou „de quelqu’un”; „par manque de”. Elle exprime un rapport de cause certain, elle évoque un manque, quelque chose de regrettable; on dit

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aussi que faute de exprime la cause négative, que cette locution marque l’absence de l’agent agissant.

Ex.: Il n’a pas achevé l’ouvrage faute de temps. Faute de grives, on mange des merles (= faute de ce que l’on désire, il faut se contenter de ce que l’on a). Faute de prudence, il s’est égaré dans la montagne. Une affaire échoue faute de capitaux disponibles. Faute de mousse carbonique, on ne peut combattre l’incendie. Il n’a pas pu partir en voyage faute d’argent. „Bref, les Anglais, au rythme des paiements imposés par leurs besoins, voyaient approcher le moment où, faute de disponibilités, ils ne pouvaient plus recevoir ce qu’ils leur fallait pour combattre” (De Gaulle, L’Appel). „Faute de vernis ou même de goudron pour enduire les flancs de la coque, il entreprit de fabriquer de la gluselon un procédé qu’il avait observé dans les chantiers de l’Ouse” (Tournier, Vendredi). „Faute d’ennemis visibles, la bourgeoisie prenait plaisir à s’effrayer de son ombre; elle troquait son ennemi contre une inquiétude dirigée” (Sartre, Les Mots).

Par manque de Cette locution a le sens de „en raison de l’absence de”. Ex.: Un accident est vite arrivé par manque de précautions. Il

n’a pas réussi par manque d’habitude. Il a échoué par manque de patience. „Les pauvres, ceux qui s’exilent faute de pain, sont rejetés dans le désert, où il ne pousse rien, par manque d’eau” (Maupassant, Bel-Ami). „Ma fiancée ne viendra pas. Par scrupule, par crainte, par manque de foi” (Alain-Fournier, Le grand Meaulnes; P.R.).

Manque de Cette locution était employée fréquemment en français classique.

À l’heure actuelle, elle commence à sortir de l’usage (v. Paul Robert). Ex.: „Et alors nous tomberons tout à coup, manque de soutien”

(Bossuet, Sermons). „Différence entre l’esprit de géométrie et l’esprit de finesse. En l’un, les principes sont palpables, mais éloignés de l’usage commun; de sorte qu’on a peine à tourner la tête de ce côté-là , manque d’habitude: mais pour peu qu’on l’y tourne, on voit les principes à plein ... (Pascal, Pensées). „Mais, manque de coordination, le fort de Douaumont est occupé par surprise...” (Le Monde, 20 février 1966, in G.M.). Je n’ai pas terminé ma lecture manque de temps (B.). Nous comptions bien sur lui; manque de chance, il était absent (le Lexis).

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Cause faussement alléguée Sous prétexte de

Cette locution indique la fausse cause ou la cause irréelle. Sous prétexte de quelque chose = en prenant cette chose comme prétexte.

Ex.: „Sous prétexte d’une confidence, faite d’ailleurs par bravade, le docteur Malépine, en pleine réunion des délégués cantonaux l’a pressé de questions saugrenues, parlé d’hyperesthésie des centres nerveux du bulbe, et finalement traité de grand olfactif” (Bernanos, Monsieur Ouine). „Un cafard de Paris, comme il y en a tant parmi ces garçons qui, sous prétexte d’admiration et de l’intérêt qu’ils portent à votre oeuvre et à votre travail, viennent vous rendre visite à la campagne et vous relancer jusque dans le Midi quand on n’habite plus la capitale” (Cendrars, Bourlinguer). „M. de Vauvert ...lâcha contre nous la magistrature, sous prétexte de rapt, de violation de la loi” (Chateaubriand, Mémoires d’Outre-Tombe; P.R.). „Le magistrat qui les poursuit avec tant de rigueur aujourd’hui sous prétexte de bonapartisme faisait saisir le conscrit réfractaire, et conduire aux galères, l’enfant qui préférait son père à Bonaparte” (P.-L. Courier, Pétition...; P.R.). Il est parti sous prétexte d’un rendez-vous urgent (B).

Sous couleur de Cette locution a le sens de „avec l’apparence de”, „sous (le)

prétexte de”. Elle marque la cause faussement alléguée. Ex.: Sous couleur de prudence, il reste passif (le Lexis). Sous

couleur d’aide, on peut nuire (G.M.).

La locution prépositive marque le lien entre deux faits Rapport à

La locution rapport à signifie „à cause de”, „au sujet de”, „à propos de”. Elle fait partie de la langue populaire selon Paul Robert, De Boer, Sandfeld et Hanse. En parlant de cette locution dans la Pensée et la Langue, Ferdinand Brunot souligne: „L’expression rapport à n’a aucune valeur spéciale. Elle marque simplement, et de la façon la plus générale qu’il y a un lien entre deux faits. Cela suffit pour que l’esprit y voie un lien causal”.

Ex.: Il est venu me voir rapport à son procès (H.). „Seulement il s’est arrêté, partout, je vois ça, rapport à ses peaux de lapin!” (Bernanos, Un crime). „Il tourne autour de ma jupe rapport à mes rentes ...” (Balzac, Eugénie Grandet).

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Structures équivalentes

La cause peut encore être marquée: 1. Par des propositions attributives apposées. On fait suivre

l’adjectif ou le participe passé de que, puis du verbe être ou d’un autre verbe copule (devenir, etc.).

Ex.: „Ignorante qu’elle était, elle espérait trouver là les vertus exilées de notre hémisphère” (George Sand; F.B.). „Habituées qu’elles sont à être respectées, les femmes sont plus braves que les hommes” (J. Michelet, Rév.; F.B.). „Marrain se demandait quelle audace le Père montrerait. Il l’avait plutôt vu porté à céder, dans les discussions d’affaires, malheureux qu’il était d’avoir à peut-être lâcher une maigre proie pour une ombre encore moins sûre” (Lucette Desvignes, Les nœuds d’argile). „J’éprouvais donc de l’attrait, mais aussi de la sévérité, à l’égard de la pièce qui se jouait, sans relâche, sur le forum, entraîné que j’étais par l’intelligence, l’ardeur, l’éloquence qu’y prodiguaient maints acteurs et navré de voir tant de dons gaspillés dans la confusion politique et les divisions nationales” (De Gaulle, L’Appel). „Concentrés qu’ils (= les Anglais) étaient sur leurs préoccupations, nos problèmes particuliers leur paraissaient intempestifs” (De Gaulle, L’Appel). „Nous avions d’abord pensé à engager des acteurs pour mimer la scène qui nous manquait, mais, outre que nous eussions trompé nos futurs spectateurs en leur offrant des scènes truquées, habitués que nous étions à ne cinématographier que de la réalité, nous ne pouvions être satisfaits par un simple jeu théâtral, si parfait fût-il” (Apollinaire, L’Amphion). „Ma terreur fut indicible, et je n’eus qu’une envie, lâche que j’étais et que je suis encore: celle de disparaître” (Apollinaire, La Disparition d’Honoré Subrac). „Domenico me parlait beaucoup de New-York quand nous prenions les quatre heures à la cambuse où il y avait toujours deux, trois matelots en train de fumer la pipe qui l’écoutaient parler, mais je n’en ai rien retenu, distrait que j’étais par ces hommes tous plus ou moins barbus qui se faisaient tous la tête inquiétante du commandant“ (Cendrars, Naples). „Ce que tu m’as dit de ta nuit, du ciel, de la lune, du paysage, du silence a dû ranimer en moi des réminiscences similaires, attisées qu’elles étaient par les résonances de guerre que tu m’as laissée entendre derrière les réflexions amères que tu rapportais...” (Cendrars, L’Homme foudroyé).

Remarque. On peut faire suivre l’adjectif ou le participe passé de comme puis du verbe être ou d’un autre verbe copule.

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Ex.: 1. Bâti comme il l’était, une maladie de ce genre ne devait pas l’abattre (F.B.). „Laids comme ils étaient, ils n’auraient pas dû se montrer” (A. France, Livre de mon ami; L.B.). „Elle tirait parti de tout, économe comme elle l’était” (Lucette Desvignes, Les Nœuds d’argile). „De toute façon, la garde mobile et la gendarmerie, eussent-elles été complètes et sûres d’elles-mêmes, n’auraient pu faire face à tout. A fortiori n’y suffisaient-elles pas réduites comme elles l’étaient par le départ au maquis de bon nombre de leurs éléments et, en outre, moralement gênées par l’emploi que Vichy avait fait d’elles” (De Gaulle, Le Salut).

Kr. Sandfeld (260) et M. Grevisse rangent ces structures parmi les propositions comparatives.

2. Par des propositions juxtaposées (le lien causal n’est pas marqué; la cause est suggérée par une simple juxtaposition).

Ex.: J’ai acheté un téléviseur, le mien était usé. Paul tremble: il a froid (Bonnard). C’est lui le coupable: les preuves sont établies (Z). „L’eau ne venait pas à la ceinture; on pouvait passer” (Flaubert, Salammbô; L.B.). „Ses souliers étaient blancs de poussière; il avait fait la route de Paris à pied”. (F.B.). „On avait sans doute festoyé la nuit dernière. De la cendre de cigare était restée sur les consoles” (J. Michelet, Rév.; F.B.). „Ne revenez pas frapper à la porte, elle ne s’ouvrirait pas” (Zola, Vérité). „Parlez-moi comme à une vieille femme. J’ai trouvé ce matin trois fils blancs dans mes cheveux” (A. France, Livre de mon ami; Sandf.). „Tu as crié fort, tu sais. Jacqueline a failli s’éveiller” (M. Aymé, Travelingue; Lorian). „– Quelle saleté ma pauvre Zabeth. Ces cochons-là nous mènent à la ruine”. „C’est sans importance, répondit-elle gaiement, nous n’avons pas le sou” (M. Aymé, ibid.). La circulation a été arrêtée dans cette rue: une voiture a accidenté un piéton. Le prix du pétrole ne cesse de monter: l’exploitation des centrales nucléaires va devenir très rentable.

Remarque. Dans le cadre de cette parataxe, l’imparfait peut servir à marquer la cause des faits passés.

Ex.: Pierre ne comprenait pas; Marie fut obligée de répéter plusieurs fois. Le jour baissait, il alluma la lampe de la table de chevet. „Cinq ans plus tard seulement, M. Bovary connut la vérité; elle était vieille, il l’accepta” (Flaubert, Madame Bovary; F.B.).

3. La cause est exprimée au moyen d’une coordination. Le lien causal est marqué par une conjonction, ou par une

locution ou par un adverbe.

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a) la conjonction car (jonctif causal)39 Ex.: Il ne sort pas car il neige. Il faut se séparer car il se fait tard

(le Lexis). Il ment car il se contredit (Acad.). Il ne viendra pas ce soir car il est parti en vacances (P.R.). Je n’irai pas au théâtre car je suis fatigué (A. Th.). „Ces leçons ne furent une perte de temps ni pour Macarée ni pour François des Ygrées, car ils finirent par s’épouser“ (Apollinaire, Le Poète assassiné). „La demoiselle était en âge de se marier, mais elle disait à son père et à sa mère qu’ils ne la mariassent pas et qu’elle était décidée à ne jamais voir d’homme, car son cœur ne le pourrait souffrir ni endurer” (Apollinaire, L’Enchanteur). „Il négligea de dresser des signaux qui fussent visibles en son absence car il ne songeait pas à s’éloigner de ce rivage où après-demain au plus tard, un navire jetterait l’ancre pour lui” (Tournier, Vendredi). „...tout le monde savait au régiment que Faval adorait sa femme car, comme il ne savait ni lire ni écrire, il ennuyait tout le monde pour qu’on lise les lettres qu’il recevait de sa femme...” (Cendrars, L’homme foudroyé).

„Elle dormait sans doute, car la mousseline sur son corps était fripée de plis en désordre” (A. Robbe-Grillet, Projet pour une révolution à New-York). „D’ordinaire, je ne le regardais même pas, car il m’était plutôt antipathique avec son argent et ses exigences” (Duhamel, Suzanne). Arrête de pleurer car cela ne sert à rien (W).

Remarque. Car marque l’explication du fait ou du jugement énoncé dans la phrase précédente:

Ex.: „Mon père haussait les épaules et il examinait le baromètre, car il aimait la météorologie” (Proust, Du côté de chez Swann). „Vous pouvez encore nous rendre de très grands services car nous entendons bien utiliser votre expérience” (Exbrayat, Le temps se gâte à Zakopane).

b) le lien causal est marqué par la locution adverbiale en effet 40 (jonctif causal). Ex.: Cette peinture est toxique; elle contient en effet de la céruse (G.L). J’ai hésité à lui demander ce service, je sais en effet qu’il est surchargé de travail (Z.). ________________

39 v. L. Tesnière, Éléments de syntaxe, Paris, Klincksieck, 1969, p. 86. 40 W. von Wartburg et Paul Zumthor en parlant de la différence qui

existe entre car et en effet soulignent: „En effet se différencie doublement à l’égard de car: par sa plus grande consistance phonétique, il se prête mieux à introduire une explication de quelque longueur intervenant après un certain arrêt de la pensée, alors que car lie plus étroitement les coordonnées; de plus en effet.... convient mieux à l’articulation d’une pensée logique, d’un raison-nement” (Syntaxe, p. 78).

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„Le grondement des vagues nous avertit que la barre est proche; en effet, tout à coup je sens notre esquif soulevé par une vague rapide, et sur le sommet de la lame nous franchissons le goulet entre les récifs” (Le Clézio, Le chercheur d’or). Il a préféré l’envoyer chez un spécialiste; en effet, ce cas ne pouvait être traité par une thérapie ordinaire (P.Ch.).

c) le lien causal est marqué par l’adverbe tant. Ex.: „Elle ne pouvait plus parler, tant elle pleurait” (Maupassant,

En voyage; L.B.). Les armées furent dans l’inaction, tant le froid fut violent (P.R.). Il est vert tant il a froid (Bonnard). Le chien s’est enfui, tant il était effrayé (G.M.). „Elle mettait son orgueil, le soir, à ne plus pouvoir tenir les yeux ouverts, tant elle était lasse” (Mauriac, Le Sagouin). „Mais cela créait un précédent dont il s’autorisa pour s’introduire, tant il savait qu’une première concession nous oblige” (Gide, Attendu que; P.R.).

d) le lien causal est marqué par l’adverbe tellement. Ex.: „Il s’endormit à table, tellement il avait couru” (Mauriac,

Nœud de vipères; L.B.). „On aurait dit que leur peau (= la peau des dindes) allait craquer en rôtissant, tellement elle était tendue”(Daudet; P.R.).

„Cet ancien paysan sobre, dur à son corps, vivant de pain et d’eau, avait pris là des habitudes de godaille, le goût de la viande et de l’eau-de-vie, tellement les vices se gagnent vite...” (Zola, La Terre). „Et Peter Van der Keer d’allonger le pas, tellement il était pressé d’aller vider son sac à surprises” (Cendrars, Rotterdam).

4. La cause est exprimée par une proposition relative. Ex.: Mon frère, qui a gagné à la loterie une forte somme

d’argent, est au comble de la joie. „Je m’arrache à cette tranquillité qui finirait par m’engourdir, tranquillité rendue plus sensible par l’activité, le mouvement, le trafic que l’on devine sur l’autre rue et dont la rumeur me parvient assourdie” (Leo Malet, Rue des Rosiers). „Sa mère, qui la connaissait et savait l’aimer, avait exigé pour elle cette liberté” (Musset; Roug.) „Eh bien, je repartirai pour Paris, je battrai les chemins..., moi qui n’ai plus de métier” (Alain Fournier, Grand-Meaulnes; L.B.). Cède la place à cette dame qui est souffrante! „Je fus jaloux de Parménide parce qu’il apprenait le chinois; deux mois plus tard de Théodose qui découvrait l’astronomie” (A. Gide, Nourritures terrestres; L.B.).

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LES CIRCONSTANTS DE CONSÉQUENCE

Le circonstant de conséquence constitué par une proposition à verbe fini

La proposition consécutive exprime le résultat de l’action indiquée dans la principale, l’effet engendré par cette action.

Subordonnants

A. Locutions conjonctives de conséquence empruntées à l’expres-sion de la manière (La conséquence est due à une manière de faire).

Lorsque la conséquence dépend de la manière dont s’accomplit l’action exprimée dans la principale, la proposition de conséquence est introduite généralement par une des locutions empruntées à l’expression de la manière (de manière que, de façon que, de sorte que, en sorte que). Les locutions de manière que, de façon que, de sorte que peuvent se combiner avec le mot tel (de telle manière que, de telle façon que, de telle sorte que). à cause de leur emploi fréquent dans une structure conséquentielle, l’idée de manière de ces locutions con-jonctives s’est affaiblie.

De manière que

Cette locution indique le fait que la conséquence est due à la manière dont l’action principale a été produite.

Ex.: Il a agi habilement de manière que tous se sont montrés satisfaits. Les choses se sont passées de manière que tout le monde est content. Vous tournez les choses de manière que vous mécontentez tout le monde. „J’allai voir la cathédrale, vaisseau gothique à flèche élevée. Les bas-côtés se partagent en deux voûtes étroites soutenues par un seul rang de piliers, de manière que l’édifice intérieur tient à la fois de la cathédrale et de la basilique” (Chateaubriand, Mémoires d’Outre-Tombe; P.R.). Il a parlé, il a agi de manière que l’on a vu clairement ses intentions (Acad.).

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„C’était le mois prochain qu’ils devraient s’enfuir....Elle aurait eu soin d’envoyer chez Lheureux son bagage, qui serait directement porté à Hirondelle, de manière que personne ainsi n’aurait de soupçons” (Flaubert, Madame Bovary; P.R.).

Remarque. La locution conjonctive de manière que et les autres locutions de même type se prêtent aussi à exprimer un rapport de finalité; elle est suivie du subjonctif qui marque une conséquence voulue.

Ex.: Il se conduit de manière qu’on n’ait aucun reproche à lui faire. Ils le garrottèrent de manière qu’il ne pût remuer les jambes. „Assembler veut dire mettre ensemble ce qui est épars; joindre, rapprocher de manière que les choses se touchent; unir, joindre de manière qu’elles soient liées, attachées, qu’elles ne puissent plus se séparer” (Littré). „Pourquoi intervertir l’ordre des vers de manière que la suite en devienne complètement incompréhensible?” (Gide, Nouveaux prétextes).

De telle manière que

Ex.: Il a crié de telle manière qu’il m’a réveillé (le Lexis). Il a parlé de telle manière que l’on vu clairement ses intentions. Tout s’est passé de telle manière que chacun est content. Il s’y est pris de telle manière qu’on l’a remercié sans rien lui donner (P.Ch.).

Remarque I. On construit de telle manière que avec le subjonctif si le résultat de l’action a été cherché, voulu: Faites les choses de telle manière que chacun soit content.

Remarque II. La locution de manière à ce que condamnée par Littré et par certains grammairiens s’est implantée dans la langue littéraire:

„Par analogie avec le tour infinitif (de façon à, de manière à), sans doute aussi en vue d’accentuer le caractère analytique de l’expres-sion, on en est venu à introduire devant le que de ces constructions le démonstratif ce. En 1868, Littré protestait déjà contre cette surcharge: „De manière à ce que est une locution vicieuse dont il faut se garder” (G. et R., Le Bidois, Syntaxe II).

Beaucoup d’écrivains n’hésitent pas: „Je dis qu’il est écono-miquement injuste que l’on s’arrange de manière à ce que nos fourneaux soient industriellement annulés” (Ch. Péguy, L’Esprit de système). „Elle sait s’arranger de manière à ce qu’on lui manque” (Gide, Les Caves du Vatican; P.R.).

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De façon que

Ex.: La nuit vint de façon que je fus obligé de me retirer. Il travaille de façon qu’il peut vivre (on indique le fait que la consé-quence est réelle; c’est pourquoi on emploie l’indicatif). „Tout alla de façon qu’il ne vit plus aucun poisson” (La F. VII, 5).

„L’endroit parut suspect aux voleurs; de façon / Qu’à notre prometteur l’un dit: „Mon camarade, / Tu te moques de moi” (La F. IX, 13).

Remarque I. Suivie du subjonctif, la locution de façon que exprime une relation de finalité: „La date a été fixée de façon que vous puissiez venir” (B).

Remarque II. La locution de façon à ce que qui est condamnée par certains puristes est pourtant employée par les meilleurs auteurs. Elle introduit une conséquence voulue et elle est normalement suivie du subjonctif.

Ex.: „Il les fit payer de façon à ce qu’elles gagnassent deux fois plus qu’elles n’avaient gagné” (Saint-Exupéry, Citadelle). „Remettez-vous vite, de façon à ce que nous ne nous irritions pas l’un l’autre” (A. Maurois, Les Mondes imaginaires; Grev.). „Il croisa seulement son fusil de façon à ce que la crosse lui protégeât le ventre” (Dorgelès, Croix de bois; P.R.).

De telle façon que Ex.: Il agit de telle façon que tous ont confiance en lui. Il vit de

telle façon qu’il est estimé. Remarque. On emploie le subjonctif après cette locution

lorsque la conséquence est voulue ou souhaitée. Ex.: Agissez de telle façon que vous méritiez l’estime des gens

de bien (le Lexis). „Décomposer les idées, noter leur dépendance, former leur chaîne de telle façon qu’aucun anneau ne manque et que la chaîne entière soit accrochée à quelque axiome incontestable ou à un groupe d’expériences familières...” (Taine, Philosophie de l’Art; P.R.).

De sorte que Ex.: Le train avait du retard, de sorte que j’ai manqué le rendez-

vous. Il a beaucoup travaillé de sorte qu’il a réussi. Je n’ai plus d’argent de sorte que je ne peux vous payer. Les enfants ont flâné de sorte qu’ils sont arrivés en retard (B.). „...des sons rauques qui

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alternaient avec des glapissements aigus, de sorte que j’étais injurié et vitupéré en manière de chant ou de cantilène” (A. France, Rôtisserie ...; P.R.).

Remarque. La locution de sorte que se construit avec le sub-jonctif si le résultat, la conséquence de l’action sont voulus; elle implique en ce cas une idée de finalité.

Ex.: Agissons autrement, de sorte qu’on ne puisse nous blâmer. „Je l’ai installé dans la chambre à côté de la mienne, de sorte que je puisse recevoir des visites sans le déranger” (A. Gide; Grev.).

De telle sorte que Ex.: „Le remboursement intégral eut lieu effectivement et au

cours même du conflit, de telle sorte, qu’en définitive, notre effort de guerre ne resta, dans aucune mesure, à la charge de l’Anglettere” (De Gaulle, L’Appel). „Entre cette date et le premier jour qu’il marqua d’une encoche sur un fût de pin mort s’insérait une durée indéterminée, indéfinissable, pleine de ténèbres et de sanglots, de telle sorte que Robinson se trouvait coupé du calendrier des hommes, comme il était séparé d’eux par les eaux” (Tournier, Vendredi). „Mes cours sont subdivisés de telle sorte qu’on peut très bien en suivre une partie sans avoir nécessairement entendu la précédente” (Adamov, Le Professeur Taranne). „La carte de notre vie est pliée de telle sorte que nous ne voyons pas une seule grande route qui la traverse, mais au fur et à mesure qu’elle s’ouvre, toujours une petite route neuve. Nous croyons choisir et nous n’avons pas le choix” (Cocteau, Le grand écart; P.R.).

Remarque. La locution de telle sorte que se fait suivre du sub-jonctif lorsqu’elle implique une idée de finalité (conséquence voulue, souhaitée).

Ex.: Agissez de telle sorte que votre action puisse être donnée comme modèle. Il avait agi de telle sorte que tout le monde le louât.

En sorte que Ex.: Il a bien agi en sorte que tout le monde l’approuva. Vous lui

donnez raison: en sorte que je me trouve avoir tort. „Lord Grenville n’osait regarder Julie, en sorte que madame de Winphen fit presque à elle seule les frais d’une conversation sans intérêt” (Balzac, Femme de trente ans; P.R.). „L’architecture élégante et raffinée fait de la pierre une dentelle et festonne ses églises de pinacles, de trèfles, de meneaux entrelacés et contournés, en sorte que l’édifice évidé, fleuronné, doré

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est une prodigieuse et romanesque orfèvrerie” (H. Taine, Philosophie de l’art; P.R.).

Remarque. La locution en sorte que est suivie du subjonctif quand elle marque une conséquence voulue, souhaitée.

Ex.: Il avait agi en sorte que tout le monde l’approuvât. Faites en sorte que vous arriviez avant moi. Faites en sorte qu’on n’ait rien à vous reprocher (H.). „Et là-haut, tout à la pointe extrême en sorte qu’il n’y ait plus au-dessus que la croix, qu’est-ce que je vois?” (Claudel, L’Oeil écoute; Grev.).

B. Les locutions conséquentielles d’intensité ou de degré. Ces locutions contiennent, en général, des éléments corrélatifs

non soudés. La locution conjonctive si ... que

L’adverbe si est le plus employé parmi les adverbes d’intensité qui s’unissent à que pour former des locutions conjonctives de consé-quence. Si accompagné d’un adjectif ou d’un adverbe et en corrélation avec la conjonction que joue un rôle essentiel lorsqu’il s’agit d’exprimer le haut degré d’une qualité, etc.

1. Si accompagné d’un adjectif Ex.: „L’horizon méridional vers lequel la galiote roulait pares-

seusement était si noir que lorsque les premières gouttes s’écrasèrent sur le pont, Robinson fut étonné qu’elles fussent incolores” (Tournier, Vendredi). „Il a promené sur tous ces hommes un visage si triste et si hagard que la vague des rires qui repartait de plus belle s’est arrêtée net, et qu’un grand silence s’est fait dans le tripot” (Tournier, La fin de Robinson Crusoé). „Vous aviez l’air si perdue dans vos pensées, si entraînée par des liens lumineux que je n’ai pas osé vous déranger” (Adamov, La Parodie). „Le ciel était sans limites, d’un bleu si dur qu’il brûlait la face” ”(Le Clézio, Désert). „Au milieu de la haute fenêtre sans rideaux, la lune apparut tout à coup, à travers la vitre, nue, immobile, toute vivante et si proche qu’on eût voulu entendre le frémissement de sa lumière blonde” (Bernanos, Histoire de Mouchette). „Il se fâchait, buvait tout de même sa gorgée, et ma grand-mère repartait, triste, découragée, souriante pourtant, car elle était si humble de cœur et si douce que sa tendresse pour les autres et le peu de cas qu’elle faisait de sa propre personne et de ses souffrances, se conci-liaient dans son regard en un sourire...” (Proust, Du côté de chez Swann). „Son visage était si immobile que l’imperceptible frémissement d’un

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muscle, à la racine du nez, y apparaissait ainsi qu’un signe extra-ordinaire” (Bernanos, Un crime). „Les charbons du ciel étaient si proches que je craignais leur ardeur” (Apollinaire, L’Enchanteur). En Alsace, elle avait trouvé maman si vieillie, si affaiblie, qu’elle avait dit à Lionel: „Elle ne passera pas l’hiver” (S. de Beauvoir, Une mort si douce)”. Ses lunettes ont des verres si foncés qu’il est impossible même de deviner la forme de ses yeux” (A. Robbe-Grillet, Projet...).

2. Si accompagné d’un adverbe Ex.: Ma plume allait si vite que, souvent, j’avais mal au poignet”

(Sartre, Les Mots). „J’ai dormi si profondément que je n’ai même pas entendu le navire appareiller, franchir la passe, lorsque la marée est venue” (Le Clézio, Le chercheur d’or). „J’ai déjeuné tout à l’heure chez votre mère. Je l’ai trouvée si mal que j’ai voulu vous avertir” (S. de Beauvoir, Une mort très douce). „Les choses allèrent si loin que l’agence Ransdoc... annonça, dans son émission radiophonique d’informations gratuites, six mille deux cent trente et un rats collectés et brûlés dans la seule journée du 25” (Camus, La Peste). „Tout était... si sobrement joué que j’avais l’impression ridicule de faire partie de la famille” (Camus, L’Étranger). „Les femmes étaient parties pour la messe de minuit si discrètement qu’on pouvait presque les croire encore en train de s’apprêter dans leurs chambres” (Desvignes, Les nœuds d’argile).

Si bien que Cette locution possède, en général, le sens de „de sorte que”,

„tellement que”. Ex.: Il refusa, si bien qu’il fallut employer la force (H.D.T.).

„Quelques auditeurs après une seconde d’hésitation, se laissèrent glisser de leur chaise sur le prie – Dieu. D’autres crurent qu’il fallait suivre leur exemple si bien que, de proche en proche, sans un autre bruit que le craquement de quelques chaises, tout l’auditoire se trouva bientôt à genoux” (La Peste). „Maman se portait si bien qu’elle a lu quelques pages de Simenon” (S. de Beauvoir, Une mort très douce). „Ensuite elle (= la sorcière) revenait près du foyer, et le manège recommençait si bien que Robinson se demandait si la sorcière n’allait pas s’écrouler asphyxiée avant l’achèvement du rite” (Tournier, Vendredi). „Chaque fois qu’il prend une feuille, il en fait tomber d’autres, si bien qu’au bout d’un moment, le parquet est jonché de feuilles” (Adamov, La Parodie). „Mais comme les effets nouveaux n’arrivaient que par

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petits paquets, nous ne fûmes jamais plus de deux poilus à être habillés de façon identique, si bien que nous faisions taches et que sur la route le régiment-caméléon défilait maintenant comme une mascarade versi-colore...” (Cendrars, La main coupée).

Remarques. 1. Dans les vers, la locution si bien que peut être employée en pratiquant une tmèse:

Ex.: „Je suis si bien guéri de cette maladie / Que j’en doute parfois lorsque j’y veux songer” (Musset, Nuit d’octobre; L.B.).

2. P. Zumthor et W. von Wartburg ont montré que la locution si bien que peut être employée de différentes manières:

a) Il a si bien travaillé qu’il a obtenu le prix („c’est là si ...que, marquant l’intensité du verbe par l’intermédiaire de l’adverbe bien”).

b) Il a travaillé si bien que le prix lui a été attribué („c’est la même phrase, différant de la première par l’ordre seul des mots, une pause sépare bien de que”).

c) Il a travaillé toute l’année avec zèle, si bien qu’il a obtenu le prix („les éléments de si bien que sont soudés, on a là une conjonction marquant la conséquence objective du fait précédemment énoncé”) Précis de syntaxe, p. 102.

3. La subordonnée de conséquence introduite par si bien que est parfois séparée de la phrase précédente par un signe de ponctuation (un point; point et virgule) qui coupe le lien entre les deux propositions.

Ex.: „En même temps, j’essayais de ne pas perdre le fil de mon inventaire, de faire une énumération complète. Si bien que au bout de quelques semaines, je pouvais passer des heures, rien qu’à dénombrer ce qui se trouvait dans ma chambre” (Camus, L’Étranger).

Tant...que, tant de ...que L’adverbe de quantité tant en corrélation avec la conjonction

que modifie soit un verbe41, soit un nom ou un participe. Ex.: „J’ai tant joui dans cette vie, que je n’ai vraiment pas le

droit de réclamer une compensation d’outre-tombe...” (Renan, Souvenirs d’enfance; P.R.). Il montre tant de courage qu’il doit réussir (H.). „Elle éprouvait tant de rancœur qu’elle souhaita de mourir” (Martin du Gard, Les Thibault). Il a tant d’assurance qu’il finit par m’en inspirer. „Tout s’est passé ensuite avec tant de précipitation, de certitude et de naturel que je ne me souviens plus de rien” (Camus, L’Étranger). „Il s’est mis à courir partout et il a fait tant de bruit que mon père est ________________

41 un verbe à un temps simple ou à un temps composé

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venu en chemise de nuit avec sa bougie à la main, et il s’est mis en colère et il a chassé le petit animal au-dehors” (Le Clézio, Le cher-cheur d’or). J’ai tant de dettes que jamais je ne pourrai m’en acquitter. „Il (= le matador) a tant de sang froid que le combat ne semble plus qu’un jeu” (Gautier, Voyage en Espagne). Il a tant d’argent qu’il n’a plus le sens des réalités (P.Ch.).

Tant et si bien que Dans cette locution tant est combiné avec si bien (Z.). Ex.: Il fit tant et si bien qu’il arriva à ses fins. Vous avez tant et

si bien gâté votre ouvrage que tout est à recommencer (Z). „Toute la coterie Polignac se souleva, protesta et fit tant et si

bien que la Reine pour avoir la paix, renonça à son désir” (Maugras, Lauzun; Sandf.). „Une bataille acharnée s’engagea. Tant et si bien que les assaillants se retirèrent en déroute sous la conduite de l’Oblat” (Barrès, Colline inspiré; P.R.). Il a insisté tant et si bien qu’il a fini par obtenir ce qu’il voulait (P.Ch.).

Si bien et tant Ex.: „Il (= Tournier) a si bien et tant appris qu’il s’est mis à

douter que l’objet fabriqué que les romanciers lui proposent puisse receler les richesses de l’objet réel” (N. Sarraute, L’ère du soupçon).

Tellement ...que Par son premier élément, cette locution énonce un haut degré qui

entraîne une certaine conséquence; elle marque l’intensité d’un adjectif, d’un verbe ou d’un adverbe.

Ex.: „Les livres qu’il trouva dans les cabines avaient été tellement gâtés par l’eau et la pluie que le texte imprimé s’en était effacé... (Tournier, Vendredi). Cette maison est tellement grande qu’il est dif-ficile de la chauffer (le Lexis). Les feux chauffaient tellement la pièce qu’on laissait larges ouvertes les deux fenêtres (P.R.). L’égoïste indispose tellement qu’on le fuit (Larousse). „On connaissait tellement bien tout le monde, à Combray, bêtes et gens, que si ma tante avait vu par hasard passer un chien „qu’elle ne connaissait point”, elle ne cessait d’y penser et de consacrer à ce fait incompréhensible ses talents d’induction et ses heures de liberté” (Proust, Du côté de chez Swann). Il est tellement heureux qu’il en a oublié de nous remercier (P.Ch.).

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Tellement de ... que Tellement peut se faire suivre d’un complément substantif (v. Le

Bidois, Syntaxe II). Ex.: J’ai tellement de travail que je ne sais où donner de la tête.

J’ai tellement de chose à faire que je ne sais par où commencer. Il a dépensé tellement d’argent qu’il s’est ruiné. „Il sait tellement de choses qu’on ne s’ennuie jamais avec lui” (Le Clézio, Le chercheur d’or). „Il y a tellement de lumière et de bruit, ici, que Lalla est obligée de fermer la bouche et les yeux” (Le Clézio, Désert). „Il y avait tellement de manœuvres à chaque gare qu’on oubliait à chaque fois deux ou trois wagons” (Duhamel; Sandf.).

Remarque. Dans la subordonnée de conséquence introduite par tellement que, on emploie normalement l’indicatif ou le conditionnel quand la principale est affirmative, et le subjonctif quand elle est négative ou interrogative.

Ex.: Il n’est pas tellement fort qu’il soit invincible. Est-il tellement fort qu’il soit invincible?

Tel...que conséquentiel L’indéfini tel sert, en relation avec que, à marquer la

conséquence. Selon Ferdinand Brunot, tel marque à la fois quantité et façon d’être, et par suite remplace l’adjectif et l’adverbe de degré. (v. La Pensée et la Langue, p. 838). Il se construit soit comme attribut, soit comme qualificatif d’un nom.

A. Tel peut être attribut Ex.: „Mon orgueil et mon délaissement étaient tels, à l’époque,

que je souhaitais être mort ou requis par toute la terre” (Sartre, Les Mots). „L’enjeu était tel qu’il ne me parut pas permis de me réserver, si minces que fussent mon importance et ma notoriété” (De Gaulle, L’Appel). „Les problèmes que nous devions résoudre, à cet égard, étaient tels qu’il nous fallait sortir du régime des expédients” (De Gaulle, L’Appel). „Mais les dégâts étaient tels qu’en les voyant on doutait que de longtemps, le port se ranimât” (De Gaulle, Le Salut). „Le désintéressement de leur pensée était tel, à l’égard de tout ce qui, de près ou de loin, semblait se rattacher à la vie mondaine, que leur sens auditif – ayant fini par comprendre son inutilité momentanée dès qu’à dîner la conversation prenait un ton frivole... mettait alors au repos ses organes récepteurs” (Proust, Du côté de chez Swann). „Le vacarme des voix devint tel, que monsieur Verlague renonça à ses explications” (Zola, Ventre de Paris; Sandf).

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Remarque. Tel peut se trouver en tête de la phrase suivi d’un verbe attributif.

Ex.: „Tel est justement la sagesse du Tarot qu’il ne nous éclaire jamais sur notre avenir en termes clairs” (Tournier, Vendredi). „Tel est l’effroi qui s’empare de l’homme à découvrir la figure de son pouvoir qu’il s’en détourne dans l’action même qui est la sienne quand cette action la montre nue” (Lacan, Écrits). „Tel était l’enchaînement des faits dans ce bel ouvrage, qu’on ne pouvait retrancher une page sans détruire tout le reste” (A. France, Livre de mon ami; L.B.).

B. Tel peut être construit comme qualificatif d’un nom (comme „l’adjoint d’un substantif”; v. Sandfeld, Syntaxe II, p.409).

En ce cas tel peut être placé: 1. Devant le nom Ex.: „Nous regardons le ciel avec une telle attention que la tête

nous tourne, que nous titubons de vertige” (Le Clézio, Le chercheur d’or). „Le soleil, la mer, la forêt, l’azur, le monde entier étaient frappés d’une telle immobilité que le cours du temps aurait paru suspendu sans le tic-tac mouillé de la clepsydre”. (Tournier, Vendredi). „Les troncs des arbres morts et pourrissants formaient un tel amoncellement que Robinson tantôt rampait dans des tunnels végétaux, tantôt marchait à plusieurs mètres du sol, comme sur des passerelles naturelles” (Tournier, Vendredi). „Elle eut une telle peur qu’elle en perdit le souffle” (Z.). „Une telle angoisse m’étreignit que je n’osais l’interroger” (Gide, Porte étroite; L.B.). Il a un tel talent que tout le monde l’admire. „Comprenez, me répondit-il, que le bombardement d’Oxford, de Coventry, de Canterbury, provoquera aux États-Unis une telle vague d’indignation qu’ils entreront dans la guerre!” (De Gaulle, L’Appel).

„La gifle claqua avec une telle force qu’on dut l’entendre jusqu’au milieu de Zakopane” (Exbrayat, Le temps se gâte à Zakopane).

2. Derrière le nom Ex.: „Cependant je lui ai expliqué que j’avais une nature telle

que mes besoins physiques dérangeaient souvent mes sentiments” (Camus, L’Étranger). „D’ailleurs, j’ai une puissance telle sur mon imagination que je me crée un monde à moi” (Moreau; Sandf). „Le reste des troupes venait d’être emporté au milieu d’une débandade telle, que ce galop de déroute ne s’arrêta que derrière les remparts” (Zola, Débâcle; P.R.).

Remarque. Tel ... que se construit avec le subjonctif quand la principale est négative ou interrogative, ou quand la conséquence est présentée comme voulue, comme étant le résultat d’une intention.

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Ex: „Les prophéties, les miracles mêmes et les preuves de notre religion ne sont pas de telle nature qu’on puisse dire qu’ils sont abso-lument convaincants” (Pascal, Pensées; R.P.). „Il faut se maintenir en tel état qu’on ne puisse être jamais ni rassasié ni insatiable” (Joubert).

Une locution formée au moyen de tel: à telle(s) enseigne(s) que Cette locution signifie „tellement que; la preuve c’est que, la

preuve en est que; à preuve que; au point que” Ex.: Il affecte un langage très châtié à telle enseigne qu’il abuse

de l’imparfait du subjonctif (le Lexis). „Mais si! le facteur est passé! à telle enseigne que je lui ai parlé” (B). „Oui, Madame, vous aurez de la musique, à telles enseignes que j’ai ordre de commander cent bouteilles de Suresnes pour abreuver la symphonie” (Lesage, Turcaret, II, 6; H.D.T.). „Très parfaitement, et à telles enseignes que, si vous aviez la bonté de faire défendre votre porte, j’essayerai de vous le démontrer (= que je vous aime) et, j’ose m’en flatter, d’une manière victorieuse” (Gautier, Mlle Maupin, R.P.). „Certes, depuis bien des années il avait découvert la possibilité de s’évanouir pour ainsi dire à volonté, cela à telle enseigne qu’il en avait même perdu le contrôle de lui-même, et que, malgré lui, il s’évanouissait quand la situation paraissait l’exiger” (Chr. Brand).

Locutions conjonctives formées à l’aide du mot point ou des mots point et tel

Le nom point possède aussi le contenu sémantique de degré, d’intensité et il peut entrer tout naturellement dans la formation de locutions conjonctives qui introduisent des propositions dépendantes consécutives (au point que, à un point que, à ce point que, à tel point que, à un tel point que).

Au point que Ex.: „Le crépuscule insidieux s’évanouit lui-même comme il

était venu, au point que le voyageur solitaire ne perçut d’abord des ténèbres qu’une odeur plus violente et plus âcre, parfois doucement miellée, de la forêt endormie” (Bernanos, Une Nuit). „Elle perdait la notion du lieu au point qu’il lui arrivait de tomber tout à coup de sa chaise” (A. Gide, Si le grain; R.P.). „Ce silence devint insupportable au point que je décidai à le rompre” (P. Benoit, Axelle; L.B.). „J’étais si troublée que je n’eus que le temps de gagner un fauteuil, et je me

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trouvai mal au point que je perdis connaissance” (Laclos, Liaisons; R.P.). Je vous aime au point que la vie sans vous n’aurait pour moi plus de sens. Ses contradicteurs ont multiplié les attaques au point qu’il est parti (B). „Elle poussa une sorte de gémissement fort désa-gréable à entendre et pâlit au point qu’on crut qu’elle allait se trouver mal” (Exbrayat, Le temps se gâte à Zakopane). „L’angoisse lui para-lysait le cerveau au point qu’il ne parvenait pas à songer à la manière de rejoindre Villar le plus vite possible” (Exbrayat, Paco).

À un point que Ex.: „Ils me divertissent, mais à un point que n’avez pas idée!”

(Lavedan, Sandf.). „J’en restai ébaubi. Ébaubi à un point que je ne l’ai pas jeté dans l’escalier” (Dorgelès, Sandf).

À ce point que Ex.: „Ils sont à ce point installés dans la guerre qu’ils ne sauraient

plus comment en sortir” (J. Romains, Hommes de bonne volonté; R.P.). „La température de ce lundi était à ce point ardente que les ouvriers firent durer la sieste” (M. Prévost, Mort des ormeaux; F.B.).

À tel point que Ex.: „Laura paraît s’amuser de cette situation, à tel point même

qu’elle en oublie de me demander ce que je faisais dans une pareille boutique et comment j’ai pu assister d’aussi près à la conversation” (A. Robbe-Grillet, Projet). „Ce sont les eaux calmes de la rade qui m’ont réveillé, car je suis à tel point accoutumé au balancement incessant du navire que cette immobilité m’a inquiété” (Le Clézio, Le chercheur d’or). „Elle est donc bien séduisante? – Oui et non. Ceux qui aiment les femmes d’autrefois, les femmes à âme, les femmes à coeur, les femmes à sensibilité, les femmes des romans passés, la prennent en grippe, et l’exècrent à tel point qu’ils finissent par dire sur elle des infamies” (Maupassant, Notre cœur). Il est surmené à tel point qu’il est tombé malade (le Lexis). Dans cet ouvrage, César est idéalisé à tel point que ses défauts sont passés sous silence.

À un tel point que Ex.: „Le singe les effraya tous à un tel point qu’ayant fait

quelques pas en arrière, ils l’abattirent à coups de revolver avant d’oser approcher de nouveau” (Apollinaire, Le Matelot d’Amsterdam).

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Les larmes le gagnaient à un tel point qu’il ne pouvait plus prononcer d’une manière intelligible” (Stendhal, Chartreuse de Parme). „Au degré d’exaltation où il était parvenu, l’idée chez lui primait tout le reste, à un tel point que le corps ne comptait plus” (Renan; P.R.). „Les lunettes font voir démonstrativement que celui qui les porte est un homme consommé dans les sciences et enseveli dans de profondes lectures, à un tel point que sa vue s’en est affaiblie; et tout nez qui en est orné ou chargé peut passer sans contredit, pour le nez d’un savant” (Montesquieu, Lettres persanes).

La proposition subordonnée de conséquence amenée par pour que et les adverbes de quantité

assez, suffisamment, trop En corrélation avec les adverbes de quantité assez, suffisamment

et trop, pour que sert à exprimer une relation de conséquence; ces constructions sont suivies du subjonctif.

La locution assez ... pour que Si le degré voulu pour entraîner la conséquence est atteint, on

emploie alors la locution conjonctive assez ... pour que (la consé-quence est réalisable).

Ex.: Il a assez travaillé pour qu’on lui permette de se reposer. Il y avait dans l’air assez de clarté flottante pour qu’on pût lire. Il est encore assez tôt pour que nous essayions d’obtenir ces crédits (Z).

„Les maisons étaient assez obscures pour qu’il fallût dès que le jour commençait à tomber relever les rideaux” (M. Proust, Du côté de chez Swann). Le convalescent est assez vigoureux pour qu’on lui permette une promenade (G.M.). Ma voiture est assez vaste pour que tout le monde puisse y tenir (le Lexis). „Contre la paroi verticale en retrait, Mathias finit par arrêter son choix sur un signe en forme de huit, gravé avec assez de précision pour qu’il pût servir de repère” (Robbe-Grillet, Le Voyeur). „Convenablement évidée, profilée, poncée au sable fin, l’embarcation était assez légère pour qu’il (= Robinson) puisse l’élever à bout de bras au-dessus de sa tête et la transporter en s’en couvrant les épaules comme d’un vaste capuchon de bois” (Tournier, Vendredi). „Elle s’arrêta perfidement une seconde, juste assez longtemps pour que le juge dressât l’oreille” (Bernanos, Un crime). „Le maréchal Juin donnait au plan de la manœuvre comme axe une seule idée, mais assez juste pour qu’il n’eût pas à la changer au

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cours de l’action...” (De Gaulle, L’Unité). „La cinquième semaine donna en effet trois cent vingt et un morts et la sixième, trois cent quarante-cinq. Les augmentations, du moins, étaient éloquentes. Mais elles n’étaient pas assez fortes pour que nos concitoyens ne gar-dassent, au milieu de leur inquiétude, l’impression qu’il s’agissait d’un accident sans doute fâcheux, mais après tout temporaire” (Camus, La Peste). „Alors il m’a dit très vite et d’une façon passionnée que lui croyait en Dieu, que sa conviction était qu’aucun homme n’était assez coupable pour que Dieu ne lui pardonnât pas...” (Camus, L’Étranger).

Remarques. 1. Si le verbe de la proposition principale est a la forme négative, on peut exprimer à l’aide de la locution assez... pour que l’insuffisance.

Ex.: „Le crabe ne s’enfonça pas assez pour que Gilliat le perdît de vue” (V.Hugo, Les Travailleurs de la mer; Roug.).

2. Dans une période, on peut exprimer l’insuffisance dans la première phrase (en employant la principale à la forme négative) et la suffisance dans la seconde phrase.

Ex.: „Je ne lui offrais pas assez de garanties pour qu’il fît de moi son débiteur, je lui en offrais assez pour qu’il fît de mois son gendre” (Augier, Gendre de M. Poirier: L.B.).

La locution conjonctive suffisamment... pour que Cette locution peut marquer la suffisance dans la phrase affirmative

et l’insuffisance lorsque la proposition principale est négative. Ex.: „Et aussitôt on se sent mieux. On se retrouve d’un seul coup

dans un lieu qu’il n’aurait jamais fallu quitter. Un lieu connu, con-fortable protégé et clos, mais suffisamment spacieux pour qu’on puisse s’y mouvoir à son aise” (N. Sarraute, Le Planétarium). „Plus aucune de mes convictions n’est solide suffisamment pour que la moindre objection aussitôt ne l’ébranle” (A. Gide, Page de journal; P.R.).

La locution trop... pour que Si le degré voulu pour entraîner la conséquence est dépassé, il y

a excès dans la quantité ou dans la qualité; alors, pour marquer cet état, on emploie la locution conjonctive trop ... pour que.

Ex.: „L’eau était trop profonde pour qu’il puisse nager, et il pataugeait dans la vase” (Tournier, Vendredi). „L’attaque avait été trop précise et trop prompte pour qu’il pût lui opposer sans péril une résistance brutale” (Bernanos, Une Nuit). „... Il y a trop de personnages

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divins et magiques, dans la forêt profonde et obscure, pour que je sois dupe de cette fantaisie de Noël funéraire!” (Apollinaire, L’Enchanteur). „L’obscurité était encore trop profonde pour qu’il pussent relever aucune trace” (Bernanos, Un crime). „Les choses allaient trop vite pour qu’on pût les ressaisir sur place” (De Gaulle, L’Appel). Son trouble était trop grand pour qu’il pût dormir. Il a trop menti pour qu’on le croie.

Remarques. 1. On peut employer dans cette structure l’adverbe bien au sens de trop.

Ex.: „Je suis bien jeune, monsieur, pour qu’on veuille m’écouter” (Stendhal, Chartreuse de Parme; P.R.).

2. La locution pour que accompagnée d’un verbe au subjonctif à la forme négative peut introduire une proposition dépendante consé-cutive exprimant une chose à éviter si la principale contient l’adverbe trop.

Ex.: „Trop d’indignations, accumulées depuis quatre ans fer-mentaient sous le couvercle pour qu’il n’y eût pas d’explosion dans le bouleversement qui suivait la fuite de l’ennemi et la déconfiture de ses complices” (De Gaulle, Le Salut).

La locution pour que exprimant seule la conséquence

1. Pour que peut introduire une proposition dépendante consécutive lorsque le verbe de la principale énonce la nécessité ou la suffisance.

La structure il faut... pour que énonce la condition nécessaire pour produire la conséquence.

Ex.: Il faut du temps pour que le blé mûrisse. Il faudrait un miracle pour que le blessé puisse être sauvé.

2. Après des verbes à la forme négative et précédée par la locu-tion par conséquent, la locution pour que peut marquer une consé-quence négative, une action manquée.

Ex.: „Adrienne ne sortirait pas et par conséquent ne pourrait mettre sa lettre à la poste à temps pour qu’elle parvînt au loueur de voiture avant la nuit” (Green, Ad. Mesurat; P.R.).

La construction suffire... pour que marquant la conséquence

Ex.: Il suffit d’un rien pour qu’elle se plaigne. Il suffit d’un rien pour qu’il se mette en colère (H.). „Il suffit que vous paraissez pour que les gens commencent à rire” (Tournier, Que ma joie demeure). Il suffit d’un peu de bonne volonté pour que tout s’arrange (le Lexis). „Il

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suffit d’un déplacement de rien de tout à la base dans les prix de revient pour que ces profits qui paraissent si gros s’évanouissent” (J. Romains, Hommes de bonne volonté; P.R.) „Il suffisait de la moindre excitation pour que cet air vieillot s’effaçât, pour que ses joues rosissent, pour que disparussent les plis des paupières” (R. Rolland, L’Adolescent; L.B.). „Il suffit de tenir bon dans la vie pour que les illégitimités deviennent des légitimités” (Chateaubriand, Mémoires d’Outre-Tombe; P.R.).

La locution conjonctive pour que dans une phrase interrogative

La locution pour que dans une phrase de forme interrogative peut exprimer la conséquence.

Ex.: Que t’a-t-il dit, pour que tu sois ainsi bouleversé? (G.M.). „Que lui as-tu dit pour qu’il se mette à pleurer?” (Bonnard). „Avons-nous donc été réellement les soldats du droit pour que la victoire fasse de nous les sbires de la bestialité?” (Duhamel, Réc. temps de guerre; P.R.). „Es-tu un prince pour qu’on te flagorne?” (Beaumarchais, Mariage de Figaro).

La conséquence apparente ou possible est exprimée au moyen de la locution à croire que

Ex.: Il pleuvait à verse à croire qu’un nouveau déluge s’annonçait.

Conséquence niée ou évitée La locution conjonctive sans que

(= de telle façon que... ne...pas) La proposition dépendante consécutive peut être introduite par

sans que désignant la conséquence niée ou évitée; on marque ainsi l’absence ou la suppression d’une conséquence; on souligne que l’action donnée n’a pas produit la conséquence à laquelle on pouvait s’attendre.

Ex.: Il est parti sans que je m’en aperçoive. „Il faut que les choses se fassent naturellement, sans qu’on y pense, s’insinuant d’abord doucement, puis s’enflant petit à petit...” (N. Sarraute, Le Planétarium). „Ils se sont assis sans qu’aucune chaise grinçât” (Camus, L’Étranger). „Lorsqu’ils se sont assis, la plupart m’ont regardé et ont hoché la tête avec gêne, les lèvres toutes mangées par leur bouche sans dents, sans que je puisse savoir s’ils me saluaient ou s’il s’agissait d’un tic” (Camus, L’Étranger). „Ce bouton de la porte de ma chambre, qui

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différait pour moi de tous les autres boutons de porte du monde en ceci qu’il semblait ouvrir tout seul, sans que j’eusse besoin de le tourner, tant le maniement m’en était devenu inconscient, le voilà qui servait maintenant de corps astral à Golo” (Proust, Du côté de chez Swann). „Leur désespoir les sauvait de la panique, leur malheur avait du bon. Par exemple, s’il arrivait que l’un d’eux fût emporté par la maladie, c’était presque toujours sans qu’il eût le temps d’y prendre garde” (Camus, La Peste). On ne le voyait pas cinq minutes sans qu’il commençât à raconter sa vie.

Remarques. 1. On emploie sans que suivi du subjonctif puis-qu’il s’agit d’un fait qu’on écarte.

2. Sans que ne doit pas se construire avec la particule ne (ne explétif). Cependant les avis des grammairiens sont partagés à ce sujet:

a) „Selon les règles officielles, il ne faut jamais mettre ne après cette conjonction. Pourtant, la négation contenue dans sans amène parfois l’emploi d’un ne explétif, quand la proposition principale est négative:

Ex.: „On ne pouvait faire allusion à cela sans qu’elle n’entrevît aussitôt des scènes” (P. Bourget, André Cornélis). Kr Nyrop., Grammaire historique, t. VI.

b) „Déjà chez nos classiques ne s’immisçait parfois dans la proposition introduite par sans que: „On ne peut pas néanmoins les restreindre (ces Caractères) à une seule cour, ni les renfermer en un seul pays, sans que mon livre ne perde beaucoup de son étendue et de son utilité, ne s’écarte du plan que je me suis fait” (La Bruyère, les Caractères, Préface)... Dans la langue tout à fait moderne, – où domine et de beaucoup, la construction sans ne, – il n’est pas rare pourtant d’en trouver une avec ne: „Une seule minute peut-être ne se passa pas sans qu’il ne se répétât” (Stendhal, Rouge et Noir). „Il ne s’est pas écoulé une seule journée sans que je n’aie cru entendre ainsi les pas du châtiment en marche ” (Benoit, Axelle, XV). G. et R. Le Bidois, Syntaxe II.

c) „Le subjonctif (= employé après sans que) est assez souvent accompagné de ne explétif, même chez de nombreux et excellents écrivains, surtout quand la principale est négative ou quand la subordonnée contient un mot négatif comme aucun, personne, rien. Cet emploi est sévèrement condamné par l’Académie. Logiquement, il est en effet abusif, puisque sans a déjà un sens négatif; mais le ne explétif a pour caractéristique d’être appelé, sans nier vraiment, par

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une idée parallèle négative qu’on peut souvent trouver là où il apparaît... Sans parler de faute, je conseille nettement de l’omettre...” (Hanse, Nouveau dictionnaire des difficultés du français moderne).

d) Selon A. Thomas (Dictionnaire des difficultés de la langue française) l’emploi de la particule ne avec la locution conjonctive sans que est facultatif.

Que employé seul Dans la langue familière surtout, la subordonnée de conséquence

peut être introduite par un simple que sans qu’il soit annoncé par un corrélatif42.

Ex.: Vous faites un vacarme, qu’on ne s’entend pas (G.M.). „Il tousse qu’il en secoue toute la maison” (Flaubert, Mme Bovary). „Il est têtu, que c’est un vrai mulet” (Balzac, Cousin Pons; L.B.). Les pauvres Tarasconnais se desséchaient et maigrissaient que c’était pitié” (Daudet, Port Tarascon; Sandf.). „Les travaux domestiques terminés, elle se mettait au piano et chantait qu’on eût dit une sirène” (Apollinaire, L’Hérésiarque).

Remarque. Que peut aussi être employé seul lorsqu’il équivaut à sans que: en ce cas, la principale est négative et la conjonction que est accompagnée d’un ne explétif et du subjonctif (que... ne + le subjonctif).

Ex.: „Elle ne pouvait pas faire un geste de mon côté que je ne sentisse aussitôt son souffle inégal” (Fromentin, Dominique). Personne n’entre qu’on ne s’en aperçoive aussitôt (G.M.).

Emploi du mode dans la proposition de conséquence Le verbe de la proposition de conséquence est: 1. à l’indicatif, s’il marque, comme il arrive le plus souvent, un

fait réel, c’est-à-dire après : a) les locutions empruntées à l’expression de la manière (de

manière que, de façon que, de sorte que, en sorte que, de telle manière que, de telle façon que, de telle sorte que).

b) locutions conséquentielles d’intensité ou de degré (si... que; si bien que; tant... que, tant de...que, tant et si bien que, tellement... que, tellement de... que, tel... que, à telle(s) enseigne(s) que). ________________

42 Selon P. Zumthor (et coll), que employé seul comporte une certaine nuance d’affectivité; à son avis, en ce cas, la conséquence n’est pas présentée de façon purement objective, mais comportant de la part de celui qui parle un jugement de valeur, au moins implicite” (Syntaxe, p. 103).

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c) locutions conjonctives formées à l’aide du mot point ou des mots point et tel (au point que, à un point que, à ce point que, à tel point que, à un tel point que).

d) que employé seul marquant la conséquence. 2. Au subjonctif, s’il exprime un fait simplement pensé : a) après une proposition principale négative ou interrogative. Ex.: Il n’est pas tellement fort qu’il soit invincible. Est-il tellement

fort qu’il soit invincible? b) après pour que précédé dans la principale par il suffit, il faut,

assez, suffisamment, trop. c) après sans que exprimant une conséquence niée ou évitée. d) le verbe se trouve au subjonctif si l’idée de conséquence est

mêlée à l’idée de but, de finalité, c’est-à-dire s’il s’agit d’une consé-quence voulue, souhaitée, d’un résultat cherché.

Circonstants ayant des verbes à un mode impersonnel (non personnel)

Le circonstant de conséquence constitué par une construction infinitive

A. La conséquence est dans un infinitif introduit par une pré-position.

La préposition à La construction: la préposition à + l’infinitif marque le fait que

la conséquence est, généralement, indiquée comme probable, attendue, mais non encore effectivement réalisée (v. P. Zumthor et coll., Syntaxe, p. 103).

Ex.: Voilà un remède à tuer le malade. Il pousse des cris à réveiller les morts. Il est laid à faire peur. Il est fou à lier. Elle est lente à me donner des crises de nerfs (Z). Il est bête à manager du foin. La présidente est vindicative à passer dix ans pour vous entortiller dans un piège (Balzac; L.B.). C’était une clameur à rendre les gens sourds. C’était à se casser la tête contre les murs. C’est une histoire à dormir debout.

Remarque. Le gallicisme c’est peut être omis. Ex.: «Il nous a raconté ses déboires. à éclater de rire» „Les

femmes mentent avec beaucoup plus d’aisance que nous. à se demander si elles n’y prennent pas plaisir” (J. Romains; L.B.).

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La préposition pour Ex.: Trois heures de marche ne sont pas pour me faire peur

(G.M.). Il faudrait un peu de pluie pour avoir de beaux légumes (Dubois). Qu’avez-vous contre moi pour vous mettre ainsi en colère? (le Lexis). „Pour agir il faut participer à une puissance infinie; pour avoir conscience d’agir il faut qu’on ait l’idée de cet infini pouvoir. Or c’est dans l’acte raisonnable qu’il y a synthèse de la puissance et de l’idée d’infini; et cette synthèse, c’est ce que l’on nomme la liberté”. (M. Blondel, L’Action; P.R.). „La première condition pour écrire, c’est une manière de sentir vive et forte” (Mme de Staël, De l’Allemagne). „Madame, pour avoir de beaux chevaux, il faut être ou très riche ou très malin” (France, Lys rouge; P.R.). „Pour bien connaître les oranges, il faut les avoir vues chez elles, aux îles Baléares, en Sardaigne, en Corse, en Algérie...” (Daudet, Lettres de mon moulin).

Remarque. L’infinitif introduit par la préposition pour peut parfois dépendre du verbe suffire, placé en tête de la phrase ou d’un membre de la phrase.

