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ION MURĂREŢ SYNTAXE II DE LA PHRASE SIMPLE À LA PHRASE COMPLEXE Deuxième édition

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ION MURĂREŢ

SYNTAXE II

DE LA PHRASE SIMPLE À LA PHRASE COMPLEXE

Deuxième édition

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© Editura Fundaţiei România de Mâine, 2007

Editură acreditată de Ministerul Educaţiei şi Cercetării prin Consiliul Naţional al Cercetării Ştiinţifice

din Învăţământul Superior

Descrierea CIP a Bibliotecii Naţionale a României MURĂREŢ, ION Syntaxe II. De la phrase simple à la phrase complexe / Ion Murăreţ –, Ed. a 2-a, Bucureşti: Editura Fundaţiei România de Mâine, 2007 Bibliogr.

ISBN 978-973-725-791-8 978-973-725-832-8 vol. 2 811.133.1'367(075.8)

Reproducerea integrală sau fragmentară, prin orice formă şi prin orice mijloace tehnice, este strict interzisă

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UNIVERSITATEA SPIRU HARET FACULTATEA DE LIMBI ŞI LITERATURI STRĂINE

Prof. univ. dr. ION MURĂREŢ

SYNTAXE II

DE LA PHRASE SIMPLE À LA PHRASE COMPLEXE

Deuxième édition

EDITURA FUNDAŢIEI ROMÂNIA DE MÂINE Bucureşti, 2007

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TABLE DES MATIÈRES

SYNTAXE

Définitions de la syntaxe …………………………………………….…………… 7

LA PHRASE Traits caractéristiques concernant la définition de la phrase ……….………….. 8 Définitions de la phrase ……………………………………………………………. 10 Les unités de la phrase (la phrase et ses éléments). La structure hiérarchique de la phrase ………………………………………………………………………….

12

La proposition ……………………………………………………………………… 12 Le syntagme ……………………………………………………….………………... 14 Le test de substitution ou de commutation ……………………………………….. 14 Le test d’effacement ……………………………………………………………….. 14 Le test d’addition …………………………………………………………………... 15 Le test de déplacement …………………………………………………………….. 15

LES FONCTIONS SYNTAXIQUES Catégorie et fonction ……………………………………………….………………. 16 Les fonctions définies selon différents critères …………………….……………... 17

Le critère positionnel …………………………………………….…………… 17 Le critère morphologique …………………………………………………….. 19 Le critère transformationnel ………………………………………………….. 20 Le critère catégoriel ………………………………………………………….. 20

LA STRUCTURE SYNTAXIQUE DE LA PHRASE SIMPLE L’analyse en constituants immédiats …………………………………………….… 22

LES STRUCTURES FONDAMENTALES DE LA PHRASE SIMPLE. LA FONCTION SUJET

Les réalisateurs du sujet …………………………………………………………… 27 Les équivalents propositionnels du groupe nominal sujet ………….…………… 30 Le sujet et la transformation passive ……………………………….…………….. 30 Le sujet des verbes impersonnels …………………………………………………. 30 Le terme complétif …………………………………………………………………. 32 Ellipse du sujet ……………………………………………………………………... 33 Accord du verbe avec le sujet ……………………………………………………... 35 Place du sujet ……………………………………………………….………………. 56 Interprétations sémantiques du sujet ……………………………….…………….. 70

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LE GROUPE PRÉDICATIF

Le groupe verbal et l’analyse des actants ………………………………………… 71 Le groupe verbal et la théorie des arguments ……………………………………. 72 Les fonctions syntaxiques fondamentales du groupe prédicatif ………………… 73 Le complément d’objet direct …………………………………………………….. 73

L’objet interne ………………………………………………………………... 74 Les réalisateurs du complément d’objet direct ……………………………….. 75 Place du complément d’objet direct ………………………………………….. 76 La mise en relief du c.o.d. ………………………………………….…………. 77

Le complément d’objet indirect …………………………………………………… 77 Les réalisateurs du complément d’objet indirect ………………………………… 82 La place du complément d’objet indirect ………………………………………… 82

LA FONCTION ATTRIBUT

L’attribut du sujet …………………………………………………………………. 85 Les réalisateurs de l’attribut du sujet (la nature de l’attribut du sujet) …………… 89 L’accord du nom attribut du sujet ………………………………….…………….. 92 L’accord de l’adjectif attribut du sujet …………………………………………… 93

L’ATTRIBUT DU COMPLÉMENT D’OBJET DIRECT

Nature de l’attribut du complément d’objet direct ……………………………… 95 Construction de l’attribut du complément d’objet direct ……………………….. 96 La place de l’attribut du complément d’objet direct ……………….……………. 98

LES COMPLÉMENTS CIRCONSTANCIELS

Les principaux types de réalisateurs des structures qui exercent dans la phrase une fonction circonstancielle …………………………….…………………………

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Distinctions sémantiques concernant les compléments circonstanciels .……………... 101 La construction des compléments circonstanciels ………………….……………. 101

LES TYPES DE PHRASE

Les phrases interrogatives …………………………………………………………. 104 Les phrases interrogatives directes ……………….………………………….. 104

L’interrogation totale …………………………………………………….. 104 L’interrogation partielle ………………………………………………….. 107

La phrase injonctive ou impérative ………………………………………………. 113 La phrase exclamative ……………………………………………………………... 118 La phrase négative ………………………………………………….……………… 125 La phrase emphatisée ……………………………………………………………… 150 La phrase passive …………………………………………………………………... 154 La phrase impersonnelle …………………………………………………………... 156 Bibliographie ……………………………………………………………………….. 163

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SYNTAXE Le mot syntaxe a été employé pour la première fois au XVIe siècle par

Ramus. „La syntaxe, dit-il, c’est la seconde partie de la grammaire qui enseigne le bâtiment des mots entre eux par leurs propriétés”.

Le terme de syntaxe est formé au moyen de la préposition grecque sun „avec”; cette préposition marque l’idée de réunion dans le temps ou dans l’espace, l’idée d’ensemble; un autre mot grec qui entre dans la formation du mot syntaxe est taxis qui signifie „ordre, arrangement”. On peut ainsi dire que le mot grec syntaxis, signifie mise en ordre, disposition, assemblage.

En parlant de la syntaxe, Mme de Staël, dans De l’Allemagne a écrit: „Les mots sont en même temps des chiffres et des images; ils sont esclaves et libres, soumis à la discipline de la syntaxe, et tout-puissants par leur signification naturelle”.

Définitions de la syntaxe

1. „La syntaxe décrit la façon dont les mots se combinent pour former des groupes de mots et des phrases” (M. Riegel, Gram. méthodique).

2. „On appelle syntaxe la partie de la grammaire décrivant les règles par les-quelles se combinent en phrases les unités significatives. La syntaxe qui traite des fonctions se distingue traditionnellement de la morphologie, étude des formes ou des parties du discours.” (J. Dubois, Dictionnaire de linguistique, Paris, Larousse, 1993).

3. La syntaxe a pour objet l’étude des catégories formelles, des types de relations entre les formes élémentaires du discours.

Elle comprend: a) l’étude des règles qui président à l’arrangement de mots, à la construction

de propositions et de phrases dans une langue. b) „l’étude descriptive des relations existantes entre les unités linguistiques

dans le discours et des fonctions qui leur sont attachées” (P. Guiraud, La Syntaxe). 4. „La syntaxe étudie les relations entre les mots: l’ordre des mots, l’accord

sont des phénomènes de syntaxe” (M. Grevisse, Le Bon Usage, Duculot, 1997, § 4). 5. La syntaxe „étudie les rapports constituant la phrase (syntagmes), entre les

membres de ces groupes (mots) ou entre les phrases dans le discours.” (Le Lexis) 6. „Ce n’est qu’exceptionnellement que nous nous exprimons par mots isolés,

ou seulement juxtaposés; d’ordinaire notre pensée s’énonce par un assemblage de mots rangés, liés et accordés selon les règles et usages propres à chaque idiome. La Syntaxe est l’ensemble, la condition de ces règles et usages.” (G. et R. Le Bidois, Syntaxe du français moderne, Paris, Picard, 1967, vol. I, p. 224).

Remarques. 1. L’existence d’une dimension syntaxique est confirmée par le fait que l’ordre des mots dans le discours n’est pas dû au hasard.

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2. On ne peut pas isoler totalement la syntaxe et la phonétique. Il y a des structures syntaxiques, mais aussi des phénomènes phonétiques (il s’agit de la liaison, de l’enchaînement, de l’intonation, de l’accentuation, des pauses).

LA PHRASE

Traits caractéristiques concernant la définition de la phrase

La phrase a été définie à partir d’une série de critères ou de traits caractéristiques. A) Trait caractéristique concernant la graphie ou l’orthographe. Il y a des définitions qui caractérisent la phrase comme étant une suite, un

assemblage, un ensemble de mots délimitée matériellement à son commencement, par une majuscule à l’initiale du premier lexème, et, à la fin, par un point, un point d’interrogation ou un point d’exclamation (une ponctuation „forte”).

Ce trait caractéristique employé dans la définition de la phrase soulève plusi-eurs questions:

1. Comment doit-on analyser les textes littéraires dépourvus de ponctuation? Exemples: Apollinaire, Le pont Mirabeau

Sous le pont Mirabeau coule la Seine Et nos amours Faut-il qu’il m’en souvienne La joie venait toujours après la peine Vienne la nuit sonne l’heure Les jours s’en vont je demeure … etc. Apollinaire, Adieu

J’ai cueilli ce brin de bruyère L’automne est morte souviens t’en Nous ne nous reverrons plus sur terre Odeur du temps brin de bruyère Et n’oublie pas que je t’attends

2. Combien faut-il voir de phrases dans les énoncés où les propositions à verbe fini, constituant des circonstants, sont séparées par un point de leur propo-sition principale?

Exemples: „En même temps, j’essayais de ne pas perdre le fil de mon inven-taire, de faire une énumération complète. Si bien qu’au bout de quelques semaines, je pouvais passer des heures, rien qu’à dénombrer ce qui se trouvait dans ma chambre” (Camus, L’Étranger). „Des Chinois arrivèrent aussi. Si bien qu’au bout de quelques mois Cox-City comptait près de cinq mille habitants” (Apollinaire; GLFC).

B) Critère concernant le domaine de la phonétique employé dans la défini-tion de la phrase.

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Au point de vue phonétique, la phrase est délimitée par deux pauses impor-tantes de la voix entre lesquelles se déroule la courbe mélodique qui est déterminée par l’intonation. Celle-ci est un trait suprasegmental, une caractéristique phonique qui affecte un segment plus long que le phonème.

L’intonation porte non seulement sur les éléments d’information affectifs, connotatifs, esthétiques par lesquels les sentiments et les émotions s’unissent à l’expression des idées, mais elle remplit aussi une fonction syntaxique, étant donné qu’au moyen de la courbe mélodique on peut reconnaître le type auquel appartient la phrase, par exemple le type assertif, le type injonctif, le type exclamatif.

Certains linguistes ont critiqué le critère concernant l’intonation employé dans la définition de la phrase, en affirmant qu’on ne saurait décrire avec précision les différents types de mélodie (v. A. Martinet, Éléments de linguistique générale, Paris, A. Colin, 1993).

En ce qui concerne la présence de deux pauses qui marqueraient l’une le début de la phrase et l’autre la fin de celle-ci, certains grammairiens précisent que des pauses peuvent aussi apparaître au cours de l’énonciation d’une phrase.

C) Un autre critère employé dans la définition de la phrase est d’ordre sémantique. Selon le Trésor de la langue française, la phrase est un assemblage de mots grammaticalement cohérent produisant un sens complet. Gérald Antoine dans la Coordination en français (vol. I, p. 54) souligne lui aussi que „la phrase exprime d’abord une unité psychologique, autrement dit un sens complet ou plus simple-ment encore une pensée.”

Des énoncés corrects au point de vue grammatical ne peuvent pas constituer des phrases s’ils sont aberrants au point de vue sémantique. N.Chomsky en donne un exemple dans son ouvrage Syntactic Structures, Paris, Mouton, 1957 (trad. fr. Paris, Éd. du Seuil, 1969, Structures syntaxiques): „D’incolores idées vertes dorment furieusement.”

Le critère d’ordre sémantique est critiqué par certains linguistes. Nous avons mentionné qu’on a défini la phrase comme représentant une unité de pensée ou comme un assemblage de mots ayant „un sens complet”. Cependant comment expliquer que deux ou plusieurs unités de pensée peuvent devenir une seule unité de pensée?

Deux unités de pensée comme par exemple: Jean se trouvait à bord de son yacht. Une tempête éclata, peuvent devenir une seule unité de pensée: Jean se trouvait à bord de son yacht quand une tempête éclata.

M.Riegel dans la Grammaire méthodique, a montré que cinq phrases ayant chacune un sens complet peuvent faire une seule phrase au sens complet :

Il fait froid. Or je suis frileux. Je ne viendrai donc pas. Mais vous ne m’en voudrez pas si je ne viens pas. Comme il fait froid et que je suis frileux, je sais que vous ne m’en voudrez pas si je ne viens pas.

En outre, le critère sémantique même complété par les critères graphique et phonétique n’est pas suffisant pour caractériser une phrase; de nombreux assemblages de mots correctement orthographiés et prononcés ne sauraient guère prétendre au statut de phrases, bien qu’ils soient parfaitement interprétables et porteurs d’un sens complet. La raison en est que ce critère laisse échapper un aspect important de la phrase, celui de la grammaticalité. Ainsi, Jouer ballon enfant est un énoncé qui, dans certaines situations, peut être compris. Cependant,

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cet énoncé n’est pas bien formé, il n’est pas conforme aux règles de la grammaire de la langue. La forme correcte de cet énoncé est, comme on le sait, L’enfant joue au ballon.

Un autre critère employé pour définir la phrase est d’ordre syntaxique. J.Dubois et R.Lagane dans La nouvelle grammaire du français, Paris,

Larousse, 1975, p. 14 précisent que la phrase se définit d’abord par sa structure syntaxique:

„Les phrases sont des suites de mots ordonnés d’une certaine manière qui entretiennent entre eux certaines relations c’est-à-dire qui répondent à certaines règles de grammaire et qui ont un certain sens. Ainsi : Les nuages courent dans le ciel est une phrase”.

La phrase est une unité syntaxique supérieure, (presque) autonome: elle peut être soumise à l’analyse au moyen d’un ensemble de règles morphosyntaxiques.

La phrase est le résultat d’un enchaînement d’unités linguistiques d’un rang ou d’un niveau inférieur; celles-ci sont soumises à des contraintes telles que l’ac-cord et l’ordre des mots.

Dans la phrase: Les feuilles tombent des arbres, il y a des contraintes d’accord qui ont lieu entre le nom feuilles et l’article défini les, entre les feuilles et tombent, entre l’article contracté des et le nom arbres. Il y a des contraintes en ce qui concerne l’ordre des mots qui font que l’article précède obligatoirement le nom et que le GN Les feuilles précède le groupe prédicatif.

Suivant M.Riegel (op. cit., p. 104), „la phrase est formée de constituants sans être elle-même un constituant (elle n’entre pas dans une construction syntaxique d’or-dre supérieur et n’a donc pas de fonction grammaticale au sens ordinaire du terme)”.

On a souligné plus haut que la phrase est une unité presque autonome ou semi-autonome, étant donné que le texte est un dépassement de la phrase, une unité de niveau transphrastique.

On peut presque toujours remarquer que la phrase n’est pas l’unité supérieure à laquelle aboutit l’analyse grammaticale. La plupart des phrases peuvent être considérées comme étant le résultat d’une continuité et le commencement d’une autre. La grammaire de texte montre clairement que des rapports grammaticaux peuvent s’étendre au-delà des frontières d’une phrase. L’étude du niveau transphrastique concerne l’étude des unités de discours d’un niveau supérieur à la phrase. Au niveau transphrastique, un rapport entre une phrase et une autre peut avoir lieu dans le cadre d’une relation anaphorique. L’anaphore consiste à reprendre par un pronom un autre segment du discours.

Ex. : Le jour de fête arriva. Hélène eut beaucoup de succès. Elle était la plus jolie de toutes les filles (anaphore par représentation pronominale). Le devoir de mes parents est de me guider. Le mien est de leur obéir (anaphore par représentation possessive). La paresse amollit le corps, le travail le fortifie. Celle-là avance la vieillesse, celui-ci prolonge la jeunesse (anaphore par représentation démonstrative).

Définitions de la phrase 1. „Une phrase est d’abord une séquence de mots que tout sujet parlant est

capable non seulement de produire et d’interpréter, mais dont il sent aussi intuitivement l’unité et les limites…” (M.Riegel, Grammaire méthodique, p. 99).

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2. Système d’articulations liées entre elles par des rapports phonétiques, grammaticaux, psychologiques et qui, ne dépendant grammaticalement d’aucun autre ensemble, est apte à représenter pour l’auditeur l’énoncé complet d’une idée conçue par le sujet parlant (J.Marouzeau, Lexique de la terminologie linguistique).

3. On peut distinguer la proposition de la phrase, et réserver ce dernier nom à un système de propositions formant une unité linguistique d’une nature un peu plus complexe. Cependant une proposition peut à elle seule constituer une phrase (G. et R. Le Bidois, Syntaxe, vol. I, p. 16).

4. „La phrase est l’unité de communication linguistique, c’est-à-dire qu’elle ne peut pas être subdivisée en deux ou plusieurs suites (phoniques ou gra-phiques) constituant chacune un acte de communication linguistique” (M.Grevisse, Le Bon Usage, Paris, Duculot, 1997, p. 269).

5. La phrase exprime évidemment d’abord une unité psychologique, autre-ment dit, un sens complet, ou plus simplement encore …. comme une unité for-melle est faite d’une combinaison, d’un arrangement de vocables. Cet ensemble se trouve matériellement délimité par deux signes de ponctuation forts, i.e. par deux pauses entre lesquelles se déroule, dans le cas où la phrase est parlée, sa mélodie : elle est une unité phonologique par conséquent. Mais elle est aussi une unité stylis-tique, dès l’instant que les fonctions sémantiques et phonétiques se teignent d’effets de sens et d’effets de mélodie et de rythme. Enfin cet ensemble est constitué de mots eux-mêmes organisés le cas échéant en groupes voire en propositions: autre-ment dit la phrase est une unité syntaxique, plus au moins complexe” (G.Antoine, La coordination en français, Paris, d’Artrey, 1963, vol. I, p. 49).

6. On peut définir la phrase, dit Vendryes, la forme sous laquelle l’image verbale s’exprime et se perçoit au moyen des sons. Comme l’image verbale, la phrase est l’élément fondamental du langage. Ce sont des phrases que deux interlocuteurs échangent entre eux. C’est par phrases que nous avons acquis notre langage; c’est par phrases que nous parlons, c’est par phrases aussi que nous pensons… Certaines phrases se composent d’un seul mot : „Viens !”, „Non !”, „Hélas !”, „Chut”; chacun de ces mots forme un sens complet qui se suffit à lui-même… La phrase comporte tous les degrés, depuis les articulations grossières par lesquelles l’enfant formule un besoin jusqu’à l’ample période, harmonieusement balancée, dans laquelle s’enferme la pensée d’un Démosthène, d’un Cicéron ou d’un Bossuet (J.Vendryes, le Langage, Paris, A.Michel, 1968, p. 82).

7. La phrase est un énoncé accompagné dans la parole d’une intonation dont les constituants assument une fonction et dont la fin est d’exprimer quelque chose (le prédicat) à propos de quelqu’un ou de quelque chose (le thème) (Grammaire Larousse du français contemporain).

8. Un énoncé constitue une phrase quand il satisfait aux conditions suivantes: 1) Le ou les mots qui composent l’énoncé doivent être des termes, c’est-à-

dire qu’ils doivent assumer une fonction. 2) L’énoncé doit être accompagné, dans la parole, d’une mélodie. Dans les

phrases verbales, cette mélodie, conclusive, souligne la fin de l’énoncé et annonce la pause forte qui le suit. Lorsque la phrase ne comporte pas de verbe, c’est la mélodie seule qui permet de savoir si l’on a affaire :

a) à un mot isolé, sans fonction, ou à un mot-phrase. Ainsi dans le poème de Verlaine Effet de nuit:

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La nuit. La pluie, c’est la mélodie qui fait reconnaître dans les deux premiers termes des phrases prédicatives sans verbe. Faute de cette condition, ces mots ne seraient que deux échantillons de lexique, sans fonction, sans valeur grammaticale.

b) à un syntagme détaché ou à une phrase … de la pluie… sans mélodie n’a pas de fonction. En fait, ce groupe peut être

détaché d’un syntagme plus étendu : oh ! le bruit de la pluie

mais la mélodie peut lui conférer la valeur d’une phrase : Tiens, de la pluie ! 3) Cet énoncé accompagné d’une mélodie doit enfin constituer un tout par

lui-même, c’est-à-dire ne rien devoir grammaticalement à ce qui précède où à ce qui le suit. Il a en lui-même un équilibre qui lui confère son autonomie… On pourrait donc définir la phrase en disant qu’elle est un énoncé qui doit à sa mélodie et à son autonomie le caractère d’un ensemble équilibré (L.Wagner, J.Pinchon, Grammaire du français, Paris, Hachette, 1962).

Joëlle Gardes-Tamine ((Grammaire (2), Paris, Armand Colin, 1998, p. 10)) souligne que la phrase représente l’unité de description grammaticale, qu’elle est la plus grande unité syntaxique, celle qui inclut les autres sans qu’elle soit elle-même incluse dans une unité supérieure.

La définition donnée à la phrase par le Trésor de la langue française inclut les traits graphique, phonétique et sémantique qui caractèrisent cette séquence de mots:

„Assemblage de mots grammaticalement cohérent, marqué par une intonation ou une mélodie spécifique, encadré de pauses (à l’écrit de signes de ponctuation forte : point, point d’interrogation, point d’exclamation) ; le locuteur considère cet assemblage comme produisant un sens complet (assertif, interrogatif, injonctif)”.

Les unités de la phrase (la phrase et ses éléments). La structure hiérarchique de la phrase

La proposition La phrase est, en général, un système de propositions qui forment une unité

linguistique. On donne le nom de propositions aux phrases élémentaires dont la réu-nion par coordination ou subordination constitue la phrase effectivement réalisée. La proposition est une partie de la phrase ou elle peut représenter une phrase si elle est employée seule: „La proposition est constituée d’un verbe à un mode personnel. Elle est accompagnée par des éléments qui lui sont liés, sujet, compléments et qui constituent sa valence” (Joëlle Gardes-Tamine, La grammaire, Paris, A.Colin, 1998, p. 12). On entend par le terme de valence l’aptitude générale du verbe par laquelle il impose à son entourage une configuration syntaxique bien déterminée.

Ainsi le verbe apporter est trivalent parce qu’il peut requérir trois actants (ou constituants qui participent syntaxiquement au procès exprimé ou dénoté par le verbe).

Dans la phrase : le facteur apporte une lettre à son destinataire, le sujet est le prime actant; une lettre qui est le complément d’objet direct est le second actant et à son destinataire qui est le tiers actant est le complément d’objet indirect.

Dans une proposition, le verbe se trouve généralement à un mode personnel. Cependant le verbe d’une proposition peut se trouver aussi à un mode impersonnel: c’est le cas, par exemple, des propositions infinitives et des propositions participes.

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Exemple de proposition infinitive: J’entends les oiseaux chanter. Le GN les oiseaux constitue le sujet de

l’infinitif. Exemple de proposition participe: La boussole perdue, il était difficile de s’orienter. La proposition indépendante. Cette proposition constitue à elle seule une

phrase ; elles n’est pas subordonnée à une autre proposition et ne possède pas elle-même de subordonnée.

Ex.: Le soleil luit pour tout le monde (Ac.). La proposition principale. Cette espèce de proposition est complétée ou

déterminée par une proposition qui dépend d’elle. En général, la principale ne dépend d’aucune autre proposition. À la principale sont subordonnées des com-plétives, des relatives, des circonstants constitués par des propositions à verbe fini (des propositions circonstancielles), etc. La principale sert de support à la subor-donnée ((Très souvent, elle contient un terme employé comme support à la subor-donnée (ou à la proposition dépendante)).

Ex.: „Les fléaux, en effet, sont une chose commune, mais on croit diffici-lement aux fléaux lorsqu’ils vous tombent sur la tête” (Camus, La Peste).

L’analyse de la phrase „on croit difficilement aux fléaux lorsqu’ils vous tombent sur la tête” fait voir que le membre commençant par lorsque n’est pas une proposition qui puisse trouver en elle-même son équilibre. Elle ne le retrouve qu’au moyen de la proposition „on croit difficillement aux fléaux”, qui lui sert de support.

„Les grands sphinx qui jamais n’ont baissé la paupière, / Allongés sur leur flanc que baigne un sable blond, / Poursuivent d’un regard mystérieux et long / L’élan démesuré des aiguilles de pierre” (Heredia, La vision de Khem).

Dans cette phrase, on peut remarquer le fait que toutes les propositions commençant par les pronoms relatifs qui, que amplifient et soulignent un terme qui leur servent d’appui, de support.

Il y a des grammairiens qui soulignent que le terme de proposition principale prête à la critique : „dans bien des cas, il ne reste pas de proposition principale ni même de proposition, si on retranche la ou les subordonnées, par exemple : (qui dort) dîne, ou bien ce qui reste ne donne pas de sens, par exemple: (si je vous raconte cela) c’est (que je vous sais discret)” ((Kr.Sandfeld, Syntaxe du français contemporain, (Les propositions subordonnées), Genève, Droz, 1965, p. X)).

Christian Tourantier dans La Relative, essai de théorie syntaxique, Paris, Klincksieck, 1980, p. 12 est du même avis que Sandfeld, et Maurice Grevisse et A.Goose dans la XIIIe édition du Bon Usage (1997, p. 272) précisent qu’ils ont renoncé à l’emploi du terme de principale en appuyant leur argumentation sur les exemples donnés par Sandfeld.

N.B. Selon Paul Janet (Traité élémentaire de philosophie, Paris, Delagrave, p. 385), la proposition peut être étudiée soit au point de vue grammatical, soit au point de vue logique. À son avis, la grammaire étudie surtout les modifications que subissent les mots suivant les rapports qu’ils ont entre eux dans la proposition, tandis que la logique étudie les lois de dépendance qui régissent les différents termes de la proposition en tant qu’expres-sion du jugement, c’est-à-dire de la pensée même, car l’objet propre du logicien est le jugement.

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Le logicien emploie des termes utilisés par les grammairiens lorsqu’ils parlent des parties de la proposition. Pour un logicien, il sera plus clair de dire le sujet ou l’attribut que de dire l’idée de la chose dont j’affirme quelque chose et l’idée de la chose que j’affirme de cette première chose. Par conséquent, dans la logique, le terme de proposition désigne toute construction minimale porteuse d’un jugement, l’association du sujet (ce dont on dit quelque chose) et d’un prédicat (ce que l’on dit du sujet). La proposition Les hommes sont mortels est composée de trois parties, au point de vue logique: le sujet, l’attribut, et le lien de l’attribut et du sujet, la copule, exprimée au moyen du verbe être. L’attribut s’appelle aussi dans la logique prédicat.

Le syntagme

Dans toutes les théories grammaticales, on souligne l’existence dans la phrase des groupes syntaxiques ou syntagmes. Les propositions ou les phrases se décom-posent en groupes ou syntagmes qui sont des séquences d’unités linguistiques de dimension variable et qui ont des fonctions syntaxiques. Le syntagme est un élé-ment constitutif de la proposition ou de la phrase; il a un ou plusieurs termes et se caractérise par un système particulier de marques morphologiques.

Dans la phrase „Mon âme a son secret” (v. Felix Arvers, Sonnet), on dis-tingue un SN (syntagme nominal) dont le noyau ou la tête est un nom (âme) et un SV (syntagme verbal) dont le noyau est un verbe (a, troisième personne du singulier du verbe avoir). Le verbe est suivi d’un SN secondaire (son secret).

Le syntagme prépositionnel est un syntagme introduit par une préposition. Ex.: Il rêve au bonheur perdu. „De l’Orient lointain, les Rois mages portent

leurs hommages / Aux pieds du fils de Dieu, né pour guérir les maux” (Heredia, Epiphanie).

Les relations qui s’établissent entre les termes constituant les syntagmes sont appelées des relations syntagmatiques.

Comment peut-on identifier un syntagme? En étudiant attentivement cette forme, on peut remarquer qu’on peut lui substituer une unité linguistique, qu’on peut l’effacer totalement dans certaines conditions et qu’on peut la déplacer en bloc.

Le test de substitution ou de commutation

Soit la phrase: Ce matin, le doyen reçoit un professeur étranger. Les séquences suivantes peuvent être remplacées par une seule unité. Ce matin par demain, le doyen par il, reçoit par attend, un professeur étranger

par Pierre. La substitution d’un seul mot à ces différentes unités linguistiques fait voir

que chacune de celles-ci possède les mêmes propriétés qu’un seul mot dans le cadre de la phrase. Ces unités linguistiques qui peuvent être remplacées par un seul élément sont des syntagmes.

Le test d’effacement

Dans la phrase Ce matin, le doyen de la Faculté des Lettres reçoit un profes-seur étranger, ce matin et de la Faculté des Lettres sont des séquences effaçables; il s’agit d’un complément circonstanciel (un circonstant) et d’un complément du nom.

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L’effacement apparaît comme une propriété virtuelle de ces deux syntagmes qui sont des constituants facultatifs.

Le complément d’agent d’un verbe passif peut être effacé (cette opération s’appelle effacement de l’agent du passif ; elle est soumise à des restrictions de selection).

Ex.: La vitre a été cassée par le vent La vitre a été cassée (le vent est un GN = un syntagme).

Un cas particulier d’effacement: l’ellipse syntaxique L’ellipse syntaxique est un cas particulier d’effacement. Les réponses aux

questions sont souvent des phrases tronquées qui font l’économie des constituants déjà exprimés. Ces formes elliptiques qui représentent les réponses sont générale-ment des syntagmes.

Ex.: D’où vient-il ? De l’aéroport. (Il vient de l’aéroport ; de l’aéroport = groupe prépositionnel, formé de la préposition de et du GN l’aéroport).

N.B. L’ellipse peut apparaître dans une coordination. Ex.: Pierre part pour une station de montagne et sa soeur pour une ville d’eaux.

Le test d’addition

On peut rendre une phrase simple plus ample par l’addition d’éléments coordonnés par et. Les suites de mots qui peuvent être soumises à cette coordina-tion sont des syntagmes.

Ex.: C’est un homme d’action et un savant.

Le test de déplacement

Dans la phrase : Cet après-midi, le doyen reçoit les meilleurs étudiants, la seule séquence qui peut être déplacée est le circonstant temporel (le complément circonstanciel de temps) cet après-midi (un GN) qui peut occuper trois positions (en tête, en fin de phrase et entre le verbe et le GN objet) : Le doyen reçoit cet après-midi les meilleurs étudiants. Le doyen reçoit les meilleurs étudiants cet après-midi.

N.B. Cette séquence soumise au test de déplacement se comporte comme une seule unité syntaxique.

On peut extraire un GN (qui est un syntagme) de la phrase Cet après-midi, le doyen reçoit les meilleurs étudiants, au moyen de la structure emphatique c’est … qui, c’est … que et le placer en tête de phrase.

On obtient ainsi une phrase clivée lorsqu’un GN quelle qu’en soit la fonction a été détaché à l’aide de c’est … qui, c’est … que et placé en tête de la construction syntaxique.

Ex. : C’est cet après-midi que le doyen reçoit les meilleurs étudiants. Autre exemple: Josette a cueilli ces roses dans son jardin. C’est Josette

qui a cueilli ces roses dans son jardin. C’est dans son jardin que Josette a cueilli ces roses.

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D’autres constituants de la phrase Cet après-midi, le doyen reçoit les meil-leurs étudiants, peuvent subir des déplacements. La transformation de cette phrase d’une phrase à la voix active en une phrase à la voix passive entraîne la permu-tation du GN sujet et du GN objet.

Ex.: Les meilleurs étudiants sont reçus par le doyen, cet après-midi. À la suite de cette passivation, la structure les meilleurs étudiants qui était

complément d’objet direct devient sujet de la phrase. Le doyen qui était le sujet de la phrase devient complément d’agent. Une unité qui se situe à un niveau inférieur à celui du syntagme est le mot.

On le définit comme une unité linguistique dont la division ou la segmentation, lorsqu’elle est possible, conduit à des unités qui ne peuvent figurer indépendam-ment dans la phrase. Ainsi „le mot français inacceptable est composé de trois unités plus petites dont chacune a une distribution caractéristique: in, accept et able.” (J.Lyons, Linguistique générale, p. 131).

En outre, ces unités ne peuvent pas être décomposées en unités plus petites qui puissent être employées dans la phrase.

En général, le terme de mot est souvent évité en linguistique „en raison de son manque de rigueur” (v. J.Dubois, Dictionnaire de linguistique, Paris, Larousse, 1993).

Le segment, une unité de rang inférieur, est le résultat d’une segmentation, opération qui consiste à découper l’énoncé de façon à en identifier les unités (v. M.Arrivé, Grammaire d’aujourd’hui).

Le morphème est le plus petit segment de l’énoncé susceptible d’avoir un sens. On ne peut plus le segmenter, toute division ultérieure du morphème con-duisant à un niveau d’analyse phonologique ou sémantique. Il y a deux catégories de morphèmes, en général : les morphèmes grammaticaux (-ent, par exemple, marque de la 3e personne du pluriel des verbes) et les morphèmes lexicaux (ex.: prudent dans imprudemment).

André Martinet, dans Éléments de linguistique générale, Paris, A.Colin, 1993 (dernière édition) a créé le terme de monème qui désigne une unité significative élémentaire. Cette unité peut être un mot simple, un radical, un affixe, une dési-nence. Par ce terme, A.Martinet a essayé de désigner les unités significatives mini-males aussi bien lexicales que morphologiques.

LES FONCTIONS SYNTAXIQUES

Catégorie et fonction Les catégories syntaxiques définissent les constituants selon leur rôle dans la

phrase: le syntagme (ou groupe) nominal et le syntagme verbal sont des catégories syntaxiques de premier rang étant les constituants immédiats de la phrase.

Les éléments qui entrent dans la constitution du syntagme (ou du groupe) appartiennent à la catégorie syntaxique de deuxième rang.

La catégorie est distincte de la fonction. Dans le SV (ou GV) formé d’un verbe suivi d’un SN (ou GN), on dira que le SN (GN) par sa fonction est un complément d’objet.

Ex.: „Ma vie a son mystère” (v. le Sonnet de F.Arvers); a son mystère est un GV. Son mystère est un GN qui a la fonction de complément d’objet direct.

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Ainsi, on appelle fonction le rôle joué par un élément linguistique (morphème, mot, syntagme) dans la structure syntaxique de la phrase. Suivant M.Riegel (op. cit., p. 106) „la fonction d’un mot ou d’un groupe de mots (= syntagme) est le rôle que cet élément joue dans la structure d’ensemble de la phrase où il est employé.” Selon le Lexis, „on appelle fonction la relation existant à l’intérieur d’une proposition ou d’une phrase entre un mot ou un groupe de mots et le reste de la proposition ou de la phrase et en particulier entre un mot quelconque et le verbe (ex. Fonction de sujet, de complément, etc.). Par conséquent, un mot ou un groupe de mots (= syntagme) peut remplir une fonction ou des fonctions essentielles dans la phrase: les fonctions sujet, attribut, complément d’objet, circonstancielle. Ces fonctions se déterminent, en général, par rapport à un verbe.

Une fonction peut avoir un caractère obligatoire ou un caractère facultatif. Au moyen de ces traits caractéristiques on peut distinguer l’épithète qui peut être effacé de l’attribut qui ne peut être effacé.

Ex.: a) „À Bacharach il y avait une sorcière blonde / Qui laissait mourir d’amour tous les hommes à la ronde” (Apollinaire, La Loreley). L’épithète blonde peut être effacée de cette phrase.

b) „Les voiles étaient belles au vent et dociles…” (Henri de Régnier, Tel qu’en songe).

„Car l’océan est hydre et le nuage oiseau” (V.Hugo, Éclaircie). „Mon âme est une infante en robe de parade” (A.Samain, Au jardin de l’Infante). Les attributs belles, hydre, une infante ne peuvent pas être effacés, sans détruire les phrases où ils se trouvent.

Les fonctions sont définies selon différents critères

Le critère positionnel Au moyen de ce critère, on peut distinguer la fonction d’un élément de la

phrase, en examinant la place qu’il occupe dans cette grande unité linguistique. Le sujet est, en général, placé devant le verbe (ou le SV ou le GV), mais il

peut, dans certains cas, être inversé. Remarque. Au XVIIIe siècle, on a donné le nom d’ordre logique ou direct à

l’ordre sujet – verbe – attribut ou complément d’objet direct, étant donné qu’il était semblable à celui des termes d’un syllogisme dans la conclusion: Prémisse majeure: Tous les hommes sont mortels; prémisse mineure: Socrate est homme; conclusion: Donc Socrate est mortel.

Parmi les grammairiens qui se servirent au XVIIIe siècle de la théorie de l’ordre direct pour faire l’apologie du français, il faut citer Fénelon, Dumarsais, Voltaire, Diderot. Cette théorie fut développée par Rivarol dans son Discours sur l’universalité de la langue françoise, ouvrage couronné par l’Académie des sciences de Berlin, en 1784 :

„Ce qui distingue notre langue des langues anciennes et modernes dit Rivarol, c’est l’ordre et la construction de la phrase. Cet ordre doit toujours être direct et nécessairement clair. Le français nomme d’abord le sujet du discours, ensuite le verbe qui est l’action et enfin l’objet de cette action; voilà la logique naturelle de tous les hommes, voilà ce qui constitue le sens commun…”.

Au XXe siècle, un certain nombre de grammairiens se sont penchés sur le problème de l’ordre direct en français. „En français, écrit Albert Dauzat, où le

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nombre de flexions sensibles à l’oreille est très réduit, l’ordre des mots est utilisé pour exprimer les rapports grammaticaux. Ainsi s’est établie la prédominance de l’ordre logique : le sujet précède le verbe et le verbe le complément ou l’attribut. Même quand il y a possibilité de déplacer des termes sans équivoque, par exemple pour les compléments introduits par une préposition, le français préfère l’ordre logique.” (A.Dauzat, Grammaire raisonnée de la langue française, p. 430). La même théorie concernant l’ordre direct a été développée par Charles Bally : „ le français, dit-il, ordonne les termes de l’énoncé par détermination croissante dans une séquence progressive”. Dans la phrase française, remarque Bally „le sujet se place devant le verbe, le verbe devant l’attribut, le complément direct précède le complément indirect et le complément circonstanciel” (Charles Bally, Linguistique générale et linguistique française, Berne, Franke, s.d., p. 210).

En analysant „la valeur fonctionnelle” de l’ordre des mots dans la phrase, Bernard Pottier souligne que les structures du français sont rigides : „C’est le discours qui a dû exprimer la différenciation entre la fonction sujet et la fonction objet. D’où la nécessité d’un certain ordre fixe de termes: sujet – verbe – objet” (Systématique des éléments de relation, Paris, Klincksieck, 1962, p. 74). M.Arrivé dans la Grammaire d’aujourd’hui, Paris, Flammarion, 1986, p. 440, précise que l’ordre direct ou la séquence progressive ((sujet – verbe – attribut / complément d’objet – (complément circonstanciel)) a été largement confirmé par d’importantes données statistiques. Par conséquent, l’ordre direct ou logique de la phrase française constitue l’un des critères qui peuvent conduire à la définition des fonctions des termes dans cette unité linguistique. Cet ordre représente aussi le cadre qui permet d’interpréter les modifications, les déviations qui peuvent apparaître dans l’ordre des mots.

N.B. Si deux unités syntaxiques se suivent, sont en ordre linéaire, cela ne signifie pas qu’elles soient nécessairement en relation syntaxique directe.

Soit les phrases suivantes: Marie conduit la voiture et La soeur de Marie conduit la voiture. Dans la

première phrase, Marie est sujet et détermine l’accord du verbe; dans la seconde phrase, le nom Marie, quoique se trouvant placé devant le verbe conduit, il n’est pas le sujet de ce verbe, il est le complément du nom soeur.