Ex.: „Il suffit d’avoir un peu d’oreille pour éviter les dissonances. „Il ne suffit pas de croire aux sirènes pour en rencontrer sur les eaux...” (Paulhan, Fl. de Tarbes; P.R.). Il suffit d’une seule goutte d’eau pour faire déborder le vase. „Il suffit de l’addition d’une quantité de petits faits pour obtenir un total monstrueux” (Gide, Faux-Monnayeurs). „Il suffit d’un très petit degré d’espérance pour causer la naissance de l’amour” (Stendhal, De l’amour). „D’abord, un marin comme ça, il suffirait d’un peu d’argent d’avance pour lui faire suivre six mois les cours de cabotage...” (P. Loti, Pêcheur d’Islande).

B. La conséquence est dans un infinitif introduit par une locution prépositive

En sorte de Ex.: Faites en sorte d’arriver à l’heure (le Lexis). „Il écrivit au

pasteur dont la salope était paroissienne, et fit en sorte d’assoupir l’affaire”. (Rousseau, Confessions; P.R.). „Faites en sorte / D’amuser un moment le vieillard à la porte” (Legrand, Foire de S t Laurent; Littré). Faites en sorte d’être prêt.

De sorte à Ex.: „Tu n’as pas toujours agi de sorte à dissiper leur

malheureuse erreur” (A. France, Le procureur de Judée; P.R.). Il s’est conduit de sorte à s’attirer les louanges de tout le monde.

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De manière à Ex.: „Entre 16 et 18 ans, je me suis adonné à l’étude des sciences

exactes de manière à me rendre malade” (Balzac, Curé de village; P.R.). „Le peintre à fresque prend ses mesures de manière à abréger par des travaux préparatoires le travail définitif” (E. Delacroix, Journal). „Apprends donc un métier et tâche de l’exercer de manière à gagner ta vie honorablement sans y gaspiller toutes tes forces” (Duhamel, Défense des lettres) „J’appelle raisonnable celui qui accorde sa raison particulière avec la raison universelle, de manière à n’être jamais trop surpris de ce qui arrive et à s’y accommoder tant bien que mal” (A. France, Petit Pierre; P.R.).

De façon à Ex.: Agissez toujours de façon à vous faire estimer. Il faut

travailler de façon à réussir. „Il avait posé les deux ensouples sur la chanlatte et sur le tréteau, bien en face, de façon à placer de droit fil la soie cramoisie de la chape, qu’Hubertine venait de coudre aux coulisses” (Zola, Le Rêve).

Au point de Ex.: Il était ignorant au point de ne savoir même écrire son nom.

„Ses yeux gris ou la lumière tremble sans cesse au point de donner la double impression contradictoire du scintillement et de la fixité, comme animés d’une sorte de mouvement brownien, parurent se remplir d’une eau trouble” (Bernanos, Un crime). „Mais je ne peux dire quel malaise me causait pourtant cette intrusion du mystère et de la beauté dans une chambre que j’avais fini par remplir de mon moi au point de ne pas faire plus attention à elle qu’à lui-même” (Proust, Du côté de chez Swann). „C’est un tort de s’absorber dans la loi de la nature au point de ne plus s’apercevoir de la loi humaine” (V. Hugo, Misérables; P.R.).

Jusqu’à Cette locution indique la conséquence extrême provoquée par

une action ou un état. Ex.: Il a menti jusqu’à lasser la patience de ses juges. „Elle

l’admirait comme son maître. Son génie allait jusqu’à l’effrayer” (Stendhal, Le Rouge et le Noir). „Sa tendresse pour moi allait jusqu’à troubler sa raison, si lucide et si fière en toutes choses” (A. France, Petit Pierre; P.R.). Les matelots furent alarmés jusqu’à perdre l’esprit (Bossuet; Q.). Il a crié sa révolte jusqu’à en perdre la voix (P. Ch.).

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L’infinitive consécutive (v. P. Zumthor, Syntaxe) peut être intro-duite par des locutions qui présentent des éléments dissociés (des relateurs discontinus):

assez... pour, trop... pour, suffisamment... pour + l’infinitif

Assez... pour Ex.: „Les gens qui vous conseillent sont peut-être assez malins

pour vous éviter deux ou trois bêtises, dont la plus grosse serait de vouloir m’intimider” (Bernanos, Histoire de Mouchette). „Ces cas n’étaient pas assez caractérisés pour être réellement inquiétants et il n’y avait pas de doute que la population saurait garder son sang froid” (Camus, La Peste). „Non, tout cela n’était pas encore assez fort pour tuer la paix de cette journée” (Camus, La Peste). „Je ne pourrais pas me déshabiller assez vite pour échapper à mon bourreau, et il importe, avant tout, que je sois nu, afin que mes vêtements, aplatis contre la muraille ne rendent pas inutile ma disparition défensive” (Apollinaire, La disparition d’Honoré Subrac). Il fut assez hardi pour y aller (Acad.). Il est assez fort pour se défendre... „Un sot n’a pas assez d’étoffe pour être bon” (La Rochefoucauld, Maximes).

Remarques. 1. Assez... pour marque le degré suffisant pour entraîner telle ou telle conséquence.

2. L’infinitif doit avoir le même sujet que le verbe principal dans ces constructions.

3. Avec une principale négative, assez... pour marque un degré insuffisant de la cause pour entraîner une certaine conséquence.

Ex.: „La fenêtre blanchissait depuis quelques minutes, mais on n’y voyait pas assez pour faire du bon travail” (Lucette Desvignes, Les nœuds d’argile).

Trop... pour Ex.: „Robinson était trop épuisé pour mesurer toute l’étendue de

son malheur” (Tournier, Vendredi). „Mais il était trop exclusivement marin pour s’accommoder des servitudes de ce métier qu’il avait cru un métier d’homme libre” (Tournier, id.). „Il rejetait aussi les fragments trop courts pour pouvoir jamais servir à quoi que ce soit d’intéressant” (A. Robbe-Grillet, Le Voyeur). „Il connaissait trop bien le monde des lettres pour penser que l’Académie tint rigueur de leurs attaques aux hommes de talent” (A. Maurois, Olympio). „Il se trouve là-dessus quelque manigance que tu n’aperçois pas, tu es trop probe et trop loyal pour soupçonner des friponneries chez les autres” (Balzac,

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César Birotteau; P.R.). „Nous sommes trop inattentifs ou trop occupés de nous-mêmes pour nous approfondir les uns les autres” (Chamfort, Réflexions et Maximes; P.R.). „Mais le Commandement britannique, qui attendait d’un jour à l’autre l’offensive allemande et, peut-être, l’invasion, se trouvait trop absorbé par ses propres préparatifs pour s’occuper d’une tâche à ses yeux très secondaire” (De Gaulle, L’Appel). Il est trop poli pour être honnête. C’est trop beau pour être vrai. „Charles Schweitzer était trop comédien pour n’avoir pas besoin d’un Grand Spectateur, mais il ne pensait guère à Dieu sauf dans les mo-ments de pointe...” (Sartre, Les Mots).

Remarques. 1. L’infinitif doit avoir le même sujet que le verbe principal, dans ces constructions.

2. Trop... pour marque la quantité excessive de la cause qui entraîne la conséquence.

Suffisamment... pour Ex.: „Je n’ai pas l’esprit suffisamment malléable pour le couler

dans ces gaufriers” (Huysmans, En route; P.R.).

Suffisamment de... pour Ex.: „Comme la mer était basse, il avait traversé des jonchées

régulières de coquillages concassés, des bancs de vase et des mares peu profondes, et il avait suffisamment de recul pour embrasser d’un regard la masse verte, blonde et noire de Speranza” (Tournier, Vendredi).

La construction suffisamment pour + l’infinitif Ex.: „Le numéro indiqué par M. Marcel était accroché au-dessus

d’une porte de fer étroite encastrée dans un mur d’enceinte, suffisamment pour ne pas permettre aux curieux de jeter un regard indiscret” (Exbrayat, Félicité).

Le circonstant de conséquence formé par un groupe prépositionnel

Les prépositions et les locutions prépositives qui introduisent les groupes prépositionnels sont les suivantes:

La préposition à Ex.: Ils riaient aux larmes (G.M.). „Glatigny obtint d’y jouer, et

il remplit, à la satisfaction générale, le rôle du second sénateur dans la grande scène où le More de Venise, accusé par Brabantio, se justifie

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d’avoir enlevé Desdemona” (Th. Gautier, Portraits contemporains). Le soldat était blessé à mort. „Le soir, une lanterne magique étala sur une toile blanche ses pièges et ses mystérieux tableaux, à la grande surprise de Charles” (Balzac, Une double famille; P.R.). „Ainsi se termina cette échauffourée, qui semblait pouvoir enfanter de grands malheurs; personne n’y fut tué; les cavaliers, avec quelques égratignures de plus, et quelques-uns avec leurs bourses de moins, à leur grande surprise, reprient leur route près des carrosses par des rues détournées” (Vigny, Cinq-Mars; P.R.).

La préposition avec Ex.: Travailler avec fruit. Un torrent tombait des montagnes

avec grand bruit. „La moitié s’épouvante et sort avec des cris” (Racine, Britannicus, V, 5). „La guerre recommença avec plus d’animosité que jamais” (Voltaire, Moeurs; P.R.).

La préposition pour Ex.: Pour son malheur, il n’avait pas vu le panneau d’interdiction

(le Lexis). Le temps a été splendide tout l’été pour la plus grande joie des touristes (G.L.). „C’est cette évidence-là, qui, pour son malheur, aura échappé au peuple allemand possédé par le démon de la démesure” (F. Mauriac; G.L.). „Qu’en dis-tu? N’est-ce pas cette même Agrippine, / Que mon père épousa jadis pour ma ruine” (Racine, Britannicus). „Chaque fois que j’ai repris Vauvenargues, ç’a été pour ma déception” (Gide, Journal).

La préposition sans Ex.: Nous avons travaillé sans succès. Le sommeil la jetait

soudain au travers du lit tout à fait sans défense (Giono; G.L.).

La locution prépositive jusqu’à Ex.: Il s’est attendri jusqu’aux larmes. Ils travaillent avec enthou-

siasme jusqu’à l’épuisement. „La littérature est un vésicatoire qui me démange. Je me gratte par là jusqu’au sang” (Flaubert, Corresp.).

Structures équivalentes La conséquence peut, en outre, être exprimée par: 1. Des propositions juxtaposées Ex.: Je l’approuve: il rougit d’aise (G.M.). Elle est malade: elle

n’ira pas au rendez-vous. Ma mère m’appelle: je me dépêche. On avait

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besoin de lui: il irait sans retard à l’usine. Il est si bon: il pardonnera (Bonnard). „Une retraite rapide, honteuse, allait être aussi funeste qu’une bataille perdue: Édouard risqua la bataille” (Michelet; Roug.). „Un peu à part étaient posés de beaux chalets entièrement vitrés, on voyait tout l’intérieur en passant” (C. Rochefort; H.B.). „Vous n’êtes pas gentilhomme, vous n’aurez pas ma fille” (Molière, le Bourgeois gentilhomme III, 12). Un pneu de l’avion a éclaté à l’atterrissage: l’appareil a dérapé et a quitté la piste.

N.B. La conséquence peut être marquée par il en résulte que, le résultat fut que, il en est résulté.

Ex.: „Le métier des intellectuels est de remuer toutes choses sous leurs signes, noms ou symboles. Il en résulte que leurs propos sont étonnants” (P. Valéry, Rhumbs; P.R.). „La marée, en se retirant, découvre donc soudain, d’un bout à l’autre, le corps bouleversé de la France. Il en résulte que les problèmes innombrables et d’une urgence extrême que comporte la conduite du pays émergeant du fond de l’abîme se posent au pouvoir, à la fois, de la manière la plus pressante, et cela dans le temps même où il est aussi malaisé que possible de les résoudre” (De Gaulle, Le Salut). „Les parties les plus septentrionales de l’établissement romain ont été envahies d’éléments germaniques, slaves ou mongols, insensibles à l’influence méditerranéenne. Il en est résulté une Europe dont les centres de gravité, les foyers modernes d’efficacité ne relèvent pas principalement de l’influence latine” (Siegfried, Âme des peuples; P.R.).

2. La coordination a) le coordonnant et Ex.: Tu as mis le verre au bord de la table et il est tombé. Je suis

souffrant et je ne puis sortir. b) la locution adverbiale-conjonctionnelle par conséquent. Cette locution, qui a le sens de „comme suite logique”, énonce la

conséquence qui dérive immédiatement de ce qui précède. Elle exprime la conséquence comme donc, mais avec plus d’insistance.

Ex.: Il n’a pas d’argent, par conséquent il n’a plus la possibilité de vous payer la somme due. Il travaille; par conséquent il réussira (Cy). J’ai appris qu’il était malade, par conséquent il ne faut pas compter sur lui (le Lexis). Il pleut; par conséquent le projet de promenade est abandonné (D.). „À l’allure où la maladie se répand, si elle n’est pas stoppée, elle risque de tuer la moitié de la ville avant

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deux mois; par conséquent, il importe peu que vous l’appeliez peste ou fièvre de croissance” (Camus, La Peste).

c) la locution adverbiale-conjonctionnelle en conséquence. Cette locution a le sens de „comme il convient, par suite, pour

cette raison, comme conséquence de ce qui vient d’être avancé”. Ex.: „La poésie est purement subjective; en conséquence l’on

peut écrire n’importe quoi aussi bien que quoi que ce soit” (Flaubert, Corresp.). „Comprises et appliquées comme elles devaient l’être, ces mesures étaient de nature à arrêter net toute menace d’épidémie; en conséquence, le préfet ne doutait pas un instant que ses administrés n’apportassent la plus dévouée des collaborations à son effort personnel” (Camus, La Peste). „Mérimée, pour son malheur, convenait au Cours Moyen; en conséquence, il menait double vie: au quatrième étage de la bibliothèque, Colomba c’était une fraîche colombe aux cent ailes, glacée, offerte et systématiquement ignorée... Mais, sur le rayon du bas, cette même vierge s’emprisonnait dans un sale petit bouquin” (Sartre, Les Mots).

d) l’adverbe conséquemment (d’une manière conséquente). Cet adverbe relie la cause à la conséquence; il se place générale-

ment à la tête de la proposition au moyen de laquelle on exprime la conséquence.

Ex.: „C’est une baguette de fée; conséquemment la dame qui la tient est une fée” (A. France, Le crime de Sylvestre Bonnard; L.B.). „L’Inde est la contrée la plus anciennement policée; conséquemment elle doit avoir eu la plus ancienne forme de religion” (Voltaire, Mœurs) .

Remarque. „Les propositions introduites par en conséquence, par conséquent, conséquemment sont de valeur indécise: sans être tout à fait des subordonnées, ce ne sont pas non plus de simples coordonnées” (v. Le Bidois, Syntaxe, II, p. 482).

e) la locution et par suite. Cette locution introduit une conséquence qui semble accessoire. Ex.: Il perdit sa fortune, et par suite ses amis (Z.) f) la locution par suite de (en conséquence de) Ex.: „Elle eut du mal à s’en remettre ou plutôt ne s’en remit

jamais; par suite d’un refroidissement, il lui vint une angine...” (Flaubert, Un cœur simple).

g) la conjonction partant Cette conjonction s’emploie surtout dans la langue soutenue ou

dans le style badin. Elle signifie „par conséquent, de ce fait, par suite”.

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Ex.: Il s’était égaré dans la forêt, partant sa peur était grande. Le chemin était long et partant il devenait ennuyeux. „Les tourterelles se fuyaient; plus d’amour, partant plus de joie” (La F. VII, 1). „Il savait ce que c’était, au fond, ce qui faisait reculer ses confrères et, partant, il voulait bien admettre pour leur tranquillité que ce ne fût pas la peste” (Camus, La Peste). „L’artiste a été élevé par des contemporains mélancoliques; partant les idées qu’il a reçues dans son enfance et celles qu’il reçoit encore tous les jours sont mélancoliques” (Taine, Philosophie de l’art; P.R.).

h) la locution c’est pourquoi. Cette locution amène une explication et équivaut à „c’est pour

cela; pour cette raison que”. Ex.: Il n’a jamais pu achever la préparation du concours d’entrée

à l’École polytechnique; c’est pourquoi il est finalement devenu professeur d’histoire. „J’ai vu nombre de malheureux s’épuiser à des besognes stériles et c’est pourquoi je demande pour mes contemporains et mes arrière-neveux une vie d’ordre et d’effort fécond” (G. Duhamel, Pensée des âmes; P.R.). „Je n’aime rien tant que ce qui va se produire et jusque dans l’amour, je ne trouve rien qui l’emporte en volupté sur les premiers sentiments. De toutes les heures du jour, l’aube est ma préférée; c’est pourquoi je veux voir avec une tendre émotion poindre sur cette vivante, le mouvement sacré” (P. Valéry, L’âme et la danse). Il ne savait pas comment faire reconstruire cet immeuble; c’est pourquoi il est venu me voir et il m’a demandé si je ne connaissais pas un architecte à qui il puisse faire confiance.

i) la conjonction aussi. Cette conjonction signifie „conformément à ce qui vient d’être

exprimé”. Elle marque un rapport de conséquence avec la proposition qui précède; aussi met la proposition que ce mot introduit sous la dépendance de la proposition précédente, à laquelle il l’attache par une liaison logique très étroite.

Ex.: Ces étoffes sont belles; aussi coûtent-elles très cher (Acad.). Nous sommes en été; aussi les jours allongent-ils (G.M.). Je suis parti trop tard; aussi ai-je manqué mon train (B). Je suis fatigué; aussi ai-je décidé de prendre des vacances (Z.). Tout paraissait normal; aussi les voyageurs se sont-ils étonnés du retard (Hanse). „Mais l’attitude officielle de Washington restait la neutralité, d’ailleurs imposée par la loi. Aussi, pendant ce sombre hiver, les Anglais devaient-ils payer en or et en devises leurs achats aux États-Unis” (De Gaulle, L’Appel). „À

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la différence des Romains de César, les Germains ne peuvent se prévaloir d’aucune supériorité autre que militaire; aussi, dans un premier temps, laissent-ils en place l’administration romaine et les écoles” (G.Zink, L’Ancien français). „Son devoir lui imposait de rejoindre l’adjudant afin de le prévenir, mais il songea que ce dernier était capable d’avertir Werner qu’on savait ce qu’il tramait et de priver le milicien de sa vengeance et de son triomphe. Aussi résolut-il de ne rien dire et d’attendre les événements” (Exbrayat, Le temps se gâte à Zakopane).

j) la conjonction donc. Cette conjonction conclusive sert à exprimer que la phrase

introduite par ce mot est la conséquence ou la conclusion de ce qui précède; dans un syllogisme, donc introduit la conclusion.

Ex.: „Je pense donc je suis” (enthymème célèbre de Descartes). „Tous les hommes sont mortels; or Socrate est homme; donc Socrate est mortel”. J’ai refusé; donc il est inutile d’insister.

k) l’adverbe ainsi Cet adverbe sert souvent à introduire une conclusion. Ex.: Ce que vous gagnez d’un côté, vous le perdez de l’autre:

ainsi l’affaire est sans intérêt. L’ennemi faiblit; ainsi la victoire est à nous. „Il négligeait de tenir le compte des jours qui passaient. Il apprendrait bien de la bouche de ses sauveteurs combien de temps s’était écoulé depuis le naufrage de la Virginie; ainsi ne sut-il jamais précisément au bout de combien de jours, de semaines ou de mois, son inactivité et sa surveillance passive l’horizon commencèrent à lui peser” (Tournier, Vendredi). „Lorsqu’ils (= les Indiens) eurent disparu derrière les falaises occidentales de la baie, Robinson s’approcha du bûcher. On y distinguait encore les restes calcinés de la victime expiatoire. Ainsi pensa-t-il, ces hommes frustes, appliquaient-ils inconsciemment et avec leur cruauté naturelle la parole de l’Évanglie: „Si ton oeil droit est pour toi une occasion de chute, arrache-le et jette-le loin de toi, car mieux vaut pour toi qu’un seul de tes membres périsse et que ton corps tout entier ne soit pas jeté dans la géhenne” (Tournier, ibid.).

1) l’adverbe alors. Cet adverbe de temps peut aussi marquer la conséquence. Ex.: Il resta indécis; alors j’avançai d’autres arguments (le

Lexis). „Ma curiosité était excitée au plus haut point; alors j’ai traîné la table au milieu de la chambre et je suis monté dessus” (Rougerie). „Je voulais m’enfuir de ce bateau où j’étais malheureux. Hier, pendant

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que je servais dans le carré, vous m’avez regardé avec bonté. Alors, quand j’ai entendu que vous ne partiez pas, j’ai décidé de me cacher dans l’île et de rester avec vous” (Tournier, Vendredi). Il m’a provoqué: alors j’ai répondu (B).

Remarque. Dans les phrases où l’on exprime la cause par des propositions introduites par tant et tellement, la conséquence est exprimée souvent par la proposition qui précède les propositions mentionnées marquant la cause.

Ex.: „Elle ne le reconnut pas, tant il était changé” (Stendhal, Chartreuse de Parme; L.B.). Il but toute la bouteille, tant il avait soif (Z). Il éclata d’un rire fort et sincère, tellement il se sentait ce matin-là de vigueur (G. Chevalier, Clochemerle).

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LES CIRCONSTANTS DE BUT

Le circonstant de but constitué par une proposition à verbe fini La proposition de but indique dans quelle intention s’accomplit

l’action marquée par la principale.

Subordonnants La proposition finale est introduite par l’une des locutions con-

jonctives suivantes: Afin que, à cette fin que, à seule fin que, de crainte que, dans la

crainte que, de peur que, crainte que. La proposition dépendante (subordonnée) finale peut être introduite

aussi par les locutions conjonctives de (telle) manière que + le sub-jonctif; de (telle) sorte (façon) que + le subjonctif; de manière à ce que + subjonctif, de façon à ce que + le subjonctif.

La proposition finale peut être introduite par que dans certaines conditions.

Afin que

Cette locution apparaît au XIVe siècle. Elle avait l’avantage d’exprimer clairement la notion de finalité. Cette locution appartient surtout à la langue littéraire.

Ex.: „Il était assis face à la fenêtre, contre la lourde table encas-trée dans l’embrasure, deux gros livres rehaussant sa chaise, afin qu’il pût écrire commodément” (A. Robbe-Grillet, Le Voyeur). „Cet Henri Durieu, devant faire sa première tournée en province, proposait à Raphaël de le remplacer durant quatre semaines afin que le précieux gagne-pain ne fût pas compromis” (Tournier, Que ma joie demeure). „Puis on procédait à la „fermeture” de la forteresse. Des blocs de pierre étaient roulés à des emplacements calculés afin que d’éventuels assaillants fussent obligés de se diriger vers les entonnoirs” (Tournier, Vendredi). „Je te le demande, Vierge sainte! moi pauvre estropié... guéris-moi! Rends-moi mes deux jambes afin que je puisse gagner ma

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vie” (Apollinaire, Les Pèlerins piémontais). Ce livre est toujours sur le bureau afin qu’on puisse le consulter. Il fait tout ce qu’il peut afin que tout le monde soit content. Travaillez dans votre jeunesse afin que vous puissiez vous reposer quand vous serez vieux (Grev.). „Veuillez me donner seulement quelques gorgées de ce vin d’Espagne afin que je sois maître de ma pensée” (J. Bainville, Joco et Lori; P.R.).

Remarque. La fin peut être envisagée comme un résultat, un effet qu’on doit éviter. Quand le but que le sujet de l’action principale se propose est négatif et doit être évité, on introduit une négation dans la finale (v. Zumthor, Le Bidois, Wagner).

Ex.: J’y veillerai afin qu’il n’y ait pas d’erreur. Je vous ai prévenu afin que vous ne soyez pas surpris par l’événement. Il se cacha afin que personne ne se doutât de sa présence. „Il lui a fait la leçon avant la réunion afin qu’il ne commette pas de bourdes à son habitude” (fam.; P. Ch.).

À seule fin que Cette locution a le sens de „seulement pour que”. Elle est une

altération de l’ancienne expression à cette fin que. Ex.: „Je lui ai envoyé une copie du document à seule fin qu’il ne

puisse contester notre bon droit. Elle aurait cru que si je prétendais que je cesserais de l’aimer, c’était à seule fin qu’elle me dît de revenir vite auprès d’elle” (Proust, à l’ombre des Jeunes Filles...) L.B.

À cette fin que

Cette locution remonte à la locution de l’ancienne langue à celle (= cette) fin que. Elle appartient à la langue familière.

Ex.: „Il surveille l’évacuation à cette fin que personne ne tire au flanc” (H. Barbusse, Le Feu; L.B.). „Monsieur n’a pas voulu que je l’accompagne à cette fin que je puisse conduire madame” (Revue des deux mondes 145; Sandf.).

Pour que Cette locution était considérée provinciale par Claude-Favre de

Vaugelas dans ses Remarques sur la langue françoise (1647). „Ce terme, dit-il, est fort usité, particulièrement le long de la Loire et mesme à la Cour où une personne de très éminente condition (= Richelieu) a bien aydé de le mettre en vogue”. L’édition de 1759 du Dictionnaire de Richelet condamnait encore cette locution: „Cette expression pour

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que a été chancelante longtemps. M. M. de l’Académie ont été très sévères sur ce point. Il faut convenir que cette expression abrège la phrase, et qu’elle est commode; mais aussi elle a quelque chose de rude”. Noël de Wailly dans les Principes généraux et particuliers de la langue françoise (1786) admettait seulement les formes assez... pour que et trop... pour que. Le seul dictionnaire autorisant l’emploi de pour que a été le Dictionnaire critique de la langue françoise (1787 – 1788) de l’abbé Féraud où l’on trouve l’exemple suivant: „Pressez-vous pour que vous reveniez plus tôt”.

Pour que marque la finalité, l’éventualité résultant d’un fait. Ex.: „C’était délicieux de le déléguer pour qu’il fasse le tri, de

rester confiante, vacante, offerte, à attendre qu’il lui donne la becquée, de le regarder cherchant leur pâture dans les vieilles églises, chez les bouquinistes sur les quais, les marchands d’estampes” (N. Sarraute, Le Planétarium). „Il fallait qu’Édouard dépêchât Méline à sa recherche pour qu’elle consentît à redescendre vers lui” (Tournier, Les Météores). „Le problème général de la connaissance doit être posé à un stade antérieur et plus fondamental, car pour qu’on puisse parler d’un étranger s’introduisant dans ma maison et furetant parmi les choses qui s’y trouvent, il faut que je sois là, embrassant ma chambre du regard et observant le manège de l’intrus” (Tournier, Vendredi). „Il a fallu cette conjoncture imprévisible pour que nous nous rencontrions face à face, ici même, où je n’aurais jamais espéré de vous voir” (Bernanos, Monsieur Ouine). „Marrain s’enveloppa du tablier tout raidi qu’on ne nettoyait qu’en fin de semaine, pour qu’il ait bien le temps de sécher le dimanche” (Lucette Desvignes, Les nœuds d’argile). „Le Richelieu, que des remorqueurs avaient déplacé dans le port pour qu’il pût mieux employer ses canons, commença le tir à son tour” (De Gaulle, L’Appel). „Son déjeuner était une distraction suffisante pour qu’elle n’en souhaitât pas une autre en même temp” (Proust, Du côté de chez Swann). „À la vérité, il fallut plusieurs jours pour que nous nous rendissions compte que nous nous trouvions dans une situation sans compromis” (Camus, La Peste). „Je vous ai exposé tout cela, Monsieur, parce que vous m’avez l’air d’un brave homme, et pour que tout soit bien clair” (Exbrayat, Félicité...).

Pour ne pas que Par analogie avec la construction pour ne pas + infinitif, le

français familier emploie dans la subordonnée finale pour ne pas que.

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Ex.: „À cause de la ressemblance de ma démarche avec la sienne, le roi Louis XIV m’a fait river un masque de fer et jeter à la Bastille pour ne pas que l’on me confonde avec lui” (Canu, L’Homme au masque de fer). „Pour ne pas qu’elle souffre, il la laisse pressentir la vérité” (J. Charpentier, Les Romanins; D.P.). „Je tournais la tête pour ne pas qu’il me vît me tordre de rire” (Benoit, Koenigsmark; Sandf.).

Pour pas que

F. Brunot écrit les lignes suivantes concernant cette locution: „Aujourd’hui surtout dans la langue populaire, il y a une tendance à réunir pour à pas. Une locution négative de finalité est en train de se forger: pour pas que... Cette locution traduit excellemment l’intention négative, elle serait logique et commode” (La Pensée et la Langue, p. 849).

Ex.: Ferme la porte à clef pour pas qu’on entre. Il m’écrit pour pas que je vienne (F.B.). „L’ouvrière: – J’en ai deux (= oiseaux), vous comprenez, pour pas qu’ils s’ennuient” (A. France, Désirs de J. Servien; P.R.).

Remarques. 1. Pour exprimer un but que le sujet de la propo-sition principale veut éviter, on emploie à la forme négative le verbe de la proposition introduite par pour que.

Ex.: Pierre travaille bien à l’école pour que ses parents ne soient pas mécontents. „Elle se tenait aux aguets, s’interposait pour qu’il n’entendît pas, parlait elle-même sans cesse, cherchait à le distraire” (N. Sarraute, Tropismes).

2. Pour que suivi du subjonctif peut aussi exprimer le fait qu’on justifie.

Ex.: „Pour que l’effort en valût la peine, il fallait aboutir à remettre dans la guerre, non point seulement des Français, mais la France” (De Gaulle, L’Appel). Pour que les Jeux Olympiques d’Hiver réussissent, il faut qu’il neige beaucoup sur toute la région où ils auront lieu. Pour qu’on l’ait puni aussi sévèrement, il faut qu’il ait été grossier (Hanse).

3. Quand le sujet de la proposition finale est le même que celui de la principale, les locutions afin que, pour que sont remplacées par afin de, pour qui se construisent avec un infinitif.

Ex.: „Pour être digne de celle qu’il chérissait encore en secret, Aloïs se jeta dans l’étude du polonais” (Exbrayat, Le temps se gâte à Zakopane). Il partit pour Lyon afin d’y accomplir son service militaire.

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4. Les locutions conjonctives afin que et pour que se réduisent à que devant une seconde finale coordonnée à la première.

Ex.: Jacques a téléphoné pour que nous allions le voir et que nous partions ensuite avec lui pour Grenoble. Pour que tout soit prêt à l’heure et que vous ayez moins de fatigue, je vous ferai aider. „Le coup de l’index surtout m’en imposait: il prenait soin de ne pas le tendre, de le promener vaguement dans les airs, à demi ployé, pour que la désignation demeurât imprécise et que ses deux servantes eussent à deviner ses ordres” (Sartre, Les Mots). „Nos concitoyens, ils s’en rendaient compte désormais, n’avaient jamais pensé que notre petite ville pût être un lieu particulièrement désigné pour que les rats y meurent au soleil et que les concierges y périssent de maladies bizarres” (Camus, La Peste). „Peut-être qu’il est écrit dans les étoiles comment il faudrait faire pour que rien ne change et que nous soyons sauvés” (Le Clézio, Le chercheur d’or). Afin qu’il le croie et qu’il ne puisse plus en douteur, donnez-le lui donc par écrit (Weinrich).

5. On répète généralement pour lorsqu’on doit coordonner pour + infinitif (pour suivi d’un infinitif) et pour que + subjonctif (pour que suivi du subjonctif).

Ex.: Il vous annonce cela pour vous rendre service et pour que vous en soyez averti (il ne faut pas dire „et que vous en soyez averti”).

6. Que peut se substituer à afin que, pour que après un impératif. Ex.: Ôte-toi de là que je m’y mette (proverbe). Parle fort, qu’on

t’entende (Bonnard). Approchez que je vous voie mieux. Viens que je te donne mes instructions. Montrez-moi vos mains, dit la mère, que je voie si elles sont propres! Taisez-vous quelques instants, dit un élève à ses collègues, que nous entendions au moins le début du discours du directeur! Dépêchez-vous, que nous arrivions à l’heure fixée au théâtre.

7. Que peut se substituer à afin que, pour que après une inter-rogation, lorsque la proposition de but sert à marquer la finalité de la question.

Ex.: Voulez-vous venir chez moi un de ces jours que nous parlions de cette affaire? Pouvez-vous me prendre en auto que nous causions en route?

8. On peut omettre l’emploi de que dans la seconde proposition finale, au lieu de pour que, afin que.

Ex.: „Elle retenait la toile gonflée de plumes sur sa bouche, sur ses yeux et sur ses oreilles pour qu’il ne la vît point et ne lui parlât pas” (Maupassant, Pierre et Jean; P.R.).

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9. On emploie la conjonction que + subjonctif pour répéter une tournure finale composée d’une préposition (ou une locution prépositionnelle) suivie d’un infinitif.

Ex.: ... afin d’en cacher les défauts, et qu’elle paraisse bonne (v. De Boer, Syntaxe, p. 234). „... laissant la porte entr’ouverte pour se donner du courage et qu’elle pût l’entendre” (Daudet, Nouma Roumestan; Sandf.).

10. Pour que peut être employé dans une phrase au contenu ironique où l’on présente comme intentionnel un résultat quelconque qu’on prévoit.

Ex.: „Ah! oui! rester chez moi – pour que pendant ce temps-là tu ailles faire le joli coeur devant de petites dames qui auront leurs nerfs” (Brieux, Couvée; Sandf.). „C’est ça! laisse ton porte-monnaie sur la table pour qu’on te le vole!” (P.R.).

De peur que La proposition finale est introduite par de crainte que et de peur

que lorsqu’elle indique un but qui est une conséquence refusée. La locution de peur que exprimait originairement la crainte de même que de crainte que; ensuite la nuance sentimentale s’effaça et de peur que ne marque à l’heure actuelle qu’un rapport logique de finalité. Selon W. von Wartburg et P. Zumthor la locution conjonctive de peur que est une locution spécialisée qui contient une nuance consécutive car le but est présenté comme une conséquence que l’on désire éviter (Syntaxe, p. 99). La locution de peur que est souvent accompagnée par le ne dit explétif.

Ex.: De peur qu’il s’en aille ou qu’il ne s’en aille (Hanse). „Elle fermait toujours les yeux et toujours elle lui répondait après, que c’était parce que ses yeux à lui brillaient comme ceux des chats et qu’ils lui faisaient un peu peur; mais lui devinait que c’était pour cacher les siens qu’elle serrait les paupières, de peur qu’il ne soit, lui, effrayé peut-être de l’intensité de ce regard tout nu” (Lucette Desvignes, Les nœuds d’argile). „Mais grand-mère, elle, par tous les temps, même quand la pluie faisait rage et que Françoise avait précipitamment rentré les précieux fauteuils d’osier de peur qu’ils ne fussent mouillés, on la voyait dans le jardin vide et fouetté par l’averse, relevant ses mèches désordonnées et grises pour que son front s’imbibât mieux de la salubrité du vent et de la pluie” (Proust, Du côté de chez Swann). „Sept ou huit ans après le ministère Combes, l’incroyance déclarée

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gardait la violence et le débraillé de la passion; un athé, c’était un original, un furieux qu’on n’invitait pas à dîner de peur qu’il ne fît „une sortie”, un fanatique encombré de tabous qui se refusait le droit de s’agenouiller dans les églises, d’y marier ses filles et d’y pleurer délicieusement...” (Sartre, Les Mots). „Il annonça sa venue de peur que ses hôtes ne fussent absents” (le Lexis). Je décroche le téléphone de peur que quelqu’un ne me dérange. Il m’a écrit de peur que je ne vienne moi-même m’informer. „Les délégués commencèrent à paraître, et il dut les recevoir, car il désirait veiller aux entrées, de peur que la Compagnie n’envoyât ses mouchards habituels” (Zola, Germinal; P.R.). „Et il retourna sous le hangar, suivi par Delaherche qui ne voulait pas le lâcher, de peur qu’il n’oubliât sa promesse” (Zola, Débâcle; Sandf.).

Peur que Cette locution appartient à la langue populaire. Ex.: „Peur qu’il s’enivre, peur qu’il soit désagréable, peur qu’il

fasse des scènes” (Fr. Sagan, Les merveilleux nuages; H.). „Ça fait quinze jours que je dors jamais plus d’une heure, peur que mon feu s’éteigne!” (J.-P. Chabrol, Embellie; Grev.).

De crainte que43

Le contenu sémantique sentimental renfermé dans le mot crainte s’est effacé et la locution de crainte que n’exprime plus qu’un rapport logique de finalité. La locution de crainte que est souvent accompagnée par le ne explétif (on par la négation complète ne pas si l’on veut nier le verbe subordonné). Cette locution est, en général, moins employée que la locution de peur que.

Ex.: „Il tendit une carte à Mme Oreille, qui la saisit, puis se leva et sortit en remerciant, ayant hâte d’être dehors de crainte qu’il ne changeât d’avis” (Maupassant, Le Parapluie). „Quand les deux vieux eurent dit à leur tour leurs chagrins et leurs fatigues, ils l’embrassèrent encore une fois; et ils veillèrent fort tard ce soir-là, n’osant pas se coucher, de crainte que le bonheur qui les fuyait depuis si longtemps ne les abandonnât de nouveau pendant leur sommeil” (Maupassant, Le Donneur d’eau bénite). Fermez la fenêtre de crainte que le courant d’air ne vienne à briser la vitre. De crainte que vous ne manquiez le ________________

43 Variantes: dans la crainte que, par crainte que, crainte que.

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train, je vous emmènerai moi-même à la gare. Parlez plus bas de crainte qu’on ne vous entende. Il a pris les devants de crainte qu’on ne lui reproche son laisser-aller (P. Ch.).

Dans la crainte que Ex.: Il lui avait de nouveau téléphoné dans la crainte qu’il ne

vînt trop tard. Elle s’était écartée dans la crainte qu’on ne vît son visage empourpré. Il monta l’escalier avec précaution dans la crainte que mes parents ne fussent endormis.

Crainte que Ex.: „Crainte que l’incendie ne causât du dommage aux habitations

voisines, on en déménagea seulement le mobilier” (Y. Gandon, Terres chaudes; Grev.). Il s’est enfui par le premier train, crainte que nous ne mettions la main sur lui (Z). „Mme de Montespan est embarrassée entre les conséquences qui suivraient le retour des faveurs et le danger de n’en plus faire, crainte qu’on n’en cherche ailleurs” (Mme de Sévigné, 30 IX 1676; P.R.).

Remarque. On emploie que... ne, que ne après une proposition principale à l’impératif, au lieu de de peur que... ne, de crainte que... ne.

Ex.: Pars vite, que je ne t’assomme. „Fuyez, qu’à ses soupçons il ne vous sacrifie” (Corneille, Médée, I, 5).

Conséquence et finalité (Le but comme perspective d’une manière à faire)

Le rapport de conséquence et le rapport logique de finalité sont très voisins. C’est pourquoi des locutions conjonctives comme de (en) sorte que, de manière (façon) que, de telle manière (sorte, façon) que qui introduisent habituellement des propositions subordonnées de conséquence à l’indicatif peuvent introduire aussi des propositions subordonnées finales. En ce cas, la subordonnée de but a le verbe au subjonctif. Par conséquent, toute une série de locutions conjonctives peuvent être employées pour exprimer aussi bien la conséquence que la finalité; ce qui sépare les deux types de circonstants c’est la présence du trait [+ volition] qui n’apparaît que dans la subordonnée finale et qui est absent dans la subordonnée de conséquence.

Ex.: „Je l’ai installé dans la chambre à côté de la mienne, de sorte que je puisse recevoir des visites sans le déranger” (Gide, Faux-Monnayeurs; L.B.). Faites en sorte que les chambres de nos hôtes

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soient en ordre! Il parle de manière que nous le comprenions bien. Tout sera prêt de façon que vous n’ayez pas à attendre (H.). Nous nous sommes cachés de telle manière qu’on ne nous voie pas. Partagez votre temps de telle sorte que vous ayez chaque jour quelques moments à la lecture. Conduisez-vous de telle façon que votre conscience n’ait rien à vous reprocher (Grev.). „On installerait le fusil de telle manière que son canon soit dirigé à peu près à la hauteur de la poitrine de la victime lorsque cette dernière se rendrait, comme chaque soir, dans ce coin de jardin” (Exbrayat, Le temps se gâte à Zakopane). Il plaça cette fortune tout entière de façon qu’il en pût retirer de grands bénéfices. Il s’y est pris de (telle) façon que personne ne puisse rien lui reprocher (P. Ch.).

La subordonnée de but peut être aussi introduite par les locutions conjonctives de manière à ce que, de façon à ce que suivies du subjonctif; il faut souligner que ces locutions sont condamnées par les grammairiens puristes.

Ex.: „L’auteur s’arrangeait de façon à ce que le premier mari reprit la femme” (R. Rolland, Jean-Christophe). „Je dis qu’il est éco-nomiquement injuste que l’on s’arrange de manière à ce que nos four-neaux soient industriellement annulés (Ch. Péguy, L’Esprit de système).

La locution à ce que (qui en général introduit une proposition complétive, substantive, selon De Boer, Syntaxe, p. 136) peut marquer une nuance de finalité si elle est précédée par certains verbes exprimant une tendance, une action qui a pour objet un but certain, une intention, etc. Le verbe employé après à ce que se met au subjonctif.

Ex.: Il veilla à ce que les tonneaux fussent bien placés.

Emploi du mode dans la proposition subordonnée de but

Le verbe de la proposition de but se trouve toujours au subjonctif, étant donné qu’il exprime un fait voulu ou souhaité.

On emploie donc le subjonctif après les locutions afin que, à cette fin que, à seule fin que, pour que, de crainte que, dans la crainte que, crainte que, de peur que.

La proposition dépendante finale introduite par les locutions conjonctives de (telle) manière que, de (telle) sorte (façon) que, de manière à ce que, de façon à ce que, a le verbe au subjonctif.

On met le verbe au subjonctif après que exprimant le but.

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Les circonstants de but ayant des verbes à un mode impersonnel (non personnel)

Le circonstant de but constitué par une construction infinitive Il y a deux sortes de constructions à envisager: A. L’infinitif est directement joint à un verbe de mouvement; on

l’appelle aussi l’infinitif de construction directe (de rection directe). Après les verbes de mouvement, employés dans leur sens propre,

tels que partir, venir, aller, conduire, mener, envoyer, sortir l’infinitif sans préposition ni conjonction suffit à marquer le terme du mouvement, c’est-à-dire la finalité de l’action, le but poursuivi.

Ex.: Aller chercher des allumettes. Il a envoyé quérir le médecin. Il est venu me saluer. Il vient prendre ses livres (Z.). Venez le voir un de ces jours! „Il la conduisit à Rouen, voir son ancien maître” (Flaubert, Mme Bovary). „Je vais tous les ans faire les Rois chez mon vieil ami Chantal” (Maupassant, Mademoiselle Perle). J’ai envoyé les enfants jouer dehors. Il alla se cacher au fond de sa retraite (La F. VII, 13).

Remarques. 1. Même avec les verbes de mouvement, la relation de finalité peut être marquée à l’aide de la préposition pour (v. P. Zumthor, Syntaxe, p. 99).

Ex.: Il l’a emmené pour se promener avec lui (Z.). „J’ai couru pour ne pas manquer le départ” (Camus, L’Étranger).

2. L’identité du sujet de la proposition principale et du sujet de l’infinitif n’est pas obligatoire, le complément d’objet de la principale pouvant être le sujet de l’infinitif.

Ex.: „Elle m’envoyait toujours choisir les billets de loterie” (A. Salacrou; H.B.).

B. L’infinitif est de construction indirecte En ce cas, l’infinitif est introduit par: a) les prépositions à, pour b) les locutions prépositives: en vue de, dans l’intention de, dans

le but de, dans le dessein de, afin de, de peur de, de crainte de, à seule fin de, crainte de, sous prétexte de, histoire de, question de.

a) les prépositions: La préposition à

Ex.: Donner une lettre à poster. Donner à boire. „Tirer le profit le meilleur de ce qui est; s’ingénier à l’améliorer plutôt que de chercher à le changer” (A. Gide, Journal). „Les hommes ont toujours cherché à améliorer leur état” (A. France, Crime de Sylvestre Bonnard; P.R.). „Tu

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t’es ingénié à lui déplaire et maintenant tu te mords les doigts de ton imprudence” (France, Mannequin d’osier).

La préposition pour Ex.: Il économise pour acheter une voiture. Il écrit pour réformer

les abus. On ne doit écrire que pour être entendu. J’ai fait cela pour lui être agréable. Je suis venu pour le complimenter. „Françoise s’arrêta un instant pour écouter la rumeur qui venait de la scène” (S. de Beauvoir, L’Invitée). „Pour résister aux événements, ils affectèrent de les ignorer” (De Gaulle, L’Appel)). „Pour contredire l’évolution technique, ils s’employèrent à la contester” (De Gaulle, ibid.). „Pour me faire mieux goûter mon bonheur, ma mère apprit et m’enseigna les règles de la prosodie” (Sartre, Les Mots). „Ces salles étaient d’ailleurs équipées pour soigner les malades dans le minimum de temps et avec le maxi-mum de chances de guérison” (Camus, La Peste). „Il s’installa près du poêle tourné vers le grand-père pour mieux engager la conversation” (Lucette Desvignes, Les nœuds d’argile).

Le but comme perspective à éviter Ex.: Il a préféré se taire pour ne pas le vexer (P.Ch.). Cet étudiant

travaille d’arrache-pied pour ne pas échouer à l’examen. Remarques. 1. Le sujet de l’infinitif peut être aussi le complément

d’objet direct du verbe principal. Ex.: „Je t’ordonne de manger pour avoir des forces, pour boucher

les trous de ta mémoire” (Ionesco, Victimes du devoir). 2. Pour insister sur l’intention, on emploie les mots exprès,

expressément. Exprès marque le dessein; il signifie „avec intention”. Ex.: Je suis venu exprès pour vous parler de cette question. Elles

sont venues tout exprès pour nous voir. „Je viens exprès de Paris pour prendre communication d’un manuscrit de la Légende dorée que vous m’aviez dit posséder” (A. France, Le Crime de Sylvestre Bonnard).

3. La structure comme pour + l’infinitif entre dans la catégorie de „la comparaison de circonstances” (voir P. Robert); elle exprime le but: Elle faisait des signes comme pour nous appeler. „Elle secouait la tête comme pour lui signifier de se taire” (Camus, La Peste).

b) les locutions prépositives: En vue de

Ex.: Étudier en vue de réussir à un concours. Il a fait cela en vue de lui plaire. „Appelons ascèse l’effort héroïque de volonté qu’on

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s’impose à soi-même en vue d’acquérir l’énergie morale, la force et la fermeté de caractère” (Dugas, Éducation du caractère). „Ces peuples doivent faire un effort complexe et presque héroïque en vue de s’initier à la technique de nos sculpteurs, de nos architectes” (Duhamel, Turquie nouvelle). „Celui qui inventa l’usage de la monnaie le fit en vue de faciliter le commerce entre les îles de Grèce” (Fénelon, Télém.; P.R.). Il a fait des économies en vue de s’acheter une voiture.

Dans l’intention de Ex.: acheter dans l’intention de revendre. Si je l’ai fait, c’est

dans l’intention de vous être utile.

Dans le dessein de Ex.: „Il propose le problème de la cycloïde à toute l’Europe dans

le dessein d’humilier tout le monde” (Suarès, Pascal). Il est venu dans le dessein de vous aider (B.). „Elle alla jusqu’à la porte, dans le dessein de barrer le chemin à son gendre” (R. Boylesve; Roug).

À l’effet de Cette locution est blâmée par les puristes qui la considèrent

comme un terme de pratique. Elle souligne l’intention de réaliser ce qu’on a en vue.

Ex.: „Il joua gros jeu à l’effet de gagner chevaux, carrosse et livrée” (A. France, Livre de mon ami; P.R.)

Afin de Cette construction révèle expressément le dessein d’arriver à un but. Ex.: „Peut-être avaient-ils projeté de nous tuer, le capitaine

Bradmer, moi et ceux de l’équipage qui n’étaient pas complices, afin de s’emparer du navire?” (Le Clézio, Le chercheur d’or). „Toute la ville avait la fièvre, c’était du moins l’impression que poursuivait le docteur Rieux, le matin où il se rendait rue Faidherbe, afin d’assister à l’enquête sur la tentative de suicide de Cottard” (Camus, La Peste). „Mais comme elle pose bientôt des questions trop précises, je fais diversion en rapportant l’histoire... de ce couple d’Américains moyens venu chez le fabricant de masques sur le conseil du médecin de famille: ils voulaient se faire à chacun la tête de l’autre, afin de pouvoir jouer à l’envers le psycho-drame de leurs difficultés” (A. Robbe-Grillet, Projet pour une révolution à New-York). Il m’a envoyé le manuscrit de son

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roman afin d’avoir mon avis. Il paya immédiatement la totalité de la somme afin de ne rien lui devoir (le Lexis). Je fais ce travail le mieux possible afin de pouvoir dire que je n’ai rien à me reprocher.

À seule fin de ou à la seule fin de

Cette locution précise une intention. Elle signifie „dans l’unique intention de”.

Ex.: „Il n’avait absolument pas l’intention de parler à qui que ce fût et se promit d’agir seul, avec le plus de discrétion possible, à seule fin de ne pas encourir les reproches du commissaire Bertrand” (Exbrayat, Félicité de la Croix Rousse). „Il compulsait furieusement les six cent trente-sept mille layettes à la seule fin d’y découvrir des anecdotes” (A. France, Mannequin d’osier; P.R.). „Je m’astreins pourtant à ce petit effort quotidien à seule fin de ne point laisser se rouiller ma plume” (A. Gide, Journ.). „Darius repartit dans son histoire d’enquête pour l’attribution d’une décoration, ce qui lui permettait, sans éveiller de soupçons, de réclamer la plus grande discrétion envers l’intéressé, à seule fin de lui ménager une heureuse surprise ou de lui épargner une cruelle déception” (Exbrayat, Félicité...). „Ce matin, il est entré en passant, à seule fin de me dire qu’il a fait une pièce” (Hermant, La fameuse comédienne. Sandf.).

Remarque. En parlant de cette locution, F. Brunot précise: „Il faut faire mention de l’expression, aujourd’hui très répandue à seule fin. C’est originairement: à celle fin. Le mot fin y est précédé d’un démonstratif qui insistait sur l’idée. Mais comme celle se prononçait: soeloe, une confusion s’est faite entre: celle et seule – et l’orthographe à seule fin l’a consacrée, – si bien que peu à peu la locution tend à prendre le sens de uniquement pour...” (La Pensée et la Langue, p. 851).

À dessein de Cette locution a le sens de „dans l’intention de; en vue de”. Ex.: „C’est peut-être à dessein de vous entretenir” (Racine,

Britannicus, IV, 1). „À dessein d’éblouir le roi” (Corneille, Nicomède, I, 5, H.D.T.).

Dans le but de Cette locution est condamnée par Littré („On n’est pas dans un

but; car, si on y était, il serait atteint”), et par quelques grammairiens puristes. En outre, elle n’est pas enregistrée par la huitième édition du

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Dictionnaire de l’Académie (A8; 1932-1935). Cependant, elle est couramment employée par les meilleurs écrivains (G. et R. Le Bidois soulignent que but signifie au figuré „dessein, intention””et que de même que l’on dit „Dans le dessein, l’intention de” on doit pouvoir dire „Dans le but de”; v. Syntaxe § 1495).

Ex.: Il est parti pour Chamonix dans le but de se trouver quelque temps au calme. „Par le temps actuel, il serait à craindre qu’un monu-ment élevé dans le but d’imprimer l’effroi des excès populaires donnât le désir de les imiter” (Chateaubriand, Mémoires d’Outre-Tombe). „Je me suis rendu au bureau de l’état civil dans le but d’y faire une scène affreuse” (P. Loti, Madame Chrysanthème; P.R.). „Cette fois il ne l’avait fait que dans le but d’exaspérer son frère” (Montherlant, Célibataires; P.R.). „Wiktor, coiffé de sa casquette neuve, se rendit au chalet dans le but de reconquérir Grazyna” (Exbrayat, Le temps se gâte à Zakopane). Il est allé lui rendre visite dans le but de lui remonter le moral” (P.Ch.).

Dans le seul but de Ex.: „Qui n’a travaillé dans le seul but de passer à la caisse?”

(R. Vailland, Drôle de jeu; P.R.). De peur de

Cette locution exprime une fin à éviter. Ex.: „Louise avait l’orgueil le plus aride: de peur d’être dupe

elle niait chez ses enfants, chez son mari, chez elle les qualités les plus évidentes” (Sartre, Les Mots). „Il tâche de m’oublier de peur de devenir triste” (Zola, Joie de vivre; P.R.). „De peur de l’inquiéter, elle passa vite à d’autres idées” (A. France, Lys rouge; P.R.). „Tout le monde comptait sur les États généraux soit pour échapper à la taxation, soit pour garantir le paiement de la dette publique: autant de Gribouilles impatients de se jeter à l’eau de peur d’être mouillés” (Bainville, Histoire de France; P.R.). „Il faut rire avant que d’être heureux, de peur de mourir sans avoir ri” (La Bruyère, Les Caractères; H.D.T.). Il est allé s’expliquer à la police, de peur d’être accusé de non assistance à personne en danger (P. Ch.).

De crainte de, dans la crainte de Cette locution exprime une fin à éviter. Ex.: „Deux ans plus tôt, pour m’éveiller à l’humanisme, il m’avait

exposé des idées dont il ne soufflait plus mot, de crainte d’encourager

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ma folie mais qui s’étaient gravées dans mon esprit” (Sartre, Les Mots). Il marche lentement de crainte de tomber (le Lexis). Il évite de venir de crainte de nous déranger. „Dans la crainte de m’endormir comme elle, je me passai un linge mouillé sur le visage” (Audoux; Roug.). Je n’ose pas aller voir un médecin de crainte d’apprendre quelque chose de grave.

Crainte de Ex.: Il se taisait crainte de les importuner (H.). „Au moment où

il se disposait à toquer contre une porte, son cœur battit plus fort, crainte de ne trouver personne” (Apollinaire, Le Poète assassiné).

Histoire de

Cette locution suivie d’un infinitif signifie pour, afin de, dans la seule intention de. Elle appartient à la langue familière.

Ex.: „Il rit un peu, histoire de ne pas donner à sa remarque l’air d’une critique” (Lucette Desvignes, Les nœuds d’argile). „Comme c’était toujours moi qui payais, à la longue, ces braves gens trouvèrent la chose indécente, et ne voilà-t-il pas qu’ils se mirent à sortir plus fréquemment en mer, histoire de faire des sous et de pouvoir à leur tour me régaler plus souvent” (B. Cendrars, Le vieux port). Il a dit cela, histoire de rire (H.). „Gervaise aurait mis sa table en travers de la rue, si elle avait pu, histoire d’inviter chaque passant” (Zola, Assommoir). „Ils avaient invité Fanny à dîner chez eux histoire de la distraire un peu de ses vilaines idées” (Daudet, Sapho; P.R.). „D’humeur enjouée, il commençait toujours par prendre les choses à la légère, histoire de remonter le moral de ses patients (Exbrayat, Le temps se gâte à Zakopane).

Autres locutions prépositives: dans l’idée de, dans l’espoir de, dans le souci de (+ infinitif).

Question de Cette locution prépositive appartient à la langue très familière. Ex.: Il a dit ça, question de vous faire enrager (H.). Je lui disais

ça question de l’embêter (G.M.). Remarque. En parlant des locutions histoire de et question de,

G. et R. Le Bidois relèvent le fait que: „La langue très familière se sert assez souvent, pour exprimer la finalité, de la locution histoire de + infinitif... Plus populaire encore est le tour question de, qui a le même sens: „Question de me soigner le délire, je lui demandai... s’il ne

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connaissait pas des fois quelque bonne médecine... (Céline, Voyage; P.R.). Ces constructions s’expliquent par le besoin de „condensation” et d’économie, qui est, selon la juste remarque de M. Frei „un facteur indéniable dans la vie du langage” (Syntaxe II, p. 741).

Adaptation à l’expression de la finalité des locutions marquant la manière

(Le but comme perspective d’une manière à faire) Les locutions prépositives de façon à, de manière à, en sorte de,

peuvent exprimer le but lorsqu’elles sont suivies d’un infinitif. Ex.: On ne peut agir de manière à contenter tout le monde

(G.M.). „Elles étaient disposées de façon à reproduire la période saturnienne” (Flaubert, Salammbô; F.B.). „Il fallait lancer les casquettes sous le banc de façon à frapper contre la muraille” (Flaubert, Mme Bovary; P.R.). Il a choisi un itinéraire de manière à escalader plus facilement le piton.

Le circonstant de but constitué par un groupe prépositionnel Les prépositions et les locutions prépositives qui introduisent les

groupes prépositionnels sont les suivantes:

La préposition à Ex.: Tendre à la perfection. Pousser à l’action. Mener à la ruine.

Travailler à des fins lucratives. Réduire à la misère. Prendre à témoin. Venir à résipiscence. Mettre à profit. „Gilliat entrait pour la seconde fois dans cette cave à la poursuite du crabe” (V. Hugo, Les Travailleurs de la mer; Roug.).

La préposition pour Ex.: S’imposer des sacrifices pour l’acquisition d’un appartement.

Agir pour son propre bien. Travailler pour la gloire. On l’a fait pour son bien. Se dévouer pour l’éducation de ses enfants. Cette représentation a été donnée pour la fête du pays. Écrire pour la postérité.

La préposition dans Ex.: J’ai agi dans votre intérêt. Il a fait cela dans l’intention de

vous nuire. Il a agi dans un but désintéressé. „Dans quel dessein vient-elle de sortir?” (Racine, Bérénice, IV, 5).

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Le groupe prépositionnel peut être introduit par des locutions prépositives spécialisées:

En vue de Ex.: „L’Empereur avait construit un laborieux échafaudage en vue

d’une paix générale” (Madelin). „Pierre retira ses chaussures, mit des chaussons de feutre en vue de cette expédition” (Maigret, le Lexis). „Littré a réuni en vue de ce noble but une telle masse de matériaux qu’on a peine à croire qu’un seul homme ait pu les recueillir” (G. Paris, Journal des savants; P.R.). Faire des préparatifs en vue d’une visite. Travailler en vue d’un examen. Il assemble les objets les plus disparates en vue d’une de ces constructions dont lui seul connaît le sens (Duhamel; Roug.).

De peur de Cette locution exprime une fin à éviter. Ex.: Je n’ose sortir avec ce chapeau de peur du ridicule. Il est

rentré tôt chez lui le soir de peur de mauvaises rencontres. „Elle me regardait effarée, affolée, épouvantée, n’osant pas crier de peur du scandale” (Maupassant, Contes Bécasse; P.R.).

De crainte de Cette locution exprime une fin à éviter. Ex.: Il est prudent de refaire le calcul de crainte d’une erreur. On

a muré ce puits de crainte d’un accident. Dans la crainte de

Ex.: Dans la crainte de son départ pour le front, il a mis toutes ses affaires en règle.

Par crainte de Ex.: „À maman surtout je m’appliquais à ne rien livrer, par

crainte de son désarroi et par horreur de son regard” (S. de Beauvoir, Une mort très douce).

Crainte de Ex.: Le bateau longeait la côte avec précaution crainte d’accident.

Crainte de malheur, d’accident. Structures équivalentes

Le but peut, en outre, être exprimé par une proposition relative. Ex.: Elle choisit une robe qu’elle pût porter à la cérémonie. Il veut

offrir à sa fiancée un bouquet de fleurs qui lui fasse plaisir. Je cherche un collaborateur qui me soutienne financièrement dans mes affaires.

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LES CIRCONSTANTS DE CONCESSION ET D’OPPOSITION

Le circonstant de concession et d’opposition constitué

par une proposition à verbe fini

La proposition de concession et d’opposition marque un procès en dépit duquel s’accomplit l’action de la proposition principale. Elle peut exprimer en outre un rapport d’opposition.

Subordonnants

A. La proposition à valeur adversative ou d’opposition Cette proposition est introduite par l’une des conjonctions ou

locutions conjonctives suivantes: - outils conjonctifs marquant le temps: alors que, tandis que,

pendant que, cependant que, quand, lorsque, etc. Ces relateurs non spécialisés sont empruntés au système de conjonctions et de locutions conjonctives temporelles.

- outils conjonctifs marquant l’opposition absolue: bien loin que, loin que, au lieu que, etc. Ces relateurs empruntés à la deixis spatiale se sont spécialisés dans l’expression de l’opposition.

- la locution si employée au sens de „s’il est vrai que” et exprimant une opposition atténuée.