Diachronie. L’ordre des mots était plus libre en ancien français à cause de l’existence du système de la déclinaison bicasuelle. À cette époque de l’évolution de la langue, on pouvait dire également bien li chevaliers vit le roi (S – V – C) et le roi vit li chevaliers (C – V – S), étant donné que les formes casuelles permet-taient d’identifier le sujet de la phrase, de même que le complément d’objet direct. On peut trouver, en ancien français, l’ordre direct excepté, plusieurs combinaisons possibles entre les trois termes essentiels de la proposition.

L’ordre sujet – complément – verbe: „Et la reine une fenestre li mostre” ((= Et la reine lui montre une fenêtre).

Lancelot, 4506.)). L’ordre complément – verbe – sujet unit les trois termes de la proposition dans un ordre inverse de celui auquel la langue moderne nous a habitués: „Quatre sajetes ot li ber au costé” ((= Le baron eut (avait) quatre flèches au côté (dans le carquois)). Le Charroi de Nîmes, 21. L’ordre verbe – sujet – complément constitue une construction d’origine germanique: „Amis, beau frere est

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Orenge si riche?” (Le Charroi de Nîmes, 78). La phrase qui introduit le style direct est souvent du type verbe – sujet: „Dist Oliviers: Jo si païens veüs” (Olivier dit: J’ai vu les païens). Roland, 1039. L’ordre complément – sujet – verbe: „Sire, fet il amistié (= amitié) grande mesire Guillaume vous mande”. Le Vair Palefroi, 1289.

L’ordre verbe – complément – sujet: „Lors a comencié à plorer la duchoise” (= la duchesse). La Chastelaine de Vergi, 669.

Durant la période du moyen français, on remarque l’établissement progressif des structures syntaxiques spécifiques du français moderne, après la ruine de la déclinaison. À partir du XIVe siècle, l’ordre sujet, verbe, complément ou attribut (la séquence progressive) commence à supplanter toutes les autres combinaisons des termes de la proposition qui étaient fréquemment employées en ancien français. Néanmoins, à la fin de l’étape du moyen français, au XVIe siècle, l’usage s’accorde encore beaucoup de liberté en ce qui concerne l’ordre des mots dans la proposition.

A. Place du sujet. Le sujet est postposé lorsque la proposition commence par un complément, un adverbe: „Semblables actions de graces rendit Pantagruel à toute l’assistance” (Rabelais, Pantagruel). L’inversion du sujet a également lieu:

a) après la conjonction et: „Et voyant les dolens pères et mères hors leurs maisons enlever… leurs tant belles filles” (Rabelais);

b) lorsqu’un verbe à la voix passive est accompagné par son complément d’agent „Lors par Carpelim et Gymnaste feurent appelez les gens de guerre” (Rabelais).

B. Place du complément. Dans les phrases qui débutent par le sujet, il arrive que le complément soit placé entre le sujet et le verbe, l’ordre des termes de la proposition étant: S – C – V (sujet – complément – verbe): „Le bon jardinier saulvageon (= arbre non greffé) ou vieux arbre ente (= greffe)”. La structure complément – sujet – verbe (C – S – V) est assez fréquente au XVIe siècle: „Toutes choses (il) prenoit en bonne partie” (Rabelais).

Le critère morphologique On peut établir la fonction d’un élément de la phrase en examinant l’accord

qu’il détermine. Le sujet, par exemple, communique au verbe dépendant de lui ses marques

morphologiques de nombre, de personne et de genre. a) le verbe s’accorde avec la personne représentée par le sujet. Ex.: Je vais à la gare. „Je vivrai, je suivrai vos ordres absolus” (Racine,

Bérénice, 1493). Nous partirons pour Paris. b) Le verbe prend le nombre du sujet. Ex.: L’éléphant barrit. Les éléphants barrissent. Le frelon vrombit. Les frelons

vrombissent. c) Le verbe à la voix passive s’accorde en genre avec le sujet. Ex.: La table est mise. Les tables sont mises. La porte est ouverte. Les portes

sont ouvertes. L’adjectif, quelle que soit sa fonction, s’accorde avec le nom ou le groupe

nominal. L’adjectif est attribut. Ex.: „L’air est brûlant et pas une feuille ne bouge / Et Saint Joseph très las a

laissé choir la gouge…” (J.-M. de Heredia, Le Huchier de Nazareth). „Que les

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soleils sont beaux dans les chaudes soirées!” / Que l’espace est profond! que le coeur est puissant!… (Baudelaire, Le Balcon). La nuit était claire.

L’adjectif est épithète: „Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage, / Prennent des albatros,

vastes oiseaux de mer, / qui suivent, indolents compagnons de voyage, / Le navire glissant sur les gouffres amers” (Baudelaire, L’Albatros).

La forme morphologique d’un élément de la phrase peut indiquer sa fonction. C’est le cas, par exemple, de certains pronoms personnels:

je: pronom personnel de la première personne du singulier sans distinction de genre, en fonction de sujet. Il peut avoir la fonction de: a) complément d’objet direct représentant la personne qui parle, qui écrit;

me: pronom personnel de la première personne du singulier pour les deux genres.

Ex.: „La vieille Catalogne en mère m’a reçu” (V.Hugo, Hernani). „Le passé me tourmente, et je crains l’avenir” (Corneille, le Cid, II, 2). Il l’a envoyé me chercher.

b) complément d’objet indirect Ex.: „Qu’on me parle bien ou mal du fameux cardinal, / Ma prose ni mes vers

n’en diront jamais rien: / Il m’a fait trop de bien pour en dire du mal, / Il m’a fait trop de mal pour en dire du bien.” (Corneille)

Le critère transformationnel Le critère transformationnel montre que certaines fonctions syntaxiques sont

étroitement liées aux changements structurels qui ont lieu dans le cadre de la phrase. Par exemple, à la suite de la transformation passive (ou la passivation), le

complément d’objet direct de la phrase active devient le sujet de la phrase passive. Ex.: Une pierre a blessé son chien. Son chien a été blessé par une pierre. Le vent a cassé les branches. Les branches ont été cassées par le vent. Dans quelques cas, le complément d’objet indirect de la phrase active devient

sujet de la phrase passive. Ex.: Tous les officiers obéissent au général. Le général est obéi de tous les

officiers. Remarque. Il y a des contraintes grammaticales et logiques qui agissent sur

la transformation passive. On peut dire André a quitté l’Europe pour se rendre en Amérique mais non pas dire l’Europe a été quittée par André. On dit ainsi que la transformation passive est soumise a des restrictions de selection.

Autre exemple: on peut dire, par exemple, Pierre a mangé un baba et un baba a été mangé par Pierre. On ne peut dire: Un baba a mangé Pierre et Pierre a été mangé par un baba.

Le critère catégoriel Le critère catégoriel indique la nature grammaticale des éléments qui sont

aptes à avoir une fonction syntaxique. Par exemple, la fonction attribut peut être remplie par: 1. Un GN dans une phrase ternaire: Ex.: „La Nature est un temple où de vivants piliers / Laissent parfois sortir de

confuses paroles / L’homme y passe à travers des forêts de symboles / Qui

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l’observent avec des regards familiers” (Baudelaire, Correspondances). „Toute espérance, enfant, est un roseau” (V.Hugo).

2. Un GN étendu: Il semblait un homme désemparé. Pierre est un architecte réputé.

3. Un adjectif: „La chair est triste, hélas! Et j’ai lu tous les livres. / Fuir! là-bas fuir! / Je sens que des oiseaux sont ivres…” (Mallarmé, Brise marine).

4. Un pronom démonstratif: Cette maison est celle de ma soeur. 5. Un infinitif: Ne rien faire est mal faire. Partir c’est mourir un peu. 6. Un participe passé: L’entrée est interdite. Le marché paraissait conclu. 7. Un participe présent: Je suis hésitant, etc.

LA STRUCTURE SYNTAXIQUE DE LA PHRASE SIMPLE

La phrase (proposition) de base, la phrase noyau, la phrase canonique Les énoncés des phrases françaises présentent des formes trop irrégulières

pour constituer des données qui puissent permettre de définir sûrement les struc-tures d’une phrase fondamentale. Par exemple, dans les phrases suivantes, il n’y a pas à première vue d’éléments syntaxiques trop ressemblants.

Ex.: Nous partons cette nuit. Peut-être votre frère viendra-t-il? Je vous demande si vous nous accompagnez. Combien étaient-ils contre vous? Faites-moi le plaisir de m’accompagner. Veuillez vous asseoir. Qu’il fait froid! Il fait un de ces froids!

Si, au premier regard, il n’y a rien qui soit commun à toutes ces phrases, cela est dû au fait que leurs propriétés formelles varient avec leur type (phrases as-sertives, interrogatives, injonctives, exclamatives).

Étant donné la complexité des phrases, il est nécessaire d’établir dès le début une structure ou forme canonique qui soit en état de servir de modèle pour l’analyse des autres types de phrases. En principe, toutes les phrases sont dérivées à partir de la phrase de base. La structure de la phrase canonique est celle d’une phrase assertive simple. Elle n’est, par conséquent, ni interrogative, ni exclamative, ni injonctive, ni emphatique.

Suivant Jean Dubois et alii (Dictionnaire de linguistique, Paris, Larousse, 1993) la phrase simple est définie comme une concaténation de deux constituants, un syntagme nominal et un syntagme verbal. Ce type de phrase est nommée par ces auteurs phrase-noyau; c’est une phrase déclarative, active transitive. Ils qualifient de nucléaire ce qui appartient au noyau de la phrase: „le syntagme nominal sujet et le syntagme verbal prédicat sont des constituants nucléaires.”

Dominique Maingueneau, dans Syntaxe du français, Paris, Hachette, 1994, p. 30 précise que la phrase est formée „par des énoncés qui s’organisent autour d’un groupe nominal et d’un groupe verbal et qui peuvent être niés avec ne … pas.”

Selon M.Riegel (Grammaire méthodique, p. 109), l’ordre des mots dans la phrase de base française correspond à la formule: (CC) – Sujet – (CC) – Verbe – Complément(s) / Attribut – (CC). Les symboles (CC) désignent le complément circonstanciel facultatif et mobile. On l’appelle aussi circonstant.

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Ex.: Vers midi (CC), les soldats (sujet) escaladent (verbe) le talus de la berge (complément d’objet direct) à travers les broussailles épineuses (CC).

C’est par rapport à ce modèle canonique que sont décrites toutes les phrases; les phrases qui ne ressemblent pas à la phrase noyau ou canonique peuvent être décrites en tenant compte du fait que ces écarts sont dus à des substitutions d’élé-ments, à leur déplacement, à leur effacement où à des opérations d’addition, etc.

N.B. 1. Selon J.Dubois et alii (Dictionnaire de linguistique) on donne le nom de syntagme prédicatif au syntagme verbal, dans la phrase composée d’un sujet et d’un prédicat. Dans la phrase L’homme est heureux, est heureux est le syntagme prédicatif. Dans la phrase La voiture a renversé le passant, a renversé le passant est le syntagme prédicatif.

2. Le verbe est l’élément fondamental du GV; ce dernier peut se réduire à un seul constituant: Les jeunes filles chantent: Les jeunes filles (GN), chantent (V) = GV.

Le GN peut être accompagné d’un ou de plusieurs éléments, des complé-ments de toute sorte, des attributs si le verbe est être ou un verbe attributif (devenir, sembler, paraître, devenir, etc.). Le GV admet par conséquent, parmi ses constitu-ants le GN2 et ses équivalents pronominaux ou propositionnels, le groupe adjecti-val, le groupe prépositionnel et des adverbes, etc.

L’analyse en constituants immédiats

C’est Leonard Bloomfield, spécialiste des langues indo-européennes, fondateur du courant linguistique connu sous le nom de distributionnalisme qui a employé pour la première fois le terme de constituant immédiat, dans son ouvrage Langage (1933):

„Tout locuteur de langue anglaise, dit-il, qui s’intéresse à ce sujet nous dira à coup sûr que les constituants immédiats de Poor [pu↔] John ran [rΘn] away [↔wei] sont les deux formes Poor John et ran away, chacune d’entre elles constituant à son tour une forme complexe, que les constituants immédiats de ran away sont ran, morphème, et away, forme complexe dont les constituants sont les morphèmes a et way et que les constituants de poor John sont les morphèmes poor et John. Ce n’est que de cette façon qu’une analyse appropriée conduira aux morphèmes fondamen-talement constituants” (Leonard Bloomfield, Langage, Paris, Payot, 1970, p. 153).

La théorie de l’analyse en constituants immédiats est issue de la théorie distributionnelle basée sur la notion de distribution. La distribution d’un élément est la somme de tous les environnements de cet élément.

L’environnement (ou contexte) est constitué par l’ensemble des unités qui précèdent ou qui suivent une unité linguistique et qui peuvent faire peser sur elle certaines contraintes (le Lexis). Suivant la théorie mentionnée, chaque élément lin-guistique peut se trouver dans certaines positions par rapport à d’autres éléments, d’une manière qui n’est pas arbitraire. La théorie distributionnelle décrit les élé-ments linguistiques par leurs positions dans la chaîne parlée; ces éléments ne sont pas indépendants, étant donné que des contraintes séquentielles s’exercent sur eux.

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La théorie de la structure en constituants immédiats part donc du principe que toute phrase est formée d’une combinaison de constructions. Celles-ci forment les cons-tituants de la phrase. Les constituants de rang supérieur sont à leur tour formés de constituants de rang inférieur. Une phrase est composée, par conséquent, de plusi-eurs couches de constituants.

L’analyse en constituants immédiats présente l’avantage d’être fondée sur une conception formelle. Elle fait surtout appel aux opérations de division et de substitution.

En ce qui concerne l’opération de division, celle-ci est basée sur le principe selon lequel il faut diviser le tout en ses parties. On décompose une unité synta-xique d’abord en ses plus grands constituants, puis on décompose ces constituants en constituants plus petits jusqu’à ce qu’on aboutisse à des unités minimales nom-mées constituants ultimes. Le caractère immédiat de décomposition est illustré par le principe: „X est un constituant immédiat de Y, s’il n’existe pas de constituants intermédiaires de manière que X soit un constituant de Z”.

L’analyse en constituants immédiats fait aussi appel à l’opération de substitu-tion. Il s’agit d’une opération qui consiste à remplacer une partie détachable d’un énoncé par un autre élément qui garde à l’énoncé sa valeur grammaticale.

Soit la phrase: La présentatrice du journal télévisé annonce le programme de la soirée. On

peut substituer speaker [spi:k r], présentateur, speakerine [spi:krin] à présenta-trice. On peut substituer cotations boursières à programme de la soirée. Le pivot verbal annoncer peut être remplacé par présenter.

Suivant M. Arrivé (op. cit., p. 182), l’analyse en constituants immédiats abou-tit à une hiérarchie d’éléments, c’est-à-dire à un système capable de représenter les relations de dépendance qu’un élément ou un groupe d’éléments entretiennent avec un autre élément ou groupe d’éléments.

On considère que deux éléments (ou constituants) sont associés lorsqu’on peut leur substituer des éléments qui leur correspondent.

Soit la phrase: Cette gentille adolescente surveille le bébé de sa soeur. En procédant de la droite vers la gauche, on constate que sa + soeur peut être

remplacé par Marie, Jeanne, etc.: c’est un syntagme ou un groupe nominal (SN ou GN); sa et soeur sont les constituants immédiats de ce GN (formé d’un déterminant possessif et un nom); de + GN (sa soeur) peut être remplacé par de + son frère; c’est un groupe prépositionnel (GP); bébé + GP peut être remplacé par nourrisson, enfant, etc.: c’est un membre nominal (MN) = un constituant d’un GN; le + MN peuvent être remplacés par Jean (= bébé, nourrisson, enfant); surveille + GN peut être remplacé par caresse, cajole: c’est un groupe verbal (GV); gentille + adolescente peut être remplacé par jeune fille, dame, baby-sitter, nourrice; c’est un membre nominal MN; cette + MN (gentille adolescente) peut être remplacé par Hélène; c’est un GN. Le GN (Cette gentille adolescente) et le GV (surveille le bébé de sa soeur) sont les constituants immédiats de la phrase (P).

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La structure de cette phrase en constituants immédiats peut être représentée graphiquement au moyen de la boîte de Hockett. Le linguiste C.F. Hockett a présenté cette „boîte” dans A Course in Modern Linguistics.

La „boîte de Hockett” Cette gentille adolescente surveille le bébé de sa soeur.

sa Dét.

soeur N

de Prép.

GN

bébé N

GP

gentille Adj.

adoles-cente N

le Dét.

MN

Cette Dét.

MN

surveille V

GN GN GV P

La décomposition d’une phrase en ses constituants immédiats peut être repré-

sentée par un ensemble de règles. Ces règles sont appelées „règles de réécriture”. On appelle règle de réécriture une règle de grammaire donnée sous la forme d’une instruction et consistant à convertir un élément en un autre élément ou suite d’éléments. Une première règle (R1) réécrit P (la phrase) en une suite de symboles qui représentent ses constituants immédiats, soit un groupe nominal GN suivi d’un groupe verbal GV.

Ex.: Les soldats saluent le drapeau. Le groupe nominal (GN) les soldats est suivi par le groupe verbal (GV)

saluent le drapeau: R1: P GN + GV. N.B. Le symbole (P) à gauche de la flèche est dit le noeud dominant. Les symboles à

droite de la flèche sont dits les noeuds dominés.

Les deux symboles GN et GV peuvent être réécrits de la manière suivante: R2: GN D (= déterminant) + N (le groupe nominal est formé d’un

déterminant suivi d’un nom: les soldats). R3: GV V + GN2 (le groupe verbal est formé d’un verbe suivi d’un

groupe nominal): saluent le drapeau. R4: GN2 (= groupe nominal secondaire) D (= déterminant) + N (le GN2

est formé d’un déterminant suivi d’un nom: le drapeau). La structure de la phrase (P) Les soldats saluent le drapeau peut être repré-

sentée par un arbre, c’est-à-dire par une représentation graphique de sa structure en constituants.

P

GN GV D N V GN D N Les soldats saluent le drapeau

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Un autre exemple. Soit la phrase: Les membres de ce comité remplissent très bien leurs fonctions.

La phrase mentionnée se décompose en deux constituants immédiats: le groupe nominal (les membres de ce comité) et le groupe verbal (remplissent très bien leurs fonctions).

P

GN GV Dét. MN (N Exp.) MV GN (V Exp.) Dét. N GP V N GN G Adv. Prép. Adv. Adv. Dét. N Les membres de ce comité remplissent très bien leurs fonctions MN (N Exp) = Membre nominal (ou Nom „expansé”, étendu) GP = Groupe prépositionnel MV (V Exp) = Membre verbal (ou Verbe „expansé”) Cet arbre est constitué de noeuds reliés par des lignes droites appelées

branches (les noeuds représentent des points de rencontre de deux ou plusieurs branches); en général, le noeud est l’élément déterminé par d’autres éléments et dominant ceux-ci. Dans cet arbre, GN (groupe nominal), GV (groupe verbal), GP (groupe prépositionnel) sont des noeuds; chaque noeud est étiqueté; il reçoit une étiquette qui est un symbole catégoriel: dét. pour déterminant, N pour nom, GN pour groupe nominal, GV pour groupe verbal, GP pour groupe prépositionnel, etc.

Les branches qui marquent la relation immédiate d’un noeud inférieur (par exemple: ce comité = GN) avec un noeud supérieur ((par exemple de ce comité = GP (groupe prépositionnel)) symbolisent la relation être constituant immédiat: le GN ce comité est un constituant immédiat du GP (groupe prépositionnel) de ce comité. Le groupe membres de ce comité est un membre du groupe nominal Les membres de ce comité ((on l’appelle aussi nom expansé (N Exp)).

La représentation graphique de la phrase sous forme d’arbre met en relief le fait que les rapports syntaxiques se présentent sous la forme de relations intégratives et de relations distributionnelles. Les relations intégratives montrent le fait que le constituant immédiat contribue directement à la formation d’un syntagme d’ordre supérieur. Les relations distributionnelles font ressortir le fait que le constituant, comme constituant immédiat est directement en relation avec les constituants de même niveau.

Une phrase peut être représentée par une opération de parenthésage. La paren-thétisation est une représentation graphique de la structure en constituants d’une phrase

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par un système de parenthèses. Chaque parenthèse marque au moyen d’un symbole catégoriel la catégorie syntaxique du constituant mis en évidence de cette manière.

Soit la phrase: Cette adolescente surveille un bébé. Cette phrase peut être représentée de la façon suivante:

P / GN ((Dét. Cette) (N adolescente)) / GV (((V surveille) ((GN (Det. un) (N bébé))).

LES STRUCTURES FONDAMENTALES DE LA PHRASE SIMPLE. LA FONCTION SUJET

Le sujet est la fonction grammaticale du GN, dans la phrase de base, cano-

nique (assertive non emphatisée), composée d’un GN et d’un GV. Le sujet est le premier des deux constituants principaux qui entrent dans la formation d’une phrase. La fonction sujet possède une prééminence sur les autres fonctions du GN. Il s’agit de la position la plus élevée dans la hiérarchie de la phrase étant donné qu’elle se trouve à gauche du GV, directement dominée par le noeud phrase, tandis qu’un GN objet est dominé par le noeud GV et il dépend d’un verbe.

P GN sujet GV V GN objet Remarque. Le sujet peut ne pas être accompagné immédiatement par le GV.

Il peut en être séparé par: a) un circonstant (un complément circonstanciel). Ex.: „L’orchestre militaire, au milieu du jardin, / Balance ses schakos (= cas-

quettes) dans la Valse des fifres (= petites flûtes)” (Rimbaud, À la musique). Le temps, au bord de la mer, est parfois orageux.

b) la première partie de la négation (ne): Ex.: „Mon coeur (lassé de tout, même de l’espérance) / N’ira plus de ses

voeux importuner le sort…” (Lamartine, Le Vallon). Le sage ne craint ni ne désire les biens de fortune (Ac.). Un coeur ne commence à vivre que du jour qu’il sait aimer. „Je n’épargnerai rien dans ma juste colère” (Racine, Andromaque, I, 4).

c) des pronoms personnels compléments qui sont placés devant le verbe. Ex.: „Deux anneaux d’argent fin lui pendent aux oreilles / Et ses yeux sont

plus clairs que l’astre des beaux soirs” (Leconte de Lisle, Le coeur de Hialmar). „Devant son tribunal l’évêque la fit citer / D’avance il l’absolvit à cause de sa beauté” (Apollinaire, Loreley). Pierre me regarde (me, complément d’objet direct). André lui parle (lui, complément d’objet indirect). „Je fais ce que tu veux. Je consens qu’il me voie. Je lui veux bien encore accorder cette joie” (Racine, Andromaque).

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d) le pronom y, placé avant le verbe Ex.: – Avez-vous pensé ce que vous feriez après avoir fini vos études? – J’y

pense depuis longtemps. e) le pronom en, placé avant le verbe Ex.: Il ne manque pas de restaurants. La ville en est pleine. Venez me voir,

j’en serai ravi. Le sujet a un caractère nécessaire; il ne peut être supprimé, effacé sans qu’on

porte atteinte à l’intégralité de la phrase et à sa grammaticalité. Ex.: (Un grand savant) semble s’orienter spontanément dans la direction où il

y a une découverte à faire. (Les savants de génie) outre le pouvoir d’observer et de comprendre, possèdent d’autres qualités, l’intuition, l’imagination créatrice.

Remarque. Il faut cependant remarquer que ce caractère nécessaire (cette propriété) est possédé aussi par l’attribut (Ex.: Le ciel est sombre; on ne peut pas dire le ciel est), et par certains compléments du verbe (Ex.: Le petit Pierre prend des leçons de piano chez un professeur; on ne peut pas dire Le petit Pierre prend…), etc.

Le verbe est employé parfois sans sujet (voir plus loin Omission du sujet). Le sujet régit l’accord: a) en personne (le verbe est mis à la même personne que la personne

représentée par le sujet). Ex.: Je suis parti en vacances avec mon frère; nous avons fait un beau

voyage. „Je hais le mouvement qui déplace les lignes, / Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris” (Baudelaire, La Beauté).

b) en nombre (le verbe prend le nombre du sujet): Ex.: Les chutes de neige ont bloqué le passage vers le tunnel du Mont-Blanc.

Cette voiture me plaît. Ces voitures me plaisent. „Les barques lentes naviguaient entre les îles” (H. de Régnier).

c) en genre (quand le participe passé d’une forme verbale composée est con-jugué avec l’auxiliaire être).

Ex.: La neige tombée ce matin est déjà fondue. Sans cet incident regrettable, nous serions parvenus à nous entendre. Vous avez été critiqués. „La coupable est punie, et vos mains innocentes” (Corneille, Rodogune, V, 4).

Le sujet peut être remplacé dans la phrase par les tournures interrogatives qui est-ce qui? qu’est-ce qui? La première périphrase est employée lorsqu’il s’agit de personnes (Jean m’a dit que vous partiriez pour Paris. Qui est-ce qui te l’a dit?). La périphrase qu’est-ce qui? est employée lorsqu’il s’agit de choses ((Le plan de la ville se trouve dans ce tiroir qu’est-ce qui se trouve dans ce tiroir? „Le vent agitait ses cheveux rebelles” (Mauriac, Noeud de vipères) qu’est-ce qui agitait ses cheveux rebelles?)).

Le sujet est un élément grammatical qui peut être extrait de la phrase au moyen de la locution discontinue c’est… qui.

Ex.: Mon père avait raison. C’est mon père qui avait raison. Le maire a marié les deux époux au milieu d’une nombreuse assistance.

C’est le maire qui a marié les deux époux au milieu d’une nombreuse assistance. Le facteur a insisté pour payer en main(s) propre(s) un mandat adressé à mon père.

C’est le facteur qui a insisté pour payer en main(s) propre(s) un mandat adressé à mon père.

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Remarque. En encadrant le sujet au moyen de c’est…. qui, on le met en évidence.

Les réalisateurs du sujet Le sujet de la phrase peut être exprimé par: a) un groupe nominal (GN) Le GN est constitué, en général, selon le schéma GN = Dét. antéposé + N (+ Dét.). Le groupe nominal peut être constitué par des noms communs précédés d’un

déterminant. Ex.: Le cavalier obligea son cheval à sauter par-dessus l’obstacle. „Le violon

frémit comme un coeur qu’on afflige” (Baudelaire, Harmonie du soir). b) un groupe nominal formé d’un nom commun précédé d’un déterminant et

accompagné d’un complément du nom. Ex.: Les portes de la ville sont monumentales. c) un nom propre Ex.: Ferdinand Brunot a rédigé une Histoire de la langue française en vingt-

trois volumes.

N.B. Un nom propre peut former un groupe nominal (ou un syntagme nominal).

d) des éléments nominalisés Pour désigner un élément quelconque de la langue, on le nominalise, c’est-à-

dire qu’on lui donne les fonctions grammaticales du nom et qu’on l’accompagne souvent, s’il y a lieu, d’un déterminant.

1. Les adjectifs se nominalisent assez souvent, étant donné que la catégorie de l’adjectif et celle du nom sont très proches.

Ex.: adj. malade Le malade va mieux; adj. réel, possible Le réel est étroit, le possible est immense.

2. La nominalisation d’un adjectif peut être le résultat de la réduction d’un groupe nominal.

Ex.: Un costume complet un complet. e) un numéral cardinal (un quantifiant numérique). Employés en tant que

sujet, les numéraux cardinaux expriment la quantité d’une manière absolue. Ex.: Sept est un nombre sacré. Trente-six est un multiple de six. Quarante-

neuf est un multiple de sept. f) des substituts pronominaux du GN. 1. pronoms personnels sujets A. Pronoms de la première personne (les formes sont les mêmes pour le

masculin et le féminin) Ex.: je (je chante), moi (moi, je chante) singulier Nous (nous chantons), nous (nous, nous chantons) pluriel Ex.: „J’ai vécu d’aimer, j’ai donc vécu de larmes” = (Marceline Desbordes –

Valmore, Rêve intermittent). Mon avocat et moi sommes de cet avis (Acad.). Nous parvenons parfois au but désiré sans savoir où il se trouve et sans connaître le moyen de l’atteindre.

B. Pronoms de la 2e personne (les formes sont les mêmes pour le masculin et le féminin)

Ex.: tu (tu chantes), toi (toi, tu chantes) singulier Vous (vous chantez), vous (vous, vous chantez) pluriel

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Ex.: „Sire, vous pouvez prendre, à votre fantasie, / L’Europe à Charlemagne, à Mahomet l’Asie; / Mais tu ne prendras pas demain à l’Éternel!” (V.Hugo, Chants crépus.). Toi ou moi nous irons l’attendre à la gare. Et toi, tu n’as pas le droit de me juger. „Jeunes amours, si vite épanouies / Vous êtes l’aube et le matin du coeur” (V.Hugo, Contempl., I, 11).

C. Pronoms de la 3e personne (les formes sont différentes pour le masculin et le féminin)

Ex.: Il (il chante), lui (lui, il chante) masculin Elle (elle chante), elle (elle, elle chante) féminin Ils (ils chantent), eux (eux, ils chantent) masculin Elles (elles chantent), elles (elles, elles chantent) féminin. Ex.: „Elle écoute le chant des cascades lointaines” (P.Verlaine, La Princesse

Bérénice); „Lui homme de peu de foi repoussa ces conseils” (Stendhal, P.R.) 2. pronoms démonstratifs Ex.: Celui qui ne lit rien ne sait rien (Cy). Celui-là mérite la mort qui trahit son

pays. Ce fut une grande joie. Ceux-ci sont en bonne santé, ceux-là sont malades. 3. pronoms possessifs Ex.: Mon cheval a gagné la course, le tien a été disqualifié. 4. pronoms relatifs Ex.: L’avion qui atterit vient de Bruxelles. L’enfant qui pleure est le mien.

J’ai vu dans la rue le fils de ma collègue lequel a gagné un prix de mathématiques. 5. un pronom interrogatif sujet Ex.: Qui me recevra? (qui?) êtres Que manque-t-il? (que?) choses 6. pronoms indéfinis Parmi les pronoms indéfinis qui peuvent remplir la fonction de sujet, il faut

citer: personne (Personne ne sera assez hardi pour le faire; Acad.), nul (Nul n’est prophète en son pays), rien (Rien n’est beau que le vrai), certains (Certains se figurent que l’esprit humain n’a pas de limites), chacun (Chacun pense à soi), plusieurs, quelques-uns (Vos amis vous resteront-t-ils fidèles dans l’adversité? Ne faut-il pas craindre que plusieurs ne vous abandonent ou même que quelques-uns ne vous trahissent?), n’importe qui (N’importe qui peut répondre à cete question).

g) certains adverbes ayant des emplois où ils équivalent à des noms peuvent être employés en tant que sujets.

Ex.: Demain est un jour de fête (Acad.). Trop est trop. h) participes passés nominalisés Ex.: Les données de ce problème sont incomplètes. Les allées et venues de

ces individus ont intrigué les habitants du quartier. i) l’infinitif nominalisé L’infinitif, forme verbale nominale du verbe, peut servir de sujet sans qu’il

soit précédé d’un déterminant. Ex.: „Rire est le propre de l’homme. Crier n’est pas chanter. Aimer sans es-

poir est encore un bonheur” (Balzac, Lys….; Grev.). Se tromper dans de telles con-ditions est pardonnable.

Remarques. 1. L’infinitif ayant le rôle de sujet peut être introduit par de. Ex.: De l’avoir rencontrée après tant d’années m’a rempli de joie.

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2. En moyen français, l’infinitif placé au début de la phrase et ayant la fonction de sujet est généralement précédé de la préposition de.

Ex.: „On dict communement, et dit on vray qu’il y a grande vertu naturelle en Herbes, en Pierres et en Parolles. D’en bailler (= donner) exemple seroit superfluite tant la Verite en est certaine” (G.Tory, Champ fleury).

3. L’infinitif sujet peut être repris devant le verbe par ce. Ex.: Partir c’est mourir un peu. 4. Lorsque l’infinitif joue le rôle de sujet réel, il est introduit par de. Ex.: Il est déshonorant de trahir. Il est agréable de vivre à la campagne. 5. L’infinitif qui remplit le rôle de sujet peut être introduit par la conjonction

que ou par que suivi de la préposition de, si l’attribut est un nom ou un infinitif. Ex.: C’est un déshonneur que trahir. C’est un déshonneur que de trahir. C’est

se déshonorer que voler. C’est se déhonorer que de voler.

Les équivalents propositionnels du groupe nominal sujet a) La complétive sujet. Cette complétive est introduite par la conjonction que

placée en tête de la phrase qui a le verbe au subjonctif. Ex.: „Que ses amis le méconussent le remplissait d’amértume” (R.Rolland,

l’Adolescent). Que l’on ait enregistré sa demande, ne signifie pas qu’on la consi-dère comme justifiée .

b) Les propositions relatives sujets 1. propositions relatives introduites par qui nominal cumulatif (= celui qui)

représentant des personnes. Ces relatives ont la forme d’un proverbe, d’une sentence; elles ont, en général, une portée générale.

Ex.: Qui ne dit mot consent. Qui vivra verra. Qui dort dîne. Qui veut voyager loin ménage sa monture. Qui trop embrasse mal étreint. Qui sauve le loup tue les brebis.

2. Propositions relatives introduites par quiconque. Ex.: Quiconque a beaucoup voyagé sait comment les heures de repas sont va-

riables. Quiconque a beaucoup vu / Peut avoir beaucoup retenu (La Fontaine, III, 12). Un groupe nominal peut accompagner un verbe à l’infinitif et former avec cet

infinitif une proposition infinitive. Ex.: J’entends les oiseaux chanter. Je vois le soleil se coucher. Un groupe nominal remplissant la fonction de sujet peut accompagner un

participe et former avec ce participe une proposition participiale ou participe. Ex.: „Le concierge parti, Rieux demanda au père Paneloux ce qu’il pensait de

cette histoire de rats” (Camus, La Peste). Le repas fini, les invités furent priés de passer dans le salon.

Le sujet et la transformation passive Si l’on pratique une transformation passive, lorsque cette transformation est

possible, le groupe sujet du verbe à la voix active devient complément d’agent de la phrase passive.

Ex.: Le radar a repéré l’avion. L’avion a été repéré par le radar. L’avant-centre a marqué tous les buts. Tous les buts ont été marqués par l’avant-centre (Riegel).

L’équipe d’Oxford a obtenu la pénicilline. La pénicilline a été obtenue par l’équipe d’Oxford.

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Le sujet des verbes impersonnels Les verbes impersonnels sont des verbes employés seulement à la 3e

personne du singulier. Ils ont comme sujet le pronom il qui dans les constructions impersonnelles ne désigne aucun être ou aucune chose. Cette affirmation est contestée par certains grammairiens. Par exemple, pour Leo Spitzer, dans Études de style, Paris, Gallimard, 1970, dans les expressions impersonnelles désignant des phénomènes météorologiques, le pronom il a une valeur mythique; dans il tonne, il serait le substitut du nom de Jupiter (lat. Jupiter tonat). En général, le sujet il du verbe impersonnel ne présente aucun rapport de sens avec le verbe qui le suit. Il ne remplit qu’une fonction grammaticale, étant un indicateur de la 3e personne.

Les verbes impersonnels ou employés impersonnellement peuvent posséder deux sujets, suivant la grammaire traditionnelle. L’un des sujets des verbes imper-sonnels est constitué par un syntagme (groupe) nominal, un infinitif ou une propo-sition. Ces sujets sont placés après le verbe et sont appelés traditionnellement sujets réels ou sujets logiques ou termes complétifs. L’autre sujet qui est le plus souvent le pronom il dit impersonnel ou neutre est placé devant le verbe. On le considère un simple indice ou signe grammatical qui annonce le sujet réel; il est appelé tradition-nellement sujet apparent. Certains grammairiens affirment qu’il s’agit d’un vrai sujet:

„Il, en ce genre de phrase (= il importe que la vérité soit connue) est vérita-blement sujet, le sujet,et le seul sujet. Ce qui vient après le verbe commandé par il, n’est à aucun point de vue, ni à aucun titre, sujet. Qu’est-ce donc alors? tout sim-plement, une dépendance nécessaire, et ne redoutons pas le mot, un complément du sujet… Pour ceux qui le préféreraient, disons un complétif” (G. et R. le Bidois, Syntaxe, éd. cit., t. I, p. 176).

R.L.Wagner et J.Pinchon dans Grammaire du français classique et moderne, Paris, Hachette, 1962, p. 66 soulignent qu’à leur avis dans les phrases ayant des verbes impersonnels, le pronom il n’est qu’un indice grammatical et que „le sujet de ces phrases est le substantif qui suit le verbe.”

F.Brunot (dans La Pensée et la Langue, p. 289) voyait des compléments d’objet dans les sujets réels. Cependant il convenait lui-même que sa théorie pouvait présenter des inconvénients pédagogiques. Dans des phrases du type Il faut de l’argent. Il con-vient de se distraire. Il y a des abus. Il est utile que tu viennes, un élève sentirait comme objets, les noms, les infinitifs ou les propositions appelés traditionnellement sujets réels. Suivant Patrick Charaudeau (Grammaire du sens et de l’expression, p. 315), il faut „d’une part considérer le pronom il comme un indice de dépersonnalisation, phénomène qui neutralise toute présence d’agent ou de sujet; d’autre part considérer que le verbe avec son il ou son ça constitue une forme figée qui a pour rôle de présenter l’existence d’un processus, d’une qualification ou d’une modalisation.”

Jean Dubois et alii dans le Dictionnaire de linguistique, Paris, Larousse, 1994, définit le sujet apparent de la façon suivante:

„On donne la fonction de sujet apparent au pronom neutre il, sujet gram-matical de verbes impersonnels dont le sujet réel est une proposition infinitive, une proposition complétive ou un syntagme nominal. Dans Il convient de sortir, Il est évident que Pierre s’est trompé, Il est arrivé un malheur, les divers pronoms il sont sujets apparents respectivement de convient, de est évident et de est arrivé. Ils remplacent le sujet réel de la phrase, déplacé de la position avant le syntagme verbal à une position, après le syntagme verbal.”

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Il y a des grammairiens qui affirment qu’on pourrait accepter la notion de sujet réel si on pouvait transformer la séquence qui constitue le sujet réel en un véritable sujet.

Ex.: Il est arrivé à Orly un accident d’avion Un accident d’avion est arrivé à Orly.

Suivant ces grammairiens la notion de sujet réel ne pourrait être acceptée lorsque cette transformation serait impossible.

Ex.: Il y a une tempête de neige aujourd’hui. (On ne peut pas dire une tempête de neige, il y a).

Remarques. I. Le pronom neutre il possède quelques propriétés formelles du sujet:

1. Il précède immédiatement le verbe. Ex.: Il neige. Il fait du verglas. „Il est de forts parfums pour qui toute matière

est poreuse…” (Baudelaire, Le Flacon). 2. Ce pronom ne peut être séparé du verbe que par: a) certaines formes de pronoms personnels. Ex.: Il lui en faut davantage. b) le premier élément de la négation. Ex.: Il ne neige plus. II. La forme pronominale sujet il est invariable. On ne peut pas dire: Elle

pleut. Cette forme ne peut être remplacée ni par un nom, ni par un autre pronom. On ne peut pas dire Le temps pleut. Rien ne pleut.

Le pronom neutre il, indice d’ordre sémantique et grammatical, peut s’appliquer: a) aux verbes marquant des phénomènes de la nature (des phénomènes mété-

orologiques): il pleut, il neige, il tonne, il grêle, il bruine. Dans ces verbes, le pronom il n’est pas accompagné, en général, d’un „sujet

réel”. Cependant, le „sujet réel” peut apparaître parfois, lorsque ces verbes imper-sonnels sont employés au sens figuré et forment des expressions métaphoriques:

Ex.: Il a grêlé des oeufs de pigeon. Il pleut des cordes, des hallebardes. Il pleut des balles, des coups. „Il pleut ici des mauvais livres” (Voltaire).

b) aux verbes impersonnels proprement dits, par exemple falloir, advenir, etc. Ex.: Il faut du courage si l’on veut réussir dans la vie. Il faut que vous partiez

immédiatement. Il advint une chose étrange. Il advint qu’une avalanche emporta le refuge situé sur l’un des versants de la montagne.

c) aux verbes employés impersonnellement Ex.: Il arrive des invités. Il se trouve des hommes qui n’écoutent ni la raison

ni les bons conseils. Il est tombé de la grêle. d) aux locutions impersonnelles formées au moyen des verbes être, sembler,

etc. et un adjectif attribut exprimant la convenance, l’utilité, les modalités. Ex.: Il est évident qu’il a tort. Il est certain qu’il a fait un faux pas. Il est

important que nous agissions vite. Il semble utile que tu viennes demain. Remarque. On emploie la structure impersonnelle formée au moyen du pro-

nom neutre il, afin de marquer des actions dont on veut effacer l’identité ou la responsabilité des agents.

a) Les verbes sont à la voix passive. Ex.: Il ne sera pas dit que je vous ai mal renseigné. „Il fut donné notamment

le quatre août, une très belles réunion dans la vieille halle aux grains…” (A.France, Île des pingouins; P.R.). „Il sera procédé de suite à la lecture de l’arrêt de l’envoi à la cour d’assises.” (Code d’instruction crim.; P.R.).

b) On emploie la structure Il + falloir + procéder à.