Alors que

Ex: „Cependant on vous voit une morne tristesse / Alors que dans vos yeux doit briller l’allégresse” (Molière, Étourdi). Il prétend qu’il y a erreur, alors qu’il n’en est rien. Il ne m’a jamais prié de le tutoyer, alors qu’il me tutoyait (le Lexis). On fait les jupes courtes, alors qu’on les faisait longues l’an dernier. Ils sont toujours absents, alors que leur présence serait nécessaire (Z.). Elle vous fait croire qu’elle a quarante ans, alors qu’elle en a plus de cinquante (P.R.). „Cette année-là chaque fois que je dînais à la maison, elle grommelait que je négligeais ma famille, alors qu’en fait je venais très souvent”

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(Simone de Beauvoir, Une mort très douce). „Alors que tant d’autres tenaient ma tentative pour une encombrante aventure, Spears en avait tout de suite saisi le caractère et la portée” (De Gaulle, L’Appel). Je suis surpris qu’un homme ait pu écrire des centaines de pages, alors qu’il n’avait absolument rien à nous communiquer. „J’avais épousé Odile que j’aimais, alors que ma famille eût souhaité pour moi des mariages plus brillants” (A. Maurois, Climats; Sandf.).

Tandis que

Cette locution marque souvent l’opposition sur le plan de la simultanéité. Ex.: „C’est que, poursuit Hubert, les poings aux poches, c’est que le merle apprend un petit air au début de la saison et qu’il le répète mille fois; tandis que le rossignol est comme moi, made-moiselle, il ne sait jamais ce qu’il dira la minute suivante” (Duhamel, Suzanne). „Ils installent un ordre nouveau, une nouvelle civilisation, tandis qu’elle erre misérablement au milieu des décombres” (N. Sarraute, Le Planétarium). „Il m’était insupportable de voir l’ennemi du lendemain se doter des moyens de vaincre, tandis que la France en restait privée” (De Gaulle, L’Appel). „Mme Méjean entendit défendre son amie, tandis que Mme Bertrand, ulcérée, tenait pour la plus infâme des trahisons le seul fait qu’on puisse comparer le savoir de cette Jeanne et le sien” (Exbrayat, Félicité de la Croix Rousse). „Les désirs des plus jeunes sont violents et brefs, tandis que les vices des plus âgés ne dépassent pas les associations de boulomanes, les banquets des amicales et les cercles où l’on joue gros jeu sur le hasard des cartes” (Camus, La Peste). „Les Britanniques, gens pratiques, ne par-venaient pas à comprendre comment et pourquoi, à Dakar, les autorités, la marine, les troupes déployaient cette énergie pour se battre contre leurs compatriotes et contre leurs alliés, tandis que la France gisait sous la botte de l’envahisseur” (De Gaulle, L’Appel). „Mon père disait que ce radicot était un grand honnête homme, tandis que l’oncle le nommait «la fine fleur de la canaille»” (M. Pagnol, La gloire de mon père; L.B.). Tandis que l’un travaille, l’autre se repose. Comment se fait-il que vous réussissez à faire d’énormes économies, tandis que moi je dépense tout mon argent? (Weinrich).

N.B. Alors que, tandis que marquent une opposition entre deux faits qui peuvent être envisagés simultanément (v. A. Martinet, Gram-maire fonctionnelle).

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Remarques. Tandis que peut être remplacé par que dans les autres subordonnées du même type qui constituent la phrase.

Ex.: „Tandis que la Russie s’isolait dans sa révolution, que l’Amérique se tenait éloignée de l’Europe, que l’Angleterre ménageait Berlin pour que Paris eût besoin d’elle, que les États nouveaux restaient faibles et désaccordés, c’est à la France seule qu’il incombait de contenir le Reich” (De Gaulle, L’Appel).

La locution tandis que peut présenter une sorte de tmèse lorsque, entre tandis et que, est placé un adverbe ou une locution.

Ex.: „Tandis, en effet, que la plupart de ses prologues forment un tout... quelques-uns sont intimement liés à un prologue voisin” (Rigal, Théâtre français; Sandf.).

Pendant que Cette locution exprime une idée d’opposition ajoutée à l’indication

temporelle. Remarque de Hanse: „Dans le sens purement adversatif, pour

marquer une opposition, mieux vaut employer tandis que” (Nouveau Dictionnaire des difficultés).

Ex.: „Faut-il demander pourquoi des joueurs très habiles se ruinent au jeu, pendant que d’autres hommes y font leur fortune?” (Vauvenargues, Maximes et réflexions; P.R.). „Pendant qu’un philosophe assure / Que toujours par leurs sens les hommes sont dupés / Un autre philosophe jure / Qu’ils ne nous ont jamais trompés” (La F. VII, 18). „On croit douter des gens qu’on aime, on les accable de reproches, on les appelle parjures, infidèles... au fond de l’âme on n’en croit pas un mot, et pendant que la bouche accuse, le cœur absout” (Musset, Com. et prov. Bettine; P.R.). „L’homme croit souvent se conduire lorsqu’il est conduit, et pendant que par son esprit il tend à un but, son cœur l’entraîne insensiblement à un autre” (La Rochefoucauld, Maximes). „Pendant que ces paniquards se ruaient vers l’arrière où ils ne risquaient même pas, dans le désordre général, d’être cueillis par les gendarmes, des divisions résistaient pied à pied” (Dorgelès, Drôle de guerre; P.R.). Pendant que des pays vivent dans l’abondance, des nations sous-développées meurent de faim (le Lexis).

Lors même que Ex.: Lors même que vous me montreriez cette lettre, je ne

pourrais pas croire à sa culpabilité (le Lexis). „Lors même que nous n’en aurions pas l’idée distincte, nous sentirions vaguement que notre

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passé nous reste présent” (H.Bergson, L’Évolution créatrice). Lors même que le menteur jurerait qu’il dit la vérité, on ne le croirait pas. Lors même que vous ne le voudriez pas, vous seriez obligé par le contrat de le faire.

Cependant que Cette locution exprime l’opposition dans le plan de la simultanéité.

Cependant que est moins vivant que pendant que (H.). Ex.: „Les abonnés se détachèrent du „Figaro” et coururent au

„Gaulois”, cependant que Cornély, du „Gaulois” passait au „Figaro” (L.Daudet, Paris vécu; Sandf.). „Tel émoi d’un instant nous suit jusqu’ à la mort, cependant que des années s’effacent sans laisser de trace” (Estaunié, L’Ascension de Mont-Blanc; L.B.). Vous bavardez cependant que vos collègues travaillent. Il allait à son travail cependant que ses amis se rendaient au cinéma.

Quand L’opposition marquée par quand résulte du contexte. Il indique

l’opposition de deux réalités. Ex.: „Vous m’offrez du brouet quand j’espérais des crèmes”

(E.Rostand, Cyrano; P.R.). Il ne faut pas boire tant d’eau froide, quand il gèle au dehors. Les ennemis ont attaqué au Nord quand nous les attendions au Sud. „Quand tous les autres avaient pris peur et lâché pied, lui seul s’entêtait à ne pas rentrer à Paris” (Daudet, Helmont; Sandf.). „On l’a trop pris pour un farceur quand il était d’abord un parfait philanthrope et un joyeux vivant” (F. Carco, De Montmartre au Quartier Latin; Sandf.). Il y avait plus de six heures qu’il marchait quand l’ascension de cette montagne ne demandait pas quatre heures.

Lorsque Cette conjonction marque la simultanéité et l’opposition. Ex.: „La plupart des jeunes gens croient être naturels, lorsqu’ils

ne sont que mal polis et grossiers” (La Rochefoucauld, Maximes). „Elle disait qu’il était honteux de faire de sa fille une servante, lorsqu’elle n’avait qu’à choisir parmi les plus beaux garçons du pays pour devenir une riche fermière” (A. de Musset, Clair de lune; P.R.). On fait des discours lorsqu’il faut agir vite. „Était-ce possible qu’on se disputât de la sorte, qu’on se gâtât l’existence lorsqu’on avait tout pour être heureuse?” (Zola, La Terre; P.R.). „Elle se souvenait de lui

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avoir conté que les violettes seules calmaient, lorsque le parfum des autres fleurs, au contraire, la tourmentait de terribles migraines” (Zola, Rêve; Sandf.).

Au lieu que Cette locution introduit l’énoncé d’un fait qui ne s’est pas

produit, mais auquel s’est substitué le fait principal. Ex.: „Mon esprit diminue au lieu qu’à chaque instant / On

aperçoit le vôtre aller en augmentant” (La F. XII, 1). „Ces grandes et éclatantes actions qui éblouissent les yeux sont représentées par les politiques comme les effets de grands desseins, au lieu que ce sont d’ordinaire les effets de l’humeur et des passions” (La Rochefoucauld, Maximes). „On s’imaginait que je pouvais écrire par métier, au lieu que je ne sus jamais écrire que par passion” (Rousseau, Confessions; P.R.). „Il faut convenir qu’il est impossible de vivre dans le monde sans jouer de temps en temps la comédie. Ce qui distingue l’honnête homme du fripon, c’est de ne la jouer que dans les cas forcés et pour échapper au péril; au lieu que l’autre va au-devant des occasions” (Chamfort, Maximes et pensées; P.R.). Au lieu qu’il reconnaisse ses erreurs, il s’entête à soutenir l’impossible (le Lexis). Pierre Corneille est un grand poète, au lieu que son frère Thomas est un poète médiocre (A. Thomas).

Remarques. La locution au lieu que est suivie du conditionnel lorsqu’en plus de l’opposition, on veut marquer l’éventualité.

Ex.: Il ne songe qu’à ses plaisirs, au lieu qu’il devrait veiller à ses affaires (Acad.).

La locution mentionnée peut être suivie du subjonctif; en ce cas, elle marque d’une façon plus évidente une substitution: au lieu que „introduit un fait qui n’a pas eu lieu, mais a été remplacé par le fait énoncé dans la principale” (Le Bidois, op. cit., II. 512).

Ex.: Au lieu que chacun s’en soit aperçu, tous étaient dans l’erreur (H.). „Au lieu que son histoire l’ait calmé, on dirait plutôt qu’il s’aigrit” (J.Romains, Humbles; L.B.). Au lieu que leur malentendu soit en train de se dissiper, les voilà plus entêtés encore (H.).

Loin que Selon G. et R. Le Bidois cette locution présente „les faits

opposés comme étant particulièrement éloignés dans la réalité ou dans le raisonnement” (Syntaxe, 1571).

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Ex.: „Et loin qu’à son crédit nuise cette aventure, / On l’en verra demain en meilleure posture” (Molière, Misanthrope, V, 1; P.R.). „Et loin que ma tendresse eût exposé ta vie, / Tu verrais ton devoir, je verrais ma vertu / Approuver un amour si longtemps combattu?” (Racine, Mithridate; H.D.T.). „Loin qu’il y ait eu préméditation dans la Saint-Barthélémy, on y distingue au contraire l’effet d’une sorte de panique” (Bainville, Histoire de France; P.R.). „Loin que le besoin de la société ait dégradé l’homme, c’est l’éloignement de la société qui le dégrade” (Voltaire, Dictionnaire philosophique). Loin qu’il veuille en profiter, il ne demande qu’à nous aider (Martinet). „Loin que la rime nuise à ces enjambements, elle leur fournit un appui qui n’est pas à dédaigner” (M. Grammont, Le Vers français). Loin que nous nous effrayions de son attitude, elle nous amuse plutôt (Z.).

Remarque. Loin que de même que Bien loin que sont suivis du subjonctif.

Ex.: (Bien) loin qu’il se repente, il s’obstine dans sa rébellion (Acad.).

Bien loin que Cette locution présente „le fait ou l’idée énoncés comme

particulièrement éloignés de l’idée ou du fait principal” (Zumthor et coll., Syntaxe, 106).

Ex.: Bien loin qu’il soit guéri, sa fièvre monte. Bien loin qu’il ait des sentiments hostiles, il proclame son estime pour nous (le Lexis). Bien loin que je veuille vous nuire, mon dévouement vous est acquis. „Bien loin que cette mort t’en ait donné l’horreur, tu attaches à la chambre où elle a souffert un caractère sacré” (Mauriac; L.B.). „Bien loin que l’assistance théologique soit à jamais indispensable aux pré-ceptes moraux, l’expérience démontre qu’elle leur est devenue de plus en plus nuisible” (A. Comte, Esprit positif.; F.B.).

Là où Selon Sandfeld (Syntaxe, p. 305) là où peut introduire une pro-

position ayant une valeur adversative. Hanse souligne que là où peut marquer l’opposition en signifiant alors que, tandis que au sens adversatif.

Ex.: „Là où tu crois donner des preuves d’amour, il verra, lui, des preuves de faiblesse” (Ohnet, Serge Panine; Sandf.). Là où il croit être simple, il est plat et banal. Il se fâche là où il faudrait employer la douceur. Il est inquiet là où il devrait être confiant (H.). „Verlaine ne

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put retenir un mouvement de déconvenue en apercevant un gamin, là où il s’attendait à trouver un jeune homme fait” (Lepelletier; L.B.).

Sans que Cette locution peut non seulement rejeter une cause ou une

conséquence, mais aussi marquer une opposition. Ex.: Il est très savant sans que cela paraisse. J’ai fait ce travail

sans qu’on me l’ait demandé (Z.). „Il y a plus de quarante ans que je dis de la prose sans que j’en susse rien” (Molière, le Bourgeois gentil-homme, II, 4). Tout cela est arrivé sans qu’il le sût. „Nul ne saurait deviner l’énigme de la mort de l’enchanteur. Les hommes savent s’entretuer sans que nous le demandions” (Apollinaire, L’Enchanteur). „De l’est à l’ouest, toutes les cimes frémirent à la fois, et sans qu’un seul brin remuât sur le sol exténué, il entendit peiner et craquer les puissantes membrures à cinquante pieds au-dessus de sa tête” (Bernanos, Une Nuit). „Le Roi David était vieux, avancé en âge. On le couvrait de vêtements sans qu’il pût se réchauffer” (Tournier, Vendredi). „Vingt fois je relus les dernières pages de Madame Bovary; à la fin, j’en savais des paragraphes entiers par cœur sans que la conduite du pauvre veuf me devînt plus claire” (Sartre, Les Mots).

Si de valeur adversative La conjonction si peut être employée pour introduire une propo-

sition exprimant l’opposition. Ex.: Si François a réussi du premier coup à passer son permis de

conduire, son ami, Henri, a été refusé à l’examen. „S’il ignore la rhétorique, s’il méprise la philosophie, Jésus-Christ lui tient lieu de tout” (Bossuet, Panég. St Paul; L.B.). „S’il savait passablement ses règles, il n’avait guère d’élégance dans les tournures” (Flaubert, Mme Bovary; P.R.). „Si dans la langue écrite, l’inversion envahit peu à peu les textes au point de devenir chez certains auteurs une regrettable manie, dans la langue parlée, au contraire, l’inversion du sujet tend nettement à disparaître...” (R. Le Bidois, L’inversion du sujet). „Si rien au monde ne vaut une mère, rien n’est pire qu’une marâtre” (Gautier, Les grotesques; P.R.). „Si Charles Perrault continuait de lire les Anciens pêle-mêle et à la diable, il ne les respectait guère; il les parodiait d’abord par instinct et divertissement avant que ce fût par calcul” (Sainte-Beuve, Caus. du lundi 20.XII.1851). „S’il gardait encore la plupart de ses dents sur les gencives inférieures, il avait perdu en

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revanche celles de la mâchoire supérieure” (Camus, La Peste). „Si la science laisse, si elle laissera toujours sans doute un domaine de plus en plus rétréci au mystère, et si une hypothèse pourra toujours essayer d’en donner l’explication, il n’en est pas moins vrai qu’elle ruine, qu’elle ruinera à chaque heure davantage les anciennes hypothèses” (Zola, Rome; P.R.). Si Suzanne est admirable par ce qu’elle sait, elle est non moins admirable par ce qu’elle ne sait pas” (A. France, Livre de mon ami; P.R.). Si je souffre, du moins je ne me plains pas (Galichet).

B. La proposition de concession proprement dite (la concession vraie).

1. La concession peut porter sur le procès exprimé par la subordonnée ou sur l’un des termes ayant trait au procès.

a. La concession concerne un fait qui aurait pu empêcher la réalisation de l’action ou de l’état exprimés dans la principale.

Les locutions conjonctives employées sont: bien que, quoique, encore que, malgré que, en dépit que.

Bien que Ex.: „Bien qu’elles prissent le soin de le dissimuler, les deux

femmes se sentaient inquiètes” (Exbrayat, Le temps se gâte à Zakopane). On lui donna une gratification bien qu’il ne l’eût guère méritée (Acad.). „Employé à la mairie et bien que ses occupations fussent très diverses, on l’utilisait périodiquement au service des statistiques, à l’état civil” (Camus, La Peste). „Mais bien que la ville se fût peu à peu habituée à lui, personne ne pouvait dire d’où il venait, ni pourquoi il était là” (Camus, La Peste). „Bien que je fusse convaincu que les opérations militaires communes, sur terre, sur mer et dans les airs, devraient être normalement dirigées par des chefs anglais, je me réservai dans tous les cas le commandement suprême des forces françaises” (De Gaulle, L’Appel). „D’ailleurs, bien que je fusse convaincu que Vichy, irait de chute en chute, jusqu’à la dégradation totale, bien que j’eusse proclamé l’illégitimité d’un régime qui était à la discrétion de l’ennemi, je voulais ménager la possibilité d’une refonte des pouvoirs publics dans la guerre si l’occasion s’en offrait jamais” (De Gaulle, L’Appel). „Bien qu’il essayât de le dissimuler, son soulagement était visible” (Bernanos, Un crime). „Bien qu’elle retînt sûrement son souffle, le sifflement léger de la poitrine haletante devint perceptible dans le silence” (Bernanos, Une Nuit). „Par chance, l’épave

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de la Virginie n’avait pas encore complètement succombé aux violentes intempéries des mois précédents bien que des morceaux entiers de la coque et du pont eussent disparu” (Tournier, Vendredi). „Bien qu’elle n’eût aucune famille là-bas, elle parlait de Paris comme d’un refuge” (Le Clézio, Le chercheur d’or). „Bien qu’ils fussent encore à une dis-tance de presque deux blocs, on entendait distinctement le bruit régulier de bottes sur l’asphalte” (A. Robbe-Grillet, Projet...). „Bien qu’il fasse grand jour, la lumière qui arrive du dehors est tout juste suffisante pour faire briller-faiblement-le dessus ciré de la table” (A. Robbe-Grillet, Le Voyeur).

Remarques. 1. La locution bien que est plus fréquente dans le code écrit que dans le code oral.

2. Cette locution serait selon certains auteurs plus littéraire que quoique.

3. La locution bien que peut présenter une disjonction (une tmèse) dans la langue littéraire: „Bien, je le répète, qu’avec l’esprit le plus juste” (P. Morand; in P. Zumthor).

4. Selon Hanse, l’emploi de subjonctif s’explique, „par l’opposition qui écarte comme sans effet, comme aussi inopérant que s’il n’existait pas, le fait, pourtant certain, introduit par bien que” (Nouveau Diction-naire...).

5. Bien que peut s’employer sans verbe et sans sujet, d’une façon elliptique, devant un adjectif ou un participe passé.

Ex.: „Les jours suivants, Égon ne put s’empêcher de penser à ces sages d’Orient, que, bien que protestant, il se figurait, selon la légende catholique, couronnés et au nombre de trois: Gaspard, Balthazar et Melchior” (Apollinaire, La Rose de Hildesheim). „Bien que philosophe, M.Homais respectait les morts” (Flaubert, Mme Bovary; P.R.). „Ses moustaches blondes étaient assez courtes, bien que jamais coupées” (Loti, Pêcheur d’Islande). Bien que fatigué, il n’a pas pris de vacances. „Ce sont des gens brusques, inquiets, suffisants, qui, bien qu’oisifs et sans aucune affaire qui les appelle ailleurs, vous expédient en peu de paroles” (La Bruyère). „Ses mouvements bien que raides étaient empreints d’une grâce charmante” (Fabre, Mme Fuster; F.B.).

6. Bien que peut être suivi d’un participe présent (adj.). Ex.: Bien que souffrant notre professeur de français a fait son

cours aujourd’hui. 7. Cette locution peut être suivie d’un participe passé de forme

composée („participe parfait complexe” selon Martinet, Grammaire fonctionnelle, p. 115).

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Ex.: „Bien qu’ayant vécu chez eux, tu connais mal ces ennemis du genre humain” (A.France, Étui de nacre; Grev).

8. Généralement, la proposition de concession (et d’opposition) peut être introduite par que dans une proposition coordonnée à la précédente pour que l’on évite la répétition des subordonnants: Bien que le moteur ait été vérifié et qu’on lui ait changé les pistons, il tombe en panne plus souvent qu’auparavant.

Bien que peut ne pas être répété ou représenté par que dans une subordonnée coordonnée à la précédente.

Ex.: „Bien que le pauvre prêtre continuât de s’asseoir à la table commune et s’y efforçât d’y paraître aussi calme qu’à l’ordinaire, le vieux doyen ne voyait pas sans une inquiétude grandissante les signes physiques, chaque jour plus évidents, d’une volonté tendue à se rompre, et qu’un effort peut briser” (Bernanos, La Tentation...).

Quoique (= bien que)

Ex.: Quoique le film fût bon, la soirée ne lui parut pas agréable. Il réussit mal, quoiqu’il fasse le maximum d’effort. Quoiqu’il soit jeune et sans expérience, il subvient aux besoins de sa famille (M. Boy). Il refuse de participer à cette excursion en montagne, quoiqu’il en ait envie. Il suait à grosses gouttes quoique ce fût au mois de janvier. „Porguer, quoiqu’il fût solide comme un chêne, s’étant levé sur la falaise, fût abattu par le vent” (Ch. Géniaux; Roug.). Quoiqu’il fît tout à fait nuit, le ciel avait une clarté, très vive. „Quoiqu’il eût envoyé chercher une grande quantité de sangsues par le piqueur, le médecin jugea qu’une saignée était urgente et n’avait point de lancette sur lui” (Balzac, Lys dans la Vallée; P.R.). „Molière lui-même, quoiqu’il ait fait les Précieuses ridicules, quoique ce soit le génie du monde le moins entaché d’affectation, offre beaucoup d’endroits d’un maniérisme qui pourrait nous sembler fort étrange” (Gautier, Les grotesques; P.R.).

Remarques. 1. Quoique est plus usité que bien que dans la langue familière.

2. Quoique peut s’employer sans verbe et sans sujet, d’une façon elliptique.

Ex.: Elle travaille quoique malade. Quoique fatigué, il terminera ce travail. Il faut plaire dans la comédie comme dans la tragédie quoique par des moyens absolument différents. „M. Swann, quoique beaucoup plus jeune que lui, était très lié avec mon grand-père, qui avait été un des meilleurs amis de son père” (Proust, Du côté de chez

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Swann). „Et je savais que la faute que je venais de commettre, était de la même famille que d’autres pour lesquelles j’avais été sévèrement puni, quoique infiniment plus grave” (Proust, Du côté de chez Swann). „Quoique peu averti des usages, de la littérature, Rieux avait cependant l’impression que les choses ne devaient pas se passer aussi simplement et que, par exemple, les éditeurs dans leurs bureaux devaient être nu-tête” (Camus, La Peste).

3. Quoique, même remplacé par que, peut être omis devant le verbe au subjonctif de la proposition subordonnée coordonnée à la précédente.

Ex.: „Et dès que j’eus reconnu le goût du morceau de madeleine trempé dans le tilleul que me donnait ma tante (quoique je ne susse pas encore et dusse remettre à bien plus tard de découvrir pourquoi ce souvenir me rendait si heureux)” (Proust, Du côté de chez Swann).

Encore que

Cette locution a presque le même sens que bien que. Elle appartient au style soutenu; la langue parlée n’emploie guère encore que (v. Hanse); elle était très employée en français classique où elle avait le rôle d’adoucir l’expression de la concession.

Ex.: Encore qu’il soit jeune, il ne laisse pas d’être sérieux (Acad.). „Mon deuil est raisonnable, encore qu’il soit extrême” (Molière, Psyché, II, 1). „Je le chéris toujours encore qu’il m’oublie” (Racine, Thébaïde, II, 1). „Les femmes croient souvent aimer, encore qu’elle n’aiment pas” (La Rochefoucauld, Maximes). „Va-t’en, ne montre plus à ma douleur extrême, / Ce qu’il faut que je perde, encore que je l’aime” (Corneille, le Cid, 973). „Encore que les rois de Thèbes fussent les plus puissants de tous les rois de l’Égypte, jamais ils n’ont entrepris sur les dynasties voisines” (Bossuet). „Rien de ce qui pousse à la révolte n’est pas définitivement dangereux, encore que la révolte puisse fausser le caractère” (A.Gide, Les Faux-Monnayeurs; P.R.). „Mais il sied qu’un roi ne se désintéresse pas des malheurs de son peuple, encore qu’il n’en soit pas directement touché (A.Gide; in Wagner). „Malgré la première apparence, et encore que chacun y mît du sien, cela n’allait qu’à moitié bien” (A.Gide, Les Faux-Mon-nayeurs; L.B.). Hélène pense qu’il prendra part à la cérémonie, encore qu’il n’ait rien dit à ce sujet. „C’est une démarche que j’aurais pu à la rigueur effectuer moi-même, encore que ma dignité me l’interdise” (Leo Malet, Les enquêtes de Nestor Burma).

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Remarques. 1. Encore que peut s’employer sans verbe. Ex.: Encore que très riche, il vivait simplement. Un trait plaisant

encore qu’un peu facile (H.). 2. Encore que peut aussi signifier „encore est-il vrai que”, „il

faut pourtant reconnaître que”. Malgré que

Cette locution marque la concession et en même temps une opposition active.

Ex.: „Mathias, malgré qu’il en eût, appuya sur la droite pour être plus vite sorti du réseau” (A. Robbe-Grillet, Le Voyeur). Il faut être de son sentiment, malgré qu’on en ait (= quoique ce soit de mauvais gré; H.D.T.). Malgré qu’il en ait, il doit payer une amende (= quel que soit le déplaisir qu’il en éprouve; B.). „Le génie de ces aventuriers le fascinait bien un peu, malgré qu’il en eût et quoi qu’il en ait pu dire” (Duhamel).

Remarque. Malgré que ne devrait s’employer tout comme dans le français classique, qu’avec le verbe avoir, car le nom malgré (formé de mal et de gré, lat. gratum) signifiant „mauvais gré” ne pourrait être employé qu’avec ce verbe. L’emploi de la locution malgré que à la place de quoique, bien que avec un autre verbe au subjonctif que le verbe avoir est condamné par l’Académie et par les puristes (Il faut dire par exemple: „Pierre a réussi bien qu’il ait rencontré des difficultés” et non pas „Malgré qu’il ait rencontré des difficultés”). Cependant de grands auteurs comme Saint-Exupéry, André Gide, Anatole France, Claudel, Proust, Mauriac, Jules Romains, Aragon, Cocteau ont employé la locution malgré que à la place de bien que, quoique.

Ex.: „Malgré que rien ne puisse servir à rien, nous faisons sauter les ponts quand même, pour jouer le jeu” (Saint-Exupéry, Pilote de guerre). „Malgré que je ne le puisse imaginer, vos cheveux ont blanchi” (A. France; Sandf.). „Il ne vit que Pauline, malgré qu’il prolongeât désespérément sa visite” (A. Gide; Sandf.).

En parlant de l’emploi de malgré que à la place de quoique, bien que, André Gide précise:

„J’ai écrit, dit A.Gide, avec Barrès et Proust, et je ne rougirai pas d’écrire encore: malgré que, estimant que, si l’expression était fautive hier, elle a cessé de l’être. Elle ne se confond pas avec bien que, qui n’indique qu’une résistance passive; elle indique une opposition” (Gide, Incidences, Lettre à P.Souday, 13 oct., 1923).

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En dépit que

Faire quelque chose en dépit que quelqu’un en ait signifie „sans tenir compte de ce qu’il pourrait faire pour s’y opposer”. Cette locution semble provenir d’une confusion de quelque dépit qu’il en ait et en dépit ou de la contamination de la locution conjonctive malgré que et de la locution prépositive en dépit de. En dépit que j’en aie signifie „malgré moi”, „quoi que je fasse. En dépit que doit s’employer seulement avec le subjonctif du verbe avoir. Cette locution appartient au français classique.

Ex.: „Tu me forces à rire en dépit que j’en aie” (Corneille, Place royale, 138). „Il ne faut pas bien sûr, à vous le trancher net, / D’épouser une fille en dépit qu’elle en ait” (Molière, Femmes savantes, I, 5). „En dépit qu’on en ait, elle se fait aimer” (Molière, le Misanthrope, I, 1).

Quelques écrivains appartenant au XXe siècle ont employé cependant ce tour devenu archaïque:

Ex.: „Christophe, profondément Allemand, en dépit qu’il en eût, était touché par ces manifestations pas très raffinées d’une affection véritable” (R. Rolland, Jean-Christophe; Grev). „En dépit qu’il en eût, il lui savait gré d’être l’ornement, la grâce du séminaire” (A. France, L’Orme du Mail; Grev.).

b. La concession marque un fait supposé; elle porte sur un procès hypothétique. Dans ce cas, la proposition est introduite par l’un des relateurs même si, quand, quand même, quand bien même, lors même que.

Même si Cette locution indique qu’une condition ou une hypothèse est

combinée avec une concession. Ex.: Même s’il me nuit, je lui pardonnerai. Cet homme ne

pourrait pas se montrer juste, même s’il le voulait. Même si on nous menaçait de pires supplices, nous ne commettrions pas cette lâcheté. „Votre pensée, dit le préfet, serait que, même s’il ne s’agissait pas de la peste, les mesures prophylactiques indiquées en temps de peste devraient cependant être appliquées” (Camus, La Peste). „Même si nous ne réussissions pas à mettre la main sur Dakar, tout au moins comptions-nous, grâce aux renforts que nous amenions, organiser au centre de l’Afrique une base d’action et de souveraineté pour la France belligérante” (De Gaulle, L’Appel).

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Quand Il signifie „même si”, „même dans le cas où, quand même”; il

possède une valeur à la fois concessive et conditionnelle (ou hypo-thétique).

Ex.: Quand il refuserait, je ne m’en étonnerais pas (Z.). „Quand je devrais acheter cette vie de délices par quelques petits dangers, où serait le mal? (Stendhal, Chartreuse de Parme; L.B.). „Quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue parce qu’il sait qu’il meurt, et l’avantage que l’univers a sur lui, l’univers n’en sait rien” (Pascal, Pensées). „Quand vous me haïriez, je ne m’en plaindrais pas” (Racine, Phèdre, II, 5). „Quand elle l’eût voulu, elle n’eût pas pu ne jamais blesser aucun des sots qui pullulaient à cette cour” (Stendhal, Chartreuse de Parme; P.R.). „Dans notre vallée de larmes, ainsi qu’aux enfers, il est je ne sais quelle plainte éternelle, qui fait le fond ou la note dominante des lamentations humaines; on l’entend sans cesse, et elle continuerait quand toutes les douleurs créées viendraient à se taire” (Chateaubriand; P.R.). „Voyons, monsieur de Cadignan, soupira-t-il, quand je n’aurais pas d’autre preuve, tout le monde sait que vous faisiez la cour à la petite, et depuis longtemps” (Bernanos, Histoire de Mouchette). „Quand tu serais sac, je n’approcherais pas” (La Fontaine).

Quand même Ex.: Quand même cette expédition serait sans danger, je ne

l’entreprendrais pas. „Quand même grandirait l’abjection publique / à ce point d’adorer l’exécrable trompeur; / Quand même l’Angleterre et même l’Amérique / Diraient à exilé: – Va-t’en, nous avons peur... Je ne fléchirai pas” (Victor Hugo, Châtiments; F.B.). „Quand même, par une révélation unique, elle eût appris que Fabrice n’aimait plus la duchesse, quelle confiance pouvait-elle avoir? ” (Stendhal, Chartreuse de Parme; L.B.). „Si la pénultième syllabe est brève, l’accent recule toujours sur l’antépénultième, quand même celle-ci serait brève, et jamais au-delà, en sorte qu’il ne peut jamais y avoir plus de deux syllabes, après la syllabe accentuée” (L’abbé Viot, Accentuation latine).

Quand bien même Cette locution a le sens de „même dans le cas où”, „encore que”. Ex.: Quand bien même il aurait tort, je dois lui obéir. Quand

bien même vous insisteriez encore, je n’accepterais pas (le Lexis).

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Quand bien même ce métier serait lucratif, je ne l’exercerais pas. „Quand bien même il eût été possible que Smith fût dans la confidence de quelque mystère que j’ignorais, de quelle nature pouvait être ce mystère?” (Musset, Confessions... F.B.). Quand bien même vous auriez raison, vous devez vous incliner (Acad.). „Et quand bien même Dakar, écrasé d’obus, devrait finalement se rendre aux Britanniques, avec ses ruines et ses épaves, il y avait à craindre que l’opération se soldât au dommage de la souveraineté française” (De Gaulle, L’Appel). „C’est la simplicité élégante de la forme classique qu’avant tout ils s’efforcent d’atteindre, quand bien même cette forme qu’ils fabriquent ne serait plus aujourd’hui qu’une mince coquille vide qui craquera à la plus légère pression” (N. Sarraute, L’ère du soupçon). „Les hommes ne sont que des hommes, quand bien même ils sont très grands” (Duhamel, Pasquier).

c. La concession peut encore être marquée: 1o par les ensembles quelque... que, quel... que, si (ou aussi)...

que, pour... que, tout...que, etc. 2o par des pronoms relatifs accompagnés de que44, etc. 1o Les ensembles quelque ... que, quel... que, si (ou aussi que)...

que, pour... que, tout...que. Quelque ... que

Cet ensemble indique le degré d’intensité d’un adjectif ou le haut degré de qualité marqué par un substantif. Le Lexis considère que cette locution joue le rôle d’un adjectif ou d’un adverbe relatif. Selon Ferdinand Brunot „quelque... que est sorti peu à peu de quel... que. Le que s’étant agglutiné à quel, dans la période du moyen français, on en a ajouté un second... ” (La Pensée et la Langue, p. 885). Cette locution appartient à la langue écrite soignée.

Quelque faisant partie de la locution quelque... que est adjectif et s’accorde:

1o Quand il précède immédiatement un nom. Ex.: Quelques raisons que vous donniez, vous ne convaincrez

personne. „Quelques folies qu’aient écrites certains physionomistes de nos jours, il est certain que l’habitude de nos pensées peut déterminer quelques traits de notre physionomie” (Chamfort; P.R.). Quelques maîtres qu’il se soit donnés, il n’a pu profiter ni de leurs leçons ni de ________________

44 voir A. Martinet, Grammaire fonctionnelle, éd. cit., p. 220.

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leurs exemples. „Mais quelque soin que prissent nos alliés de nous tenir à l’écart de leurs délibérations, nous avions, à présent, des forces assez importantes pour qu’on ne pût passer outre à nos propres réso-lutions” (De Gaulle, L’Appel). „Comme beaucoup de ceux qui vivent dans l’obsession du plaisir, et dans la présence réelle ou imaginaire du compagnon féminin, quelque soin qu’il prît de paraître brusque, volontaire et même un peu rude, il se trahissait en parlant” (Bernanos, Histoire de Mouchette). „Et ce personnage, quelque effort que le romancier puisse faire pour le maintenir immobile, afin de pouvoir concentrer son attention et celle du lecteur sur des frémissements à peine perceptibles où il lui semble que s’est réfugiée aujourd’hui la réalité qu’il voudrait dévoiler, il n’arrivera pas à l’empêcher de bouger juste assez pour que le lecteur trouve dans ses mouvements une intrigue dont il suivra avec curiosité les péripéties et attendra avec impatience le dénouement” (N. Sarraute, L’ère du soupçon).

2o Quand il n’est séparé du nom que par un adjectif. (Quand le nom est accompagné d’un adjectif, d’une épithète,

quelque porte sur le groupe substantif-adjectif et non sur l’adjectif seul). Ex.: Quelques timides efforts qu’il fît, il s’en tira néanmoins.

„Quelques grands avantages que la nature donne, ce n’est pas elle seule, mais la fortune avec elle qui fait les héros” (La Rochefoucauld). Quelques bonnes raisons que vous donniez, vous ne convaincrez personne (Grev.). Quelques grands talents que vous possédiez, soyez modestes. „Quelques puissants appas que possède Amarante, / Je trouve qu’après tout ce n’est qu’une suivante” (Corneille, La Suivante, I, 1). „Quelques vains lauriers que promette la guerre... ” (Boileau, Ép. 1).

Remarque. L’adjectif peut être placé parfois après le nom: „De quelques gens exquis ou éminents que tels de ses anciens camarades de l’école du Louvre lui parlât ...” (Proust, à la recherche du temps perdu).

3o Quelque est adverbe, et par conséquent invariable, lorsque, suivi de que, il précède un adjectif non accompagné d’un nom, ou modifie un participe ou un autre adverbe. Selon Girault-Duvivier (Grammaire des grammaires), dans cette position „quelque répond à l’adverbe quantumvis des Latins, et est invariable, puisqu’il modifie un mot qui n’a ni genre ni nombre par lui-même”.

Ex.: „Je m’en expliquai ouvertement (= en ce qui concerne le bombardement par les Anglais de la flotte française à Mers-el-Kébir), le 8 juillet, à la radio. Le gouvernement britannique eut l’habileté

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élégante de me laisser disposer, pour le faire, du micro de la B.B.C., quelque désagréables que fussent, pour les Anglais les termes de ma déclaration” (De Gaulle, L’Appel). Quelque puissants qu’ils soient, je ne les crains point (Acad.). Quelque bonnes que soient vos raisons, vous ne convaincrez personne. Toutes les paroles, quelque innocentes qu’elles soient peuvent être envenimées par la mauvaise foi. Quelque grands qu’ils soient, ils sont ce que nous sommes.

Remarque. Souvent, quelque est précédé d’une préposition ((il est dans ce cas „régime de préposition” (v. Sandfeld, Syntaxe II, P. 390)).

Ex.: „Les personnes désireuses d’aider le Gouvernement dans son action de salubrité publique sont invitées à se présenter au Bureau de Renseignements de leur résidence. Il leur sera tenu compte de leur démarche, à quelque catégorie qu’elles appartiennent” (Adamov, Tous contre tous). „À quelque heure qu’on se retirât, on n’était jamais le dernier” (Lepelletier, P.Verlaine; Sandf.). De quelque manière qu’on examine la question, la solution est difficile (le Lexis). „De quelques chaînes, de quelques misères, et je dirai même de quelques dégoûts que le monde l’ait entouré, l’amour n’en est pas moins une loi céleste” (Musset). „L’amiral Cunningham me déclara formellement qu’il fallait renoncer à reprendre l’affaire de quelque façon que ce fût” (De Gaulle, L’Appel). „Mais comme dans aucune de ces petites gravures, avec quelque goût que ma mémoire ait pu les exécuter, elle ne put mettre ce qui j’avais perdu depuis longtemps, le sentiment qui nous fait non pas considérer une chose comme un spectacle, mais y croire comme en un être sans équivalent... ” (Proust, Du côté de chez Swann). Le paresseux voyage pour se désennuyer, mais en quelque endroit qu’il aille, il porte avec lui l’ennui (Grev.).

Remarque. Quelque, suivi d’un adjectif et d’un nom peut devenir adverbe si le nom précède l’un des verbes être, sembler, paraître, devenir au subjonctif (unissant l’attribut au sujet), ou si le nom est placé devant l’un des verbes croire, déclarer, dire, juger au subjonctif (unissant l’attribut à l’objet direct). Dans ce cas, quelque continue à porter sur l’adjectif, sur son degré et non sur le substantif qui suit (c’est pourquoi on ne pourrait supprimer l’adjectif)45. ________________

45 J. Hanse a formulé à ce sujet la règle suivante: „Si l’adjectif intercalé entre quelque et que est suivi d’un substantif attribut soit du sujet, soit du complément d’objet, quelque est adverbe et reste donc invariable” (Diction-naire des difficultés).

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Ex.: Quelque savants médecins qu’ils soient, ils ne sauveront pas le malade. Quelque bons écrivains qu’aient été Racine et Boileau, ils ont cependant fait quelques fautes de grammaire. Quelque fins politiques que fussent Burrhus et Sénèque, ils ne purent découvrir le fond du cœur de Néron. Quelque bons traducteurs qu’ils soient, ils n’ont pas compris ce passage. Quelque bonnes raisons que soient la coutume et l’usage, vous ne convaincrez personne. Quelque bons juges que vous les croyiez, ces gens peuvent se tromper (Grev.). Quelque bons orateurs qu’ils soient...H.).

Quel que

(pronom relatif selon Le Bidois, Cayrou, la Grammaire Larousse du français contemporain; adjectif relatif suivant J.Dubois, le Lexis, Paul Zumthor et coll., Paul Robert; adjectif indéfini selon Bordas).

Suivant G. et R. Le Bidois quel joue le rôle d’attribut devant le verbe être ou devant un verbe d’état comme paraître, sembler; quel doit s’accorder avec le sujet du verbe. Paul Zumthor et coll. insistent sur le fait que la langue surveillée préfère ce tour et qu’elle l’emploie surtout lorsque l’accent porte sur l’indétermination de la chose mentionnée.

Ex.: Quel que soit le mode de chauffage employé, il sera insuffisant dans cette maison si vaste (le Lexis). Quelle que soit votre puissance, vous n’obtiendrez rien d’injuste (Acad.). Quels que soient son courage et sa force, il ne réussira pas. Quelles que soient vos raisons, votre attitude me chagrine. Quelle que soit votre opinion, exprimez-là franchement. „Le commissaire ayant ordonné de l’appeler à son domicile quelle que soit l’heure, Darius téléphona à son supérieur du premier café encore ouvert qu’il rencontra” (Exbrayat, Félicité). „Il m’apparut, une fois de plus, que M.Paul Reynaud, quelles que fussent autour de lui les cabales de l’abandon, pouvait rester maître du jeu pourvu qu’il ne concédât rien” (De Gaulle, La Chute). „Quelle que soit la marche de l’enquête, votre présence ici n’est pas indispensable, et il m’est très facile de justifier une absence momentanée” (Bernanos, Un crime). „Quels que soient le nombre des événements et la profondeur de l’évolution qu’il avait connus depuis qu’il était dans l’île, cette durée parut fantastique à Robinson” (Tournier, Vendredi). „Vous n’avez pas compris: le mal vient de leur paresse à tous, quels qu’ils soient” (Adamov, L’Invasion). „Appliquer le même règlement à tous les réfugiés, quels qu’ils soient, c’est permettre toutes les violences, approuver tous les excès...” (Adamov,

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Tous contre tous). „Mais le romancier qui nous occupe ne peut, quelle que soit sa crainte de paraître céder à une exaltation de mauvais aloi, se contenter de cette explication” (N.Sarraute, L’ère du soupçon). „Mais celui que j’aimais par-dessus tout, c’était Misson, le pirate philosophe, qui, aidé du moine défroqué Caraccioli, avait fondé à Diego Suarez la république de Libertalia, où tous les hommes devaient vivre libres et égaux, quelles que soient leurs origines ou leur race” (Le Clézio, Le chercheur d’or). „Quelle que fût la profondeur de mon rêve, jamais je ne fus en danger de m’y perdre” (Sartre, Les Mots). „Mais quels que soient les torts de Josef, elle n’acceptait pas l’éventualité de sa mort” (Exbrayat, Le temps se gâte à Zakopane).

Si... que

Le premier élément de ce relateur est un adverbe d’intensité qui a le sens de tant. Cette combinaison se construit avec un attribut ou un adverbe qui vient s’encadrer entre les deux éléments.

a. Si + attribut Ex.: „Si hardie et confiante qu’elle s’efforçât de paraître, elle ne

voyait depuis un moment nulle autre issue que la trappe du logis paternel... ” (Bernanos, Histoire de Mouchette). „Si absorbé qu’il fût, ou peut-être en raison même de son exaltation, il entendait nettement chacun des bruits légers qui troublaient un à un le silence” (Bernanos, Une Nuit). „Mon frère Édouard. M’a-t-on assez rebattu les oreilles de la supériorité exemplaire de ce frère aîné. On aura tout fait pour me le faire prendre en haine, et pourtant si grande qu’ait pu être parfois – et surtout dans ma prime jeunesse – mon irritation, je n’ai jamais eu de sentiments hostiles à son égard” (Tournier, Les météores). „Cependant, et c’est le plus important, si douloureuses que fussent ces angoisses, si lourd à porter que fût ce cœur pourtant vide, on peut bien dire que ces exilés, dans la première période de la peste, furent des privilégiés” (Camus, La Peste). „C’est sous une inspiration à la fois généreuse et calculée que l’Angleterre offrait l’hospitalité à ces États réfugiés. Si dépouillés qu’ils fussent, il leur restait toujours quelque chose” (De Gaulle, L’Appel). „D’ailleurs la région d’Orléans, si éprouvée qu’elle fût, ne se montrait guère agitée” (De Gaulle, Le Salut). „Si bouil-lonnante et chaotique qu’apparaisse son œuvre, le sens profond n’en est pas moins clair comme le cristal” (Miller, Cendrars). „Mais il y a plus: si étrange que cela puisse paraître, cet auteur que la perspicacité grandissante et la méfiance du lecteur intimident, se méfie de son côté,

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de plus en plus, du lecteur” (N. Sarraute, L’ère du soupçon). „Il faut bien reconnaître que l’exploration, si audacieuse et si bien menée qu’elle ait pu être, poussée si loin et avec de si grands moyens, a abouti, tout compte fait, à une déception” (N. Sarraute, L’ère du soupçon).

b. Si + adverbe Ex.: Si loin qu’il aille, on le retrouvera. „Si loin qu’il remontât

dans le passé, il n’y trouvait rien qui lui ressemblât, il ne se souvenait même pas de l’avoir jamais pressentie, ni désirée” (Bernanos, Tentation). „Si longtemps qu’on en ait goûté la délectation amère et douce, la mauvaise pensée n’est point capable d’émousser par avance l’affreuse joie du mal enfin saisi, possédé d’une première révolte pareille à une seconde naissance” (Bernanos, Histoire de Mouchette). „Si rapidement que se succédassent ces hypothèses contradictoires dans la pensée du malheureux, il retrouva sa finesse paysanne pour dire sans ironie: „Je ne voulais pas te mettre en colère” (Bernanos, ibid.). „Si légèrement que glissassent ses pantoufles de feutre, leur frottement sur le parquet lui en parut à la longue insupportable... ” (Bernanos, ibid.). Si tristement que cette année finisse, je garde l’espoir que la prochaine sera meilleure (Z.). Si habilement qu’il travaille, son ouvrage n’est pas parfait.

Remarques. Dans l’expression si... que (= quelque...que), le que peut disparaître et le sujet s’invertir, si ce sujet n’est pas généralement un nom. Ainsi la phrase „si mince qu’il soit un cheveu fait de l’ombre” devient „si mince soit-il, un cheveu fait de l’ombre”.

Ex.: „Si draconien soit-il, un règlement trouve toujours des accommodements” (H. Bazin, Vipère au poing). „La défense d’une cause, si bonne soit-elle, comporte des sacrifices personnels” (Cl. Vautel; Grev.). „On n’a pas vu un seul bureaucrate, si pauvrement payé fût-il, renoncer à son métier pour se faire terrassier” (Dorgelès; Sandf.). „Chaque fois qu’elle voyait aux autres un avantage si petit fût-il, qu’elle n’avait pas, elle se persuadait que c’était non un avantage, mais un mal...” (Proust Du côté de chez Swann).

Dans ces espèces de phrases, le sujet de la subordonnée de concession est presque toujours un pronom. Très rarement cette construction est employée avec un nom sujet.

Ex.: „Mais si bon soit l’accueil, si chaude la poignée de main, elle est la veuve et nous les orphelins” (Paul Marguerrite; Sandf.). „Si importante y soit la séduisante figure de l’héroïne, „la Rencontre” n’est pas le roman d’une seule créature, pas plus que ne l’étaient les précédents romans de M.Troyat” (E. Henriot; Grev.).

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Confusion de si... que et de aussi... que en proposition de concession Les constructions du type „aussi mince qu’il soit, aussi mince

soit-il” se sont répandues dans la langue littéraire. La locution aussi...que, inusitée dans la langue familière, a le sens de bien que et elle est suivie du subjonctif. Ce relateur est condamné par certains grammairiens.

Ex.: „Il semblait évident qu’aussi puissante fût-elle, Marie ne lui rendrait pas ses jambes” (Apollinaire, Les Pèlerins piémontais). „Aussi sauvage qu’il fût, Crochemaure aimait ses bêtes” (Tournier, Les perles philippines). „Ce furent-là les seules et uniques lignes que je devais écrire à l’Escayrol malgré les sommations de mon éditeur qui s’impatientait. Un écrivain ne doit jamais s’installer devant un panorama aussi grandiose soit-il” (Cendrars, Le vieux port). „Ce corps contre son corps, aussi léger qu’il fût, l’empêchait de respirer” (Mauriac, Thérèse Desqueyroux; P.R.). „Ils restèrent juste le temps de ramasser un pécule, aussi léger fût-il” (Tharaud, Quand Israël est roi; H.).

Pour peu que

Bien que cette locution relève de la phrase hypothétique, il y a des grammairiens qui considèrent qu’elle peut aussi contribuer à l’expression de la concession et de l’opposition. Elle est suivie du subjonctif.

Ex.: Pour peu qu’il écrive, il est considéré un grand écrivain (H.Weinrich, Grammaire textuelle du français, Paris, Didier-Hatier, 1989, p. 464).

Pour peu qu’il attende, il arrivera trop trad (G. Cayrou et alii, Le français d’aujourd’hui, Paris, A.Colin, 1948, p. 380).

„Pour peu que votre image en mon âme renaisse, / Je sens bien que c’est vous que j’aime encore le mieux” (Sully-Prudhomme, Pardon; G. et R. Le Bidois, Syntaxe du français moderne, Paris, Picard, 1967, p. 518).

Pour... que Ce relateur qui équivaut à si... que appartient à la langue écrite

soignée. Il possède une valeur de concession ou d’opposition. Ex.: „Pour grands que soient les rois, ils sont ce que nous sommes”

(Corneille, le Cid, I, 3; F.Brunot, dans La Pensée et la Langue, p. 886, souligne que le premier hémistiche de ce vers signifie à la fois: quoique les rois soient grands et quelque grands que soient les rois).

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„Pour sages que soient les hommes, ils ne sont pas infaillibles” (Saint-Simon; H.D.T.). „Le narrateur rapportait en toute objectivité un fait troublant; il laissait une chance au positivisme: pour étrange qu’il fût, l’événement devait comporter une explication rationnelle” (Sartre, Les Mots). „Chacun de ces hommes était un monde possible, assez cohérent, avec ses valeurs, ses foyers d’attraction et de répulsion, son centre de gravité. Pour différents qu’ils fussent les uns des autres, ces possibles avaient actuellement en commun une petite image de Speranza... autour de laquelle ils s’organisaient, et dans un coin de laquelle se trouvaient un naufragé nommé Robinson et son serviteur métis. Mais pour centrale que fût cette image, elle était chez chacun marquée du signe provisoire, de l’éphémère...” (Tournier, Vendredi). „Pour déplorable que fût le goût qui poussait Jean chez les cardeuses, ce n’était rien encore auprès du penchant qui l’attirait dans l’ancienne remise à voitures... ” (Tournier, Les fraises des bois). „La France, pour écrasée et asservie qu’elle fût dans la métropole et passive dans une grande partie de ses territoires d’outre-mer, demeurait en mesure d’engager dans la lutte finale d’importantes forces militaires, son Empire et sa résistance” (De Gaulle, L’Appel). „Il était clair que, dans ces conditions, le peuple, pour ravi qu’il fût de sa libération, aurait à subir longtemps de dures épreuves” (De Gaulle, Le Salut). „Pour mystérieux et distant qu’il me parût en cet état, mon père était alors une divinité courtoise” (Duhamel, Pasquier; P.R.). Ce texte pour intéressant qu’il soit est apocryphe.

Pour si ... que

Pour se combine avec si et donne naissance à la construction pour si ... que; cette locution, bien que répandue dans la langue écrite est condamnée par certains grammairiens qui la considèrent un tour pléonastique.

Ex.: „Pour si obstinément qu’il l’observât, il ne pouvait sur-prendre en lui un de ces signes extérieurs qui marquent l’activité de l’orgueil et de l’ambition...” (Bernanos, Tentation...). Pour si mauvais que fût ce travail, je m’en suis contenté (Z.). „Il guettait le bruit, pour si léger qu’il soit, que ne manque pas de faire un homme qui veille” (J. Giono; Grev.). „Pour si tragique qu’elle dût être dans ses consé-quences, la situation avait quelque chose de cocasse” (Exbrayat, Le temps se gâte à Zakopane).

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Pour aussi ... que Cette locution est rarement employée par les écrivains. Elle est

condamnée par les grammairiens parce que aussi fait pléonasme avec pour.

Ex.: „Pour aussi bête qu’il soit, un homme est amené à se poser bien des questions au cours de sa vie” (Chamson, Suite pathétique; Grev.). „Pour aussi fort qu’il fût devenu, quelque chose manquait à mon amour conjugal” (P.H.Simon, Raisins verts).

Pour quelque ... que Cette locution est aussi condamnée par les puristes. Ex.: „Les revers effroyables que les armées essuyaient sur le

front amenaient une désorganisation générale, dont le dépôt, pour quelque retiré qu’il fût, souffrait” (P.Gascar, Bêtes; Grev. XIIe éd.).

Tout ... que Ce relateur a le sens de si... que; quoique entièrement. Il met en

valeur la réalité de l’attribut du sujet ou de l’objet sur lesquels porte la concession: „suivi d’un attribut et relié par que à un verbe de mode personnel, tout souligne une caractérisation qui s’oppose (ou paraît devoir s’opposer) à l’idée dans la principale” (G. et R. Le Bidois, Syntaxe, II).

Tout introduit généralement un adjectif ou un substantif. Ex.: „Tout marquis que je suis, j’ai droit à la justice, je pense?”

(Bernanos, Histoire de Mouchette). Tout Picard que j’étais, j’étais un bon apôtre (Acad.). Tout rusé qu’il est, il s’est un jour laissé prendre. Tout aimable qu’il est, il n’a pas voulu accepter de travailler à ce projet. Tout solide que tu es, tu peux attraper cette maladie.

Remarques. 1. Dans la locution tout ... que, tout est toujours invariable avec un nom masculin pluriel ou un adjectif masculin pluriel.

Ex.: Tout prudents qu’ils sont, ils se sont trompés (H). Tout princes que vous êtes, vous n’en êtes pas moins hommes (A.Th.). Tout précis qu’ils sont, les mathématiciens eux-mêmes se trompent parfois.

2. Tout de la locution tout... que varie avec un nom féminin ou un adjectif commençant par une consonne ou par un h aspiré.

Ex.: Toute femme qu’elle est, Marie a beaucoup de courage. Toutes raisonnables qu’elles sont, elles peuvent faire parfois des erreurs. Toutes prudentes qu’elles sont, elles se sont trompées. Toutes hardies qu’elles paraissent, elles ont parfois peur (le Lexis). „Toute

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dépaysée et terrifiée qu’elle était, elle goûtait le soulagement d’être plus anonymes ici que partout ailleurs” (J. Romains; P.R.). „On la mettait (= une girafe en pain d’épice) près de son lit quand il était malade et il avait le droit de la regarder mais pas de la toucher, vu qu’elle aurait fondu toute dure qu’elle était au contact de ses mains fiévreuses” (Lucette Desvignes, Les nœuds d’argile). „Toutes grises qu’elles étaient les femmes se turent” (Maupassant, Mademoiselle Fifi). „Toute baptisée qu’elle est, je la crois plus noire que l’enfer” (Bernanos, Une nuit).

3. Dans la construction avec tout... que, l’emploi de l’indicatif devrait constituer une règle: „l’indicatif s’explique par l’assurance de la déclaration qui constate un fait tenu pour indiscutable (G. et R. Le Bidois, Syntaxe, II 1579). On trouve cependant après tout... que le subjonctif „soit que l’affirmation se pense d’une façon moins assurée, soit tout simplement par analogie avec la syntaxe de si... que” (ibidem).

Ex.: „Bref, tout limité et solitaire que je fusse, et justement parce que je l’étais, il me fallait gagner les sommets et n’en descendre jamais plus” (De Gaulle, L’Appel). Tout intéressante que soit cette question, elle demeure insoluble.

Pronoms relatifs accompagnés de que Qui que

(cette locution marque une concession d’extension indéfinie ou une concession indéterminée; le premier élément de cette locution est à l’origine un interrogatif).

Qui que peut être employé soit en fonction d’attribut, soit en fonction de complément d’objet.

a. en fonction d’attribut: Ex.: Qui que tu sois, tu es le bienvenu (G.Cy.). Qui que vous

soyez, entrez! Qui que vous soyez, montrez vos papiers! (Z.). Qui que tu sois, ange ou démon, ne te fais pas attendre plus longtemps (Sandf.). „Oh! qui que vous soyez, jeune ou vieux, riche ou sage... ” (V. Hugo, Feuilles d’Automne; F.B.).

b. en fonction de complément d’objet. Ex.: Qui que je rencontre je lui en parle (L.B.). Qui que mon

père trouve, il l’embauchera (Z.). „Qui qu’elle fréquentât, désormais elle resterait pour tout le monde, marquise de Saint-Loup” (Proust, À la recherche du temps perdu).

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Remarque. Qui que était plus employé en français classique. Ex.: „Non, non, avant ce coup Sabine aura vécu: / Ma mort le

préviendra, de qui que je l’obtienne” (Corneille, Horace, II, 6). „Homme, ou qui que tu sois, / Diable, conclus; ou bien que le ciel te confonde! ” (Racine, Plaideurs, III, 3).

Qui que ce soit Ce relatif indéfini pourrait être considéré comme une proposi-

tion concessive elliptique. Ex.: Je ne le dirai à qui que ce soit. Je n’ai parlé à qui que ce

soit. Je me suis promené dans cette rue et je n’ai rencontré qui que ce soit. On ne doit jamais mal parler de qui que ce soit en son absence. Je n’envie la fortune de qui que ce soit. „C’est possible, mais je vous répète que personne, dans cette maison, ne se permettrait de fréquenter qui que ce soit sans m’en avertir et m’en demander la permission” (Exbrayat, Félicité). Si elle refusait d’en parler devant qui que ce soit, en elle-même, Marie admettait les soucis que lui causaient ses frères. „Des sommes importantes avaient été volées chez leur voisin, et avant même qu’on eût soupçonné qui que ce soit, Vendredi avait disparu” (Tournier, La fin de Robinson Crusoé). Qui que ce soit interrogez-le! (H.).

Qui que ce fût Ex.: „Nous n’avions d’ailleurs aucune raison de craindre qui que

ce fût” (Bernanos, Un crime). Quoi que

(conjonctif pronominal de valeur neutre; pronom relatif composé à sens indéfini; relatif indéfini; forme neutre de qui que).

Quoi que indique l’imprécision concernant la nature d’un fait, d’un événement; il signifie quelque chose que.

Ex.: Quoi qu’il arrive, soyez prudents. Quoi qu’on fasse, on est toujours critiqué. Quoi qu’il me dise, je mettrai ses affirmations en doute (Z.). Quoi que vous disiez, je m’en tiendrai à ma première décision (le Lexis). „Sans la langue, en un mot, l’auteur le plus divin, / Est toujours quoi qu’il fasse, un méchant écrivain” (Boileau, Art poétique). „Quoi qu’en dise Aristote et sa docte capable / Le tabac est divin; il n’est rien qui l’égale” (Th. Corneille, Festin de pierre, I, 1). „Monsieur l’Inspecteur, je ne suis pas fou quoi que vous en puissiez penser, et je ne suis pas l’auteur de ces lettres anonymes” (Exbrayat,

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Félicité). „Mais à présent, il s’agit, au contraire, de convaincre les Anglais que nous tiendrons, quoi qu’il arrive, même outre-mer...” (De Gaulle, L’Appel). „Mais, quoi qu’il fît, son bon sens devait convenir d’un fait accablant pour son amour propre; cette entrevue de puissance à puissance, dont il espérait tant, n’avait rien conclu” (Bernanos, Histoire de Mouchette). „Ah! monsieur Ouine, il y a des jours où quoi qu’il arrive, on est sûr de ne pas se décevoir soi-même, il y a des jours visités par les dieux! ” (Bernanos, Monsieur Ouine). „En choisissant les vêtements qui te plaisent, tu as oublié un petit détail: c’est que Paul et toi, quoi que tu en dises, vous avez les mêmes goûts” (Tournier, Les fraises). „La vie reprit son cours en effet, mais quoi que fît Robinson, il y avait toujours quelqu’un en lui qui attendait un événement décisif...” (Tournier, Vendredi).

Quoi que j’en aie

La langue littéraire emploie parfois la construction quoi que j’en aie pour malgré que j’en aie. Cette expression résulte de la contamination de „quoi que j’en dise” ou de „quoi qu’il en soit” et de „malgré que j’en aie”, „malgré qu’il en ait”; elle est critiquée par les grammairiens puristes, étant lourde et peu élégante. Hanse souligne que cette expression est aujourd’hui considérée tout à fait correcte. Elle signifie quelque mauvais gré que j’en aie, quelque dépit que j’en aie.