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Ex.: Il faut procéder à l’inventaire de cette succession.

Le terme complétif Le terme complétif du sujet apparent des verbes impersonnels (= le sujet réel)

peut être: a) un groupe nominal Ex.: Il n’y a point de vice qui n’ait une fausse ressemblance avec la vertu (La

Rochefoucalud). Il est arrivé un visiteur que nous n’attendions pas. Il est arrivé un colis envoyé par mes parents.

b) un infinitif Ex.: Il est difficile de me retirer de cette entreprise dans les circonstances

actuelles. Il convient de le remercier. c) une proposition complétive Ex.: Il est évident que Jean a trouvé la meilleure solution. Il convient que

vous veniez le voir. Ellipse du sujet (sujet non exprimé)

1. Un sujet est généralement accompagné d’un verbe à l’indicatif, au condi-tionnel, au subjonctif. Pour certains emplois, l’infinitif et le participe doivent s’ac-compagner d’un sujet. Il faut souligner qu’un verbe à l’impératif n’a pas de sujet exprimé. L’emploi d’un pronom sujet pour désigner la personne à l’impératif n’est pas nécessaire car la valeur déictique de ce mode suffit pour marquer la personne. Les trois formes de l’impératif sont très clairement distinguées par leurs dési-nences; par la 2e personne du singulier on s’adresse à l’interlocuteur; par la 1re personne du pluriel le locuteur s’associe à un ou à plusieurs allocutaires (= interlo-cuteurs); par la 2e personne du pluriel on s’adresse à un interlocuteur qu’on vou-voie ou à plusieurs interlocuteurs.

Ex.: Sors! Sortons! Sortez! Prenez la rue de droite! Faites moins de bruit, s’il vous plaît! Finnissez donc! Soyez sages, mes enfants! Allons nous promener! Entrez Monsieur!

Diachronie. En ancien français, le sens de l’impératif pouvait être renforcé au moyen d’un pronom sujet.

Ex.: „Vous en allez outre mer: or vous prenés garde au revenir” ((= Vous, vous en allez outre mer: prenez bien garde qu’il faudra revenir (dit Joinville en s’adressant au roi Louis IX (: saint Louis)). Joinville.

N.B. Dans les formules de bienvenue, on trouve les formes de l’impératif précédées d’un pronom personnel même au XVIIe siècle.

Ex.: „Vous soyez le très bienvenu, lui dis-je” (Scarron; H.B.).

2. Omission du pronom personnel sujet Le pronom personnel sujet de la 1ère personne est supprimé dans les journaux

intimes, dans les carnets. Ex.: Ai rencontré Jeanne.

N.B. On supprime non seulement le pronom sujet, mais aussi l’auxiliaire des verbes à un temps composé.

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Ex.: Achevé de lire Vendredi ou les limbes du Pacifique par Michel Tournier. Le pronom personnel de la 1ère personne est souvent omis dans les phrases

contenues par un télégramme. Ex.: Partirons après-demain pour Paris. Arriverons demain soir à Nice. Le pronom personnel de la 3e personne est omis dans les signalements, les

citations militaires, les bulletins scolaires, etc. Ex.: „A donné en toutes circonstances l’exemple du sang-froid et du courage”

(citation de Guillaume Apollinaire in Grev.). 3. Dans la langue populaire, le pronom sujet est souvent omis. Exemples extraits de textes où les auteurs reproduisent le code oral employé

par le peuple. Ex.: „Avant la guerre, j’habitais Paris. J’étais à la taverne viennoise. – Con-

nais pas, avoua l’autre” (R. Dorgelès). „Brusquement son index frappa la brochure: Comprends pas!” (Sartre, Les Mots; Grev.).

4. M.Grevisse dans le Bon Usage (1997) souligne que le pronom personnel sujet il peut être supprimé dans les propositions comparatives introduites par comme ou par que (niveau familier de la langue).

Ex.: „Peinant dessus comme jamais ne peina sur une page de ses livres” (Montherlant, Lépreuses). „Je sortis de l’érmitage plus triste que n’y étais entré” (Bosco, Le mas Théotime).

5. Omission du pronom il sujet d’un verbe impersonnel ou pris imperson-nellement

Le pronom il n’est pas exprimé dans des constructions figées qui sont le plus souvent des vestiges de l’ancien français.

Ex.: m’est avis que (= il me semble que); point n’est besoin de; peu me chaut (= peu m’importe); peu nous en chaut, n’empêche que (= cependant, malgré cela); peu s’en est fallu; peu s’en fallut que; n’importe; peu importe; autant voudrait dire que; de là vient que; d’où vient que; tant s’en faut; force est de; à quoi sert de ; rien ne sert de; autant vaudrait dire que.

N.B. Dans le code oral, dans la langue familière, et dans le français populaire, on trouve des structures du type sais pas, vous demande pardon, veux pas, savez pas, voulez pas, connaissez pas.

(Il) faut que tu me dises toute la vérité. (Il) faut que tu m’écrives dès que tu arrives à Paris. „faut jamais juger c’qu’on fait, pa’c’qu’on n’peut pas juger” (Barbusse, Le Feu).

6. Le pronom neutre il n’est exprimé dans la locution si tant est que1 qui introduit une proposition subordonnée hypothétique (cette locution marque que l’hypothèse énoncée dans la subordonnée a été faite à contre-coeur ou qu’on exprime le doute qu’elle soit valable).

Ex.: Je ne manquerais pas d’y aller, si tant est que je puisse (Acad.). Il y a l’intention de préparer le concours d’agrégation si tant est qu’il soit capable de le faire.

7. Le pronom neutre il est supprimé dans des phrases optatives: plaise à dieu que; plût à dieu que; grand bien vous fasse; advienne que pourra.

Le pronom neutre il peut manquer avec les verbes rester et suffire.

1 si tant est que = si l’on peut dire que

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Ex.: Qui de six ôte deux, reste quatre (Acad.). „Reste à savoir lequel vaut mieux, de périr d’un coup ou de mourir lentement” (Michelet). Reste qu’il faudra bien lui en parler (= toujours est-il que, en tout cas). Suffit sur ce sujet, n’est-ce pas?

Diachronie. Le pronom personnel sujet n’est pas exprimé d’une façon obliga-toire en ancien français. Les désinences verbales suffisent, en général, durant cette période, à distinguer les différentes personnes du verbe.

Ex.: „Enmi sa voie a Bertran encontré” ((Au milieu de sa voie, (c’est-à-dire, chemin faisant) il a rencontré Bertrand)). Le Charroi de Nîmes, 87.

„De cels de France les corns avuns oït” („De ceux de France, nous avons entendu les cors”) Roland, 2136.

„Par ma feit, dist li reis, molt m’avez irascut, / M’amistet et mon gret en avez tot perdut” (= „Par ma foi, dit le roi, vous m’avez beaucoup irrité, / Du coup vous en avez perdu mon amitié”) (Voyage de Charlemagne).

En moyen français, la situation de l’emploi du pronom personnel sujet demeure confuse dans le sens que tantôt on emploie le pronom suivant la règle moderne, tantôt on ne l’emploie pas selon la règle établie en ancien français, tantôt l’usage le supprime là ou l’ancien français l’aurait exigé. Cependant, l’amuïs-sement de nombreuses désinences verbales en moyen français rend peu à peu l’emploi du pronom personnel indispensable, d’abord au singulier et à la troisième personne du pluriel, ensuite par analogie, aux première et deuxième personnes du pluriel. Au XVIe siècle, la liberté concernant l’emploi ou la suppression du pronom personnel sujet se maintient. Certains écrivains sous l’influence de la syntaxe latine ou par amour des constructions de l’ancien français suppriment fréquemment les pronoms personnels sujets et cultivent sous cet aspect des structures que le XVe siècle avaient déjà abandonnées.

Ex.: „Aucune fois aux montagnes allais, / Aucune fois aux fosses dévalaïs, / Pour trouver là les gîtes des fouines, / Des hérissons ou des blanches hermines / Ou, pas à pas, le long des buissonnets / Allais cherchant les nids des chardonnets” (Marot, Églogue au roi).

Non seulement les poètes, mais les prosateurs emploient ce procédé de style. Ex.: „Et pour le sçavoir, la (= la feuille de papier) mist auprès du feu, pour

veoir si l’escripture estoit faicte avec du seul ammoniac destrempé en eau. Pius la mist dedans l’eau, pour sçavoir si la lettre estoit escripte du suc de tithymalle. Puis la monstra à la chandelle, si elle estoit poinct escripte du jus de oignos blancs.” (Rabelais, Pantagruel, Paris, Gallimard, 1958, p. 109).

Ronsard, dans son Art poétique, condamne l’omission du pronom sujet: „Autant en est des pronoms primitifs, comme je, tu que tu n’oublieras jamais,

si tu veux que tes carmes soyent parfaits” (II, 1004). Le pronom personnel sujet, qui était devenu la marque de la personne verbale

est employé régulièrement au XVIIe siècle. Malherbe dans les notes qu’il a mises de sa main sur un exemplaire des Oeuvres de Philippe Desportes, et Vaugelas dans ses Remarques sur la langue françoise (1647) exigent l’emploi du pronom personnel sujet partout où il doit être mis.

Remarque. L’ancien usage s’est conservé dans quelques locutions figées. Ex.: fais ce que dois. Tes père et mère honoreras.

Accord du verbe avec le sujet

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Tous les verbes à un mode personnel s’accordent en nombre et en personne avec leur sujet. Lorsque le participe passé du verbe est employé avec l’auxiliaire être aux temps composés, il peut varier en genre suivant que le sujet est masculin ou féminin.

Ex.: „O frais pâturage où de limpides eaux / Font bondir la chèvre et chanter les roseaux!” (Marceline Desbordes – Valmore, Rêve intermittent). „J’ai cueilli ce brin de bruyère / L’automne est morte souviens t’en / Nous ne nous verrons plus sur terre / Odeur du temps brin de bruyère / Et souviens-toi que je t’attends.” (Apollinaire, Adieu).

Le sujet peut être unique ou multiple. Règle générale. Lorsque le sujet est unique (il n’y a qu’un seul sujet), le

verbe s’accorde en nombre et en personne avec ce sujet. Cette règle générale est accompagnée de plusieiurs règles particulières dont on doit tenir compte.

Le pronom impersonnel il et l’accord Le pronom il dit neutre ou impersonnel régit l’accord du verbe. On emploie

donc le verbe placé après il à la troisième personne du singulier. Ex.: Il a neigé tout le matin. Il fait froid. „Il pleure dans mon coeur comme il

pleut sur la ville” (Verlaine). Il semble naturel que vous acceptiez de contribuer à la réalisation de ce projet.

Le pronom relatif qui sujet Le pronom relatif qui, sujet de la proposition relative, impose, en général, au

verbe qui suit le nombre et la personne, de son antécédent. L’antécédent peut être: A. Un GN (groupe nominal) Ex.: „Car j’ai pour fasciner ces dociles amants, De purs miroirs qui font

toutes choses plus belles: / Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles” (Baudelaire, La Beauté).

Remarques. I. Lorsque le pronom relatif qui a pour antécédent un GN collectif accompagné d’un complément, l’accord du verbe a lieu soit avec le collectif soit avec le complément du collectif.

a) l’accord a lieu avec le collectif: Ex.: „Partout encore le petit nombre de citoyens qui gouverne cherche à se

maintenir contre le grand nombre des citoyens qui obéit” (A.Barthélemy). b) l’accord a lieu avec le complément du collectif. Ex.: „On voit dans les cercles un petit nombre d’hommes et de femmes qui

pensent pour tous les autres et pour qui tous les autres parlent et agissent” (J.J.Rousseau). „Il vint une nuée de barbares qui désolèrent tout le pays” (Acad.).

II. Lorsque l’antécédent est un GN (groupe nominal) mis en apostrophe, l’accord se fait à la 2e personne du singulier ou du pluriel, selon que l’on s’adresse à un interlocuteur ou à plusieurs interlocuteurs.

Ex.: „Ah! Maudit animal qui n’es bon qu’à noyer!” (La F. XI, 3). „Foule qui répands sur nos rêves / Le doute et l’ironie à flots” (V.Hugo, Fonction du poète). „Qui donc es-tu, mon frère, qui n’apparais qu’au jour des pleurs” (Musset, Nuit de décembre). „Jeunes présomptueux qui avez cru que l’homme peut se suffire à lui-même!” (P.R.).

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B. Un pronom personnel de la première ou de la deuxième personne. Dans ce cas, le verbe s’accorde avec ce pronom.

Ex.: C’est moi qui le dis; c’est toi qui le dis. C’est nous qui le disons, c’est vous qui le dites. C’est nous qui sommes les plus forts.

Dans une invocation, le pronom personnel peut être sous-entendu. Ex.: Notre Père (vous) qui êtes aux cieux, que Votre Nom soit sanctifié. C. L’antécédent du pronom relatif qui a la fonction d’un attribut. Lorsque le pronom relatif qui est précédé d’un attribut ayant le rôle d’anté-

cédent et que cet attribut se rapporte à un pronom personnel de la première ou de la deuxième personne, l’usage hésite entre l’accord avec le pronom de la 1re ou de la 2e personne et l’accord avec l’attribut.

L’accord se fait avec l’attribut dans les cas suivants: a) l’attribut qui est constitué par un groupe nominal possède un article défini. Ex.: Vous êtes l’étudiant qui a le mieux réussi à ce concours. b) le groupe nominal attribut possède dans la position de spécifieur un

déterminant démonstratif. Ex.: Vous êtes cet étudiant qui a remporté le prix d’excellence. c) l’antécédent est représenté par un pronom démonstratif. Ex.: Tu seras celui qui gardera la maison. Vous êtes celui qui a trouvé la

meilleure solution. Remarque. On trouve parfois l’accord avec le pronom sujet lorsque l’attribut

est un pronom démonstratif. Ex.: „Je suis celui qui conçois ce que vous voulez” (Valéry, Eupalinos). Tu

es celui qui fais entrer dans les âmes… une personne de la Trinité” (H.Queffélec, Faute de Montseigneur).

d) le groupe nominal attribut ayant le rôle d’antécédent se trouve dans une phrase qui a la principale à la forme négative: Vous n’êtes pas un savant qui aime parler de ses découvertes.

e) le groupe nominal attribut est placé dans une phrase qui se trouve à la forme interrogative.

Ex.: Êtes-vous le médecin qui est à l’origine de ces guérisons miraculeuses? Il y a hésitation de l’usage en ce qui concerne l’accord du verbe lorsque dans

une phrase à la forme affirmative il y a un groupe nominal attribut qui possède dans la position de spécifieur un article indéfini. Dans ce cas, l’accord du verbe peut avoir lieu avec le groupe nominal attribut (à la 3e personne) ou avec le pronom personnel sujet (à la 1re ou à la 2e personne):

a) l’accord du verbe a lieu à la 3e personne (avec le groupe nominal attribut). Ex.: „Je suis un collégien qui connaît son bonheur” (Saint-Exupéry; Grev.).

Je suis un naïf qui croit tout ce qu’on lui dit. b) l’accord a lieu à la première ou à la deuxième personne. Ex.: Je suis un paresseux qui ne me plais qu’à dormir toute la journée. Vous

êtes un ignorant qui prétendez être un savant. Le pronom personnel sujet détermine l’accord lorsque l’antécédent du pro-

nom relatif qui est un attribut constitué par un quantitatif numérique (deux, trois, etc.) ou un pronom indéfini ((un quantificateur ou quantifieur); plusieurs, quelques-uns)).

Ex.: Vous êtes quatre qui aspirez à occuper cette fonction. Vous êtes plusieurs qui prétendez avoir vu cette soucoupe volante. Vous êtes quelques-uns qui convoitez cette place.

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L’attribut constitué par le seul, le premier, le dernier, l’unique Lorsque l’attribut est constitué par le seul, le premier, le dernier, l’unique

l’accord du verbe se fait soit à la 1re ou à la 2e personne, soit à la 3e personne, sui-vant le sens.

a) accord à la 1re personne Ex.: Je suis le premier qui aie fait connaître Shakespeare aux Français

(Voltaire). Je suis le seul qui l’aie dit. b) accord à la 2e personne Ex.: Tu es le seul qui sois actif. Vous êtes les seuls qui soyez scandalisés.

Vous êtes le seul qui connaissiez ce sujet. c) accord à la 3e personne Ex.: Je suis, je crois, le premier chimiste qui ait donné la description détaillée

de ce phénomène. J’ai été le premier qui ait fait connaître en France la poésie anglaise (Voltaire). „S’il vous souvient pourtant que je suis la première / Qui vous ait appelé de ce doux nom de père” (Racine). Vous êtes le premier qui l’ait dit.

Le pronom relatif qui précédé d’un syntagme complexe 1. Après des expressions du type un homme comme moi qui, un homme

comme toi qui, un homme comme nous qui, des gens comme vous qui, etc., le verbe peut s’accorder soit avec le nom (un homme, des gens), soit avec le pronom employé comme antécédent (moi, toi, nous, vous, etc.).

Ex.: a) J’en crois un homme comme vous qui a vu par ses yeux (Littré). b) J’en crois un homme comme vous qui avez vu par vos yeux. Il y a des

gens comme moi qui ne regarde pas la richesse comme la chose la plus précieuse. 2. Le pronom relatif est précédé de la structure un des + nom, un des +

adjectif + nom. Dans ce cas, on peut employer le verbe au singulier ou au pluriel, suivant le sens.

Ex.: L’étudiant répondit à un des professeurs qui l’interrogeait ou qui l’inter-rogeaient.

a) Le verbe est mis au pluriel: „Un des ouvrages qui contribuèrent le plus à former le goût de la nation… fut le petit recueil des Maximes…” (Voltaire, Le Siècle de Louis XIV). „Nous traversions un des endroits du domaine… qui eussent conservé un peu de leur antique prestige” (Benoit, Axelle; L.B.). „Un des plus nobles monuments qui décorent la Lorraine” (Barrès, Colline insp.; L.B.). L’informatique est une des sciences qui font le plus d’honneur à l’esprit humain. Votre ami est un des passagers, qui faillirent périr dans cet accident.

b) Le verbe est mis au singulier: „C’étoit alors un des hommes qui étoit le plus attaché à Socrate” (Racine, Trad. du Banquet; L.B.). „Une des choses qui a le plus exercé ma curiosité…” (Montesquieu, Lettres). „Une des seules de la région qui eût résisté aux tremblements de terre” (Morand, Europe gal.). „Au milieu de ces saccagements, nous voyons un amour de l’ordre qui anime en secret le genre humain.. C’est un des ressorts de la nature qui reprend toujours sa force: c’est lui qui a formé le code des nations.” (Voltaire, Essai sur les moeurs).

Remarque. On doit employer le singulier si au lieu de un apparaît un pronom démonstratif.

Ex.: Il répondit à celui des professeurs qui l’interrogeait. 3. L’accord après un de ces qui, une de ces qui

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Après cette expression, le verbe doit être mis au pluriel si la pensée s’arrête sur l’antécédent.

Ex.: „Vous êtes un de ces hommes qui nient même l’évidence”. „C’était un de ces tailleurs qui vont dans les fermes raccommoder les habits” (Flaubert, B. et P.; Grev.).

Mais si la pensée s’arrête sur l’élément (être ou chose) marqué par un, une, le verbe se met au singulier.

Ex.: J’allais chez un de ces couturiers qui habite rue des Carmes. Nous vous enverrons un de nos installateurs qui remplacera la pièce cassée. „Une des choses qui m’a peut-être fait le plus de plaisir dans ma vie, c’est ce petit livre” (A. Chamson; Grev.).

4. L’accord après un de ceux qui, une de celles qui. Après ces expressions, le verbe se met au pluriel: Vous êtes un de ceux qui lui témoignèrent le plus de sympathie (A.Th.). Vous

êtes un de ceux qui ont eu le plus de succès (G.M.). Vous êtes un de ceux qui m’ont le mieux compris.

L’accord du verbe être des présentatifs c’est, ce sont; c’était, c’étaient; ce fut, ce furent

Généralités. C’est et le groupe nominal qui le suit forment un ensemble phra-séologique. Le premier élément de c’est est le pronom démonstratif de valeur neutre ce.

Les règles d’emploi et d’accord de c’est et de ce sont, etc. sont loin d’être fixées et l’usage y est particulièrement indécis.

1. Le verbe être du présentatif c’est se met ordinairement au pluriel quand il est suivi d’un groupe nominal au pluriel.

Ex.: Ce sont de vrais amis. Ce sont des sentiments généreux, louables. Ce sont les pluies et les vents froids qui annoncent l’automne. La première nourriture des perdreaux, ce sont les oeufs de fourmis, les petits insectes qu’ils trouvent sur la terre et les herbes.

„C’étaient des dangers imminents” (H.Bosco, Malicroix). „C’étaient ces gens-là que j’estimais le plus. C’étaient des bruits sans nom, inconnus à l’oreille” (Gautier; R.G.). „Ce n’étaient que bals, que festins” (Besch). „Ce n’étaient plus des hommes vêtus d’uniformes” (P.Vialar; H.). Ce furent les dernières paroles que je l’entendis prononcer. Ce furent dix secondes d’une terreur sans fin.

2. Lorsque le groupe nominal reprend un collectif précédemment exprimé, le verbe être se met au pluriel.

Ex.: Une troupe s’avança, c’étaient des fantassins. 3. On emploie ce sont si le pronom démonstratif neutre ce rappelle l’idée

d’un pluriel précédemment exprimé. Ex.: La planète Mars a deux satellites; ce sont Phobos et Deimos. Remarque. I. Au XVIIe siècle, on a considéré que les syntagmes c’est,

c’étaient, etc. étaient des formes lexicalisées, figées et on a souvent employé le verbe être au singulier dans les gallicismes mentionnés, même s’il se trouvait devant des noms utilisés au pluriel.

Ex.: „Ce n’est pas seulement les hommes à combattre, c’est des montagnes inaccessibles, c’est des ravins et des précipices d’un côté, c’est partout des forts

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élevés” (Bossuet, Louis de Bourbon). „ Qui racontera ces détails? Ce n’est pas les journaux” (Acad.). Ce n’est pas des visages, c’est des masques” (A.France, Rôtisserie de la Reine Pédauque). Ce n’est pas les héros qui passent sous l’Arc de triomphe. C’était tous les jours de nouvelles accusations (Voltaire). „C’était trois notes, toujours les mêmes précipitées, furieuses (G.Flaubert). „Ce n’est pas les théories qui font les oeuvres” (A.Thérive; Grev.).

II. On peut employer le présentatif c’est au lieu de ce sont si le premier groupe nominal qui suit est au singulier, tandis que les autres sont au pluriel.

Ex.: C’est la gloire et les plaisirs qu’il a en vue (Littré). C’est la fortune et les honneurs que recherche l’homme.

Le présentatif c’est suivi d’une préposition Il est possible que le groupe nominal qui suit le présentatif c’est soit introduit

par une préposition; alors le verbe se met au singulier. Ex.: C’est des contraires que résulte l’harmonie (Besch.). „C’était bien de

chansons qu’alors il s’agissait” (La F. VII, 9; P.R.). C’est des récoltes que dépend la subsistance de l’homme.

Remarque. Le groupe nominal peut être représenté par un substitut (pronom personnel). C’est reste au singulier.

Ex.: „C’est par eux que l’on voit la vérité suprême / De mensonge et d’erreur accusée elle-même” (Boileau; Besch.). C’est d’eux que j’attends tout; ils sont plus forts que moi (Voltaire). C’est d’eux seuls qu’on reçoit la véritable gloire.

– Si le présentatif c’est est suivi de l’un des pronoms nous ou vous, le verbe du gallicisme reste au singulier.

Ex.: Qui a dit cela? C’est nous, c’est vous. Le temps passe, disons-nous; nous nous trompons: le temps reste, c’est nous qui passons. C’est vous qu’il faut remercier. „C’est nous les petits oiseaux” (M.Aymé).

– Quand le présentatif c’est est suivi d’un pronom de la 3e personne du pluriel, il prend généralement la forme du pluriel.

Ex.: Ce sont eux qui en tirent profit. Ce sont eux qui ont construit les meilleures autoroutes. Ce sont eux qui me l’ont demandé. Ce sont eux qui frappaient à la porte. Ce sont eux qui ont inventé la poudre (les Chinois = eux).

N.B. On dit d’habitude C’est eux que l’on appelle et ce sont eux qui viennent (l’usage met le singulier si le pronom eux est suivi de que, et le pluriel s’il est suivi de qui).

– On emploie la forme c’est du présentatif au lieu de sa forme ce sont dans le cas suivants:

a) lorsqu’on veut indiquer une certaine heure. Ex.: C’est onze heures qui sonnent (Littré). C’est dix heures qui viennent de

sonner. b) lorsqu’on parle d’une somme d’argent considérée comme un tout. Ex.: C’est quinze millions de francs qui seront nécessaires pour réaliser ce

projet. C’est cent mille francs qu’il me faut pour réparer le toit de la maison de mes parents.

– Le verbe être construit avec le pronom démonstratif neutre ce, est toujours au singulier dans certaines locutions figées.

1. Si ce n’est ((= excepté, sauf); sinon)).

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Ex.: Il ne craint personne si ce n’est ses parents. Qui t’aidera si ce n’est tes amis. „Jésus leur défend de rien emporter si ce n’est des sandales et un bâton” (Flaubert, Tentation de Saint-Antoine). Je ne demande rien si ce n’est qu’on me rende justice. Si ce n’est eux qui donc l’a fait? (H.).

2. Fût-ce (= même). Ex.: „Les mauvais riches, fût-ce les pires, prennent une assurance sur l’avenir,

en prodiguant les dons” (A.Suarès; Grev.). „Ce jour-là, toutes les choses de la campagne, fût-ce les plus charmantes, me

semblèrent enveloppées d’une atmosphère mystérieuse” (L.B.). 3. Ne fût-ce que (= quand ce ne serait). Ex.: Il voudrait se rendre au bord de la mer ne fût-ce que trois jours. Il aurait

dû accepter ne fût-ce que pour se faire bien voir. Les abréviations de si ce n’est, si ce n’était, etc.

La locution si ce n’est et ses variantes (si ce n’était, si ce n’étaient,si ce n’eût été, si ce n’eussent été) ont donné naissance par la suppression de si et de ce à n’était, n’étaient, n’eût été, n’eussent été.

N’était, n’eût été peuvent être suivis du pluriel (Ces locutions peuvent être assimilées à des propositions ou considérées comme étant figées).

Ex.: N’était ses cheveux blancs, on ne lui donnerait pas cet âge (H.). „N’eût été mes propres mots qu’il avait répétés, j’aurai pensé, à voir cette émotion, qu’il s’était mépris” (J. de Lacratelle, L’Âme cachée; Grev.).

On emploie le singulier dans les interrogations est-ce là? qu’est-ce que? Ex.: Est-ce là vos richesses? Qu’est-ce que les céphalopodes? C’est et ce sont employés pour exprimer une opposition. Ex.: „Et ce ne sont point les louanges, / C’est la vertu que tu chéris”

(J.B.Rousseau). Ce ne sont pas les pierres qui font le temple, c’est la pensée. Ce ne fut pas une certaine invasion qui perdit l’empire romain, ce furent toutes les invasions.

Sujet constitué de noms désignant l’espèce suivis d’un nom complément Lorsque le sujet est constitué de noms désignant l’espèce suivis d’un groupe

nominal complément, c’est ce dernier qui détermine, en général, l’accord du verbe. Ex.: Toute espèce de difficultés empêchèrent la réalisation de notre projet.

Toute sorte de livres ne sont pas également bons (Acad.). Un certain type de recherches ont été entreprises dans le domaine de la bionique.

Le groupe nominal sujet est un collectif Quand le groupe nominal sujet unique contient un nom collectif (c’est-à-dire

singulier en ce qui concerne la forme et pluriel par le sens) l’accord a lieu suivant les règles suivantes:

a) si le nom collectif n’est pas suivi d’un complément, le verbe se met au singulier.

Ex.: La foule se disperse lentement. (M.R.) La foule accourut. Une multitude en marche faisait entendre une rumeur confuse. La multitude est généralement sacrifiée aux passions de quelques oppresseurs privilégiés.” (Raynal, Hist. philos.; L.B.). La foule s’écoulait par les trois portails, comme un fleuve par les trois arches

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d’un pont…” (Flaubert, Bovary). „La foule s’ouvrait sur mon passage hostile et menaçante” (Loti, Aziyadé).

b) quand le nom collectif est suivi d’un complément du nom qui est au plu-riel, le verbe est au singulier ou au pluriel suivant les exigences du sens (selon la manière d’envisager le référent). Le verbe se met au singulier ou au pluriel suivant qu’on envisage comme auteur de l’action le nom collectif ou le complément de ce nom.

10) Le verbe est au singulier si l’on veut insister sur la notion de collectivité. Cet accord met en évidence les référents considérés globalement.

Ex.: Une nuée de criquets s’abattit sur les champs et dévasta la moisson. Une foule d’ouvrières sortait de l’usine.

20) Lorsque le nom collectif est pris dans un sens partitif et qu’on veut faire ressortir l’idée de nombre, on met le verbe au pluriel.

Ex.: Une bande d’enfants s’amusaient à jeter des boules de neige. „Des nuées de piétons affluaient par les rues, et grossissaient sans trêve le flot mouvant” (R.Martin du Gard, Thibault). „Assez loin, au pied d’un bastion, un groupe de soldats s’exerçaient au clairon” (Lacratelle; Dj.). „Une compagnie d’oiseaux tour-billonnaient dans le ciel bleu (Flaubert, Bovary; L.B.). „J’ai critiqué Jaurès en un temps où une nuée de flagorneurs l’environnaient” (Péguy, La République; P.R.). Un tas de gens étaient là, beaucoup plus qu’on ne croit.

Remarque. Après le nom armée (au sing.) même s’il est accompagné d’un complément le verbe se met au singulier.

Ex.: „L’armée des Barbares n’avait pu maintenir son alignement”. (Flaubert, Salammbô ; L.B.). Une armée de fourmis envahit le jardin.

Le pronom on sujet Lorsque le pronom on désigne une femme ou plusieurs personnes et qu’il est

sujet d’une forme verbale composée avec être, le participe passé qui s’y rapporte s’accorde en genre et en nombre avec le nom ou son substitut représenté par on.

Ex.: „On était bien fatigués nous-mêmes avec tout ce qu’on supportait en acier sur la tête et sur les épaules” (Céline). „Eh bien! Petite, est-on toujours fâ-chée? (Maupassant, Notre coeur). „On dort entassées dans une niche” (P.Loti, Vers Ispahan; A.Th.). À nos âges, on a besoin d’être soignés (Druon, Grandes familles; Grev.).

Remarque. Cette construction est, en général, considérée comme faisant partie du niveau familier de la langue.

L’accord après les adverbes de quantité et après une expression quantitative Après les adverbes de quantité ou après une expression quantitative suivis

d’un groupe nominal sujet au pluriel, le verbe s’accorde avec ce dernier.

Trop de Ex.: Trop de plaisirs nuisent à la santé. Trop de larmes ont été répandues,

trop de vies ont été détruites (L.B.). „Dans le noir, elle aurait peur. Trop de choses la guettaient…” (Green, A.Mesurat). Trop de prospérités ne furent pas regardées sans envie (M.R.).

Beaucoup de

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Ex.: Beaucoup de gens ignorent ces phénomènes. Beaucoup de convives ont opté pour un dessert, délaissant le plateau de fromage. Beaucoup de précautions peuvent nuire. „Qui s’intéresse à beaucoup de choses, beaucoup de choses lui sont données” (Claudel, Ste Thérèse).

Remarques. I. Le groupe nominal sujet, complément de beaucoup, peut ne pas se trouver dans la structure de surface et toutefois déterminer l’accord.

Ex.: Beaucoup par un long âge ont appris comme vous / Que le malheur suc-cède au bonheur le plus doux.” (Corneille, Horace, L.B.). Beaucoup s’en sont aper-çus. „Beaucoup en ont parlé, mais peu l’ont bien connue” (Voltaire, Henriade, II).

II. Si beaucoup (mot qui exprime la quantité) est complété par nous, vous l’accord se fait avec le quantitatif au pluriel.

Ex.: Beaucoup d’entre nous regretteront sa disparition. Si on fait l’accord avec nous, cela suppose qu’on se met dans le nombre. Cet

accord est peu employé. Ex.: Beaucoup d’entre nous avons regretté cet echec. III. Si le groupe nominal sujet complément de beaucoup est au singulier le

verbe s’accorde au singulier. Ex.: Beaucoup de travail sera nécessaire. Beaucoup de temps nous a fallu

pour explorer l’île. Peu de

Ex.: „Peu de gens ont vu ce phénomène météorologique. Peu de gens s’en sont doutés. „Peu de gens savent être vieux” (La Rochefoucauld, Maximes). Peu d’amis la regretteront, ses façons étant d’une hauteur qui éloignait” (Flaubert, Un coeur simple).

Remarques. I. Si le quantitatif peu est complété par nous ou vous l’accord se fait avec l’expression de la quantité (au pluriel).

Ex.: Peu d’entre nous ont connu le bonheur. II. En fonction pronominale, peu est suivi d’un verbe au pluriel. Ex.: Peu s’en sont tirés.

Assez de Ex.: „Assez de gens méprisent le bien, mais peu savent le donner” (La

Rochefoucauld, Maximes). „Peut-être assez d’honneurs environnaient ma vie / Pour ne pas souhaiter qu’elle me fût ravie” (Racine). „Assez de malheureux ici-bas vous implorent” (Lamartine, Le Lac).

Tant de Ex.: Tant d’occasions de faire le bien se présentent au cours d’une journée!

Tant d’arrivistes convoitent la place! Tant de noires pensées l’obsèdent qu’il ne peut fermer l’oeil de toute la nuit.

Remarque. Si tant de est suivi d’un groupe nominal au singulier, le verbe se met au singulier: Tant de bêtise frise le génie, par certains côtés.

Bien des

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Ex.: Bien des soldats ont péri dans ces combats. Assistez à la vie en spectateur indifférent; bien des drames tourneront à la comédie (Bergson, Le rire). Bien des jolies femmes sont méchantes.

Combien de Ex.: Oh! combien de marins, combien de capitaines… / dans ce morne

horizon se sont évanouis! (Victor Hugo, Oceano nox). Combien de gens voudraient être à votre place! „Combien de gens meurent dans les accidents, pour ne pas lâcher leur parapluie” (A.Gide cite cette phrase de Valéry dans son Journal).

L’accord après le nom sans déterminant exprimant une quantité Après les quantitatifs force, quantité de, nombre de, bon nombre de suivis

d’un nom au pluriel, le verbe s’accorde avec ce nom. Force

Ex.: Force sénateurs vinrent alors rendre hommage au président. Force tenta-tives ont été faites en vain.

Quantité Ex.: Quantité de personnes sont persuadées du mérite de cet homme. Quan-

tité de gens restent assez fortunés pour n’avoir pas beaucoup à pâtir des restrictions (A.Gide; P.R.). Quantité de gens ont pu voir ces acrobaties aériennes.

Nombre de Ex.: Nombre de romanciers ou d’auteurs dramatiques ne parviennent jamais à

faire rendre aux propos de leurs personnages un son authentique (A.Gide, Ainsi soit-il). Nombre de témoins ont pu le voir (Acad.). „Nombre de gens fameux en ce genre ont écrit. / Tous ont fui l’ornement et le trop d’étendue” (La Fontaine VI, 1).

Accord du verbe avec la plupart, le plus grand nombre, un grand (petit), nombre, une infinité

Ces expressions, suivies d’un groupe nominal au pluriel, exigent que le verbe soit mis au pluriel.

La plupart Ex.: La plupart de mes livres sont reliés en chagrin (Acad.). „La plupart des

gens ne jugent des hommes que par la vogue qu’ils ont” (La Rochefoucauld, Maximes). La plupart des spectateurs ont vivement applaudi les acteurs. La plupart des magasins se trouvaient au centre de la ville. La plupart des pays ont ratifié ce traité.

La plupart peut être employé sans complément. Le verbe qui suit la plupart est le plus souvent au pluriel.

Ex.: Les médecins ne considèrent pas seulement la maladie en elle-même. La plupart sont attentifs à la psychologie de leurs patients (Lexis). „La plupart filaient seuls et s’engouffraient au fond du magasin (Zola; H.B.). La plupart étaient présents à la cérémonie. La plupart se sentent écoeurés (L.B.). Ces maisons en granit sont encore habités. La plupart datent du XVIIIe siècle.

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Remarque. Certains écrivains, par archaïsme, emploient le verbe au singulier après la plupart.

Ex.: „La plupart semblait ne pas comprendre de quoi je parlais” (Aragon, Mentir-vrai; Grev.).

L’accord du verbe au singulier était fréquent au XVIe et au XVIIe siècles. Ex.: „La pluspart mouroit de male faim” (Amyot, Alexandre). „La plupart des

hommes suit l’inclination naturelle” (Bossuet).

Le plus grand nombre Ex.: „L’histoire des hommes est une collection de solutions grossières. Toutes

nos opinions, la plupart de nos jugements, le plus grand nombre de nos actes sont de purs expédients” (Valéry, Rhumba). „Le plus grand nombre des habitants non seulement me supportèrent, mais me traitèrent en ami” (Veuillot; Grev.). Le plus grand nombre de nos opérations sur la nature demeurent reconnaissables.

Un petit nombre Ex.: Un petit nombre de députés n’envisageaient que leur propre intérêt. Un

petit nombre de savants ont fait faire à la médecine de merveilleux progrès.

Une infinité Ex.: „Quand un poulpe est retiré de sa coquille, une infinité de petites pierres

s’attachent à ses bras” (Racine, Rem. sur l’Odysée). „Une infinité de petits points d’or ont été éparpillés dans les étoiles par les

fusées qui illuminaient la nuit.” (ap. Green, A.Mesurat). Une infinité de mulets et de paysans pittoresques se promenaient sous les

arcades de la place. Remarque. Avec les expressions le plus grand nombre, un grand (petit)

nombre, l’accord peut aussi avoir lieu au singulier. Ex.: „Le plus grand nombre des invités s’en alla (Tharaud, Israël….; Grev.).

Le plus grand nombre des chercheurs était d’avis qu’il fallait continuer les recherches. Un grand nombre de soldats fut tué dans ce combat (Littré). Un petit nombre de ces femmes ne connaîtra jamais la vie (Grev.).

L’accord après le nominal le peu Quand le sujet est constitué par peu (précédé de l’article défini ou d’un

déterminant démonstratif) et qu’il est suivi d’un complément, l’accord se fait selon le sens, soit avec peu soit avec le complément.

1. L’accord au singulier met l’accent sur le peu; il est frappé, dans ce cas, d’un accent d’insistance qui exprime l’idée de manque, d’insuffisance.

Ex.: „Le peu de surêté que j’ai vu pour ma vie à retourner à Naples m’a fait y renoncer pour toujours” (Molière, L’Avare). Le peu de qualités dont il a fait preuve l’a fait éconduire (Acad.). Le peu d’encouragements que j’ai recueilli ne m’incite pas à poursuivre ce projet. „J’intéressais en elle ce peu d’entrailles (= sensibilité; siège des émotions) qui subsiste dans les femmes les plus insensibles” (F. Mauriac).

2. Si l’on veut mettre l’accent sur le complément de le peu, on fait l’accord au pluriel.

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Ex.: Le peu de cheveux qu’il avait étaient gris. Le peu de services qu’il a rendu ont paru mériter une récompense (Acad.). Le peu de fruits qui restent ne pourront garnir une tarte. Le peu de traces qui subsistent dans la pièce après cette effraction n’aident guère les enquêteurs. Le peu d’observations que je fis se sont effacées de ma mémoire.

L’accord du verbe après plus d’un, moins de deux Lorsque le groupe nominal sujet est formé au moyen de l’expression plus

d’un, le verbe se met au singulier. Ex.: Les ouvrages les plus courts sont toujours les meilleurs; plus d’un

critique l’a fait observer. Plus d’un Français le regrettera. Plus d’une lycéenne sou-haite voir l’acteur X. Plus d’une Hélène au beau plumage fut le prix du vainqueur (La F.).

Remarques. I. Si le groupe nominal complément de plus d’un est au pluriel, l’accord avec ce complément est, en général, au singulier ou au pluriel.

Ex.: Ils remarquèrent que plus d’un de ces convives était gai ou étaient gais (A.Th.). Plus d’un de ces savants m’était ou m’étaient (inconnu ou inconnus).

II. Le pluriel s’impose au contraire si plus d’un est répété. Ex.: Plus d’un malade, plus d’un infirme lui ont voué une profonde

reconnaissance. „Plus d’un brave guerrier, plus d’un vieux sénateur / Rappelaient vos beaux jours” (Destombes; Besch.).

III. Plus d’un se construit avec le verbe au pluriel si ce dernier possède un sens réciproque.

Ex.: Il y a plus d’un marchand qui se dupent l’un l’autre. Après un groupe nominal formé au moyen de moins de deux, le verbe se met

au pluriel. Ex.: Moins de deux heures ont suffi pour effectuer cette réparation. Moins de

deux années sont passées depuis ce tragique événement.

Accord du verbe avec les groupes nominaux de sens numéral 1. Le verbe s’accorde au singulier avec le groupe nominal de sens numéral

(une dizaine, une douzaine, une centaine, etc.) si le locuteur pense à l’ensemble des éléments (êtres ou choses) dénotés par le nom ou s’il s’agit d’une quantité précise.

Ex.: Une douzaine de ces mouchoirs nous coûtera cinq cents francs. Une centaine de passagers a péri dans cette catastrophe aérienne. Une quinzaine de jours fut nécessaire pour éteindre ces incendies.

2. Lorsque le groupe nominal de sens numéral exprime l’approximation, le verbe se met au pluriel.

Ex.: Une douzaine de jours se sont écoulés depuis son départ. Une centaine de billets de mille francs avaient été écoulés par les faux-monnayeurs. „Une dizaine de soldats avaient seuls échappé au massacre” (M.Arland, Antarès; H.).

Les expressions (tout) ce qui reste de, (tout) ce qu’il y a de, (tout) ce que j’ai de devant un groupe nominal au pluriel

Le verbe qui suit ces expressions (ces périphrases nominales collectives) est mis en général, au singulier devant un nom au pluriel.

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Ex.: Tout ce qui restait de naufragés s’était réfugié sur des radeaux. Tout ce qui restait d’habitants avait été banni de la ville. Ce qui reste d’instants fond au feu de nos derniers soleils. Tout ce qu’il y avait de personnalités dans cette ville parti-cipait à cette réunion.

Remarque. Il y a des écrivains qui accordent le verbe avec le nom pluriel qui suit (tout) ce qui reste de, (tout) ce qu’il y a de, etc. comme si ces expressions étaient des déterminants; ils tiennent surtout compte de l’idée du pluriel exprimée par le complément.

Ex.: Ce qui restait d’élèves battaient la semelle dans la cour agrandie (Pagnol). Tout ce que la France compte de bons poètes ne devraient pas demeurer indifférents. „Tout ce que Port-Albert compte de dignitaires feront la queue pour lui présenter leurs hommages.” (Cesbron ; H.). „Tout ce qu’il y avait de gens éclairés l’accueillirent, l’exaltèrent” (Sainte-Beuve, Tableau poés. fr. XVIe siècle ; P.R.). „Presque tout ce qu’il y a de beautés sont dérobées” (G. de Scudéry, Obs. sur le Cid).

Accord du verbe avec le sujet qui comporte une fraction au singulier (moitié, tiers, quart) suivie d’un complément au pluriel

10. Lorsque le locuteur pense qu’il s’agit d’une quantité précise, le verbe est mis au singulier; dans ce cas, l’accord se fait avec la fraction et non pas avec le complément de celle-ci; le groupe nominal sujet constitué par la fraction exprime une idée indépendante des termes qui le suivent, une idée sur laquelle s’arrête l’esprit.

Ex.: La moitié des députés a quitté la salle avant de voter le projet de loi. La moitié des passagers de l’avion a péri dans l’accident. La moitié des skieurs ensevelis par l’avalanche n’avait pas pu être retrouvés. La moitié des actionnaires a protesté contre les mesures prises par la direction de la société. Le tiers des voitures est équipé de sirènes antivol. Un bon tiers des électeurs a voté pour ce candidat. Le quart des effectifs de l’armée a été mis à la retraite. Le quart des parachutistes de cette unité a été relevé par des casques bleus.

20. Si les fractions (ou les expressions) la moitié, le tiers, le quart sont prises dans un sens approximatif ou figuré, l’accord se fait avec le complément qui suit ces syntagmes.

Ex.: La moitié de mes amis me reprochent d’avoir pris cette décision. La moitié des caves de la section n’ont pas encore été fouillées (A. France, Les Dieux ont soif ; L.B.). La moitié de nos concitoyens épars dans le reste de l’Europe et du monde, vivent et meurent loin de la patrie (Besch.). La moitié des arbres de cette forêt ont été abattus d’une manière sauvage. Un tiers des passagers de ce ferry-boat ont péri dans le naufrage. Le quart des livres de cette bibliothèque ont brûlé lors de l’incendie. Le quart des footballeurs de cette équipe sont des étrangers.

L’accord du verbe avec les expressions où figure et demi C’est l’élément qui résulte de la division d’un tout (le plus souvent il s’agit

des unités du système métrique et des unités de mesure de capacité) qui détermine l’accord.

Le verbe est au singulier si cet élément n’a pas de complément ou si ce complément est au singulier.

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Ex.: Un mètre et demi suffira. Un kilo et demi sera suffisant. Une livre et demie sera suffisante. Un mètre et demi de dentelle suffira. Une livre et demie de farine sera suffisante pour ce gâteau.

Si cet élément est suivi par un complément au pluriel, le verbe sera mis au pluriel. Cependant, l’emploi du verbe au singulier est permis.

Ex.: Un kilo et demi de cerises suffiront (ou suffira). Pour ce gâteau, un kilo et demi de pommes doivent suffire (ou doit suffire). Un mètre cube et demi de gravats ont été déblayés (ou a été déblayé).

L’accord du verbe avec le titre d’une oeuvre 1. Titre formé d’un nom propre On fait l’accord en genre et en nombre avec ce nom propre. Ex.: Iphigénie a été représentée en 1674. Stella a été lue en 1859 dans le

cadre d’un cercle littéraire. Esther fut représentée en costumes (P.Clarac; H.). Les Thibault ont fourni un sujet pour une pièce de théâtre.

Remarque. Selon Ad. Thomas (Dict. des difficultés…), l’accord en genre ne se fait pas si la consonance n’est pas nettement féminine.

Ex.: Salammbô a été porté à l’écran. 2. Titre formé d’un nom précédé d’un déterminant (le plus souvent il s’agit

d’un article défini). Dans ce cas, l’accord se fait avec le nom. Ex.: „Les Marthyrs sont une épopée en prose” (Gaëtan Picon, Histoire des

littératures, III, 1006). „Les Misérables sont un poème, le poème de la conscience humaine”… (Gaëtan Picon, id., p. 1028). „Que les Fleurs du mal soient une con-fession, le livre d’un coeur mis à nu, Baudelaire lui-même l’affirme, dans une lettre à Ancelle…” (Gaëtan Picon, id., p. 942). La condition humaine est vécue (Albérès; H.).

3. Titre formé d’une proposition. Dans ce cas, l’accord se fait souvent avec le sujet de cette proposition.

Ex.: La guerre de Troie n’aura pas lieu a été représentée en 1935. Remarque. L’accord se fait au masculin singulier si on pense au mot géné-

rique de livre, roman. Ex.: „Les dieux ont soif (1912) révèle que l’auteur est parfaitement conscient

du conflit de la liberté et de la justice” (Gaëtan Picon, id., p. 1260). 4. Si le titre est constitué de deux noms précédés de l’article défini et coor-

donnés par la conjonction et, c’est le singulier qu’il faut employer. Ex.: Le loup et l’agneau est une fable très connue de La Fontaine. La belle et

la Bête est une oeuvre de Mme Leprince de Beaumont. Remarque. Lorsque le nom commun faisant partie du titre n’est pas précédé

de l’article, le verbe se met, en général, au singulier. Ex.: Émaux et Camées a paru en 1852 (A. Th.). 5. Lorsque le titre est constitué de deux noms et coordonnés par ou, c’est le

singulier qui doit être employé. Vendredi ou les Limbes du Pacifique est un roman de Michel Tournier. 6. Lorsque le titre commence par une préposition, c’est l’accord du verbe au

masculin qui est considéré le bon usage. Ex.: Sans Famille est attendrissant, c’est un chef-d’œuvre qui fait encore

pleurer les enfants. À la recherche du temps perdu a été publié à partir de 1913 et semble inachevé.

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Accord du verbe avec plusieurs sujets (avec un sujet multiple) L’accord en personne

Quand les sujets appartiennent à différentes personnes, le verbe s’accorde avec la personne qui a la priorité: la 1ère personne l’emporte sur la 3e personne. Par conséquent, le verbe se met:

1. À la première personne du pluriel si l’un des sujets est à la première personne (la première personne l’emporte sur les deux autres):

Ex.: Mon avocat et moi sommes de cet avis (Acad.). Lui et moi ferons cela (Littré). „Maman, mon frère et moi étions assis l’un près de l’autre” (Arland, Terre natale; Grev.). Vous et moi les attendrons à l’aéroport. Elle et moi sommes économes.

Remarque. Dans les constructions négatives, on fait parfois l’accord avec la 3e personne, au lieu de le faire avec la 1ère personne du pluriel.

Ex.: „Ni moi ni personne n’en peut secouer le joug” (Rousseau, Inégalité; P.R.).

2. À la deuxième personne du pluriel si les sujets sont respectivement à la 2e et à la 3e personne.

Ex.: Ton frère et toi êtes mes meilleurs amis (Acad.). André et toi étiez là. Vous et lui le ferez.

Remarque. Le plus souvent, les sujets de personnes différentes sont repris par un pronom personnel „récapitulatif”, un pronom personnel pluriel de la person-ne qui a la „priorité” (nous ou vous). Cette reprise marque plus clairement l’accord entre la personne du verbe et le groupe des sujets.

Ex.: „Ma mère, Lucile et moi, nous regardions le ciel, les bois, les derniers rayons du soleil, les premières étoiles” (Chateaubriand). „Gaston et toi, vous entraînez cette petite” (Jean Cocteau, Enfants terribles; Grev.). Au fond, M. Achille et toi, vous êtes des Spartiates, c’est-à-dire d’excellents guerriers” (A. Maurois; Dj.). Vous et moi, nous les accompagnerons; „Pénélope, sa femme (= la femme d’Ulysse) et moi (= Télémaque) qui suis son fils, nous avons perdu l’espérance de le revoir” (Fénelon, Télémaque).

Remarque. Si l’on n’exprime pas le pronom de reprise, le rythme de la phrase peut parfois en souffrir.

Accord en nombre 1. Le sujet multiple est constitué de noms propres ou de noms communs

juxtaposés. Dans ce cas, le verbe se met au pluriel. Ex.: „Donc, Balthasar, Melchior… les Rois Mages, / Chargés de nefs

d’argent, de vermeil et d’émaux / Et suivis d’un très long cortège de chameaux, / S’avancent, tels qu’ils sont dans les vieilles images” (Heredia, Epiphanie).

„Le froid, la faim, la soif sont des coups de marteau / Qui donnent une forme obscure aux misérables…” (V. Hugo, Le choeur des racoleurs). „Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts… / Lui font d’un malheureux la peinture achevée (La F., La mort et le bûcheron). „Le marchand, l’ouvrier, le prêtre, le soldat / Sont tous également des membres de l’État” (Voltaire).

2. Les groupes nominaux sujets, surtout juxtaposés, peuvent former une gradation d’ordre sémantique. Dans ce cas, la pensée s’arrête sur le dernier des groupes nominaux sujets soit parce qu’il a plus de force que ceux qui précèdent, soit parce qu’il est d’un tel intérêt qu’il fait oublier tous les autres. Le verbe se met

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au singulier si le dernier GN est au singulier, afin de permettre, entre autres, à chaque idée de l’énoncé de laisser clairement sa marque dans l’esprit du lecteur.

Ex.: „L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature, mais c’est un roseau pensant. Il ne faut pas que l’univers entier, s’arme pour l’écraser: une vapeur, une goutte d’eau suffit pour le tuer” (Pascal, Pensées). „Une larme, un chant triste, un seul mot dans un livre… / Me fait sentir au coeur la dent des vieux chagrins” (S. Prudhomme, Les Épreuves; Grev.). „Une confidence, un souvenir, une simple allusion, ouvrait des perspectives insoupçonnées où son regard se perdait de nouveau” (R. Martin du Gard, Thib.; id.). „Une couronne de chêne et de laurier, une statue, un éloge était une récompense immense pour une bataille gagnée ou une ville prise” (Montesquieu; R.G.).

3. Lorsque les groupes nominaux sujets ayant le même référent sont juxta-posés, on met le verbe au singulier.

Ex.: „Un homme, un pélerin, un mendiant, n’importe, est là qui vous de-mande asile” (V. Hugo, Hernani, III, 1; Grev.). „Il me connaît assez pour savoir que le vieux bourgeois bordelais de souche landaise, que le catholique augustinien que je suis, est l’homme le moins enclin à comprendre et à goûter la civilisation amé-ricaine” ((Fr. Mauriac, Le Figaro, 12 sept. 1950); H.)).

4. Si les groupes nominaux sujets sont synonymes ou presque synonymes, l’accord se fait au singulier.

Ex.: La fortune, la richesse ne fait pas le bonheur. „Une buée fine, une vapeur blanche restait suspendue autour et au-dessus des berges, enveloppait tout le cours tortueux de la rivière d’une sorte de ouate légère et transparente” (Maupassant). Son courage, son intrépidité étonne les plus braves. Son aménité, sa douceur est connue de tout le monde. Ce largo, ce mouvement lent doit être interprété avec beaucoup de sensibilité.

5. Quand plusieurs groupes nominaux sujets au singulier sont juxtaposés et sont repris par un pronom indéfini, le verbe s’accorde avec ce pronom.

Ex.: „Femmes, moines, vieillards, tout était descendu” (La Fontaine). Les jeunes, les vieux, les riches, les pauvres, chacun est sujet à la mort (GM). La science, l’histoire, l’économie, la politique, le théâtre, la morale, la poésie, tout sert de véhicule à la philosophie moderne (Lamartine). „Assiettes ébréchées, verres dépareillés, couteaux branlants dans le manche, rien ne manquerait de ce qui coupe net l’appétit d’un honnête homme (A.France). „Remords, crainte, péril, rien ne m’a retenu” (Racine). „Il était douteux, inquiet: / Un souffle, une ombre, un rien, tout lui donnait la fièvre” (La F. II, 14).

Le sujet multiple est constitué de noms propres ou de noms communs coordonnés 1. Lorsque les sujets sont coordonnés par et, cette conjonction suppose, en

général, l’addition des sujets. Dans ce cas, le verbe s’accorde avec l’ensemble des sujets et se met au pluriel.

Ex.: Gérard et Jean échangèrent un sourire. „Ton prince et ton pays ont besoin de ton bras” (Corneille, Cid, III, 6). La douceur de la haine et le désir du combat animèrent ce vieux lutteur (A.Maurois; Dj.). La terre et le ciel sont saturés d’humidité. „L’espérance et la crainte sont inséparables” (La Rochefoucauld, Maximes; L.B.). „Ma jeunesse ne fut qu’un ténébreux orage, / Traversé ça et là par

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de brillants soleils; Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage / Qu’il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils” (Baudelaire, L’Ennemi).

2. Quand plusieurs groupes nominaux sujets au singulier ont le même référent (ils désignent la même personne ou la même chose), le verbe se met au singulier.

Ex.: Le vainqueur d’Austerlitz et le vaincu de Waterloo est devenu un modèle pour beaucoup d’ambitieux. „Quand le prince des pasteurs et le pontife éternel apparaîtra… (Bossuet, Sur l’Unité de l’Église). Ce philosophe renommé et cet homme vertueux fut accusé injustement de ne pas avoir respecté les dieux et d’avoir corrompu la jeunesse. „Marsyas mourra, mais c’est en vain / Que l’Envieux céleste et le Rival divin / Essayera sur ma flûte inutile à ses doigts / De retrouver mon souffle et d’apprendre ma voix” (H. de Régnier; H.B.).

Sujets formés par des expressions pronominales Les pronoms l’un(e) et l’autre forment les expressions l’un(e) et l’autre,

l’un(e) ou l’autre, ni l’un(e) ni l’autre. L’un(e) et l’autre (pronom de quantité totale) = les deux ou l’un aussi bien

que l’autre. Au XVIIe siècle, Vaugelas précise qu’il est également bien dit l’un et l’autre

vous a obligé, et l’un et l’autre vous ont obligé ((Remarques sur la langue françoise, Paris, Thomas Jolly, 1664 (1647), Remarque L’un et l’autre)). Au XVIIIe siècle, l’Académie française dans ses Observations sur les Remarques de M. de Vaugelas, Paris, J.B. Coignard, 1704, partage le point de vue de Vaugelas „Quelques-uns ont crû que l’un et l’autre se mettent plustost avec le singulier qu’avec le pluriel. Ils n’ont pas pourtant blasmé le pluriel”; A la page 112 des Remarques de Vaugelas, dans une annotation, Antoine de Rivarol montre que Gabriel Girard dans les Vrais principes de la langue françoise ou la Parole réduite en méthode, Paris, Le Breton, 1747 et Noël François de Wailly dans Principes généreux et particuliers de la langue françoise, Paris, J. Barbon, 1763 décident que le verbe doit être mis au pluriel après l’un et l’autre: „L’Académie sur Vaugelas, dit Rivarol, est du même avis pour les deux cas. Girard et Wailly pensent qu’il vaudroit mieux n’employer que le pluriel avec l’un et l’autre” (v. I. Murăreţ, Antoine de Rivarol et le français classique, Bucureşti, Editura Universităţii Bucureşti, 1990).

En français contemporain, l’un et l’autre, pronom, est accompagné du verbe au singulier ou, plus fréquemment, du verbe au pluriel (on considère que cette expression pronominale marque une conjonction, une union logique).

Ex.: L’un et l’autre y a manqué (Acad.). „L’un et l’autre approcha” (La F. VII, 16). L’une et l’autre est bonne, sont bonnes (Acad.). L’un et l’autre devaient venir plus tard (M. Prevost, L’homme vierge; L.B.).

Remarque. Si le verbe est placé avant l’un et l’autre, on doit employer le pluriel.

Ex.: Ils viennent d’arriver l’un et l’autre. Remarque. I. Lorsque l’un et l’autre est adjectif indéfini et qu’il est suivi

d’un nom au singulier, le verbe se met, le plus souvent, au singulier. Ex.: L’une et l’autre saison est favorable (Acad.). L’un et l’autre crime est,

d’ailleurs, moins sévèrement puni.” (J.Lemaître, Opinions à répondre; Grev.). L’un

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et l’autre procède à son avantage, l’un et l’autre a son défaut” (Bourget, Essais; L.B.). L’un et l’autre cadeau lui fit plaisir.

Remarque. II. Après l’un et l’autre, adjectif, on peut employer le verbe au pluriel surtout si le sens l’exige.

Ex.: L’une et l’autre affaire se tiennent (Henriat, Les fils de la louve; H.). L’un et l’autre seuil lui étaient fermés (H. Bosco, Les Balestra; Grev.). „L’une et l’autre circonstance ne se ressemblaient pas” (J.Romains, Lucienne; A.Thomas).

L’un ou l’autre (pronom indéfini ou adjectif indéfini) exige que le verbe soit au singulier étant donné que cette expression marque une disjonction logique.

1) Pronom indéfini: L’un ou l’autre devra céder. L’un ou l’autre l’emportera. 2) Adjectif indéfini. L’une ou l’autre tournure (construction) est permise.

„L’un ou l’autre cas est digne des siècles les plus barbares” (Voltaire, Lettre à Mme de Florian).

Remarque. Après cette expression le pluriel est permis. Tout dépend de la façon dont on envisage l’idée exprimée par la phrase. Si l’idée de pluralité domine dans l’esprit, le verbe se met au pluriel.

Ex.: L’un ou l’autre (= pronom) sont dignes de notre estime. „L’une ou l’autre (= adjectif indéfini) des deux lois du langage pourraient s’appliquer ici” (Proust, Guermantes). „On doit donc reconnaître, sous peine de l’absurde, que le domaine de l’art et celui de la nature sont parfaitement distincts. La nature et l’art sont deux choses, sans quoi l’une ou l’autre (= pronom) n’existeraient pas” (Hugo, Cromwell).

Ni l’un ni l’autre. Cette expression devrait se construire avec le verbe au singulier, étant donné que c’est l’idée de disjonction logique qui s’impose.

1) Pronom indéfini. Ni l’un ni l’autre n’est venu. Ni l’un ni l’autre ne sera invité. Ni l’un ni l’autre n’a fait son devoir. Ni l’un ni l’autre ne sera nommé président. Ni l’un ni l’autre ne sera élu député.

2) Adjectif indéfini. Ni l’un ni l’autre raisonnement n’est juste. Remarque I. Le verbe se met au pluriel si l’on considère les sujets dans leur

ensemble. Ex.: Ni l’un ni l’autre ne cherchent à exposer leur vie. Ni l’un ni l’autre ne

sont là. Ni l’un ni l’autre ne l’ont dit. Ni l’un ni l’autre ne valent grand-chose (A.Th.).

Remarque II. On doit employer le pluriel, si le verbe est placé avant l’expression ni l’un ni l’autre.

Ex.: Ils ne sont venus ni l’un ni l’autre.

Sujets unis ou séparés par ou 1. Lorsque les sujets exprimés par des noms au singulier sont joints par la

conjonction ou, le verbe se met au singulier si la disjonction (l’opposition) entre ces sujets est nette.

Ex.: Le ministre ou le secrétaire d’État présidera la cérémonie. Ma mère ou ma soeur surveillera l’enfant. „Nous sommes si peu faits pour être heureux ici-bas, qu’il faut nécessairement que l’âme ou le corps souffre, quand ils ne souffrent pas tous deux” (Jean-Jacques Rousseau; Besch.). Au soir du second tour des législatives, Dupont ou Duval sera député. Le père ou la mère aura la garde de l’enfant. La douceur ou la violence en viendra à bout (Acad.).

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2. Lorsque les sujets sont joints par la conjonction ou le verbe se met au pluriel si la conjonction ou a un sens voisin de et, si l’idée de conjonction des sujets l’emporte (l’esprit s’attarde à l’idée de coordination).

Ex.: La peur ou la misère ont fait commettre bien des fautes (Acad.). Un choc physique ou une émotion peuvent lui être fatals (A.Th.). Le temps ou l’oubli sont les plus grandes consolations (Dj.).

Remarque. Si ou est renforcé par plutôt, le verbe se met au singulier. Ex.: „La princesse de Guermantes, ou plutôt sa mère, a connu le vrai

Wagner” (Proust, À la recherche ….). Remarque. Lorsqu’il y a plusieurs sujets précédés de ou, le verbe se met au

pluriel. Ex.: „L’exil ou la prison ou le couteau mortel / N’épargnent nul de ceux qui

montaient à l’autel.” (Lamartine, Jocelyn). „L’idée gravée en moi que Mme Swann, ou son mari, ou Gilberte allaient entrer” (Proust, À la recherche ……).

Lorsque les sujets exprimés par des pronoms de personnes différentes sont unis par ou, on met le verbe au pluriel et à la personne qui a la priorité: la première personne l’emporte sur la deuxième et sur la troisième, la deuxième l’emporte sur la troisième. On reprend, en général, les sujets par un pronom personnel qui régit l’accord en nombre et en personne.

Ex.: Vous ou moi, nous irons chercher M.Dubois à l’aéroport. Vous ou moi nous ferons telle chose (Acad.). Toi ou lui, vous porterez la bannière du club.

Les sujets joints par ni I. Lorsque les sujets sont joints par la conjonction négative ni, le verbe se met

généralement au pluriel. Ex.: Ni mon frère, ni ma soeur ne sont venus (= ils auraient pu venir tous les

deux). Ni l’or ni la grandeur ne nous rendent heureux. „Ni le bois ni la plaine / Ne poussaient un soupir dans les airs” (A. de Vigny, La mort du loup). Ni l’extase du moyen âge, ni le paganisme ardent du XVIe siècle, ni la délicatesse de la langue de Louis XIV ne peuvent renaître (Taine; Dj.).

Remarque. Le verbe se met à la 3e personne du singulier: 1) si les sujets s’excluent mutuellement: a) si un seul des sujets aurait pu accomplir ou subir l’action marquée par le verbe. Ex.: Ni Dupont ni Duval n’a été élu député dimanche dernier. b) si un seul des sujets pourrait accomplir ou subir l’action marquée par le

verbe; cependant ce fait ne s’est pas réalisé. Ex.: Ni Régnier ni Veuillot ne sera élu président de cette société. 2) si l’énumération des sujets joints par ni est résumé par rien. Ex.: Ni les menaces, ni les coups, rien n’a pu le décider. 3) si l’enumération des sujets joints par ni est résumé par personne placé

après ni. Ex.: „La certitude que ni Sophie, ni Marie, ni personne dans la maison ne

pouvait le comprendre augmentait son désarroï” (Troyat, Barynia; Grev.). 4) lorsque le second sujet précédé par ni est placé entre virgules afin qu’il soit

mis en relief. Ex.: Ni le temps, ni l’amitié de ses proches, n’a pu guérir son chagrin (P.R.).

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5) les groupes nominaux sujets joints par ni peuvent être suivis pour des raisons stylistiques par un verbe au singulier. Cet emploi veut souligner que la pensée s’arrête sur chacun des termes joints par ni.

Ex.: „Ni mon grenier ni mon armoire ne se remplit à babiller” (La F., La Mouche et la Fourmi).

II. Si les sujets exprimés par des pronoms de personnes différentes sont joints par ni, le verbe se met au pluriel en s’accordant avec la personne qui a la priorité.

Ex.: Ni toi ni lui ne pouvez repousser cet argument. „Elle ni moi ne pûmes oublier, dans les plus vifs de nos transports, l’épouvantable situation qu’elle nous faisait” (Barbey d’Aurevilly, Diaboliques). „Il y a là une mission de justice à laquelle ni moi, ni vous, ni lui ne pouvons plus nous dérober” (Martin du Gard, J.Barois). Ni lui ni toi ne partirez pour Nice.

Remarque. Si le premier sujet qui n’appartient pas à la 3e personne est repris par le pronom indéfini personne placé après ni, le verbe se met à la 3e personne du singulier.

Ex.: Ni toi, ni personne ne peut être tenu pour responsable de l’incident. Ni moi, ni personne ne pourra retrouver la moindre preuve.

Les groupes nominaux sujets unis au moyen de comme, ainsi que, aussi bien que, de même que, autant que, etc.

Placés entre deux groupes nominaux sujets, la conjonction comme et les locu-tions conjonctives ainsi que, de même que, etc. maintiennent leur valeur de termes comparatifs; c’est pourquoi, le premier sujet considéré comme terme principal commande seul l’accord du verbe en nombre et en personne.

Ex.: Le portugais, ainsi que l’espagnol, dérive du latin. La force d’âme, ainsi que celle du corps, est le fruit de la tempérence.

Son teint blafard, de même que ses yeux battus, lui donnait un aspect de fantôme (A. Th.).

La femme, de même que l’homme a des droits politiques. La vérité comme la lumière est inaltérable. „L’orgueil autant que la pauvreté les retient sur leurs domaines” (Tharaud, L’Oiseau d’or; Grev.).

Jupiter, aussi bien que Mars, tourne autour du Soleil. Remarque. Quand la conjonction comme et les locutions conjonctives ainsi

que, de même que, autant que, aussi bien que, etc. ont la valeur de la conjonction et (lorsque la pensée réunit les termes soumis à la comparaison et les place sur le même plan), le verbe se met au pluriel.

Ex.: „La santé, comme la fortune, retirent leurs faveurs à ceux qui en abusent” (Saint-Evremont; L.B.). „Votre caractère autant que vos habitudes, me paraissent un danger pour la paroisse” (Bernanos, Journal d’un curé de campagne; Grev.).

Si deux sujets sont unis par moins que, plus que, non, et non, et non pas, plutôt que, etc., c’est le premier terme seulement qui régit l’accord.

Ex.: La malchance moins que l’incompétence détruit parfois une carrière. La paresse plus que la maladie nuit à la santé. Le courage et non la peur doit inspirer nos actions. Le professionnalisme plutôt que le dillettantisme doit caractériser un chercheur.

Accord du verbe lorsque le sujet est suivi de avec et d’un complément

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1. Le verbe se met au singulier, lorsque le complément est placé entre vir-gules. Dans ce cas, avec introduit un énoncé qui est un simple accessoire du sujet.

Ex.: La fureur de la foule, avec les menaces proférées par son entourage, a fini par le troubler (H.). Le vieillard, avec son fils malade, fut hébergé par les voisins. „Cependant Rodolphe, avec madame Bovary, était monté au premier étage de la mairie” (Flaubert, Madame Bovary; Grev;).

Si les deux sujets ont autant d’importance l’un que l’autre et que la pensée s’arrête sur les deux sujets dans la même mesure, le verbe se met au pluriel. Dans ce cas, avec équivaut à et. Le père avec le fils (= Robert et Georges Le Bidois) ont rédigé l’une des meilleures grammaires du français. „Le singe avec le léopard / Gagnaient de l’argent à la foire” (La F. IX, 3).

Accord du verbe avec des sujets constitués par des infinitifs 1. Quand les sujets sont formés par des infinitifs coordonnés ou juxtaposés, le

verbe est mis au singulier si l’attribut est au singulier. Ex.: Gémir, pleurer, prier est également lâche. Vaincre ou mourir était déjà

ma devise (About). „Bien écouter et bien répondre est une des plus grandes perfections qu’on puisse avoir dans la conversation” (La Rochefoucauld, Maximes). Ne rien aimer, ne rien haïr absolument, devient alors une sagesse” (Renan).

2. Le verbe se met au pluriel si les infinitifs demeurent dans l’esprit nettement distincts l’un de l’autre et si l’attribut est au pluriel.

Ex.: Promettre et tenir sont deux. Bien mentir et bien plaisanter sont deux choses fort différentes. Manger, boire, dormir sont les trois plaisirs principaux du paresseux.

Accord du verbe avec les sujets placés après lui Lorsque le verbe précède ses sujets, il reste souvent au singulier; l’esprit

semble attentif au premier sujet qui apparaît dans la phrase et qui représente souvent l’idée la plus importante de l’énoncé.

Ex.: „Celui qui règne dans les cieux, à qui seul appartient la gloire, la majesté et l’indépendance” (Bossuet, Oraison funèbre de Henriette de France; L.B.). „Tous les instants que lui avait laissés, sa rude existence de soldat, le triste ciel décoloré, les eaux sans nuance des étangs” (P.Benoit, Axelle).

Remarque. Le verbe se met au singulier avant une polysyndète lorsqu’on veut marquer que les faits énoncés par les sujets auront lieu successivement.

Ex.: „Demain viendra l’orage, et le soir, et la nuit” (V.Hugo, Feuilles d’automne).

Autres remarques concernant l’accord 1. La forme vive, dans les exclamations est considérée comme une formule

d’acclamation (Hanse), comme „une sorte d’interjection (Grevisse) et elle reste souvent invariable. Elle équivaut à peu près à bravo ou à gloire à…, honneur à… Elle peut s’employer aussi comme terme d’approbation, „pour saluer toute chose pleinement satisfaisante” (Paul Robert).

Ex.: Vive les Roumains! Vive les vacances!

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2. Lorsqu’on fait accorder vive avec le sujet au pluriel ou les sujets placés après lui, il est considéré comme un subjonctif elliptique (subjonctif optatif). Cet usage appartient surtout à la langue écrite.

Ex.: Vivent les arts! (Acad.). Vivent la Champagne et la Bourgogne pour les bons vins! (Acad.).

Remarque. Selon Robert Le Bidois, il faut distinguer l’énoncé Vive les gens d’esprit et Vivent les gens d’esprit:

“On écrira donc selon les cas: „Vive les gens d’esprit” si l’on veut seulement les approuver et „Vivent les gens d’esprit” si l’on souhaite réellement jouir longtemps de leur présence et de leur esprit” (Le Monde; P.R.).

3. Soit est invariable lorsqu’il est considéré comme une forme figée de subjonctif présent (sans la conjonction que). Il a une valeur de présentatif, d’hypothèse ou de supposition. Il équivaut le plus souvent à supposons.

Ex.: Soit deux carrés ayant un côté commun. Remarque. Certains auteurs, surtout des mathématiciens, emploient soit au

pluriel en le considérant une forme verbale régulière. Ex.: „Soient deux équations algébriques à deux inconnues” (H.Vogt, Élém. de

mathém. super.; Grev.). 4. Qu’importe. Cette expression peut rester invariable devant un sujet pluriel

ou un sujet multiple. Ex.: Qu’importe ces difficultés? Qu’importe sa générosité et son courrage?

Que m’importe toutes vos autres promesses? Remarque. Le verbe de qu’importe (que m’importe) peut être employé au

pluriel. Ex.: Qu’importent ces menaces? (Acad.). Qu’importent ces paroles

conciliantes? 5. Peu importe peut rester invariable s’il est suivi d’un sujet pluriel. Ex.: „Peu importe les soldats! (Roger Martin du Gard, Thib.; Grev.). „Peu

importe les noms (Vercors; H.B.). Remarques. I. Peu importe s’accorde avec le sujet pluriel postposé surtout si

la présence d’un pronom complément d’objet indirect vient attirer l’attention sur le verbe. Ex.: Peu lui importent les chicanes philosophiques. Peu lui importent les

conséquences de ses actes. II. Selon M.Grevisse (B.U., 1997) le pluriel peu importent reste fréquent. Ex.: Peu importent les raisons qui vous font tenir à ce départ (Cocteau, Aigle

à deux têtes; Grev.). 6. N’importe quel. Le verbe de cette locution à noyau verbal reste invaria-

blement au singulier. Ex.: N’importe quelles critiques le laissent indifférent. N’importe quels

ouvriers le feront mieux que ceux-ci (H. et L.B.). 7. La forme verbale placée en tête de la proposition s’accorde, en général,

avec son sujet pluriel. Ex.: „Restent les films composés par des spécialistes modernes (Duhamel,

Défense des lettres; Ad. Th.). „Restaient les frères du sultan” (A. Maurois, Lyautey; Grev.). „Restaient les mahométans et quelques autres” (Jules Romains, Mission à Rome; R.L.B.).

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Remarque. Lorsqu’il est considéré comme une forme impersonnelle, reste est laissé parfois au singulier devant un sujet pluriel.

Ex.: „Restait apparemment quelques points à éclaircir” (Duhamel, Voyage de Patrice Periot; Grev.).

Place du sujet Dans la phrase canonique du français formée d’un groupe nominal et d’un

groupe verbal, le sujet est placé avant le verbe. Cette construction suit l’ordre logique, l’ordre des termes dans la conclusion d’un syllogisme: sujet + verbe + attribut ou complément; elle constitue une séquence qu’on appelle progressive. Cet ordre peut être modifié à cause de contraintes syntaxiques dues à certaines con-structions. Des contraintes syntaxiques peuvent déterminer la postposition du sujet ou sa reprise après le verbe.

Le sujet constitué par un groupe nominal est placé après le verbe (inversion simple)

1. L’inversion dite „absolue” Le type le plus simple d’inversion du sujet est celui de la phrase déclarative

représentée par la construction „Arrive le président”. Ce tour a été nommé inversion absolue, étant donné que celle-ci n’est déterminée par aucun des facteurs qui expliquent la plupart des constructions inversives: phrase interrogative, phrase exclamative, proposition incise, présence en tête de la phrase d’un adverbe ou d’une locution adverbiale qui exigent l’inversion, proposition principale commençant par un attribut ou un complément préposé au verbe, diverses sortes de subordonnées.

L’inversion absolue ne concerne que le sujet constitué par un GN. Cette inversion est simple, elle a lieu en plaçant le sujet après le verbe.

1. L’inversion simple du sujet est en général pratiquée après des verbes de mouvement ou après des verbes qui indiquent qu’un événement s’est produit ou est en train de se produire ou qui marquent qu’on assiste à la succession de certains faits. Il s’agit de verbes tels que: venir, apparaître, paraître, avancer, passer, reve-nir, arriver, survenir, suivre.

Apparaître. Ex.: „Apparaissaient de 10 heures à midi, des hommes d’affaires mystérieux” (Daudet; L.B.). „Apparut le patron qui essaya d’apaiser les choses” (Triolet; L.B.).

Suivre. Ex.: „Suivirent deux jours de silence” (Maurois, Mémoires; L.B.). „Suivaient quatre pages d’explications” (Malraux, La condition humaine; A.C.).

Venir. Ex.: „De tous côtés, les stocks sortaient comme des rats devant l’inondation. Vinrent les ventes d’Anvers. Là, les prix descendirent la pente à toute allure” (Maurois, B. Quesnay). „Vint un jour où la nécessité me mit une plume en main” (Colette, Figaro; L.B.). „Vint une servante qui prononça quelques mots” (M. Bedel, Jérôme; L.B.).

Survenir. Ex.: „Survint la Révolution, et le poissard qui avait servi aux con-troverses dès le temps des Mazarinades fut utilisé dans la bataille révolutionnaire” (F. Brunot, H.L.F.). „Survint, bientôt en 1843, la catastrophe de Villequier” (Levaillant; L.B.).

L’inversion absolue et le verbe rester

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L’inversion absolue est fréquente après ce verbe. Le verbe rester forme le point de départ de l’énoncé et l’idée de rester est souvent préparée et annoncée par les verbes exprimés dans le contexte qui précède immédiatement.

Ex.: „Le fils est parti le cinquième jour: restaient là sa femme et sa mère, et le père” (H. Pourrat, Vent de mars). „Mes grands parents repartis, restaient seulement avec nous Millie et mon père…” (A.- Fournier, Grand Meaulnes; P.R.). „Toutes les difficultés ne s’étaient pas trouvées aplanies. Restait la grave question des places…” (P. Benoit, Déjeuner de S.).

Remarque. Le renversement de l’ordre habituel des mots déterminant une inversion absolue peut devenir une hyperbate.

Ex.: „Restait cette redoutable infanterie de l’armée d’Espagne dont les gros bataillons serrés, semblables à autant de tours, mais à des tours qui sauraient répa-rer leurs brèches demeuraient inébranlables au milieu de tout le reste en déroute, et lançaient des feux de toutes parts” (Bossuet, Oraison funèbre du prince de Condé).

L’inversion absolue et les indications scéniques Les dramaturges emploient, en général, les propositions entre x, entrent x et

y, sort x, sortent x et y, afin d’indiquer l’entrée en scène ou la sortie de la scène d’un personnage ou de plusieurs personnages. Ces indications scéniques font partie de la catégorie des inversions absolues. Le verbe est toujours au présent de l’indi-catif dans ces propositions.

Ex.: „Entrent Alcmène et Eclissé (Giraudoux, Amphitryon). „Entrent le roi et Piéchèvre” (J.Romains, Le Roi masqué). „Entre Stolberg” (J.Romains, id.; L.B.). „Entre Hernani” (V.Hugo, Hernani).

L’inversion du sujet dans les énoncés du style administratif et du style du Palais Dans le style administratif et dans le style du Palais (= langage juridique), on

énonce en tête de certaines phrases faisant partie des décrets et des ordonnances, le verbe suivi de l’attribut ou de ses compléments, et on exprime ensuite le ou les sujets.

Ex.: „Sont électeurs dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux et ressortissants français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques” (Constitution, 27 octobre 1946. Titre Ier; P.R.). „Sont nationa-lisés dans les conditions fixées par les articles 7 à 10 le Crédit Lyonnais, La Société Générale, le Comptoir National d’Escompte de Paris, la Banque Nationale pour le Commerce et l’Industrie, etc.” (J.Officiel). „Constituent la catégorie des Banques de crédit à long terme et à moyen terme les établissements ayant cet objet, placés sous le contrôle de l’État, qui exercent leur activité dans le cadre des statuts déter-minés par lui” (J.Officiel; L.B.).