Ex.: „Quoi qu’elle en eût, Hildegarde jouait parfaitement son rôle de fille bien-née” (Exbrayat, Le temps se gâte à Zakopane). „Jalluz, quoi qu’il en eût, avait été flatté par les attentions de Paul Fort” (J. Romains, Hommes de bonne volonté; P.R.). „Mais il y a (pour les esprits trop perçants) une autre manière bien autrement vraie de saisir les gens et les personnages en scène, de les fouiller et de les sonder quoi qu’ils en aient...” (Sainte-Beuve, Causeries du lundi, 13, I, 1851; P.R.). „La délicate Michèle en face de lui prenait toujours, quoi qu’elle en eût, une attitude de Sabine” (E. Jaloux, La Branche morte; Grev.).

Quoi que ce soit (Cette locution exprime l’indétermination au plus haut degré;

elle équivaut à une proposition de concession elliptique). Ex.: „Je suis aveugle à tout, sourd à quoi que ce soit” (Molière;

L.B.). Il faut savoir comment persuader quoi que ce soit. „Je ne pense pas vous avoir accusé de quoi que ce soit” (Exbrayat, Félicité). „Mam

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nous a aussi expliqué ce que c’était l’électricité, ses propriétés, son usage. Mais nous étions trop jeunes pour comprendre quoi que ce soit, sauf pour vérifier, comme nous l’avons fait chaque jour à ce moment-là, les mystères des morceaux de papier aimantés par le collier d’ambre de Mam” (Le Clézio, Le chercheur d’or). „Ce sont des verres de myope. Comment peut-il porter de tels verres et voir quand même quoi que ce soit? ” (Duhamel, Suzanne).

Quoi que ce fût Ex.: „Elle était maintenant hors d’état d’opposer une résistance

quelconque, ou même d’objecter quoi que ce fût” (Bernanos, Un crime). „Non seulement il persistait à croire que son séjour ici ne pourrait être de longue durée, mais, par une crainte superstitieuse, il lui semblait qu’en faisant quoi que ce fût pour organiser sa vie sur ces rivages, il renonçait aux chances qu’il avait d’être rapidement recueilli” (Tournier, Vendredi). „Je n’avais plus la main sur la rampe, à présent, ni sur quoi que ce fût” (A. Robbe-Grillet, Projet).

Quoi qu’il en soit Cette locution „énonce une concession provisoire ou plus

exactement, elle marque, chez le sujet parlant, une indifférence réelle ou simulée quant à la vérité de quelque chose qui vient d’être dit” (G. et R. Le Bidois, Syntaxe I, § 603).

Ex.: „Quoi qu’il en soit, il convenait de se mettre à la recherche des éventuels rescapés du naufrage et des habitants de cette terre, si du moins elle était habitée” (Tournier, Vendredi). „Quoi qu’il en soit, en évoquant les circonstances de ce discours, nous ne pensons point à excuser ses insuffisances trop évidentes de la hâte qu’il en a reçue, puisque c’est de même hâte qu’il prend son sens avec sa forme” (Lacan, Écrits). „Quoi qu’il en soit, on m’a jeté cet os à ronger et je l’ai si bien travaillé que je vois le jour à travers” (Sartre, Les Mots).

Où que46 (d’où que) G. et R. Le Bidois appellent cette locution „variable de conces-

sive”. Elle signifie „quel que soit le lieu où”, „en quelque lieu que”. ________________

46 Certains grammairiens considèrent que cette locution conjonctive introduit une subordonnée circonstancielle de lieu (voir les circonstants spatiaux).

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Ex.: Où que vous alliez vous serez bien accueilli. C’est un homme qui, où qu’il aille fait fausse route. Je le reconnaîtrais où qu’il se trouve. D’où qu’il vienne, il n’arrive jamais à l’heure. Où que vous soyez conduisez-vous dignement. J’irai le chercher où qu’il soit (F.B.).

Les circonstants ayant des verbes à un mode impersonnel (non personnel)

Les circonstants de concession et d’opposition constitués par une construction infinitive

A. La construction infinitive exprime un rapport de concession. L’infinitif est construit avec les prépositions suivantes:

La préposition pour Cette préposition est surtout employée lorsque: a. le verbe de la proposition principale est à la forme négative ou

interrogative; b. dans la proposition principale il y a un adverbe de sens

restrictif comme par exemple pourtant, néanmoins, ou un adverbe de sens intensif; la principale contient le plus souvent un comparatif.

Ex.: „Pour être fée, on n’en est pas moins femme” (M.Aymé, Au clair de la lune). „Mme de Clèves y venait souvent et pour être afligée, elle n’en paraissait pas moins belle à M. de Nemous” (Mme de La Fayette, la Princesse de Clèves). „Pour être prince, Madame, on n’en est pas moins homme” (Stendhal, Chartreuse de Parme; Grev.). „Pour ne pas reposer sur une sympathie de l’esprit, cet amour n’en était pas moins vrai” (R.Rolland, Jean-Christophe; P.R.). Pour être père, je n’en suis pas moins sévère à son égard (G.M.). Pour être lent, il achève néanmoins son travail (Z.). „Ah! pour être dévot, je n’en suis pas moins homme” (Molière, Tartuffe). „Es-tu moins esclave, pour être aimé et flatté de ton maître? ” (Pascal, Pensées, III, 209).

La préposition sans Ex.: „Les gens de qualité savent tout sans avoir jamais rien

appris” (Molière, les Précieuses ridicules). Il a parcouru la distance entière sans s’arrêter un instant (Z.). „Bonhomme, toujours souriant, il semblait être l’ami de tous les plaisirs normaux sans en être l’esclave” (Camus, La Peste). „Tarrou y mêle encore des dialogues entendus dans les tramways sans y ajouter de commentaires” (Camus, La Peste).

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B. La construction infinitive exprime un rapport d’opposition. L’infinitif peut être introduit par les locutions suivantes:

Au lieu de Ex.: Vous rêvez au lieu de réfléchir. Au lieu d’être apitoyée, elle

se montra très dure. Au lieu d’étudier, il ne fait que se divertir (Acad.). Il a grimpé par la ruse, au lieu de s’élever par la force. „Les grands noms abaissent au lieu d’élever ceux qui ne les savent pas soutenir” (La Rochefoucauld). „Tenace, consciencieuse, douée d’une bonne mémoire, elle pouvait devenir libraire, secrétaire; elle aurait monté dans sa propre estime au lieu de se sentir diminuée” (Simone de Beauvoir, Une mort très douce). „Au lieu de lui prêter mes gestes, je lui façonnais par des mots un corps que je prétendais voir” (Sartre, Les Mots). „Au lieu de regarder voler les mouches tandis que je me donne tout ce mal vous feriez mieux de tâcher d’être plus attentive; ce n’est pas moi qui me présente au concours du doctorat partiel, je l’ai passé, moi, il y a longtemps y compris mon doctorat total” (Ionesco, La leçon). „Au lieu de dire des bêtises qui n’ont ni queue, ni tête, va donc voir ce qu’ils veulent” (Exbrayat, Le temps se gâte à Zakopane).

Loin de Ex.: „Loin de trembler pour Albe, il vous faut plaindre Rome”

(Corneille, Horace, II, 1). „Loin de m’arrêter, cet obstacle m’amorce” (Rotrou; P.R.). „La Société, loin de dépraver l’homme, le rend meilleur” (Balzac; P.R.). Loin de me remercier, il m’a dit des injures (Acad.). à peine en fonction, le Président du Conseil était aux prises avec d’innombrables exigences, critiques et surenchères, que toute son activité employait à dérouter sans pouvoir les maîtriser. Le Parlement loin de le soutenir, ne lui offrait qu’embûches et défections” (De Gaulle, L’Appel). „Le quotient de l’opération est que le ministre n’a plus la lettre, mais lui n’en sait rien, loin de soupçonner que c’est Dupin qui la lui ravit” (Lacan, Écrits). „Plus tard, loin de m’accrocher à des montgolfières, j’ai mis tout mon zèle à couler bas: il fallut chausser des semelles de plomb” (Sartre, Les Mots).

Bien loin de Ex.: Bien loin de chercher à me plaire, il ne manque aucune

occasion de m’irriter (Z.). „La concession qu’elle faisait à ma tristesse et à mon agitation en montant m’embrasser agaçait mon père qui

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trouvait ces rites absurdes, et elle eût voulu tâcher de m’en faire perdre le besoin, l’habitude, bien loin de me laisser prendre celle de lui demander, quand elle était déjà sur le pas de la porte, un baiser de plus” (Proust, Du côté de chez Swann). „Hélas! l’attention qu’il apporte désormais à sa bizarre manie l’excède incroyablement, bien loin de l’apaiser” (Bernanos, M. Ouine). „Bien loin de partager son indig-nation, elle le félicita de son succès et se réjouit de l’augmentation de leurs ressources” (Tournier, Que ma joie demeure).

Au risque de Selon G. Mauger (Grammaire pratique du français, p. 337) au

risque de marque une opposition-concession hypothétique). Ex.: Il s’est avancé sur la glace au risque de tomber (G.M.). Un

passant s’est jeté à la tête du cheval emballé, au risque de se faire renverser (B.). „Si je l’avais senti plus tôt, je n’aurais pas souhaité d’occuper cette position qui va probablement devenir très difficile, cette position qui consiste à se tenir sur deux chaises, au risque de n’être assis ni sur l’une, ni sur l’autre et de choir entre les deux” (Duhamel, Pasquier; P.R.). „D’un bond, il fut debout; et au risque de se tuer, il se laissa tomber par le trou qui servait à jeter le fourrage” (Zola, La terre; P.R.). „Je me lançais dans d’incroyables aventures: il fallait grimper sur les chaises, sur les tables, au risque de provoquer des avalanches qui m’eussent enseveli” (Sartre, Les Mots).

Les circonstants de concession et d’opposition ayant dans leur structure un participe passé

a. le participe a le même sujet que le verbe principal. Ex.: Injurié, il sut pourtant se contenir (= bien qu’il fût injurié).

Blessé mortellement, il espérait encore (Cy). „Moqué à l’envi par ses camarades, Chazal gardait sa tranquillité” (A. France; Z.). Trahi par son meilleur ami, il gardait pourtant sa confiance dans les hommes;

b. le participe possède un sujet qui lui est propre47 (le participe constitue avec son sujet une proposition participiale).

Ex.: La capitale prise, le peuple ne désespéra pas (Cy). Les entreprises vendues, les problèmes financiers demeurèrent. Les mal-faiteurs appréhendés par la police, le calme ne revint pourtant pas dans le village. ________________

47 participe absolu

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Ex.: Les moteurs de l’avion ayant été révisés, une panne n’est pas pourtant exclue. Les moindres détails étant réglés, il y a toujours des surprises à craindre (G.M.).

Les circonstants de concession et d’opposition ayant dans leur structure un participe présent

(ou un participe en -ant) Ex.: Il veut, ignorant la rhétorique, être orateur. Connaissant son

habileté, vous ne l’avez pas engagé? Vous êtes entré dans ce laboratoire, sachant bien que la visite de ces lieux est interdite.

Les circonstants de concession et d’opposition ayant dans sa structure un gérondif

Ex.: Tout en chantant son âme était triste. Il a éclaté de rire tout en pleurant. En feignant la paresse, il fait un travail considérable (Z.). Tout en faisant des progrès, cet élève n’atteint pas la moyenne (G.M.).

Les circonstants de concession et d’opposition constitués par un groupe prépositionnel

Le circonstant de concession et d’opposition peut être introduit par les prépositions et les locutions prépositives suivantes:

A. Prépositions:

Avec Avec est un relateur non spécialisé; cette préposition peut avoir

le sens de malgré. De l’idée d’accompagnement naît souvent celle d’opposition (v. Le Bidois, Syntaxe II, p. 718).

Ex.: Avec tant de qualités, il n’a pas réussi (P.R.). Avec ses cinquante ans, il pense encore à participer à un concours hippique. „Avec des formes grossières, des paroles rudes et violentes, elles ont souvent un cœur infini de bonté” (Michelet; F.B.). „Comme il y a de bonnes viandes qui affadissent le cœur, il y a un mérite fade, et des personnes qui dégoûtent avec des qualités bonnes et estimables” (La Rochefoucauld). „N’importe! tel qu’il est, avec ses yeux clignotants et sa mine renfrognée il me plaît encore mieux qu’un autre” (Daudet, Installation; L.B.).

Malgré Cette préposition formée de mal et de gré (lat. gratum) signifiait

à l’origine mauvais gré.

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Ex.: Il est sorti malgré la pluie. „Malgré la brûlure du ciel, les femmes restaient debout devant les tentes, à parler et à crier” (Le Clézio, Désert). „Après un long débat et malgré mes arguments, le Président du Conseil prit la décision de transférer les pouvoirs publics à Bordeaux” (De Gaulle, La Chute). „Malgré l’intérêt que pourraient avoir certaines expressions pour les philologues, je n’insisterai pas sur ce côté de l’esprit d’Orfei” (Apollinaire, L’Hérésiarque). „Malgré toutes ses recherches, dans la Virginie, il n’avait pu trouver ni une vis, ni un clou” (Tournier, Vendredi). „Pour Rieux, à trente ans et malgré les marques de la maladie, ce visage était toujours celui de la jeunesse” (Camus, La Peste). „Le Gris (= le cheval) marchait gaillardement, s’ébrouant par moments. Ses fers avaient d’abord cliqueté sur les pavés des rues à faire croire que derrière chaque contrevent il y aurait des yeux de curieux réveillés; ils faisaient un bruit joyeux, décidé, malgré le brouillard qui enveloppait tout... ” (Lucette Desvignes, Les noeuds d’argile). „Mais il se produisait parfois, malgré les efforts qu’elle faisait, un silence” (N. Sarraute, Tropismes).

Nonobstant

(formé de non et de l’a. fr. obstant, du lat. obstans, p. prés de obstare „faire obstacle”). Il signifie malgré, en dépit de. Cette prépo-sition a vieilli.

Ex.: „C’est dans ces dispositions d’esprit que nous trouva madame mère, quand soudain, nonobstant les recommandations des médecins, elle quitta la clinique et débarqua du car, récemment mis en service sur la route d’Anger” (H. Bazin, Vipère au poing). „Nonobstant cette ferme déclaration, il s’esquive lui-même” (Barbusse, Le Feu). „Charles Myriel, nonobstant ce mariage, avait, disait-on beaucoup fait parler de lui. Il était bien fait de sa personne, élégant, gracieux, spirituel...” (Hugo, les Misérables).

Sans

Sans est un relateur non spécialisé; cette préposition peut avoir le sens de malgré, le manque de.

Ex.: Sans une conception esthétique claire, il a composé un livre intéressant. Sans talent remarquable il a remporté le premier prix. Sans fortune il vit à l’aise (G.M.).

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B. Locutions prépositives: À côté de

Cette locution exprime une comparaison qui oppose. Ex.: à côté de ses qualités, de si petits défauts ne comptent pas

(le Lexis). Mes maux ne sont rien à côté des siens (P.R.). à côté de la conception de l’atome de Niels Bohr, la nouvelle théorie paraît inattaquable.

Au lieu de Ex.: „J’entendais le chant du coq, le bruissement des feuilles, le

gémissement alternatif de la mer, au lieu de ces roulements de voitures, de ces cris aigus du peuple et de ce tonnerre incessant de tous les bruits stridents qui ne laissent dans les rues des grandes villes aucune trêve à l’oreille et aucun apaisement à la pensée” (Lamartine, Graziella; P.R.). „Au lieu de la perdrix et du lapereau que j’avais fait mettre à la broche, on m’apporta un petit pain bis avec une cruche d’eau...” (Lesage, Gil Blas). Au lieu du jardin pittoresque qu’il s’attendait à voir devant la maison, il n’aperçut qu’un terrain envahi par les ronces.

Auprès de Cette locution exprime une comparaison qui oppose. Ex.: „Auprès de cette vérité soudaine mise à jour, la peste était

peu de chose” (Camus, La Peste). „Que la réalité était triste et ennuyeuse auprès de mon songe!” (A. France, Petit Pierre; P.R.).

Au prix de Cette locution prépositive marque une comparaison qui oppose. Ex.: „Souvent un bien supérieur n’est obtenu qu’au prix d’une

nuisance particulière” (Gide, Journal, 18 avril 1918; P.R.). „Se pouvait-il que Patricia fût déjà obligée de payer ses rêves et ses pouvoirs au prix de la solitude”? (Kessel; le Lexis).

Au mépris de Cette locution a le sens de contrairement à, sans tenir compte de. Ex.: „Au mépris du bon sens, le burlesque effronté / Trompa les

yeux d’abord, plut par sa nouveauté” (Boileau, Art poétique). Il a fait l’ascension de cette montagne dangereuse au mépris de toute prudence. Il circulait en sens interdit au mépris de la réglementation (B.).

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Parfois, l’un d’eux fume une cigarette au mépris des affiches com-minatoires. „Ma mère au mépris de tous ses serments, sciait des bûches dans sa cour” (Colette; Roug.).

En dépit de

Cette locution indique ce qui pourrait s’opposer à un fait; elle a le sens de „sans tenir compte de”, „malgré”.

Ex.: „Elle souffrait, elle dormait mal, en dépit des six cachets d’aspirine qu’elle avalait chaque jour” (S. de Beauvoir, Une mort très douce). „Elle frissonnait, en dépit de la chaleur d’orage” (Duhamel, Suzanne). „En dépit du désir et de la nostalgie qui me taraudent, je suis content que ni Daniel, ni même Eustache ne partage une solitude aussi farouche” (Tournier, Les Météores). „En dépit de la douleur et de la colère où nous étions plongés, moi-même et mes compagnons, par le drame de Mers-el-Kébir, par les procédés des Anglais, par la façon dont ils s’en glorifiaient, je jugeai que le salut de la France était au-dessus de tout, même du sort de ses navires et que le devoir consistait toujours à poursuivre le combat” (De Gaulle, L’Appel). Il a agi en dépit de mes avertissements. „En dépit de la religion huguenote professée par Werner, il fut décidé qu’on se marierait à l’église” (Exbrayat, Le temps se gâte à Zakopane).

En face de

Ex.: „En face de mes succès, on voit tes échecs” (G.M.). En face du luxe des grands propriétaires, on pouvait voir la misère des paysans.

Au risque de

Cette locution signifie, „en s’exposant au danger de”. Ex.: Il s’avança sur la glace au risque d’une chute (G.M.). Il

descendait souvent la côte à toute vitesse au risque d’un accident.

Structures équivalentes La notion de concession (et d’opposition) peut en outre s’ex-

primer par:

I. Juxtaposition

Ex.: Tous regardaient passionnément le spectacle. Lui, il bâillait! (Mitterand). Vous direz ce que vous voudrez; je n’admettrai que la fin

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justifie les moyens (Grev.). „Marâtre48, tu donnas la Toison à l’argonaute. Moi, je coupai la chevelure de mon amant... Tu aimais les hommes forts; moi, je fus la femme forte” (Apollinaire, L’Enchanteur). Tu peux l’appeler, il ne répond pas (Bonnard). Vous avez parlé, j’ai agit (L.B.). Il peut bien être pauvre, il est généreux (Cayrou). Le marchand vantait à sa clientèle les avantages de cette étoffe: elle restait indécise (G.M.).

La proposition de concession (et d’opposition) peut présenter la forme d’une proposition principale unie par juxtaposition à la véritable principale.

Cela a lieu: 1. Dans les phrases où la proposition de concession a son verbe

au conditionnel (présent ou passé) ou au subjonctif imparfait ou plus-que-parfait, sans que, avec inversion simple ou complexe du sujet.

A. L’inversion est simple a. le verbe de la proposition de concession est au conditionnel. Ex.: Serait-ce au prix de ma vie, je tenterai cette entreprise.

Vivrais-je cent ans, je ne l’oublierai pas (= même si je vivais; Cayrou). „Vivrait-il cent ans, le pion Daniel Eyssette n’oubliera jamais tout ce qu’il a souffert au collège de Sarlande” (Daudet; Sandf.). Le rencon-trerais-je après tant d’années, je ne le reconnaîtrais pas.

Remarque. Le verbe de la vraie principale peut être introduit par la conjonction que employée comme élément explétif.

Ex.: Le rencontrerais-je après tant d’années que je ne le recon-naîtrais pas.

b. le verbe de la proposition de concession est au subjonctif imparfait, sans que.

Ex.: Dussé-je être blâmé, je vous soutiendrai (Littré). Dussé-je y perdre de l’argent, je tenterai cette entreprise. Fût-il seul à m’ac-compagner, mon père m’a promis que je l’aurais à mon côté (ap. Hervieu; Sandf.). Oui, n’eussions-nous qu’une chance, cette unique chance est celle d’une créature humaine en péril; notre remords serait trop grand de la lui faire perdre par notre faute” (Bernanos, Un crime).

c. le verbe de la proposition de concession est au plus-que-parfait du subjonctif.

Ex.: Eût-il tout tenté, il n’aurait pas dû se décourager. B. L’inversion est complexe a. le verbe de la proposition de concession est au conditionnel.

________________ 48 Dalila s’adresse à Médée.

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Ex.: „Ce que le public demande aujourd’hui c’est la compli-cation, l’obstacle, la surprise, encore même cette surprinse serait-elle désagréable” (Duhamel, Cri des profondeurs; Grev.).

b. le verbe de la proposition de concession est au subjonctif. Ex.: L’ennemi le voulût-il, il ne pourra pas passer. „L’alcool

d’Europe monte vite à la tête d’une mousmé, cette mousmé fût-elle marquise!” (Farrère, La bataille; Sandf.). „Les choses allaient maintenant trop vite pour que la France rattrapât son retard, ses dirigeants l’eussent-ils voulu” (De Gaulle, L’Appel).

2. Dans les phrases où la proposition de concession a le verbe à l’impératif.

Ex.: Essayez de résister à la force des événements, vous n’en triompherez jamais (Z.). Cachez vos fautes, on les découvrira ((Cayrou) = même si vous cachez vos fautes)). „Défendez-vous par la grandeur, alléguez la beauté, la vertu, la jeunesse: La Mort ravit tout sans pudeur” (La Fontaine, VIII, 1).

Appelle-le, il ne vient pas (Bonnard). Multipliez les recherches dans cette direction, vous n’y découvrirez rien d’important.

3. Avec l’expression (le gallicisme) avoir beau. La proposition concessive peut avoir pour verbe l’expression

avoir beau suivie d’un infinitif marquant „ce à quoi l’activité déployée s’oppose en vain” (v. P. Zumthor, op.cit., p. 111). Ce gallicisme signifie proprement, „avoir l’occasion favorable pour telle ou telle chose”, puis par antiphrase „perdre son temps à”, „s’efforcer vainement de ”. Vous avez beau faire, beau dire signifie „vous pouvez faire, dire ce que vous voulez, vos efforts sont inutiles”. Avoir beau marque „l’inutilité de l’action énoncée par l’infinitif complément, et, par conséquent, l’opposition entre cette action et le fait énoncé ensuite” (G. et R. Le Bidois, op. cit., p. 502).

Ex.: „Elles auraient beau posséder toutes les grâces et tous les dons, elle pourraient déployer devant lui la science, la beauté, les fastes des impératrices de Byzance, qu’il ne leur donnerait qu’une admiration froide, ne leur rendrait qu’un hommage un peu distrait, un peu agacé, presque hostile” (N. Sarraute, Le Planétarium). „Elle a beau regarder la mer de toutes ses forces, elle ne peut pas voir les dauphins” (Le Clézio, Désert). „J’ai beau forcer sur la poignée dans tous les sens, je n’arrive pas à manœuvrer la crémone” (A. Robbe-Grillet, Projet...). „J’ai beau parler sans cesse à haute voix, ne jamais laisser passer une réflexion,

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une idée sans aussitôt la proférer à l’adresse des arbres ou des nuages, je vois de jour en jour s’effondrer des pans entiers de la citadelle verbale dans laquelle notre pensée s’abrite et se meut familièrement, comme la taupe dans son réseau de galeries” (Tournier, Vendredi). „Elle avait beau rire: un animal orgueil respirait dans sa voix qu’elle avait haussée à peine”(Bernanos, Histoire de Mouchette). „C’est alors que je me fourvoyai; j’eus beau chercher, la clairière avait disparu” (Bosco, Malicroix). „Françoise avait été déçue par son manque de curiosité; on avait beau lui pro-poser des programmes alléchants de cinéma, de concert, de promenade, elle restait obstinément chez elle” (S. de Beauvoir, L’Invitée). „Non, ils ont beau dire tout ce qu’il leur passera par la tête, moi j’ai confiance dans la justice” (Exbrayat, Barthélémy et sa colère).

Remarque. Le verbe pouvoir peut marquer l’opposition; dans ce cas, il a presque la même valeur sémantique que l’expression avoir beau: „Pouvoir... pouvoir bien, en opposition avec une autre propo-sition introduite ou non par mais signifie que la liberté (théorique ou pratique) de faire telle ou telle chose est sans influence sur la réalité ou la possibilité qu’exprime cette autre proposition” (Paul Robert).

Ex.: On pouvait bien nettoyer les bougies, le moteur ne partait pas parce que la batterie était à plat. Il peut promettre tout ce qu’il voudra, on ne le croit plus (P.R.). „On pouvait (= on avait beau) souffler partout, pas un grain de poussière ne s’envolait” (Zola, Assommoir, Sandf.). „Vous pouvez sur la terre avoir toute la place.../ Sire, vous pouvez prendre à votre fantaisie, / L’Europe à Charlemagne, à Mahomet l’Asie; /Mais tu ne prendras pas demain à l’Éternel! ” (V.Hugo, Chants crépusc...; P.R.).

II. Coordination La conjonction et

Bien que, par excellence, et soit une conjonction de coordination exprimant d’habitude une adjonction, elle peut parfois prendre une valeur d’opposition.

Ex.: „Je plie et ne romps pas” ((dit le roseau); La Fontaine I, 25)). Nous t’hébergeons et tu nous insultes! (P.R.). Je le prête et ne le donne pas. Il a beaucoup d’amis et ne jouit d’aucun crédit (Z.). „Leibniz cherchait une langue universelle, et nous l’établissions autour de lui” (Rivarol, Discours sur l’universalité de la langue française).

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Le coordonnant mais Mais est une ancienne conjonction adversative. Elle est très usitée.

Marquant une opposition nette, mais introduit une idée contraire à celle qui a été exprimée, une restriction, une correction.

Ex.: „Il restait de l’eau dans la bonbonne de verre, mais l’orifice était obstrué par un bouchon de bois” (Tournier, Vendredi). „Il était certainement transi, mais il ne laissa paraître aucune déception lorsque, s’étant approché du fourneau de la cuisine, il constata qu’il était froid” (Bernanos, Un crime). „Il n’avait rien de brisé, mais une énorme ecchymose lui broyait l’épaule gauche” (Tournier, Vendredi). „Elle essaya de secouer la tête d’un air de bravade: mais encore mal aguerrie, l’ignoble injure, frappée de près, la fit un instant plier: elle sanglota” (Bernanos, Histoire de Mouchette). Il ne travaille pas mais s’amuse (Z.). „Le commissaire avait pris la photo, mais il ne la regardait pas” (Simenon, le Lexis). „Le conseil est bon, mais il n’est pas nouveau” (La Fontaine, XI, 7; H.D.T.). Cela me semble absurde, mais j’en ai tout de même pris acte (Mitterand).

Toutefois Il marque une opposition très forte à ce qui vient d’être dit et

joue le rôle d’une conjonction de coordination dont la place est variable dans la phrase (v. le Lexis). Il signifie „en considérant toutes les raisons, toutes les circonstances (qui pourraient s’y opposer) et malgré elles”.

Ex.: „Cette lettre a été classée par le destinataire, l’enveloppe non ouverte; toutefois le timbre n’ayant pas été oblitéré par la poste, a été détaché par M. Costals” (Montherlant; P.R.). Il eut envie de déchirer la lettre; toutefois il changea d’avis et la mit dans sa poche. Je ne l’ai pas vu depuis trois mois; toutefois, nous avons gardé le contact par correspondance (Z.). Cette grippe est bénigne, toutefois demandez au docteur de passer vous voir (le Lexis). „La révolution a eu de tout temps ses mystiques, ainsi que la monarchie. La race des illuminés n’est pas éteinte; toutefois le sol de France lui a toujours été moins favorable que celui de l’Allemagne” (Nerval, Illuminés et illuminisme; P.R.). „Il découvrit les jambes. Elles étaient de nouveau glacées, une cyanose épaisse avait dépassé le genou et marquait déjà largement les cuisses; toutefois, sous les frictions qu’Angelo faisait aller de plus en plus vite, il lui sembla que la chair s’amollissait, tiédissait, reprenait un peu de nacre” (Giono, Le hussard sur le toit). „Les denrées sont abondantes, toutefois la vie reste chère” (Galichet).

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253

Néanmoins

Il marque que telle chose, telle idée n’est pas incompatible avec ou telle autre (v. G. et R. Le Bidois). Il peut indiquer que l’action a lieu malgré quelque obstacle (v. H.D.T.). Il affirme la coexistence, la non incompatibilité d’une chose avec une autre (La Faye).

Ex.: La foule était dense, néanmoins il se sentait seul (le Lexis). „On savait que c’était Swann; néanmoins tout le monde se regarda d’un air interrogateur” (Proust, Du côté de chez Swann; L.B.). Il faisait beau temps; néanmoins le chant des oiseaux était triste. La Loire est peu navigable; néanmoins, les marins étaient nombreux autrefois. „La proposition des lois appartient au roi: néanmoins toute loi d’impôt doit être d’abord votée par la chambre des députés (Charte de 1830; H.D.T.). Bien que membre du conseil d’administration, on a oublié de le convoquer à cette conférence; néanmoins il s’y rendra.

Cependant

Il exclut la possibilité que le fait précédemment énoncé ait une influence sur l’action qui suit (v. P. Zumthor, op. cit.). Il marque une forte opposition à ce qui vient d’être dit. Il indique une durée où se place l’action opposée (v. F. Brunot, La Pensée...).

Ex.: Il ne devait pas venir; cependant on annonce son arrivée. Il ne m’a pas écrit; cependant j’ai eu de ses nouvelles par son cousin (Z.). Cette histoire semble invraisemblable; elle est cependant vraie (le Lexis). „Sur la foi de mon droit mon âme se repose; cependant je me vois trompé par le succès” (Molière, Mis. V, 1; H.D.T.). „Un moment après, la portière de tapisserie se souleva. Bérangère battit des mains. Cependant la danseuse restait immobile” (v. Hugo, N.-Dame; F.B.). „Si vous fussiez tombé, l’on s’en fût pris à moi; Cependant c’était votre faute” (La F.V.11; L.B.). „Les habitants de cet immeuble m’entendent souvent jouer du piano, cependant ils ignorent sur quel instrument” (Galichet).

Pourtant; et pourtant

Il marque une opposition moins accusée que celle de mais, plus forte que celle de cependant (v. G. et R. Le Bidois); il exclut la pos-sibilité que le fait précédemment énoncé ait une influence sur l’action qui suit (P. Zumthor).

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Ex.: Vous n’irez pas? pourtant c’est votre devoir (F.B.). Il est tard: pourtant je me mettrai encore au travail (Z.). Je circulais dans le monde sans y rencontrer d’obstacles; pourtant dans cette transparence quelque chose se cachait (Beauvoir; le Lexis). „La rue Saint-Jacques n’est pas une île déserte; pourtant je me sentis cruellement seul, en revenant chez moi, le soir de ce jour-là” (Duhamel, Pierre d’Horeb; P.R.). „J’avais lu vingt fois l’histoire de Griséldis; pourtant je n’aimais pas souffrir et mes premiers désirs furent cruels” (Sartre, Les Mots). „Les vautours avaient tout vu et ils s’apprêtaient à descendre. Pourtant ils étaient moins à craindre que les corbeaux dont l’audace et l’agressivité ne reculaient devant rien” (Tournier, La goutte d’or). „Le bassin collecteur était à sec et le niveau de la lagune ensemencée baissait de jour en jour. Pourtant il fallait qu’elle demeurât immergée un mois encore pour que les épis vinssent à maturité, et Robinson revenait plus soucieux de chacune de ses visites d’inspection” (Tournier, Vendredi). „Elle a des traits réguliers et pourtant on ne peut pas dire qu’elle est belle” (Ionesco, La Cantatrice...). „C’est un temps très long, des jours sans nombre, et pourtant tout cela me semble aussi très fugitif” (Le Clézio, Le chercheur d’or). „Les mots se pressaient si vite dans sa gorge qu’il ne réussissait plus à en articuler chaque syllabe, et pourtant sa voix restait basse, presque douce” (Bernanos, Un crime).

Tout de même (= malgré tout)

Selon G. et R. Le Bidois cette locution adverbiale „qui de soi ne paraît propre qu’à signifier la parfaite conformité (=absolument de même), ne se prend guère plus maintenant qu’au sens adversatif de cependant ou néanmoins”. F. Brunot souligne que tout de même a le sens de „de la même façon”. Mais, dit-il, „si la deuxième idée est opposée à la première, tout de même devient adversatif” (La Pensée..., p. 861).

Ex.: „Les envahisseurs s’approchaient de la ville. Tout de même le professeur eut le courage de faire sa classe jusqu’au bout” (ap. Daudet, Dernière classe). „Vous êtes en retard, tout de même entrez”, dit le professeur, J’ai failli m’égarer dans la montagne; tout de même j’ai finalement trouvé le refuge où je devais passer la nuit. Cette excursion ne l’enthousiasmait pas; tout de même il nous y accompagna.

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En vain Cette locution signifie sans succès, sans résultat, inutilement,

sans que la chose en vaille la peine. Ex.: L’orateur n’avait pas réussi à persuader les auditeurs de la

justesse de sa cause; en vain avait-il repris ses arguments un par un. Il ne pressait pas sa marche: en vain lui crions-nous de se dépêcher (ap. Roug.). Personne ne nous entend; en vain appelons-nous au secours.

Au contraire Cette locution prépositive ou adverbiale a le sens de contrai-

rement à, au mépris de, à l’inverse (de), d’une manière tout opposée. Ex.: Pierre paraissait très intéressé par le concert; au contraire,

son ami André semblait s’y ennuyer. Il s’est enrichi; au contraire, son frère est devenu pauvre. „Car c’est l’inconsistance du pouvoir qui s’étalait en ce domaine. Non certes, que les hommes qui y figuraient manquassent d’intelligence et de patriotisme. Au contraire, je voyais passer à la tête des ministères d’indiscutables valeurs et, parfois, de grands talents” (De Gaulle, L’Appel). „Le soleil frôle l’horizon, mais sur la mer la nuit n’apporte pas d’inquiétude. Au contraire, il y a une douceur qui vient sur ce monde où nous sommes les seuls vivants à la surface de l’eau” (Le Clézio, Le chercheur d’or).

En revanche Ex.: „Si le mariage musulman est brusque et insuffisamment

consenti avant la cérémonie, après, en revanche, il a des ménagements et des pudeurs qui ne sont guère dans nos habitudes occidentales” (P. Loti, Désench.; P.R.). „Tolstoï traitait Beethoven de décadent et Shakespeare de charlatan; en revanche, il s’engouait de petits-maîtres mignards, des musiques de clavecin qui charmaient le Roi-Perruque...” (R. Rolland, Jean-Christophe; P.R.).

Locutions verbales figées N’empêche

En parlant de cette expression F. Brunot écrit les lignes suivantes: „On ne peut sans abuser de l’analyse, essayer de retrouver dans

n’empêche que le sens et la valeur d’une principale dont dépendrait le reste; n’empêche que veut dire à peu près: et cependant” (La Pensée…, p. 30).

Ex.: Il n’est pas aimé par ses collègues; n’empêche qu’il serait le bienvenu. Il est le principal coupable de cet échec; n’empêche qu’il

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serait le premier à nous le reprocher. Tu dis qu’il ne va pas dans cette maison, n’empêche qu’on l’y a encore vu hier soir (F. Brunot). „Le renoncement, c’est très beau, n’empêche que si l’humanité ne vivait que de cette viande creuse, elle serait encore dans les cavernes” (Duhamel, Pasquier; P.R.). Il a dû se soumettre, n’empêche qu’il avait raison (le Lexis). „J’ai beaucoup voyagé, disait Eric Vidame, et j’ai souvent pris la mer; n’empêche que j’ai toujours un petit pincement au creux de l’estomac à ce moment précis… quand l’espace, entre le bord du navire et le quai devient tout à coup trop large pour qu’il soit possible de faire un bond et de sauter, même à un homme très agile” (Duhamel, Suzanne et les jeunes hommes). Il avait une vue perçante et distinguait à cent pas un scarabée sur une passerose; n’empêche qu’on le voyait, de temps en temps, pourvu d’une énorme, paire de bésicles” (Duhamel, Suzanne).

N’importe Cette locution peut marquer l’opposition, la concession; elle a le

sens de „malgré cela”, „et cependant”. Elle fonctionne comme une sorte d’adverbe (v. Le Bidois, op. cit., p.502).

Ex.: Ce film est un peu long; n’importe il m’a bien plu (P.R.). Son roman est très discuté, n’importe il a beaucoup de succès (le Lexis). Il est fatigué d’avoir pris part aux courses précédentes; n’importe il est sûr qu’il gagnera celle d’aujourd’hui.

La locution ne pas laisser de Précédée de malgré, avec cela, mais, pourtant, etc. la locution

ne pas laisser de peut contribuer à la formation d’une phrase exprimant l’opposition.

Ex.: Malgré ses incartades, Alceste ne laisse pas d’intéresser et de plaire (P.R.). „Avec tout cela (= malgré les précautions de nos censeurs), cette médecine ne laisse pas d’être amère à l’amour-propre” (Pascal, Pensées; L.B.). Il est pauvre mais ne laisse pas d’être désintéressé (Acad.).

III. Une proposition relative Ex.: L’employé, qui n’avait rien compris aux explications de son

patron, l’approuva bruyamment (Roug.). Paul, qui a mal travaillé est récompensé aussi (G.M.). L’homme, qui est un être faible, est le roi de l’univers (G.C.). „Le plus singulier était que cette verve, qui d’ordinaire me ravissait, sonnait déplaisamment” (Lacratelle, Silberman; Sandf.). „Moi qui ne suis pas riche, j’ai plus de coquetterie” (Mirabeau, Le journal d’une femme de chambre; P.R.).

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LES CIRCONSTANTS HYPOTHÉTIQUES

Le circonstant hypothétique constitué par une proposition à verbe fini introduite par si hypothétique (ou conditionnel)

La proposition subordonnée circonstancielle hypothétique peut encore être appelée donnée d’hypothèse, conditionnante, protase; la pro-position principale49 peut encore être nommée conclusion, conditionnée, apodose.

Dans un système hypothétique complet, la subordonnée introduite par si peut exprimer:

A. Une hypothèse pure et simple La proposition hypothétique exprime dans ce cas un fait présent,

passé ou futur. On y indique, en général, que de la réalisation de l’hy-pothèse résulte, a résulté ou résultera le fait marqué par la principale. Dans le cadre de ce système hypothétique, la proposition subordonnée introduite par si, de même que la principale, ont leur verbe à l’indicatif.

1. L’hypothèse pure et simple peut concerner l’avenir (supposition relative à l’avenir).

Dans ce cas, de la réalisation de l’hypothèse résultera le fait marqué par la principale.

Phrase type Si + présent de l’indicatif… Indicatif futur Lorsque l’hypothèse exprimée envisage l’avenir, presque toujours

le verbe de la proposition principale est au futur et la conjonction si qui introduit la conditionnante est suivie de l’indicatif présent.

Ex.: Si le TGV est maintenant à Lyon, il arrivera dans vingt minutes. S’il pleut, je ne sortirai pas. „Il y a eu déjà dans ce parc beaucoup trop d’allées et venues, monsieur le maire, et si vous laissez faire, nous aurons bientôt tout le village sur le dos” (Bernanos, Un crime). „Je vais saluer Élisabeth, dit-elle à Gerbert. Si on a besoin de moi, je serai dans mon bureau” (S. de Beauvoir, L’Invitée). „Si vous ________________

49 lorsque la phrase comporte deux membres complets en corrélation

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ne trouvez pas d’acquéreur, vous me rapporterez les nappes” (Adamov, L’Invasion). „Si le monde nous rejette, nous n’en souffrirons pas seuls. Et si le monde nous tolère, il comprendra bien, un jour, que nous avons une mission, celle de sauver quelque chose de précieux dont nous sommes, secrètement, les artisans, les gardiens” (Duhamel, Suzanne). „Si tu peux convaincre ce Suisse de te donner son argent sans t’épouser, tu seras très forte, Hildegarde, plus forte encore que je ne le supposais” (Exbrayat, Le temps se gâte à Zakopane). Si tu viens me voir demain, nous prendrons une décision (H.). „S’il sort jamais de cette retraite, il s’apercevra que son âme monolithique a subi d’intimes fissures” (Tournier, Vendredi). „Si vous vous décidez tout de même à partir ce soir, je garderai cette chambre pour moi” (Cendrars, L’Homme foudroyé). „Si vous battez votre âme, toutes les âmes crieront” (Sartre, Les Mots). „Si vous le permettez, je viendrai dessiner ou peindre, un jour, ce que mes yeux voient de vos fenêtres” (Duhamel, Suzanne). Si tu te conduis ainsi, tu perdras toute chance de réussir (Hatier). Si vous venez, je serai heureuse.

Variantes a) Si + présent de l’indicatif… Présent de l’indicatif Lorsque l’hypothèse se rapporte au futur, le verbe de la propo-

ition principale est parfois à l’indicatif présent. Ex.: „On m’a cousu mes commandements sous peau: si je reste

un jour sans écrire, la cicatrice me brûle; si j’écris trop aisément, elle me brûle aussi” (Sartre, Les Mots). „S’il ne meurt aujourd’hui, je puis l’aimer demain” («c’est Hermione qui parle de Pyrrhus»; Racine, Andromaque). Si tu te conduis ainsi, tu perds toute chance de réussir (B.-H.). „Si vous voulez jouer Euryale, vous devez cesser50 d’abord de parler comme un petit garçon” (Duhamel, Suzanne). Si je mets du supercarburant, le moteur de la voiture tire bien (G.M.). „Si tu te tais, si tu renonces à cette folie, j’ai une chance de te sauver” (Anouilh; Gr. Lar.).

b) Si + présent de l’indicatif… Le futur proche Ex.: S’il est là je vais le recevoir. „Si vous parlez encore de ces

affreux mystères, je vais vous prendre en horreur” (Duhamel, Suzanne). Remarque. On se sert de périphrases pour indiquer explicitement

que la condition, l’hypothèse est relative à l’avenir. ________________

50 C’est une forme périphrastique du futur, appelée par E. Benveniste, le projectif.

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259

Ex.: Si cela doit se reproduire, j’agirai en conséquence. S’il vient à tomber malade, vous devrez trouver un remplaçant. S’il parvient à tenir une heure, il sera sauvé. S’il peut partir demain, tout s’arrangera.

2. L’hypothèse pure et simple se rapporte au présent. a) le verbe de la principale est au présent de l’indicatif: Si + pré-

sent de l’indicatif…Présent de l’indicatif. Ex.: Si tu admets cette opinion, tu as tort. Si votre intention est

aujourd’hui de conclure cet accord, nous consentons à notre tour (ap. F.B.). „Si tu crois que ça vaut vraiment la peine, je peux essayer d’obtenir un ordre” (Camus, La Peste). „Si tu es si pressée de partir, ma fille, je ne te retiens pas” (Bernanos, Histoire de Mouchette). „Si vous désirez publier des fragments, je vous conseille d’en parler à Pierre” (Adamov, L’Invasion).

b) la principale est à l’impératif: Si + présent de l’indicatif … Impératif Ex.: S’il est là, faites-le entrer. Si tu viens en ami, entre. „Au

milieu des sujets exposés en montre, il y a une grande pancarte qui imite un graffiti peinturluré à la hâte: Si vous n’êtes pas content de vos cheveux, mettez-en d’autres. Si vous n’aimez pas votre peau, changez-en!” (A. Robbe-Grillet, Projet…)

c) la principale est au subjonctif (exprimant une injonction, un ordre):

Si + présent de l’indicatif… Subjonctif présent. Ex.: S’il est là, qu’il entre. 3. L’hypothèse pure et simple peut se rapporter au passé. Si + passé composé… Passé composé. Au passé composé employé

dans la conditionnante correspond un passé composé dans la conditionnée. Ex.: Si tu as admis cette opinion, tu as eu tort. Si tu as dit cela,

tu t’es trompé. Si tu t’es conduit ainsi, tu as perdu toute chance de réussir (Hatier).

Variantes

a) Si + passé composé… Présent de l’indicatif Au passé composé employé dans la subordonnée correspond un

présent de l’indicatif dans la principale. Ex.: „Si vous avez fini de le regarder (= le tableau), vous pouvez

l’accrocher” (Ionesco, Les Chaises). „Si vous n’avez jamais assisté à des combats de nuit, vous ne pouvez pas réaliser exactement ce que ça peut être” (R. Vercel; H.B.).

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b) Si + passé composé … Futur simple Au passé composé employé dans la subordonnée correspond un

futur dans la principale. L’action de la principale se rapporte à l’avenir, mais dépend du passé.

Ex.: S’il l’a fait, il s’en repentira. B. Une hypothèse possible (le potentiel) Si + imparfait de l’indicatif… Conditionnel présent La subordonnée hypothétique introduite par si (la condition-

nante, la protase, la donnée d’hypothèse) peut exprimer une hypothèse possible ou le potentiel, une éventualité pouvant se réaliser dans l’avenir. En ce cas, le verbe de la proposition hypothétique se met à l’imparfait de l’indicatif et celui de la proposition principale (la proposition conditionnée) au conditionnel présent.

Une marque lexicale temporelle peut préciser la valeur de „potentiel de l’avenir” de la subordonnée introduite par si, par exemple: demain, un jour, le mois prochain, l’année prochaine, etc.

Ex.: Si un jour tu admettais cette possibilité (tu l’admettrais peut-être, cela se pourrait), tu aurais tort. „Si demain j’épousais un marin, dit Marie, je voudrais le suivre en mer”. Si j’avais de l’argent demain, je te rembourserais (si j’en avais, et j’en aurais peut-être). Si, un jour, j’avais la main pleine de vérités, je me garderais bien (ce jour-là) de l’ouvrir. Si vous démissionniez vous compromettriez l’avenir de l’entreprise. „Dites-moi, docteur, si un jour je tombais malade, est-ce que vous me prendriez dans votre service à l’hôpital ?” (Camus, La Peste). „Les dangers dont on pouvait se défendre il fallait les envisager, mais la guerre n’était pas à une mesure humaine. Si elle éclatait un jour, plus rien n’aurait d’importance, pas même de vivre ou de mourir” (S. de Beuauvoir, L’Invitée). „Aucun malentendu n’était possible avec Pierre, aucun acte ne serait jamais irréparable. Si elle essayait un jour de se faire souffrir, il saurait si bien la comprendre que le bonheur se renfermerait encore sur elle” (S. de Beauvoir, ibid.). „Si j’arrivais demain à marcher jusqu’au bout de cette branche, je pourrais sans doute mettre le pied sur le haut du mur” (Tournier, Amandine). Si un jour on me reprochait ma faiblesse, je répondrais que je t’avais énormément aimé. „Si son séjour dans l’île devait se prolonger, sa survie dépendrait de cet héritage à lui légué par ses compagnons dont il ne pouvait plus douter à présent qu’ils fussent tous morts” (Tournier, Vendredi). Si j’avais de l’argent l’année prochaine, j’achèterais une voiture. Si vous veniez demain, je serais heureuse. Si le ciel tombait un jour, il nous révélerait bien des choses.

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Remarque. M. Arrivé appelle le potentiel l’irréel du futur (La grammaire d’aujourd’hui, p. 137), tandis que P. Charaudeau le nomme l’hypothèse future (Grammaire du sens et de l’expression, p. 546).

C. L’irréel du présent Si + imparfait de l’indicatif… Conditionnel présent La subordonnée hypothétique peut exprimer une hypothèse qui

n’est pas réalisable. En ce cas, le verbe de la principale (la proposition conditionnée) se met au conditionnel présent et celui de la subor-donnée (la conditionnante) à l’imparfait de l’indicatif. Selon Léon Wagner (Grammaire, p. 592) dans l’irréel du présent „l’hypothèse révoque une actualité présente”. Une marque lexicale temporelle peut venir éclairer ou préciser la valeur exacte de l’hypothèse (en ce moment, maintenant, etc.).

Ex.: Si en ce moment j’avais de l’argent, j’irais au cinéma. Si j’avais de l’argent maintenant, je te rembourserais. „Si vous étiez vivants, nous prendrions Narbonne”, dit Charlemagne en parlant de Roland et d’Olivier (V. Hugo, Aymerillot; M.P.). Si ce savant vivait encore, j’aimerais faire sa connaissance (Z.). „Je suis triste jusqu’à la mort et si mon corps était vivant, il suerait une sueur de sang” (Apollinaire, L’Enchanteur…). „Elle s’est plainte au docteur P.: „Je suis dans le coma. – Si vous y étiez, vous ne le sauriez pas” (S. de Beauvoir, Une mort très douce). „Moi-même, à votre place, si j’avais rendez-vous avec un Godin, … Godet… Godot … enfin vous voyez qui je veux dire, j’attendrais qu’il fasse noir avant d’abandonner” (Beckett, En attendant Godot). „Si le temps était plus clair, s’il faisait pas aussi noir, on verrait certainement la campagne, on verrait très loin, aussi loin qu’on peut voir” (Adamov, La Parodie). „Si tu incarnais la Pologne, je me ferais naturaliser chinoise” (Exbrayat, Le temps se gâte à Zakopane). Si j’avais maintenant de l’argent, j’achèterais une voiture. Si je savais actuellement ce qu’il en pense, je pourrais agir en conséquence (P.Ch.).

Remarque. P. Charaudeau nomme l’irréel du présent l’hypothèse présente (Grammaire du sens et de l’expression, p. 546).

Variantes 1. Si + imparfait de l’indicatif… Présent de l’indicatif Ex.: „S’il m’échappait un mot, c’est fait de votre vie” (Racine,

Bajazet, II, 1). S’il nous trahissait, nous sommes perdus (H.). Remarque. L’indicatif présent souligne le caractère inéluctable

de la conséquence.

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2. Si + imparfait de l’indicatif… Imparfait de l’indicatif Ex.: „Au bout de vingt ans, si le travail marchait, ils pouvaient

avoir une rente, qu’ils iraient manger quelque part, à la campagne” (Zola; P.R.). „Mais il fallait regarder les choses en face, avec lucidité: la littérature ne nourrissait pas. Savais-je que des écrivains fameux étaient morts de faim? Si je voulais garder mon indépendance, il convenait de choisir un second métier” (Sartre, Les Mots).

Remarque. L’emploi de l’imparfait dans la conditionnée présente le fait-conséquence comme certain, presque inévitable.

3. Si + imparfait de l’indicatif… Conditionnel passé Ex.: „– Vous êtes absolument libre de … – Non, je ne suis pas

libre, interrompit sèchement le curé de Mégère. Si je l’étais, je ne vous aurais certes pas reçu” (Bernanos, Un crime).

4. Si + imparfait de l’indicatif… Impératif Ex.: Si tu revenais sur ta décision, viens me trouver. 5. Si + imparfait de l’indicatif… Subjonctif (sens impératif) Ex.: Si Pierre arrivait, qu’on m’en informe. D. L’irréel du passé Si + plus-que-parfait de l’indicatif… Conditionnel passé La subordonnée hypothétique peut exprimer une hypothèse qui a

été réalisable mais non réalisée (= l’irréel du passé). Dans ce cas, la principale se met au conditionnel passé ou au plus-que-parfait du sub-jonctif (gram. trad.: conditionnel passé deuxième forme) et la subor-donnée se met au plus-que-parfait de l’indicatif ou au plus-que-parfait du subjonctif (conditionnel passé deuxième forme51).

Ex.: Si tu avais mieux travaillé, tu aurais mieux réussi. „S’il n’y avait pas eu ce maudit brouillard, le cheval aurait facilement pu se payer le luxe d’aller à gauche ou à droite pour éviter les trous” (Lucette Desvignes, Les nœuds d’argile). „Si l’on vous avait demandé, je vous aurais prévenu” (Exbrayat, Félicité). „Si j’avais trouvé une femme comme vous, avec quel bonheur je l’aurais épousée” (Maupassant, Bel-Ami). „C’était trop beau pour durer: je serais resté sincère si je m’étais maintenu dans la clandestinité; on m’en arracha” (Sartre, Les Mots). „Si tu avais eu un peu d’ambition dans la vie, tu aurais pu être un Roi chef, un Journaliste chef, un Comédien chef, un Maréchal chef” (Ionesco, Les chaises). „Les Huns se seraient vite arrêtés dans leur déferlement s’ils avaient su profiter des richesses qu’ils avaient conquises” (Tournier, Vendredi). „Si elle ne m’avait ________________

51 Construction employée par la langue littéraire

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rien dit, je n’aurais rien remarqué…” (N. Sarraute, Le planétarium). „Si les nuits n’avaient été froides, voire glacées, comme au Brésil j’aurais tendu mon hamac entre deux arbres et j’aurais allumé un feu sous mes pieds, comme on le fait là-bas…” (Cendrars, Le vieux port). „Si Vendredi avait voulu rejoindre le bord du Whitebird, il aurait emprunté l’une des deux embarcations et l’aurait abandonnée en mer, ou hissée sur le navire” (Tournier, Vendredi). „Au bout de quelques mois, elle aurait pleuré si on l’avait retirée de l’asile” (Camus, L’Étranger). „L’intervention de vos chasseurs, si elle s’était produite, aurait peut-être ranimé l’alliance et entraîné, du côté français la poursuite de la guerre en Méditerranée” (De Gaulle, L’Appel). Si j’avais eu de l’argent, j’aurais acheté une voiture (Hatier). „Si j’avais su (à l’époque), je ne me serais pas lancé dans cette voie” (P. Chareaudeau).

Remarque. P. Chareaudeau nomme l’irréel du passé, l’hypothèse passée.

Variantes principales 1. Si + plus-que-parfait du subjonctif… Plus-que-parfait du

subjonctif (le plus-que-parfait du subjonctif dans la subordonnée hypothétique et le plus-que-parfait du subjonctif 52 dans la principale).

Ex.: S’il l’eût pu, il y fût allé. S’il eût réfléchi, il eût hésité. „S’il eût écouté son impatience, Frédéric fût parti à l’instant même” (Flaubert, Éducation sentimentale; L.B.). „Si cette mère fût revenue à Montfermeil au bout de trois années, elle n’eût point reconnu son enfant” (V. Hugo, Les Misérables; F.B.). „Peut-être si vous eussiez connu cette femme plus tôt, en eussiez-vous pu faire quelque chose” (Choderlos de Laclos; Gram. Larousse). „En fouillant dans la vie des futurs saints, le père Séraphin avait pris en mésestime tout ce qui est humain; il méprisait tous les saints, se rendant compte qu’ils n’eussent point été, s’il eût rempli son office à l’époque de leur procès de canonisation” (Apollinaire, Le Sacrilège). „Il montrait la vanité sublime et candide qui convient aux grands-pères, l’aveuglement, les coupables faiblesse que recommande Hugo. Si l’on m’eût mis au pain sec, il m’eût porté des confitures” (Sartre, Les Mots). „Si la peur ne l’eût cloué sur place, il eût sans doute, à ce moment, jeté Mouchette par la fenêtre” (Bernanos, Histoire de Mouchette). „S’il eût osé, il eût prié son nouveau patron de lui consentir une avance” (J. Romains, Le crime de Quinette; Sandf.). „Si vous fussiez tombé, l’on s’en fût pris à ________________

52 Conditionnel passé deuxième forme.

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moi” (La Fontaine, V, 11). „Si quelqu’un se fût introduit dans ma tête ouverte à tous les vents, il y eût rencontré quelques bustes, une table de multiplication aberrante et la règle de trois, trente-deux départements avec chefs-lieux mais sans sous-préfectures…” (Sartre, Les Mots). S’il eût plu, je fusse resté (F.B.).

2. Si + plus-que-parfait de l’indicatif… Plus-que-parfait du subjonctif53 (le plus-que-parfait de l’indicatif dans la subordonnée hypothétique54 et plus-que-parfait de subjonctif dans la principale)55.

Ex.: S’il avait réfléchi, il eût hésité. S’il avait pu, il l’eût fait. „Si ses yeux l’avaient pu, ils l’eussent fait sortir par la fenêtre” (Flaubert, Mme Bovary; P.R.). „Si tout s’était arrêté là, les habitudes sans doute l’eussent emporté” (Camus, La Peste). „S’il avait eu de l’argent, il y a longtemps que le magistrat se fût dépouillé d’une robe qui n’était plus, estimait-il, qu’une livrée” (Exbrayat, Barthélémy et sa colère). S’il avait plu, je fusse resté (F.B.).

3. Si + plus-que-parfait du subjonctif… Conditionnel passé (le plus-que-parfait du subjonctif 56 dans la subordonnée hypothétique et le conditionnel passé dans la principale).

Ex: S’il eût pu, il l’aurait fait. S’il eût réfléchi, il aurait hésité. „S’il lui eût parlé en maître, elle aurait retrouvé peut-être assez de volonté pour discuter” (Bernanos, Un crime). „Si son amour – propre eût été moins profondément blessé, Malorthy se serait décidé sans doute à rendre bon compte à sa femme de sa visite au château” (Bernanos, Histoire de Mouchette). S’il eût plu, je serais resté (F.B.).

Variantes secondaires 1. Si + plus-que-parfait de l’indicatif… Imparfait de l’indicatif 57

(le plus-que-parfait de l’indicatif dans la subordonnée hypothétique et l’imparfait de l’indicatif dans la principale).

Ex.: Si nous étions partis plus tard, nous le manquions (Gram. Larousse). „Si elle n’était pas venue se cacher dans cette maison, le reflet de sa robe claire dans la nuit opaque la trahissait”. „Si vous ________________

53 Conditionnel passé deuxième forme. 54 la conditionnante, la donnée d’hypothèse, la protase. 55 la conditionnée, la conclusion, l’apodose. 56 Conditionnel passé deuxième forme. 57 „Employée au lieu du conditionnel passé, l’imparfait peut exprimer

un fait brusque, frappant… qui ne s’est pas produit mais qui se serait produit si une condition avait été réalisée…” (Hanse, Nouveau dictionnaire…).

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n’étiez pas venu, je vous faisais appeler” (A. France; Grev.). Si la Garonne avait voulu, / Elle se jetait dans la Manche” (G. Nadaud; Grev.). „Si tu n’étais pas venue me surprendre, je repartais sans t’avoir vue” (Gide; P.R.). „Si je n’avais pas été jeté à l’écart par des hommes aveugles, le cours de nos destinées changeait; la France reprenait ses frontières, l’équilibre de l’Europe était rétabli…” (Châteaubriand; L.B.).

2. Si + plus-que-parfait de l’indicatif… Conditionnel présent (le plus-que-parfait de l’indicatif dans la subordonnée hypothétique et le conditionnel présent dans la principale)58.

Ex.: „Si j’avais pris un pseudonyme, si je m’étais fait appeler Guy del Montefiore, ou Isidore d’Ostromont, avec mes qualités physiques et ma connaissance du métier, je serais aujourd’hui chef d’emploi à la Comédie-Française, ou directeur de théâtre” (Duhamel, Suzanne). „Étranges romans toujours inachevés, toujours recommencés ou continués, comme on voudra, sous d’autres titres, bric-à-brac de contes noirs et d’aventures blanches, d’événements fantastiques et d’articles de dictionnaire; je les ai perdus et je me dis parfois que c’est dommage: si je m’étais avisé de les mettre sous clef, ils me livreraient toute mon enfance” (Sartre, Les Mots).

„Du reste, le narrateur, qu’on connaîtra toujours à temps, n’aurait guère de titre à faire valoir dans une entreprise de ce genre si le hasard ne l’avait mis à même de recueillir un certain nombre de dépositions et si la force des choses ne l’avait mêlé à tout ce qu’il prétend relater” (Camus, La Peste). „Si les Araucans avaient entrepris d’investir la forteresse, en plus de l’avantage du nombre ils auraient celui de la surprise” (Tournier, Vendredi). „Si le démon de l’aventure n’avait soudainement emporté Roy, il serait, sans doute le mari de Pearl et aurait de grands enfants” (Exbrayat, Le temps se gâte à Zakopane).

Remarques. 1. Si deux propositions hypothétiques introduites par si sont reliées au moyen de et, ou, mais, on peut, dans la deuxième proposition employer que au lieu de si; mais que équivaut alors à en supposant que et le verbe de cette deuxième proposition se met au subjonctif 59. ________________

58 Dans la subordonnée, il y a un irréel du passé et dans la principale, un irréel du présent.

59 Au lieu du subjonctif, on peut aussi employer l’indicatif, selon M. Grevisse, op. cit., p. 1043: „S’il faisait froid et que la bonne montait lui allumer du feu, il attendait que le feu ait pris” (Proust, Jean Santeuil).