L’inversion du sujet dans les définitions et les axiomes Un axiome, une définition, un principe, une règle grammaticale peuvent avoir

dans leur structure une inversion absolue. Ex.: Est intelligent tout ce qui a, tout ce qui manifeste de l’intelligence. Est

intelligible tout ce qui peut être compris. Est rimbaldien tout ce qui se rapporte à la vie ou à l’oeuvre de Rimbaud. „Appartiennent surtout à la langue judiciaire et administrative: attendu que, vu que, étant donné que, en considération de ce que”

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(C. de Boer, Syntaxe du fr. mod., 207). Rira bien qui rira le dernier (le sujet est la proposition relative sans antécédent qui rira le dernier). „Est possible aussi la construction: Si nous étions en retard, patientez une minute” (C. de Boer, id., p. 211). „Se met volontiers en tête de la proposition un verbe répété de plusieurs énoncés successifs”… (Marouzeau, L’ordre des mots; L.B.).

Remarque. Le verbe construit en inversion absolue peut être encadré par ne .... que.

Ex.: „Ne sont mortes que les choses qui n’ont plus de puissance” (J.Romains, Crime de Quin). „Ne vaut réellement en littérature que ce qui nous enseigne la vie” (A.Gide).

L’inversion du sujet dans les propositions introduites par un adverbe de modalité, d’enchaînement

L’usage d’invertir le sujet après certains adverbes ou locutions adverbiales est devenu fréquent surtout dans la langue littéraire. Aussi, à peine, peut-être, sans doute, aussi bien, encore, toujours, en tout cas, du moins, au moins, tout au plus, à plus forte raison, encore plus, encore moins, ainsi, en vain exigent, en général, l’inversion du sujet. Ils sont appelés adverbes conjonctifs ou adverbes de modalité:

„Par ce terme de modalité, dit Robert Le Bidois, nous entendons une de ces valeurs logiques comme la probabilité, la restriction, l’opposition, la conséquence, qui apportent une modification sensible au jugement tel qu’il est énoncé par l’ensemble de la phrase. Si je dis: „Il marche vite parce qu’il est en retard”, l’adverbe vite ne modifie que le sens du verbe marche; le reste de la phrase n’est aucunement affecté par cet adverbe. Si je dis, au contraire: „ Peut-être marche-t-il vite parce qu’il est en retard”, la locution peut-être qui est placée en tête de la phrase porte, non plus sur le verbe de la principale, mais sur l’ensemble de l’énoncé. Tout le sens du groupe syntaxique „Il marche vite parce qu’il est en retard” se trouve sous l’influence de la locution initiale, qui fait, pour ainsi dire, baigner la phrase entière dans l’atmosphère du probable ou du possible…” (R. Le Bidois, L’inversion du sujet…, Paris, d’Artrey, s.d., p. 89).

À peine. Cette locution a un sens temporel (= depuis très peu de temps, immédiatement). Placée en tête de la phrase, elle détermine régulièrement l’inver-sion du sujet.

Ex.: „À peine avait-il son bonheur entre les mains qu’on voulait le lui prendre” (Flaubert, Éducation sentimentale). „À peine étais-je endormi, qu’une suave musique vint m’éveiller” (Loti, Aziyadé). À peine avait-il mis le pied dans son bureau qu’un agent le prévint que le commissaire le mandait d’urgence” (Exbrayat, Félicité). „Mais à peine avais-je eu le temps de m’installer dans ma chambre qu’un domestique vint m’avertir qu’elle m’attendait dans le salon” (Gide).

Remarques. I. Parfois, la proposition introduite par à peine peut se trouver placée après une autre proposition (elle n’est plus placée en tête de la phrase). „Lorsqu’un ami m’eut parlé de sa cousine…, je mordis à l’hameçon, à peine me fut-elle apparue.” (F. Mauriac, Pharisienne; L.B.). „Elle s’endormit, à peine sa tête, avait-elle touché l’oreiller” (E. Triolet, Mille regrets).

II. Lorsque le sujet est un groupe nominal il reste devant le verbe et il est repris après le verbe par un pronom personnel.

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Ex.: „À peine Françoise était-elle descendue que quatre coups de gong retentissaient dans la maison” (Proust, Du côté de chez Swann; L.B.).

„À peine l’inspecteur eut-il mis le pied sur le trottoir de la rue Chazière qu’il fut littéralement happé par la dame Arvine” (Exbrayat, Félicité).

Peut-être. C’est un adverbe de modalité qui ajoute un caractère de probabilité à un énoncé conçu comme un jugement. Il marque le doute, indiquant que l’idée exprimée par l’énoncé est une simple possibilité.

Ex.: Peut-être a-t-il un coeur facile à s’attendrir. Peut-être surmonterez-vous cet obstacle. Peut-être vaut-il mieux que cela se soit passé ainsi. Peut-être avons-nous encore des sensations après notre mort. „Peut-être ne l’avais-je entendu qu’en rêve” (Proust, id.). „– Je comprends, murmura Paneloux. Cela est révoltant parce que cela passe notre mesure. Mais peut-être devons-nous aimer ce que nous ne pouvons pas comprendre” (A.Camus, La Peste). Peut-être est-il malade.

Remarques. I. Peut-être peut ne pas se trouver en tête de la phrase. Ex.: „Lorsque Maynart mourut à Saint-Céré, le 28 décembre 1646, peut-être

ne savait-il pas que Balzac lui-même avait été déçu par son volume de poésies, et qu’il en parlait sans admiration dans ses lettres, à Chapelain” (A. Adam, Histoire de la littérature française au XVIIe siècle, t. II, p. 55).

II. Lorsque le sujet est un groupe nominal, il reste devant le verbe et il est repris après le verbe par un pronom personnel.

Ex.: Peut-être mes parents sont-ils arrivés pendant notre absence. Sans doute. Cette locution adverbiale a le sens de „selon toutes les ap-

parences”, „probablement”. Ex.: Sans doute arriveront-ils demain. „Sans doute ma mère distingua-t-elle

la vraie raison de mes larmes” (Lacratelle; Dj.). Sans doute êtes-vous très savant, pourtant vous ignorez ce détail (Lexis).

Remarques. I. Si le sujet est un groupe nominal, il est placé avant le verbe et il est repris après le verbe par un pronom personnel.

Ex.: Sans doute la chambre, ne l’eussions-nous vue qu’une fois, éveille-t-elle des souvenirs…” (Proust, id.; L.B.).

II. L’inversion après sans doute et peut-être n’est pas obligatoire. Ex.: „Peut-être nous touchons à notre heure dernière” (Racine, Athalie, V, 1).

„Que le plus coupable de nous / Se sacrifie aux traits du céleste courroux: / Peut-être il obtiendra la guérison commune” (La F. VII, 1). Sans doute à nos malheurs ton coeur n’a pu survivre” (Racine, Alex. IV, 1).

Aussi. Cet adverbe qui joue un rôle conclusif, rattache la phrase dont il fait partie à celle qui précède, en marquant un rapport de cause à conséquence.

Ex.: Ces bijoux sont très beaux, aussi coûtent-ils très chers. „Il suivait les laboureurs et chassait les corbeaux qui s’envolaient. Aussi poussa-t-il comme un chêne.” (Flaubert, Bovary). Aussi observait-elle cette précaution de ne jamais offrir les fruits confits trop tôt, mais au moment où elle sentait que la patience risquait de faiblir” (Gide, Si le grain). „Aussi ne se demandait-il pas ce qu’elle pouvait faire” (Proust, id.; L.B.). Aussi chacun a-t-il vite compris.

Remarques. I. Le sujet inversé peut être le pronom indéfini on: „Aussi oppose-t-on à la théologie naturelle ou rationnelle, les religions positives ou les

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théologies dogmatiques qui tirent leur autorité d’un autre principe rationnel” (Cournot, Essai sur les fondements de nos connaissances). Trésor.

II. Si le sujet est un groupe nominal, il peut être repris après le verbe par un pronom personnel.

Ex.: Aussi la duchesse était-elle fort malheureuse. (Proust, id.). III. L’inversion du sujet après aussi n’est pas obligatoire; cependant elle est

fréquemment employée. Aussi bien (= d’ailleurs, au surplus, en tout état de cause, tout compte fait).

Après cette locution, on pratique fréquemment l’inversion du sujet; elle indique la restriction ou l’atténuation; elle peut aussi servir, de même que l’adverbe aussi comme connecteur argumentatif.

Ex.: „Elle nous méprisait. Aussi bien pensait-elle que nous étions des maî-tres” (Proust, id.; L.B.). „Aussi bien n’aurait-il pu rien faire d’autre, en ce moment” (R.Rolland). „Aussi bien nous fera-t-il ici besoin pour apprêter le souper” (Molière, Femmes savantes, III, 2).

Remarque. L’inversion complexe est rare après cette locution: „Aussi bien M. Dupuy Keller, nommé depuis peu à ce poste, ne pouvait-il deviner les sentiments qu’il avait provoqué parmi le personnel” (Mazeline, Les Loups; L.B.).

Encore. Et encore. Placé en tête de phrase, encore marque une restriction, une opposition. Encore peut signifier „mais il faut dire encore que”, „il convient d’observer encore que”. Il peut équivaloir à mais ou à cependant. Et encore a le sens de malgré cela.

Ex.: „Si je me lance dans un pareil travail déjà impossible, encore faut-il que j’aie toute sécurité” (Balzac, Corresp., 1841; Trésor). „Alors, il suffit de copier? Sans doute. Encore faut-il savoir copier. Savoir copier, c’est savoir résumer, simplifier, choisir, accentuer” (Faure, Esprit formes, 1927; Trésor). La chose était constatée depuis longtemps; encore fallait-il qu’elle fût dite” (Proust, A la recherche du temps perdu). Encore cette affaire n’a-t-elle réussi qu’à moitié (H.). Ce mot existait déjà en français classique; encore n’était-il employé que dans la langue littéraire. „Vous vouliez participer à cette fête? Encore fallait-il nous le dire.” C’était la seule solution acceptable. Encore était-elle malaisée. „Ce soir-là, le bonhomme resta dans sa forge jusqu’au moment de se mettre à table, et encore y vint-il comme à regret” (A.Daudet). „Et encore y faut-il méditer” (Barrès; Grev.).

Remarques. I. Lorsque le sujet est un groupe nominal, il est repris au moyen d’un pronom personnel après le verbe.

Ex.: Encore cette pensée était-elle encourageante. „Il fallait qu’elle pût dire à l’enfant élevée au Sacré-Coeur: „Pour être aussi pure que tu l’es, je n’ai pas besoin de tous ces rubans ni de toutes ces rengaines”. Encore la pureté d’Anne de La Trave était-elle faite surtout d’ignorance” (Mauriac, Thérèse Desqueyroux).

II. On emploie aussi l’inversion du sujet après encore moins. Ex.: „Elle n’a plus osé reparaître devant ses parents; encore moins osait-elle

rentrer au foyer conjugal” (A. Gide, Faux-monnayeurs). Toujours est-il. Cette locution figée sert à introduire un fait (ou un

raisonnement) considéré comme certain, en vive opposition avec d’autres faits (ou raisonnements) qui viennent d’être présentés comme probables.

Ex.: Certes, la météo a annoncé du beau temps, toujours est-il que le temps est menaçant (Lexis). „Un génie naturel, décidé, se tuerait de là, je le crois bien.

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Toujours est-il qu’à cet égard les hautes espérances des débuts ont peu donné” (Sainte-Beuve).

Toujours est-il peut marquer une hypothèse. Ex.: „On chercha en vain le philosophe norvégien. Une colique l’avait-elle

saisi? Avait-il eu peur de manquer le train? Un avion était-il venu le chercher? Avait-il été enlevé dans une assomption? Toujours est-il qu’il avait disparu sans qu’on eût le temps de s’en apercevoir, comme un Dieu” (Proust, A la recherche du temps perdu). „Je crois bien que le brave capitaine s’est un peu perdu; à moins qu’il n’ait d’abord essayé d’un des bras de Chiari, bientôt reconnu impraticable. Toujours est-il que de nouveau nous devons mettre cap au nord” (Gide, Voyage au Congo).

Du moins. Cette locution énonce une idée de réserve, de restriction ou même de concession. Placée en tête de la phrase, elle contribue à relier étroitement cette phrase avec celle qui précède; du moins est un connecteur argumentatif (= néanmoins, pourtant, etc.).

Ex.: „Si elle ne pouvait vivre sans le tromper, du moins le trompait-elle en ami” (Proust, id.; L.B.). S’il s’est trompé, du moins a-t-il été sincère (Z.). S’il a reçu des menaces, du moins n’est-il pas en danger. „Si notre brusque arrivée l’avait troublée, du moins sut-elle n’en rien laisser voir” (Gide, Porte étroite).

Au moins. Un certain nombre d’écrivains pratiquent l’inversion du sujet après la locution au moins (= en tout cas, de toute façon).

Ex.: „Au moins l’intérêt que nous portions aux questions de langage est-il demeuré général” (P. Hazard). „Au moins faudrait-il que la décision se prononçât toute seule” (J.Romains, Humbles; L.B.). „Il prépare ce qu’il me répondra. Au moins, pourrait-il composer son attitude d’un peu de gêne, d’humilité” (Grimard).

Tout au moins: „Il était irascible et sa voix cassante me déplaisait. Tout au moins n’avait-il pas le regard inquiet de mon oncle” (Green).

Tout au plus. Cette locution marque la restriction. Ex.: „Tout au plus pouvait-il se commettre quelques confusions” (Chevalier,

Clochemerle; L.B.). „Tout au plus le retrouvé-je, le soir, dans la petite chambre de la rue Gambetta” (A. Gide, Porte étroite). „Tout au plus accepte-t-il d’écouter” (A. Gide, Immoraliste).

À plus forte raison ((= avec des raisons encore plus fortes (par rapport à une chose donnée pour vraie)). C’est un connecteur argumentatif (= pour un motif d’autant plus fort).

Ex.: „À plus forte raison n’espérait-elle pas qu’Albertine saurait la faire inviter” (Proust, id.; L.B.). „À plus forte raison un Jerphanion restait-il hors de jeu” (J. Romains, Amours enf.). Il a refusé de faire ce travail à prix réduit; à plus forte raison n’acceptera-t-il pas de le faire gratuitement.

Ainsi (= de cette façon, de cette sorte, comme on vient de le voir; par conséquent, donc. Il fait partie des conclusifs). Lorsque ainsi est placé en tête de la phrase, il entraîne l’inversion du sujet réalisé par un pronom.

Ex.: Ainsi escaladèrent-ils cette haute montagne aux névés glissants. Ainsi regardais-je la maison de mes parents avec tendresse. „Ainsi voit-on des politiciens assurés que le cabinet n’en a pour trois jours” (Proust, id.; L.B.). Ainsi soit il! (Trésor).

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Remarque. Si le sujet est un groupe nominal, on pratique l’inversion complexe.

Ex.: „Ainsi les raisins se sucrèrent-ils au soleil.” (Proust, id.; L.B.). En vain (= sans obtenir de résultats; sans que la chose en vaille la peine;

cette locution indique que le fait relevé doit être considéré comme n’ayant pas causé l’effet que l’on attendait).

Ex.: „En vain reprit-il ses arguments un par un” (Barrès, Colline inspirée; P.R.). „En vain essaya-t-elle de ramener son vieil ami.” (Barrès, id.). En vain se répétait-il que Lisette était plus jolie” (Gyp, Bijou. L.B.).

Remarque. Si le sujet est un groupe nominal, après en vain, on pratique l’inversion complexe.

„En vain, le vent soufflait-il avec rage” (M. Barrès, Colline inspirée; P.R.). En vain le tableau noir, dressé sur le chevalet, l’invitait-il à se replonger dans la sereine atmosphère des spéculations mathématiques” (Bourget, Divorce, Grev.).

L’inversion après l’attribut mis en relief 1. L’attribut est mis en évidence au moyen d’un système de comparaisons. Ex.: „Plus navrante et plus grise est l’impression que laisse l’Éducation

sentimentale (Lanson, Histoire de la littérature française). „Moins explicable fut la rapidité avec laquelle la nouvelle franchit ces mêmes quatre lieues” (J.Romains, Verdun; L.B.). „Autrement belle était la carrière de ceux qui marchent à la tête des armées” (P. Hazard, R.d.m.). „Autre chose est la langue brute, autre chose l’utili-sation de la langue” (M. Cressot, Le style et ses techniques).

2. L’inversion après tel attribut placé en tête de la proposition Ex.: „Telle est la loi de la progression: à la tradition orale succède l’écriture; à

l’écriture l’imprimerie…” (Gautier, Souv. de théâtre). Telles furent ses dernières paroles. „J’adore les yeux noirs avec des cheveux blonds. / Tels les avait Rosine” (Musset, Mardoche). On dut ouvrir les fenêtres: telle était la chaleur. „Les désirs, pensais-je, sont le propre de l’homme; il m’était rassurant de ne pas admettre que la femme en pût éprouver de semblables; ou seulement les femmes de „mauvaise vie”. Telle était mon inconscience, il faut bien que j’avoue cette énormité, et qui ne peut trouver d’explication ou d’excuse que dans l’ignorance où m’avait entretenu la vie…” (A. Gide, Et nunc manet in te).

3. L’inversion après autre attribut placé en tête de la phrase Ex.: „Autre est de danser et de faire des festins; autre de connaître la nature

des choses”. (Chateaubriand, Génie…). Autre est de savoir en gros l’existence d’une chose, autre d’en connaître les particularités” (Chateaubriand, Mém. d’outre-tombe). Telle est la version de l’église; autre est celle des alchimistes” (Huysmans, Trois églises).

4. L’attribut est précédé d’un adverbe de quantité a) L’attribut est introduit par si. Ex.: Si bleue, si calme est la mer ce matin. „Si violente était sa rage que je

crus qu’ils n’allaient pas le maîtriser” (P. Benoit, Axelle; L.B.). b) L’attribut est introduit par l’adverbe de quantité combien.

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Ex.: Combien rares sont ceux qui ont le sentiment du devoir. „Combien heureuse doit être l’âme pour qui la vertu se confondrait avec l’amour” (Gide, Porte étroite; L.B.).

5. L’attribut qui se trouve placé en tête de la phrase est constitué par un adjectif ayant une valeur affective.

L’adjectif attribut contribue à l’expression d’un „sentiment puissant”, d’un jugement; il peut marquer une grande quantité ou exprimer l’idée de rareté.

Ex.: Grande fut ma surprise. „Je ne viens point jeter un regard inutile / Dans l’écho de ces bois témoins de mon bonheur. / Fière est cette forêt dans sa beauté tranquille, / Et fier aussi mon coeur”. (Musset, Souvenir). Rares sont les livres bien écrits! „Rare est le mortel à qui le père Zeus accorde tant de félicité” (Proust, id.; L.B.). Nombreux sont les Français du Canada qui illustrent les lettres françaises.

6. L’attribut est placé avant le sujet et il est représenté par des adjectifs de couleur.

Ex.: „Blancs aussi dans leurs vêtements de toile étaient tous ces choristes qui chantaient” (Loti). Verte est la terre, le ciel bleu.

L’inversion après seul restrictif L’adjectif seul placé en tête de la phrase, et se référant au sujet peut

déterminer l’inversion du sujet. Ex.: Seul compte le résultat. „Passer inaperçu! Seuls le pourraient espérer des

fantômes entièrement transparents” (J. Romains, Eros). „Seule persistait la verdure d’un bouquet de sapins” (P.R.).

L’inversion du sujet constitué d’un GN lorsque la phrase commence par un complément indirect

Un complément d’objet indirect placé en vedette au début de la phrase peut déterminer l’inversion.

Ex.: À ce poète célèbre surtout revient la gloire de représenter le Parnasse. „À cet homme, long, mince, au regard terne, aux cheveux qui semblaient devoir rester éternellement rougeâtres, avait succédé par une métamorphose analogue à celle des insectes, un vieillard chez qui ……..” (Proust, Le temps retrouvé). À ce malheur s’en ajoutait un autre.

L’inversion dans les propositions dépendantes (subordonnées) I. L’inversion du sujet nominal dans les propositions relatives 1. Le pronom relatif que en fonction d’attribut. Ex.: Le médecin célèbre qu’était son frère.”Le mystique qu’était Gilles de

Rais” (Huysmans; P.R.). „Le chemin rustique et familier qu’était le caractère de Françoise devenait impraticable” (Proust, À l’ombre des jeunes filles….; L.B.).

2. Le pronom relatif que en fonction d’objet direct. Ex.: „Les choses les plus belles sont celles que souffle la folie et qu’écrit la

raison” (A. Gide, Journal). „Ce supplice que lui infligeait ma grande-tante” (Proust, Du côté de chez Swann). La voiture que conduisait le pilote allemand a eu un accident.

3. Le pronom relatif qui en fonction d’objet indirect. Ex.: Un chien à qui manquait une patte avançait difficillement sur le trottoir.

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4. Lequel, etc., en fonction d’objet indirect. Ex.: La conversation se prolongea en un murmure confus sur lequel s’éleva la

voix d’un des invités. Voilà donc la formule magique en laquelle se résume toute sa pensée.

5. Le pronom relatif neutre quoi. Ex.: „Une petite odeur de rose à quoi s’ajoutaient, sans l’effacer, des traces

de parfum” (J. Romains, Douc. de la vie). 6. L’inversion après le pronom relatif dont. Ex.: „Comme l’éclat lumineux dont se parent certains insectes…” (Proust,

Du côté de chez Swann; L.B.). „J’étais une adolescente délicate dont s’inquiétaient les médecins” (A. de Noailles; P.R.). „une effervescence dont s’effrayaient le parlement et l’opinion” (A. France, Île des pingouins; L.B.). „Cette qualité du lan-gage dont croient pouvoir se passer les théoriciens” (Proust, id.). Un de ces grands sujets dont parlait De Gaulle a été la constitution d’une nouvelle Europe.

L’inversion dans la subordonnée complétive (substantive) L’inversion est le plus souvent déterminée dans la complétive par l’impor-

tance ou la longueur des sujets des verbes. L’inversion s’explique aussi par des fac-teurs accessoires: besoin d’euphonie, recherche de l’équilibre des divers membres de la phrase, le faible volume du verbe. Il faut souligner aussi que le sujet s’invertit plus fréquemment après un verbe au subjonctif qu’après un verbe à l’indicatif.

Ex.: „Elle attendit que se calmât cette oppression, que se tût ce grondement de sang dans les oreilles” (H. Troyat, Le Vivier; L.B.). „Je n’ai pas la permission de rêver, comme on prétend que font les jeunes filles” (De Boer). „Le Pape et l’Empereur ne voulurent pas que s’éteignît une aussi illustre lignée” (P. Benoit, Axelle).

L’inversion après un circonstant de temps constitué d’un adverbe, une locution adverbiale de temps ou une conjonction temporelle

L’inversion après les adverbes de temps est moins fréquente qu’après les ad-verbes de modalité aussi, peut-être, à peine, encore, etc. Cette inversion s’explique par le désir de mettre en relief les coordonnées temporelles d’un énoncé, par le besoin de rejeter après le verbe un sujet trop long, dans une proposition qui exprime un rapport temporel. L’inversion après ces adverbes n’a lieu que si le sujet est un groupe nominal.

Alors. Ex.: Alors commença pour eux une période de bonheur sans nuage. „Alors commença une journée d’une folle agitation” (Proust, id.; L.B.). „Alors s’assit sur un monde en ruines une jeunesse soucieuse” (Musset, Conf.).

Aussitôt. Ex.: „Aussitôt m’était apparu le plissement douloureux de son front.” (Gide, Si le grain).

Bientôt. Ex.: Bientôt arrivèrent les premiers passagers. „Bientôt reviendrait la date où j’étais allé à Balbec l’autre été” (Proust, id.; L.B.).

Cependant (= „pendant ce temps”; peu usité avec ce sens). Ex.: Cependant survint la guerre (Bouhélier; L.B.). Déjà. Ex.: „Et déjà se creuse, à travers le sable, le lit du fleuve amer….”

(Bernanos, Sous le soleil…). Enfin. Ex.: „Enfin arriva le médecin qui prescrivit d’éviter les émotions”

(Flaubert, Éducation sentimentale). „Enfin éclata mon premier sentiment d’admi-ration” (Proust, id.; L.B.).

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Quand (conjonction temporelle). Ex.: Quand arrivaient les pluies et les brumes, ma grand-mère se retirait dans une petite maison à la campagne.

Puis. Ex.: „Puis vinrent les lacs. Puis vint la frontière autrichienne” (Giraudoux, Siegfried).

Parfois. Ex.: „Parfois apparaissent, loin sur la droite, le clocher d’un bourg” (Giraudoux, Siegfried). „Mais parfois retentissait la sirène comme un appel déchirant de Walkyrie” (Proust, Temps retrouvé; L.B.).

Remarque. Il y a des auteurs qui pratiquent l’inversion du sujet nominal après tout à coup, tout d’abord, peu à peu.

Ex.: C’est ainsi que peu à peu me vint le désir de lui conter l’histoire d’Antonia” (J. Romains, Hommes de bonne volonté). „Tout à coup y apparut… la jeune cycliste de la petite bande” (Proust, À la recherche du temps perdu).

L’inversion du sujet (constitué par un groupe nominal) après un circonstant de temps formé par un groupe prépositionnel

Ex.: Une semaine après commencèrent les fêtes du Carnaval.

L’inversion du sujet dans un circonstant de temps constitué par une proposition à verbe fini

Ex.: Telle est l’image qu’a offerte cette capitale, ce jour-là, alors que se confirmait la victoire des écologistes aux élections législatives. Tandis qu’autour de nous s’envolaient des canards sauvages effrayés par les chasseurs, notre barque avançait lentement poussée par le courant. Avant que commençât la pièce, le directeur du théâtre présenta les acteurs.

L’inversion du sujet (formé par un groupe nominal) après un circonstant de lieu constitué par un adverbe

Étant placés en tête de la phrase pour des raisons sémantiques ou stylistiques certains adverbes de lieu déterminent parfois l’inversion du sujet nominal.

Ex.: „Ici gronde le fleuve aux vagues écumantes; / Il serpente et s’enfonce en un lointain obscur” (Lamartine, L’Isolement). „Là faisaient halte pour la nuit depuis des éternités, les caravanes venues de Sibérie et de Chine” (P. Benoit, Bethsabée). „Dehors régnait une douceur singulière pour une nuit de fin d’octobre” (P. Benoit, Axelle). „Partout s’étalait, se répandait, s’ébaudissait le peuple en vacances” (Baudelaire, Poèmes). „Dehors luisait au travers de la brume un pâle soleil” (Vercors, Silence de la mer; L.B.). Partout se manifestaient des signes de reprise économique.

Remarque. En ancien français, cette espèce d’inversion était fréquente: „Là siet li reis qui dolce France tient” (Chanson de Roland, 116).

L’inversion peut avoir lieu après un circonstant de lieu formé par un groupe prépositionnel

Ex.: Au ras du sol, se tordaient quelques rares boqueteaux (ap. H.Bosco, Malicroix). „Sous le pont Mirabeau coule la Seine / Et nos amours” (Apollinaire, Le pont Mirabeau).

L’inversion du sujet dans un circonstant spatial constitué par une proposition à verbe fini

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Ex.: Où que se portent mes regards, je ne vois que des gens affairés.

L’inversion du sujet dans un circonstant de cause constitué par une proposition à verbe fini

Ex.: „Cela est vivant parce qu’y circule librement une pensée devenue plus lucide et plus concrète à la fois” (De Boer). Ce visage n’était pas laid d’ailleurs, parce que ne saurait être laid un visage expressif et bon.

L’inversion du sujet dans un circonstant de conséquence constitué par une proposition à verbe fini

Ex.: Telle était la chaleur que s’amollissait le bitume des trottoirs et des routes. „Les Oulad Naïl authentiques ont une grande réputation de beauté, de sorte que se font appeler communément Oulad Naïl toutes les jeunes filles qui sont là-bas très belles” (A.Gide; L.B.).

L’inversion du sujet dans un circonstant de but constitué par une proposition à verbe fini

Ex.: L’Administration des douanes a pris des mesures sévères pour que cesse l’introduction illicite de marchandises.

Inversion du sujet dans les circonstants de concession ou d’opposition constitués par des propositions à verbe fini

Ex.: Il semblait évident qu’aussi puissante fût-elle, Marie ne lui rendrait pas ses jambes” (Apollinaire, Les Pèlerins piémontais). „Mais si bon soit l’accueil, si chaude la poignée de main, elle est la veuve et nous les orphelins” (Paul Marguerite; Sandf.). Si importante y soit la séduisante figure de l’héroïne, „la Rencontre” n’est pas le roman d’une seule créature, pas plus que ne l’étaient les précédents romans de M.Troyat” (E. Henriot; Grev.). Si expérimentés soient-ils, les ingénieurs de cette usine, n’en commettent pas moins des erreurs. Le chien aboyait toujours bien qu’eût cessé tout bruit dans la rue. „Quoi qu’en dise Aristote et sa docte cabale / Le tabac est divin: il n’est rien qui l’égale” (Th. Corneille, Festin de pierre, I, 1). „La vie reprit son cours en effet, mais quoi que fît Robinson, il y avait toujours quelqu’un en lui qui attendait un événement décisif.” (M. Tournier, Vendredi). „Si grands que soient les rois, ils sont ce que nous sommes” (Corneille).

Inversion du sujet dans la proposition hypothétique introduite par une locution conjonctive ou une conjonction

Ex.: Ah! qu’importe l’enfer et sa flamme, pourvu que soit écrasée, une fois, rien qu’une fois, la monstrueuse malice!” (Bernanos, Sous le soleil de…..). „À moins que dans l’intervalle ne fût rentrée Mme Verdurin…..” (Proust, À l’ombre des jeunes filles …..; L.B.). „Comme si au fur et à mesure que grandissait la souf-france, grandissait en même temps le prix du calmant….” (Proust, Du côté de chez Swann). „Il me reste à compléter la fiche signalétique, quand bien même devrais-je dire des choses qui se trouvent dans les annuaires” (Duhamel, Notaire du Havre; L.B.).

N.B. L’inversion du sujet peut avoir lieu dans les tours avec devoir. La langue cultivée emploie ce verbe à l’imparfait du subjonctif pour exprimer une supposition. Cette

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structure formée avec devoir équivaut à une proposition introduite au moyen de quand même, quand bien même, même si.

Ex.: Dussé-je m’en repentir, je refuserais. „Eh bien! dussé-je me jeter par la fenêtre cinq minutues après, j’aimais encore mieux cela. Ce que je voulais maintenant c’était maman, c’était lui dire bonsoir” (M. Proust, Du côté de chez Swann). Dussé-je,pour qu’Albertine soit ici ce soir donner la moitié de ma fortune à Mme Bontemps, il nous restera assez pour vivre agréablement” (M.Proust, A la recherche…….). Dussé-je y consacrer ma fortune. Dussent mille dangers me menacer. „Tous les Grecs m’ont déjà menacé de leurs armes; Mais dussent-ils encore, en repassant les eaux, / Demander votre fils avec mille vaisseaux; Coutât-il tout le sang qu’Hélène a fait répandre; Dussé-je après dix ans voir mon palais en cendre, / Je ne balance point, je vole à son secours…” (Racine, Andromaque, I, 4).

L’inversion du sujet peut être rencontrée dans des systèmes syntaxiques formés de deux propositions corrélatives

Cette construction marque: a) un rapport temporel (ou hypothétique). Ex.: Neigeait-il, j’allais faire du ski (quand il neigeait, s’il neigeait). Restait-

on dehors, on fondait au soleil. Ai-je la puissance de me venger, j’en perds l’envie. Commençait-il à parler, nous nous bouchions les oreilles. „S’élançait-il contre la porte tournante d’un café, il le faisait le plus souvent avec un élan sans réserve” (G.Duhamel; Grev.). „Reparaissait-il à la maison, mon père le grondait” (Jouhandeau; H.B.).

b) un rapport hypothétique proprement dit. Afin d’exprimer un rapport hypothétique dénué de toute valeur de tempo-

ralité, il faut que l’un des verbes des propositions correlatives (ou les deux) soit mis au conditionnel.

Ex.: „Serait-elle ma fille, je ne la verrais pas moins telle qu’elle est” (Mauriac, Noeud de vipères; L.B.). Arriverait-il, je n’en serais pas étonné (Arriverait-il que je n’en serais pas étonné). „Aurait-on la baguette de fées, il faudrait trembler avant de toucher à ces choses complexes” (Renan, Questions contemporaines). La route aurait-elle été moins glissante, la voiture ne se serait pas renversée.

Inversion du sujet dans la phrase de comparaison 1. Le tour comparatif avec plus. Ex.: „Car plus haut qu’aucune voix humaine criait vers lui la douleur sans

espérance, dont elle était consumée” (Bernanos, Sous le soleil…..). „En creusant ce point, en poussant aussi la logique plus loin que ne l’ont fait les anciens, on trouverait qu’il n’y a jamais eu de pluralisme définitif que dans la croyance aux esprits, et que le polythéisme proprement dit, avec sa mythologie implique un monothéisme latent” (Bergson, Deux sources……).

2. Le tour comparatif avec moins. Ex.: Marie est moins travailleuse que ne l’était sa soeur. 3. La structure plus …. plus a) l’inversion est pratiquée dans les deux membres de la phrase. Ex.: Plus grands sont les revers, plus grands sont les miracles” (La F.,

Florentin). Plus grandes sont les défaites, plus grandes sont les victoires.

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b) l’inversion a lieu dans le second membre de la phrase: „Plus l’offenseur est cher et plus grande est l’offense” (Corneille, le Cid).

4. La locution mieux vaut exprimant la préférence. Ex.: „Mieux vaut l’espoir d’un essor que l’éternel regret d’une chute”

(Duhamel, J. de Salavin). „Moi, je vous regretterai longtemps, mais mieux vaut un regret qui s’éteint lentement que la vie de doute, d’attente, de déceptions qui a été la mienne depuis que je vous connais” (A.Maurois, Quesnay). Mieux vaut un chien vivant qu’un lion mort (prov.). Mieux vaut goujat (= vx. valet d’armée) debout qu’empereur enterré (prov.).

5. La structure: autant + valoir. Ex.: „Autant vaut-il faire gagner au boucher qu’au marchand de vin” (Zola,

Assommoir). 6. Le tour comparatif avec comme. Le sujet peut être placé après le verbe quand une comparaison introduite par

comme se trouve en tête de phrase ou est placée en tête d’un membre de la phrase. Ex.: Quand tu fais l’aumône ne fais pas sonner de la trompette devant toi,

comme font les hypocrites. Autres cas d’inversion du sujet

I. L’inversion du sujet après un adverbe de quantité Un certain nombre d’adverbes de quantité placés en tête de la phrase peuvent,

en général, déterminer l’inversion du sujet. Tant. „Elle ne lui pardonnait pas cette violence, tant est fort le sentiment de

l’honneur chez une femme de bien” (A.France, Petit Pierre). „Elle recula de quelques pas, tant furent grandes sa stupeur et sa déception”. (Proust, À l’ombre…..). „Tant est vif le souvenir des luttes qu’il a soutenues….; tant paraît éclatant l’abus de pouvoir que Louis XIV vient de commettre” (P. Hazard, Crise de la conscience; L.B.).

Tant est employé dans les proverbes: Ex.: Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse. Tant va le pot à l’eau

qu’il se brise (Villon). Tant peut avoir une valeur comparative plus au moins atténuée. La structure

tant ….. tant marque l’égalité et elle est employée souvent avec le verbe valoir. Ex.: Tant vaut l’homme, tant vaut la terre. „Salvan le disait avec justesse: tant

valait l’instituteur primaire, tant vaudrait l’enseignement” (Zola, Vérité). Comme, combien exclamatifs Ex.: „Comme à ce mot, s’augmente sa douleur!” (Mol. Et. II, 3). „Comme eût

mieux valu le coup de fusil brutal qui délivre!” (R. Rolland, Révolte; L.B.). Combien me plaît ce mot de Pascal que j’ai rencontré dans les Pensées!

II. L’inversion du sujet après un présentatif. 10. Une proposition peut être mise en relief au moyen de voici (voilà) suivi de

que. Après voici que (voilà que) qui introduit une proposition complétive, le sujet constitué par un nom peut être inversé à condition que le verbe soit intransitif ou pronominal.

Ex.: Et sous les rayons rougeâtres du soleil couchant voici que s’allumèrent les bois et les campagnes. „Mais voilà que recommençait ce vertige, qui creusait dans sa tête comme un trou noir.” (Troyat, Le Vivier; L.B.).

20. L’inversion du sujet après la locution présentative c’est …. que (c’était … que, ce fut …. que, ce serait …. que, etc.).

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a) La locution présentative c’est …. que met en relief un adverbe. Ex.: „C’est ainsi que naît une passion aveugle. N.B. Une indication de temps peut s’intercaler entre c’est …. que et le verbe de la

phrase qui est placé avant le sujet, ou entre c’est et que.

Ex.: C’est ainsi que peu à peu s’assoupit la passion qu’avait éprouvée le jeune homme pour sa fiancée. C’était de ce jour que datait le déclin de ma passion.

b) La locution présentative c’est …. que peut mettre en relief un complément d’objet indirect et déterminer l’inversion du sujet.

Ex.: „Ce fut ensuite à d’autres personnes, à Gilberte en particulier que parla Bergotte…” (M. Proust À l’ombre des jeunes filles…; L.B.). C’est à votre projet si vaste que pensait le directeur de l’usine depuis quelque temps.

III. L’inversion après une apposition L’apposition, placée en tête de la phrase, si elle est constituée d’un adjectif ou

d’un participe suivi d’un circonstant, peut déterminer l’inversion du sujet. Ex.: „Tapies au fond des manches frissonnantes, tremblaient ses longues

mains, chargées d’énormes bagues” (Gide, Isabelle). IV. L’inversion du sujet dans une construction infinitive. Le sujet peut être inversé après les verbes voir, regarder, écouter, entendre,

sentir. Ex.: Je vois arriver ma soeur. J’entends craquer l’escalier. Un matin nous en-

tendîmes s’arrêter les machines. Je sentis peser l’éternelle injustice de l’implacable nature sur cette créature humaine. J’ai vu partir Jean.

L’inversion du sujet est aussi pratiquée dans les phrases interrogatives, excla-matives, injonctives (voir les types de phrases), etc.

Interprétations sémantiques du sujet

La définition de nature sémantique donnée par les grammaires traditionnelles au sujet est trop restrictive. On dit, par exemple, que le sujet marque l’être ou la chose qui fait ou qui subit l’action ou qui est dans l’état exprimé par le verbe. Un procès exprimé par le verbe peut comporter un participant (un agent) qui agit ou qui subit l’action ou le procès (le patient) ou qui se trouve dans un état. Le sujet, considéré au point de vue sémantique se prête à l’expression d’un grand nombre d’interprétations qui sont déterminées par le rôle sémantique que le verbe assigne au GN sujet.

a) Le sujet est agent (l’être qui accomplit l’action exprimée par le verbe, l’instigateur du procès décrit par le verbe).

Ex.: Ce paysan laboure la terre. Le même mécanicien répare toutes les voitures du village. Le chat a renversé le pot de lait (P.Ch.).

b) Le sujet est patient (= le patient est l’être qui subit le procès marqué par le verbe).

Ex.: Il a subi un revers de fortune. Il a subi un affront. Il a subi les conséquences de ses fautes. Il a reçu un coup sur la tête. Il a essuyé des reproches de la part de son chef. Il a enduré les insolences de ses subordonnés.

Remarque. Le patient peut être non humain: 10) La souris a été mangée par le chat. 20) Toutes les maisons ont été emportées par la tornade.

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c) Le sujet peut jouer le rôle de bénéficiaire (on appelle bénéficiaire celui au bénéfice duquel se fait l’action indiquée par le verbe).

Ex.: Marie a reçu un manteau de vison de la part de son fiancé. d) le sujet joue le rôle d’un instrumental. Ex.: Ce chiffre ouvre la porte blindée du coffre-fort. Cette antenne capte

l’émission de télévision par satellite. e) le sujet peut remplir le rôle d’un locatif. Ex.: Cette barrique contient 150 litres de vin. f) le sujet peut être le siège d’une cause: Ex.: Ce tremblement de terre a détruit la moitié de la ville.

Le sujet et la théorie du thème et du rhème (= propos, commentaire) Pour compléter la définition du sujet au point de vue logique et psycholo-

gique, on a essayé de concevoir le sujet comme le point d’appui du jugement ou comme son point de départ. Conformément à cette conception, on a élaboré la no-tion de thème ou topique. Au point de vue grammatical, le thème est un constituant immédiat, un groupe ou un syntagme nominal dont on dit quelque chose; on dit aussi que le thème indique ce dont parle le reste de la phrase. Walther von Wartburg et Paul Zumthor dans Précis de syntaxe du français contemporain, Berne, Francke, s.d., p. 5 définissent le thème de la manière suivante: „expression de la chose pensée en tant que représentation dans l’esprit du sujet pensant”. Cette notion ne peut être employée que pour caractériser le sujet dans le cadre d’une phrase assertive canonique. Dans cette espèce de phrase, le thème permet de repérer une information déjà connue par le locuteur et qui est opposée à une information nouvelle appelée propos, rhème ou commentaire apparue dans un nouveau contexte. Le thème est sujet dans les énoncés: L’édredon est sur le lit. Les élèves révisent leurs mathématiques.

Dans L’enfant fait un cadeau à sa mère, le SN (GN) L’enfant est le sujet, le thème de la phrase, et fait un cadeau à sa mère est le syntagme (groupe) verbal, nommé aussi prédicat ou groupe prédicatif ou le commentaire du thème ou le rhème, ou le propos. C’est une structure complémentaire véhiculant un apport notionnel à propos du sujet (ce que l’on en dit, ce dont on parle, ce dont il est question).

Par une opération de transformation, le complément d’agent d’un verbe à la voix passive peut devenir thème.

Ex.: Marie est accompagnée par (de) Louise. Louise accompagne Marie. Un constituant peut devenir thème à la suite de l’emploi de certains procédés

syntaxiques et lexicaux. Par exemple, le complément du nom (du complément d’objet) ayant le trait sémantique (+ humain) peut devenir thème, si l’on applique le procédé suivant: le complément du nom du complément d’objet est placé en position de sujet du verbe voir suivi d’une construction infinitive active ou passive.

Ex.: Le cyclone a ravagé les plantations des petits fermiers a) Les petits fermiers ont vu le cyclone ravager leurs plantations. b) Les petits fermiers ont vu leurs plantations ravagées par le cyclone.

Il n’y a plus coïncidence entre un GN sujet et le thème, lorsqu’on pratique une dislocation (l’on détache en tête de phrase une unité linguistique afin de rem-plir la fonction de thème).

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Ex.: De soucoupes volantes, on en parle depuis des années (thématisation de l’objet indirect).

Une construction impersonnelle peut transformer le thème en propos. Ex.: Une chose étonnante lui est arrivée ( Il lui est arrivé une chose

étonnante). Une voiture arrive. Il arrive une voiture.

LE GROUPE PRÉDICATIF

Le groupe prédicatif est, en général, formé d’un verbe fini (un verbe à un mode personnel), des déterminants de ce dernier (ses compléments ou sa complémen-tation) et du groupe des circonstants connu aussi sous le nom de groupe adverbial. Le verbe accompagné de ses compléments directs et indirects constitue le groupe verbal. Les circonstants ou les éléments du groupe adverbial sont extérieurs, en général, au groupe verbal.

Le groupe prédicatif peut être encore constitué d’un syntagme ou d’un groupe attributif formé du verbe être (verbe copule) ou d’un verbe attributif (sembler, pa-raître, rester, devenir, etc.) et d’un attribut.

Le groupe verbal et l’analyse des actants L.Tesnière (dans Éléments de syntaxe structurale, Paris, Klincksieck, 1965),

définit les actants comme étant des personnes ou des choses qui participent au procès à un degré quelconque. Ainsi dans la phrase Apollinaire donne un poème à Marie Laurencin, Apollinaire, un poème et Marie Laurencin sont des actants. Au point de vue sémantique, le prime actant est celui qui fait l’action. Le prime actant est connu dans la grammaire sous le nom de sujet. Ainsi dans la phrase, Apollinaire donne un poème à Marie Laurencin, le prime actant est Apollinaire au point de vue structural (Apollinaire est le sujet de donne). Suivant Tesnière, au point de vue sémantique, le second actant est celui qui supporte l’action; dans la phrase citée un poème est le second actant au point de vue structural et complément d’objet direct au point de vue syntaxique. Le tiers actant est celui au bénéfice duquel se fait l’action. À ce titre, le tiers actant est connu dans la grammaire sous le nom de complément indirect. Dans la phrase Saint Martin donna la moitié de son manteau à un pauvre, le tiers actant est à un pauvre. On dit que le verbe donner dans cette phrase est trivalent parce qu’il est construit avec trois actants; ce verbe est généra-lement trivalent parce qu’il requiert trois actants ou constituants qui participent syntaxiquement au procès dénoté par le verbe ((On entend par valence la faculté de certaines catégories grammaticales (par exemple le verbe) d’imposer à leur entou-rage des schémas ou des constructions bien déterminées. Dans l’exemple mention-né le verbe régit syntaxiquement aussi bien ses compléments que son sujet)).

Il y a des verbes sans actants, comme, par exemple, les verbes qui désignent des phénomènes météorologiques: il neige, il tonne, il pleut. Il, dans ces construc-tions, n’est pas un actant mais un indice de la troisième personne.

Les verbes se caractérisent par le nombre d’actants qu’ils peuvent avoir.

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Le groupe verbal et la théorie des arguments Le terme d’arguments indique les éléments qui entrent dans une relation

prédicative ayant comme centre le verbe. Ce terme désigne une entité à laquelle s’applique une fonction et pour laquelle elle possède une valeur. Le verbe prend sa valeur en présence des arguments. Les équivalents linguistiques de ceux-ci sont représentés, en général, par des constituants nominaux munis d’une référence, par des éléments susceptibles de renvoyer à des entités extralinguistiques. Lorsque le prédicat (= le groupe verbal ou le syntagme verbal) se construit avec un seul argument, cet argument est d’habitude le sujet ou l’argument initial. Le verbe marcher est un verbe à un seul argument. C’est le cas surtout des constructions intransitives symbolisées par P ou F(x). Le verbe boire dans l’énoncé André boit de la bière est un verbe à deux arguments symbolisé P ou F(x,y), le deuxième argument (y) ayant la fonction de complément d’objet direct et le premier (x) étant le sujet. Le verbe donner dans l’énoncé Henri donne une bague de fiançailles à sa bien aimée possède trois arguments qui remplissent la fonction de sujet, de complément d’objet direct et de complément d’objet indirect. Cet énoncé pourrait être symbolisé P ou F(x,y,z). Si le verbe se construit avec plusieurs arguments, on admet que le sujet est représenté par le premier argument: P ou F(x,y), P ou F(x,y,z). En parlant de la théorie des arguments qui concerne aussi le sujet, M.Riegel (op. cit., p. 130) précise que ce dernier représente l’argument unique ou l’argument initial d’une relation prédicative: „De ce point de vue, les phrases Jean a donné un pourboire à Paul, Jean a gratifié Paul d’un pourboire et Paul a reçu un pourboire de Jean correspondent à la même configuration prédicative F(x,y,z) = (modèle logique d’un prédicat associé à un ou plusieurs arguments). Mais c’est le schéma actanciel propre à chacun des verbes donner, gratifier et recevoir (et la forme active ou passive de la phrase) qui détermine lequel des trois arguments sera réalisé sous la forme du sujet.”

Les fonctions syntaxiques fondamentales du groupe prédicatif

I. Le complément d’objet direct (c.o.d.). Le complément d’objet direct fait partie du groupe verbal. Il est défini par les

traits caractéristiques suivants: a) il est un complément essentiel: sa construction dépend du verbe lui-même;

les verbes transitifs directs sont normalement suivis d’un c.o.d. Ex.: „Elle écoute le chant des cascades lointaines” (P.Verlaine, La princesse

Bérénice). b) le c.o.d. est un élément du groupe verbal qui ordinairement ne peut être ni

déplacé ni supprimé; dans les vers suivants „Depuis que sur ces bords les dieux ont envoyé / La fille de Minos et de Pasiphaé” (Racine, Phèdre), on ne peut pas sup-primer le deuxième vers („La fille de ….) qui représente le c.o.d.

Remarque. Dans la phrase „Il a acheté La Grammaire méthodique de M.Riegel”, le complément d’objet direct „La Grammaire méthodique” ne peut pas être déplacé; on ne peut pas dire „La Grammaire méthodique de M.Riegel, il a acheté”.

c) dans la phrase déclarative le c.o.d. est, en général, placé à droite du verbe. Ex.: „Je hais le mouvement qui déplace les lignes, / Et jamais je ne pleure et

jamais je ne ris” (Baudelaire, La Beauté).

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d) déplacé, dans certains cas, au début de la phrase, le c.o.d. peut être repris par un pronom personnel.

Ex.: La chanson, elle l’a apprise facilement. La valise, je l’ai déposée à la consigne. e) le c.o.d. suit le verbe sans être rattaché à ce dernier au moyen d’une préposition.

N.B. Certains verbes ont un complément construit directement, sans que ce complé-ment soit un complément d’objet direct. Ce sont, par exemple, les verbes qui marquent: le prix (le verbe coûter: cette voiture coûte cent cinquante mille francs), la mesure (le verbe mesurer: ce tapis mesure trois mètres de long), le poids (le verbe peser: ce camion pèse trois tonnes).

On peut employer deux procédés afin d’identifier le c.o.d. 1. La passivation ou la transformation passive. Elle consiste à permuter le sujet et le complément d’objet direct autour du

verbe pivot. Celui-ci passe à la forme passive (il est remplacé par le verbe être conjugué au temps de la forme active suivi par le participe passé). Le c.o.d. de la phrase active devient le sujet de la phrase passive quand la phrase est mise au passif au moyen de l’auxiliaire être. Le sujet de la phrase active devient le com-plément d’agent de la phrase passive.

Ex.: Le bûcheron abat les arbres (le bûcheron est le sujet de la phrase active; les arbres constitue le complément d’objet direct). Les arbres sont abattus par le bûcheron ((Le GN les arbres constitue le sujet de la phrase passive; par le bûcheron, c’est le complément d’agent)).

Autres exemples. Le vent (sujet) a cassé les branches (c.o.d.). Les branches (sujet) ont été cassées par le vent (complément d’agent). Le facteur distribuera le courrier vers neuf heures. Le courrier sera distribué par le facteur vers neuf heures. „Le vent de l’autre nuit a jeté bas l’Amour (= la statue de Cupidon, le dieu de l’Amour) / Qui, dans le coin le plus mystérieux du parc / Souriait en bandant malignement son arc….” (Rimbaud, L’Orgie parisienne). On peut transformer le premier vers de la façon suivante: L’Amour (= la statue) a été jeté bas par le vent….

Dans la passivation, il y a des restrictions sémantiques et syntaxiques; la transformation passive n’est pas toujours possible surtout avec les verbes avoir, pouvoir, aimer, etc. ((On peut dire Pierre aime le chocolat, mais on ne peut pas dire: Le chocolat est aimé de Pierre); on peut dire cependant Cette variété de chocolat est aimée de Pierre)). Un grand nombre d’expressions figurées ne peuvent pas être mises au passif: prendre la fuite, faire le fou, perdre la tête, garder la tête froide.

On ne peut pas employer la transformation passive quand le complément d’objet désigne une partie du corps de la personne représentée par le sujet.

Ex.: Jean lève le bras (on ne peut pas dire le bras est levé par Jean). Henri tourne la tête (on ne peut pas dire la tête est tournée par Henri). Elle détourne les yeux (on ne peut pas dire les yeux sont détournés par elle).

2. Le c.o.d. peut être reconnu par la transformation interrogative; Il commute avec le tour interrogatif qui est-ce que…? (le c.o.d. peut être mis en évidence au moyen de qui est-ce…?) si le c.o.d. est représenté par une personne ou par des personnes. Le c.o.d. commute avec le tour qu’est-ce que…? lorsqu’il se rapporte à une chose.

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Ex.: Il cherche son frère. Qui est-ce qu’il cherche? son frère. Elle caresse son enfant. Qui est-ce qu’elle caresse? son enfant.

Il aime la peinture: qu’est-ce qu’il aime? la peinture. Elle écoute une symphonie. Qu’est-ce qu’elle écoute? une symphonie. Nous aimons les sports d’hiver. Qu’est-ce que nous aimons? les sports d’hiver.

L’objet interne Quelques verbes qui se construisent en général, sans complément d’objet

direct peuvent avoir parfois un c.o.d. qui explicite, la notion marquée par le verbe. On distingue généralement deux espèces de compléments d’objet interne:

a) le complément d’objet interne précise par un nom le radical (la base) du verbe qui le régit.

Ex.: Vivre sa vie. „Ils vivaient …. une vie fraternelle….” (Bernanos; P.R.). „Aurelle se nourrit de romans par un besoin maladif de vivre la vie d’un autre être”; (A.Maurois, Silences du colonel Bramble). „Faut-il mourir une mort qui n’est plus utile à personne” (Maulnier, Jeanne et les juges; Grev.). „Quand nous aurons tremblé nos derniers tremblements” (Péguy, Tapisseries; Grev.). Bien jouer son jeu. Jouer gros jeu.

b) le complément d’objet direct employé est approchant au point de vue sémantique du verbe qui le régit.

Ex.: „Dormez votre sommeil, riches de la terre, et demeurez dans votre poussière” (Bossuet, Le Tellier). „La fatigue aidant, je ne pus dormir ma nuit” (A.France, Crime de Sylvestre Bonnard). „Suivant sa volonté, elle a été inhumée dans le Turbé des vénérés Sivassi d’Eyoub pour y dormir son dernier sommeil” (Loti, Désench.; P.R.). „Vous avez pleuré des larmes de joie et des larmes de désespoir” (Musset, On ne badine pas….). „La nuit pleure ses larmes grises entre les sapins” (L.P. Fargue, Poèmes). „Et que j’aime ô saison que j’aime tes rumeurs / Les fruits tombant sans qu’on les cueille / Le vent et la forêt qui pleurent / Toutes les larmes en automne feuille à feuille” (Apollinaire, Alcools).

Les réalisateurs du complément d’objet direct 1. Le c.o.d. est le plus souvent un groupe nominal. Ex.: Il faut soulager la misère. Il connaît très bien la littérature médiévale.

„Voici l’heure où la Nymphe, au bord des sources fraîches, / Jette l’arc détendu près du carquois sans flèches…” (J.-M. de Heredia, Nymphée).

2. Le nom c.o.d. peut être remplacé par un équivalent du nom, c’est-à-dire par un pronom (A.) ou par un infinitif (B.).

A. a) un pronom personnel objet d’un impératif Ex.: Il y a des malheureux: aidons-les. Voici un taxi: prenons-le. Lève-toi,

prends ta chaise et approche-toi de mon fauteuil. Donnez-la-moi. b) un pronom personnel objet direct Ex.: „Lorsque j’ai fait un vers, et que je l’aime, / Je me le paye, en me le

chantant à moi-même!” (Rostand, Cyrano, II, 7). Jacques déplace le vélo de course. Il le déplace. Il contemplait la foule de jeunes gens. Il la contemplait.

„Alors, dans mon esprit, je vis autour de moi / Mes amis, non confus, mais tels que je les voi(s) / Quand ils viennent le soir…” (V.Hugo, Les Feuilles d’Automne).

c) un pronom personnel neutre objet

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„Si je vous le disais, pourtant, que je vous aime” (A. de Musset; Grev.). „Non, je la crois, Narcisse, ingrate, criminelle, / Digne de mon courroux; mais je sens mal-gré moi / Que je ne le crois pas autant que je le doi(s)” (Racine, Britannicus, III, 6).

d) un pronom démonstratif Ex.: Je savais cela. Que votre ami se tienne tranquille, dites-lui cela de ma

part (Acad.). Crois- tu cela? e) un pronom possessif Ex.: Il pouvait suivre notre entretien comme nous aurions pu suivre le leur. Il

aime son pays comme j’aime le mien. f) un pronom relatif Ex.: Voici le vieil arbre que l’orage a abattu. „Les morts ne sont pas morts,

qu’on croit encore vivants” (Rostand). Et chacun croit fort aisément ce qu’il croit et ce qu’il désire. Je regrette ce que j’ai fait.

g) un pronom interrogatif Ex.: Que faire? Que voulez-vous? Que regardez-vous? Que faites-vous? Quoi

faire? Qui cherchez-vous? De ces montres laquelle préfères-tu? h) un pronom indéfini Ex.: Je n’ai rencontré personne. Je connais quelqu’un qui travaille dans ce

domaine. La loi punit quiconque a commis un délit (quiconque est complément d’objet direct du premier verbe). Leconte de Lisle a écrit beaucoup de poèmes; j’en sais plusieurs par coeur.

B. Le complément d’objet direct peut être exprimé par un infinitif. Ex.: „J’aimais sortir avec mon père” (A.Gide, Si le grain). J’aimerais mieux

souffrir la peine la plus dure, / Qu’il eût reçu pour moi la moindre égratignure” (Mol. Tartuffe, III, 6). Il désire réussir à tout prix. Nous devons aider les pauvres. Il voulait insister sur ce problème. Je veux savoir au juste l’impression qu’elle te fera.

Remarque. Bien que précédés d’une préposition, certains verbes à l’infinitif peuvent avoir la fonction de complément d’objet direct.

Ex.: Je lui demande de préciser son itinéraire. Il craint d’échouer à cet exa-men. Il essaie de gagner ce concours.

3. Dans une phrase complexe, le c.o.d. du verbe de la proposition principale peut être une proposition dépendante.

a) une proposition complétive Ex.: Je crains qu’on ne vous tende un piège. b) une proposition relative Ex.: J’aime qui m’aime. Invitez qui vous voudrez. Je respecte qui me respecte. c) une proposition interrogative indirecte Ex.: Je me demande s’il réussira. Je me demande où il est parti. Je voudrais

savoir quand il est rentré de Paris. d) une proposition infinitive Ex.: J’entends le moteur vrombir. Je vois ma soeur arriver. Il aperçut Emma

pâlir. Un matin nous entendîmes s’arrêter les machines de l’usine. Remarque. La proposition infinitive se reconnaît à la nature spécifique du

verbe qui l’introduit et à la présence obligatoire d’un sujet exprimé, différent de celui du verbe principal.

Place du complément d’objet direct

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Le complément d’objet direct se place, en général, après le verbe, suivant le principe général de la syntaxe française qui ordonne la phrase par ordre de détermination croissante.

On le trouve cependant antéposé: 1) si le c.o.d. est un pronom personnel tonique (disjoint) Ex.: Il la voit. Je les ai vus. Elle a rencontré Hélène et l’a félicitée. Remarque. Cette antéposition n’a pas lieu à l’impératif non négatif. Ex.: Montre-la! Regarde-les! Lis-le! Envoyez-les! 2. Quand le pronom personnel c.o.d. se rapporte à un infinitif qui dépend

d’un autre verbe (= le verbe principal), la langue littéraire (comme le français classique) place parfois ce pronom avant le verbe principal.

Ex.: „On nous veut attraper dedans cette écriture” (La F. X, 14). „Plus on les veut brouiller, plus on va les unir” (Racine, Andromaque, I, 1). „Elle ne me voulut pas quitter (Chateaub., Mém.; Grev.). Si cela se peut faire (Ac.). „On les peut vaincre” (Maupassant, Au soleil; Grev.). „Ce qui nous doit occuper” (G.Duhamel, Paroles de médecin; Grev.).

3. Si le c.o.d. est un pronom relatif, ce dernier se met devant le pronom per-sonnel sujet ou le GN sujet.

Ex.: Les histoires que j’ai entendu raconter. La bague de fiançailles que j’ai achetée. L’avion que le pilote a fait redresser.

4. Si le c.o.d. contient un déterminant relatif, il est placé au début de la proposition relative.

Ex.: Priez-le de vous donner le numéro de sa maison de la rue de Richelieu, lequel numéro j’ai oublié.

5. Lorsque le c.o.d. est constitué par un pronom interrogatif, il se met en tête de la phrase.

Ex.: Qui as-tu vu ce soir au théâtre? Que cherchez-vous? 6. Si le c.o.d. contient un déterminant interrogatif, il se met en tête de la phrase. Ex.: Quel manteau a-t-elle choisi? Quelle robe a-t-elle achetée?

La mise en relief du c.o.d. 1. Pour mettre en relief le c.o.d., on peut le placer avant le verbe et le

reprendre au moyen d’un pronom personnel. Ex.: Les derniers arrivés de la mer, on les reconnaissait à leur teint bronzé.

Ces pauvres vieux, à quelque heure qu’on les prenne, ils ont toujours mangé (A.Daudet). „L’objet véritable de son amour vous le connaîtrez si vous avez la force et le courage d’entendre cet homme” (Mauriac, Noeud de vipères).

2. Le c.o.d. peut être mis en relief en l’annonçant par un pronom personnel. Ex.: „Il les connaissait bien tous ces arbres depuis tant d’années qu’il vivait

au milieu d’eux” (ap. A. de Chateaubriand). Remarque. On parle de cataphore quand il s’agit d’annoncer ce qui vient

après dans le contexte. 3. On emploie la transformation de clivage afin de mettre en relief un c.o.d.

Dans ce cas, on extrait le groupe nominal complément d’objet direct d’une phrase et on le place entre les deux parties du constituant discontinu c’est …. que.

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Ex.: C’était le village de mes parents que l’on apercevait tout en haut de la colline. Pierre voit Marie. C’est Marie que Pierre voit. „C’est l’homme (et l’homme seulement) que je cherche dans l’artiste” (A.France).

Un autre constituant discontinu, qu’on peut employer afin de mettre en évidence un complément d’objet direct est voilà… que.

Ex.: Voilà la montée des prix que je craignais.

Le complément d’objet indirect

Le complément d’objet indirect (c.o.i.) est, en général un complément post-verbal qui se rattache au verbe indirectement, au moyen d’une préposition ((le c.o.i. est précédé de la préposition exigée par le verbe; il s’agit surtout de l’une des prépositions à, de et sur (dans une moindre mesure)). Les compléments d’objet indirects sont appelés par le verbe de même que le c.o.d., mais ils constituent des groupes prépositionnels (GP).

Exemples de compléments d’objet indirects: Nuire à son prochain. Obéir à ses parents. Rêver à son avenir. Résister à

l’ennemi. Participer à une compétition sportive. Aspirer à la possession d’un titre scientifique. Songer à des maux passés ou possibles. Se souvenir de son enfance. Parler de sa thèse de doctorat. Douter de la vérité. Se plaindre de quelque chose. Parler de tout. Changer de voiture. L’avant-centre s’empare du ballon.

Compter sur quelque chose. Jurer sur son honneur. Veiller sur ses valises. Remarque. Suivant M.Grevisse (Le Bon Usage, éd. de 1997, p. 394), il y a

aussi d’autres prépositions qui peuvent introduire un complément d’objet indirect: en (Croire en Dieu), dans (Le travail consiste dans un simple relevé); avec (Causer avec un ami), contre (Se fâcher contre son fils), après (Je n’attends pas après cette somme).

Les principaux verbes qui introduisent leur complément d’objet indirect au moyen de la préposition à: accéder, acquiescer, aspirer, attenter, adhérer, consentir, compatir, collaborer, contrevenir, coopérer, échapper, équivaloir, nuire, obéir, pen-ser, plaire, prétendre, résister, recourir, ressembler, renoncer, remédier, subvenir, succomber, succéder, songer, s’attendre, s’acharner, s’attaquer, s’adresser, se fier, etc.

Les principaux verbes qui introduisent leur complément d’objet indirect au moyen de la préposition de sont les suivants: bénéficier, découler, disconvenir, douter, hériter, jouir, profiter, redoubler, s’apercevoir, s’abstenir, se douter, s’em-parer, s’éprendre, s’empresser, s’efforcer, s’enivrer, se hâter, s’indigner, se jouer, se méfier, se moquer, s’occuper, se repentir, se servir, se soucier, se souvenir, triompher.

Le complément d’objet indirect exprimé au moyen d’un pronom personnel peut se rattacher au verbe directement sans l’intermédiaire d’une préposition.

Ex.: Ce vice te nuira (à qui? à toi). Il te répond. „Je fus averti qu’une maigre pension me serait versée les premiers du mois” (Gide, Caves du Vatican). On me l’avait prédit. Il nous a envoyé un télégramme; „C’est du nord aujourd’hui que nous vient la lumière” (Voltaire, Épîtres). Elle te plaît.

Le c.o.i. peut être identifié au moyen des questions à qui (est-ce que), de qui (est-ce que), etc. (lorsqu’il s’agit des êtres humains), à quoi (est-ce que), de quoi (est-ce que), etc. (lorsqu’il s’agit des choses).

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Ex.: Il téléphone à son ami (à qui téléphone-t-il? À qui est-ce qu’il téléphone? à son ami). Il pense à sa fiancée (à qui pense-t-il? À qui est-ce qu’il pense? à sa fiancée). Il parle de Jean (de qui parle-t-il? de qui est-ce qu’il parle? de Jean). Il pense à son projet (à quoi pense-t-il? à quoi est-ce qu’il pense? à son projet). Il se souvient de son enfance (de quoi se souvient-il? de quoi est-ce qu’il se souvient? de son enfance).

Le complément d’objet indirect est, en général, pronominalisable. La pronominalisation est une transformation qui remplace un groupe nominal

par un pronom; l’essentiel de cette transformation pronominale est une opération de substitution suivie, dans certains cas, d’un déplacement.

Les compléments d’objet indirects introduits par à sont pronominalisés par les pronoms lui, leur, elle, elles, eux.

Ex.: Il écrit à son cousin Il lui écrit. Il pense à Jeanne Il pense à elle. Il téléphone à ses amis Il leur téléphone. Il songe à ses parents Il songe à eux. Il a survécu à ses enfants Il leur à survécu. Il succédera à son père à la direction de la banque Il lui succédera.

Les compléments d’objet indirects introduits par de sont pronominalisés au moyen des pronoms de lui, d’elle, d’elles, d’eux (lorsque ces compléments sont des animés).

Ex.: Il profite de ses collègues Il profite d’eux. Il rêve de sa fiancée Il rêve d’elle. Comme les compléments d’objet indirects sont le plus souvent introduits par

à ou de, ils peuvent être pronominalisés par y ou en. Ex.: Il pense à ce projet Il y pense. Il profite de la situation Il en

profite. Le complément d’objet indirect peut accompagner un complément d’objet

direct. Dans ce cas, ce dernier est appelé objet premier, alors que le complément d’objet indirect est nommé objet second.

Ex.: Pierre a reçu une montre de son père (une montre = complément d’objet direct; de son père = complément d’objet indirect). Séparer le bon grain de l’ivraie. „La nature, autour de Marseille, offre au plus modeste marcheur des secrets étin-celants” (Beauvoir). Ferdinand Brunot a enseigné l’histoire de la langue aux étu-diants de l’Université de Paris - Sorbonne.

Certains verbes peuvent être rencontrés dans les textes tantôt construits avec un complément d’objet direct (ils sont alors des verbes transitifs directs), tantôt avec un complément d’objet indirect (ils sont alors des verbes transitifs indirects):

Applaudir (v. tr. direct); applaudir quelqu’un (accueillir, saluer par des ap-plaudissements).

Ex.: Applaudir un acteur, un orateur, une cantatrice. Applaudir un chanteur pour lui faire répéter son morceau (P.R.). „…. retournez vers ce sénat auguste / Qui vient vous applaudir de votre cruauté” (Racine, Bérénice, V, 5).

Applaudir (v. tr. indirect); applaudir à une chose (approuver entièrement). Ex.: Applaudir à une initiative, à une décision. „J’ai applaudi de grand coeur à la

construction des cités universitaires” (Duhamel, Biographie de mes fantômes; P.R.). Insulter (v. tr. direct). Attaquer quelqu’un par des propos ou des actes

outrageants.

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Ex.: Il ose m’insulter. „Il s’amène à moitié soûl à mon cocktail, il insulte mes invités” (Beauvoir; Lexis).

Insulter (v. tr. indirect). Fig. Faire insulte par une attitude de défi, de mépris. Par extension. En parlant des choses qui, par contraste, semblent un défi insolent à ce qui mérite le respect.

Ex.: Le luxe de quelques-uns insulte à la misère générale (P.R.). Leur allégresse insulte à ma douleur. „Je ne capitule pas devant un enfant qui insulte à mon autorité” (Bazin, Vipère au poing). „Un fils audacieux insulte à ma ruine?” (Racine, Mithr., II, 5).

Pardonner (v. tr. direct); pardonner quelque chose à quelqu’un. Ex.: Pardonner les offenses, une infidélité, les maux qui nous viennent d’au-

trui. Pardonner une injure. „Nous disons tous les jours à Dieu: Seigneur, pardon-nez-nous (= c.o.i.) nos offenses (= c.o.d.) comme nous les (= c.o.d.) pardonnons à ceux qui nous (= c.o.d.) ont offensés” (Bourd. Pardon des injures; H.D.T.).

Remarque. La structure pardonner quelqu’un n’est pas considérée comme correcte par les grammairiens, bien que certains écrivains l’aient employée dans leurs oeuvres.

Pardonner (v. tr. indirect); pardonner à quelqu’un. Ex.: Pardonner à son ennemi. „Lorsqu’ils furent arrivés au lieu appelé

Calvaire, ils l’y crucifièrent, ainsi que les malfaiteurs, l’un à droite, l’autre à gauche. Et Jésus disait: „Père, pardonnez-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font” (Bible, Ev. St. Luc XXIII; P.R.). „Prenez garde à vous: si votre frère pèche contre vous, reprenez-le, et s’il se repent, pardonnez-lui”. (Bible, ibidem). Je lui pardonne d’avoir désobéi. La mort ne pardonne à personne. Pardonnez-moi (c.o.i.) la liberté (c.o.d.) que je prends (formule de politesse).

Satisfaire (v. tr. direct); satisfaire quelqu’un = accomplir ce qu’il attend, lui accorder ce qu’il désire.

Ex.: Un étudiant qui satisfait ses professeurs par son travail. Satisfaire sa clientelle. On ne peut pas satisfaire tout le monde. „Le roi me contaït que Talleyrand lui avait dit un jour: – Vous ne ferez jamais rien de Thiers, qui serait pourtant un excellent instrument. Mais c’est un de ces hommes dont on ne peut se servir qu’à la condition de les satisfaire. Or, il ne sera jamais satisfait” (Hugo, Choses vues; P.R.).

Satisfaire (v. tr. indirect); satisfaire à une chose, faire ce qui est exigé par cette chose.

Ex.: Satisfaire à un engagement, à une promesse. Satisfaire aux revendica-tions des ouvriers. Satisfaire à une demande. Nous ne pouvons plus satisfaire à des demandes croissantes. „Loin de les impatienter, la pétulance de cette enfant les charmait, et ils satisfaisaient à tous ses désirs en faisant de tout un sujet d’instruc-tion” (Balzac, Urs. Mirouet).

Les verbes suivants prennent un sens tout différent selon qu’ils se cons-truisent avec un complément d’objet direct ou avec un complément d’objet indirect.

Abuser (v. tr. direct): abuser quelqu’un (= tromper quelqu’un par de faux prétextes, l’égarer en lui faisant illusion).

Ex.: „Je crains presque, je crains qu’un songe ne m’abuse” (Racine, Phèdre, II, 2). Ne crois pas nous abuser par tes mensonges. Abuser quelqu’un par de vaines promesses. „Les sens abusent la raison par de fausses apparences” (Pascal, Pensées).

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Abuser (v. tr. indirect): abuser quelqu’un (= user avec excès de sa bonté, de sa patience).

Ex.: Ils sont très bons avec ces gens et ceux-ci abusent d’eux. Abuser de la confiance, de la crédulité de quelqu’un. „Vous abusez d’une infinité de personnes en leur faisant accroire que…” (Pascal, Pensées; H.D.T.).

Assister (v. tr. direct); assister quelqu’un (= lui donner aide, secours ou protection).

Ex.: Je l’ai assisté dans cette épreuve douloureuse (Lexis). „Je supplie avant tout les dieux de m’assister” (La F., XI, 7). Assister les pauvres, les malheureux. Le prêtre chargé d’assister celui qui célèbre la messe.

Assister (v. tr. indirect); assister à quelque chose (= être présent comme spectateur, témoin de quelque chose).

Ex.: Assister à une fête. Assister à la messe. Assister à une conférence. Assister à une discussion et y prendre part. „On assistait là à une de ces séances plaisantes, comme on en voit aux veillées lorraines, où les filles et les garçons échangent des faceties et des bouts rimés” (Barrès, Colline inspirée; P.R.). Assister à une représentation.

Manquer (v. tr. direct); manquer quelque chose (ne pas atteindre son but, rater). Ex.: Il a manqué son projet. Manquer une cible. Manquer une photo. Un

gardien de but qui a manqué le ballon. Manquer (v. tr. indirect); a) manquer de quelque chose (ne pas en avoir

suffisamment). Ex.: Manquer de pain, d’argent. Manquer d’intelligence. Pays qui manque de

main d’oeuvre. b) manquer à quelqu’un (= ne pas lui témoigner ce qu’il attend, ce qu’on lui

doit en fait de respect, etc.). Ex.: „Louis XIV jette sa canne par la fenêtre pour ne pas être tenté de frapper

Lauzun qui lui avait manqué” (Taine, Philosophie de l’art; P.R.). c) (en parlant d’une personne) manquer à quelque chose (= ne pas se confor-

mer à ce qu’on doit). Ex.: Manquer à sa parole, à ses engagements. Prétendre (v. tr. direct): affirmer quelque chose, souvent sans entraîner

l’adhésion. Ex.: Pierre prétend comprendre le suédois. Prétendre (v. tr. indirect); prétendre à quelque chose (= aspirer à l’obtenir). Ex.: Prétendre à un rang. Prétendre à un héritage, à une succession. La

musique ne prétend plus à la consonnance et à l’harmonie. „Personne ne peut mieux prétendre aux grandes places que ceux qui ont les talents” (Vauvenargues, Réflexions…; P.R.). Prétendre aux honneurs militaires.

Souscrire (v. tr.); signer au bas d’un acte pour approuver; s’engager à payer. Ex.: Souscrire un contrat. Souscrire un abonnement. Souscrire (v. tr. indirect); a) s’engager à payer pour une part; s’engager à

payer une certaine somme. Ex.: Souscrire à un emprunt (= prendre une part d’un emprunt public).

Souscrire à une publication. Souscrire à l’élévation d’un monument. b) fig.; donner son adhésion, reconnaître.

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Ex.: Souscrire à une décision du conseil d’administration. „Nous nous sommes soulevés contre certaines mesures. Est-ce par lassitude que, plus tard, nous les laissons prospérer? Sait-on? Mais un jour vient où nous souscrirons à l’erreur” (Duhamel, Récits …..).

User (v. tr. dir.); user quelque chose, le déteriorer par l’emploi constant que l’on en a fait.

Ex.: Cet enfant use beaucoup de chassures. On a usé toute la provision de bois cet hiver. Il a usé son pull-over aux coudes.

User (v. tr. indir.); user de quelque chose, s’en servir, l’employer; faire en sorte qu’une chose produise un effet profitable.

Ex.: User du vin avec modération. User d’une voiture. User de son bien (en faire usage). User d’un droit.

Viser (v. tr. dir.); a) avoir en vue. Ex.: Viser la députation, la magistrature. b) viser quelqu’un (le concerner). Ex.: Mesure qui vise tous les citoyens d’un pays. Viser (v. tr. indir.); viser à (= chercher à). Ex.: Le soin de nos pères ne vise qu’à nous meubler la tête de science (P.R.).

Scène qui vise et touche à l’émotion. Remarques. I. Les compléments d’objet indirects des verbes dont le sens

attribue quelque chose à quelqu’un sont appelés compléments d’attribution. Ce complément peut être remplacé par un pronom conjoint au datif, à la 3e personne, c’est-à-dire par lui ou leur. Le complément d’attribution suppose un complément d’objet direct, présent dans l’esprit ou exprimé dans la phrase.

Ex.: L’arbitre a accordé un coup franc à l’avant-centre. Il offre un bouquet de fleurs à sa fiancée. Pierre, mis à la retraite, a cédé sa place à son successeur. Qui donne au pauvre prête à Dieu (le complément d’objet direct est sous-entendu). Il a laissé une grande fortune à ses héritiers.

II. Certains verbes expriment un processus de dépossession (ôter, confisquer, arracher, etc.). Dans ce cas, le complément d’attribution devient complément de privation (v. A.Rougerie, Étude pratique de la langue française et M.Riegel, op. cit.).

Ex.: Arracher les broussailles d’une terre que l’on défriche. Arracher les feuillets à un livre. Un obus lui a arraché une jambe.

Les réalisateurs du complément d’objet indirect a) un nom propre. Ex.: Elle a souri à Pierre. „Il entend la bergère adresser ces paroles / Au doux

Zéphyr” (La F. II, 1). „Je rends grâce aux Dieux de n’être pas Romain” (Corneille, Horace).

b) un groupe nominal. Ex.: Elle pense à son fiancé. „Lorsqu’il eut bien fait voir l’héritier des trônes,

Aux vieilles nations comme aux vieilles couronnes” (V.Hugo, Napoléon II). c) un pronom personnel. Ex.: André passe le ballon à Henri. Il lui fait une passe. d) un pronom démonstratif. Ex.: Pense à tes parents, à ceux qui t’ont donné le jour. Des soldats

conversaient sur la place; elle s’adressa à celui qui portait au col l’écusson du régiment de son mari (Rougerie).

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e) un pronom possessif. Ex.: Je connais ses soucis et je pense aussi aux miens. f) un pronom relatif. Ex.: „Mais de l’air qu’on s’y prend, / On fait connaître assez que notre coeur

se rend” (on dirait aujourd’hui „dont on s’y prend; Molière, Tart., IV, 5). C’est une histoire dont il ne se souvient pas. J’ai reçu une lettre dont je ne t’ai pas encore parlé. Un homme à qui personne ne plaît est bien plus malheureux Que celui qui ne plaît à personne (La Rouchefoucauld, Maximes; P.R.). Souviens-toi de qui tu es fils.

g) un pronom interrogatif. Ex.: De qui parlez-vous? h) un pronom indéfini. Ex.: Ne fait pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fît. Il songe à

autre chose. i) un infinitif. Ex.: „Et monté sur le faîte il aspire à descendre (Corneille, Cinna). „Quand

elle me mènerait aux honneurs, je ne puis consentir à suivre une route toute tracée” (A.Gide, Si le grain ….).

j) une proposition relative. Ex.: La nuit est déjà proche à qui passe midi. Il raconte son amour à qui veut

l’entendre. À qui sait mesurer le monde, évaluer la gloire est chose aisée. k) une proposition complétive. Ex.: Il s’attendait à ce qu’on lui laissât un message. Il consent à ce que vous

le fassiez. Il doute de ce qu’on lui ait dit la vérité. „Elle ne tenait pas à ce qu’on pût seulement la soupçonner capable de pleurer” (Exbrayat, Et que ça saute).

La place du complément d’objet indirect Le complément d’objet indirect est placé, en général, après le verbe. Ex.: „Si les livres ne correspondent pas à notre humeur présente, nous ne les

trouvons pas bons” (Cocteau, La difficulté d’être). Il peut arriver que le complément d’objet indirect soit placé avant le verbe, et

notamment: a) Lorsqu’il est mis en relief pour des raisons stylistiques, affectives. Ex.: „De quels termes ils usaient, je ne puis le dire exactement, mais je

connaissais les sentiments qui les emplissaient” (Barrès). À cette dignité, je renonce. De mes intérêts, il ne s’en soucie pas. „À cela non plus, on ne s’attendait pas” (Loti, Ramuntcho; Grev.).

b) Dans les propositions interrogatives ou exclamatives. Ex.: De quel événement de la régence d’Anne d’Autriche, l’historien a-t-il

parlé? À quelle nouvelle fonction a-t-il été promu? De quelle fortune il jouit! À quoi rêvez-vous?

N.B. Voir le chapitre consacré aux propositions interrogatives et exclamatives.

c) Le pronom personnel d’objet indirect est placé, en général, avant le verbe: il s’agit de l’un des pronoms personnels (formes atones ou conjointes) me, te, lui, nous, vous, leur. Ces pronoms personnels d’objet indirects s’emploient avec les verbes dont le c.o.i. est introduit par la préposition à.

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Ex.: Il m’a parlé une heure d’affilée de ce projet. Il t’a parlé durant plus d’une heure de ses plans. Il lui a parlé chaque jour de ses découvertes dans le domaine de l’électronique. Ils nous succèdent à l’administration des biens de la compagnie. Les troupes obéissent à leurs chefs militaires. Elles leur obéissent.