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Ex.: S’il pleuvait demain ou qu’il fît trop froid, nous renon-cerions à notre projet (Acad.). Si je vais à la guerre et que j’y sois tué, tu te reprocheras ce cruel silence (P.R.). „Si tu vas chez nous et que tu ne veuilles pas rester seul, je te joindrai dans un instant” (Duhamel; Sanf.). „Si le mot avait un sens strictement déterminé, et que son emploi fût rigoureusement fonction de ce sens, la langue serait rigide et ne se prêterait pas au jeu du style, qui est essentiellement fondé sur le choix” (Marouzeau, Traité de stylistique appliquée au Latin). S’il fait beau et que j’aie terminé mon travail, nous irons nous promener.

2. Si est répété au début de chaque proposition hypothétique quand il n’y a pas de lien logique trop évident entre les subordonnées.

Ex.: „Elle aimait à morigéner son monde, et elle faisait le plus souvent goûter la leçon. Il est vrai que si l’on ne s’y prêtait, si l’on se dérobait à son envie de conseiller et de redresser, elle n’était pas contente” (Saint-Beuve, Causeries; P.R.).

3. Lorsque la conjonction si est séparée du verbe de la propo-sition hypothétique par des incises, par un certain nombre d’éléments linguistiques, elle peut être reprise dans la même phrase.

Ex.: „Si, par la suite, beaucoup plus tard, dans le grand débat intérieur que j’ai dû soutenir, si donc, mis sans cesse en demeure de choisir entre les doctrines de force et les vertus de persuasion, si j’ai pu conserver une position raisonnable, je le dois à…” (Duhamel; Sandf.).

4. En français classique, la conjonction si pouvait être construite avec ellipse du verbe.

Ex.: „Si j’épouse, Hermas, une femme avare, elle ne me ruinera pas; si une joueuse, elle pourra m’enrichir, si une savante, elle pourra m’instruire…” (La Bruyère, Les Caractères).

5. Lorsque deux propositions hypothétiques ont le même sujet, on peut supprimer les conjonctions si ou que qui introduisent la deuxième proposition, et les remplacer par et.

Ex.: „Si quelqu’un t’entendait et l’écrivait au Havre, ça n’ar-rangerait pas nos affaires” (Duhamel; Sandf.).

6. Dans la proposition subordonnée hypothétique (la condition-nante) les futurs se remplacent généralement par le présent et le passé composé, et les conditionnels par l’imparfait et le plus-que-parfait de l’indicatif (ou du subjonctif). Par conséquent, après si introduisant une proposition hypothétique, il est défendu d’employer l’une des formes verbales en - r - simples ou composées (futur simple, futur antérieur, conditionnel présent ou conditionnel passé). Cependant, lorsque si n’est

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pas le marquant d’une hypothèse, mais signifie s’il est vrai que, s’il arrive que et exprime une réalité, on emploie le futur ou le condi-tionnel dans la proposition introduite par si.

J. Hanse, dans son Nouveau Dictionnaire des difficultés du français moderne précise:

„Dans un système complet non hypothétique avec une principale et une subordonnée introduite par si ne marquant pas une condition, une hypothèse, cette conjonction peut être suivie parfois… d’un futur ou d’un conditionnel”.

Exemples donnés par Hanse: Vous dites qu’il ne vous écoutera pas; eh bien, s’il ne vous écoutera pas, il m’écoutera (on oppose deux affirmations). Si cela vous fera plaisir comme vous le dites, je le ferai (si introduit une cause ou la raison d’un autre fait).

„Les Soirées contenaient Boule de suif, un des chefs-d’œuvre de la nouvelle française. Maupassant l’a écrit avant trente ans, et s’il ne le dépassera pas c’est qu’on ne dépasse pas la perfection…” (A. Thibaudet, Histoire de la littérature française, citée par J. Hanse). Dans cet exemple, si introduit une conséquence, la cause (ou l’explication) étant ensuite indiquée par c’est que.

Autres exemples: „Si la science laisse, si elle laissera toujours sans doute un domaine de plus en plus rétréci au mystère, et si une hypothèse pourra toujours essayer d’en donner l’explication, il n’en est pas moins vrai qu’elle ruine, qu’elle ruinera” (Zola, Rome; L.B.; dans cet exemple si signifie „s’il est vrai que”). „Ne vous étonnez pas, dit-il, si pendant le souper Trüchen quittera souvent la table” (A. Dumas, Le Vicomte de Bragelonne, La campagne de Planchet; dans cet exemple si signifie s’il arrive que, l’action étant presque certaine).

7. Un si hypothétique peut être accompagné d’un si introducteur, d’interrogative indirecte.

Ex.: „S’il n’avait pas connu ces moments-là, je me demande s’il aurait jamais écrit” (Adamov, L’Invasion).

8. Lorsque l’un des éléments de la proposition hypothétique se trouve mis en évidence au moyen de c’était que, c’était qui, le verbe qui suit est au subjonctif dans la langue littéraire:

„Et si c’était pour Mère Marie de Saint-Augustin que nous l’ayons fait?” (Bernanos, Dialogues des carmélites; Grev.).

Système hypothétique incomplet, phrases tronquées où si garde sa valeur conditionnante (dans ces phrases la conclusion „ou l’apodose” est irrégulière: incomplète, sous-entendue, etc.).

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On emploie cette construction: 1. Dans une phrase où l’on énonce une comparaison. Ex.: „J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans” (Baudelaire,

Fleurs du mal, Spleen.). „Il se retira d’un pas aussi léger que si ses semelles eussent été doublées de feutre” (Gautier, Toison d’or; P.R.).

2. En phrase interrogative pour présenter une éventualité ou une supposition, pour exiger une motivation, une justification, pour marquer, sous une forme atténuée, une prière, etc.

Ex.: a) pour formuler une suggestion: Si j’appelais le médecin? „Si on y allait? Si on allait regarder l’appartement?” (N. Sarraute, Le Planétarium).

b) pour exiger une justification, une motivation. Ex.: „Si vous n’avez pas vu, quoi donc que vous avez vu ?”

(Bernanos, Un crime). c) pour présenter une éventualité. Ex.: „Et si elle se fâche? Si elle rompt?” (J. Romains, Hommes

de bonne volonté; P.R.). Et si le refuge est enseveli sous une avalanche? d) pour marquer, sous une forme atténuée une prière, une exhor-

tation: Ex.: „Si monsieur le curé veut bien tenir la lampe un petit

moment?” (Bernanos, Un crime). „Si nous causions d’autre chose que de politique, voulez-vous?” (Zola, Travail; Sandf.)

e) pour marquer une inquiétude qui occupe l’esprit. Ex.: „Un jour que je lisais, couché entre ses pieds, au milieu de

ces interminables silences pétrifiés qu’il nous imposait, une idée le traversa, qui lui fit oublier ma présence; il regarda ma mère avec reproche: Et s’il se mettait en tête de vivre de sa plume? ” (Sartre, Les Mots). Si les secours ne sont pas distribués à temps aux sinistrés?

3. En phrase exclamative60 pour marquer un fait dont la réalisation aurait des conséquences qu’on peut imaginer sans peine, pour exprimer un souhait.

Ex.: Si je pouvais gagner la coupe! Si nous pouvions le convaincre! (H.) Si je pouvais m’arrêter de penser à cet amour malheureux! Si vous saviez à quoi je pense! Si vous aviez vu l’enthousiasme de la foule! Si ses parents avaient pu le voir! Si nous vous avions là pour vous le dire! ________________

60 v. Kr. Sandfeld, op. cit., p. 367.

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Si non hypothétique Il faut souligner que toutes les propositions introduites par si

n’expriment pas l’hypothèse. Exemples: 10. Si, de valeur causale, dans un sens voisin de parce que. „Comment l’aurais-je fait, si je n’étais pas né?” (La F.I., 10). Il

fit courageusement son devoir et, s’il le fit, vous devez en tenir compte (H.) Si un malade comme lui a pu réussir, tu ne dois pas douter de ton propre succès (Z). „Qu’est-ce que ça fait, si tu as toujours autour de toi des gens pour t’aimer?” (Zola, Pot-Bouille; P.R.). „Un beau jour mon grand-père dit négligemment: „Courteline doit être bon bougre. Si tu l’aimes tant, pourquoi ne lui écris-tu pas?” (Sartre, Les Mots). „Soyons unis dans le temps si nous ne pouvons l’être dans l’espace” (Ionesco, les Chaises).

20. Si peut marquer une concession-opposition. Au lieu d’une hypothèse suivie de sa conséquence, on peut avoir deux faits ou deux énoncés mis en opposition, ou l’expression d’une concession.

Ex.: „S’il nous enseigna quelques hérésies littéraires, il nous montra du moins, par son exemple, ce que c’est qu’un honnête homme” (A. France, Livre de mon ami; L.B.). Si ce n’est pas grand, c’est très compliqué (Z.). S’il fut mon ami, il a cessé de l’être (H.). „Si la nouvelle l’émut, Robinson n’en laissa rien paraître” (Tournier, Vendredi). „Si l’intelligence de Franz était prisonnière du temps du calendrier, son affectivité était l’esclave du temps du baromètre” (Tournier, La Colline).

4. Si peut marquer l’idée du temps; il peut signifier quand, lorsque, chaque fois que.

Ex.: „Si je sortais tout le monde se mettait aux fenêtres” (Montesquieu; W). Si je dis oui, elle dit systématiquement non (H.). S’il faisait mauvais temps, nous ne sortions pas.

5. Si peut introduire une complétive. a) Si peut introduire une proposition interrogative indirecte. Ex.: „Je ne savais si j’avais gain de cause: le contrôleur gardait

le silence” (Sartre, Les Mots). Vous voulez peut-être savoir si la rhétorique est un art ou une science? Je vous demande si vous êtes satisfait. Dites-moi s’il vous accompagnera (H.).

b) Si se trouve placé après une expression impersonnelle. Ex.: „Il ne faut pas s’étonner s’il n’a auprès de lui qu’un aussi

méchant homme que Narcisse” (Racine, Britannicus; 2e Préface).

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Si qui introduit la complétive se trouve après un verbe de senti-ment appartenant à la proposition principale; ce verbe est employé souvent à la forme négative (surtout à l’impératif) ou interrogative.

Ex.: „Ne te plains pas si je te laisse seule, Roussille” (Bazin, Terre qui meurt; P.R.). „Je serais contrarié si le monde vous prenait une partie du temps que vous me donnez” (A. France, Lys; Sandf.). Je ne m’étonne plus si vous passez pour distrait. Faut-il s’étonner s’il a été refusé à cet examen? Ne vous étonnez plus si cet automobiliste perdit la coupe. Plaignez-vous dès lors s’il n’est pas content (H.).

6. Le système c’est ... si + proposition a) C’est + attribut + si Ex.: C’est miracle si tu me retrouves dans ce lieu désert. „C’était

miracle, s’il n’avait pu échanger quelques mots avec Mme Kayser” (Claretie, Monsieur le ministre; Sandf.). C’est miracle s’il ne mourut pas de faim.

b) C’est + à peine + si Ex.: C’est à peine s’il s’occupait d’elle. C’est à peine si je m’en

étonnerais.

c) siplus)au tout juste; (tout

estC' adverbialelocution une+⎥

⎤⎢⎣

⎡+

Ex.: C’est tout juste s’il va à l’école. C’est tout au plus si on pourrait s’inquiéter.

Locutions formées avec si hypothétique Si encore (ou encore si)

Cette locution marque une supposition qui indique un certain regret ou une certaine réserve; elle peut exprimer „le regret que tel fait qui changerait ou améliorerait la situation en question, n’existe pas” (Sandfeld, op.cit., p. 367).

La proposition hypothétique introduite par si encore est, en général, de forme exclamative. La locution mentionnée équivaut à „cela serait encore convenable, admissible si”, „du moins si”, „si seulement”.

Ex.: Si encore il se repentait! „Si encore je l’avais rencontré quand je montais au Soudan!” (Cendrars, L’Homme foudroyé). „Si encore il faisait preuve de bonne volonté !” (Z.) „Si encore je pouvais parler aux paysans!” (Morand, Sanf). Si encore il comprenait ce qu’on fait pour lui! (P.R.). „Encore si Lazare avait eu foi en l’autre monde!” (Zola, La Joie de vivre; Sandf.). „Encore si vous naissiez à l’abri du feuillage / Dont je couvre le voisinage! (La F.I., 22).

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Si même Par la locution si même, on ajoute une condition ou une sup-

position à une autre en renchérissant sur elle.61 Ex.: Si vous venez tous les trois, si même vous venez deux, nous

pourrons achever ce travail. S’il arrivait en retard, si même il ne venait pas, nous pourrions tout de même commencer à travailler sans lui (P.R.). „Si l’on n’est plus que mille, eh bien, j’en suis! Si même ils ne sont plus que cent, je brave encore Sylla...” (Hugo, Châtiments, L.B.).

Si seulement

Cette locution marque un certain regret ou un souhait engendré par une supposition. Elle s’emploie surtout en tour optatif avec le sens de si encore, si au moins.

Ex.: „Si seulement ils avaient eu le courage de se lever et de me dire en face les choses qu’ils chuchotaient lâchement, alors je me serais levé, et j’aurais dit: „Messieurs...” (Adamov, Le Professeur Taranne). „Si seulement quelqu’un me rapportait les plaques d’identité et les papiers de ces pauvres bougres, je pouvais prévenir les familles” (Cendrars, La main coupée).

Remarque. La proposition conditionnée n’est pas toujours exprimée; la proposition conditionnante est alors de forme exclamative.

Ex.: Si seulement je pouvais m’arrêter de penser à cet amour malheureux! „Si seulement on la lui avait donnée sa photo!” (Tournier, La goutte d’or). „Si seulement ils pouvaient revenir!” (N.Sarraute, Le Planétarium). „Si seulement je pouvais rencontrer une femme! Après tout, rien d’impossible à cela” (Adamov, La Parodie). „Si seulement Tradel avait eu la moitié de ma patience!” (Adamov, L’Invasion).

N.B. Si seulement peut parfois signifier „plaise au ciel que!”, „puisse...”, „plût au ciel que”.

Remarque. On nomme si, optatif, dans les constructions du type Si + le verbe pouvoir. Si seulement + le verbe pouvoir. Si encore + le verbe pouvoir.

Ex.: „O mon Spark! mon cher Spark, si tu pouvais me transporter en Chine! Si je pouvais seulement sortir de ma peau pendant une heure ou deux! Si je pouvais être ce monsieur qui passe!” (Musset, ________________

61 ou une locution verbale

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Fantasio I, 2, P.R.). Si je pouvais gagner le championnat de tennis! Si seulement je pouvais dormir! Si seulement je pouvais voyager en Italie! Si encore il pouvait la rencontrer à Paris!

Si jamais La proposition introduite par si jamais marque un moment

indéterminé, une „éventualité” dans le temps. Ex.: „Si jamais Jean-Baptiste Sartre avait connu ma destination,

il en avait emporté le secret” (Sartre, Les Mots). „Seigneur, si j’ai trouvé grâce devant vos yeux; / Si jamais à mes vœux vous fûtes favorable” (Racine, Esther, II, 7). „Si jamais je l’attrape, je saurai me venger de lui” (Molière, Scapin I, 2). Si jamais vous le voyez, vous lui direz que j’ai besoin de son aide (le Lexis).

Si par hasard Cette locution a le sens de au cas où. Ex.: „Et nos prédicateurs ont-ils ces qualités? Si par hasard ils

ne les avaient pas, faudrait-il pour cela leur attacher des cadenas aux lèvres?” (Diderot, Claude et Néron; R.). Si par hasard je rencontrais mon voisin, je le prierais de ne plus faire trop de bruit pendant la nuit dans son appartement.

Sauf si Selon G. et R. Le Bidois (op.cit., p. 574) cette locution introduit

„un tour franchement hypothétique”; elle marque un cas dans lequel le fait exprimé par la proposition principale pourrait cesser d’être vrai.

Ex.: L’accord prendra fin dans un an, sauf s’il est renouvelé un mois avant son expiration. Il réussira, sauf s’il a, au dernier moment, une crise de fatigue (Z). „Il est préférable de ne pas s’y risquer après onze heures du soir, sauf si l’on aime le poivre dans les yeux” (L.Daudet, Sandf.). „Je fais la fête, mais c’est toujours avec des amis et jamais avec des personnes que je ne connais pas sauf, bien entendu, si je rencontre un type qui me plaît” (Tristan Bernard; Sandf.). Nous prendrons des vacances sauf si nous avons du travail.

Excepté si Cette locution amène une hypothèse qui se présente sous la forme

d’une réserve, d’une exception (v. G. et R. Le Bidois, op.cit., p. 574). Ex.: Ils nageaient tous les jours dans la crique, excepté si la mer

était démontée.

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Que si (= or si, si par hasard, au cas où)

Dans la langue littéraire, à l’imitation du latin quod si, on emploie parfois que si au commencement d’une phrase. Que renforce si et donne plus de relief à la conditionnante (à la donnée d’hypothèse). La locution que si était fréquemment employée en français classique.

Dans la langue parlée on emploie et si. Ex.: „Assis comme un tailleur sur quelque coffre de matelot, il

examinait les nippes, coupait, ravaudait, brodait. Que si l’on venait le surprendre, il racontait des histoires...” (Dauhamel, Suzanne). „Que si vous m’objectez...” (H.). Que si tu m’attaquais, je saurais me défendre (Cy). „Que si je m’avise à présent de m’informer de ces emplois, ou plutôt de ces abus du langage, que l’on groupe sous le nom vague et général de „figures”, je ne trouve rien de plus que les vestiges très délaissés de l’analyse fort imparfaite qu’avaient tentée les anciens de ces phénomènes „rhétoriques” (Valéry, Variété; P.R.). „Que s’il a décidé de ne pas dire bonjour ou merci, il dépensera des trésors d’énergie à se faire un front impassible...” (Duhamel, Plaisirs et jeux; L.B.). „Que si par distraction Édouard change d’allure ou de côté, Salavin fronce les sourcils” (G. Duhamel, Deux hommes).

Même si

Cette locution donne à l’hypothèse une forte nuance d’opposition. Ex.: Même si elle était arrivée à temps, elle n’aurait rien résolu

(P.Ch.). Même s’il a des ennuis, il reste gai (Cayrou). „Il comptait bien faire en trois heures le trajet, même si l’on ne marchait qu’au pas” (Zola, Débâcle; L.B.). Même s’il subit un échec, il ne perdra pas l’espoir. Même si on lui demandait, il ne ferait pas (H.).

Si tant est que

Cette locution conjonctive marque que l’hypothèse énoncée dans la subordonnée est faite à contre-cœur ou qu’on exprime le doute qu’elle soit valable (v. Paul Zumthor, op.cit., p. 113). G. et R. Le Bidois précisent que si tant est que en dépit de „son emphase apparente, loin d’augmenter la force de la supposition indique qu’on la fait un peu malgré soi (ou sans trop compter qu’elle sera reconnue valable)”62. ________________

62 G. et R. Le Bidois, Syntaxe du français moderne, éd.cit., II, p. 568.

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Elle présente l’hypothèse avec réserve63; si tant est que signifie à peu près s’il est vrai que, en admettant que, à supposer que.

Ex.: „Et pourtant un sentiment comme l’amour se mesure mieux il me semble – si tant est qu’il se mesure – à l’importance de sa superficie qu’à son degré de profondeur” (Tournier, Vendredi). „Dans une auberge, après tout, les filles qui servent ne sont pas des bonnes sœurs, ni pour la conduite ni pour la charité, si tant est que toutes les bonnes sœurs pratiquent la charité, il fallait entendre l’oncle Germinal sur ce chapitre” (Lucette Desvignes, Les nœuds d’argile). „D’autre part, j’entendais que le „front du Tchad”, si tant est qu’on pût donner ce nom à un ensemble d’actions forcément discontinues, demeurât un front français” (De Gaulle, L’Appel). Je ne manquerais pas d’y aller, si tant est que je puisse (Acad.). „Il y a dans l’homme de l’inexpliqué, si tant est qu’il n’y ait pas de l’inexplicable” (Gide, Dostoïevski; P.R.). „Voilà de l’argent qui n’est guère propre, si tant est qu’il y en ait qui le soit” (O.Mirbeau, Journal...; P.R.). Je viendrai, si tant est que je sois invité (Z.). Il a l’intention de préparer le concours de l’agrégation si tant est qu’il soit capable de le faire (Le Lexis).

Remarque. Si tant est que présente l’hypothèse sans confiance, avec incertitude; cette locution est suivie par conséquent du subjonctif: „Si tant est que cela soit comme vous le dites” (Acad.).

Si ce n’est que64 (ou si ce n’était que, si ce n’eût été que)

Cette locution introduit une restriction apportée à l’idée pré-cédemment exprimée; elle marque une réserve.

Ex.: Il vous ressemble si ce n’est qu’il est trop petit (Acad.). Je ne connais pas votre frère qui est acteur si ce n’est que par les images des journaux. Je ne demande rien si ce n’est qu’on rende justice (P.R.). Il a tout sacrifié, si ce n’est qu’il a voulu garder ce souvenir de ses parents (F.B.). Je vous parle en toute sincérité si ce n’était que pour vous témoigner mon amitié. ________________

63 Cette locution „sert à exprimer une supposition qu’on fait avec l’arrière-pensée qu’elle n’est guère acceptable” (Grevisse).

64 F. Brunot souligne que si ce n’est que introduit souvent une „pro-position d’exception” (La Pensée et la Langue, p. 717).

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Si ce n’est (si ce n’était, si ce n’étaient, si ce n’eût été, si ce n’eussent été)

Cette locution peut avoir un sens hypothétique et un sens restrictif; elle imprime à la donnée d’hypothèse négative un caractère restrictif conditionné. Elle peut signifier: même si ce n’est pas, en admettant que ce ne soit pas.

Ex.: „Il se sentit envahi par une émotion étrange, inconnue, un attendrissement de tout son être qu’il n’avait jamais éprouvé, si ce n’est peut-être, il y avait bien des années, en s’approchant pour la première fois du berceau de sa petite sœur” (Tournier, L’aire du Muguet). „En bonne philosophie, rien n’appartient à personne, si ce n’est la vie elle-même” (A. France, Opinions de M. Jérôme Coignard; L.B.). „Vous n’auriez rien à craindre si ce n’est quand il faudra descendre à la ville pour y renouveler vos provisions” (Mérimée, Mateo Falcone; P.R.). Je n’ai rien remarqué si ce n’est votre embarras (B.). „Mars pourrait aussi bien être le frère des Furies, des Amazones et de Méduse, bien qu’il n’y ait pas de rapport entre eux si ce n’est leur férocité” (Henriot, Mythol. légère; P.R.). „Il n’avait entendu aucun bruit, si ce n’était celui qui faisaient les gens des étages” (P. Vialar, Mons. Dupont est mort; Grev.). „Qui donc a droit d’espérer, si ce n’est celui qui porte en lui l’affranchissement du monde?” (Michelet, Rév.; F.B.). J’essaierai, si ce n’était la crainte d’échouer (H.D.T.). „Évidemment, Vendredi m’obéit au doigt et à l’œil, et je suis bien étrange de m’en plaindre. Mais il y a dans cette soumission quelque chose de trop parfait, de mécanique qui me glace, si ce n’est hélas ce rire dévastateur qu’il paraît ne pas pouvoir réprimer dans certains cas” (Tournier, Vendredi). „Si ce n’eût été la crainte de l’humilier, je serais volontiers tombé aux pieds de ce joueur généreux” (Baudelaire, Spleen; P.R.).

Remarque. Si l’attribut est un nom pluriel ou un pronom de la troisième personne du pluriel, on peut laisser au singulier le verbe être de la locution si ce n’est: „Si ce n’est eux, quels hommes eussent osé l’entreprendre?” (Littré et Acad.). „Jésus leur défend de rien emporter si ce n’est des sandales et un bâton” (Flaubert, Tentation de St Antoine; Grev.). Si ce n’est eux qui donc l’a fait ? (H.).

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Les abréviations de si ce n’est, etc. Cette locution et ses variantes (si ce n’était, si ce n’étaient, si ce

n’eût été, si ce n’eussent été) ont donné naissance par la suppression de si à n’était ,n’étaient, n’eût été, n’eussent été, n’était-ce, n’eût-ce été:

„La donnée (= la subordonnée hypothétique, la conditionnante ou la protase) si elle est négative peut se présenter sous une forme elliptique; si peut ne pas être exprimé, lorsque le verbe de la subordonnée est le verbe être à la forme négative et avec le sens de exister” (G. et R. Le Bidois, op.cit., t. II, p. 570).

N’était, etc. A. N’était, suivi ou précédé d’une proposition ayant le verbe au

conditionnel présent. Ex.: N’était cette difficulté, tout serait réglé déjà (= si cette

difficulté n’existait pas). Il ferait bon, n’était cette brise trop fraîche (Z.). N’était le bruit on se croirait au paradis (G.L.). N’étaient ses yeux on le prendrait pour son frère. N’était l’amitié que j’ai pour vous, je me fâcherais. Cet ouvrage serait bon n’était l’impropriété de la langue. N’étaient vos déclarations, je le croirais coupable (H.).

B.1. N’était, etc. suivi ou précédé d’une proposition ayant le verbe au conditionnel passé (ou au conditionnel passé deuxième forme).

Ex.: „On l’eût pris volontiers pour une sorte de contre-maître, n’était l’extraordinaire noblesse d’un visage aux lignes si simples, si pures que ni l’âge, ni la souffrance, ni même l’empâtement d’une mauvaise graisse n’en altéraient jamais la bienveillance profonde, l’expression de calme et lucide acceptation” (Bernanos, M.Ouine). „On aurait pu nous prendre pour un petit ménage de commis, n’étaient certaines sorties nocturnes” (Béraud, Capucin, Sandf.).

2. N’eût été Ex.: „Le Père Benedetto Orfei était fort bien en cour pontificale

et, n’eussent été ses actes ultérieurs, il serait aujourd’hui cardinal, c’est-à-dire papable” (Apollinaire, L’Hérésiarque). Nous nous en serions réjouis, n’eût été notre regret de votre absence (Z.). N’eût été son indiscrétion, Pierre aurait pu être un bon collègue. N’eussent été les fenêtres éclairées des maisons, le village eût semblé abandonné.

Remarques. 1. N’était peut être suivi par une proposition ayant le verbe au futur.

Ex.: „N’était la presence de reporters et de photographes, les alliés ne prendront aucune part au défilé qui va avoir lieu” (De Gaulle, L’Unité).

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2. N’était, n’eût été peuvent être suivis du pluriel (Ces locutions peuvent être assimilées à des prépositions ou considérées comme étant figées).

Ex.: N’était ses cheveux blancs, on ne lui donnerait pas cet âge (H.). „N’eût-ce été mes propres mots qu’il avait répétés, j’aurais pensé, à voir cette émotion, qu’il s’était mépris” (J. de Lacratelle, L’Âme cachée; Grev.).

3. N’était peut se faire suivre de que et d’une complétive. Ex.: N’était qu’il souffrait par moments de rhumatismes, il

jouissait d’une santé robuste. „Nous nous ressemblons; n’était que ses cheveux sont noirs et les miens blonds” (Augier; L.B.). „N’était que je ne l’écoutais guère, j’aurais volontiers interrompu pareil éloge” (Jaloux, L’éventail; Sandf.).

Sinon Cette conjonction s’écrivait en ancien français se non. 1. Sinon introduit une restriction hypothétique, une exception. Il

s’emploie le plus souvent comme substitut de si ce n’est. a) en corrélation avec une proposition négative. Ex.: „Elle ne me connaissait pas sinon par ma légende parisienne”

(Cendrars, L’homme foudroyé). „Je ne puis être d’aucun secours à l’enquête sinon par le témoignage que vous savez” (Bernanos, Un crime). „Mon inappétence physique et intellectuelle est devenue telle que parfois je ne sais plus bien ce qui me maintient encore en vie sinon l’habitude de vivre” (Gide, Ainsi soit-il; P.R.).

b) en corrélation avec une proposition interrogative. Ex.: „Pauvre sotte, fit-elle, à qui veux-tu avouer la vérité, sinon à

ton pere et à ta mère?” (Bernanos, Histoire de Mouchette). „L’homme de quart avait crié: Terre! Et, en effet, que pouvait-il avoir de plus urgent à signaler à bord de ce vaisseau sans maître, sinon l’approche d’une côte inconnue avec ses sables ou ses récifs?” (Tournier, Vendredi).

2. Sinon peut équivaloir à toute une donnée d’hypothèse (condi-tionnante, protase).

Ex.: „Il faut aussi que le climat soit chaud; sinon, l’arbre qui est délicat gélera, ou tout au moins languira, et ne pourra pas épanouir ses pousses” (Taine, Philosophie de l’art) = si le climat n’est pas chaud...

„Ribadeau lui tendit son livret: – Tu as le fascicule 2, mon gars. On t’attend à Montpellier, à la caserne. Je te conseille de te manier, sinon tu seras porté réfractaire” (Sartre, Le sursis) = si tu ne te manies pas... (= si tu ne te dépêches pas...).

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Sinon que65 Cette locution conjonctive a presque la même valeur et le même

emploi que si ce n’est que. Elle peut signifier „avec cette réserve que, excepté que, sauf que”, marquant une restriction hypothétique.

Ex.: „Elle eût été bien embarrassé d’en dire plus, sinon qu’elle le sentait bien” (Bernanos, Histoire de Mouchette). „De sa vie, on ne savait rien, sinon qu’il fut juste, obscur et sans amis” (Apollinaire, L’Hérésiaque). „Je n’ai jamais rien compris à la vie, sinon qu’elle m’a toujours porté au but que je voulais atteindre” (Bernanos, Monsieur Ouine). „On voit que je n’attendais plus rien de la vie sinon qu’elle ressucitât pour moi, sur le tard, la fête annuelle de l’Institut des Langues Vivantes” (Sartre, Les Mots). „Je ne veux rien, sinon que vous n’entrirez pas tout à la fois dans ma chambre” (Colette; Sandf.). Je ne demande rien sinon que justice soit faite (H.). Je ne sais rien sinon qu’il est venu le voir. „Sinon qu’étant trahi, je mourrais malheureux” (Corneille, Hér. IV, 1; H.D.T.). „Il se peut faire qu’il y ait de vraies démonstrations; mais cela n’est pas certain. Ainsi, cela ne montre autre chose sinon qu’il n’est pas certain que tout soit incertain à la gloire du pyrrhonisme” (Pascal, Pensées; P.R.). „J’étais si trou-blée que lorsqu’il me demanda ce que c’était, je ne sus lui répondre autre chose sinon que ce n’était rien” (Laclos, Liaisons...; P.R.).

Autres subordonnants 1. Conjonctions, locutions conjonctives et expressions qui ont à

la fois une valeur hypothétique et concessive. Elle ont une force expressive plus grande que si et sont employées souvent dans le style soutenu. Ce sont: quand, quand même, quand bien même, lors même que, alors même que.

Quand Ex.: „À l’époque, nous jugeâmes sévèrement son silence66.

J’admets, dit Charles, qu’il ait beaucoup de travail mais, quand le ________________

65 „Sinon que a vieilli dans beaucoup d’emplois (par exemple il ne s’emploie plus devant un adjectif ni au sens d’à moins que), mais il reste usuel lorsque que est appelé par ce qui précède. On le trouve particulièrement après un pronom neutre, après peu, rien” (Hanse, Nouveau Dictionnaire).

66 (son silence = le silence de Courteline; il n’avait pas répondu à la lettre que Sartre lui avait écrite).

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diable y serait, on répond à un enfant” (Sartre, Les Mots). Quand il m’offrirait cette voiture pour rien, je n’en voudrais pas! Quand je vivrais aussi longtemps que mon oncle, jamais je n’oublierais ma première excursion avec lui dans les Alpes. Quand il refuserait, je ne m’en plaindrais pas. Ces instants de bonheur me seront toujours présents quand je vivrais cent ans. „Un ancien intellectuel quand il serait pauvre comme le citoyen Job, et quand il serait devenu maçon, est toujours fâcheusement noté. Il est toujours un ariso” (Péguy, Œuvres; P.R.).

Quand (bien) même Ex.: Quand même je le voudrais, je ne le pourrais pas (H.). Les

femmes doivent se soumettre à leurs maris quand même elles n’en approuveraient point les idées (P.R.). „Quand même vous auriez arraché les canines du tigre, et qu’il ne pourrait plus manger que de la bouillie, il lui restera toujours son cœur de carnassier!” (Flaubert, Correspondance; P.R.). Quand bien même les courts de tennis resteraient ouverts jour et nuit, il y aurait trop d’amateurs (Mitt.).

Lors même que Elle a le sens de quand même et se construit avec le conditionnel. Ex.: „Mais la clause visait à garantir que l’action militaire alliée,

avec laquelle se confondait la nôtre, lors même qu’elle se heurterait aux forces de la France officielle, ne serait employée contre la France réelle, ne nuirait pas à son patrimoine, non plus qu’à ses intérêts” (De Gaulle, L’Appel). „Les enclitiques attirent l’accent sur la dernière syllabe du mot auquel ils sont joints, lors même que cette syllabe serait brève” (Viot, Accentuation latine). „Ce qui est juste lors même que le monde devrait crouler” (Zola, Paris, P.R.) „Lors même que nous n’en aurions pas l’idée distincte, nous sentirions vaguement que notre passé nous reste présent” (H. Bergson, L’Évolution créatrice; Grev.).

Alors même que Suivie d’un conditionnel, cette locution a le sens de quand même. Ex.: Alors même qu’on m’en prierait, je ne le ferais pas (H.).

Alors même que tu aurais raison, il vaudrait mieux renoncer (B.). Alors même qu’il aurait gagné le prix, nous le tiendrions pour un inca-pable (Z.). „Alors même que la consommation de l’alcool de bouche

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diminuerait par suite de l’ouverture de nouveaux débouchés à l’alcool dénaturé, nous aurions avantage à favoriser ce mouvement” (Sandfeld).

2. Subordonnants introduisant la condition pure La condition „pure” est rendue au moyen des locutions à (la)

condition que, sous (la) condition que, moyennant que. Ces relateurs introduisent „non une hypothèse, mais une con-

dition expressément posée à l’action principale” (P. Zumthor, op.cit., p. 115).

À condition que

Cette locution introduit „non pas précisément la supposition, mais une condition présentée comme nécessaire à la réalisation d’un fait ” (G. et R. Le Bidois, op.cit., p. 564). Selon Sandfeld (II, p. 349) la condition est présentée par cette locution comme „une exigence qui doit être remplie pour qu’un fait quelconque puisse s’accomplir”.

Ex.: „La situation que la France avait acquise dans le monde était maintenant assez solide pour qu’on pût la briser du dehors. à condition qu’elle même tînt bon et qu’elle eût l’appui de la nation à mesure que celle-ci apparaîtrait dans sa réalité” (De Gaulle, L’Appel). Nous partirons demain à condition que le temps le permette (Th.). Je vous donne cet argent à condition que vous partiez demain. Il est aimable à condition qu’on lui obéisse. à condition que nous exercions sur nous-même une surveillance très attentive, nous deviendrons meilleurs (Grev.).

Je lui écrirai à condition qu’il me réponde (P.R.). Il prête ce livre à condition qu’il lui soit rendu demain (B.). „Elle pouvait tout porter, tout oser, à condition que toujours on laissât sa personnalité dominer sa toilette” (Gyp. Sandf.). „Volontiers se fût-elle chargée même de lui, à condition qu’il tentât, comme elle, une nouvelle fortune” (J. Guéhenno; Wag.). Je lui pardonnerai à condition qu’il parte. Je ne viendrai qu’à condition que vous m’envoyiez une invitation formelle (Z). Je vous laisse libre de partir à condition que vous m’écriviez. „Il ne détestait pas Shakespeare, dont l’identité n’était pas établie. Ni Homère, pour le même motif. Ni quelques autres dont on n’était pas tout à fait sûr qu’ils eussent existé. à ceux qui n’avaient pas voulu ou su effacer les traces de leur vie, il trouvait des excuses à condition qu’ils fussent morts” (Sartre, Les Mots).

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À la condition que

Ex.: „Je rentre, si vous voulez, à la condition que vous me laissiez partir tout de suite” (Ionesco, Victimes au devoir). „Le petit port de Rufisque, hors du rayon d’action de la plupart des ouvrages, semblait convenir pour l’opération, à la condition toutefois que celle-ci ne rencontrât pas de résistance” (De Gaulle, L’Appel). „Je marquai là-dessus quelque doute, en rappelant que, deux mois auparavant, la détresse de la France n’avait pas fait sortir l’Amérique de sa neutralité. C’est parce que la France s’effondrait! affirma le Premier Ministre. Tôt ou tard, les Américains viendront, mais à la condition qu’ici nous ne fléchissions pas!” (De Gaulle, L’Appel).

Sous (la) condition que

Ex.: Il s’est déclaré pour cette méthode nouvelle sous la condition qu’un plan fût adopté afin de faire connaître ses résultats.

Remarque. En ce qui concerne les locutions à (la) condition que, sous (la) condition que, Hanse écrit les lignes suivantes: (Ces locutions) „se construisent beaucoup moins qu’il y a cinquante ans avec l’indicatif, qui reste permis. Le subjonctif est aujourd’hui le mode courant et il faut renoncer à dire que l’indicatif présente le fait d’une manière plus tranchante ou qu’il est plus fréquent après à la condition que. Sous condition que se dit beaucoup moins qu’à condition que. Sous la condition que est devenu rare” (Nouveau Dictionnaire des difficultés...).

Moyennant que (= à condition que)

Cette locution conjonctive est presque sortie de l’usage. Elle est employée parfois dans le style soutenu ou dans le français régional. Elle est suivie du subjonctif.

Ex.: „Amenez-la, courez; je vous promets / D’oublier tout, moyennant qu’elle vienne” (La F., Contes). „J’en suis (= de l’expé-dition) moyennant que le temps le veuille” (Daudet, Tartarin sur les Alpes; Sandf.). „Depuis quelques mois, il lui demandait des interviews que le professeur consentait moyennant qu’on tût son nom” (Barrès; Grev.). „Moyennant qu’on le baigne d’eau à l’aurore, et le soir au cré-puscule, le jardin garde sa fraîcheur d’oasis” (Colette, Belles saisons; P.R.).

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Subordonnants ayant des valeurs hypothétiques spéciales Pourvu que

Cette locution conjonctive est formée de que et du participe passé du verbe pourvoir (au sens d’aviser). Elle indique la condition comme une exigence qui doit être satisfaite afin qu’un fait puisse se réaliser67. Souvent la proposition introduite par pourvu que se trouve en tête de la phrase. Elle est suivie du subjonctif.

Ex.: „Nous montrerons qu’il n’est pas de parole sans réponse, même si elle ne recontre que le silence, pourvu qu’elle ait un auditeur, et que c’est là le cœur de sa fonction dans l’analyse” (Lacan, Écrits). „Quand il n’arrive pas à lire un mot, il l’invente. Pourvu que le sens y soit à peu près, il est content” (Adamov, L’Invasion).

„Aussi, pourvu qu’elles (= les paroles) présentent une apparence à peu près anodine et banale, elles peuvent être et elles sont souvent en effet, sans que personne y trouve à redire, sans que la victime elle-même ose clairement se l’avouer, l’arme quotidienne, insidieuse et très efficace d’innombrables petits crimes” (N. Sarraute, L’ère du soupçon). „Je calculais que, malgré mon absence et pourvu qu’elle ne durât pas longtemps, les réserves de sagesse accumulées par mes compagnons empêcheraient les querelles du dedans et les intrigues du dehors d’ébranler trop profondément l’édifice encore bien fragile!” (De Gaulle, L’Appel). „Elle se persuaderait, peu à peu – pourvu qu’on la laissât tranquille et qu’on ne l’obligeât point à regarder la réalité en face – qu’elle avait eu la chance enviable d’être aimée du plus séduisant des hommes...” (Exbrayat, Félicité...). Je viendrai pourvu que je sois invité à temps. Vous pouvez emporter mon livre, pourvu que vous me le rendiez avant dimanche. Pourvu qu’ils soient dociles aux lois, vous n’aurez pas de meilleurs sujets (Acad.).

Remarque. On trouve pourvu que en tête d’une proposition exclamative.

Ex.: „Pourvu que tu ne t’enrhumes pas!” (Ionesco, Amédée). „Il va sûrement venir! Pourvu qu’il ne reste pas encore toute la journée, comme hier!” (Adamov, L’Invasion). Pourvu qu’il ne lui arrive pas malheur! (Acad.). „Je ....ne suis pas exigent. Je voudrais simplement une chambre...qui regarde le sud. Mais si elle n’est pas exactement orientée vers le soleil, peu importe. Pourvu que les tentures soient lumineuses!” (Adamov, La Parodie). ________________

67 Elle marque la condition exclusive positive.

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À moins que...(ne) Cette locution a le sens de „si ce n’est que, sauf le cas où...”; elle

montre comment une exception peut porter sur une éventualité; l’adverbe moins qui entre dans la formation de cette locution fait de celle-ci le type de la restriction et de l’exception hypothétique: „par à moins que on désigne qu’une action quelconque se réalisera dans tous les cas, excepté précisément celui présenté par la subordonnée”68. À moins que est suivi du ne modal ou explétif et d’un verbe au subjonctif.

P. Zumthor (op. cit., p. 116) souligne que à moins que présente la condition comme un événement tout à fait exceptionnel qui, s’il survenait néanmoins, empêcherait l’action principale.

Ex.: „Robinson pensa qu’il s’agissait de la musique du ciel, et qu’il n’en avait plus pour longtemps à vivre, à moins qu’il ne fût déjà mort” (Tournier, Vendredi). „Parmi la file des voyageurs, devant lui, il cherche des yeux la petite fille, qui regardait dans le vague; il ne la vit plus – à moins qu’il ne l’ait vue sans la reconnaître” (A. Robbe-Grillet, Le Voyeur). „Les actes eux-mêmes ne serviront pas d’étalon à moins qu’on n’ait prouvé qu’ils ne sont pas des gestes, ce qui n’est pas toujours facile” (Sartre, Les Mots). Il n’y arrivera pas à moins que vous ne l’aidiez (Mitt.). „Venant de l’arrière, la mouette grise imperturbable décrivait une fois de plus, avec la même lenteur, sa trajectoire horizontale-ailes immobiles, déployées en double voûte entre les pointes légèrement tombantes, tête penchée vers la droite surveillant l’eau œil rond – l’eau – à moins que ce ne fût le navire – ou rien du tout” (A. Robbe-Grillet, Le Voyeur). Je vous verrai ce soir, à moins qu’il ne soit trop tard quand je sortirai (Thomas). Je n’irai pas chez vous à moins que vous ne veniez me prendre. „Quoi qu’il en soit, Tarasa croyait avoir tout prévu, sauf qu’une fois à terre, ayant une balle dans la peau, il flancherait et n’aurait pas la force de rendre pareil service à son camarade ni le courage de tenir sa parole d’honneur. À moins qu’il ait même prévu la chose et qu’il ait laissé Faval tirer le premier pour s’assurer d’une bonne blessure...” (Cendrars, L’homme foudroyé). „Marrain se demandait quelle audace le Père montrerait. Il l’avait plutôt vu porté à céder, dans les discussions d’affaires, malheureux qu’il était d’avoir à peut-être lâcher une maigre proie pour une ombre encore moins sûre. À moins qu’il n’ait senti la fabrique vraiment en danger, avec son profit grignoté jusqu’à l’os” ________________

68 Kr. Sandfeld, op.cit., p. 347.

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(Lucette Desvignes, Les nœuds d’argile). „Et nous n’avons pas pour habitude de recevoir des étrangers à moins qu’ils n’aient été recom-mandés par des amis de vieille date” (Exbrayat, Le temps se gâte à Zakopane). „À moins qu’il ne soit subitement devenu philanthrope, je ne vois pas vraiment pourquoi il s’embarrasserait de vous” (Exbrayat, Paco).

Remarques. 1. La proposition introduite par à moins que peut marquer une réserve faite par le locuteur et ne pas dépendre directe-ment du verbe de la proposition principale (ce verbe peut être sous-en-tendu):

Ex.: „Je vais vous quitter. Merci de m’avoir tenu compagnie (Il réfléchit). À moins que je ne fume encore une pipe avec vous” (Beckett, Godot). „Le voleur s’est peut-être contenté de prendre l’argent liquide. à moins encore qu’il n’ait été dérangé, et n’ait dû fuir” (J. Romains; Sandf.).

2. En français contemporain, à moins que est parfois employé sans ne explétif:

„Tu as voulu Wiktor, tu auras Wiktor, à moins que le Ciel te prenne en pitié et le fasse trépasser avant qu’il te mène devant le curé” (Exbrayat, Le temps se gâte à Zakopane). „À moins qu’il ait même prévu la chose et qu’il ait laissé Faval tirer le premier....” (Cendrars, L’homme foudroyé; voir supra). „À moins, mon Dieu, que ce soit lui qui vienne” (J.P. Sartre, Le mur; H.).

Pour peu que69 Cette locution signifie „si peu que ce soit”. Elle introduit une

donnée d’hypothèse à caractère limité et marque que „le fait énoncé dans la subordonnée quoique nécessaire à l’accomplissement de l’action principale est donné comme infime, et sans proportion avec celle-ci” (P. Zumthor, op. cit., p. 115). G. et R. Le Bidois soulignent que cette locution exprime que le fait supposé sera suffisant, quelle qu’en soit l’inténsité, pour produire la conséquence (op. cit. II, p. 568). Pour peu que se construit avec le subjonctif.

Ex.: Pour peu qu’il eût fait attention, il aurait évité l’accident. Pour peu que vous le vouliez, vous réussirez. „Mais les marins de la Virginie pourraient dormir sur leurs deux oreilles au plus noir d’un ________________

69 „On se sert de pour peu que si on tient à relever le fait que parmi plusieurs causes hypothétiques possibles, celle qu’on allègue, si faible soit-elle, suffit à elle seule” (Kr. Sandfeld, Syntaxe, p. 351).

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ouragan pour peu que la côte la plus proche ne constitue pas une menance” (Tournier, Vendredi). Pour peu qu’il en prenne la peine, il réussira (H.). Pour peu que le train ait une minute de retard, nous parviendrons à le prendre (B.). „Et aujourd’hui encore, si, dans une grande ville de province ou dans un quartier de Paris que je connais mal, un passant qui „m’a mis dans mon chemin” me montre au loin, comme un point de repère, tel beffroi d’hôpital, tel clocher de couvent, levant la pointe de son bonnet ecclésiastique au coin d’une rue que je drois prendre, pour peu que, ma mémoire puisse obscurément lui trouver quelque trait de ressemblance avec la figure chère et disparue, le passant, s’il se retourne pour s’assurer que je ne m’égare pas, peut à son étonnement, m’apercevoir qui, oublieux de la promenade entreprise ou de la course obligée, reste là, devant le clocher, pendant des heures...” (Proust, Du côté de chez Swann). „Pour peu qu’Hector tende la main vers l’objectif, il aura une main géante avec derrière un petit corps et une tête de moineau” (Tournier, Les suaires de Véronique). „Le soir, pour peu qu’un klaxon insistât dans les tournants, elle se tortillait sur la chaise” (H. Bazin, Vipère au poing).

Sous réserve que Cette locution est suivie du subjonctif. Ex.: Elle accepte sous réserve que ses parents donnent leur

accord (B.). Je suis d’accord sous réserve qu’on attende quelques semaines. Il signera ce contrat sous réserve que les délais de livraison soient respectés.

Les locutions centrées sur le nom cas Les locutions formées au moyen du nom cas indiquent que

„l’action principale se produira ou se produirait lors seulement d’un événement exprimé dans la subordonnée” (P. Zumthor, op. cit., p. 114). Ces locutions évoquent „une circonstance favorable à l’accomplissement du fait principal” (Cayrou, Le français d’auj.; p. 388).

Au cas que70 Ex.: Prenez un parapluie au cas qu’il pleuve. „Je ne fus pas

longtemps en doute sur l’accueil qui m’attendait à Genève au cas que j’eusse envie d’y retourner” (Rousseau, Confessions; P.R.). „Elles attendaient le roi, au cas qu’il se décidât à la fuite” (Michelet, Rév.; ________________

70 Cete locution a vieilli (Hanse, P. Robert).

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P.R.). „Eugène le recommandait à son père, au cas qu’il lui arrivât malheur” (Henriot, Aricie Brun; L.B.). „Au cas qu’ils eussent lieu de s’appeler...”(A. Hermant, Le Caravansérail; Grev.).

Remarque. F. Brunot avait déjà remarqué que la locution au cas que, aujourd’hui tombée en désuétude, avait été supplantée par au cas où (La Pensée et la Langue, p. 876). Cette locution se construit avec le subjonctif.

En cas que Cette locution conjonctive signifie en admettant que. Elle a vieilli.

Elle était très employée en français classique. Ex.: „J’ai demandé à Monsieur de Louvois le régiment de Sanzel

en cas que le pauvre Sanzel fût mort” (Sévigné; Littré). „Je pourrais aisément compter sur la connivence du premier président en cas que la chose lui fût bien recommandée” (Voltaire; P.R.). „Mais que ne tâchez-vous aussi à gagner l’appui de mon frère, en cas que la servante s’avisât de révéler notre secret?” (Molière, Avare, I, 1.; L.B.). En cas qu’il vienne, dites-lui de m’attendre.

Remarque. Cette locution exige le subjonctif.

Au (dans le, pour le) cas où Ces locutions sont suivies du conditionnel. Ex.: 1. Au cas où le malade irait plus mal, rappelez le médecin

(B). Au cas où vous le verriez, rappelez-lui sa promesse (Acad.). Au cas où une complication se produirait, faites-moi venir (Acad.). „J’ajoutai qu’il n’y avait pas d’infaillibilité qui pût rendre mensonger ce qui était vrai, et que, par conséquent, je me séparerais de l’Église, au cas où il préférerait les anciennes erreurs à l’évidence nouvelle” (Apollinaire, L’Hérésiarque). Au cas où il se présenterait, vous le recevriez, n’est-ce pas? „Après quelques démarches précises, il parvint à retrouver le service qui avait envoyé le bulletin et on lui dit alors que ces renseignements avaient été recueillis „pour le cas”. „Pour le cas de quoi?” demanda Rambert. On lui précisa alors que c’était au cas où il tomberait malade de la peste et en mourrait afin de pouvoir d’une part, prévenir la famille et, d’autre part, savoir s’il fallait imputer les frais d’hôpital au budget de la ville” (Camus, La Peste). „Au cas où il aurait appris que vous êtes là et s’il voulait vous voir, pas un mot de tout ce vous que venez de nous dire” (Benoit, Axelle; Sandf.). „Au cas où vous auriez besoin de franchir la frontière très vite, vous n’avez qu’à venir me voir, on s’arrangera mais, motus, hein?” (Exbrayat, Le temps se gâte à Zakopane). „Il essaya de se

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représenter ce que ferait Puij au cas où il s’apercevrait qu’il était attendu” (Exbrayat, Paco).

2. Dans le cas où des candidats se présenteraient à ce concours, téléphonez-moi. Dans le cas où vous changeriez d’avis, écrivez-moi immédiatement. „Dans le cas où vous regretteriez un premier mouvement... je vous offre l’occasion de le reprendre” (Becque, Corb.; Sandf.). „Il l’avait chargé de me le dire dans le cas où il ne pourrait quitter ses archives” (Daudet, Imm.; Sandf.). Dans le cas où votre méthode de travail vous paraîtrait évidemment mauvaise, n’hésitez pas à en suivre une autre (ap. Grev.).

3. Pour le cas où il pleuvrait, prenez votre imperméable (Bordas). „Et pour le cas où je consentirais, quelle serait ma vie en cette Afrique?” (Lavedan, Le bon temps; Sandf.). Je te donne cet argument pour le cas où tu aurais à t’en servir (P.Ch.).

Subordonnants marquant la supposition proprement dite La supposition pure et simple est rendue par supposé que, à

supposer que, en supposant que, une supposition que; en admettant que (cette locution introduit une proposition où l’on exprime „une supposition particulièrement improbable” (Zumthor, op. cit., p. 115). Quelquefois que, des fois que, un coup que, tout en exprimant la supposition se rattachent par la nuance hypothétique exprimée aux locutions centrées sur le mot cas (au cas où, etc.).

Supposé que Cette locution se construit avec le subjonctif. Ex.: „Supposé qu’un type ait fait le coup, remarqua le garde

champêtre, sûr qu’il aurait filé du côté de Dombasle” (Bernanos, Un crime). Supposé qu’il ait manqué son train, il va sans doute nous téléphoner (H.). Supposé qu’il ne nous voie pas, nous pourrons par cet escalier surprendre l’intrus. „Supposé que vous m’aimiez véritablement, les obstacles qui nous séparent en seraient-ils moins insurmontables?” (Laclos, Liaisons dangereuses; P.R.). „Supposé que les plus anciens trouvères y aient vu des lieux réels, ce qui est sûr, c’est que, dans les romans que nous avons, toute géographie exacte est abolie” (Bédier, Légendes épiques; Sandf.). Supposé que les richesses puissent être réparties par parts égales, les hommes ne maintiendraient pas même un seul jour l’égalité de leurs fortunes (Grev.). Supposé que nous connaissions le moment exact où se produirait un tremblement de terre, serions-nous plus tranquilles?

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À supposer que Cette locution se construit avec le subjonctif. Ex.: „Mais dis-moi, à supposer que le haut dignitaire que tu

portraitures soit affligé d’une disgrâce physique, verrue, nez cassé, oeil torve ou crevé, que sais-je encore. Reproduiras-tu exactement cette difformité, ou t’efforceras-tu de la masquer?” (Tournier, La goutte d’or). „Il sautait aux yeux qu’on ne pouvait, en vertu d’un échange de notes, fondre ensemble, même en principe, l’Angleterre et la France, avec leurs institutions, leurs intérêts, leurs Empires à supposer que ce fût souhaitable” (De Gaulle, L’Appel). „À supposer que Flaubert se soit arrêté un moment à Marseille, avant de se mettre en route, il n’a pu y demeurer que peu de temps: la conquête d’Eulalie aurait donc été bien rapide et de courte durée” (Henriot, Portraits de femmes; P.R.). à supposer qu’il fasse beau, viendrez-vous avec nous au bord de la mer? à supposer qu’il parte maintenant, peut-être arriverait-il encore à temps (F.B.). „Quant à faire l’article pour sa propre marchandise – à supposer qu’il ait à placer tout un choix de poteries toutes plus séduisantes les unes que les autres – ç’aurait été encore pis” (Lucette Desvignes, Les nœuds d’argile). „Mathias n’avait pas le temps d’attendre la suite – à supposer qu’une suite dût se produire” (A. Robbe-Grillet, Le Voyeur). Et à supposer que les troupes de l’ONU aillent dans la région – ce qui paraît très improbable –, le conflit ne cesserait pas (P. Ch.).

Supposer que Cette structure lorsqu’elle a le sens de „faire une hypothèse” se

construit avec le subjonctif. Elle est suivie de l’indicatif quand elle a le sens de „présumer, admettre comme un fait”.

Supposer que + le subjonctif Ex.: „Avez-vous remarqué qu’on ne peut cumuler les maladies?

Supposez que vous ayez une maladie grave ou incurable, un cancer sérieux ou une bonne tuberculose, vous n’attraperez jamais la peste ou le typhus...” (Camus, La Peste). „On se trompe gravement sur la nature humaine si l’on suppose qu’une religion puisse s’établir par convention et se soutenir par imposture” (Fustel de Coulanges, Cité antique; P.R.). „Supposez qu’on ait un pépin, Monsieur Alessandrovici nous couvre tous” (M. Aymé, La tête des autres). „Supposez que par l’effet de toutes ces découvertes, on parvienne à définir la nature et marquer

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les conditions d’existence de chaque art: nous aurions alors une explication complète des beaux-arts et de l’art en général...” (Taine, Philosophie de l’art; P.R.). „Vous et moi, nous écrivons „Je ne sais rien”, à la bonne franquette. Mais supposons que j’entoure ce rien de guillements. Supposons que j’écrive, comme M. Bataille: „Et surtout „rien”, je ne sais „rien”. Voilà un rien qui prend une étrange tournure; il se détache et s’isole, il n’est pas loin d’exister par soi” (Sartre, Sit. I).

Supposer que + l’indicatif Ex.: Suppose que je suis absent et que tu dois prendre une déci-

sion ((L’hypothèse est présentée comme un fait admis (H.)). „Je suppose maintenant que X est égal à Y”, pourra dire un mathématicien (= ce tour, tout en n’impliquant aucun jugement, semble enlever à l’hypothèse un peu de sa gratuité et la faire apparaître comme un principe; P. Robert). „Supposons donc maintenant que nous sommes endormis” (Descartes, Méditations; P.R.). „Vous ne supposez pas que nous allons sottement laisser la France se relever à notre frontière? Non” (Vercors, Le silence de la mer; Hanse).

Une supposition que

Cette locution signifie „en supposant que”, „nous supposons que”, „envisageons l’éventualité que”. Elle appartient à la langue familière71 et à la langue populaire72. Une supposition que se construit avec le conditionnel ou avec le subjonctif.

Ex.: „Seulement votre Mathurin, permettez, je le crois plus vicieux qu’il n’en a l’air. Une supposition qu’il se rétracte? Il dira qu’il avait bu, par exemple, qu’on l’saoulé” (Bernanos, Un crime). Une supposition qu’il tombe malade, l’entreprise sera condamnée (B.). „Une supposition que tu sois sale, tu te laves, il n’y paraît plus” (G. Bernanos, M. Ouine). „Le flair de Buteau l’avertissait que le père Fouan mourrait le premier: une supposition qu’on lui aurait donné une chiquenaude, à coup sûr, il ne se serait pas relevé” (Zola, La terre; P.R.). „Une supposition que nous donnions tout notre avoir liquide pour établir notre fille...” (Balzac, Birott.; F.B.). ________________

71 Locution appartenant à la langue familière selon le Dictionnaire Bordas, le Lexis et le Dictionnaire de Paul Robert.

72 F. Brunot (La Pensée …) et A. Thomas (Dictionnaire des difficultés …) précisent que cette expression appartient à la langue populaire.

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Supposition que

Ex.: „Supposition que tu sois en retard un dimanche, tu n’as qu’à passer par l’étang” (Genevoix, Marcheloup; Grev.).

Remarque. Cette locution appartient à la langue populaire. Elle est suivie du subjonctif.

En admettant que

Cette locution se construit avec le subjonctif. Ex.: En admettant que vous ayez raison, il faut garder la mesure.

En admettant qu’il ait de l’argent, te remboursera-t-il? En admettant qu’il survienne à l’improviste, nous ne serons pas pris au dépourvu. „En vérité, plus personne ne s’intéressait à Désiré Lanvallay, en admettant que quelqu’un s’y fût jamais intéressé” (Exbrayat, Félicité...). „En admettant qu’il soit là, vous le verrez dans un couloir, entre deux portes” (Boylesve; Sandf.). En admettant qu’il en soit ainsi... (H.D.T.). „Je ne trouverais rien là-dedans, en admettant qu’il y eût quoi que ce fût à y trouver” (Exbrayat, Le temps se gâte...).

Quelquefois que

Cette locution signifie „au cas où”, „pour le cas où...” et se construit en général avec le conditionnel; elle appartient à la langue populaire.

Ex.: „Il faut attendre encore un peu, quelquefois qu’il irait” (F. Brunot, La Pensée...). „En passant devant la loge de la concierge, il me disait...”. „On va regarder sur la table de Mme Tesson. Quelquefois qu’elle serait arrivé, votre lettre du Havre” (Duhamel, Pasq.; P.R.).

Des fois que

Cette locution signifie „au cas où”, „pour le cas où”, „si par hasard”. Cette locution appartient à la langue populaire selon Hanse. Le Lexis croit que cette locution fait partie du style familier. Des fois que se fait suivre du conditionnel.

Ex.: Téléphonez-lui toujours, des fois qu’il serait déjà rentré. Des fois que vous voudriez me parler, passez-moi un coup de téléphone: „Allons-y vite, des fois qu’il y aurait trop de monde” (Dorgelès, Croix de bois). „Je vais à la banque, des fois que quelqu’un aurait repéré notre correspondant” (Ch.).

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Un coup que Cette locution signifie „au cas où”, „pour le cas où”, „si par hasard”;

elle appartient à la langue populaire. Un coup que se fait suivre de l’indicatif futur ou du conditionnel.

Ex.: „Mais un coup que le ministère sera consolidé, un coup qu’il se sera embêté quinze jours rue de Grenelle...” (Bataille; Sandf.).

Dans l’hypothèse où

Cette locution signifie „en supposant que”. Ex.: Dans l’hypothèse où il n’accepterait pas votre proposition,

que feriez-vous? (le Lexis). Dans l’hypothèse où vous changeriez d’avis, informez-moi (Grev.).

Remarque. La locution dans l’hypothèse où est suivie du condi-tionnel: „Dans (ou pour) l’hypothèse où vous changeriez d’avis...” (Hanse).