Remarque. Lorsque le verbe est à un temps composé, les pronoms d’objet indirects (formes atones ou conjointes) sont placés entre le pronom personnel sujet et l’auxiliaire.

Ex.: Ils leur ont obéi. Je lui ai pardonné. Il m’a déplu. d) Les pronoms personnels d’objet indirects (formes disjointes) peuvent être

placés devant le verbe (devant le pronom conjoint). Ex.: À toi, il t’obéit. À elle, nous lui pardonnons. De toi, il parle souvent. Si le complément d’objet direct et le complément d’objet indirect sont expri-

més par des pronoms compléments, leur place dans la proposition devant le verbe sera la suivante:

10. Lorsque le pronom c.o.i. est de première ou de deuxième personne, singulier ou pluriel, il se place devant le pronom complément d’objet direct.

Ex.: Elle te le remet (complément d’objet indirect te, complément d’objet direct le). Il nous le remet.

20. Lorsque le pronom complément d’objet indirect est de troisième personne, il se place après le c.o.d.

Ex.: Il le lui remet (le = complément d’objet direct; lui, complément d’objet indirect). Nous le leur remettons.

Si un impératif positif possède deux pronoms personnels compléments d’objet, l’un complément d’objet direct, l’autre complément d’objet indirect, on place le pronom complément d’objet direct avant le pronom complément d’objet indirect.

Ex.: Apportez-les-lui. Dites-le-moi. N.B. Si l’impératif est négatif, on place le pronom personnel complément

d’objet indirect le premier. Ex.: Ne me la donnez pas. Les pronoms en et y, compléments d’objet indirects sont placés devant le

verbe. – Le pronom en se met, en général, devant le verbe (J’aime ma ville natale et

j’en connais toutes les rues), sauf à l’impératif positif. Ex.: Prenez-vous du gâteau? Prenez-en!

N.B. Quand le verbe est du 1er groupe, on ajoute par euphonie un s à la 2e personne du singulier de l’impératif positif.

Ex.: Parle! Parles-en!

– Si en est construit avec un pronom, il se met après lui. Ex.: De la mayonnaise à l’ail, elle nous en a donné; donnez-nous en, ne nous

en donnez pas. – Les pronoms disjoints moi, toi deviennent m’, t’ devant le pronom en à

l’impératif. Ex.: Donnez-moi de la mayonnaise, donnez-m’en.

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– Y, pronom personnel, complément d’objet indirect est placé avant le verbe sauf à l’impératif positif auquel il est joint par un trait d’union.

Ex.: Pensez à la solution de ce problème; pensez-y. Le pronom y peut suivre un impératif qui a pour complément le pronom

personnel de la 1re ou de la 2ème personne du singulier me, te réduit à m’, t’. Ex.: Fais m’y penser cet été. Un verbe transitif direct et un verbe transitif indirect ne peuvent pas avoir le

même complément d’objet, dans la même phrase. On ne peut pas donc dire: aimer et pardonner à quelqu’un, mais aimer

quelqu’un et lui pardonner, étant donné que les deux verbes n’ont pas la même construction.

Si, dans une phrase, un verbe du type pardonner, comparer, etc., régit un complément d’objet direct et un complément d’objet indirect et que ces deux compléments sont de longueur égale, c’est, en général, le complément d’objet direct qui est placé avant le complément d’objet indirect.

Ex.: On pardonne parfois des fautes à un collègue. On a comparé cet auteur à Homère.

Lorsque le complément d’objet direct et le complément d’objet indirect sont de longueur inégale, on place, en général, le complément le plus court avant le plus long.

Ex.: Il a emprunté à Flaubert presque tous ces procédés stylistiques. On pardonne à un frère des torts quelquefois très graves. On a comparé à Rimbaud l’auteur de ces beaux poèmes.

Place du c.o.d. dans certaines locutions toutes faites Dans certaines locutions toutes faites, le complément d’objet direct précède

le verbe. Ex.: Sans coup férir (férir, du lat. ferire = frapper): sans rencontrer de

difficulté (langue soutenue). Ex.: Le ministre a obtenu un premier vote favorable sans coup férir (Lexis); sans combat (sans frapper un coup). Ex.: La ville fut prise sans coup férir (H.D.T.).

Sans bourse délier (= sans qu’il en coûte rien). Sans mot dire. Geler à pierre fendre. À vrai dire (ou à dire vrai). À son corps défendant: Faire quelque chose à son corps défendant = ne pouvant faire autrement, à contre-coeur, malgré soi. „Et l’on sait qu’elle est prude à son corps défendant” (Mol., Tartuffe, I, 1). Chemin faisant (Chemin faisant, il lui conta sa mésaventure; Lexis). Ce disant. Ce faisant. Pour ce faire. Grand bien vous fasse.

LA FONCTION ATTRIBUT

Les grammairiens distinguent deux sortes d’attributs: L’attribut du sujet et l’attribut du complément d’objet.

L’attribut du sujet

Définitons

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1. „L’attribut du sujet, dit M.Riegel, est le deuxième constituant d’un groupe verbal (GV V + X) dont le verbe introducteur est le verbe être ou un verbe d’état susceptible de lui être substitué.” (Grammaire méthodique, p. 233).

Selon Riegel l’attribut doit s’interpréter comme un prédicat, qui exprime une caractéristique (propriété, état ou catégorisation) du sujet.

2. „Ce qui s’affirme ou se nie du sujet d’une proposition” (Grand Robert). 3. „Terme relié au sujet (ou au complément d’objet) par le verbe être, un

verbe d’état ((sembler, paraître, devenir); Petit Robert))”. 4. Le terme de la proposition exprimant la manière d’être que l’on affirme du

sujet ((H.D.T.; (Dictionnaire général)). 5. „L’attribut indique la manière d’être du sujet et cela au moyen d’un verbe

appelé verbe d’état ou parfois, verbe attribut” (M.Arrivé, La grammaire d’aujourd’hui).

6. „Le prédicat minimal peut se présenter sous deux formes: a) le prédicat est un verbe: le moineau pépie; b) le prédicat est un élément nominal ou adjectival uni au sujet par l’intermédiaire d’un élément verbal: Mon mari est médecin. L’enfant paraît malade. On appelle cet élément nominal (médecin) ou adjectival (malade) attribut, et cet élément verbal (est, paraît) copule. Le verbe dans les deux cas reçoit généralement du sujet ses marques de nombre et de personne, parfois de genre” (M.Grevisse, Le Bon Usage, éd. 1997).

Remarques. 1. L’attribut est représenté parfois par un mot unique, par un seul terme.

Ex.: „Le choc avait été rude. Les tribuns/ Et les centurions rallient les cohortes” (Heredia, Soir de bataille). „Une nuit claire, un vent glacé. La neige est rouge. Mille braves sont là qui dorment sans tombeau….” (Leconte de Lisle, Le coeur de Hialmar).

2. Souvent l’attribut est formé par un groupe de mots, par un syntagme. Ex.: „Il est grave: il est maire et père de famille./ Son faux-col engloutit son

oreille. Ses yeux/ Dans un rêve sans fin flottent insoucieux.” (P.Verlaine, Monsieur Prudhomme). „À la proue éclatante où l’épervier s’éploie/ Hors de son dais royal se penchant pour mieux voir,/ Cléopâtre debout en la splendeur du soir/ Semble un grand oiseau d’or qui guette au loin sa proie.” (Heredia, Le Cydnus).

3. L’attribut est l’un des trois termes (Sujet – Verbe – Attribut ou Verbe copule – Attribut) de la phrase dite „ternaire”.

4. La définition de l’attribut comme manière d’être du sujet comprend non seulement l’idée d’un état, mais aussi l’idée d’une manière d’être agissante (v. par exemple les structures il est fatigant, il est bienfaisant).

5. L’attribut est lié sémantiquement au sujet (il marque une étroite relation de sens avec le sujet dont il représente un aspect ou une qualité, etc.). Souvent, il est lié morphologiquement au sujet par l’accord ((Ex.: „La vie, ô Sextius, est brève. Hâtons-nous/ De vivre. Déjà l’âge a rompu nos genoux.”(Heredia, À Sextius)).

6. À la différence des compléments d’objet qui peuvent être parfois sup-primés (il mange une grillade il mange), l’attribut ne peut pas être effacé. Il doit être exprimé dans l’énoncé d’une façon obligatoire.

Ex.: „Et la bonté qui s’en allait de ces choses/ Était puissante et charmante tellement/ Que la campagne autour se fleurit de roses/ Et que la nuit paraissait en

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diamant” (Verlaine, Crimen Amoris). On ne peut pas dire: „*Et la bonté qui s’en allait de ces choses était…..”. On ne peut non plus dire „*la nuit paraissait….”

7. Tandis que le nom complément d’objet direct est presque toujours ac-compagné d’un déterminant (il a bu un verre de vin), le nom attribut est souvent dépourvu de déterminant.

Ex.: il est nommé Gouverneur de la Banque de France.

N.B. Lorsque le nom ayant la fonction d’attribut est modifié par un adjectif, l’emploi du déterminant devient obligatoire.

Ex.: Cet homme est avocat Cet homme est un avocat éminent.

8. Seule la fonction attribut permet la commutation entre nom et adjectif. Ex.: Cet homme est avocat, commerçant, médecin, ingénieur (= noms). Cet

homme est aimable, compétent, intelligent, expérimenté. N.B. Un complément d’objet direct constitué par un groupe nominal ou un

nom propre ne peut pas commuter avec un adjectif qualificatif. Ex.: Jean voit la belle jeune fille; il voit Hélène (= c.o.d.). On ne peut pas dire

Jean voit heureux (= attribut). 9. L’attribut est pronominalisable par: a) le pronom le dit neutre lequel est invariable en genre et en nombre. Ex.: Anne est intelligente et en toute occasion, elle le montre amplement.

N.B. 1) L’attribut en tête de la phrase, peut être repris par le pronom le neutre. Ex.: Avocate, elle le sera. Sage, il le deviendra. 2) L’attribut placé en tête de la phrase et construit au moyen de la préposition pour

peut être repris par le pronom le neutre. Ex.: Pour impatiente, elle l’était réellement.

b) le pronom en s’il reprend un GN. Ex.: Ganymède est un des satellites de la planète Jupiter; il en est un. Henri

est un des acteurs du théâtre de l’Odéon; il en est un (fam.). 10. Les verbes qui se construisent avec un attribut ne sont pas passivables

(L’attribut ne peut être sujet d’une construction passive). Ex.: Marie est devenue pharmacienne. On ne peut pas dire *Une pharma-

cienne est devenue par Marie. Les relations attributives

On distingue deux sortes de relations attributives concernant le sujet et l’attribut.

A. La relation équative. Lorsque l’attribut est constitué par un groupe nomi-nal qui contient un article défini, il peut entretenir avec le sujet une relation d’équivalence référentielle. Cette relation identifie le groupe nominal exprimant le sujet et le groupe nominal représentant l’attribut, comme deux groupes de mots désignant le même référent: Le frère de Jean est le président de cette Université. Cette relation est réversible (Le président de cette Université est le frère de Jean). L’étoile du Berger est la planète Vénus (La planète Venus est l’étoile du Berger).

B. La relation attributive proprement dite.

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Cette relation concerne une propriété du sujet (Marie est belle) ou inclut ce dernier dans une catégorie (Henri est aviateur).

N.B. Tandis que le groupe nominal attribut peut avoir le même référent que le sujet (Pierre est médecin), le groupe nominal complément d’objet direct peut référer à un élément (chose ou être) distinct du sujet (Dans la phrase Le jeune homme regarde avec amour sa fiancée, le groupe nominal sujet et le groupe nominal complément d’objet direct n’ont pas le même référent).

Les verbes qui introduisent un attribut du sujet Ces verbes sont appelés verbes copulatifs ou verbes attributifs. Le verbe être

est considéré verbe copule et, dans la logique, il est toujours présent dans les prémisses et la conclusion d’un syllogisme ((Tous les hommes sont mortels (prémisse majeure), Socrate est homme (prémisse mineure), donc Socrate est mortel (conclusion)). Antoine Arnauld et Pierre Nicole, les auteurs de la Logique de Port-Royal pensaient que le verbe être employé comme copule est impliqué dans tous les verbes et qu’on pouvait le mettre en évidence par analyse. Ainsi je cours signifie: je suis courant, j’aime signifie: je suis aimant, etc. Cette théorie concernant le verbe être comme copule a été soutenue par les grammairiens philosophes (Beauzée, Girard, Duclos, Dumarsais) au XVIIIe siècle et a été considérée juste jusqu’au XXe siècle, quand elle a été vivement critiquée (v. G. et R. Le Bidois, Syntaxe, § 663).

N.B. Il y a des grammairiens qui ne donnent le nom de copule qu’au verbe être; les autres verbes qui introduisent l’attribut du sujet son appelés attributifs.

Les verbes attributifs peuvent être groupés en deux catégories: les verbes essentiellement attributifs et les verbes occasionnellement attributifs.

I. Les verbes essentiellement attributifs. Ces verbes marquent: a) l’état: être, paraître, sembler, se montrer, se trouver, avoir l’air. b) l’entrée dans un état: tomber, retomber, devenir, redevenir, se faire. c) la persistance, la continuité dans un état: rester, demeurer, se maintenir. d) la réputation: passer pour. e) l’identité, l’identification: se nommer, s’avérer. f) une prise de conscience: s’affirmer. Ex.: C’est le printemps; les prés sont verts. Elle se trouvait libre toute une

semaine. Il se montra satisfait. Elle semblait contente. Il paraissait préoccupé, inquiet. Cette jeune fille passait pour coquette. Il devient avare. Il est tombé amoureux. Il se fait vieux. Les bonnes actions se font rares. Il est tombé malade. Il resta interdit. Longtemps les bateaux demeurèrent visibles dans la pâleur blafarde de la nuit. Avec ce déguisement de bal masqué, il passa inaperçu. Cette femme paraissait plus âgée qu’elle ne l’était. La médecine s’est montrée impuissante en lutte avec cette maladie. Les rues de cette petite ville se trouvèrent trop étroites pour les gros camions. Sa soeur se nommait Hélène. Cette action se nommait générosité. Cette opinion s’est avérée juste. Ils se sont affirmés plus travailleurs qu’intelligents.

II. Les verbes occasionnellement attributifs.

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Ces verbes sont aussi appelés verbes à élargissement attributif. a) Verbes intransitifs: naître, vivre, mourir, venir, partir, sortir, arriver,

rentrer. Ex.: Elle est née riche. Il est sorti content du magasin. Il a vécu heureux. Il est

mort général. Ils sont morts pauvres. Ils sont sortis indemnes de leur accident d’automobile. „Oh! combien de marins, combien de capitaines,/ Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines,/ Dans ce morne horizon se sont évanouis” (V.Hugo, Oceano Nox). Ils sont rentrés en bonne santé à la maison.

b) l’attribut est employé après certains verbes transitifs à la forme passive: nommer, élire, proclamer, déclarer, etc.

Ex.: Jules Dupont fut nommé contre-amiral. L’ancien magistrat fut élu député. Napoléon fut proclamé empereur par le Senat. Il est déclaré innocent.

Construction de l’attribut du sujet L’attribut (nom propre seul, groupe nominal ou adjectif qualificatif, groupe

adjectival) peut être de construction directe ou de construction indirecte suivant la nature du verbe qui le relie au sujet. Dans ce cas, on a un attribut direct ou un attribut indirect.

1. L’attribut direct est joint directement au verbe être ou aux verbes attributifs.

Ex.: „Ne dites pas: la vie est un joyeux festin” (Jean Moréas, Stances). „Car l’océan est hydre et le nuage oiseau” (V.Hugo, Éclaircie). „Je suis resté longtemps, seul, devant mon désastre. Des midis sans soleil, des minuits sans un astre/ Passèrent, et j’ai, là, vécu d’horribles jours./ Mais tu parus enfin, blanche dans la lumière; Et bravement, afin de loger nos amours,/ Des débris du palais j’ai bâti ma chaumière” (François Copée, Ruines du Coeur). „Un père est un banquier donné par la nature” (Acad.).

2. L’attribut indirect est introduit au moyen de certaines prépositions (pour, de, à, en) ou par la conjonction comme.

a) pour. L’expression passer pour (= avoir la réputation de, être considéré comme) est déjà construite à l’aide d’une préposition.

Ex.: Il passe pour bon médecin (Ac.). Les méchants veulent passer pour bons. Blazac passait pour un observateur. Il passait pour le meilleur des hommes. „Le fils était un grand garçon sec qui passait pour un féroce destructeur de gibier” (Maupassant; A.R.).

Remarque. La préposition pour est aussi employée dans des constructions du type: Il fut pris pour juge. Il fut pris pour arbitre. Il est tenu pour coupable dans cette affaire.

b) de. Ex.: Il a été traité de fou, d’ignorant. Ce ciel est d’un bleu! La tente-abri était d’un lourd! (Daudet, Tartarin de Tarascon). Le régiment servait de cible à toute l’armée prusienne (A. Daudet; R.G.).

N.B. 1) La préposition de peut introduire l’adjectif ou le participe passé (et parfois un nom) qui accompagne comme attribut du sujet réel les formes il y a, il est, il reste, il se trouve.

Ex.: Il y eut cent hommes de tués (Littré). Il y a plusieurs carreaux de cassés à cette fenêtre. Il est encombré de paquets, mais il lui reste un bras de libre.

N.B. 2) L’emploi de la préposition de est très fréquent quand la structure comporte le pronom en.

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Ex.: Sur cent habitants, il y en a deux de riches (Littré). Sur dix, il n’y en avait pas un de bon (Acad.). Sur cent candidats au concours, il y en a dix de reçus.

c) la préposition à. Ex.: Il a été pris à témoin. Cette jeune fille est à croquer. Jules se porte à

merveille. Ce chapeau est encore à la mode. Ils étaient aux prises avec un ennemi puissant.

d) La préposition en (elle se trouve parfois dans des locutions figées). Ex.: Le ver se change en papillon. Il est en bonne santé. Il se trouve en

mauvaise posture. Il s’est mis en colère. Elle a éclaté en sanglots. e) La conjonction comme. Ex.: „Un bon portrait m’apparaît toujours comme une biographie dramatisée,

ou plutôt comme le drame naturel inhérent à tout homme” (Baudelaire; P.R.). „Déjà la guerre apparaissait comme une immense industrie” (J. Jaurès, Hist. soc. de la rév. fr.). „Les gens du commerce s’avèrent le plus souvent dans la pratique comme d’insurpassables gaffeurs” (Céline, Voyage au bout de la nuit). „Mon coeur était jadis comme un palais romain,/ Tout construit de granits choisis, de marbres rares” (François Jammes, De l’Angélus de l’aube).

Les réalisateurs de l’attribut du sujet (la nature de l’attribut du sujet) 1. L’attribut peut être exprimé par: 1) des noms ou des groupes nominaux Ex.: Dupont était avocat au Conseil d’État. „Le blâme intérieur, Dieu juste est

le seul blâme” (V. Hugo, Quatre Vents de l’esprit). „Mon âme est une infante en robe de parade” (A. Samain, Au jardin de l’Infante).

2) des adjectifs Ex.: „Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir” (Baudelaire,

Harmonie du soir). „Ma cousine est blonde, elle a nom Ursule,/ On dirait d’un cher glaïeul sur les eaux.” (Verlaine, Pantoum négligé). „Cent exemples pourraient ap-puyer mon discours;/ mais les ouvrages les plus courts sont toujours les meilleurs.” (La F., Les Lapins). „Le Poète est semblable au Prince des nuées” (Baudelaire, L’Albatros).

3) des participes Ex.: Entre les deux camps, la victoire demeura longtemps hésitante. Il était

hésitant. „J’ai cueilli ce brin de bruyère/ L’automne est morte, souviens-t’en. Nous ne nous verrons plus sur terre….” (Apollinaire, Adieu). „Il y a des morts qui sont plus vivants que les vivants” (R. Rolland; H.B.). L’accord semblait conclu.

4) des pronoms Ex.: Si j’étais vous…. (= si j’étais à votre place). Ton avis n’est pas toujours

le mien. Les gens courageux sont ceux qui combattent vaillamment l’adversaire. Que devient-il? Qui est-il? Dis-moi ce que tu deviens. Il déviendra quelqu’un.

5) un adverbe pris adjectivement Ex.: Tout le monde était debout dès le matin (Acad.). Ses parents sont très

bien. Il est bien mal (très malade). 6) un infinitif Ex.: Boulverser la tradition orthographique serait troubler des habitudes sécu-

laires, jeter le désarroi dans les esprits (Acad.). Son espoir est de gagner. „Le mieux

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serait d’écrire les événements au jour le jour” (Sartre; M.A.). Cette maladie est à craindre. Paraître n’est pas être.

7) une proposition relative Ex.: Je ne suis pas qui vous croyez. „Assez longtemps j’ai cherché de vous

dire comment je devins qui je suis” (Gide, Immort.). „Et je m’aperçois que le problème ce n’est pas qui je suis” (Aragon). „Ce n’est pas du tout qui vous croyez” (Bataille, Enf. d’Am.).

8) une proposition complétive Ex.: L’événement le plus tragique de cette compétition sportive c’est que le

vainqueur du marathon est mort peu après la fin de la course. La vérité est qu’ils étaient heureux. L’ennui est que votre voiture est en panne.

Place de l’attribut du sujet L’attribut est ordinairement placé après le verbe. Ex.: Le brouillard est épais. L’ordre canonique de la phrase ayant un attribut du sujet est le suivant: Sujet – le verbe copule être ou un verbe attributif – attribut L’attribut peut être séparé du verbe attributif (ou du verbe être) par la

deuxième partie de la négation ou par certains adverbes. Ex.: Julie n’est pas heureuse. Julie n’est pourtant pas heureuse. Julie est toujours heureuse. Lorsque l’attribut du sujet est un pronom ou un groupe nominal ayant comme

spécifieur un déterminant interrogatif ou exclamatif, sa place dépend de l’observation des règles grammaticales exigées par l’emploi de ces catégories.

Ex.: „Une femme qui n’est pas ma femme, qui ne le sera jamais” (J. Romains, Hommes de bonne volonté). „La cruelle qu’elle est se bouche les oreilles” (Malherbe). Que serai-je dans dix ans? „Vertu, douleur, pensée, espérance, remords,/ Amour qui traversais l’univers d’un coup d’aile, qu’êtes-vous devenus?” (Leconte de Lisle, Poèmes barbares). Quel homme es-tu?

L’attribut du sujet est placé en tête de la phrase avec inversion du sujet nominal:

– lorsqu’il est réalisé au moyen de tel qui résume le contenu de ce qui pré-cède ou annonce ce qui suit.

a) l’attribut a une fonction de liaison avec ce qui précède. Ex.: Instruire en intéressant, tel doit être le but de tout professeur (Lexis). „Il

s’agit d’un langage dont la violence d’autonomie détruit toute portée éthique. Tel est du moins le langage des poètes modernes qui vont jusqu’au bout de leur dessein.” (R. Barthes, Degré zéro; Grev.).

b) il est permis de placer tel en tête de phrase quand le mot qu’il détermine renvoie à ce qui suit.

Ex.: „Telle est la loi de l’Univers:/ Si tu veux qu’on t’épargne, épargne aussi les autres” (La Fontaine). „Telle est la loi de la progression: à la tradition orale succède l’écriture; à l’écriture, l’imprimerie; le livre, insuffisant désormais à la propagation des idées est remplacé par le journal” (Gautier, Souvenir de théâtre).

– l’attribut est en tête de phrases simples coordonnées: a) le tour autre ….. autre

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Ex.: Autre est le point de vue de l’orateur, autre celui de l’auditeur. Autre est de danser et de faire des festins, autre de connaître la nature des choses. Autre est promettre, autre est donner (Acad.).

b) le tour autre chose …… autre chose Ex.: „Autre chose est d’agir avec un père, autre chose de répondre devant un

juge” (Bossuet, Pénit). Autre chose est de faire des projets, autre chose de les exécuter (Lexis).

– lorsqu’il est mis en relief dans les phrases exclamatives. Ex.: „Je ne viens point jeter un regret inutile/ Dans l’écho de ces bois témoins

de mon bonheur./ Fière est cette forêt dans sa beauté tranquille,/ Et fier aussi mon coeur!” (Musset, Souvenir). Amères sont les larmes qu’on verse à vingt ans! (P.R.).

– dans les phrases attributives apposées exprimant la cause, l’attribut, réalisé par un adjectif ou un participe passé, se trouve en tête de la phrase suivi de que, du verbe être ou d’un autre verbe attributif.

Ex.: „Ignorante qu’elle était, elle espérait trouver là les vertus exilées de notre hémisphère” (G.Sand). Habituées qu’elles sont à être respectées, les femmes sont plus braves que les hommes.

– l’attribut est placé au début de la phrase dans certaines structures concessives: a) pour ….. que Ex.: „Pour grands que soient les rois ils sont ce que nous sommes”

(Corneille, le Cid). „Pour sages que soient les hommes, ils ne sont pas infaillibles” (Saint-Simon).

b) si … que Ex.: Si mince qu’il soit (si mince soit-il) un cheveu fait de l’ombre. „Si hardie

et confiante qu’elle s’efforçât de paraître, elle ne voyait depuis un moment nulle autre issue que la trappe du logis paternel” (Bernanos, Histoire de Mouchette).

c) quelque …. que Ex.: Quelque puissants qu’ils soient je ne les crains point (Acad.). Quelque

bonnes que soient vos raisons, vous ne convaincrez personne. d) tout …. que Ex.: Toute grande qu’elle est, elle est gentille. Tout rusé qu’il est, il s’est un

jour laissé prendre. – l’attribut est placé en tête de la phrase dans des constructions comparatives Ex.: „Étranger comme je le suis à tout négoce et trafic, je résolus de prendre

conseil d’un libraire de mes amis” (A. France, Crime de Sylvestre Bonnard). Belles et bien habillées comme elles l’étaient, les autres femmes les regardaient avec envie. Intelligente comme elle l’était, Marie comprenait très vite.

L’accord du nom attribut L’accord en genre

Le nom attribut s’accorde ordinairement en genre et en nombre avec le sujet auquel il se rapporte.

Ex.: Pierre est acteur, Hélène est actrice. La passion est mauvaise conseillère. Mes frères sont épiciers. Mes soeurs sont épicières. Paul est directeur, Marie est directrice.

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Remarques. 1) L’accord en genre ne peut pas avoir lieu lorsqu’il y a discordance entre le genre du nom sujet et le genre du nom attribut.

Ex.: Cette femme est ingénieur. Ce soldat qui est devant la porte de la caserne est une sentinelle. Cette femme est un laideron. Cet homme est une franche canail-le, une crapule.

2) Discordance en nombre (conflit de nombre). a) les noms attributs ne s’emploient qu’au pluriel, tandis que le nom sujet est

utilisé au singulier. Ex.: L’étude demeure toutes ses délices. „De Rome pour un temps, Caïus fut

les délices” (Racine, Britannicus; L.B.). b) le nom sujet est au pluriel, tandis que le nom attribut est au singulier. Le

verbe copule ou attributif s’accorde dans ce cas avec le sujet. Ex.: Les mites sont une véritable calamité. „Tous baisers sont un philtre et ta

bouche une amphore” (Baudelaire, Hymne à la beauté). c) le nom attribut est au singulier s’il est en relation avec plusieurs sujets

formant une sorte d’unité. Le verbe de la phrase où se trouve l’attribut au singulier se met au pluriel.

Ex.: „Rien ne sert de courir: il faut partir à point./ Le lièvre et la tortue en sont un témoignage” (La F., VI, 10).

Remarques. Témoin. Ce nom qui n’a pas de féminin (Cette actrice a été le témoin de la défense; cette jeune fille est un témoin oculaire) peut être employé comme attribut dans des phrases averbales du type „Témoin tous les philosophes”. Dans ce cas, il reste invariable.

Autres exemples: „Les puristes eux-mêmes figurent au tableau, témoin Paul Bourget et Abel Hermant.” (A. Dauzat, Précis d’histoire de la langue….). Ce mot est entré en usage au XVIIIe siècle, témoin les dictionnaires de Richelet (1680), de Furetière (1690) et de l’Académie française (1694). Il a travaillé avec négligence, témoin les erreurs qu’il a faites (H.).

Employé dans une phrase normalement constituée, témoin s’accorde seule-ment en nombre.

Ex.: Ces deux femmes ont été témoins de l’accident. Elles ont été prises pour témoins.

Dupe. Selon Littré dupe, attribut, se rapportant à un sujet pluriel doit rester au féminin singulier „quand il s’agit d’un seul et même moyen employé pour tromper: „Nous fûmes la dupe de son stratagème”, mais se met au pluriel „quand il s’agit de tromperies successives: Nous fûmes les dupes de ses stratagèmes”. Le Trésor de la langue française souligne que l’expression être la dupe est une locution figée et, par conséquent, invariable. Selon les auteurs de ce Dictionnaire, l’emploi de dupe au pluriel serait permis quand „dupe reprend la vigueur d’un substantif à sens plein”.

Accord de l’adjectif attribut du sujet Employé comme attribut, l’adjectif s’accorde suivant les mêmes règles que

l’adjectif épithète. a) L’adjectif attribut se référant à un seul nom ou à un seul groupe nominal

sujet s’accorde en genre et en nombre avec ce nom ou avec ce groupe nominal.

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Ex.: Le soleil est brûlant. Jeanne est gentille. Les nuits paraissaient longues. Les vieux sangliers vivent solitaires.

b) L’adjectif attribut se référant à plusieurs noms liés au moyen de la conjonction et s’accorde avec la totalité de ces noms:

10. L’attribut se met au masculin pluriel si ces noms sont tous masculins. Ex.: Au printemps, les prés et les vergers sont verts. 20. L’attribut se met au féminin pluriel si ces noms sont tous féminins. Ex.: Vêtues de blanc, les femmes et les jeunes filles étaient blanches comme

la neige du dehors. 30. L’adjectif attribut se met au masculin pluriel si ces noms sont de genres

différents. Ex.: „Si le ciel et la mer sont noirs comme de l’encre,/ Nos coeurs que tu

connais sont remplis de rayons!” (Baudelaire, Fleurs du mal, C XXVI). 40. L’adjectif attribut se rapportant à deux noms coordonnés par la conjonc-

tion ou s’accorde seulement avec le dernier nom: Ex.: Le directeur ou son adjoint sera présent à la réunion. – L’attribut exprimé au moyen d’un adjectif et se rapportant au pronom

personnel nous (employé comme pluriel de majesté ou de modestie) mis pour je est au singulier.

Ex.: Le vieillard, parlant de lui-même, ajouta: „Nous étions encore jeune à cette époque” (A. Th.). Nous étions encore naïf, crédule en ce temps-là.

– L’attribut exprimé au moyen d’un adjectif et se rapportant au pronom personnel vous (employé comme terme de politesse) mis pour tu est au singulier.

Ex.: Êtes-vous heureuse, Madame? Vous serez bien aimable de m’écrire. Le pronom indéfini on se rapportant à des femmes exige que l’adjectif

attribut qui dépend de lui soit au féminin. Ex.: On dit que lorsqu’on est belle, on n’est pas toujours intelligente.

L’adjectif attribut employé après la locution avoir l’air 10. Choses. Lorsqu’il s’agit de choses et avoir l’air a le sens de sembler, pa-

raître, avor l’air d’être, l’adjectif attribut qui suit avoir l’air s’accorde avec le sujet. Ex.: Cette maison bien que neuve a l’air ancienne. Ces propositions ont l’air

sérieuses (Acad.). Ces arbres ont l’air morts (A. Th.). L’église avait l’air toute neuve. Remarque. Bien que la locution avoir l’air se rapporte à une chose, l’accord

de l’adjectif attribut doit se faire avec air quand ce dernier est accompagné d’un complément.

Ex.: La ville a l’air tout à la fois animé et désoeuvré d’un dimanche (H.). Aucune fleur n’a l’air majestueux du lis.

20. Personnes. S’il s’agit de personnes, on accorde fréquemment l’adjectif attribut avec le sujet quand avoir l’air a le sens de paraître, sembler et qu’on peut placer le verbe être entre avoir l’air et l’adjectif attribut.

Ex.: Cette femme a l’air (d’être) bonne. Cette doctoresse a l’air savante. Cette jeune fille a l’air intelligente. „Françoise eut l’air surprise de cette de-mande” (Proust). Elle a l’air méchante. Elle n’avait pas l’air trop fâchée.

Remarques. 1) Si l’on a en vue la mine, l’apparence, la physionomie, l’allure d’une personne, l’accord de l’adjectif attribut se fait avec air.

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Ex.: Elle a l’air faux (Acad.). „Elle avait l’air hardi et content d’elle-même” (Sand, Mare au diable).

2) L’accord de l’adjectif attribut se fait avec air quand ce dernier est opposé à un autre nom.

Ex.: Elle a l’air hautain, mais le coeur compatissant. Court reste invariable dans rester court, demeurer court (= se trouver soudain

incapable de continuer; s’arrêter net en parlant, ne savoir que dire). Ex.: Elle fut si surprise qu’elle demeura, resta court (A.Th.). Elle demeura

court après les premiers mots de son compliment (Acad.). L’actrice demeura court au milieu de son monologue.

L’ATTRIBUT DU COMPLEMENT D’OBJET DIRECT

De même que le sujet, le complément d’objet direct peut avoir un attribut. Soit les phrases: L’assemblée des actionnaires a élu Jean Dupont président.

L’assemblée l’a élu président. Dans la première phrase, le complément d’objet direct est Jean Dupont et le

nom président est l’attribut du complément d’objet. Dans la seconde phrase, le pronom personnel l’ est complément d’objet direct et le nom président est l’attribut du complément d’objet.

Définitions. Dans le cas de l’attribut du complément d’objet, la relation sémantique entre le groupe nominal objet et un terme de la phrase qui devient attribut du complément d’objet direct, est de même nature que celle entre le groupe nominal sujet et son attribut; dans ce cas, la relation attributive s’établit non plus avec le sujet, mais avec l’objet du verbe de la phrase. Selon D.Maingueneau (Syntaxe, p. 84) ce qu’on appelle attribut du complément d’objet direct est une relation qui dans le cadre d’un groupe verbal lie un groupe nominal (On a proclamé Jules député) ou un groupe adjectival (Marie rend Jules peureux) à un groupe nominal complément d’objet. Suivant M.Riegel (Grammaire méthodique, p. 239), le syntagme verbal de la phrase Il [a trouvé ton projet irréaliste] GV s’analyse selon le schéma tripartite:

GV V + N1 + X, ou N1 représente le complément d’objet direct et X un troisième constituant dit attribut du complément d’objet (a.c.o.).

Verbes introducteurs de l’attribut du complément d’objet direct Tandis que l’attribut du sujet se rapporte au sujet de la phrase par l’inter-

médiaire du verbe être ou d’un autre verbe attributif intransitif (sembler, paraître, devenir, etc.), l’attribut du complément d’objet renvoie à l’objet et cette relation a lieu par l’entremise d’un verbe transitif construit directement ou indirectement.

Exemples de verbes transitifs introducteurs de l’attribut du complément d’ob-jet direct:

a) verbes qui marquent l’action de mettre une chose ou une personne dans un certain état: nommer, élire, proclamer, déclarer, baptiser, rendre, faire, etc.

b) les verbes dire et croire lorsqu’ils désignent le fait qu’on dit ou qu’on croit qu’une chose ou qu’une personne se trouve dans un certain état.

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c) verbes qui annoncent ou constatent l’existence d’un certain état: considérer comme, regarder comme, prendre pour, tenir pour, traiter de, etc.

d) verbes exprimant les notions de voir, de savoir, de trouver une personne ou une chose dans un certain état.

Exemples d’attributs du complément d’objet direct: On l’a nommé directeur, préfet, ministre. On l’a élu juge au tribunal de

commerce. On l’a proclamé membre du Conseil général. On l’a déclaré non cou-pable. On l’avait baptisé France (le paquebot). On l’avait rendu responsable de cette avarie. On le considérait comme le futur champion de ski de son pays. On le regarde comme un bon orateur. On la prend souvent pour sa soeur. On le tient pour un esprit fumeux. On l’a traité de menteur. On le dit peu serviable. On le trouve très honnête. On le croit désintéressé. Le maire l’a fait son adjoint. Il savait ton père souffrant. „La présence de mes deux soeurs me rendit le séjour de Paris moins insupportable” (Chateaubriand; R.G.). „La terreur de son nom rendra nos villes fortes:/ On n’en gardera plus ni les murs ni les portes….” (Malherbe, Prière pour le roi Henri le Grand). „Que je porte d’envie à la troupe innocente/ De ceux qui, massacrés d’une main violente/ Virent dès le matin leur beau jour raccourci!” (Malherbe, Les saints Innocents). Il a vu son directeur furieux. Il a gardé intact son héritage. Je trouve les romans d’Alexandre Dumas captivants.

Remarques. 1) Le pronom personnel objet direct peut être réfléchi. Ex.: Il se croit infaillible. Hélène se dit habile. Se vouloir construit avec un attribut „concerne une qualité à laquelle on tend,

ou une apparence que l’on cherche à donner de soi.” (Grevisse, B.U. éd. 1997). Ex.: Il se voulait objectif. 2) L’attribut peut être construit parfois sans objet direct exprimé dans la

structure de surface. Ex.: „C’est un fait que l’injustice rend injuste” (A. Maurois; H.B.). „… avec

une persévérence et un courage qui laissent confondu” (A. Fermigier; Grev.).

Nature de l’attribut du complément d’objet direct L’a.c.o.d. peut être: 10. un nom sans déterminant Ex.: L’assemblée l’a élu président de la Chambre. Les académiciens l’ont élu

secrétaire perpétuel de l’Académie française. 20. un groupe nominal Ex.: Il l’avait crue une jeune fille intelligente. 30. un adjectif Ex.: Elle rend Jean heureux. Il a trouvé Eugénie bien pâle. Ce professeur,

nous l’aimons parce que nous le savons juste et bon. „Une nation qui a produit beaucoup de grands hommes, nous la jugeons grande” (Grev.).

N.B. Une proposition relative construite avec avoir peut être considérée l’équivalent d’un adjectif et elle peut remplir la fonction d’un a.c.o.d., surtout dans la langue familière.

Ex.: J’ai ma voiture qui ne marche plus (P.R.).

40. un déterminant indéfini Ex.: Pour être heureux ou malheureux il suffit de se croire tel (Acad.). 50. que précédé d’un démonstratif

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Ex.: „Gamelin voyait ces hommes différents de ce qu’il les avait vus jusque là, plus beaux, plus graves.” (France, Les dieux ont soif). „Je ne suis point tout à fait pareil à celui qu’ils me croyaient d’abord” (Gide, Journal; Grev.).

60. que rappelant une épithète Ex.: „Elles ne l’aiment point passionnément, incapable qu’elles le sentent de

leur rendre la pareille” (Billy; Figaro; Grev.). 70. un pronom interrogatif, dans certaines structures. Ex.: Qui le croyez-vous? Pour qui le prenez-vous? 80. un infinitif Ex.: Il la croit à plaindre. Il la trouve à faire peur. Remarque. Dans certaines expressions figées comme l’avoir beau, l’avoir

belle, l’avoir dure, employées dans le français familier, le c.o.d. est un pronom sans antécédent et l’attribut (beau, belles, dure) fait partie de l’expression figée.

Ex.: Les enfants sans parents l’ont dure. „Les chiens des contrebandiers ne l’ont pas toujours belle non plus, quand ils doivent courir avec deux ou trois cents paquets de cigarettes sur le dos” (Van der Meersch, Maison dans la dune; Grev.).

Construction de l’attribut du complément d’objet direct L’a.c.o.d. peut être construit soit directement soit indirectement, c’est-à-dire

au moyen des prépositions à, de, en, pour ou à l’aide de comme. I. L’attribut du complément d’objet direct est construit directement Ex.: On a jugé cette demande maladroite. On l’a nommée la princesse des

pauvres. II. L’a.c.o.d. est introduit par une préposition (attribut indirect). La préposition à: On l’a pris à témoin. On l’a pris à partie ((prendre à partie =

s’en prendre à, attaquer (en paroles)). „De plus en plus nerveux, Renée finit par me prendre à partie” (M. Aymé, Belle image; Grev.).

La préposition de: Traiter quelqu’un d’hypocrite, de menteur, de fou. Quali-fier quelqu’un d’artiste dans son métier. Qualifier de victoire une bataille indécise.