Dans l’éventualité où Cette locution est suivie du conditionnel. Ex.: Dans l’éventualité où l’on constaterait une hausse du coût

de la vie, les salaires seraient réajustés. La supposition alternative ou l’alternative dans l’hypothèse

La supposition alternative (Wagner) ou l’alternative entre deux possibilités (Zumthor) est rendue par les locutions symétriques soit que...soit que; que...ou que et leurs variantes.

Soit que ... soit que

Ex.: „Soit qu’il fût au ministère, soit qu’il fût dans la famille, il ne parlait jamais que du service” (Maupassant, En famille). „Du moins, dès qu’il fut reconnu que le général Weygand n’était pas l’homme pour la place, il eût fallu qu’il la quittât, soit qu’il demandât sa relève, soit que le gouvernement en prît d’office, la décision” (De Gaulle, L’Appel). Soit qu’il pleuve, soit qu’il fasse beau temps, le pêcheur doit sortir en mer (G.M.). Soit qu’il avoue, soit qu’il nie, je le crois coupable. Soit que vous partiez, soit que vous restiez, pour moi, je partirai (Lexis; Quillet). Il est urgent de nous rencontrer, soit que vous veniez me voir, soit que j’aille chez vous (B.).

Remarque. Selon Hanse „si les propositions introduites par soit que dépendent d’un verbe, c’est lui qui régit le mode après soit que:

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Cela montre soit qu’il était mal informé, soit qu’il était complice. Je veux soit qu’il me reçoive, soit qu’il m’écrive”. Si les propositions introduites par soit que, „ne dépendent pas d’un verbe, elles se mettent au subjonctif: Soit qu’il le fasse, soit qu’il s’abstienne, il y aura toujours des gens pour le blâmer” (Dictionnaire des difficultés du français moderne).

Soit que ... ou que

Ex.: Soit qu’il se fâche ou qu’il pardonne, il arrangera ton affaire (Maupassant, Vains conseils). Soit qu’il avoue ou qu’il nie, je le crois coupable. Soit qu’il pleuve ou qu’il fasse beau, il sort toujours se promener vers sept heures du soir. „Soit qu’il ne comprenne pas ou qu’il ne veuille pas comprendre...” (le Lexis). „Soit qu’elle ne comprît pas ou qu’elle ne voulût pas comprendre...” (Th. Gautier; Grev.).

Que ... ou que

Ex.: Qu’il pleuve ou qu’il fasse beau, nous sortirons en ville cet après midi. „Désormais, que je veille ou que je dorme, que j’écrive ou que je fasse la cuisine, mon temps est sous-tendu par un tic-tac machinal, objectif, irréfutable, exact, contrôlable” (Tournier, Vendredi). Qu’il parte ou qu’il reste, il aura du mal à se tirer de cette situation (Z.). „Nos parents nous ont défendu d’ouvrir la porte, qu’on nous prie ou qu’on nous menace” (M. Aymé, Les Contes du Chat perché; Grev.).

Que ... que

Ex.: Qu’il vienne, qu’il ne vienne pas, peu m’importe (Z.).

La structure que + un verbe au subjonctif.... ou + participe passé

Ex.: „Mais, au-dessus des soucis et des divergences, l’unité morale des Français Libres, qu’ils se fussent engagés à Londres ou ralliés en Afrique, se révélait instantanément” (De Gaulle, L’Appel).

Propositions à verbe fini exprimant l’hypothèse (la condition ou la supposition)

sans qu’elles soient introduites par un subordonnant

Dans ce cas, la conditionnante et la conditionnée (la donnée d’hypothèse et la conclusion; l’antécédent et le conséquent hypothé-tiques) peuvent être juxtaposées ou bien elles peuvent être coordonnées.

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Ce système contient en tant que donnée d’hypothèse (ou conditionnante) une proposition ayant le verbe à:

10 L’Indicatif a) forme affirmative Ex.: „Il n’existe en réalité, pour rompre avec une maîtresse,

qu’un bon procédé: c’est le plongeon.... Elle vous écrit, on ne répond pas; elle vient vous voir, on a déménagé” (Maupassant, Vains conseils). „Un nuage passe, il ne voit pas; une pluie tombe, il ne la sent pas” (V. Hugo; Rouge.). Vous ferez tous les efforts que vous voudrez, vous n’arriverez pas à votre but (F.B.).

b) forme interrogative (la donnée d’hypothèse présente sous cette forme l’inversion du sujet pronominal ou une „inversion complexe”; cette proposition interrogative se caractérise par „une mélodie sus-pensive”, selon Wagner et Pinchon73)

Ex.: „La vie quotidienne était limpide, nous fréquentions des personnes rassises qui parlaient haut et clair, fondaient leurs certitudes sur de sains principes, sur la Sagesse des Nations et ne daignaient se distinguer du commun que par un certain maniérisme de l’âme auquel j’étais parfaitement habitué. À peine émis, leurs avis me convainquaient par une évidence cristalline et simplette; voulaient-elles justifier leurs conduites, elles fournissaient des raisons si ennuyeuses qu’elles ne pouvaient manquer d’être vraies” (Sartre, Les Mots). Commençait-il à parler, nous nous bouchions les oreilles (Z.). „Remportait-il quelque avantage? À l’entendre ce n’était pas qu’il fût habile, mais l’ennemi s’était trompé. Rendait-il compte d’une bataille? Il n’oubliait rien, sinon que c’était lui qui l’avait gagnée. Revenait-il de ces heureuses victoires qui rendront son nom immortel? Il fuyait les acclamations populaires, il rougissait de ses victoires” (Fléchier, Oraison funèbre de Turenne). „Restait-on dehors, on fondait au soleil” (A. Daudet, Port-Tarascon; Grev. et Sandf.). „S’élançait-il contre la porte tournante d’un café, il le faisait, le plus souvent, avec un élan sans réserve” (Duhamel; Grev.). „Reparaissait-il à la maison, mon père le grondait” (Jouhandeau; H.B.). „L’interrogez-vous sur la vie politique dans son pays? Il se réfugie dans les généralités de peur de devoir porter un jugement défavorable” (Mitt.). ________________

73 L. Wagner, J. Pinchon, Grammaire du français classique et moderne, Paris, Hachette, 1962, p. 162.

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Remarque. L’inversion du sujet peut être „complexe”. Ex.: „Une porte s’ouvrait-elle brusquement? La mère regardait

avec une flamme dans les yeux” (H. Bazin, Vipère au poing). „La santé du petit garçon donnait-elle des inquiétudes, il rassurait ses parents mieux que n’eût fait un médecin” (Barrès, Colline inspirée).

2. Conditionnel 74

On peut marquer l’hypothèse en n’employant pas de conjonction de subordination et en mettant le verbe de la conditionnante et de la conditionnée au conditionnel.

Ex.: „Je l’aurais vue davantage, je lui aurais inventé des plaisirs” (S. de Beauvoir, Une mort très douce). „Françoise, vous seriez venue cinq minutes plus tôt, vous auriez vu passer Mme Imbert qui tenait des asperges, deux grosses comme celle de la mère Callot; tâchez donc de savoir par sa bonne où elle les a eues” (Proust, Du côté de chez Swann). Il prendrait la parole, nous nous en irions (Z.). „Un médecin serait venu nous prédire une amélioration, nous l’aurions traité d’idiot” (F. de Curel; F.B.). „Les Provinciales seraient sérieuses, plus personne ne les lirait” (A. Gide; Wag.). Tu reculerais, il avancerait (G.M.). On aurait mille vies, on n’y suffirait pas (Mitt.). Vous me l’auriez dit avant, je vous aurais gardé une place (Hatier).

Remarque. 1. Le rapport logique entre les propositions peut être rendu plus évident par l’emploi d’un que placé en tête de la deuxième proposition. Ce que est un simple instrument de liaison et non pas une conjonction de subordination.

Ex.: „Ce diable d’homme, dit-il plus tard, il donnerait de la drèche pour de l’orge, qu’on lui dirait encore merci” (Bernanos, Histoire de Mouchette). Il viendrait me voir que je ne lui parlerais pas. Vous me le diriez que je ne le croirais pas. Les autres sommets s’écrouleraient que les assises massives de ce mur de roc ne remue-raient pas (Taine; Rouge.).

2. Selon J. Hanse, dans la proposition conditionnante (celle qui exprime l’hypothèse ou la condition) „on a le choix entre la construction directe et l’inversion du pronom personnel ou de on”. ________________

74 Certains grammairiens considèrent que le conditionnel est un temps de l’indicatif (v. Hervé Béchade, Syntaxe, Paris, P.U.F., 1991; M. Arrivé et alii, Le français d’aujourd’hui, Paris, Flammarion, 1986).

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Exemples de phrases où l’on a pratiqué l’inversion: Arriverait-il, je n’en serais pas étonné. Arriverait-il que je n’en serais pas étonné (H.). „Aurait-on la baguette des fées, il faudrait trembler avant de tou-cher à ces choses complexes” (Renan, Questions contemporaines; L.B.).

3. Dans la conditionnée (ou la conclusion), ou peut trouver le plus-que-parfait du subjonctif („le conditionnel passé deuxième forme”).

Ex.: Il aurait voulu atteindre le sommet qu’il n’en eût pas eu la force. „Durtal aurait reçu un coup de maillet sur la tête qu’il n’eût pas été mieux assommé” (Huysmans, En route; F.B.).

3. Impératif Ex.: „Soyez complaisant à vous-même, les autres complaisants

vous aimeront; déchirez votre voisin, les autres voisins riront” (Sartre, Les Mots). Dis-moi qui tu hantes (= qui tu fréquentes), et je te dirai qui tu es75. Partez, je resterai. Oignez vilain, il vous poindra; poignez vilain, il vous oindra (= si vous caressez un rustre, il vous rebutera; rebutez-le, il vous caressera). Soyez gentil pour lui, il devient hargneux. „Haranguez de méchants soldats, / Ils promettront de faire rage” (La. F. IX, 8). Empêchez les vices de naître, vous aurez assez fait pour la vertu (Rouge.). Pleurez, priez, trépignez, vous ne me ferez pas changer de décision (Mitt.). „Fouillez la vie intime de ceux qui méritent véritablement le nom d’artistes, vous les trouverez tous hommes de bien, tous religieux” (A. Dumas, Aff. Clém; F.B.).

4. Subjonctif (avec que) a) subjonctif présent (avec ou sans coordination) Ex: Qu’on dise oui, il dit non (Cy). Qu’il s’en aille, nous

resterons (Z.). Qu’un homme veuille tromper tout le monde, il ne trompera personne (L.B.). Que le temps vienne à se gâter, la moisson est compromise. Qu’il vienne et je lui parlerai. Qu’il se fasse attendre encore un quart d’heure et je m’en vais. „Que je l’évoque (= mon ancien maître), et j’entrevois tantôt un tribun populaire, tantôt une statue de fleuve” (G. Duhamel, Notaire du Havre; L.B.). Que le beau temps vienne, et nous partirons pour Nice. „Que Frantz revienne, qu’il retrouve ses amis et sa fiancée; que la noce interrompue se fasse et peut-être tout reviendra-t-il comme c’était autrefois” (Alain-Fournier, Le Grand Meaulnes). „Que décembre vienne seulement, que les frimas ________________

75 On lie souvent la conditionnante à l’autre proposition par et.

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nous couvrent, l’ellébore vous montrera ce qu’elle sait faire” (Collete, Ellébore). Que quelqu’un me donne un jour ma chance, et j’irai loin.

b) imparfait du subjonctif 76 Ex.: Que son ami le trahît et qu’il vînt à l’apprendre, qu’arriverait-il?

Qu’il s’en allât, nous resterions (Z.). „Qu’un spectacle pût imposer le silence à ce bavard, c’était bien celui des flots pourpres et indigo couverts à l’infini d’argonautes” (Sandf.).

c) plus-que-parfait du subjonctif Ex.: „Que la France, entre les deux guerres eût eu à sa tête un

État capable, que devant l’ambition d’Hitler elle se fût trouvée gouvernée, que son armée, face à l’ennemi, eût été pourvue et commandée, quel destin était le nôtre!” (De Gaulle, L’Unité).

Subjonctif (sans que) a) subjonctif présent Ex.: Des flatteurs l’entourent; vienne une disgrâce, il sera seul

(Acad.). Vienne un orage et le vieux pont sera détruit par la crue des eaux. Vienne encore un séisme et je me demande comment ces bâtiments résisteront. „Arrive le soir, l’eau est violette” (Lavedan, Les beaux dimanches; Sandf.). „Paraisse un génie surprenant ... tel ce grand Einstein....et voilà tous ces hommes de lettres qui versent un filet de relativité dans leur fricot” (Duhamel, Querelle; Sandf.).

b) subjonctif imparfait Ex.: Dussé-je m’en repentir, je refuserais. Fût-il millionnaire, il

ne donnerait rien. „Dormît-elle au jardin, s’occupât-elle gravement à la cuisine, l’air chanté par mon frère ramenait la Toutouque (la chienne) à ses pieds” (Colette; Rouge). „Fussiez-vous rois, que le pauvre vous soit sacré!” (Hugo, Burgraves; F.B.). „Eh bien! dussé-je me jeter par la fenêtre cinq minutes après, j’aimais encore mieux cela. Ce que je voulais maintenant c’était maman, c’était lui dire bonsoir” (M. Proust, Du côté de chez Swann). „Ursule et Ida ne se comprenaient plus; survît la moindre crise, peut-être même deviendraient-elles ennemies” (E. Estaunié, Mme Clapin; Grev.).

c) plus-que-parfait du subjonctif (ou conditionnel passé „deuxième forme”) dans la conditionnante (ou la donnée l’hypothèse).

1. On peut pratiquer l’inversion du sujet lorsque ce dernier est un pronom personnel. ________________

76 Cette forme implique l’ellipse de à supposer que.

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Ex.: Eussent-elles été, d’avance, réunies, ces unités mécaniques, en dépit de leurs déficiences auraient pu porter à l’envahisseur des coups redoutables” (De Gaulle, L’Appel). „De toute façon, la garde mobile et la gendarmerie eussent-elles été complètes et sûres d’elles-mêmes, n’auraient pu faire face à tout” (De Gaulle, Le Salut). Eût-il protesté, cela n’aurait servi à rien. „M’eût-il laissé du bien, mon enfance eût été changée” (Sartre, Les Mots). „J’ai tout perdu. Eussé-je gagné? Personne ne m’aurait rien reproché” (Apollinaire, Le Poète assassiné).

2. La conditionnante (la donnée d’hypothèse) et la conditionnée (la conclusion, l’apodose) peuvent être reliées par que (simple ligature).

Ex.: Eût-il voulu poser d’autres questions qu’il n’en aurait pas eu le temps. Eût-il été en disposition de se réjouir de cette faveur du sort qu’il n’en aurait guère eu les moyens.

3. Si le sujet est un nom, on ne fait pas l’inversion: Ex.: „Mon géniteur eût décidé de mon avenir: polytechnicien de

naissance, j’eusse été rassuré pour toujours” (Sartre, Les Mots).

Autres moyens d’exprimer l’hypothèse

On peut encore exprimer l’hypothèse par: 1. Des propositions (données d’hypothèse) irrégulières ou in-

complètes. a) la proposition hypothétique est réduite à un groupe nominal

(dans la structure de surface): Ex.: Un pas de plus, il tombait dans l’abîme (= s’il avait fait un

pas de plus). Interdit, il posa la lampe sur la table et voulut se ruer contre la porte pour l’enfoncer. Mais une voix l’arrêta: „Un pas et77 vous êtes mort, matelot!” (Apollinaire, Le Matelot d’Amsterdam). „Un geste un peu douteux et ils recevaient une balle dans la tête” (P. Mille; Grev.). „Chaque femme comme chaque homme a son idéal; on meurt quelquefois en le cherchant; un an de vie de plus, on l’aurait trouvé” (Th. Gautier; F.B.). Un coup de volant trop brutal, et1 nous allions dans le fossé (Mitt.). Quelques efforts de plus, on les aurait retrouvés (Mitt.). „Une seconde encore, et1 la barricade était prise” (V. Hugo, Misérables). Une nouvelle panne de moteur, et l’avion tomberait dans l’océan. Dix minutes de plus et le tremblement de terre les surprenait dans les galeries de la mine. „Une heure plus tard et Blûcher n’aurait ________________

77 La proposition (la donnée) hypothétique incomplète peut être coordonnée par et au conséquent (à la conclusion).

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plus trouvé Wellington debout; la bataille était perdue” (Hugo, Misérables; Rouge).

b) la proposition hypothétique (la conditionnante, la donnée d’hypothese est exprimée par un adjectif ayant la fonction syntaxique d’attribut, un verbe-copule étant sous-entendu.

Ex.: Hereuse, cette femme aurait été plus agréable. „Je t’aimais inconstant, qu’aurais-je fait fidèle?” (Racine, Andromaque; = si tu avais été fidèle).

„Plus semblable au reste des hommes, j’aurais été plus heureux” (Chateaubriand; Rouge).

c) la proposition hypothétique (la donnée d’hypothèse) peut être réduite à un adverbe ou à une locution adverbiale.

L’adverbe autrement

Ex.: Venez de bonne heure; autrement vous n’auriez pas de places (= si vous ne venez pas de bonne heure). Partez immédiatement, autrement vous allez manquer le train. Ralentissez, autrement vous ne pourriez pas prendre ce tournant qui est dangereux. „Il pria le cheval de l’aider quelque peu: Autrement il mourrait…” (La F. VI, 16). „Choisis mon fils, et l’épouse sur l’heure; autrement, si leur sort demeure encore douteux, je jure, à mon retour qu’ils périront tous deux” (Corneille, Héraclius, V, 4). „Il n’y avait qu’une âme au XVIIe siècle pour faire La Princesse de Clèves: autrement il en serait sorti des quantités” (Sainte-Beuve, Nouv. Lundis; L.B.). „Il n’ y a pas que ça dans la vie, autrement elle ne vaudrait pas la peine d’être vécue” (Donnay, La Patr. II, 2; P.R.).

La locution adverbiale pour un peu (= il suffirait, il aurait suffi de peu de chose pour que …). Cette locution adverbiale, apparue au XXe siècle s’emploie avec un verbe au conditionnel ou au plus-que-parfait du subjonctif (conditionnel passé deuxième forme). Après pour un peu, on peut trouver l’imparfait au lieu du conditionnel passé.

Ex.: „Pour un peu, son accent l’eût trompée elle-même et, tandis qu’elle jetait au marquis ce mot d’amant, elle croisa les deux bras sur les seins, d’un geste à la fois naïf et pervers, comme si ces deux syllabes magiques l’eussent dépouillée, montrée nue” (Bernanos, Histoire de Mouchette). „Dans ce pays qui est libre, il est rigoureusement interdit de puiser dans la mer un verre d’eau, de cultiver dix pieds de tabac, et pour un peu, il serait dangereux d’allumer un cigare au soleil avec une loupe” (Valéry, Regards). Pour un peu, il m’aurait écrasé ou il

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m’écrasait (H). „Pour un peu, il eût dit à cette dame trop fardée des choses désagréables” (Romains, Hommes de bonne volonté, P.R.).

2. L’ellipse de la conditionnante (de la donnée d’hypothèse) La conditionnante peut quelquefois ne pas être exprimée, sans

que cela nuise à la clarté de l’expression. Ex.: „Croyez-vous, dit-il, que je doive dès demain rendre visite à

M. le maire? Cela serait convenable peut-être? ((= si je rendais visite à M. le maire …). Bernanos, Un crime)). „Il m’a semblé … qu’on ouvrait la porte du jardin. – Impossible. Le chien aurait aboyé” (= si on avait ouvert la porte) Mérimée, Colomba; L.B.)).

3. Une proposition relative („de circonstance”)78. Le relatif (le suppositif) qui introduit la proposition équivaut à si

on, si l’on, si quelqu’un. Ex.: Quelqu’un qui t’entendrait te prendrait pour un ignorant.

Une bicyclette qui est bien calée ne tombera pas (Galichet). „Un con-tremaître de M. Pascal qui annonçait: „On me demande chez Quesnay”, était augmenté à la fin du mois” (A. Maurois, Roug.). Un Parisien qui viendrait vivre à la campagne aurait bien des surprises. Un élève qui s’astreindrait à ce travail sera reçu (Grev.). Quelqu’un qui serait revenu dans son village après vingt ans ne l’aurait pas reconnu (G.M.).

Remarque. I. Qui sans antécédent exprimé peut introduire une proposition hypothétique au conditionnel avec la valeur de si l’on, si quelqu’un; F. Brunot (La Pensée…, p. 883) parlant de cette construction précise: „Pour exprimer une hypothèse généralisée à sujet indéfini, la vieille langue utilisait volontiers les conjonctifs. Ce tour a vécu jusqu’au XVIIIe s.; il a été repris au XIXe: „Qui eût pu voir en ce moment la figure du malheureux collé aux barreaux vermoulus, eût cru voir une face de tigre” (Hugo, N.-D., II, 72); – Bonne Thérèse, qui ne vous bénirait serait un ingrat (Sand, Elle et lui, II); – Ah! Qui pourrait ouvrir mon cœur, n’y trouverait / Qu’un tendre attachement à s’épan-cher tout prêt” (Augier, Aventurière, III, 5).

Ex.: Qui parle du loup, on en voit la queue (= Si quelqu’un). „Qui perd une femme et quinze sous, c’est dommage de l’argent” (Daudet, Tartarin sur les Alpes). „Qui enlèverait, qui toucherait seulement une pièce arrêterait toute la montre” (P. Bourget; Rouge). „Bah! Qui prévoirait tous les risques, le jeu perdrait tout intérêt!…” (Gide, Caves du Vatican; P.R. et Grev.). ________________

78 G. Cayrou, op.cit., p. 393 („La relative de circonstance à valeur de conjonctive peut, comme une conjonctive, exprimer … la condition”).

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Remarque. II. L’hypothèse peut être exprimée au moyen de l’expression comme qui dirait (= comme si l’on disait): „J’en ai le pressentiment, j’en ai même comme qui dirait la certitude!” (Bataille, Sandf.). J’ai aperçu comme qui dirait un éclair (le Lexis). „Tu sais dans quelles conditions je suis venu ici: invité comme qui dirait à titre amical” (J. Romains, Province; L.B.).

Les circonstants hypothétiques ayant des verbes à un mode impersonnel (non personnel)

Circonstant hypothétique constitué par une construction infinitive79

Le circonstant hypothétique peut être introduit, en ce cas, par les prépositions à, de, sans, ou par les locutions prépositives à condition de, à moins de, sous peine de, etc.

La préposition à Ex.: „À l’habiter, Combray était un peu triste, comme ses

rues” (Proust, Du côté de chez Swann). „À prendre les choses sous ce nouveau jour, on n’aurait trouvé personne, dans tout le convoi, qui eût autant que moi le droit d’y occuper une place” (Sartre, Les Mots). „À l’entendre, il se sentait particulièrement empêché d’employer le mot „droit” sur lequel il n’était pas ferme, ni celui de „promesse” qui aurait impliqué qu’il réclamait son dû” (Camus, La Peste). „Enfin, à l’en croire, il faut que je recommence tout, au b, e, be comme un petit enfant” (Duhamel, Suzanne). À l’entendre, l’affaire serait sérieuse. À l’en-tendre, ses amis ne pouvaient croire qu’il venait de prendre sa retraite. „Je deviendrais suspect à parler davantage” (Corneille, Cinna, I, 4).

La préposition de Ex.: „Je remets à ton choix de parler ou te taire” (Corneille, le

Menteur, I, 6). „Je serai bien bête de me gêner, de me ronger l’âme comme je le fais depuis quelque temps” (Maupassant, Bel-Ami). Vous ferez une faute de ne pas accepter. „Nous gagnerions plus de nous laisser voir tels que nous sommes que d’essayer de paraître ce que nous ne sommes pas” (La Rochefoucauld, Maximes). ________________

79 La donnée d’hypothèse est contenue dans un infinitif (v. F. Brunot, La Pensée et la Langue, ed.cit.; et G. et R. Le Bidois, op.cit., p. 526).

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La préposition sans Ex.: „Sans même parler des paysannes, la majorité des femmes

qui travaillent ne s’évadent pas du monde féminin traditionnel” (S. de Beauvoir; H.B.).

Locutions prépositives À condition de, à la condition de

Ex.: Il réussira à condition de travailler. „Je quittai Lyon, convaincu que le gouvernement, à condition de gouverner, y surmonterait les obstacles…” (De Gaulle, Le Salut). Vous partirez en vacances, à con-dition de réussir à votre examen. Il a reçu la somme exigée à condition de signer le contrat demain. „Les plus rares vertus et les plus gracieux procédés n’ont de prix qu’à condition de se produire à un moment distinct et choisi” (Musset; F.B.). „Il s’avisa qu’en faisant sécher au soleil ces pages blanches, il pourrait les utiliser pour tenir son journal à condition de trouver un liquide pouvant tenir lieu d’encre” (Tournier, Vendredi). „Il devait s’occuper, jusque vers une heure du matin, à laver les bagnoles, à bricoler, somme toute. Ensuite, il était libre de s’asseoir sur un pliant, à condition, toutefois, d’arpenter toute la bâtisse au moins deux fois l’heure, de veiller à la porte et de répondre au téléphone si l’on venait à téléphoner” (Duhamel, Suzanne).

À moins de, à moins que de (français classique) Cette locution exprime une condition négative (si certaine condition

n’est pas remplie). Ex.: à moins d’être fou, il n’est pas possible de raisonner ainsi

(Acad.). On ne le contentera pas, à moins de tout lui accorder. Je ne pouvais lui parler plus nettement, à moins que de le quereller (Acad.). „Puisque les Anglais ne pouvaient distraire longtemps vers l’équateur des moyens navals importants, il n’y avait à envisager, pour me rendre maître de Dakar, qu’une opération directe. Or celle-ci, à moins de prendre le caractère d’une attaque en règle, devait forcément comporter quelque mélange de persuasion et d’intimidation” (De Gaulle, L’Appel). „Robinson eut un frisson de peur superstitieuse en songeant qu’il allait falloir côtoyer cette bête (= un bouc) insolite, à moins de faire demi-tour” (Tournier, Vendredi). „Dans ces conditions, monsieur le Président, à moins d’avoir le don d’ubiquité, Fernard Malifaux ne pouvait se trouver à la fois à cinquante kilomètres du lieu de l’accident et sur les

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lieux mêmes de l’accident?” (Exbrayat, Barthélémy et sa colère). „On lui dit que la fille … est de famille honnête; et qu’à moins que de l’épouser, on ne peut souffrir ses poursuites” (Molière, Scapin, I, 2; F.B.).

Sous peine de Cette locution a „une signification très proche de à moins de.

Mais le mot peine y introduit une nuance péjorative: le fait énoncé est présenté comme une conséquence fâcheuse qui, si elle se produisait, rendrait funeste l’action principale” (Zumthor, Syntaxe, p. 118).

Ex.: Vous ne pouvez, sous peine de le fatiguer beaucoup, lui rendre visite. „Il y a deux choses auxquelles les gens doivent s’habituer sous peine de trouver la vie insupportable: ce sont les injures du temps et les injustices des hommes” (Chamfort.). Parlez clairement sous peine de ne pas être compris (le Lexis). „Il fallait résoudre cette question, sous peine d’être un indifférent, ou un hypocrite” (R. Rolland, Jean-Christophe; P.R.). La montée devient impossible sous peine d’être pris dans une avalanche.

Sauf à 80

Cette locution, suivie d’un infinitif, peut marquer une supposition entraînant éventuellement un risque à courir. Elle signifie „sans exclure l’éventualité de”; „en acceptant l’obligation éventuelle de”; „au risque de”; „à condition toutefois de”; „même si”.

Ex.: „La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme: tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi” (Déclaration des Droits de l’Homme, 1789, art. 11). On peut considérer mon texte comme définitif, sauf à vérifier quelques points de détail (B.). „Je ressemble assez, de ce côté-là, à ces gens qui prennent le roman par la queue, et en lisent tout d’abord le dénouement, sauf à rétrograder ensuite jusqu’à la première page” (Gautier, Mlle de Maupin; P.R.). „Puisque Angélique aime réellement Valère, elle doit l’épouser malgré son défaut, et lui, il continuera de jouer, sauf à la rendre malheureuse” (Sainte-Beuve, Lundis) = au risque de la rendre malheureuse, même si la conséquence doit être qu’il la rendra malheureuse (F.B. et L.B.). ________________

80 „Sauf à, suivi d’un infinitif ne marque pas comme sauf, l’exception mais une supposition …” (G. et R. Le Bidois, op.cit. II, 1659).

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Quitte à Cette locution suivie d’un infinitif „ne diffère de sauf à que par

une nuance qu’elle doit à son sens propre (cf. le lat. quietus, tranquille); la supposition qu’elle exprime est d’ordinaire assez indifférente …” (M.M. Le Bidois, op. cit., II, p. 574). Cette locution prépositive a deux sens: 1) au risque de, au prix de; 2) par extension: en se réservant le droit de, en admettant la possibilité de …

Ex.: Il avouera quitte à être grondé (Acad.). Ils y sont allés, quitte à être mal accueillis, quitte à être blâmés (A.). Nous les dépasserons, quitte à nous essouffler. (A. Th.). Quitte à être querellés, nous le répéterons (H.). Nous déjeunerons à Moulins, quitte à nous arrêter plus tôt si le route est mauvaise (le Lexis).

Construction infinitive marquant l’alternative dans l’hypothèse La supposition alternative peut être exprimée par le tour soit

pour + l’infinitif … soit pour + l’infinitif … Dans cette construction, l’idée d’hypothèse est combinée avec l’idée d’intention.

Ex.: „Il était, d’ailleurs, à prévoir que les Allemands porteraient la lutte au-delà de la Méditerranée, soit pour y couvrir l’Europe, soit pour y conquérir un domaine, soit pour aider leurs associés italiens, éventuellement espagnols, à y agrandir le leur” (De Gaulle, L’Appel).

Les circonstants hypothétiques ayant dans leur structure un participe passé de forme simple

a) le participe a le même sujet que le verbe principal. Ex.: Mieux entraînés, nous aurions gagné la partie (Cy.). Alliés,

nous connaîtrions ensemble la prospérité. Favorisée du sort, cette femme aurait sans doute agi différemment. Bien administrée, cette région serait prospère.

b) le participe possède un sujet qui lui est propre (le participe constitue avec son sujet une proposition participiale).

Ex.: Vos projets contrariés, que ferez-vous? L’amitié supprimée, la vie serait sans agrément. (Cy.).

Les circonstants hypothétiques ayant dans leur structure un participe présent

a) le participe a le même sujet que le verbe principal. Ex.: Gagnant le gros lot, je ferais toute ma famille heureuse

(Cy.). „Cent choses tous les jours pourraient mieux aller, prenant un autre cours ” (Molière, Misanthrope).

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b) le participe possède un sujet qui lui est propre (participe absolu).

Ex.: La chance aidant, nous nous tirerons d’affaire. „Lorsqu’à la gare je m’enquis de la consigne, afin d’y déposer ma valise, l’employé me la prit; puis tirant de sa poche un billet depuis longtemps utilisé et graisseux, il le déchira en deux et m’en donna une moitié en m’invi-tant à la garder soigneusement. Il m’assura que, de son côté, il ferait de même pour l’autre moitié, et que, les deux fragments de billet coïncidant, je prouverais ainsi être le propriétaire du bagage quand il me plairait de rentrer en sa possession” (Apollinaire, Le Passant de Prague).

Les circonstants hypothétiques ayant dans leur structure un gérondif

Ex.: „En vendant ici jusqu’à la dernière barrique, il me restera de quoi ne pas crever de faim, une misère!” (Bernanos, Histoire de Mouchette). „En prenant un peu de recul, on pouvait, de la terrasse, apercevoir l’allée centrale du jardin” (Duhamel, Suzanne). En procé-dant avec plus de méthode et en faisant de nouveaux efforts, vous auriez réussi. „J’attire en me vengeant sa haine et sa colère, / J’attire ses mépris en ne me vengeant pas” (Corneille, le Cid). En marchant moins vite, vous auriez mieux vu le paysage. En prenant fait et cause pour ce personnage douteux, vous vous déconsidéreriez (Mitt.).

Les circonstants hypothétiques constitués par un groupe prépositionnel

Le circonstant hypothétique peut être introduit par les préposi-tions et les locutions prépositives suivantes:

A. Prépositions: Avec

Avec quelques millions de francs de plus, il aurait pu financer cette grande entreprise. Avec beaucoup de soins, il peut se rétablir vite. Avec eux, on serait sûr de vaincre. Avec un peu de chance, il gagnait la coupe. Avec des cordes plus résistantes, il aurait pu tenter l’escalade du piton rocheux.

Sans La préposition sans peut être employée dans un tour à valeur

hypothétique: „elle est apte à former une donnée d’hypothèse réduite” (G. et R. Le Bidois, II, p. 557). Selon F. Brunot „quand la donnée

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négative est contenue dans un complément, ce complément est le plus souvent construit avec sans” (La Pensée et la Langue, p. 878).

Ex.: „Confiance et désolation faisaient de mon âme un terrain de choix pour y semer le ciel: sans cette méprise, je serais moine” (Sartre, Les Mots). Sans ce défaut, il serait aimé de tous ses collègues. Sans l’amitié, on ne peut vivre en société. Sans argent, on ne peut partir pour Saint-Tropez. Sans la neige, nous serions arrivés depuis longtemps. Sans la crainte de paraître indiscret, je lui aurais bien posé cette question. „Nous serions les maîtres sans ces coquins de gens d’esprit…” (Voltaire, Corresp. XXIII).

Sauf Cette préposition peut marquer une exception hypothétique; elle

a le sens de „sans exclure l’éventualité de, excepté s’il y a, à moins que ne”.

Ex.: Il partira demain sauf empêchement (= à moins qu’un empêchement ne survienne). „Sauf texte contraire exigeant l’avis con-forme du Conseil d’État, l’avis formulé ne lie pas le gouvernement” (Capitant, Vocabulaire juridique). „La marchandise sortie du magasin du vendeur ou de l’expéditeur voyage, s’il n’y a convention contraire, aux risques et périls à qui elle appartient, sauf son recours contre le commissionnaire et le voiturier” (Code commercial, art. 100; P.R.).

B. Locutions prépositives: En cas de

Cette locution signifie „dans l’hypothèse de, supposons que …, etc…

Ex.: En cas d’incendie prévenez le directeur, employez les extincteurs et appelez les sapeurs-pompiers. En cas de pluie, je me réfugierais sous cet abri (G.M.). „Il lui conseilla de prendre dès à présent une forte somme, de la lui confier pour être jouée avec audace dans une partie quelconque. En cas de gain, ils fonderaient à eux deux une maison de banque” (Balzac, César Birotteau; F.B.). Je t’aiderai en cas de besoin, pourvu que tu me fasses payer de mes peines.

À charge de Cette locution signifie „à condition de”. Ex.: „Il y en avait qui l’admiraient d’avance à charge de

revanche. Ils considéraient celui qu’ils louaient comme un débiteur,

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auquel ils pouvaient, le moment venu, réclamer le remboursement de leur créance” (R. Rolland, Jean-Christophe; P.R.). Pourriez-vous me rendre ce service à charge de revanche?

À moins de

Cette locution exprime une condition négative. Ex.: „Tout est perdu, Madame, à moins d’un prompt remède”

(Corneille, Nicomède, V, 4). Il n’accepterait pas à moins d’une aug-mentation (P.R.). Je ne lui pardonnerais pas à moins d’une rétraction publique.

Faute de La locution prépositive faute de qui d’habitude marque la cause

est à même, elle aussi, de former une donnée d’hypothèse réduite. Ex.: „Faute de cette petite somme, je n’aurais pas émigré: que

serais-je devenu? Toute ma vie était changée” (Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe; L.B.).

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LES CIRCONSTANTS EXCEPTIFS

Les circonstants exceptifs constitués par une proposition à verbe fini

L’exception peut être exprimée au moyen d’une proposition introduite par les locutions conjonctives excepté que, sauf que, hors que, hormis que, etc.

Excepté que 81

Cette locution „marque l’idée que l’un des faits indiqués manque à la plénitude de l’autre; une circonstance particulière est introduite et ajoutée à la principale pour en restreindre la portée”. (P. Zumthor, op. cit.). Elle se construisait au XVIIe siècle avec le subjonctif: „Je compte … que vous viendrez dans l’appartement de ma maison que je vous ai destiné, excepté que vous ayez pour vous seule une autre maison toute trouvée” (Sévigné, Lettres). Excepté que est suivi, en français contem-porain, de l’indicatif ou du conditionnel.

Cependant cette locution exige l’emploi du subjonctif si le verbe de la principale commande ce mode: „Je ne veux rien, excepté que tu m’avertisses” (Hanse).

Ex.: Nous avons eu beau temps, excepté qu’il a un peu plu vers midi (F.B.). „Neptune envoya aussitôt une divinité trompeuse, semblable aux Songes, excepté que les Songes ne trompent que pendant le som-meil” (Fénelon, Télémaque; H.D.T.). Ils se valent, excepté que l’un serait plus travailleur que l’autre. Ces deux paquets sont exactement semblables, excepté que celui-ci est plus lourd que l’autre (le Lexis). Ces deux maisons sont identiques, excepté que l’une est mieux située que l’autre (B.). Ils se ressemblent beaucoup, excepté que l’un est un peu plus grand que l’autre (Sandf.). ________________

81 Selon G. et R. Le Bidois cette locution fait partie des locutions exceptives hypothétiques (op.cit., p. 574).

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Sauf que 82 Cette locution est suivie de l’indicatif ou du conditionnel. Ex.: „Tarasa était un anarchiste de Barcelone. Je ne savais grand-

chose de lui sauf qu’il était vindicatif et cruel” (Cendrars, L’homme foudroyé). Tout se passa bien sauf qu’un moment, on s’égara (Littré). Il est bien remis de son accident sauf qu’il se fatigue rapidement à marcher (Acad.). Tout s’est bien passé sauf que le petit a été un peu effrayé (F.B.). „Des spectres de guerriers dont les âmes sont mortes, sauf qu’un éclair rapide illumine leurs yeux” (L. de Lisle, Poèmes tragiques; F.B.). Le voyage s’est bien passé, sauf que, à un moment, nous nous sommes trompés de route (le Lexis). „Sauf qu’il avait tellement grossi, il avait gardé bien des choses d’autrefois” (Proust, Du côté de chez Swann; P.R.). „Le haschisch, ou chanvre indien, cannabis indica, est une plante de la famille des urticées, en tout semblable, sauf qu’elle n’atteint pas la même hauteur, au chanvre de nos climats” (Baudelaire, Paradis artif.; P.R.). Tout s’est bien passé sauf que le train avait du retard (Hanse). „Cette histoire est rigoureusement vraie, sauf qu’elle ne s’est point, bien entendu, passée rue Guy-de-la-Brosse” (P. Mille, Barbe bleue et Madame; Sandf.).

Hors que 83 Cette locution signifie „excepté que”, „sauf que”, „si l’on exclut

le fait que”. Ex.: „Hors qu’un commandement exprès du roi ne vienne / De

trouver bons les vers dont on se met en peine, Je soutiendrai toujours, morbleu! qu’ils sont mauvais” (Molière, Mis., II, 6; H.D.T.). „Tout propriétaire veut l’ordre, la paix, la justice, hors qu’il ne soit pas fonctionnaire ou pense à le devenir”. (P.-L. Courier; Littré); „Hors que de mon château, démoli pierre à pierre, / On ne fasse ma tombe, on n’aura rien” (Hugo, Hernani; F.B.). „Il ignorait tout du monde de l’argent hors que s’y brassait d’obscures affaires” (A. de Chateaubriand; Sand.).

Hormis que 84 Cette locution signifie „sauf que”, „si l’on exclut le fait que”.

Elle est suivie de l’indicatif ou du conditionnel, selon le sens. ________________

82 Mêmes remarques que pour excepté que. Selon G. et R. Le Bidois cette locution fait partie des locutions exceptives hypothétiques (op.cit., p. 574).

83 Selon G. et R. Le Bidois cette locution fait partie des locutions exceptives hypothétiques (op.cit., p. 573).

84 Ibidem.

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Ex.: C’était un enfant très doué, hormis qu’il était étourdi (H.D.T.). Elle est bonne élève hormis qu’elle est un peu bavarde (B.). Il avait de grandes qualités hormis qu’il était violent (Q). „Il res-semblait à M. de Beaufort hormis qu’il parlait mieux français” (Mme de Sévigné). Hormis que le printemps arrive bientôt, je ne sais pas ce que nous allons faire (L.B.).

À part que Cette locution signifie „excepté que”, „sauf que”. Elle appartient

à la langue familière. Ex.: „Enfin comme disait le grand-père, amusé et séduit, à part

qu’elle volait trop et qu’elle manquait un peu de décence, elle était tout de même une drôle de fille, moins rosse qu’on aurait cru” (Zola, La terre; P.R.).

Les circonstants exceptifs constitués par une construction infinitive

Les circonstants exceptifs, dans ce cas, peuvent être introduits par les locutions excepté de, sauf de, hors de et par hormis suivi de l’infinitif.

Excepté de Ex.: On leur permet tout excepté de ne pas réussir.

Sauf de Ex.: „Voyez-vous, moi, je n’ai peur de rien, je pourrais tout

supporter, sauf d’être immobilisé, tenez, d’être malade, par exemple” (Adamov, La Parodie).

Hors de Ex.: Hors de le battre, il ne pouvait le traiter plus mal (Acad.).

„Hors de se trouver au Conseil, il n’avait aucune fonction” (Saint-Simon, Mém; P.R.).

Hormis + infinitif Ex.: „En cette extrémité que prétendez-vous faire?”/ „Tout, hormis

l’irriter, tout, hormis lui déplaire” (Corneille, Andromède; V, 1).

Les circonstants exceptifs constitués par un groupe prépositionnel

Le circonstant exceptif est introduit par les prépositions excepté, sauf, hors, hormis, etc.

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Excepté Cette préposition indique ce qu’on met à part, ce qu’on ne com-

prend pas dans un ensemble. Elle est invariable lorsqu’elle est placée devant ce qu’on excepte.

Ex.: „Tout le peuple, excepté les femmes et les enfants était appelé aux armes” (Fénelon; H.D.T.). Toutes ses filles sont mariées excepté la plus jeune. Excepté ses voisins de palier, il ne connaît personne dans l’immeuble (le Lexis). Excepté la Saône, les affluents du Rhône sont des torrents (B.). „Rien ne remuait, excepté les flammes” (V. Hugo, Quatrevingt-treize; Grev.).

Remarque. 1. Excepté placé après un nom ou un pronom est adjectif et s’accorde: „Tous les habitants, les femmes exceptées” (A. Thomas).

2. Quand le groupe formé d’un nom ou d’un pronom qui précède excepté contient une préposition, on la répète après excepté: Je suis content de tous, excepté de vous. Il a donné des étrennes à tous ses employés, excepté au concierge.

Sauf La préposition sauf signifie „à l’exclusion de, à l’exception de,

excepté”. Ex.: „La maison est toute en bois, sauf un soubassement de

meulière” (Tournier, Le petit Poucet). „Il retrouva dans la forêt la peau de chagrin racornie de sa bible. Toutes les pages avaient brûlé, sauf un fragment du premier livre des Rois” (Tournier, Vendredi). „Le timonier parle du lagon qu’il ne reverra plus, sauf le jour de sa mort” (Le Clézio, Le chercheur d’or). „À Londres même, sauf quelques exceptions, les Français notoires qui s’y trouvaient, soit en service, soit par occasion ne rejoignirent pas la France libre” (De Gaulle, L’Appel). Il lui a cédé tout son bien, sauf la maison qu’il habite (Q). Il a tous les exemplaires de cette revue, sauf trois numéros (le Lexis).

Hors Cette préposition est devenue archaïque et elle est peu employée.

Elle signifie „à l’exception de”, „excepté”. Ex.: „Tous les avions ennemis ont été abattus hors deux ou trois.

„Elle était épuisée, vidée de tout, hors sa volonté de tenir” (R. Gary, Les racines du ciel; H.). Hors lui et moi, personne n’a rien vu de ce qui s’est passé (B). „Tout sur la terre appartient aux princes, hors le vent” (V. Hugo, Lég. Rose de l’Infante; L.B.).

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Hormis Cette préposition indique ce qui est exclu d’une totalité, d’un

ensemble; elle est formé de hors (autre forme de fors avec changement irrégulier de f en h) et du participe passé mis; elle équivaut à excepté, sauf. Elle appartient à la langue littéraire.

Ex. „Hormis le salon, toutes les pièces sont pavées de carreaux de terre cuite” (H. Bazin, Le Lexis). „Hormis la couleur de la peau, ce pouvait être un visage de bretonne” (J. Romains, Pouvoirs; L.B.). „Bêtes mieux pourvues de tout que l’homme hormis la raison” (Racine, Livres annotés. Plutarque; H.D.T.). „…Une maîtresse idolâtrée aux yeux de qui les hommes ne sont rien, hormis un seul” (Balzac, Le message; P.R.).

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LA PHRASE DE COMPARAISON 85 La phrase de comparaison est basée sur un ensemble de struc-

tures syntaxiques permettant d’indiquer que deux faits, deux qualités ou deux quantités se trouvent dans un rapport:

a) soit d’égalité (égalité proprement dite, identité, conformité ou ressemblance)

b) soit d’inégalité ((inégalité proprement dite (supériorité, infé-riorité), préférence, différence))

c) soit de proportionnalité

Les rapports de comparaison Égalité

A. Égalité proprement dite Aussi … que, autant que, autant de … que, autant de … que de,

autant par … que par, tant que; les systèmes d’égalité autant … autant, autant de … autant de; tant … tant.

L’égalité exprimée au moyen de locutions prépositives: égal à, à l’égal de.

B. Identité Le même … que (la même … que); tel quel. C. Conformité (ressemblance) Comme; comme si; ainsi que; en tant que (= comme); de même

que; tout de même que; aussi bien que (= comme, de même que); de la même manière que; de la même façon que; selon que, tel que; le système de similitude tel … tel.

La conformité exprimée au moyen de prépositions et de locutions prépositives: a) prépositions: selon, suivant, sur, en; b) locutions ________________

85 Nous avons extrait la phrase comparative du domaine des circonstants étant donné qu’elle ne se rattache pas à ce domaine par son contenu sémantique et qu’elle possède un caractère systématique très poussé qui l’oppose aux circonstants constitués par des propositions à verbe fini.

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prépositives: d’après, à la façon de, à l’instar de, à la manière de, pareil à. La conformité exprimée au moyen de locutions adverbiales: conformément à, pareillement à.

Inégalité

A. Inégalité proprement dite Comparatifs d’inégalité: comparatifs de supériorité (adjectifs).

Davantage et plus. Davantage que. Autrement. Autrement plus. Com-paratifs synthétiques: mieux, pis. Comparatifs d’infériorité (adjectifs). Comparatifs d’infériorité (adverbes).

B. Préférence, appréciation Plutôt que … Autant que (préférentiel) C. Différence Autre que, tout autre que, un autre que, d’autres que; un autre +

nom + que; d’autres + nom (pl) + que; autrement que; tout autrement que.

D. Le superlatif relatif Adjectifs; l’article devant le superlatif relatif; l’accord de l’article

devant le superlatif relatif; le superlatif relatif formé du comparatif précédé: a) d’un adjectif possessif; b) d’un démonstratif; c) de la préposition de; le superlatif constitué par des plus + adjectif; le superlatif relatif exprimé au moyen du syntagme un des suivi d’un adjectif qualificatif; le tour négatif à valeur de superlatif: rien dans une construction négative, avec une comparaison; le superlatif relatif suivi d’une proposition relative au subjonctif; les superlatifs le meilleur, le moindre, le pire. Adverbes au superlatif: le mieux, le pis. Le superlatif relatif exprimé par la construction le plus + que + proposition.

Proportionnalité

Proportions croissantes directes: plus … plus, plus … et plus; mieux … plus. Variations proportionnelles décroissantes: plus … moins. Variations proportionnelles croissantes: moins … plus; moins … et plus. Locutions proportionnelles: d’autant plus que; d’autant moins que; d’autant mieux que, pour autant que; dans la mesure où; en tant que; autant que; suivant que, selon que, à mesure que, au fur et à mesure que, à proportion que.

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Autres moyens pour exprimer la comparaison: les constructions infinitives: Plutôt que + infinitif; préférer + infinif + plutôt que (de) +

infinitif; aimer mieux … plutôt que de + infinitif; aimer mieux + infinitif + que + (de) + infinitif; à tant faire que (de) + infinitif; comme suivi d’un infinitif introduit par une préposition; autant pour + infinitif … que pour + infinitif.

Égalité A. Égalité proprement dite. „Morphèmes” d’égalité

Aussi … que

Lorsqu’il marque la comparaison d’égalité, l’adverbe aussi est généralement suivi de que86. Quand il exprime la comparaison, aussi est placé devant un adjectif (ou un participe passé pris adjectivement ou un adjectif verbal ou une expression ayant la valeur d’un adjectif) ou un adverbe.

a. – Aussi … que peut marquer un rapport d’égalité portant sur un adjectif ou un participe pris adjectivement.

I. Le second terme de la comparaison n’est pas une proposition à verbe fini du moins dans la structure de surface.

Ex.: Il est aussi orgueilleux que son père. „Elle se tordait les mains, perdue dans ces paysages ténébreux qui lui étaient devenus brusquement aussi étrangers qu’une contrée d’Afrique” (Bernanos, Un crime). „Pour les gourmands à partir du moment où la foire touchait à sa fin les serveuses garnissaient la desserte le long du mur du fond avec des tartes aux pommes et aux prunes; certaines étaient aussi vastes que des roues de charrettes” (Lucette Desvignes, Les nœuds d’argile). „Ce loup rencontre un dogue aussi puissant que beau” (La F. I, 5).. „J’admire, Madame, comme le Ciel a pu former deux âmes aussi semblables que les nôtres” (Molière, Princesse d’Élide, IV, 1). „Je m’incline devant la compétence de monsieur Rumelles, et suis aussi sensible que quiconque à la force de son argumentation” (Martin du Gard, Les Thibault). „Nous allâmes nous asseoir sur des bancs scellés au sol, au bord de tables de marbre aussi longues que des trottoirs” (M. Pagnol; Gal.). ________________

86 Le second terme de la comparaison est introduit par que en corrélation avec aussi qui se trouve dans le premier terme.

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Remarques. 1. Que, de la locution aussi … que et le second terme de la comparaison peuvent être sous-entendus.

Ex.: „Je n’ai jamais rien vu d’aussi joli (que cela). Avez-vous jamais entendu parler d’une aventure aussi étrange? Comme un homme aussi intelligent (qu’il est) a pu commettre une pareille erreur ? Il est toujours aussi prudent (= que d’habitude).

2. Le premier terme de la comparaison (avec le verbe principal) peut manquer dans certains cas (il est sous-entendu).

Ex.: „Sa terreur n’avait même plus d’objet: elle l’attachait sim-plement au pas de ce prêtre inconnu qu’elle eût désormais suivi n’importe où, aussi désarmée qu’un enfant” (Bernanos, Un crime). „Jean, aussi blond que son frère était noir, aussi calme que son frère était emporté, aussi doux que son frère était rancunier, faisait tranquillement son droit” (Maupassant, Pierre et Jean).

3. L’adverbe aussi peut s’appliquer à la fois à deux adjectifs. Ex.: „Le torrent est rendu à son cours et se remet à fuir, aussi

rapide et bondissant qu’un chevreuil” (J. de Pesquidoux, Le livre de raison).

II. Le second terme de la comparaison est une proposition à verbe fini.

Ex.: „Ce n’est pas un métier aussi grossier qu’on le suppose” (Adamov, La Parodie). Il est aussi attentif que vous êtes distrait (H.). „Il a été aussi amical et aussi ouvert avec moi que le permet son caractère froid” (Stendhal, Journal; P.R.). „Et Charles lui semblait aussi détaché de sa vie, aussi absent pour toujours, aussi anéanti que s’il allait mourir et qu’il eût agonisé sous ses yeux” (Flaubert, Mme Bovary; P.R.). La méthode employée par ce médecin est aussi ingénieuse que ses résultats sont intéressants.

b. – Aussi … que peut marquer un rapport d’égalité portant sur un adverbe.

I. Le second terme de la comparaison n’est pas une proposition à verbe fini du moins dans la structure de surface.

Ex.: Il s’est conduit aussi mal que la dernière fois. „Je marche aussi vite que possible sur le sommet du mur” (Tournier, Amandine). Je le ferai aussi soigneusement que possible (H.). Les paroles vont aussi vite que le vent. Ils ont travaillé aussi ardemment que vous. Il m’a répondu aussi tranquillement que la première fois.

Remarque. Le second terme de la comparaison peut être sous-entendu.

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Ex.: Il travaille toujours aussi bien (= qu’autrefois). II. Le second terme de la comparaison est une proposition à

verbe fini. Ex.: „L’averse cessa aussi soudainement qu’elle avait

commencé” (Tournier, Vendredi). „Je vous attendrai aussi longtemps qu’il faudra” (Adamov, La Parodie). „Elle descendit aussi vite qu’elle put, poussa les verrous” (Bernanos, Un crime). Il vous sera fidèle aussi longtemps que vous l’aimerez. „Et la tête disparut aussi soudainement qu’elle avait surgi” (Tournier, id.). Il vient aussi fréquemment qu’on peut l’espérer. „Il savait maintenant que l’homme est semblable à ces blessés au cours d’un tumulte ou d’une émeute qui demeurent debout aussi longtemps que la foule les soutient en les pressant, mais qui glissent à terre dès qu’elle se disperse” (Tournier, id.). En voiture, pour éviter le dérapage dans les virages, tournez le volant aussi doucement que vous freinez (Gal.).

Remarques générales. 1. Dans une proposition négative, la locution aussi … que peut être remplacée par si … que.

Ex.: Elle n’est pas si belle que Marie. Rien ne nous rend si grands qu’une grande douleur. Il n’est pas si habile que vous le dites (H.). Elle n’est pas si laide que tu l’avais dit. „On n’est jamais si aisément trompé que lorsqu’on songe à tromper les autres. On n’est jamais si bien servi que par soi-même. Personne ne vous a servi si utilement que moi. Il n’est pas si beau que votre fils. „La vie, voyez-vous, ça n’est jamais si bon ni si mauvais qu’on croit” (G. de Maupassant; H.B.). „On dit qu’il n’y a rien de si rapide qu’un sentiment d’antipathie” (Musset, Confession; P.R.).

2. Dans une proposition interrogative aussi … que peut être remplacé par si … que.

Ex.: Hélène est-elle si belle que Louise? „Mais Rodrigue ira-t-il si loin que vous allez?” (Corneille, le Cid, 552). Avez-vous jamais rien vu de si merveilleux que ce paysage?

N.B. Cet emploi de si n’a rien d’obligatoire. On conserve aussi lorsqu’on tient à mettre l’accent sur le rapport comparatif.

Autant que Cette locution peut marquer un rapport d’égalité entre deux

termes; elle a alors le sens de „au même degré”, „au même titre”. I. Le second terme de la comparaison n’est pas une proposition

à verbe fini du moins dans la structure de surface.

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Ex.: Je suis pauvre autant qu’un pauvre moine. Ce rubis vaut autant que ce diamant. Je travaille autant que lui. Cette bouteille contient du vin autant que l’autre. La maison vaut autant que les terres. „La vie pour nous, ça ne doit pas être un but, c’est une proie. Et pas une seule, des milliers et des millliers de proies, autant que d’heures” (Bernanos, Monsieur Ouine). „Autant que la douleur, elle craignait les cauchemars” (S. de Beauvoir, Une mort très douce). „Il n’imagine pas qu’une femme forte puisse souffrir autant qu’une autre” (S. de Beauvoir, L’Invitée). Vous connaissez ses défauts autant que moi. „Leur aisance à s’exprimer en français surprenait André Lhéry autant que leur audace apeurée” (P. Loti, Désenchantements; P.R.).

II. Le second terme de la comparaison est une proposition à verbe fini.

Ex.: Je vous aime autant que Jacques vous a aimée. Il faut récompenser le mérite autant qu’on a puni la faute. Il le méprise autant qu’il l’estimait autrefois. „Il estime Rodrigue autant que vous l’aimez” (Corneille, le Cid).

Autant de … que

I. Le second terme de la comparaison n’est pas une proposition à verbe fini du moins dans la structure de surface.

Ex.: „Cette Félicité doit posséder autant de cœur qu’un pyton centenaire” (Exbrayat, Félicité…). „Le mal qui est dans le monde vient presque toujours de l’ignorance, et la bonne volonté peut faire autant de dégâts que la méchanceté” (Camus, La Peste).

II. Le second terme de la comparaison est une proposition à verbe fini.

Ex.: „Et se croyant irrésistibles comme le dieu Mars, ils s’at-tachèrent à trouver dans les Françaises autant de Venus qu’il leur fut possible” (Apollinaire, Les Femmes blanches des Hohenzollern). Si vous avez autant d’amitié pour Henri que vous le dites, il faut le retrouver (= une comparative incluse dans un système hypothétique). „Que me voulais-tu cette nuit?” demanda l’abbé Donissan, avec autant de calme que s’il se fût adressé à quelqu’un de ses familiers” (Bernanos, La tentation du désespoir). „Il emballa des livres pieux avec autant d’indifférence que s’il eût expédié de la quincaillerie à des négres” (Flaubert, Bovary; L.B.). „J’ai rapporté les faits avec autant d’exactitude que ma mémoire le permettait” (Sartre, Les Mots).

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Autant de … que (de) Cette locution peut encadrer un nom au singulier ou au pluriel.

Elle marque l’égalité de deux termes. 1. Le second terme de la comparaison n’est pas une proposition

à verbe fini. Ex.: Il est né autant de garçons que de filles. Le fermier possède

autant de brebis que de chèvres. Il y a autant de paresse que de faiblesse à se laisser gouverner. Il a produit autant d’avoine que de blé. Il a autant de courage que de ruse. Dans ce verre, il y a autant d’eau que de vin. „Les yeux soudain bien ouverts pour la circonstance, le chat lécha la paume de Marrain avec autant de gourmandise que de tendresse” (Lucette Desvignes, Les nœuds d’argile). „Il y a eu dans le monde autant de pestes que de guerres” (Camus, La Peste). „Dans un grand plat, il y a des sardines, et elles aiment beaucoup cela, elles sont pauvres, vous comprenez, pour elles, des sardines c’est une fête! Et justement, il y a dans le plat autant de sardines que d’orphelines, douze sardines” (Le Clézio, Le chercheur d’or).

III. Le second terme de la comparaison est constitué par une proprosition à verbe fini.

Ex.: „Nos yeux, nos oreilles, notre odorat, notre goût différents créent autant de vérités qu’il y a d’hommes sur la terre” (Maupassant, Le Roman). „J’ai vu mourir presque autant de lois scientifiques que Poincaré a promené de discours sur des tombes de soldats inconnus” (L. Daudet, Paris vécu; Sandf.). „Le vieil Ennius disait déjà qu’il avait autant d’âmes qu’il avait appris de parlers” (Thérive, Le français).

La structure autant par … que par Au moyen de cette structure on compare les causes. Ex.: „Autant par délectation du mal, certes, que par un jeu

dangereux, elle avait fait d’un ridicule fantoche une bête venimeuse, connue d’elle seule, couvée par elle …” (Bernanos, Histoire de Mouchette).

Tant que (en phrase affirmative) Tant que au lieu de autant que s’emploie très peu en phrase

affirmative et surtout dans quelques expressions figées. Ex.: Ils ont mangé et bu tant qu’ils ont voulu (B.). „De la

bienveillance en parole et de l’amitié tant qu’il vous plaira, mais de l’argent, point d’affaires” (Molière, Avare II, 4; H.D.T.). „Que celui-là

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rature et barbouille à son aise; / Il peut, tant qu’il voudra, rimer à tour de bras, / Ravauder l’oripeau qu’on appelle antithèse” (Musset, Poèsies nouvelles; P.R.). „Le lendemain, Jacques se leva de grand matin, mit la tête à la fenêtre pour voir quel temps il faisait, vit qu’il faisait un temps détestable, se recoucha, et nous laissa dormir, son maître et moi, tant qu’il nous plut” (Diderot, Jacques le fataliste). „Il était myope tant qu’il pouvait, avec ça porteur d’énormes lunettes fumées” (Céline, Voyage au bout de la nuit; P.R.). „Le travail qui restait à Marrain pour occuper sa journée comme il l’avait dit au chat, il y en avait tant qu’il ne savait pas par quel bout le prendre” (Lucette Desvignes, Les nœuds d’argile)87.

Remarque. Tous tant que + le verbe être au pluriel signifie „tous autant qu’il y en ait, en n’oubliant personne”.

Ex.: „Tous tant que nous sommes, nous n’avons à nous que la minute présente; celle qui la suit est à Dieu; il y a toujours deux chances pour ne pas retrouver l’ami que l’on quitte: notre mort ou la sienne” (Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe; P.R.).

Le système d’égalité autant … autant Autant répété indique des grandeurs du même degré; ce système

met en corrélation deux faits, en marquant l’égalité de degré, de nombre ou de quantité.

Ex.: Autant il a de vivacité, autant vous avez de nonchalance (Acad.). „Autant la technique du théâtre au XVIIe siècle imposait à l’auteur l’unité de lieu, autant la technique de l’écran enseigne au XXe siècle la simultanéité et l’ubiquité” (A. Maurois, R. Rolland; P.R.). Autant il l’estimait jadis, autant il le méprise aujourd’hui. Autant vous l’aimez, autant il vous hait. „Autant j’avais été un enfant malheureux et rêveur, autant je devins résolu (Alain-Fournier, Le grand Meaulnes). Autant il exigera, autant je paierai. Autant Jean était sincère, honnête et d’une moralité indiscutable, autant il était peu probable que Victor eût même une idée de ce qui était juste ou non. „Autant je me sens expansif, fluide, abondant et débordant dans les douleurs fictives, autant les vraies restent dans mon cœur âcres et dures„ (Flaubert, Corresp.).

Remarque. La construction autant … autant a remplacé l’ancienne tournure autant que … autant. ________________

87 Dans ces exemples, le second terme de la comparaison est constitué par des propositions à verbe fini.

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Ex.: Autant que de David la race est respectée /, Autant de Jésabel la fille est détestée” (Racine, Athalie, I, 2). „Autant que ses armées navales (= de la Hollande) étaient disciplinées, autant ses troupes de terre étaient mal tenues et méprisables” (Voltaire, Siècle de Louis XIV; P.R.).

Autant de … autant de

Ex.: Autant de têtes, autant d’avis (Quot capita, tot sensus. Quot homines, tot sententiae: autant d’hommes, autant d’avis; Cicéron, Fin. 1, 15). „Et un bon ange apparut visiblement, qui donnait des ordres au mauvais ange qui portait un épieu de chasse et lui ordonnait de frapper les maisons; et autant de fois qu’une maison recevait de coups, autant y avait-il de morts qui en sortaient” (Camus, La Peste).

Remarque. Les expressions de ce type sont appelées inversées (au lieu de dire „il y a autant d’avis que de têtes”, on dit „autant d’avis”).

Le système d’égalité tant … tant

Cette construction est employée dans les sentences et lorsqu’on veut parler sentencieusement.

Ex.: Tant vaut l’un, tant vaut l’autre. Tant vaut l’homme, tant vaut la terre. „Salvan le disait avec justesse; tant valait l’instituteur primaire, tant vaudrait l’enseignement” (Zola, Vérité; Sandf.). „Tant nous leur prêtons aux personnages authentiques, tant vaut l’œuvre” (Valery, Variété, I; P.R.).

L’égalité peut s’exprimer au moyen de locutions prépositives.

Égal à Ex.: Il était resté égal à lui-même. La somme des angles d’un

triangle est égale à deux droits. Deux quantités égales à une même troisième sont égales entre elles. Dans cette grande unité, le nombre des bombardiers est égal au nombre des avions de chasse.

À l’égal de Ex.: „Ô vous, Iris, qui savez tout charmer, / Qui savez plaire en

un degré suprême, / Vous que l‘on aime à l’égal de soi même” (La F. XII, 15). „…. Le beau préambule au Service Intérieur que j’admirais à l’égal de certains morceaux de Bossuet: „La discipline faisant la force principale des armées, il importe que tout supérieur obtienne de ses

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subordonnés une obéissance entière et une soumission de tous les instants” (Maurois, Discours Dr. O’Grady; P.R.).

B. Identité Comparatifs de l’identité (ou de la similitude)

En logique, par le principe d’identité, on exprime que toute chose est elle-même. Ce principe indique le fait pour une certaine chose (ou pour un certain être), d’être telle ou telle et non pas autre.

Le même … que (la même … que) Cette locution indique l’identité réelle ou supposée de deux

termes qui sont comparés. I. Le second terme de la comparaison n’est pas une proposition

du moins dans la structure de surface. Ex.: J’ai acheté la même plante que lui au marché aux fleurs. J’ai

fait le même travail qu’elle. Cette ville a le même nom que la nôtre. Il a la même taille que vous. Cette jeune fille porte la même robe que l’année dernière.

„Maman aimait la vie comme je l’aime et elle éprouvait devant la mort la même révolte que moi” (S. de Beauvoir, Une mort très douce). „Je sais que Laure aurait ressenti la même chose que moi en écoutant la prière des marins comoriens au coucher du soleil” (Le Clézio, Le chercheur d’or). „Il ne manque pas d’exemples de chiens obligés, presque malgré eux, d’abandonner un maître qui sombre dans le vice, la déchéance ou la folie, et on n’en connaît pas qui accepterait que leur maître mangeât dans la même écuelle qu’eux” (Tournier, Vendredi). „Il n’avait plus avec elle les mêmes manières que dans les premiers jours, il était moins rieur, moins brusque, moins camarade, mais plus respectueux et plus empressé (Maupassant, Mont-Oriol).

II. Le second terme de la comparaison est constitué par une proposition à verbe fini.

Ex.: „Les habitants de la Palestine gardèrent à Alexandre le Grand la même fidélité qu’ils avaient toujours gardée aux rois de Perse” (Bossuet; H.D.T.). C’est le même tableau que j’ai admiré chez un de mes amis88. Il emploie le même microscope électronique que vous avez utilisé il y a deux jours. ________________

88 Ces phrases sont le résultat de l’emploi d’une ellipse. La phrase complète serait „C’est le même tableau que celui que j’ai admiré chez un de mes amis”.

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Le même … qui Ex.: Il conduira le même type de voiture (que celui) qui a donné

satisfaction aux essais sur la piste. „Les choses se conservent par les mêmes conditions qui ont présidé à leur naissance” (J. Bainville; Grev.). J’ai rencontré à Lyon le même homme qui vous avait rendu visite à Paris lorsque je me trouvais chez vous89.

Tel quel

Tel quel s’emploie dans le sens de „dans l’état où se trouve une chose” „telle qu’elle est”, „comme elle se trouve”; „dans l’état où une personne se trouve avec ses qualités et ses défauts”. Selon P. Zumthor (op. cit.), tel quel forme une sorte d’adjectif composé qui marque une identité de nature ou de valeur.

Ex.: Je vous rends vos livres tels quels. Je reproduis sa réponse telle quelle. Ces notes eussent fourni un texte plus court transcrites telles quelles. Vous me donnerez votre travail tel quel. Le français a dû se conserver tel quel en dépit de l’orthographe (H.). „Tel quel, il n’osait affronter ce regard, sans pouvoir néanmoins baisser le regard” (Bernanos, Une nuit). „De très grands paysagistes paraissent peu à peu, ils engagent le corps à corps avec la nature telle quelle” (Paul Valéry, Degas; P.R.).

C. Conformité (ressemblance) Comme

1. Le second terme de la comparaison90 n’est pas une propo-sition à verbe fini, du moins dans la structure de surface.

a) comme suivi d’un nom Ex.: Je suis comme un enfant égaré au milieu de cette foule. „Ils

le sifflent comme un chien” (Bernanos, Le Saint de Lumbres). „La nuit devant elle s’ouvrit comme un asile et comme une proie” (Bernanos, Histoire de Mouchette). „Il arrive toujours le premier à la porte du restaurant, s’efface, laisse passer sa femme, menue comme une souris noire, et entre alors avec, sur les talons, un petit garçon et une petite fille habillés comme des chiens savants” (Camus, La Peste). „Un ________________

89 Au moyen de la locution le même … qui, on marque souvent l’identité d’un être unique considéré à des moments différents de son existence.

90 Introduit par comme.

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honnête homme peut être amoureux comme un fou, mais non pas comme un sot” (La Rochefoucauld, Maximes). „Elle est rusée comme une couleuvre” (Bernanos, Une nuit).

b) comme suivi d’un pronom personnel Ex.: „Les marins sont torses nus dans la brise tiède, ils fument,

ils parlent, ou ils regardent la mer comme moi” (Le Clézio, Le chercheur d’or). „– Ah! s’était écrié Cottard, je voudrais bien faire comme vous” (Camus, La Peste).

„Merlin portait la robe blanche comme eux (= comme les druides), mais, à la vérité, la nôtre est rouge du sang d’humaines victimes et brûlée par endroits” (Apollinaire, L’Enchanteur).

c) comme suivi d’un adjectif ou d’un participe Ex.: „Cet homme, au premier abord, paraît un peu fermé ou plutôt

comme enseveli au fond de lui-même” (E. et J. de Goncourt, Journal; P.R.). Il était comme envoûté par cet homme (le Lexis). Il était comme enivré de ses propres paroles.

d) comme suivi d’un démonstratif Ex.: La chair du lynx comme celle de tous les animaux de proie

n’est pas bonne à manger. e) comme suivi d’un pronom indéfini Ex.: Il est habile comme personne. Il est gentil comme tout

(expression appartenant à la langue familière; c’est une sorte de superlatif). „Il est maigre comme tout ce paroissien-là” (V. Hugo, Misérables; P.R.). Il est bon comme tout. Il est riche comme tout.

f) comme suivi d’un adverbe Ex.: „Il était de ces hommes, rares dans notre ville comme ailleurs

qui ont toujours le courage de leurs bons sentiments” (Camus, La Peste). g) comme suivi d’un circonstant constitué par un groupe prépo-

sitionnel Ex.: „Richard déclara qu’à son avis, il ne fallait pas céder à

l’affolement: il s’agissait d’une fièvre à complications inguinales, c’était tout ce qu’on pouvait dire, les hypothèses en science comme dans la vie, étant toujours dangereuses” (Camus, La Peste). „Il est entré céans comme dans une auberge, sans dire bonjour ni bonsoir” (G. Sand, François le Champi; P.R.).

Remarques. 1. Comme peut affaiblir une comparaison et sa valeur peut équivaloir à une simple addition (comme = et). Il est parfois accompagné par ailleurs.

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Ex.: La vérité comme la lumière est inaltérable. Ils sont travailleurs le père comme le fils. Madame est absente, comme d’ailleurs monsieur. Le maire n’est pas visible en ce moment comme d’ailleurs son adjoint.

2. Tout comme signifie „exactement comme”: Il sera magistrat tout comme son père.

3. Comme s’emploie dans des comparaisons stéréotypées à valeur intensive.

Ex.: Bavarde comme une pie. Bête comme une oie. Blanc comme l’hermine. Bon comme le bon Dieu. Clair comme de l’eau de roche. Clair comme le jour. Courageux comme un lion. Crotté comme un barbet. Dormir comme une bûche, comme un loir, comme une souche, etc. Éclater comme une bombe. Faux comme un jeton. Fier comme un paon, etc.

Exemples en phrases: „Tout d’un coup, M. Swann prenant mon grand-père par le bras s’était écrié: „Ah! mon vieil ami quel bonheur de se promener ensemble par ce beau temps! Vous ne trouvez pas ça joli, tous ces arbres, ces aubépines et mon étang dont vous ne m’avez jamais félicité? Vous avez l’air triste comme un bonnet de nuit …” (Proust, Du côté de chez Swann).

„Excusez-moi, dit Gerbert, je dormais comme un sourd” (S. de Beauvoir, L’Invitée). „– Ça va, petit père? – Ça va. C’est réglé comme du papier à musique” (Tournier, L’aire du Muguet).

4. Comme peut entrer dans la formation des locutions d’affaiblis-sement:

Ex.: Grand comme un mouchoir de poche. Haut comme une botte. Gros comme une tête d’épingle.

5. Dans certaines locutions figées, le second terme de la compa-raison qui est un nom n’a pas d’article.

Ex.: Blanc comme neige. Barbu comme chèvre. Chaud comme braise. Battre quelqu’un comme plâtre. Doux comme miel, etc.

6. Comme peut être employé dans des comparaisons ayant pour but d’engendrer des effets de style:

„De nouveau, la dame lasse éclata de rire et répondit ainsi aux paroles de Merlin: „Je suis belle comme le jardin d’avril, comme la forêt de juin, comme le verger d’octobre, comme la plaine de janvier „(Apollinaire, L’Enchanteur). – V. „Je vous demande si cela vous a pris tout d’un coup”. – P. „Un beau jour je me suis réveillé aveugle comme le destin” (Beckett, Godot).

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7. Devant un nom employé sans article, comme peut indiquer à quel titre on considère quelqu’un ou quelque chose ou en quelle qualité on les observe.

Ex.: Il est venu comme ambassadeur (Z.). Il doit prononcer le discours comme doyen d’âge. Il est très efficace comme ministre. Comme portraitiste, il est inégalable.

8. On emploie l’expression quelque chose comme pour exprimer un rapport de comparaison.

Ex.: „La Seine (était) étroite … quelque chose comme une miniature du Rhin” (Daudet, Jack; P.R.).

9. Dans le français familier, comme ça peut exprimer une com-paraison.

Ex.: Par un temps comme ça on a envie de se promener (D.). C’est éreintant un chemin comme ça (H.). Ne tiens pas le plat comme ça, il va te glisser des mains (le Lexis).

III. Le second terme de la comparaison est une proposition à verbe fini.

Ex.: Faites pour lui comme vous feriez pour vous (Acad.). „Et ils l’aimaient comme ils ne l’avaient jamais aimée” (Maupassant, La Veillée). „Ce fut pourtant un petit élève studieux, docile, âpre au travail comme on est âpre au gain …” (Bernanos, L’Imposture). „Voilà pourquoi, fatigué d’attendre votre venue, il a laissé le fléau vous visiter comme il a visité toutes les villes du péché depuis que les hommes ont une histoire” (Camus, La Peste). „Les gens avaient d’abord accepté d’être coupés de l’extérieur comme ils auraient accepté n’importe quel ennui temporaire qui ne dérangerait que quelques-unes de leurs habitudes” (Camus, La Peste). „L’absence diminue les médiocres passions et augmente les grandes comme le vent éteint les bougies et allume le feu” (La Rochefoucauld, Maximes; F.B.).

Remarques. 1. Comme est employé dans des structures compa-ratives qui essaient de motiver l’emploi d’une épithète, d’une appelation, d’un nom d’une expression, d’une phrase, etc.

Ex.: … comme on prend l’habitude de dire; … comme on les nomme …; … comme mérite d’être nommé ce fait; … comme dit un vieil adage; … comme dit l’autre (= désigne d’une manière vague l’auteur supposé du proverbe ou de la sentence que l’on énonce):

Ex.: „Comme dit l’autre, on n’est jamais si bien servi que par soi-même” (le Lexis). Ne vous emportez pas, vous vous en porterez mieux, comme dit un vieil adage. „Mais tout ça, comme dit l’autre, n’a été que de l’onguent” (Molière, Médecin malgré lui III, 2).

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2. Tout peut renforcer comme (tout comme = exactement comme). Ex.: „Tout comme leurs copains jouaient aux riches avec eux, ils

jouaient aux pauvres en leur compagnie” (Lavedan, Le bon temps; Sanf.). „Il ne voyait dans le mal que l’absence du bien, tout comme dans l’ombre, il ne remarquait que l’absence de lumière” (A. Gide, Dostoievski; P.R.).

3. La proposition comparative introduite par comme peut contenir le pronom en qui reprend un nom précédemment exprimé.

Ex.: C’était un appartement comme j’en rêvais un depuis long-temps.

4. La proposition principale postposée, dans une phrase compa-rative, peut contenir le pronom en exprimé dans la subordonnée intro-duite par comme:

Ex.: Comme Marie Laurencin avait pour Apollinaire l’affection d’une mère, elle en avait aussi l’autorité.

5. La proposition comparative peut intégrer un adverbe corrélatif de rappel dans la proposition principale quand celle-ci se trouve en postposition.

Ex.: „Comme il ne me faut point des choses difficiles ou privilé-giées, il ne me faut pas non plus des choses nouvelles, changeantes …” (E. de Senancourt; H.B.).

6. Comme peut être suivi par le verbe substitut faire employé à titre de vicarium (= remplaçant). Le verbe faire peut représenter un verbe précédemment exprimé. Cette construction était très fréquente en français classique.

Ex.: „On regarde une femme savante comme on fait une belle arme” (La Bruyère, Les Caractères). Il répondit comme les autres avaient fait (Acad.). „Je suis heureuse d’y voir clair la nuit, je reconnais de vieilles choses comme font les antiquaires” (Apollinaire, L’Enchanteur). Il vous félicitera comme je le fais sincèrement (H). Charles XII voulait braver les saisons comme il faisait ses ennemis (Acad.).

7. Une structure formée avec comme du type: adjectif ou parti-cipe + comme + être peut exprimer non seulement la cause ou la con-séquence mais aussi la comparaison.

Ex.: „Étranger comme je le suis à tout négoce et trafic, je résolus de prendre conseil d’un libraire de mes amis” (A. France, Crime de Sylvestre Bonnard; Sandf.). Belles et bien habillées comme elles étaient, les autres femmes les regardaient avec envie.

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8. La structure mentionnée supra peut présenter la variante: adjectif ou participe + comme + verbe.

Ex.: „Méfiant comme elle te connaît, ne crains-tu pas que cela ne lui semble louche?” (Lavedan, Le Bon temps; Sandf.).

9. Dans certaines structures comme peut contribuer à l’expression d’autres relations logiques: c’est ce qu’on appelle la comparaison des circonstances.

Ex.: Nous nous écrirons comme lorsque nous étions séparés (temps).

Comme si Cette locution introduit une proposition comparative où se

confondent les notions de comparaison et de supposition; elle indique une comparaison avec un cas hypothétique ou „marque une hypothèse donnée comme terme de comparaison afin d’éclairer l’idée principale” (P. Zumthor, op. cit., p. 114).

Ex.: „Une grande douceur tombait du ciel, comme si Dieu s’était avisé dans un soudain élan de tendresse de bénir toutes ses créatures” (Tournier, Vendredi). „Un moment il demeura immobile comme si la parole qu’il venait de prononcer l’avait lui-même cloué sur place” (Bernanos, Monsieur Ouine). „Plus encore que blessé il se sentait vieilli, comme si la visite du Whitebird avait marqué la fin d’une très longue et heureuse jeunesse” (Tournier, Vendredi).

„Ses bras traînent impuissants comme si la force du rire les avait cassés” (Bernanos, Monsieur Ouine). „Ensuite un long silence prolongea la dernière note, comme si le choral se poursuivait dans l’au-delà” (Tournier, Que ma joie demeure). „Ils semblaient sourdre de partout, éclos dans la tièdeur un peu moite de l’air, ils s’écoulaient doucement comme s’ils suintaient des murs, des arbres grillagés, des bancs, des trottoirs sales, des squares” (N. Sarraute, Tropismes). „Son crâne était recouvert d’un léger duvet d’oiseau comme si on lui eût plumé les cheveux …” (Cendrars, La main coupée). „Elle m’accueillit comme si rien ne s’était passé depuis notre séparation” (Boylesve; Sandf.). „Elle se laissait aller au bercement des mélodies et se sentait elle-même vibrer de tout son être comme si les archets des violons se fussent promenés sur ses nerfs” (Flaubert, Mme Bovary). „Elle se penchait à droite, à gauche comme si elle eût cherché quelque chose sous les tables ou quelqu’un d’égaré au fond de la salle” (Cendrars, Anvers). Il n’osait avancer comme s’il eût craint d’être maltraité

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(Acad.). Il usait de cette fortune comme si elle eût été à lui. (Acad.) „Il faut donc que nous prenions la responsabilité d’agir comme si la maladie était une peste” (Camus, La Peste). Il se taisait comme si on le lui avait ordonné (H.). Je grelottais comme si j’avais reçu une douche glacée (Th.). „Peneloux tendit ici ses deux bras courts dans la direction du parvis, comme s’il montrait quelque chose derrière le rideau mouvant de la pluie” (Camus, La Peste).

Remarques. 1. Comme si se construit avec l’indicatif (imparfait ou plus-que-parfait) ou avec le subjonctif plus-que-parfait („condi-tionnel passé deuxième forme”). L’emploi des formes en – r – (le futur) et en – rais (le conditionnel) après comme si n’est pas permis.

Ex.: Il me traite comme si j’étais son valet (Acad.). Il tremblait comme si le froid l’avait saisi au sortir de l’eau. Il n’osait parler comme s’il eût craint d’être contredit. „La cloche tinta son glas funèbre avec une allure allègre comme si une main amie l’eût caressée” (G. de Maupassant, Mlle Fifi). „On se meut avec effort comme si l’air épaissi, imbibé de terreur entravait les mouvements” (N. Sarraute, Le Planétarium). „Elle tenait ses deux mains crispées sur sa bourse comme si sa bourse, qui était de taille, eût contenu une fortune …” (Cendrars, Anvers).

2. L’emploi du subjonctif imparfait après comme si peut être parfois rencontré dans les textes.

Ex.: „Ce n’était pas seulement la grille et le parc qu’elle se représentait, mais l’intérieur des pièces, comme si elle dût s’y installer librement” (Lacratelle; H.B.).

3. Lorsque la proposition introduite par comme si exprime le dédain, l’ironie, etc., on peut, en général, employer la forme en – rais (le conditionnel). En ce cas, comme si se trouve généralement en tête d’une proposition exclamative.

Ex.: „Comme si je n’aurais pas pu passer mon chagrin ici bien tranquillement!” (Colette, Chéri; H.). Comme si vous n’auriez pas dû m’en parler plus tôt! (A. Th). Comme si je n’aurais pas été capable de me défendre! (Grev.). „Quel incident amusant! Comme si j’aurais jamais pu prévoir une chose pareille!” (Sandf.). „Comme si tout désor-mais aurait dû lui paraître fade!” (Fr. Mauriac, le Mystère Frontenac; A. Th.).

On peut cependant, même en phrase exclamative, au sens ironique, etc., employer l’imparfait ou le plus-que-parfait de l’indicatif.

Ex.: Comme si je n’étais pas assez grand pour me tirer d’afaire! (H.). „Comme si tu n’avais pas été éprouvée aussi !” (Simone de Beauvoir, L’Invitée).

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4. Comme si peut être repris par que suivi du subjonctif dans une autre proposition coordonnée à la première.

Ex.: „Il savourait son chocolat d’un air de dignité détachée, comme s’il n’y prenait aucun plaisir et qu’il remplît seulement une formalité nécessaire” (P. Margueritte, L’eau qui dort; Sandf.). Vous craignez de le laisser partir seul comme s’il était imprudent et qu’il fallût le surveiller (H.). „Elle avait les yeux un peu rouges, comme si les nuits précédentes elle avait beaucoup veillé, ou qu’elle eût pleuré” (Fromentin, Dominique; L.B.).

5. Comme si de rien n’était. Cette expression „indique que selon les apparences rien ne se passe, que l’on agit sans tenir compte des réactions possibles de l’entourage” (P. Zumthor, op. cit., p. 114); ce gallicisme marque que „tel fait, telle action vient à se produire comme si telle autre de nature à l’empêcher, n’avait pas lieu” (G. et R. Le Bidois, op. cit., p. 254).

Ex.: J’ai dû faire comme si de rien n’était ((= comme il ne s’agissait de rien) A. Th.)). Vous ferez comme si de rien n’était (H.). Nous nous sommes disputés hier; mais il a été aimable aujourd’hui comme si de rien n’était (P.R.). Il a pris son chapeau, et il est sorti fièrement comme si de rien n’était (Z.). Ils renouèrent après cette violente querelle comme si de rien n’était (le Lexis).

Ainsi que I. Le second terme de la comparaison n’est pas constitué par

une proposition à verbe fini, du moins dans la structure de surface. Cette locution signifie comme, de cette façon que, comme cela

que …; elle marque que deux faits se produisent de façon analogue; la comparaison porte sur l’action, sur l’événement en tant que tels.

Ex.: „Il croyait le sentir glisser sur son front, sur sa poitrine, sur ses paumes ainsi que la caresse de l’eau” (Bernanos, Monsieur Ouine). „La vie vient de s’échapper de lui tout à coup, ainsi que la pierre d’une fronde!” (Bernanos, id.). „Le train glissait comme un serpent de fer entre la mer et la montagne, entrait brusquement dans la gueule noire des tunnels ainsi qu’une bête en son trou” (Maupassant). „La calomnie se glissait insidieusement dans les âmes ainsi qu’un poison subtil” (Lexis). „Ainsi que la vertu le crime a ses degrés” (Racine, Phèdre, IV, 2). „L’onde était transparente ainsi qu’aux plus beaux jours” (La F. VII, 1). „Il serait déraisonnable de négliger La Poétique d’Aristote ainsi que les poétiques écrites dans le même

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esprit, d’en juger trompeur le titre et démodé le contenu …” (Suhamy, la Poétique).

Remarques. 1. Si la comparaison est placée entre virgules, le verbe se met au singulier, après deux sujets au singulier réunis par ainsi que.

Ex.: La force d’âme, ainsi que celle du corps, est le fruit de la tempérance (Larousse).

2. Si les noms qui sont unis par ainsi que marquent la com-paraison, l’adjectif s’accorde avec le premier nom.

Ex.: L’autruche a la tête, ainsi que le cou, garnie de duvet (H.). 3. Ainsi que peut exprimer l’addition et équivaut alors à et. Ex.: „Conduits par M. Paul Reynaud, les Britanniques passèrent

alors dans la pièce voisine, où se trouvaient les présidents des assemblées, ainsi que plusieurs ministres” (De Gaulle, L’Appel),

4. Lorsque les noms unis par ainsi que ont un sens rapproché et ainsi que a clairement le sens de la conjonction et, on met l’adjectif au pluriel.

Ex.: Il a remis une rédaction ainsi qu’une dictée remplies de fautes (H.).

II. Le second terme de la comparaison est constitué par une proposition à verbe fini.

Ex.: „Parlant toujours, il s’approchait à petits pas, les bras tendus, cherchant à la reprendre, sans violence ainsi qu’il eût fait d’un de ses farouches oiseaux” (Bernanos, Histoire de Mouchette). Il fut fait ainsi qu’il avait été dit. Il devrait chercher du travail ainsi que le font tous les jeunes gens de son âge (Z.).

„Des frémissements courent déjà par les rues ainsi qu’il en passe à la surface des flots lorsque se prépare une tempête” (Maupassant, Les dimanches). „Le train s’ ébranla à l’heure dite ainsi qu’il sied à un train allemand” (Benoit, Axelle; Sandf.).

En tant que Cette locution peut exprimer l’équivalence et s’emploie alors

avec le sens de comme(en qualité de). I. Ex.: „L’individu en tant que créature, ne peut s’opposer qu’au

créateur” (Camus, L’homme révolté). „C’est donc de la division en plan, c’est-à-dire de l’indépendance du cinéma à l’égard de la scène de théâtre que le cinéma naquit en tant qu’art” (Malraux, Voix du silence). „Lorsque a paru Conversations et sous-conversations, Virginia Woolf

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était oubliée ou négligée, Proust et Joyce méconnus en tant que précurseurs ouvrant la voie au roman actuel” (N. Sarraute, L’ère du soupçon)91.

Remarque. Devant un nom, en tant que peut encore être employé au sens de:

1) à titre de: Ex.: Charles Dupont est venu au Canada en tant qu’ambassadeur. 2) en qualité de; Ex.: Il a prononcé son discours en tant que représentant de la

banque mondiale. De même que

I. Le second terme de la comparaison n’est pas une proposition à verbe fini du moins dans la structure de surface.

Cette locution fait ressortir la relation de similitude qui existe entre les faits comparés; elle peut aussi servir à comparer des faits ou des actions qui ont eu lieu de la même manière; elle indique la res-semblance entre deux faits.

Ex.: Le savoir a son prix de même que l’esprit. Les pruniers sont chargés de fruits de même que les pêchers (B.). L’homme a besoin de support de même que la vigne. Il fondit sur lui, de même que l’épervier sur sa proie (Bailly).

II. Le second terme de la comparaison est une proposition à verbe fini.

Ex.: „De même qu’il est des corps d’animaux, des corps humains, c’est-à-dire des assemblages de cellules dont chacun, par rapport à une seule, est grand comme une montagne, de même il existe d’énormes entassements organisés d’individus qu’on appelle nations” (M. Proust, Le Temps retrouvé). „De même que dans la famille, l’autorité était inhérente au sacerdoce, et que le père, à titre de chef du culte domestique, était en même temps juge et maître, de même, le grand-prêtre de la cité en fut aussi le chef politique” (Fustel de Coulanges, Cité antique; P.R.). „On sentait l’ennemi approcher de même qu’on sent monter l’orage” (Zola, La Débâcle; Sandf.). „La Trinité est l’archétype de l’univers, ou si l’on veut, sa divine charpente. Ne serait-il pas possible que la forme extérieure et matérielle participât de ________________

91 Dans ces exemples, le second terme de la comparaison n’est pas une proposition à verbe fini du moins dans la structure de surface.

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l’arche intérieure et spirituelle qui la soutient, de même que Platon représentait les choses corporelles comme l’ombre des pensées de Dieu?” (Chateaubriand, Génie, P.R.). „De même qu’elle dévêtait à l’atelier son corps charmant, de même elle n’éprouvait la moindre répugnance à mettre à nu ses pensées” (Lavedan, Le bon temps; Sandf.). J’ai planté des arbres de même que mon père l’avait fait il y a vingt ans (B.).

Remarques. 1. La proposition introduite par de même que se place souvent en tête de la phrase.

2. Lorsque de même que se trouve placé en tête d’une phrase, de même doit se répéter au début du second membre de la phrase (ou être remplacé par ainsi).

Ex.: De même que le feu éprouve l’or, de même l’adversité éprouve l’homme courageux (Acad.). De même qu’un poison subtil se répand dans les veines, de même les passions s’insinuent dans l’âme (H.D.T.).

3. Lorsque deux sujets sont réunis par de même que, le verbe ne s’accorde qu’avec le premier sujet.

Ex.: „Son teint blafard, de même que ses yeux battus, lui donnait un aspect fantomal” (A. Th.).

Tout de même que

Cette locution s’emploie parfois au sens de ainsi que, de même que, tout à fait de même.

A. Le second terme de la comparaison n’est pas une proposition à verbe fini du moins dans la structure de surface.

Ex.: Elle était là pour nous accueillir, tout de même qu’au départ (H.). Il est tombé dans l’erreur tout de même que son collègue en ce qui concerne la théorie du néutrino.

B. Le second terme de la comparaison est formé par une proposition à verbe fini.

Ex.: „Puffendorf dit que tout de même qu’on transfère son bien à autrui par des conventions et des contrats, on peut aussi se dépouiller de sa liberté en faveur de quelqu’un” (Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité …; P.R.). „De cette façon, elle pouvait voir qui était dans le restaurant, tout de même que le régisseur d’un théatre étudie par le trou du rideau la composition du parterre” (Green, Léviathan).

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Aussi bien que Cette locution a le sens de „comme”, „de même que”, etc. I. Le second terme de la comparaison n’est pas une proposition

à verbe fini du moins dans la structure de surface. Ex.: Il plaide sa cause aussi bien qu’un avocat. Une montagne

vue de trop près épouvante aussi bien qu’un génie ou un chef-d’œuvre. Il médit de toi aussi bien que des autres (P.R.). Les bons périrent aussi bien que les méchants.

II. Le second terme de la comparaison est constitué par une proposition à verbe fini:

Ex.: L’homme influe sur sa femme aussi bien que sa femme influe sur lui (P.R.).

De la même manière que I. Le second terme de la comparaison n’est pas une proposition

à verbe fini, du moins dans la structure de surface. Ex.: Ce roman finit de la même manière que tous les autres

écrits par le romancier X. „En 1993, à quinze ans, les filles sont adultes. Elles réagissent

de la même manière que les autres femmes: à la vie, à la mode, à l’avenir” (Le Monde).

II. Le second terme de la comparaison est une proposition à verbe fini.

Ex.: J’ai résolu mes problèmes de la même manière qu’il a résolu les siennes.

De la même façon que I. Le second terme de la comparaison n’est pas une proposition

à verbe fini du moins dans la structure de surface. Ex.: Les choses se sont passées de la même façon que l’autre jour. II. Le second terme de la comparaison est une proposition à

verbe fini. Ex.: Il a peint cette toile de la même façon qu’il a vu peindre

Picasso à Paris. Selon que

Cette locution peut être parfois synonyme de comme pour indiquer la conformité.

Ex.: „L’heure de l’épreuve est venue en Babylone, selon qu’il est dit dans les prophètes” (A. France, Rôtisserie de la Reine Pédauque;

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P.R.). Il a fait selon qu’il lui avait ordonné (F.B.). La société humaine est la plus noble forme d’existence selon que l’enseignent les meilleurs philosophes. „Les Anglais, depuis quelques années, se croyaient en droit comme en possession de partager le monde à leur fantaisie, d’enlever les États à leurs légitimes possesseurs, et de les distribuer à d’autres selon qu’il convenait à leurs intérêts” (Saint-Simon, Mé-moires; D.P.)92.

Tel que L’indéfini tel, adjectif, forme en relation avec que une locution

comparative qui exprime la similitude. Le sens de cette locution est assez proche de celui de comme, mais introduit une plus grande précision.

I. Le second terme de la comparaison n’est pas une proposition à verbe fini, du moins dans la structure de surface.

Ex.: Je n’ai jamais vu un courage tel que le sien. Ils se sont rués sur lui tels que des bêtes féroces (H.). „Son visage était plissé, ratatiné tel qu’un vieux buis” (Huysmans, En route; P.R.). „Les piliers étaient blancs tels que des fûts de bouleaux” (Huysmans, La Cathédrale; id.). „Le fjord dort entre les monts à pic, tel qu’un long lac tortueux “ (Suarès, Trois hommes; id.). „Mon cher Malorthy… je n’ai pas de conseil à vous donner: d’ailleurs, dans un mauvais cas, un homme, tel que vous, n’en reçoit point” (Bernanos, Histoire de Mouchette).

II. Le second terme de comparaison est constitué par une proposition à verbe fini.

Ex.: „Nous gagnerions plus de nous laisser voir tels que nous sommes que d’essayer de paraître ce que nous ne sommes pas” (La Rochefoucauld, Maximes). „Corneille peint les hommes comme ils devraient être, Racine les peint tels qu’ils sont” (La Bruyère, Les Caractères). „Tel que je le connais il voudra, en cas de guerre, se battre” (Tournier, Météores). „En fait, il faut comprendre que le point de vue d’où l’on contemple aujourd’hui l’histoire de la Poétique, ou des Poétiques, procure une perspective à la fois déformante et éclairante sur la réalité telle qu’elle a pu être vécue” (Suhamy, La Poétique). „La grève était jonchée de poissons éventrés, de crustacés fracturés et de touffes de varech brunâtre, tel qu’il n’en existe qu’à une ________________

92 Dans ces exemples, le second terme de la comparaison est constitué d’une proposition à verbe fini.

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certaine profondeur” (Tournier, Vendredi). „Les gens vous acceptent tel que vous êtes, les gens s’inclinent, dociles, si vous vous imposez à eux, là, bien planté devant eux, solide sur vos deux pieds: regardez-moi” (N. Sarraute, L’ère du soupçon). „La théorie de la relativité, telle qu’elle a été conçue par Einstein, utilise non plus l’espace ordinaire, mais un espace-temps de dimension 4” (Omnis). „Notre tort est de présenter les choses telles qu’elles sont, les noms tels qu’ils sont écrits, les gens tels que la photographie et la psychologie donnent d’eux une notion immobile” (Proust, à la recherche du temps perdu). „Prends sur toi, nous dit-on, ce mal qui pèse sur mes épaules; mais, telle que je te vois repu, rassis et confortable, tu ne peux pas être digne de le porter” (Lacan, Écrits). „Je parlai à Sartre de la bouche de ma mère, telle que je l’avais vue le matin et de tout ce que j’y déchiffrais: une gloutonnerie refusée, une humilité presque servile, de l’espoir, de la détresse, une solitude – celle de sa mort, celle de sa vie / qui ne voulait pas s’avouer” (S. de Beauvoir, Une mort très douce). „Je trouvais nos rapports charmants tels qu’ils étaient” (S. de Beauvoir, L’Invitée).

Remarques. 1. La proposition comparative peut être mise en relief en plaçant tel que en tête de phrase.

Ex.: „Telle que je vous connais, vous n’auriez pas été tranquille” (Cendrars, L’homme foudroyé). Tel que je le connais, il refusera certainement. Tel qu’il est, il est encore plus beau (P.R.).

2. Des structures telles que „tel que vous me voyez”, „tel que je vous connais” (voir supra), servent à renforcer une affirmation en insistant sur l’identité de la personne en cause.

Ex.: „Qui Monsieur, tel que vous me voyez, j’ai fait deux fois le tour du monde” (P.R.). „Quant à moi, tel que vous me voyez, dès la pointe du jour, je suis là …” (Flaubert, Mme Bovary; P.R.). „En cinq minutes, telle que je vous connais, vous saluerez en lui le génie psychologique et médical” (L. Daudet, Salons et journaux; P.R.). Tel que vous me connaissez, cela ne me convient pas beaucoup.

3. Tel que s’accorde avec le nom qui précède, s’il y a lieu. Ex.: Une nation guerrière telle qu’étaient les Perses. Des traités

tels que conventions collectives et autres. Les bêtes féroces telles que le tigre, le lion, etc. (Acad.). Les faits sont tels que je vous les ai racontés (Dubois). „Voilà les commencements du monde, tels que l’histoire de Moïse nous les représente” (Bossuet, Histoire universelle; H.D.T.).

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4. Que peut paraître superflu dans certaines constructions appartenant au français classique.

Ex.: „Telle qu’une bergère, au beau jour de fête, / De superbes rubis ne charge point sa tête, / Et, sans mêler à l’or l’éclat des diamants, / Cueille en un champ voisin ses plus beaux ornements: / Telle, aimable en son air, mais humble dans son style, / Doit éclater sans pompe une élégante idylle” (Boileau, L’Art poétique, II, 1-6).

5. Tel que est souvent remplacé par tel surtout dans la langue littéraire moderne avec le sens de comme, ainsi que. L’adjectif indéfini tel marque la ressemblance ou la similitude.

Ex.: „Puis, tel un lépidoptère invité par un souffle printanier à s’engager dans le processus complexe de la reproduction, il se levait tout à coup, visité par une idée, et s’absorbait sans désemparer dans des occupations dont le sens demeurait longtemps caché, mais avait presque toujours quelque rapport aux choses aériennes” (Tournier, Vendredi). „Tel le chien de Pavlov, à qui le tintement d’une clochette fait sécréter de la salive, sur le plus faible indice, il fabrique des personnages” (N. Sarraute, L’ère du soupçon). „C’était alors une bousculade, une défilade rapide d’ombres fuyantes devant nos réseaux de fils de fer, une déroute de godillots, de rires, de chutes, de bran-chages cassés et nos drôles de se trotter en vitesse, mais non sans lancer derrière eux, tels les héros d’Homère, des injures retentissantes avant de s’évanouir dans un pli de terrain …” (Cendrars, L’Homme foudroyé). „Ma favorite s’appelle Fleurette … et sa lame en acier bleui de Tolède, creusée d’une triple gorge est fine comme un dard. Je ne l’emmène à mon bras, telle une fiancée, que les soirs qu’assombrit quelque pressentiment” (Tournier, Les Météores).

Le système de similitude tel … tel. La ressemblance est établie par les deux éléments disjoints tel … tel. Tel redoublé, en phrase elliptique, est employé pour représenter deux personnes ou deux choses différentes, mais présentant des similitudes. Cette construction convient à l’expression des proverbes. Ex.: Tel maître, tel valet. Tel fruit, tel arbre. Tel père, tel fils. Telle vie, telle fin. Tel nid, tel oiseau. „Telle la patrie, tel l’homme” (Michelet, Histoire de France; P.R.).

La confrontation qualitative peut s’exprimer par deux propo-sitions juxtaposées introduites par tel.

Ex.: „Dans une pièce obscure, une chandelle promenée çà et là éclaire, certains objets et en laisse d’autres dans la nuit. Ils émergent des ténèbres illuminées un moment puis ils se fondent à nouveau dans le noir. Or qu’ils soient ou non éclairés ne change rien, ni à leur nature ni à leur existence. Tels ils étaient avant le passage sur eux du faisceau

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lumineux, tels ils seront encore pendant et après ce passage” (Tournier, Vendredi). „Tel je me l’étais imaginé, tel m’apparut le colonel” (Duhamel, Plaies; Sandf.). Tel il était le premier jour, tel il est encore (Z.). Telle je l’avais vue (= la ville), il y a vingt ans, telle la revoyais ce matin (O.Mirbeau; Sandf.).

La conformité (ou la ressemblance) peut s’exprimer au moyen de prépositions, de locutions prépositives.

A. Prépositions: Selon

Ex.: Il a agi selon sa conscience. Les étudiants sont classés selon la moyenne de leurs notes. „Le même goût épuré appauvrit l’initiative en même temps que la langue, et l’on agit comme on écrit, selon des formes apprises, dans un cercle borné” (Taine, Orig. France contemp.; P.R.).

Suivant Ex.: Chacun sera récompensé suivant son mérite. „Suivant son

habitude, il se remémorait jusque dans le détail ce discours qu’il avait improvisé” (J. Romains, Hommes de bonne volonté; P.R.). L’intelligence est caractérisée par la puissance indéfinie de décomposer selon n’importe quelle loi et de recomposer suivant n’importe quel système” (Bergson, Évolution créatrice; id.).

Sur Ex.: On a rebâti cette ville sur un plan différent. Au début du siècle,

on avait essayé de se représenter l’atome sur le modèle d’un système planétaire. Il faut toujours dans l’art oratoire se régler sur un modèle.

En La préposition en peut avoir le sens de comme. Ex.: Juger en connaisseur. Parler en maître. Agir en homme. Il

parle en homme du monde.

B. Locutions prépositives: D’après

Ex.: Il a fait un dessin d’après Grigoresco. Il juge d’après l’expérience. Il raisonne d’après ses préjugés. D’après les journaux, cette maladie dégénère en épidémie. „C’est ainsi que la même chose, chacun la juge d’après sa position” (Stendhal, Armance; P.R.). „En

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histoire comme en physique, ne prononçons que d’après les faits” (Chateaubrinad; id.).

À la façon de Ex.: Il parlait à la façon d’un orateur. Il écarquilla les yeux à la

façon d’un homme étonné. Il essaie de peindre à la façon de Picasso. Il avait un chapeau qui lui emboîtait la tête à la façon d’un casque. „Le docteur Bonnefille interpellait tout le monde à la façon d’un capitaine en mer” (Maupassant, Mont-Oriol). „Aucune autre voix ne montait sous le ciel torride d’un bleu miroitant et jauni comme s’il allait tout d’un coup devenir rouge à la façon des métaux trop rapprochés d’un brasier” (Maupassant, Une Vie).

Remarque. La locution à la façon abrégée a abouti à À la; de là les tours: habits à la française, macaroni à l’italienne, des traits spirituels à la Rivarol.

À l’instar de Cette locution remonte à la locution latine ad instar „à la res-

semblance de”. Elle peut avoir le sens de: comme, à l’exemple, à la manière de.

Ex.: Elle se coiffe à l’instar d’une artiste connue. „Ces arbres ne dépassent pas la hauteur d’un homme; le vent océanique les secoue, les prosterne à l’instar des fourgères” (Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe). „Mais Freud a montré, par l’analyse et non par l’ob-servation, que chacun de nos rêves, chacun de nos symptômes... et même nos théories, à l’instar des théories infantiles étaient pour ainsi dire contaminés par des représentations sexuelles” (Pontalis, Freud.). „J’ai déjà parlé de ce secteur calme et de tout repos, où il ne se passait jamais rien, cité le château de Tilloloy, évoqué son grand parc dévasté et le hêtre rouge, au milieu de la pelouse, à l’ombre duquel j’avais édifié mon gourbi à l’instar de mes camarades qui, dès le premier soir avaient déserté tranchées et abris pour dresser la tente ou construire des petites huttes de branchages” (Cendrars, L’Homme froudroyé). „Hilaire, à l’instar de sa petite fille, faisait sans se gêner des esca-pades” (H. Bosco).

À la manière de Ex.: Il essaie de jouer à la manière des acteurs de la Comédie

Française. Il écrit à la manière de Proust. „Il portait un foulard rouge noué derrière la nuque à la manière des pêcheurs du Sud” (Mac Orlan,

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Quai des brumes; P.R.). „Ils vivaient, sans le savoir... une vie fraternelle. Non pas qu’ils fussent, entre eux, irréprochables ni qu’ils s’appelassent frères, à la manière des moines” (Bernanos, Monsieur Ouine). „Un fanal les éclairait par en bas, à la manière d’un lumignon de théâtre” (Troyat).

Pareil à

Ex.: „Mon esprit est pareil à la tour qui succombe / Sous les coups du bélier infatigable et lourd” (Baudelaire, Fleurs du mal; LVII, II.). „C’est ainsi que, pendant longtemps, quand, réveillé la nuit je me ressouvenais de Combray, je n’en revis jamais que cette sorte de pan lumineux, découpé au milieu d’indistinctes ténèbres, pareil à ceux que l’embrasement d’un feu de Bengale on quelque projection électrique éclairent” (Proust, Du côté de chez Swann). „À l’autre bout du jardin, la grande maison est obscure, fermée pareille à une épave” (Le Clézio, Le chercheur d’or). „Elle sauta du lit, vint écouter à la porte, n’entendit plus rien que l’habituel ronflement du brasseur et le solennel tic-tac de l’horloge, revint vers la fenêtre ouverte, fit dix fois le tour de la cage étroite, sans bruit, souple et furtive, pareille à un jeune loup” (Bernanos, Histoire de Mouchete). „Et sans cesse, tout le long du jour, comme une pluie incessante et triste à faire pleurer, ces dernières feuilles, toutes jaunes maintenant, pareilles à de larges sous d’or se détachaient, tournoyaient, voltigeaient et tombaient” (Maupassant, Une Vie). „Le vent soufflait pareil au vent de la stratosphère ôtant toute chaleur de la terre” (Le Clézio, Désert).

La conformité peut s’exprimer au moyen de locutions adverbiales Conformément à

Ex.: Cette décision a été prise conformément à la loi. Ils ont acheté ces actions conformément à vos conseils. Les installations portuaires ont été mises en fonction conformément au plan prévu.

Pareillement à

Ex.: „On n’a jamais vu l’homme autrement qu’en société, pareillement aux fourmis et aux abeilles” (Faguet, P.R.). Les gamins étaient vêtus pareillement à leurs pères.

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Inégalité A. Inégalité proprement dite. Comparatifs d’inégalité I. Comparatifs de supériorité

Adjectifs

Le comparatif de supériorité est marqué par l’adverbe plus; le second élément de la comparaison est introduit par que.

I. Le second terme de la comparaison n’est pas constitué par une proposition, du moins dans la structure de surface.

Ex.: Pierre est plus intelligent que Jean. „Cela pue la céruse et le mastic, une odeur plus puissante que l’alcool...” (Bernanos, Monsieur Ouine). „Presque aussitôt, les cinémas du quartier ont déversé dans la rue un flot de spectateurs. Parmi eux, les jeunes gens avaient des gestes plus décidés que d’habitude” (Camus, L’Étranger). „Mais aujourd’hui la mer était plus bruyante qu’alors” (Camus, La Peste). „Quand il revint de nouveau, il parut plus changé encore qu’après son premier voyage” (Tournier, La fin de Robinson Crusoé). „Deux anneaux d’argent fin lui pendent aux oreilles / Et ses yeux sont plus clairs que l’astre des beaux soirs”. (Leconte de Lisle, Le Cœur de Hialmar). „Édouard est plus grand que moi, sans doute” (Tournier, Les météores). „En vérité, il était plus jeune aujourd’hui que le jeune homme pieux d’autrefois” (Tournier, Vendredi). „Laure est plus intelligente que moi, Mam le répète chaque jour, elle dit qu’elle sait poser les questions quand il le faut” (Le Clézio, Le chercheur d’or). „Enfin grand-mère, aussi blanche que sa guimpe, poussant du bout de sa bottine son éternelle longue robe grise, jaillit de la porte d’honneur” (H. Bazin, Vipère au poing).

Remarques. 1. Plus peut être précédé de beaucoup. Ex.: „Rendue fort riche par un premier mariage avec un Americain,

cette ancienne chanteuse d’opéra avait épousé ensuite un maître baigneur niçois beaucoup plus jeune qu’elle” (Tournier, Le Nain rouge). „Expliquez-moi donc pourquoi ce petit logement me paraît si charmant, et pourquoi je me déplaisais tant dans celui que j’occupais à Paris, quoiqu’il fût cependant beaucoup plus grand et beaucoup plus beau que celui-ci” (Mme de Genlis, Les Veillées du château; D.P.).

2. Plus peut être précédé de encore. Ex.: Nous avons l’espoir d’être encore plus heureux que Pierre

dans la réussite de cette entreprise.

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3. Pour indiquer la différence de quantité, on emploie la prépo-sition de: Ce terrain est plus grand que l’autre de quatre hectares.

II. Le second terme de la comparaison est constitué par une proposition à verbe fini.

Ex.: Son ironie était plus fine qu’elle n’avait jamais été. „Qu’est-ce que vous en dites, de notre nouveau curé, Firmin? – Ben, monsieur le maire, un gamin, avec son air de petite fille, mais selon moi, voyez-vous, plus réfléchi qu’on ne suppose” (Bernanos, Un crime). Chaque chiffre peut prendre alors une valeur dix fois plus grande que celle qu’il avait d’abord93. „J’avais reconduit mes trois compagnons à la gare: le ciel était plus pur et soyeux94 qu’il ne l’avait jamais été” (A. Gide, Nouveau prétexte). „Voltaire parut rajeunir pour s’égayer à ses dépens; en vers, en prose, sa malice fut plus légère, plus piquante, plus féconde en idées originales et plaisantes qu’elle n’avait jamais été” (Marmontel, Mém. VII; P.R.). Il n’est pas juste que nous trompions les autres et que nous voulions être plus respectés que nous ne méritons. Ils ont payé cette voiture plus cher qu’elle ne vaut.

Remarques. 1. Ne dit explétif est fréquemment employé après plus dans les propositions comparatives.

Ex.: Ils sont plus beaux qu’ils ne le paraissent (Acad.). C’est plus difficile que je ne pensais. Ce n’est pas plus difficile que je ne l’envisageais (H.). Il est plus heureux que vous ne l’êtes (Acad.). Êtes-vous plus sûr de cela que je ne le suis? (Gram. de l’Acad.).

2. On peut faire disparaître l’inégalité si l’on emploie la structure pas plus que.

Ex.: „Pas plus qu’en Egypte la sœur du Pharaon n’aurait eu l’idée d’épouser un autre que son frère... Maléna n’avait pas trouvé d’objection à ce mariage avec un cousin âgé” (Giraudoux, Combat; Sandf.). „La jeune fille ne distinguait pas bien cet endroit étrange, pas plus qu’elle ne pouvait lire ce qu’il y avait écrit sur les vieilles boiseries” (Daudet, L’Évangeliste; Sandf.).

Davantage et plus Davantage indique une comparaison avec un terme énoncé

d’abord; il modifie un verbe, s’appuie sur un verbe. Il peut s’employer absolument (il s’emploie généralement sans complément). Plus ne ________________

93 plus peut être précédé de deux fois, trois fois, un million de fois. 94 Il n’est plus rare que l’adverbe plus s’applique à la fois aux deux

adjectifs.

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s’emploie pas en général, absolument et il indique la comparaison avec un terme qui est énoncé ensuite.

Ex.: Il est intelligent, sa sœur l’est davantage. Il n’en sait pas davantage. Je ne puis donner davantage. „Ils disparaissaient sur l’étendue de sable et de pierres, invisibles, tandis que le ciel noir resplandissait encore davantage” (Le Clézio, Désert).

Cette femme est belle, son amie l’est davantage.

Davantage que Cette locution était très fréquente au XVIIe siècle: „Il n’y a rien

assurément qui chatouille davantage que les applaudissements” (Molière, le Bourgeois gentilhomme); elle a été condamnée par les grammairiens dès la fin du XVIIIe siècle et la huitième édition du Dictionnaire de l’Académie (1932-1935) ne mentionne plus cette forme; elle est cependent employée par les meilleurs auteurs.

Ex.: „Je me persuadai que la qualité des applaudissements importe bien davantage que leur nombre” (A. Gide, Si le grain...; P.R.). „La flamme pétillante le réconforta davantage que la viande musquée et coriace qu’il mâchait en fixant l’horizon” (Tournier, Vendredi). „Ce disque me plaît davantage que l’autre. Il avait davantage l’air d’un Anglais que d’un Français (Simenon; le Lexis). „Au demeurant, rien ne pouvait attirer davantage l’équipage d’un navire passant au large de l’île que l’épave de la Virginie, toujours en équilibre sur son roc” (Tournier, Vendredi). „Rien ne dérange davan-tage une vie que l’amour” (Mauriac, Trois grands hommes devant Dieu).

Autrement Cet adverbe sert de renforcement à un comparatif de supériorité.

Paul Zumthor et coll. (op.cit.) le considère un „formant comparatif”. Maurice Grevisse précise que „le comparatif de supériorité s’exprime parfois au moyen de autrement” (Le Bon Usage).

Autrement peut avoir les sens de plus, bien plus, davantage. Ex.: Elle est autrement jolie (autrement intelligente) que sa

soeur. Ce journal est autrement intéressant que tous les autres. Le TGV est autrement rapide que tous les autres trains. Je suis autrement surpris que vous (le Lexis). „Notre maison, nos meubles sont des compagnons autrement fidèles que nos habits” (Prévost; P.R.). „L’air absorbé s’accumulant dans son ventre, le poison nage alors sur le dos sans paraître autrement incommodé que les autres par cette surpre-nante posture” (ap. Tournier, Vendredi).

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Autrement plus Cette construction est critiquée par certains grammairiens; elle a

le sens de beaucoup plus. Ex.: Elle est autrement plus belle que sa soeur. Il était devenu

autrement plus souple que son frère. Il a autrement plus de talent que moi. „Les belles déceptions, les échecs grandioses sont autrement plus précieux que ce qu’on nomme le succès” (A.Thérive; Grev.).

Remarques. 1. A. Gide condamne l’emploi de autrement plus: „L’usage qui tend à s’introduire, de „autrement” suivi de plus me paraît déplorable. Je lis, par exemple: „Il eût été, semble-t-il, autrement plus utile...” Autrement suffisait; ou „bien plus utile” (Gide, Journal). 2. Hanse blâme l’emploi de la construction mentionnée de la façon suivante: „Bien que le TLF (= le Trésor de la langue française) admette autrement que et le GLLF (= Grand Larousse de la langue française) accueille ce tour comme familier... je ne crois pas que quelques exemples littéraires récents soient à suivre aveuglément” (Nouveau Dictionnaire des difficultés du français moderne).

Les comparatifs synthétiques meilleur, moindre, pire On les appelle synthétiques parce qu’ils joignent en un seul mot

le sens d’un adjectif et le degré de comparaison. Le comparatif synthétique: meilleur (meilleur, le comparatif de

supériorité de bon est issu du lat. meliorem, comparatif de bonus). Meilleur peut avoir plusieurs sens:

a) qui l’emporte dans l’ordre de la bonté. Ex.: „Je viens de demander à Paneloux de se joindre à nous. –

Eh bien? demanda le docteur. – Il a réfléchi et il a dit oui. – J’en suis content, dit le docteur. Je suis content de le savoir meilleur que son prêche” (Camus, La Peste).

b) qui l’emporte dans l’ordre de la qualité. Ex.: Cet arbre donne de meilleurs fruits que cet autre. Il a trouvé

un meilleur appartement que son frère. „Moi, je me contente de prendre l’argent. Je suis meilleur que les autres qui prennent tout, même la vie sous prétexte que les oies et les moutons ne sont pas de notre espèce” (Duhamel, Suzanne).

Remarque. Après meilleur, on emploie la particule ne dans la proposition qui forme le second terme de la comparaison.

Ex.: Le temps est meilleur qu’il n’était hier (Acad.). Cet homme est meilleur que je ne le pensais.

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Le comparatif synthétique moindre Moindre, comparatif de petit se prend surtout au sens moral. En

parlant d’une grandeur mesurable, moindre ne se dit que des notions générales.

Ex.: Son mal n’est pas moindre que le vôtre. Son audace est moindre que sa vantardise. Notre condition est moindre que la leur. „Il ne faudrait pas croire cependant que son pouvoir était moindre que celui de notre télévision, bien au contraire” (Tournier, Tristan Vox). Son domaine est moindre qu’il ne disait (H.D.T.) Son courage est moindre que je ne l’aurais supposé. Cette somme est moindre que vous ne le dites. „Cette impiété, ces inimités... diminuent ou grandissent à tous les changements de personnes. Elles sont moindres aujourd’hui qu’elles n’étaient hier” (A. France, L’orme du mail; P.R.).

Remarque. Après moindre, on emploie la particule ne dans la proposition qui exprime le second terme de la comparaison.

Ex.: La distance est moindre que vous ne croyez.

Le comparatif synthétique pire (pire remonte au latin pejorem, comparatif de malus, mauvais;

dans l’usage ordinaire pire est beaucoup moins courant que plus mauvais).

Remarque de G.et R. Le Bidois (op.cit.II, § 1207) sur le comparatif pire: „Ainsi pire, c’est plus mauvais; mais ces termes ne sont pas synonymes au point qu’on puisse toujours les choisir indifféremment. Si l’on dit à son gré: „Votre excuse est pire (ou plus mauvaise) que votre faute”, on ne peut dire: „Il a les yeux pires que son frère”, il faut dire plus mauvais (Nyrop). Observation très juste mais incomplète; ajoutons ceci: l’obligation d’employer plus mauvais (et non pire) tient au fait que, dans l’expression (du degré positif) „avoir de mauvais yeux”, mauvais est pris au sens propre (imparfait, de nature défectueuse); le seul comparatif juste est donc ici: plus mauvais”.

Pire peut avoir plusieurs sens: 1. (En parlant des personnes). De qualité inférieure dans l’ordre

moral. Ex.: Les femmes sont meilleures ou pires que les hommes. „Et

Françoise disait en riant: „Madame sait; Madame est pire que les rayons X” (Proust, Du côté de chez Swann). Il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. Il est pire que je ne l’aurais cru.

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2. Plus méchant, plus nuisible, plus pernicieux Ex.: „Le remède était pire que le mal: contre la gloire et le

déshonneur, j’avais tenté de me réfugier dans ma vérité solitaire, mais je n’avais pas de vérité; je ne trouvais en moi qu’une fadeur étonnée” (Sartre, les Mots). Il y a de mauvais exemples qui sont pires que les crimes. „Comment un ruisseau vil est pire qu’un torrent” (Hugo, Année terrible; P.R.). „Je suis un peu comme lui, dit Françoise. Je craindrais que le remède ne soit pire que le mal” (S. de Beauvoir, L’Invitée). Il n’y a pire eau que l’eau qui dort.

3. Plus grave, plus douloureux, plus pénible Ex.: „Crois-moi, vous avez rendu la condition de l’homme pire

que celle de l’animal” (Diderot, Suppl. voyage Bougainville; P.R.). Il n’y a pire misère qu’un souvenir heureux dans les jours de douleur. Il n’y a pire piège que celui qu’on tend à soi-même.

Remarques. 1. Pire ne peut être employé, comme nous l’avons déjà mentionné, dans une phrase lorsque l’adjectif mauvais est pris au sens propre de „défectueux”, „imparfait”, „dépourvu de qualité”. Ainsi, on doit dire: „Ce nouveau moteur est encore plus mauvais que le précédent. Il a les yeux plus mauvais que son frère. Sa vue est plus mauvaise que la mienne”.

2. On doit, en général, employer la forme pire avec un nom qui évoque lui-même un mal comme fléau, ennui, désagrément, difficulté, erreur, faute, mal, douleur, détresse, chagrin, misère.

Comparatifs de supériorité

Adverbes

Le comparatif de supériorité s’exprime au moyen de l’adverbe plus placé devant un adverbe; le second élément de la comparaison est introduit par que.

I. Le second terme de la comparaison n’est pas une proposition à verbe fini du moins dans la structure de surface.

Ex.: Le TGV va plus vite que tous les autres trains. Vous êtes arrivé plus tard aujourd’hui qu’hier. „Un homme un peu malin devient plus facilement ministre que chef de bureau” (Maupassant, Bel-Ami). „Or rien ne chantait pour l’heure plus harmonieusement que cette mer de feuillage contre la toile océane tendue jusqu’au ciel” (Tournier, Vendredi).

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II. Le second terme de la comparaison est constitué par une proposition à verbe fini.

Ex.: „L’autre catégorie se composait des personnes qui avaient l’air de croire qu’elle était plus gravement malade qu’elle ne pensait” (Proust, Du côté de chez Swann). Il faut défendre son honneur plus jalousement qu’on ne défendrait ses biens matériels (Grev.). „L’éternité nous était donnée afin de reprendre notre vie en profondeur, plus attentivement, plus intelligemment qu’il n’était possible de le faire dans la bousculade du présent” (Tournier, id.).

Les comparatifs synthétiques mieux et pis Mieux

(Mieux est le comparatif de l’adverbe bien. Il est issu de l’adjectif neutre latin melius).

I. Le second terme de la comparaison n’est pas une proposition à verbe fini du moins dans la structure de surface.

Ex.: Il travaille mieux que son collègue. Les hommes entre-prenants réussissent mieux que les autres. Il est mieux logé que moi. „Mais depuis que nous allions à Combray je ne connaissais mieux que Françoise” (Proust, Du côté de chez Swann). „Je n’ai jamais compris pourquoi Agnès qui est toujours restée près de son frère, ne s’y retrouve pas mieux que vous” (Adamov, L’Invasion). „Vous vous êtes borné à nous mettre des bâtons dans les roues... mais c’est votre fils après tout, ce n’est pas à moi de quémander auprès de vous, c’est à vous de me soutenir... vous savez mieux que moi” (N. Sarraute, Le Planétarium). „Jeune, Édouard était beau, il était mieux que beau” (Tournier, Les météores). Cette femme est mieux que charmante (H.).

II. Le second terme de la comparaison est constitué par une pro-position à verbe fini.

Ex.: Il a réussi mieux que je ne le pensais. La femme comprend l’homme mieux que l’homme ne se comprend. Les bulletins vous instruiront mieux que je ne pourrais le faire (P.R.). Il ne se porte pas mieux qu’il se portait il y a une semaine.

Pis (Pis remonte à pejus comparatif neutre de malus; il est le com-

paratif irrégulieur de supériorité de mal). En tant qu’adverbe, on peut le trouver en corrélation avec que

comparatif suivi d’un adjectif.

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Ex.: Elle est pis que laide, elle est affreuse. Il a fait pis que cela. „La prose est pis encore que les vers”. (Molière, Impromptu... sc. 1; H.D.T.).

Remarques. 1. G. et R. Le Bidois (op. cit. § 1207) soulignent qu’il y a des cas où l’emploi de plus mal à la place de pis s’impose, par exemple lorsque mal modifie un participe passé comme dans cet exemple extrait de la comédie les Précieuses ridicules de Molière: „Je ne pense pas qu’il y ait gentilhomme en France plus mal servi que moi”. Les autres remarquent que pis, comme cet exemple le montre, ne recouvre pas exactement tous les emplois de mieux, car on pourrait dire très bien „gentilhomme mieux servi”. Hanse précise qu’on ne pourrait pas employer pis avec n’importe quel verbe qui s’accommode de mieux: „On dit: parler plus mal, se conduire plus mal, aller plus mal” (Dictionnaire des difficultés du français moderne).

2. Pis peut être employé adjectivement en fonction d’attribut ou d’épithète, mais toujours en rapport avec un indéfini ou un pronom neutre. Pis est pris adjectivement quand il est dit de l’état de santé, de l’aspect physique ou moral, de l’état de fortune, d’un certain état de choses.

Ex.: Il n’y a rien de pis que cela. Il se portait mieux, mais aujourd’hui il est pis qu’il ne l’a jamais été.

Comparatifs d’infériorité

Adjectifs Le comparatif d’infériorité a pour marque l’adverbe moins;

le second élément de la comparaison est introduit par que. I. Le second terme de la comparaison n’est pas une proposition,

du moins dans la structure de surface. Ex.: Pierre est moins intelligent que Jean. André est moins

courageux que prudent. Aujourd’hui, il s’est montré moins aimable qu’hier. „Car la métamorphose qui faisait chaque soir sortir Tristan Vox de Félix Robinet par le simple truchement d’un micro n’était pas moins mystérieuse que celle d’une citrouille en carrosse par un coup de baguette magique” (Tournier, Tristan Vox). „En errant sur le sommet de la montagne, il découvrit une espèce d’ananas sauvage, plus petit et moins sucré que ceux de Californie...” (Tournier, Vendredi). „La deuxième (= pipe) est toujours moins bonne (il enlève la pipe de sa bouche, la contemple) que la première, je veux dire” (Beckett, Godot).

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„Les eaux calmes du lagon me séparent de l’île soeur, moins riche que celle-ci” (Le Clèzio, Le chercheur d’or). „Il ne sentait pas la peur; il était moins inquiet qu’irrité...” (Bernanos, Sous le soleil de Satan). „À tout bien considérer, les vieux préjugés sont moins funestes que les nouveaux; le temps, en les usant, les a polis et rendus presque innocents” (A. France, Jardin d’Épicure).

II. Le second terme de la comparaison est constitué par une proposition à verbe fini.

Ex.: Elle est moins intelligente qu’elle ne le croit. La structure du noyau de l’atome est moins simple qu’elle n’avait paru d’abord. „De nos jours, où pourtant le risque d’un discrédit moral est moins grand qu’il n’était naguère, et la sanction moins rigoureuse, les feintes et les camouflages en littérature sont nombreux” (A.Gide, Journal, 8 décembre 1929; P.R.).

Comparatifs d’infériorité Adverbes

Le comparatif d’infériorité s’exprime au moyen de l’adverbe moins placé devant l’adverbe; le second élément de la comparaison est introduit par que.

I. Le second terme de la comparaison n’est pas une proposition à verbe fini.

Ex.: Une aumône soulage parfois la misère moins bien qu’une parole de compassion. Le loup court moins vite que le guépard. „Tu pèses moins lourd que moi” (Becket, Godot).

II. Le second terme de la comparaison est constitué d’une pro-position à verbe fini.

Ex.: Cette fois, il a gagné la course de cent mètres moins facilement qu’il ne l’avait gagnée aux Jeux Olympiques. Pierre travaille moins bien que je ne le croyais.

Tant que (en phrase négative au lieu de autant que)95 I. Le second terme de la comparaison n’est pas une proposition

à verbe fini du moins dans la structure de surface. Ex.: Paul ne travaille pas tant que Pierre. Travailleur, il ne l’est

pas tant que son collègue. Complaisant, il ne l’est pas tant que son prédécesseur. ________________

95 Cette construction exprime l’inégalité.

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II. Le second terme de la comparaison est une proposition à verbe fini.

Ex.: „Il y a plus d’honnêtes femmes qu’on ne le croit, mais il n’y a pas tant qu’on le dit” (Dumas fils, Ami des femmes).

B. Préférence, appréciation La préférence est un jugement ou un sentiment par lequel on

place une personne, une chose au-dessus d’une autre ou des autres. Apprécier c’est déterminer la valeur d’une chose en tenant compte de l’existence d’un modèle de mesure. La phrase de préférence suppose un rapprochement entre deux ou plusieurs valeurs considérées comme inégales.

Plutôt que, plutôt ... que La locution conjonctive plutôt que exprime un choix ou une

appréciation. I. Le second terme de la comparaison n’est pas une proposition,

du moins dans la structure de surface. Ex.: Elle était plutôt laide que jolie. Il était indolent plutôt que

paresseux. „Les hommes sont plutôt bons que mauvais...” (Camus, La Peste). „Plus que jamais, il me fallait donc prendre appui dans le peuple plutôt que dans les élites...” (De Gaulle, Le Salut). „Le mot (= le mot de peste) ne contenait pas seulement ce que la science voulait bien y mettre, mais une longue suite d’images extraordinaires qui ne s’ac-cordaient pas avec cette ville jaune et grise, modérément animée à cette heure, bourdonnante plutôt que bruyante” (Camus, La Peste). „Ce qui suscite à tel moment telle image plutôt que telle autre, c’est un commencement de résurrection...” (Taine, Intelligence; P.R.). „Quand dans le doute on penche d’un côté plutôt que d’un autre, sans pourtant rien déterminer absolument, cela s’appelle opinion” (Bossuet, Con-naissance de Dieu; P.R.). „M. de Sorgues était un jeune homme à la mode, grand amateur de chasse et de chevaux, qui venait souvent au Moulin de May, plutôt pour le comte que pour sa femme...” (Musset, Nouvelles; P.R.). Ils acceptent la mort plutôt que l’esclavage (ap. H.D.T.).

II. Le second terme de la comparaison est constitué par une proposition à verbe fini.

Ex.: „Il ne semblait pas que la nuit tombât du ciel, mais plutôt que le jour remontât lentement, de bas en haut, comme pompé par cet autre abîme qu’on devinait sans voir, au-delà du vaste murmure des feuilles” (Bernanos, Une Nuit). Il somnole plutôt qu’il ne dort. „On le

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craint plutôt qu’on ne le respecte” (H.). Elle suggère plutôt qu’elle n’affirme. Il court plutôt qu’il ne marche. Il est érudit plutôt qu’il n’est savant (Q.). „Je donnai un dîner le jour de la Saint-Louis en l’honneur de Louis XVIII, et j’allai voir Hartwell en mémoire de l’exil de ce roi; je remplissais un devoir plutôt que je ne jouissais d’un plaisir” (Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe). „Le génie qui devine plutôt qu’il n’apprend, extrait, pour chaque ouvrage, les premières règles de l’ordre des choses” (V. Hugo; P.R.). „J’aime mieux tous les malheurs plutôt que vous souffriez par ma faute” (R. Rolland, Jean-Christophe; Grev.).

Remarque. Après plutôt que, le verbe de la seconde proposition prend souvent ne quand la principale est affirmative.

Ex.: Il court plutôt qu’il ne marche. Ces points de vue se com-plètent plutôt qu’ils ne s’opposent (H.).

C. La Différence La différence c’est le caractère qui distingue une chose d’une

autre, un être d’un autre être, c’est une relation d’altérité96 entre ces choses, entre ces êtres. La différence c’est le contraire de l’analogie, de la ressemblance, de la similitude. Dans la phrase de comparaison, il est tout à fait naturel que la différence soit impliquée.

Autre que I. Le second terme de la comparaison n’est pas une proposition

à verbe fini, du moins dans la structure de surface. Ex.: „À la différence des Romains de César, les Germains ne

pouvaient se prévaloir d’aucune supériorité autre que militaire” (Larousse). „En même temps, j’eus des effrois et des plaisirs pour de bon; il m’arrivait d’oublier mon rôle et de filer à tombeau ouvert, emporté par une folle baleine qui n’était autre que le monde” (Sartre, les Mots). Les plaisirs des jeunes gens d’aujourd’hui sont autres que ceux du siècle passé. „Personne autre que moi peut-être n’y était venu et n’y viendra, et moi-même, aujourd’hui, je ne saurais le retrouver” (Fromentin, Un été dans le Sahara; P.R.).

II. Le second terme de la comparaison est une proposition à verbe fini.

Ex.: Cette vallée est autre que je ne croyais. La ville est autre qu’elle n’était il y a un siècle. „Il serait bien singulier que j’allasse me ________________

96 Altérité (terme de philosophie) = état, qualité de ce qui est autre.

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tourmenter... pour me bistourner et me faire autre que je ne suis” (Diderot, Neveu de Rameau). „Ces religieuses... apparaissaient bien autres qu’on ne les vit jamais au dehors” (M. Barrès, Colline inspirée; L.B.).

Tout autre que

I. Le second terme de la comparaison n’est pas une proposition à verbe fini du moins dans la structure de surface.

Ex.: Mon avis est tout autre que le sien (H.D.T.). II. Le second terme de la comparaison est une proposition à

verbe fini. Ex.: Il est devenu tout autre qu’il n’était (H.D.T.).

Un autre que

Le second terme de la comparaison n’est pas une proposition à verbe fini, du moins dans la structure de surface.

Ex.: J’aime mieux que vous l’appreniez d’un autre que de moi (Acad.). „Tu seras touché par un autre que moi” (Hugo, Hernani, II, 3; P.R.). „Il l’aime: il vivra pour un autre que lui” (Racine, Iphigénie, IV, 8). „Autant que je puis croire... cette adorable fille venait pour un autre que moi” (A. France, Rôtisserie; P.R.).

D’autres que

Le second terme de la comparaison n’est pas une proposition à verbe fini du moins dans la structure de surface.

Ex.: „Je suis au désespoir que vous ayez eu Bajazet par d’autres que par moi” (Sévigné, 1672; P.R.). Ne parlez pas de cela à d’autres que vos amis (Littré). „Et je le donnerais à bien d’autres qu’à moi / De se voir sans chagrin au point où je me vois” (Molière, Sganarelle, 16). „Pourquoi faut-il que j’apprenne de tes nouvelles par d’autres que par toi?” (Montesquieu, Lettres persanes).

Un autre + nom + que

Le second terme de la comparaison n’est pas une proposition à verbe fini, du moins dans la structure de surface.

Ex.: „Ce sera un autre gaillard que son père” (A. France, Livre de mon ami).

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D’autres + nom (pl.) + que

Le second terme de la comparaison est constitué par une proposition à verbe fini.

Ex.: Il a d’autres soucis que vous ne pensez.

Autrement que; tout autrement que

I. Le second terme de la comparaison est une proposition à verbe fini.

Ex.: On voit de loin les objets bien autrement qu’ils ne sont. Il agit tout autrement qu’il ne parle. Il agissait autrement qu’il eût voulu. Comment l’aurais-je jugé autrement que je ne l’ai jugé? „Si j’étais protestant, je n’agirais probablement pas autrement que je ne le fais” (Duhamel, Les compagnons de l’Apocalypse). „Nous pouvons, par certains mots de notre prière, par la nature de notre mission, nous comporter autrement que ne le font nos frères de l’église” (Duhamel, id.). Cette voiture se comporte tout autrement que ne fait l’autre.

II. Le second terme de la comparaison n’est pas une proposition à verbe fini du moins dans la structure de surface.

Ex.: „Il envisagea cette mort tout autrement que d’habitude” (Martin du Gard, Thibault). Il veut toujours faire autrement que les autres. Elle s’exprimait autrement qu’une paysanne (Theuriet).

Remarques. 1. Autrement que n’exige pas la présence de la particule ne si la première proposition est négative.

Ex.: Il n’agit pas autrement qu’il parle (Acad.). 2. L’emploi de la particule ne est facultatif si la première

proposition est affirmative. Ex.: Il agit tout autrement qu’il ne parle (Acad.). Il est fait

autrement que vous croyez, que vous ne croyez, que vous ne le croyez (Acad.).

D. Le superlatif relatif Le superlatif relatif exprime une qualité porté au degré le plus

élevé (superlatif relatif de supériorité) ou le moins élevé (superlatif relatif d’infériorité) par comparaison soit avec l’être ou l’objet dont il s’agit, considéré dans des circonstances différentes, soit avec un ou plusieurs autres êtres ou objets (v. M.Grevisse, Le Bon Usage; Grammaire Larousse, L.Wagner, Grammaire du français classique et moderne, etc.).

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Le superlatif relatif se présente comme un comparatif de supériorité ou d’infériorité déterminé par un article défini, par un adjectif possessif ou par un démonstratif; le superlatif relatif peut être aussi formé d’un comparatif précédé par la préposition de.

a. Le superlatif relatif formé du comparatif précédé de l’article défini (le, la, les).

Adjectifs

Ex.: Jean est le plus courageux. „Puis quand le silence le plus complet avait régné, il s’était mis à jouer” (Tournier, Que ma joie demeure). „En prénommant leur fils Raphaël, en le plaçant sous la protection tutélaire de l’archange le plus aérien et le plus mélodieux, les époux Bidoche commençaient peut-être à relever inconsciemment le défi” (Tournier, Que ma joie demeure). „Il y avait des appareils nickelés, des projecteurs, une balance de précision et surtout une profusion de miroirs qui lui renvoyaient son image selon les angles les plus insolites” (Tournier, Le Nain rouge). „Ayant désormais pour compagnon le plus domestique des animaux (= un chien), il se devait de construire une maison” (Tournier, Vendredi). L’Europe est après l’Australie la plus petite partie du monde. L’Italie est la contrée de l’Europe la plus abondante en œuvres d’art. Le temps adoucit les plus fortes douleurs (Cl. Augé, Grammaire)... „Un monde où les femmes les plus brillantes affichaient des amants moins respectables que celui-ci...” (Proust; P.R.) „Que reste-t-il? Le plus fort en est fait” (La F., Contes, Richard Minutolo). „Le plus âne des trois n’est pas celui qu’on pense” (La F. III, 1). „... comme si l’amour n’était pas de tous les sentiments le plus égoïste, et par conséquent, lorsqu’il est blessé, le moins généreux” (B. Constant, Adolphe; P.R.). „Une forte tête dont je suis bien content, qui sera le moins fainéant des hommes et ne fera jamais rien” (Jouhandeau, Chaminadour; P.R.). „Le seigneur Harpagon est de tous les humains l’humain le moins humain” (Molière, L’Avare). „Tout annonce dans ce pays la dureté de l’organe musical; ...les instruments militaires, les fifres de l’infanterie, les trompettes de la cavalerie, tous les cors, tous les hautbois, les chanteurs des rues, les violons des guinguettes, tout cela est d’un faux à choquer l’oreille la moins délicate” (Rousseau, Julie, IIe partie; P.R.).

Remarques. 1. L’article devant le superlatif relatif. Le superlatif relatif pouvait se passer de l’article dans l’ancienne langue. Ce fut

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Vaugelas qui, au XVIIe siècle, exigea que le superlatif relatif fût formé au moyen de l’article défini:

„Tout Adjectif mis après le Substantif avec ce mot plus, entre eux, veut toujours avoir son article et cet article se met immédiatement devant plus... Voici un exemple de cette règle. C’est la coûtume des peuples les plus barbares. Je dis que c’est ainsi, qu’il faut dire, et non pas des peuples plus barbares...” (Remarques sur la langue françoise, Paris, Piget «1647», 1738, t., I, p. 248). Des traces de l’ancien usage condamné par Vaugelas subsistaient au XVIIIe siècle: „Les passions plus vives (= au lieu de les plus vives) sont celles dont l’objet est plus prochain” (= au lieu de le plus prochain). Vauvenargues, Réflexions et Maximes. „Je vous regarde comme la personne avec laquelle je puisse m’ouvrir plus librement (pour le plus librement), et à laquelle je doive plus de confiance” (au lieu de le plus de confiance). Marivaux, le Paysan parvenu.

2. L’accord de l’article devant le superlatif relatif. Suivant une règle énoncée par Andry de Bois-Regard dans ses Réflexions sur l’usage présent de la langue françoise (1688), l’article devant le superlatif relatif s’accorde avec le nom exprimé ou sous-entendu quand il s’agit d’une qualité portée au plus haut degré avec comparaison; toujours selon cette règle l’article le reste invariable quand il s’agit d’une qualité portée au plus haut degré sans comparaison. Au XVIIIe siècle, ce problème semblait préoccuper encore les écrivains et les gram-mairiens. Rivarol écrivait dans ses Carnets: „C’est là que ma mémoire est le plus fatiguée...”

La règle établie au dix-septième siècle concernant l’emploi et l’accord de l’article devant le superlatif relatif est encore valable aujourd’hui: l’article s’accorde avec le nom quand celui-ci est comparé à d’autres noms, mais il reste invariable quand le nom est comparé à lui-même: „C’est elle qui a été la plus malade de toutes les pas-sagères”, mais „C’est hier qu’elle a été le plus malade” (v. R. Georgin, Difficultés et finesses de notre langue). Selon Hanse, on fait „l’accord de le (devant un adjectif ou un participe employé adjectivement) s’il y a comparaison entre des êtres ou des objets différents” et il y a „invariabilité de l’article le (formant avec plus, moins, mieux une locu-tion adverbiale) s’il y a comparaison entre divers états (à divers moments) d’un même être ou objet: Cette gamine est la plus travailleuse de sa classe97. C’est au moment des compositions qu’elle est le plus travailleuse” ________________

97 Dans cette proposition on sous-entend que cette gamine est la plus travailleuse de toutes les élèves.

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(Nouveau Dictionnaire des difficultés...). L’article reste invariable quand le superlatif modifie un verbe ou un adverbe: C’est la femme que j’ai le plus aimée (Acad.). Ce sont les livres qu’il a le plus sévèrement critiqués (P.R.).

3. On peut rencontrer, par archaïsme, le superlatif relatif placé après un nom précédé d’un article indéfini.

Ex.: „Un épisode assurément le plus intéressant de ma vie” (J.Green, Jeunesse; H.) „– Quel mal ai-je causé? – Un mal le plus cruel de tous, car c’est un mal sans espérance” (Musset; Caprices de Marianne; L.B. et P.R.). „Votre élève accusé d’un crime le plus infâme...” (Bourget, Le disciple; P.R.). „C’est une chose la plus aisée du monde” (Molière, Avare, III, 1).

4. Le superlatif relatif peut concerner un nom accompagné d’un déterminatif.

Ex.: „Je voudrais la plus belle chambre de l’hôtel, avec deux balcons sur la rue, et beaucoup de soleil” (Adamov, La Parodie).

b. Le superlatif relatif formé du comparatif précédé d’un adjectif possessif.

Ex.: „Hélas! ce sont les livres qui nous donnent nos plus grands plaisirs, et les hommes qui nous causent nos plus grandes douleurs” (Joubert, Pensées). „Malgré la sévérité de ce professeur, j’étudiai sous lui pendant six mois, et je devins un de ses plus forts écoliers” (Lesage, Gonzal. IV). „Nos plus sûrs protecteurs sont nos talents” (Vauvenargues, Réflexions et maximes; L.B.). „Écrire une lettre et la faire jeter à la poste; recevoir la réponse, la lire et la brûler; voilà la correspondance réduite à sa plus simple expression” (Balzac, Physiologie du mariage; P.R.).

c. Le superlatif relatif formé du comparatif précédé d’un démonstratif.

Ex.: „Ce plus populaire des gradés du régiment” (= ce gradé qui est le plus populaire...). M.Proust, Guermantes. „Atterré par ce plus grand des chagrins possibles” (Stendhal, Chartreuse de Parme; L.B.). „La folie de ce plus doux des hommes (=Nerval) était brutale quelquefois” (E. Henriot; Grevisse).

d. Le superlatif relatif formé du comparatif précédé par la préposition de (ce que... plus de).

Ex.: La situation est désespérée pour nous, tout ce qu’il y a de plus désespéré. „Ce qu’il y a de plus beau est nécessairement tyrannique” (Paul Valéry, Grammaire Larousse). „Elle entrait à toute

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heure et fouillait partout. Un soir, je la trouvai furetant dans un tiroir où je renferme ce que j’ai de plus précieux au monde...” (Daudet, Petit Chose, Le cœur de sucre; P.R.). „Appétence est un terme didactique qui exprime une inclination innée sans la qualifier aucunement; tandis que „appétit appartenant davantage au langage général, exprime ce qu’il a de plus sensuel, de plus grossier parmi les appétences de l’homme” (Littré). „Il prit même l’habitude, ayant déballé les vêtements contenus dans les coffres de la Virginie (et certains étaient fort beaux), de ne pénétrer dans ces lieux qu’en habit haut-de-chausses, bas et souliers, comme s’il rendait visite à ce qu’il avait de meilleur en lui-même” (Tournier, Vendredi). „Ce qu’il y a de plus fatal à la vie humaine, c’est-à-dire l’art militaire, est en même temps ce qu’elle a de plus ingénieux et de plus habile” (Bossuet, Louis de Bourbon: P.R.). „C’était tout ce qu’il y a de plus drôle, ce richissime richard, venant en équipage réclamer ses douze francs!” (Daudet, L’Immortel).

e. Le superlatif relatif constitué par des plus + adjectif; des moins + adjectif.

Cette construction présente l’être, la chose comme faisant partie d’un ensemble de choses, d’êtres qui possèdent la qualité énoncée au plus haut degré (v. Le Bidois, II, p. 299).

Ex.: L’employé à qui nous avons affaire n’est pas des plus aimables de cette entreprise. Les nouvelles du jour sont des plus importantes: on vient d’annoncer la relance de l’économie du pays. La situation était des plus dangereuses. „Je sais qu’il est des yeux, des plus mélancoliques, qui ne recèlent point de secrets précieux” (Baudelaire, Fleurs du mal. Tabl.Paris. XCVIII; P.R.). „Il lui était des plus pénibles de recevoir leurs adieux” (A. de Chateaubriand, M. de Lourdines; Grev.). „Un renard, jeune encore, quoique des plus madrés... (La F. XII, 7). „Parbleu! s’il faut parler des gens extravagants, / Je viens d’en essuyer un des plus fatigants” (Molière, Misanthrope, II, 4). „Un portrait des moins flatteurs...” (Sainte-Beuve; Grev.).

Remarques. 1. Des mieux est une locution adverbiale marquant un très haut degré: Il parle des mieux, il chante des mieux (= il est parmi ceux qui chante le mieux).

2. Certains auteurs considérant que des plus est une locution adverbiale ayant le sens de au plus haut point et qui pourrait équi-valoir à très emploient l’adjectif qui suit des plus au singulier: un homme des plus loyal, un film des plus immoral. „Au collège il était des plus médiocre” (R. Guiette, La vie de Max Jacob; H.). Hanse

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déconseille l’emploi de l’adjectif au singulier dans cette construction: „Mais si l’on peut dire que le singulier n’est certainement pas une faute dans ce cas, il faut reconnaître que le pluriel l’emporte très nettement...” (Nouveau Dictionnaire des difficultés).

f. Le superlatif relatif peut s’exprimer au moyen de un des suivi d’un adjectif qualificatif.

La construction la plus fréquente de ce type de superlatif est la suivante: un des + adjectif + nom + une proposition relative98.

Ex.: C’est un des grands chimistes que j’aie connus à ce congrès. C’est un des terribles fléaux qui aient ravagé ce pays.

g. Le tour négatif à valeur de superlatif: rien dans une construc-tion négative, avec une comparaison.

Ex.: Rien n’est si beau que le vrai. „Rien n’est si dangereux qu’un ignorant ami” (La F. VIII, 10; H.D.T.). „Dans l’âge où l’on est aimable / Rien n’est si beau que d’aimer” (Molière, Princesse d’Élide). „L’on trouvera sans doute invraisemblable qu’un amour aussi violent se soit allumé à la suite d’une seule rencontre. à cela nous répondrons que rien n’a ordinairement l’air plus faux que le vrai et que le faux a toujours des apparences très grandes de probabilité” (Gautier, Fortunio; P.R.). Rien n’était si plaisant que la salle de séjour.

Le superlatif relatif suivi d’une proposition relative au subjonctif (le superlatif relatif antécédent du relatif).

Il y a plusieurs constructions à considérer: a) le nom dépendant du superlatif est placé avant celui-ci. Ex.: „Ce livre (L’Imitation de Jésus-Christ) le plus beau qui soit

sorti de la main d’un homme...” (Fontenelle, Vie de Corneille: P.R.). „Un langage sonore (= le grec), aux douceurs souveraines, / Le plus beau qui soit né sur des lèvres humaines” (Chénier, Poèmes; P.R.).

b) le nom dépendant du superlatif est placé après l’adjectif qualificatif.

Ex.: „Voici, certes, le plus beau site que nous ayons vu, dit-elle” (Balzac, Femme de trente ans).

c) un des + nom (au pluriel) + le superlatif relatif + une propo-sition relative au subjonctif.

Ex.: Il a été l’un des hommes les plus malheureux qui aient jamais existé. ________________

98 v. G. et R. Le Bidois, Syntaxe du français moderne, éd.cit., t. II, p. 299.

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Le complément du superlatif Le complément du superlatif est toujours introduit par la

préposition de ou par l’expression d’entre. Ex.: La plus belle des maisons de notre quartier appartient à mon

ami. François est le plus attentif des élèves de sa classe (Wagner). „Quand on voit l’emprise que ces formalistes parviennent à exercer aujourd’hui sur le roman, on ne peut s’empêcher de donner raison à ceux qui affirment que le roman est le plus désavantagé de tous les arts” (N. Sarraute, L’ère du soupçon). Le système le plus perfectionné de tous. Le meilleur d’entre vous (F.B.).

Les superlatifs le meilleur, le moindre, le pire Les adjectifs bon, petit, mauvais ont en tant que formes de

superlatifs relatifs: le meilleur, le moindre, le pire.

Le meilleur Ex.: „Il est temps d’agir, si on ne veut pas qu’ils occupent les

meilleures places” (Adamov, L’Invasion). „Le canal devrait avoir cent vingt yards de long et s’enfoncer dans la falaise jusqu’à une profon-deur de plus de cent pieds. Entreprise gigantesque à laquelle toutes les années qui pouvaient lui rester à vivre dans le meilleur cas ne suffiraient sans doute pas” (Tournier, Vendredi). Les ouvrages les plus courts sont toujours les meilleurs. „Cléante est un très honnête homme; il s’est choisi une femme qui est la meilleure personne du monde... Ils se quittent demain. Il y a ... certaines vertus incompatibles”. La langue est la meilleure et la pire des choses (La Fontaine, Vie d’Ésope).

Remarques. 1. Un possessif peut introduire meilleur employé au superlatif: C’est mon meilleur costume. „Alors Vendredi s’efforça de faire de longues phrases dans son meilleur anglais, et Robinson lui répondit avec les quelques mots d’araucan qu’il avait appris du temps que Vendredi ne parlait pas du tout l’anglais” (Tournier, Vendredi). „Pontchartrain était d’une curiosité insupportable, grand fureteur et inquisiteur, sur ses meilleurs amis comme sur les autres” (Saint-Simon, Mémoires, P.R.).

2. Meilleur introduit par un démonstratif peut exprimer un superlatif: „Ce meilleur ami que j’eusse” (Stendhal, Brulard; P.R.).

3. La structure un des meilleurs + nom constitue un superlatif: Quoi que j’en dise, je suis obligé d’avouer que notre enquiquineuse était un des meilleurs fusils d’Europe” (Cendrars, L’homme foudroyé).

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Le moindre Ex.: „Non seulement il n’y avait pas la moindre trace humaine,

mais les animaux eux-mêmes semblaient absents de ces cathédrales de verdure qui se succédaient devant ses pas” (Tournier, Vendredi). „Il faut faire flamme de la moindre brindille” (Duhamel, Scènes...; P.R.). „En revanche l’adolescence succédant à l’enfance ne paraissait pas vouloir retenir le moindre trait de son ancien visage angélique” (Tournier, Que ma joie demeure). „Les moindres incidents lui en apparaissaient avec une netteté vibrante avec une acuité qui faisaient de chacun d’eux quelque chose d’inoubliable” (J. Romain, Hommes de bonne volonté; P.R.). „Il aurait beau faire et beau dire, je ne lui ordonnerai pas la moindre petite saignée...” (Molière, Malade imaginaire, H.D.T.). De deux maux il faut choisir le moindre. C’est le moindre de mes soucis.

Remarques. 1. Un possessif peut introduire moindre employé au superlatif: „La fourmi n’est pas prêteuse: / C’est là son moindre défaut”99 (La F., La Cigale et la Fourmi).

2. Lorsqu’il est précédé d’une négation le moindre ne change pas de forme: Il n’y a pas le moindre doute. Cela ne présente pas la moindre importance.

3. On met le verbe qui suit le moindre que à l’indicatif ou au subjonctif: C’est le moindre service que je peux (ou puisse) vous rendre.

Le pire Ex.: „Pour ménager sa mère, toujours portée à imaginer le pire,

il avait tu le rôle et même l’existence de la femme blonde” (Tournier, La goutte d’or). „Ce n’est pas le pire, de penser” (Beckett, Godot). „Son adolescence et sa jeunesse s’effaçant d’année en année laissaient à nu, un adulte rabougri qui inspirait la moquerie et le mépris dans les pires moments...” (Tournier, Le Nain rouge). „Le pire des malheurs est, pour les cœurs faibles et tendres d’avoir une fois connu le plus grand des bonheurs” (R. Rolland, Jean-Chistophe; P.R.). „La sympathie peut faire éclore bien des qualités somnolentes; je me suis souvent persuadé que les pires gredins sont ceux auxquels d’abord les sourires affecteux ont manqué” (A. Gide, Si le grain; P.R.).

Remarque. Un possessif (ou un démonstratif) peut introduire pire employé au superlatif. Nos pires défauts... Ce pire vice. ________________

99 C’est là son moindre défaut = ce défaut est le moindre de ceux que la fourmi peut avoir.

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Adverbes Les superlatifs le mieux, le pis. Les adverbes bien et mal possèdent en tant que formes de

superlatifs relatifs le mieux et le pis.

Le mieux

Ex.: „J’ai souvent admiré dans les agences les photographies du Président-Welling. C’est certainement le paquebot le plus rapide et le mieux aménagé de tous” (Adamov, Le Professeur Taranne). „Toujours égale à elle-même, leur mère avait imperturbablement le mot ou le geste qui pouvait le mieux apaiser ou réjouir ses petits” (Tournier, Vendredi). „De toutes les écoles que j’ai fréquentées, c’est l’école buissonnière qui m’a paru la meilleure et dont j’ai le mieux profité” (A.France, Petit Pierre; P.R.).

Remarque. Selon A.Thomas, l’article reste invariable s’il y a comparaison entre les différents degrés de la qualité dans un même être: C’est aujourd’hui qu’elle est le mieux habillée (Dictionnaire des difficultés de la langue française).

Le pis Le pis signifie le contraire de le mieux. Ex.: „Le pis pour les jeunes filles, c’est de pleurer sans savoir

pourquoi” (Michelet, La femme). „Mais le pis était que ma pauvre mère grossissait dans les même proportions mes torts et fautes” (A.France, Petit Pierre; P.R.). Le pis qu’il puisse nous arriver c’est de mourir (Bernanos; le Lexis). „Le pis fut que l’on mit en piteux équipage / Le pauvre potager...” (La F.IV, 4). „Le pis qui puisse vous arriver, est d’interrompre votre travail” (Bernanos, Journal d’un curé...) „Mais ce n’est pas là le pis; c’est qu’il n’y a dans le tout aucun principe de l’art” (Diderot, Salon 1789, Greuze, P.R.).

Le superlatif relatif exprimé par la construction le plus + que + proposition

(l’adverbe plus précédé de l’article défini, et suivi du que com-paratif et de toute une proposition).

Ex.: „Il commanda au maréchal de Créqui de les fatiguer (= les Impériaux) le plus qu’il pourrait” (Racine, Camp. de Louis XIV; P.R.) „L’impression qui résulte de ces peintures de voluptés n’est point

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agréable; il (= saint Augustin) les flétrit, il les enlaidit et les salit le plus qu’il peut en son style bizarre” (Sainte-Beuve, Chateaubriand). „Je suis empêtré dans une foule de lectures que je me hâte de terminer: je travaille le plus que je peux et je n’avance pas à grand-chose” (Flaubert, Corresp.; P.R.). „Il faut se renfermer le plus qu’il est possible, dans le simple naturel” (Pascal, Pensées).

Proportionnalité Le rapport de proportionnalité

La proportion porte sur une qualité, une quantité ou une intensité.

Proportions croissantes directes Si les actions ou les états que l’on rapproche en vue de les com-

parer sont envisagés comme croissant dans une mesure semblable, on indique ce processus par les adverbes ou les expressions:

10 plus... plus100; plus... et plus (langue litt.). Ex.: „Plus je rencontre de gens, plus je suis heureux” (Beckett,

Godot). „Plus j’étais fier de toi, plus je t’aimais” (Ionesco, Victimes du devoir). „Mais, plus m’étreint le chagrin, plus je m’affermis dans la volonté d’en finir” (De Gaulle, L’Appel). „Plus le trouble est grand, plus il faut gouverner” (De Gaulle, Le Salut). „Il protestait à grands cris, mais plus il criait fort, plus elle était sûre d’avoir raison” (Tournier, La fin de Robinson Crusoé). „Pierre s’éloigna, attiré par l’atmosphère de fraîcheur vivante du petit bois. Plus il s’avançait sous les arbres bourgeonnants, plus le grondement de la circulation s’affaiblissait” (Tournier, L’aire du Muguet). Plus ça change, plus c’est la même chose. „Ainsi voyez-vous, plus vous voulez vous élever, plus il faut avoir les pieds sur terre. Chaque arbre vous le dit” (Tournier, Le petit Poucet). Plus je le connais, plus je l’aime. Plus tu amasses de bien, plus tu en veux amasser. Plus la saison est triste, plus elle est en rapport avec moi. „Plus l’arène est resserrée, plus les combats sont furieux” (Michelet, His. Rév. fr.; P.R.). „Plus la colonne anglaise avançait, plus elle devenait profonde et en état de réparer les pertes continuelles que lui causaient tant d’attaques réitérées” (Voltaire, Siècle de Louis XIV). „Ainsi, plus je réfléchissais et plus de choses méconnues et oubliées je sortais de ma mémoire” (Camus, L’Étranger). „Plus vous me décrivez Mesdemoiselles vos cadettes, ... et plus je me ________________

100 Plus répété marque une augmentation corrélative (H.D.T.).

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rends compte combien l’une d’elles aurait fait une excellente compagne pour ce pauvre homme” (Exbrayat, Félicité...). „Plus je sentais que je leur déplaisais et plus j’accentuais tout ce qui, en moi, leur faisait horreur” (Fr. Mauriac, Nœud de vipères). „Plus l’offenseur est cher et plus grande est l’offense” (Corneille, le Cid I, 6). Plus vous étudiez la musique et plus elle vous plaira (W.).

20 mieux... plus. Cette structure marque une augmentation direc-tement proportionnelle.

Ex.: Mieux on vous accueille ici, plus vous devez craindre (Sandf.). „Mieux je saisis ces rapports, plus je m’intéresse à l’œuvre” (A. France, Jardin d’Épicure; P.R.). Mieux il parle, plus il persuade ses auditeurs. „Mieux il s’habille, plus il déplaît” (Z.).

Proportions décroissantes directes Si les actions ou les états que l’on rapproche en vue de les

comparer sont envisagés comme décroissant dans une mesure semblable, on indique ce processus par l’expression moins... moins; moins... et moins.

Ex.: Moins il travaille, moins il réussira. Moins on mérite un bien, moins on ose l’espérer. Moins on a d’argent, moins on en dépense. Moins les nuits sont calmes et sereines, moins la rosée est abondante. Moins on a de richesses, moins on a de peines. Moins cette affaire durera et moins on en parlera. Moins il se donne de peine, et moins il fait de progrès (W.).

Variations proportionnelles décroissantes Ce type de variations proportionnelles est exprimé au moyen de

l’expression plus... moins. Ex.: „Le linguiste général fera oeuvre d’autant plus utile qu’il

réussira à embrasser le plus grand nombre de langues. Mais il est fatal que, plus ce nombre est grand, moins il lui soit resté de loisir pour se spécialiser dans chacune des langues étudiées” (L. Tesnière, Éléments de syntaxe structurale). Plus il se rappelait les faits, moins il était convaincu que l’accident s’était produit comme on l’avait décrit. „Plus vous serez poète, moins vous serez géomètre et, dans la vie, il faut un peu de géométrie, et, ce qui est pis encore, beaucoup d’arithmétique” (Loti, Aziyadé; P.R.). „Plus je les connais, moins je trouve en elles cette sensation d’ivresse douce” (Maupassant, Notre cœur; Sanf.). „Plus il fait froid, moins le charbon arrive, car les canaux sont gelés” (le Lexis). Plus j’étudie, moins j’ai envie de jouer (W.).

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Variations proportionnelles croissantes

Ce type de variations proportionnelles est exprimé au moyen de l’expression moins... plus; moins... et plus.

Ex.: „Moins vous l’aimez, et plus tâchez de lui complaire” (Mithridate par Racine; H.D.T.) Moins La Fontaine exigeait, plus on lui accordait, parce qu’il semblait ne prétendre à rien. „Comme vous le voyez, je ne suis abonné à aucun journal. Moins le facteur de la poste m’apporte de lettres, plus je suis content” (Stendhal, le Rouge et le Noir; P.R.). Moins les gens sont civilisés, plus ils méprisent les règles de la politesse. „L’homme est extraordinairement habile à s’empêcher d’être heureux; il semble que, moins il est capable de supporter le malheur, plus il est apte à se l’apprivoiser” (Gide, Journal; P.R.). „L’humanité ne changeant guère, on peut dire comme un vieil auteur, que moins il y a de fripons aux galères, plus il y en a dehors” (Nerval, La main enchantée; P.R.).

Locutions proportionnelles

Le rapport de proportionnalité peut aussi être exprimé dans le premier terme de la comparaison par les locutions adverbiales d’autant plus, d’autant moins, d’autant mieux, mises en relation avec que qui introduit le second terme de la comparaison. Ce rapport peut être, en outre, marqué par les locutions conjonctives à mesure que, au fur et à mesure que, à proportion que.

D’autant plus que

Ex.: „Raphaël reprit ses leçons de piano avec le sentiment du devoir accompli et le souvenir d’une expérience d’autant plus instructive qu’elle avait été plus rude” (Tournier, Que ma joie demeure). „Tout désir de faire du beau style pour le plaisir d’en faire pour se donner et pour donner aux lecteurs des jouissances esthétiques, est pour lui proprement inconcevable, le style, à ses yeux, ne pouvant être beau qu’à la façon dont est beau le geste de l’athlète: d’autant plus beau qu’il est mieux adapté à sa fin” (N. Sarraute, L’ère du soupçon). „Ces bourdes m’ont rendu service: j’inclinais d’autant plus à m’élever au-dessus des biens de ce monde que je n’en possédais aucun” (Sartre, Les Mots). La déception semblait d’autant plus injuste que l’attente avait été plus pleine d’espérances que jamais.

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D’autant moins que Ex.: „Je dois ajouter que je suis célibataire et que j’eus d’autant

moins de scrupules à porter à dix le nombre des Muses que j’étais en cela d’acord avec les lois de mon pays, relatives au système décimal” (Apollinaire, L’Amphion). Il paraît d’autant moins avoir de soucis qu’il en a davantage (Z.). „On le croyait d’autant moins que sa défense était plus compliquée et son argumentation plus subtile” (Maupassant, Contes; Sandf.). „Et je dois d’autant moins oublier la vertu / Qu’elle même s’oublie...” (Racine, Esther, II, 3; P.R.).

D’autant mieux que Ex.: „Tous ces sentiments du lecteur à l’égard du roman,

l’auteur, il va sans dire, les connaît d’autant mieux que, lecteur lui-même, et souvent assez averti, il les éprouve” (N.Sarraute, L’ère du soupçon). La chaleur se conserve d’autant mieux que vous fermez plus vite le thermos. „Elle devait aimer d’autant mieux qu’elle avait aimé plus tard” (Gyp, Tante Joujou; Sandf.). „Le vénérable auditeur remplis-sait d’autant mieux cette condition... que son attention ne pouvait être distraite par aucun bruit” (V. Hugo, Notre-Dame; F.B.).

Pour autant que Cette locution exprime la proportion et la restriction; elle signifie

„dans la mesure où”; „dans la seule mesure où”. Ex.: Pour autant qu’on ait pu l’établir par la suite, il arrivait de

la direction de la plage (Le Carré). Pour autant que je le sache, ils étaient tous d’une loyauté à toute épreuve. Pour autant que je connaisse ces gens, ils sont extrêmement honnêtes. „Pour autant que je le sache, ils étaient d’une très honnête et probablement très loyale piété (Duhamel, Pasquier; P.R.). „Les vins étaient merveilleux, pour autant que j’en ai pu juger” (Gide, École; Sandf.). Il ne sait rien de l’affaire pour autant que son étonnement soit sincère (le Lexis).

Remarques. Pour autant que se construit avec l’indicatif, le conditionnel ou le subjonctif selon le sens exigé par le contexte: „Pour autant qu’il pouvait attacher de l’importance à si peu de chose, il semblait préoccupé” (Proust, Du côté de chez Swann). Ces idées, pour autant qu’elles se répandraient, pourraient devenir dangereuses (H.). Pour autant que je m’en souvienne, il était un excellent collègue. Pour autant que j’en puisse juger, cette découverte aura une influence bénéfique sur la production agricole.

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Dans la mesure où101 Cette locution peut avoir le sens de pour autant que, dans la

proportion de (où). Ex.: „Je ne triompherai de la déchéance que dans la mesure où

je saurai accepter mon île et me faire accepter par elle” (Tournier, Vendredi). „Il se représenta vivement que les choses désirables de la vie s’éloignerait ou se rapprocherait de lui, exactement dans la mesure où il se rapprocherait et s’éloignerait de cet état de patron” (J. Romains, Hommes de bonne volonté). „Ce qui m’est apparu tout à coup avec une évidence impérieuse, c’est la nécessité de lutter contre le temps, c’est-à-dire d’emprisonner le temps. Dans la mesure où je vis au jour le jour, je me laisse aller, le temps me glisse entre les doigts, je perds mon temps, je me perds” (Tournier, Vendredi). Dans la mesure où vous le croirez nécessaire, avertissez-moi (le Lexis). Dans la mesure où elle permet une action concrète, la nouvelle organisation de l’entreprise aura un effet immédiat sur la production.

En tant que (= dans la mesure où, dans la mesure que) I. Le second terme de la comparaison est constitué par une pro-

position à verbe fini. Ex.: „Les moyens de la psychanalyse sont ceux de la parole en

tant qu’elle confère aux fonctions de l’individu un sens; son domaine est celui du discours concret en tant que champ de la réalité transindividuelle du sujet; ses opérations sont celles de l’histoire en tant qu’elle constitue l’émergence de la vérité dans le réel” (Lacan, Écrits). Il ne s’intéresse à nous qu’en tant que nous pouvons l’aider (Hanse). „L’entendement en tant qu’il invente il s’appelle esprit, en tant qu’il juge s’appelle raison” (Bossuet; P.R.). „La société humaine peut être considéré en deux manières: ou en tant qu’elle embrasse tout le genre humain, comme une grande famille, ou en tant qu’elle se réunit en nations” (Bossuet, Politique; P.R.). „La méditation n’a de valeur qu’en tant qu’elle est fructueuse” (Duhamel, Paul Claudel; Grev.). „En tant qu’il s’agit de notre terre avec toutes ses particularités physiques, la météorologie est une science des faits” (Sechehaye; Sandf.). ________________

101 Selon Hanse dans la mesure où implique un sens de proportion, une idée de degré. Cette locution „ne devrait pas se prendre comme l’équivalent de parce que ou de si” (v. Dictionnaire des difficultés du français moderne).

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II. Le second terme de la comparaison n’est pas une proposition à verbe fini, du moins dans la structure de surface.

Ex.: On peut dire que toute idée est distincte en tant que claire (Logique de Port-Royal). La loi gouverne le monde en tant que conforme aux aspirations des peuples.

Autant que Cette locution conjonctive peut avoir aussi le sens de dans la

mesure où, dans la mesure de. Ex.: On n’est respecté qu’autant qu’on est juste (Acad.). Cela

n’a d’intérêt qu’autant qu’on en tire de l’argent de ce capital. Ce livre est bien écrit autant que j’en puis juger. L’homme n’est responsable qu’autant qu’il est libre. „Il n’est plus mon sujet qu’autant qu’il le veut être” (Corneille, Nicomède, II, 1; P.R.). „Ne vous rendez-vous pas compte que j’ai sur votre vie un empire suprême, / que vous ne respiriez qu’autant que je vous aime?” (Racine, Bajazet, II, 1).

„On ne peut connaître son caractère et surtout l’influence qu’on a sur lui, qu’autant qu’on a passé par beaucoup d’alternatives de joie et de malheur” (Stendhal, Souvenirs d’égotisme; P.R.). „La plupart des hommes ne pensent qu’autant qu’ils parlent” (R. Rolland, Musiciens d’aujourd’hui; P.R.)102.

Suivant que Cette locution peut marquer la conformité étant alors synonyme

de selon que. Lorsqu’elle a le sens de „dans la mesure où”, elle exprime la proportionnalité.

Le second terme de la comparaison est une proposition à verbe fini.

Ex.: „Son souffle revenait de seconde en seconde, variant un peu de ton, suivant que l’air entrait ou sortait de la poitrine” (Maupassant, Le Vieux). „La brise m’apporte le chant des cloches, tantôt plus fort, tantôt affaibli, suivant qu’elle s’éveille ou s’assoupit” (Maupassant, Horla; L.B.). „C’est curieux comme le point de vue diffère suivant qu’on est le fruit du crime ou de la légitimité (A.Gide, Faux-Monnayeurs; P.R.). Toute sensibilité très vive peut, suivant que l’organisme est robuste ou débile, devenir, je le crois, cause de délice ou de gêne” ________________

102 Dans ces exemples, le second terme de la comparaison est constitué d’une proposition à verbe fini.

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(A. Gide, Symphonie pastorale; P.R.). Il faut récompenser les gens ou les punir suivant qu’ils ont bien ou mal travaillé. Je le récompenserai suivant qu’il m’aura servi (Acad.).

Remarque. Selon que et suivant que se construisent avec l’indicatif ou la forme en -rais (le conditionnel)103.

Selon que Cette locution peut exprimer aussi la mesure, la proportion. Ex.: „Selon que vous serez puissant ou misérable, / Les juge-

ments de cour vous rendront blanc ou noir” (La F. VII, 1). „J’en userai avec lui selon qu’il en usera avec moi” (Acad.). „Selon qu’il vous menace, ou bien qu’il vous caresse / La cour autour de vous, ou s’écarte, ou s’empresse” (Racine, Britannicus, IV, 1). „Il vit, tantôt blanche et tantôt bleu clair, selon qu’elle baignait dans l’étroit ruisseau de soleil ou qu’elle regagnait la pénombre, une jeune femme nue” (Colette, Chatte; Sandf.). Vous gagnerez plus ou moins selon que vous travaillerez bien ou non. „La pluie, la neige, la gelée, le soleil devinrent ses ennemis ou complices, selon qu’ils nuisaient ou qu’ils aidaient à sa fortune” (Mauriac, Destins; P.R.). Vous avez tort ou raison selon que l’argent conserve sa valeur ou la perd (W.).

À mesure que, au fur et à mesure que Ces locutions servent à exprimer la proportionnalité impliquant

une nuance de succession temporelle.

À mesure que Cette locution marque la progression dans la durée. Elle signifie

„à proportion que”, etc. Ex.: „Le deuxième druide allait vers la montagne, à l’est. À

mesure qu’il la gravissait, il apercevait au loin une ville ronde et lumineuse” (Apollinaire, L’Enchanteur). „Mais à mesure que la fatigue se dissipe, une autre faiblesse s’insinue en lui, prend possession, pénètre sa volonté d’un attendrissement si lâche, si poignant!” (Bernanos, Tentation...). „À mesure que montait le soleil, dans l’air limpide, une brise soufflait par grandes haleines régulières creusant les champs d’une houle, qui partait de l’horizon, se prolongeait, allait mourir à ________________

103 Il y a des linguistes qui préfèrent aujourd’hui ranger le conditionnel parmi les temps de l’indicatif en lui gardant son nom de conditionnel.

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l’autre bout” (Zola, La Beauce). „À mesure que les hommes descen-daient vers le fond de la vallée, la ville qu’ils avaient entrevue un instant disparaissait, et ils ne trouvaient que la terre sèche et nue” (Le Clézio, Désert). „À mesure que le navire approchait, Robinson distin-guait une foule brillante sur le pont, le château de proue et jusqu’aux tillacs” (Tournier, Vendredi). „L’Allemagne revenait à ses ambitions, à mesure qu’elle recouvrait ses forces” (De Gaulle, L’Appel). „Il passa la nuit recroquevillé dans les herbes, le visage tourné vers la caverne incandescente, traversée de lueurs fulgurantes, qui s’ouvrait à la base de l’arbre, et il se rapprochait du foyer à mesure que sa chaleur diminuait” (Tournier, Vendredi). „Le lendemain, à 18 heures, je lus au micro le texte que l’on connaît. À mesure que s’envolaient les mots irrévocables, je sentais en moi-même se terminer une vie, celle que j’avais menée dans le cadre d’une France solide et d’une indivisible armée” (De Gaulle, id.). „À mesure qu’augmentait leur ivresse, ils se rappelaient de plus en plus l’injustice de Carthage” (Flaubert, Salammbô). „Avant de songer à sa mission, Roy flâna quelques jours dans la ville... et à mesure que les heures coulaient, ce qu’il avait à faire lui répugnait davantage” (Exbrayat, Le temps se gâte...).

Au fur et à mesure que

Cette locution signifie „en même temps et proportionnellement” ou „dans la même proportion”.

Le terme latin forum (place publique, marché, et par extension de sens „opérations faites au marché” est devenu en français fur; ce mot signifiait au début prix, toise, taux; au XVIe siècle, au fur (= à proportion) a été renforcé par à mesure, d’où en français moderne l’expression au fur et à mesure.

Ex.: On trie les paquets au fur et à mesure qu’ils arrivent. Au fur et à mesure que la voiture avançait, elle s’embourbait. „Et puis Marrain n’aimait pas tellement cet air enfumé de chez Jérôme, ces tables cirées qui devenaient poisseuses les jours d’affluence, ces ronds mouillés que les verres laissaient sur le bois et qui finissaient par faire de drôles de dessins baveux en se croisant et se recroisant au fur et à mesure que les buveurs les reposaient avec bruit” (Lucette Desvignes, Les nœuds d’argile). „Puis, tous ensemble, au fur et à mesure que la digestion les entraînait vers une douce somnolence, ils se laissèrent aller au charme mélancolique d’un autrefois évoqué avec tendresse” (Exbrayat, Félicité). „Au fur et à mesure que le bateau s’éloigne du

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rivage, il dérange des vols de cormorans” (Le Clézio, Le chercheur d’or). „Nous étions immobilisés dans une purée de pois, sur une mer assez dure, cassante, et toutes les trois minutes la sirène du bord meuglait lamentablement dans le brouillard et d’autres sirènes, plus ou moins proches et de plus en plus nombreuses au fur et à mesure que l’après-midi s’écoulait, lui répondaient sur des tons allant du grave à l’aigu” (Cendrars, Bordeaux). „Peu à peu, au fur et à mesure qu’il avance dans le ténébreux maquis de la connaissance, il use du pourquoi avec plus de modération” (Duhamel, Plaisirs et jeux; P.R.). „Nous vendrons ces objets au fur et à mesure que nous aurons besoin d’argent” (H.). Je dépense mon salaire au fur et à mesure qu’il me rentre en poche (W.).

À proportion que

Cette locution conjonctive commence à sortir de l’usage. Elle est encore employée, mais rarement, en français littéraire. Elle signifie „dans la mesure où, à mesure que”.

Ex.: „Les observations de la Bruyère, comme il est naturel de la part d’un habile observateur qui n’était point un grand esprit, sont intéressantes et piquantes, à proportion qu’elles portent sur de plus petits objets” (E. Faguet, Études littéraires; P.R.). „Et ne voulez-vous pas admettre que nous nous piquons à nos opinions avec d’autant plus de violence que nous les sentons plus discutées ou plus douteuses, les tenant ainsi pour certaines à proportion qu’elles ne le sont pas” (Paulhan, Entretien...; P.R.).

Constructions infinitives exprimant la comparaison104

Dans ces constructions, le sujet de la „comparative” à l’infinitif doit être le même que celui du verbe principal.

Plutôt que de + l’infinitif

Cette structure exprime la préférence. Ex.: Je m’efforce de travailler plutôt que de perdre mon temps.

Il se ferait plutôt hacher que de céder. „Cette mère s’était enfuie plutôt que d’attester la vérité” (Apollinaire, L’Enchanteur...). Plutôt que de faire cela, il aimerait mieux partir tout de suite. „Ceux-là plutôt que de ________________

104 La proposition comparative corrélative est réduite à un infinitif.

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me mépriser, ils feraient mieux de se regarder en face avec sang froid” (Duhamel, Salavin; P.R.). „Nos diplomates avaient-ils tort de préférer doter leur pays d’une arme à double tranchant plutôt que de le laisser désarmé? (Martin du Gard, Thibault; P.R.). Plutôt que d’être mal loué, il faut préférer ne l’être point. „En écoutant le commissaire, Darius réentendait le B.B. d’autrefois. Il en était ému, si ému qu’il préféra quitter le bureau sur un vague acquiescement, plutôt que de répondre, ayant la gorge trop serrée pour pouvoir le faire sans trahir son émoi” (Exbrayat, Félicité...). „Le capitaine a choisi de fuir le vent plutôt que de se résigner à attendre à Agalega” (Le Clézio, Le chercheur d’or). „On y portait les morts durant la nuit, mais la place manquait et les vivants se battaient à coups de torches pour y placer ceux qui leur avaient été chers, soutenant des luttes sanglantes plutôt que d’abandonner leurs cadavres” (Camus, La Peste). „La nuit est si belle, sur la mer comme au centre du monde, quand le navire glisse presque sans bruit sur le dos des vagues. Cela donne le sentiment de voler plutôt que de naviguer, comme si le vent ferme qui appuie sur les voiles avait transformé le navire en un immense oiseau aux ailes éployées” (Le Clézio, Le chercheur d’or).

Remarque. Dans l’ancienne langue, on rattachait plutôt que à l’infinitif. Cette construction est encore employée dans la langue littéraire.

Ex.: „Le trépas vient tout guérir; / Mais ne bougeons d’où nous sommes: Plutôt souffrir que mourir, / C’est la devise des hommes” (La F. I, 16). „Plutôt mourir qu’abandonner l’innocent” (G.Duhamel, Les plaisirs et les jeux; H.).

Préférer + infinitif + plutôt que (de) + infinitif

Après le verbe préférer si le second terme de la comparaison est un infinitif, on emploie plutôt que de ou plutôt que.

Ex.: „Marie de Médicis préféra négocier avec les rebelles plutôt que de courir le risque d’une guerre civile” (Bainville, Histoire de France; P.R.). Il préférait deviner les êtres plutôt que (de) les inter-roger (H.). Je préfère participer à ce voyage organisé plutôt que (de) rester à la maison.

Aimer mieux... plutôt que de + l’infinitif Ex.: „Si ce mariage doit se faire, j’aimerais mieux en courir la

chance plutôt que de poser des conditions” (H. Becque, Les Corbeaux; Grev.).

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„Pour les esprits rapides qui... aiment mieux rester dans la con-fusion plutôt que de tâcher d’en sortir, Yves Bonnefoy peut paraître un hermétiste comme les autres” (E. Henriot; P.R.).

Aimer mieux + infinitif... + que + de + infinitif 105 Cette construction exprime la préférence. Ex.: Il aime mieux faire cela que de faire autre chose (Littré).

J’aime mieux lui pardonner que de le réduire au désespoir (Bescherelle). Il aimait mieux être vaincu avec des soldats que de vaincre avec des peuples” (Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe; Grev.). J’aimerais mieux mourir que de faire une si mauvaise action (Acad.). „Quoiqu’à peine à mes maux je puisse résister, / J’aime mieux les souffrir que de les mériter” (Corneille, Horace, I, 2; P.R.). J’aimerais mieux mourir que de l’avoir abusée” (Molière, École des femmes, V, 2). J’aime mieux sortir seul que (de) rester enfermé dans ma chambre. Il aimait mieux quitter la ferme que de continuer à garder ce cheval fougueux.

À tant faire que (de) + infinitif Cette locution signifie „si on fait tout ce qu’il faut pour”, „si on

va jusqu’à”, („si une action est faite jusqu’au point d’intensité que l’on énonce, telle autre action sera d’autant plus facile à accomplir”; v. Paul Zumthor, op.cit., p. 147).

Ex.: À tant faire que de le rencontrer, j’aime mieux qu’il me voie autrement...” (Colette, Chéri; P.R.). À tant faire que de se raconter des histoires, il me semble qu’il serait plus naturel de se raconter sa propre histoire embellie” (R. Rolland, Jean-Christophe). À tant faire que de lui pardonner, tu aurais pu lui remettre aussi sa peine (Z.). „À tant faire que de m’ennuyer” ou „À tant faire que m’ennuyer” (H.). À tant faire que de lui remettre cet argent...” „À tant faire que de réviser la Constitution...” (R. Le Bidois, dans Vie et Langage; v. A.Th.).

Comme suivi d’un infinitif introduit par une préposition Ex.: C’est un métier que de faire un livre comme de faire une

pendule; il faut plus que de l’esprit pour être auteur” (La Bruyère, Les Caractères). Elle faisait des signes comme pour nous appeler (cette ________________

105 Le verbe aimer est suivi de deux infinitifs en comparaison; l’infinitif qui constitue le second terme de la comparaison est facultativement précédé de de: j’aime mieux écrire que (de) regarder la télévision.

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construction appelée par P. Robert comparaison de circonstances, exprime aussi le but106). „En entendant le mot „peste”, le préfet sursauta et se retourna vers la porte comme pour vérifier qu’elle avait bien empêché cette énormité de se répandre dans les couloirs” (Camus, la Peste).

Autant pour + infinitif... que pour + l’infinitif Lorsqu’on emploie cette structure, l’idée de comparaison s’efface

en grande partie et se mêle à l’idée de but qui devient prédominante. Ex.: „Il (= Robinson) décide d’entretenir ce foyer en permanence,

autant pour se réchauffer le cœur que pour ménager le briquet à silex qu’il avait retrouvé dans sa poche et pour se signaler à d’éventuels sauveurs” (Tournier, Vendredi).

________________ 106 le but ou l’intention.

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Redactor: Cosmin COMĂRNESCU Tehnoredactor: Brînduşa DINESCU

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