Remarque. Qualifier s’emploie souvent sans de, conformément à l’ancien usage, dans la langue du Palais et dans la langue littéraire.

Ex.: „Qualifier le droit crime et le mouvement rébellion, c’est l’immémoriale habileté des tyrans” (V. Hugo, Shakespeare).

La préposition en: À Cana, Jésus a changé l’eau en vin (Grev.). Les alchi-mistes ont essayé de transformer le plomb en or. Ériger une église en cathédrale. Ériger un philosophe en prophète. Transformer un lieu public en hôpital. Se poser en victime, en réformateur.

La préposition pour: Je le donne pour coupable (Acad.). Accepter pour gen-dre un garçon sérieux. „Et comptez-vous pour rien Dieu qui combat pour nous?” (Racine, Athalie; L.B.). „Les enfants doivent avoir pour amis leurs camarades et non pas leurs pères et leurs mères” (Joubert). Je le tiens pour honnête homme.

Remarque. Dans la langue littéraire, tenir employé au sens de considérer, avec attribut du complément d’objet direct est parfois employé directement.

Ex.: „Il pourrait tenir négligeables les fantaisies de l’adversité.” (Duhamel, Deux hommes).

La conjonction comme: Il l’a cité comme témoin. Ma tante employait une décoction de plantes comme panacée. Considérer un gros livre comme un grand

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mal. „Il vit bien que les camarades les considéraient non comme des héros, mais comme des traîtres” (Maurois, Quesnay). Il l’a choisie comme secrétaire.

Remarque. La construction directe de considérer quand ce verbe signifie juger, estimer (Je le considère le meilleur écrivain de son temps) est condamnée par l’Académie (Il faut dire „Je le considère comme le meilleur écrivain de son temps.”). Cependant, selon M. Grevisse (le B.U. éd. 1997, p. 468), la construction directe de considérer „a la caution de plus d’un excellent auteur, surtout quand l’attribut est un adjectif ou un participe” ((ex.: „Celui qui écrit comme il prononce est, en France, considéré inférieur à celui qui écrit comme on ne prononce pas” (Valéry, Regards)).

N.B. Un attribut du sujet (ou de l’objet) construit indirectement peut former un groupe prépositionnel.

Ex.: Il passe pour bon médecin (Acad.). On le prend pour un frère.

Accord de l’attribut du complément d’objet direct I. L’adjectif attribut du complément d’objet direct s’accorde en genre et en

nombre avec le complément d’objet. a) L’adjectif attribut se rapportant à un seul groupe nominal ou pronom

s’accorde en genre et en nombre avec ce groupe nominal ou pronom. Ex.: On nous trouve habiles. Je laisse les fenêtres ouvertes. „Je rendis

publiques ces promesses réciproques” (De Gaulle, Mém.; Grev.). „Sa femme, malade depuis un an, devait partir le lendemain pour une station

de montagne. Il la trouva couchée dans leur chambre comme il lui avait demandé de le faire.” (Camus, La Peste).

b) L’adjectif attribut se référant à plusieurs groupes nominaux unis par la conjonction et s’accorde avec la totalité de ces groupes nominaux:

10. L’adjectif attribut se met au masculin pluriel si les noms sont tous masculins. Ex.: Il a eu son père et son oncle disparus dans une catastrophe aérienne. 20. L’adjectif attribut se met au féminin pluriel si les noms sont tous féminins. Ex.: Il a eu sa grand-mère et sa tante hospitalisées. 30. L’adjectif attribut se met au masculin pluriel si les noms sont de genres

différents. Ex.: Il a eu son frère et sa soeur morts dans un accident de voiture. c) L’adjectif attribut se rapportant à plusieurs groupes nominaux liés au

moyen de la conjonction ou s’accorde avec le dernier groupe nominal. Ex.: Il dit avoir vu le maire ou son adjoint malade. Remarques sur l’adjectif fort L’adjectif fort demeure invariable dans certaines locutions figées où il est

attribut. a) se porter fort pour quelqu’un (= garantir le consentement de quelqu’un

pour quelque chose; se porter garant ou garante pour quelqu’un) Ex.: Elles se sont portées fort pour nous (H.). b) se faire fort de (= s’engager à, se déclarer capable de) Ex.: Elle se fait fort d’obtenir la signature de son mari (Acad.). Elle s’est fait

fort de la convaincre. „Elle se faisait fort de l’éclairer” (Mauriac, Thérèse Desqueyroux; Grev.).

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La locution n’avoir d’égal que La tendance est à l’invariabilité d’égal.

N.B. Lorsque cette locution met en rapport deux noms de genres différents, le plus souvent on accorde l’adjectif égal avec le sujet du verbe avoir.

Ex.: „La clairvoyance de Fouché n’avait d’égale que son sang froid” ((Bardoux, Mme de Custine) L.B.)). Son incompréhension n’a d’égale que son zèle” (A.Rousseau, in le Figaro; Grev.).

Certains auteurs accordent l’adjectif égal avec le complément d’objet direct qui suit que.

Ex.: „Le sérieux de l’événement n’avait d’égale que la forme légère, bénigne qu’il empruntait.” (Jouhandeau, Hommes et mondes; Grev.). „Son talent n’a d’égale que sa modestie” (P.R.).

II. Le nom attribut du complément d’objet direct s’accorde en genre et en nombre avec le groupe nominal ou le pronom auquel il se réfère.

Ex.: Paul considérait Marie comme sa protéctrice. Il la nommait aussi sa bienfaitrice. Les parachutistes se sont rendus maîtres d’une partie du territoire oc-cupé par les forces ennemies. Ils virent l’étang et le ruisseau glacés. Il les considé-rait comme ses amis.

Remarque. Il arrive cependant que certains noms n’aient pas les deux genres ou les deux nombres et qu’on doive observer les exigences du sens. Dans ce cas, il peut arriver que soient mis en relation un complément d’objet avec un nom attribut de genre et (ou) de nombre différent.

Ex.: On appelait Folies-Bergère les délices de Paris. Le pape Jean-Paul II a nommé la Roumanie le jardin de la Sainte Vierge.

La place de l’attribut du complément d’objet direct Les attributs du complément d’objet se placent après le verbe (Les

exceptions, d’ailleurs peu nombreuses à cette règle, seront étudiées plus loin). La place des attributs du complément d’objet par rapport au complément

d’objet direct dépend de la nature grammaticale de ce complément. 10. Lorsque le complément d’objet direct est un pronom personnel ou un

pronom relatif, il précède le verbe et, de ce fait, il est séparé de son attribut. Ex.: Je la croyais intelligente. La jeune fille que je croyais intelligente.

„Les morts ne sont pas morts qu’on croit encore vivants” (Rostand). „Tous ces matériaux qu’on dit ennemis, la brique et l’ardoise, le grès et la pierre tendre” (J.Giraudoux; H.B.).

20. Lorsque le complément d’objet direct est un groupe nominal, l’attribut est placé avant le complément d’objet direct ou après ce dernier:

a) si le complément d’objet direct et l’attribut sont à peu près de la même longueur, on trouve d’habitude l’ordre complément d’objet – attribut.

Ex.: Elle a rendu son mari heureux. b) Si le complément d’objet direct est suivi d’une épithète ou d’un complé-

ment du nom, on place en général, l’attribut avant le complément d’objet direct.

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Ex.: Un manteau de vison, un beau chapeau de velours, une rivière de dia-mants ne font point jolie une femme laide. Au moyen d’une pierre précieuse, le prince charmant a rendu inefficaces les sortilèges de la sorcière.

LES COMPLÉMENTS CIRCONSTANCIELS

Les compléments circonstanciels expriment les circonstances dans lesquelles se déroulent le procès marqué par le verbe (on peut dire aussi que les compléments circonstanciels indiquent les circonstances dans lesquelles une action a été réali-sée). Les compléments circonstanciels sont des circonstants: „On donne le nom de circonstant à tout élément exerçant dans la phrase une fonction circonstancielle quelle qu’en soit la manifestation: adverbe simple ou composé (locution adver-biale), syntagme prépositionnel et dans certains cas non prépositionnels, proposi-tion subordonnée” (M.Arrivé et alii, la Grammaire d’aujourd’hui, Paris, Flam-marion, 1986).

Les compléments circonstanciels sont de sens très variés; ils peuvent expri-mer le temps, le lieu, la manière, le but, la cause, la conséquence, l’opposition, la supposition, le moyen, le prix, le poids, la matière, etc.

Les compléments circonstanciels peuvent être distingués des deux autres constituants importants de la phrase (le groupe nominal sujet et le groupe verbal) par certains traits caractéristiques.

1. Les compléments circonstanciels peuvent être souvent supprimés sans que le sens de la phrase soit affecté d’une manière notable.

Ex.: „Tous deux (= Antoine et Cléopâtre) ils regardaient (de la haute ter-rasse), l’Egypte s’endormir sous un ciel étouffant” (J.M. de Heredia).

2. Les compléments circonstanciels gardent dans la phrase une assez grande indépendance. Leur place dans l’énoncé est souvent dictée par des raisons psycho-logiques ou esthétiques. Ils peuvent souvent être déplacés sans que le sens de la phrase soit sensiblement changé.

Ex.: (Pendant l’hiver), l’ours, la marmotte et le raton abaissent leur tempé-rature. J’ai lu (dans ce livre) des pages très belles.

3. Le nombre des compléments circonstanciels peut être augmenté ou diminué. Ex.: À midi, à la lisière de la forêt, devant la porte de la maison, un jeune

homme cassait du bois, à coups de hache, sur une pierre. Les compléments circonstanciels sont des compléments de la phrase; ils ne

font pas partie, en général, de la phrase minimale, mais ils dépendent de l’ensemble formé par le groupe nominal sujet et le groupe verbal.

Remarques. I. Il est possible que, parfois, les compléments circonstanciels ne puissent être ni déplacés ni supprimés. Dans ce cas, on considère qu’ils font partie du groupe verbal et qu’ils subsistent dans la phrase minimale.

Ex.: Le petit Pierre se rend à l’école. L’usage ne permet de dire À l’école, le petit Pierre se rend.

On ne peut pas supprimer le complément circonstanciel à l’école car la phrase n’aurait plus aucun sens (* Le petit Pierre se rend).

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Les compléments circonstanciels sont nommés essentiels lorsque leur absence ne permet pas la constitution du groupe prédicatif.

Ex.: Le petit Pierre va à l’école (* Le petit Pierre va ….). II. Il y a des cas où le complément circonstanciel pourrait être supprimé, mais

il ne pourrait pas être déplacé n’importe où dans la phrase. Ex.: Il a pu revenir à son lieu de travail après avoir reçu des soins à la

polyclinique. On peut dire: 1. Il a pu revenir à son lieu de travail après avoir reçu des soins. 2. Il a pu revenir à son lieu de travail après avoir, à la polyclinique, reçu

des soins. L’usage ne permet pas de dire: * À la polyclinique, il a pu revenir à son lieu de travail après avoir reçu

des soins. Les principaux types de réalisateurs des structures qui exercent dans la

phrase une fonction circonstancielle 1. Le groupe nominal de construction directe Ex.: Il habite rue de Richelieu. 2. Le pronom adverbial en Ex.: – Venez-vous de Nice? – J’en viens (en marque le lieu). Il rougit de

honte. Il en rougit (en marque la cause). 3. Le pronom adverbial y Ex.: – Vas-tu à l’aéroport? J’y vais (y = là-bas). 4. Le groupe prépositionnel Ex.: L’avion vola au ras du sol avant de prendre de l’altitude. Avec tant de

qualités, il n’a pas réussi. 5. L’adverbe Ex.: Alors, elle éclata de rire, les deux mains pressées sur la gorge. La

locomotive a violemment heurté une voiture à un passage à niveau. 6. La locution adverbiale Ex.: „Il lui parut tout-à-coup que l’île, ses rochers, ses forêts n’étaient que la

paupière et le sourcil d’un oeil immense, bleu et humide, scrutant les profondeurs du ciel” (Tournier, Vendredi). À présent, Hélène va mieux.

7. Le participe passé de forme simple Ex.: „Rentré chez lui, Rieux téléphona au dépôt de produits pharmaceu-

tiques” (Camus, La Peste). 8. Le participe passé de forme composée Ex.: „Ayant fait le plein à la station-service de Joigny, il reprit sa vitesse de

croisière…” (Tournier, L’aire du Muguet). 9. Le participe présent Ex.: „Et continuant d’y penser, le docteur trouvait à l’employé un air de petit

mystère” (Camus, La Peste). 10. Le gérondif Ex.: En attendant de passer à table voulez-vous prendre un verre de vin? 11. Une construction infinitive Ex.: „Pour être fée, on n’en est pas moins femme” (M.Aymé, Au clair de la lune).

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12. Une proposition à verbe fini Ex.: „Le concierge était resté quelque temps sur le pas de la porte, tenant les

rats par les pattes, en attendant que les coupables voulussent bien se trahir par quelque sarcasme” (Camus, La Peste).

Distinctions sémantiques concernant les compléments circonstanciels La tradition grammaticale distingue un grand nombre de compléments cir-

constanciels. La Grammaire d’aujourd’hui de P.Cayrou et alii, souligne que les compléments circonstanciels peuvent se répartir en trois groupes suivant qu’ils expriment l’origine, le moyen ou la destination. Selon P.Cayrou, au groupe des compléments circonstanciels d’origine appartiennent les compléments exprimant:

a) la provenance (descendre d’un héros); b) la matière (cette alliance est en or); c) l’éloignement (détourner du droit chemin). Au groupe des compléments circonstanciels de moyen appartiennent les com-

pléments exprimant: a) l’instrument (se défendre avec une épée); b) le prix (cette voiture a coûté

quinze mille francs); c) la cause (il est mort d’un cancer); d) le point de vue (égaler en beauté); e) la manière (il a eu des malheurs en cascade; il riait en cascade); f) l’accompagnement (il a escaladé une paroi rocheuse avec un groupe d’alpinistes).

Au groupe des compléments de destination appartiennent les compléments exprimant: a) l’attribution (il a cédé ses biens à l’État); b) l’intérêt (se sacrifier pour ses enfants); le but (écrire pour la postérité).

À ces compléments, on doit ajouter les compléments circonstanciels de temps et de lieu.

Ex.: J’irai dans une semaine à Paris. Le Bon Usage de Maurice Grevisse jusqu’à la XIIe édition de 1988 dénom-

brait 32 compléments circonstanciels. La XIIIe édition (tirage de 1997) limite ces com-pléments au nombre de huit. Il s’agit de compléments circonstanciels qui marquent:

a) le temps: Il rentra à midi (Quand?); b) le lieu: La fusée est dans l’orbite de la lune et tourne maintenant autour (Où?); c) la manière: La voiture roule à toute vitesse (Comment?); d) la mesure: Racourcir les manches d’un veston de deux centimètres; e) l’opposition, la concession: Il est sorti malgré la pluie; f) le but: J’ai fait cela pour lui être agréable. Il agit pour son propre bien; g) la cause: Il a agi par intérêt ((par avarice, par peur, par jalousie); pourquoi?

Pour quelle raison?)); h) la condition: Il n’accepterait pas à moins d’une augmentation. Je ne lui

pardonnerais pas à moins d’une rétractation publique.

La construction des compléments circonstanciels Les compléments circonstanciels peuvent être construits soit indirectement

soit directement. La construction indirecte

Un grand nombre de prépositions ou de locutions prépositives introduisent les compléments circonstanciels (à, après, avant, dans, de, depuis, durant, en, entre, par, pendant, sous, sur, vers, à longueur de, à la suite de, à partir de, à compter de, à

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dater de, à l’occasion de, au cours de, au long de, dès avant, jusqu’à, jusqu’au, lors de, etc.).

N.B. Ces prépositions et ces locutions prépositives introduisent un complément de temps (voir I.Murăreţ, La phrase complexe. Les principaux circonstants, Bucureşti, Editura Fundaţiei România de Mâine, 1999).

Ex.: L’avion décolla à midi. Il prend du café après le repas. Elle partit avant la fin de la réunion. Il sera de retour dans dix jours. Ce château date de la Renaissance. Il est parti depuis midi. Il sera mis au courant dès son arrivée. Ils se battirent comme des lions durant trois heures. La réunion eut lieu en novembre. Nous passerons chez vous entre 10 et 11 heures. Nous avons visité la Côte d’Azur, par une belle après-midi d’été. Il est capable de fixer son attention pendant huit ou dix heures de suite. „Versailles, alors petite maison de chasse, achetée par Louis XIII vingt mille écus est devenue, sous Louis XIV un des plus grands palais d’Europe” (Voltaire). Ils sont partis sur les onze heures. Il arrivera vers midi. Il écrit des romans à longueur d’année. Un vote eut lieu à la suite de ce débat. Le nouveau service fonctionnera à compter de lundi, etc.

La construction directe des compléments circonstanciels Sont construits directement: 10. Des compléments formés de noms exprimant le temps. Ex.: Dimanche dernier, il mourait subitement; l’avant-veille, vendredi, il nous

avait paru en parfaite santé. „Un soir, t’en souvient-t-il? Nous voguions en silence” (Lamartine, Le lac). Elle sera de retour la semaine prochaine.

20. Des compléments formés de noms marquant le lieu. Ex.: Il habite rue Victor Hugo. La Bibliothèque Nationale se trouve rue de

Richelieu. „Nous sommes établis depuis douze années, passage de Bérésina” (L. -F., Céline; H.B.). Les Éditions Larousse se trouvent 17, rue du Montparnasse. Il l’a rencontrée boulevard Saint-Michel. Il habite avenue Parmentier. Ce grand magasin est situé avenue de l’Opéra.

30. Des compléments de mesure. Ex.: Cette rue mesure trois cents mètres. Ce gratte-ciel mesure cent cinquante

mètres de hauteur. Ce flacon mesure deux litres. Ce camion pèse trois tonnes. Ce collier coûte cinq mille francs.

40. Des constructions infinitives exprimant le but. Après les verbes de mouvement employés dans leur sens propre, tels que

partir, venir, aller, conduire, mener, envoyer, sortir, l’infinitif sans préposition ni conjonction suffit à marquer le terme du mouvement, c’est-à-dire la finalité de l’action.

Ex.: Il alla chercher des allumettes. Il est venu me saluer. Elle vient prendre son courrier. „Il la conduisit à Rouen, voir son ancien maître” (Flaubert, Madame Bovary). J’ai envoyé les enfants jouer dehors.

50. La plupart des adverbes qui constituent un complément circonstanciel. Ex.: „Aucune branche de verdure au-dessus de leur tête, ni alentour, rien que

le ciel immense” (P. Loti, Pêcheur d’Islande). Les plus jeunes marchent en tête, les autres viennent après. „C’est une baguette de fée; conséquemment la dame qui la tient est une fée” (A. France, Le crime de Sylvestre Bonnard).

Place du complément circonstanciel

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Dans l’ordre canonique de la phrase, le complément circonstanciel se trouve placé après la structure sujet + verbe + complément d’objet ou sujet + verbe copule + attribut.

Ex.: Il a glissé la lettre sous le paillasson. Il a mis un tabouret sous ses pieds. Ils ont construit un pont sur pilotis. La mer est très bleue à midi.

La place du complément circonstanciel indiquée ci-dessus n’est pas toujours obligatoire surtout lorsque le complément circonstanciel pourrait être supprimé (lorsqu’il n’entre pas dans la formation du groupe verbal).

1. Le complément circonstanciel peut se trouver en tête de la phrase ou de la proposition.

Ex.: Alors ils le reconnurent pour chef. Avant-hier soir nous sommes allés à un spectacle de variétés. „Entre-temps il m’était arrivé plus d’une fois d’asseoir Gertrude devant le petit harmonium de notre chapelle” (Gide, Symphonie pastorale). Jusqu’à dix ans, il fut élevé par ses grands-parents. „Le matin du 16 avril, le docteur Bernard Rieux sortit de son cabinet et buta sur un rat mort, au milieu du palier” (Camus, La Peste). „Dans un palais, soie et or, dans Écbatane,/ De beaux démons, des satans adolescents,/ Au son d’une musique mahométane,/ Font litière aux Sept Péchés de leurs cinq sens” (Verlaine, Crimen Amoris).

2. Le complément circonstanciel peut être placé entre le sujet et le verbe. Ex.: Hélène, pendant ce temps, fit sortir la voiture du garage. 3. Le complément circonstanciel peut se trouver entre l’auxiliaire et le

participe passé. Ex.: Je lui ai souvent écrit à Paris, ces derniers mois. „…. Mais le songeur

aime ce paysage/ Dont la claire douceur a soudain caressé/ Son rêve de bonheur adorable, et bercé/ Le souvenir charmant de cette jeune fille…” (Verlaine, La Bonne Chanson I).

LES TYPES DE PHRASE

Les types de phrase ont à leur base certains actes de langage. Chacun de ces actes est relié à une structure de phrase au moyen de laquelle il est exprimé. Il y a trois actes de langage qui se trouvent à la base des principaux types de phrase. Ces actes de langage sont l’action d’asserter (ou de constater), l’action de questionner et l’action d’ordonner.

Les types de phrase peuvent être divisés en types de phrase obligatoires et en types de phrase facultatifs. Les types de phrase obligatoires sont constitués par les types assertif, interrogatif et impératif (injonctif). Associés à un acte de langage bien déterminé, ils sont caracterisés par des structures syntaxiques et morpholo-giques caractéristiques. Dans le code oral, ces types de phrases possèdent chacun une courbe mélodique spécifique. Aucune phrase faisant partie du type obligatoire ne peut être combinée avec une autre phrase du même type (les types obligatoires ne peuvent pas être combinés entre eux).

Certains grammairiens ont ajouté à ces types de phrases, le type de phrase exclamatif. Il y a cependant d’autres grammairiens qui considèrent que la phrase exclamative fait plutôt partie des types de phrases facultatifs. Cette opinion est

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fondée sur l’argument suivant: la phrase exclamative ne correspond pas à un acte de langage bien déterminé (l’expression de la subjectivité au moyen de l’excla-mation ne constitue pas un acte de langage proprement dit). „Par l’exclamation, dit Riegel, le locuteur apporte une information supplémentaire, son sentiment à l’égard de ce qu’il dit. De ce point de vue, l’exclamation vient plutôt se surajouter à l’un des trois types obligatoires, auquel elle apporte sa coloration subjective.” (Gram-maire méthodique, p. 210).

Les types facultatifs de phrase possèdent eux aussi une structure syntaxique spécifique, mais à la différence des types obligatoires de phrase, ils n’ont pas d’intonation propre, le type de phrase exclamatif excepté.

Les types de phrase facultatifs sont les suivants: le type exclamatif, le type négatif, le type passif, le type emphatique, le type impersonnel. Les types de phrase facultatifs sont combinables entre eux.

Les phrases interrogatives On distingue deux catégories de phrases interrogatives: les phrases inter-

rogatives directes et les phrases interrogatives indirectes.

Les phrases interrogatives directes La phrase de modalité interrogative sert à poser une question. Celle-ci peut

porter soit sur l’ensemble de l’énoncé et on l’appelle alors interrogation totale, soit sur un des termes de l’énoncé, sur l’un des constituants, et on l’appelle interroga-tion partielle.

L’interrogation totale Lorsque la question porte sur l’ensemble de l’énoncé, et c’est le cas de

l’interrogation totale, l’interlocuteur est contraint à répondre par oui ou par non sur l’ensemble de l’énoncé interrogatif.

L’interrogation totale n’apporte pas d’information nouvelle, elle demande seulement de confirmer ou d’infirmer le contenu d’un message. En pratiquant une interrogation totale, on attend une réponse par oui, si, non, peut-être.

L’interrogation par intonation L’interrogation totale peut s’exprimer au moyen d’une structure morpho-

syntaxique semblable à celle de l’assertion, mais marquée, dans le code oral, par une ligne mélodique ascendante, interrogative (intonation montante). Dans le code écrit, on emploie un point d’interrogation.

Ex.: Tu pars? Tu viens? Marie est là? On prononce sur une note plus haute la dernière syllabe tonique du mot qui

termine une interrogation totale. 4 ma? 3 Ils vont au ciné 2 1 Autres exemples:

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Viendrez-vous demain? Avez-vous vu votre ami? Il est parti hier soir? Remarques. 1. On répond oui si la question est affirmative: – Tu viens? –

Oui. On répond si lorsque la question est négative. Tu ne viens pas? – Si.

L’interrogation par inversion L’inversion pronominale n’est possible, en général qu’en interrogation

directe qu’elle soit partielle ou totale. L’interrogation totale peut s’exprimer au moyen d’une inversion simple du

pronom personnel: Les pronoms personnels conjoints ou le pronom indéfini on, ou le pronom démonstratif neutre ce, en fonction de sujets, sont placés après le verbe. Il faut souligner que le pronom conjoint je, étant donné sa faible accentuation, ne peut être inversé que lorsqu’il est employé avec des verbes très courts et consacrés par l’usage dans ces espèces de structures interrogatives.

À l’indicatif présent, au futur, et au conditionnel présent, l’inversion de je n’est possible qu’après des formes verbales telles que ai (ai-je), dis (dis-je), dois (dois-je), fais (fais-je), puis (puis-je), sais (sais-je), suis (suis-je), vais (vais-je), vois (vois-je), dirai (dirai-je), irai (irai-je), pourrais (pourrais-je), etc.

Ex.: Ai-je tort d’avoir confiance en lui? Puis-je entrer, monsieur? Suis-je belle? Pourrais-je supporter un tel malheur? Pourrais-je parler à Jean?

Dans certaines structures où le sujet je est placé après le verbe et quand ce dernier à la 1re personne du singulier est terminé par un e caduc, on remplace cet e caduc par un é fermé (ce phonème se prononce cependant comme un è ouvert).

Ex.: Acheté-je quelque chose dans ce grand magasin? Si les pronoms il, elle ou on se trouvent placés après le verbe, on intercale un

t écrit entre traits d’union, entre les verbes terminés par e, a ou c et les pronoms sujets mentionnés plus haut.

Ex.: Aime-t-on cet écrivain? Viendra-t-il? Partira-t-il pour Paris? Convainc-t-elle facilement ses petits élèves à faire leurs devoirs?

Les pronoms personnels inversés sont placés entre l’auxiliaire et le participe passé lorsque les formes verbales sont à un temps composé.

Ex.: Sont-ils arrivés à temps? Sont-ils partis pour Londres? Avez-vous reçu de ses nouvelles?

L’inversion complexe Quand le sujet est un nom ou un pronom possessif, démonstratif (sauf ce) ou

indéfini (sauf on), il conserve sa place devant le verbe et on le reprend après ce dernier au moyen d’un pronom personnel. Cette construction est appelée inversion complexe ou composée.

Ex.: Tes parents se portent-ils bien? Ses amis viennent-ils le voir? Les nôtres tiennent-ils bon? Une marine ne s’improvise pas; la leur est-elle ruinée par l’anar-chie? Cela est-il possible? Quelqu’un interviendra-t-il? „Cela vous ennuierait-il que

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nous nous tutoyions?” (Proust, À l’ombre des jeunes filles…). La peur se corrige-t-elle? Votre soeur part-elle?

Dans l’inversion complexe, lorsque la forme verbale est composée, le pro-nom personnel se place entre l’auxiliaire et le participe.

Ex.: Pierre avait-il succombé à un excès de fatigue et d’angoisse?

L’interrogation par est-ce que L’interrogation totale peut s’exprimer au moyen de la locution interrogative

est-ce que (une périphrase grammaticalisée). Dans ce cas, il n’y a ni inversion de sujet ni rappel du sujet par un pronom.

Ex.: Est-ce que tu reviendras bientôt? Est-ce que tu pars? Est-ce que tu sais l’anglais? Est-ce qu’on s’en souvient? Est-ce que vous viendrez demain avec les enfants? N’est-ce pas qu’il aurait eu de la chance? N’est-ce pas qu’il n’aurait pas eu envie d’y revenir?

N.B. La locution interrogative est-ce que peut être coupée en est-ce et que par un adverbe (il s’agit d’une sorte de tmèse).

Ex.: Est-ce vraiment que vous voulez y aller? Est-ce longtemps que vous serez absent?

L’interrogation qui fait appel à est-ce que présente l’avantage de conserver l’ordre des mots de la phrase déclarative. De plus, par l’emploi de la formule est-ce que, on fait mieux ressortir le caractère interrogatif de la phrase. En disant Est-ce que Marie arrivera demain? on ne touche pas à la phrase noyau1 Marie arrivera. La formule est-ce que maintient d’une part l’ordre direct des mots dans la phrase et d’autre part, elle avertit tout de suite que l’on a affaire à une interrogation.

La périphrase interrogative est-ce que peut exprimer, en général, une nuance affective.

Est-ce que peut marquer: a) la timidité. Ex.: „Est-ce qu’un écrivain du nom de Bergotte était à ce dîner,

Monsieur? demandais-je timidement” (Proust, À l’ombre des jeunnes filles….). b) la politesse. Ex.: Est-ce que monsieur le directeur veut que je lui apporte le

courrier? (dit une sécrétaire). c) l’émotion. Ex.: Qu’est-ce que cela veut dire? Qu’est-ce qu’il y a? d) l’anxiété. Ex.: Est-ce que vous ne pourriez pas rattraper ce voleur?

Interrogation par exposants L’interrogation peut avoir lieu au moyen de formules figées, placées après la

phrase sur laquelle porte la question dans son ensemble, ou après une partie seulement de cette phrase.

Ces formes de soutien de l’interrogation sont, en général, du type suivant: – tu sais? vous savez? vous croyez? sais-tu? savez-vous? ne croyez-vous pas?

ne pensez-vous pas? n’est-ce pas? – des indices négatifs (non? pas vrai?) rejetés en fin de phrase. – des particules interrogatives: vrai? dis? hein? au moins?

1 La phrase noyau est une phrase déclarative active, transitive réduite à ses constitu-

ants fondamentaux: GN + GV.

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N.B. Les exposants interrogatifs appartiennent surtout à la langue familière. Exemples: „Monsieur, il y avait tant de ferraille dans l’air, savez-vous? qu’une

mouche aurait-été infailliblement écrasée entre deux boulets, si elle eût osé traverser le village, savez-vous?” (Gozlan, Waterloo; P.R.). Vous ne croyez pas que je vais céder, non?

L’interrogation partielle Souvent, l’interrogation ne porte que sur une partie de la phrase, en général

sur le morphème interrogatif placé en tête de l’énoncé. Dans l’interrogation partielle, c’est le mot interrogatif qui marque le sommet de montée de la voix dans la courbe intonatoire. Cette courbe monte, ensuite descend. Dans les phrases qui contiennent une interrogation partielle, on est souvent en présence d’un cumul de procédés interrogatifs: a) intonation montante sur le morphème interrogatif; b) un morphème introducteur interrogatif; c) une inversion simple ou complexe; d) une périphrase interrogative.

L’ordre normal des termes de la phrase reste inchangé (l’inversion n’a pas lieu) si le morphème interrogatif remplit la fonction de sujet.

Le pronom interrogatif qui en fonction de sujet (qui interrogatif est employé en français contemporain en parlant seulement

de personnes) Ex.: Qui est là? Qui te l’a dit? Qui chante dans le jardin? Qui vive? „Et si je

vous le disais, pourtant, que je vous aime?/ Qui sait, brune aux yeux bleus, ce que vous en diriez?” (Musset, À Ninon; P.R.). Qui donc pourrait réaliser ce projet? „Qui oserait assigner à l’art la fonction stérile d’imiter la nature?” (Baudelaire; Dj.).

Si la question porte sur une personne, sujet du verbe, on peut employer qui-est-ce qui? Cette forme est un pronom interrogatif composé (renforcé).

Ex.: Qui est-ce qui parle? Qui est-ce qui est sorti? Qui est-ce qui t’a dit qu’il viendrait? Qui est-ce qui me raccompagne chez moi?

Si la question porte sur une chose, sujet du verbe, on emploie le pronom interrogatif que qui est du neutre singulier; il est sujet réel dans des tours impersonnels ou devant quelques verbes impersonnels.

Ex.: Que se passe-t-il? Que s’est-il passé? Que fait-il? Qu’y a-t-il? Que manque-t-il donc à ce peuple? (Duhamel). Que vous importe?

Lorsque la question porte sur une chose, sujet du verbe, on peut employer le pronom interrogatif composé qu’est-ce qui?

Ex.: Qu’est-ce qui te prend? Qu’est-ce qui manque? Qu’est-ce qui sent si bon?

Le pronom interrogatif quoi remplissant la fonction de sujet Ex.: Quoi donc me retient auprès de cette jeune fille? Quoi donc me fait

désirer souvent sa présence?

Le pronom relatif lequel ayant la fonction de sujet Lequel, pronom interrogatif composé implique un choix entre des personnes

ou des choses. Il est en relation étroite avec une personne ou une chose énoncée dans la phrase précédente ou dans celle qu’il introduit (lequel représente des personnes ou des choses qui viennent d’être ou vont être nommées).

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Ex.: Lequel des deux gagnera? „Lequel d’entre ceux que nous honorons com-me nos pères dans la foi n’a été traité de visionnaire?” (Bernanos, Sous le soleil ….). . „Cette circonstance assurait …. un déshonneur éternel. Laquelle des femmes venant chez sa mère eût osé prendre son parti?” (Stendhal, Le rouge et le noir; P.R.). J’hésite entre ces cravates; laquelle convient le mieux? De ces deux colliers lequel vous plairait le plus? Laquelle des deux hypothèses est la vraie?

Questions portant sur l’attribut 1. Le pronom interrogatif qui en fonction d’attribut en parlant de personnes.

Dans ce cas, on pratique l’inversion du sujet. Ex.: Qui es-tu? Qui êtes-vous? Qui sont ces généraux? „Eva qui donc es-tu?

Sais-tu bien ta nature?” (Vigny, Maison du berger). Qui sommes-nous? Remarques. I. Lorsqu’on interroge sur une personne, qui est en concurrence

avec quel; quand on interroge sur une chose quel est seul possible. Ex.: 10) Qui est cette dame? (ou Quelle est cette dame?). Qui sont ces

personnes? (Quelles sont ces personnes?). 20) Quel est le livre que vous préférez? (On ne peut pas dire Qui est le livre

que….). II. On emploie généralement quel au lieu de qui dans le cas où le sujet est

suivi du relatif qui. Ex.: Quel est celui qui gagnera ce concours? III. Qui peut s’employer en fonction d’attribut d’un sujet pluriel ou féminin. Ex.: Qui sont ces étudiants? Qui étaient ces jeunes filles? IV. Lorsque le sujet du verbe est un pronom personnel et qu’on interroge sur

la personne, on doit employer qui (On ne doit plus dire comme l’a dit A.Chénier: „Dieu taureau, quel es-tu?” (L’enlèvement d’Europe); H.).

2. Le pronom interrogatif que en fonction d’attribut (on emploie l’inversion du sujet).

Ex.: „Que devient la marquise d’Arpajon?” (Proust, Du côté de chez Swann). „Que vous est-il, celui-là?” (A. Maurois, Cercle; L.B.). Que deviens-tu? Que serai-je dans dix ans?

La question portant sur l’attribut peut être réalisée par qu’est-ce que? ou qu’est-ce que c’est que?

Ex.: „Mais pourquoi faire tant d’histoires avec Oriane? En somme qu’est-ce qu’Oriane?” (Proust, À la recherche ….). Qu’est-ce qu’ils deviennent? „Qu’est-ce que vous seriez devenu, gaspilleur comme vous êtes?” (Proust, À la recherche ….).

Le prononm interrogatif quoi en fonction d’attribut Ex.: Il sera quoi? Il deviendra quoi?

Lequel peut être employé dans une question portant sur l’attribut. Ex.: Lequel es-tu? Lesquels êtes-vous?

Questions portant sur l’objet direct Le pronom interrogatif qui L’interrogation sur la personne, au singulier ou au pluriel, au masculin ou au

féminin se fait uniformément au moyen de qui lorsque la question porte sur le complément d’objet direct (On pratique l’inversion du sujet).

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Ex.: Qui attendez-vous? Qui as-tu vu? Qui voulez-vous que je rencontre? Qui aimes-tu? Qui choisira-t-on? Qui épouse-t-il donc?

Remarque. Parfois, en français familier, l’élément interrogatif est rejeté en fin de phrase.

Ex.: Ton frère a appelé qui? Tu as vu qui?

Qui et l’inversion complexe Lorsque, après qui interrogatif ayant la fonction de complément d’objet

direct, le sujet de la phrase est réalisé par un groupe nominal, ce dernier est repris après le verbe par un pronom personnel atone. On emploie, dans ce cas, l’inversion complexe.

Ex.: Qui ton collègue a-t-il invité à son anniversaire? Qui votre ami a-t-il rencontré? Qui les Dupont ont-ils rencontré? Qui Jean a-t-il vu au théâtre?

Remarque. Le pronom interrogatif composé (renforcé) qui est-ce que peut être employé dans les questions portant sur le complément d’objet direct.

Ex.: Qui est-ce que tu interroges? Qui est-ce que tu as invité? Qui est-ce que ton frère a appelé?

Le pronom interrogatif que en fonction d’objet direct

Le pronom interrogatif neutre que désigne une chose. Ex.: Que faisiez-vous au temps chaud? Que me veut-on? Qu’en dites-vous?

Qu’en dira-t-on? Que veux-tu? Remarque. Le pronom interrogatif neutre composé (renforcé) qu’est-ce que

en fonction de c.o.d. peut être employé lorsqu’il s’agit de choses. Ex.: Qu’est-ce que tu fais? Qu’est-ce que tu veux? Qu’est-ce que vous avez?

Qu’est-ce que vous leur reprochez? Qu’est-ce qu’il vous a fait? Qu’est-ce que (c’est que) ce paquet?

Le pronom interrogatif quoi, en fonction d’objet direct a) quoi employé après un verbe à un mode personnel Ex.: Il t’a dit quoi donc, mon fils? Devinez quoi? Vous disiez quoi? b) le pronom interrogatif quoi employé avant ou après un infinitif. Ex.: Quoi faire? Regretter quoi?

La question porte sur le groupe prépositionnel Les morphèmes interrogatifs qui, quoi, lequel, etc. peuvent être employés

avec des prépositions; ces formes sont utilisées pour poser des questions portant sur le complément d’objet indirect ou sur les circonstants.

Dans ce cas, on constate: A) l’existence d’une inversion simple: le pronom personnel sujet est rejeté

après le verbe.

Le pronom interrogatif qui Ex.: À qui parlez-vous? À qui souriez-vous? À qui penses-tu? À qui croyez-

vous parler? De qui parlez-vous? De qui te moques-tu? De qui doutes-tu? Sur qui voulez-vous qu’il s’appuie dans son malheur?

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Le pronom interrogatif quoi Ex.: À quoi renonces-tu? À quoi sert-il d’être libre de parler et d’écrire si l’on

n’a rien de vrai à dire? De quoi t’occupes-tu? De quoi parliez-vous? À quoi pensait-elle? À quoi cela sert-il? En quoi cela peut-il vous intéresser? Sur quoi comptez-vous?

Le pronom interrogatif lequel Ex.: Duquel de tes voisins te méfies-tu? Auquel vous intéressez-vous?

Duquel de ces auteurs avez-vous lu les oeuvres? Nous avons devant nous deux programmes. Par lequel commencerons-nous?

Remarque. En français familier, on peut dire On parle duquel maintenant? Duquel (est-ce qu’) on parle maintenant?

B) L’emploi de l’inversion complexe L’inversion complexe est obligatoire lorsque le groupe verbal contient un

groupe nominal objet. Ex.: À qui ton frère a-t-il offert des cadeaux? C) la présence de périphrases interrogatives Ex.: À qui est-ce que tu obéis? De qui est-ce que tu doutes? Avec qui est-ce

que tu partiras pour Paris? À quoi est-ce que vous pensez?

L’interrogation portant sur les circonstants L’interrogation sur les circonstants est exprimée au moyen des adverbes

interrogatifs quand, où, comment, pourquoi. Ces adverbes marquent chacun l’une des circonstances de l’action, c’est-à-dire le temps, le lieu, la manière, la cause. À ces adverbes, on doit ajouter combien qui est employé lorsqu’on veut interroger sur le nombre.

L’inversion simple est obligatoire dans la langue littéraire, dans le style sou-tenu, après ces adverbes quand le sujet est un pronom personnel.

Ex.: Quand viendrez-vous? Quand pourrais-je vous voir? Quand aurez-vous fini de conter votre histoire? „Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village/ Fumer la cheminée…?” (Du Bellay, Regrets). Où vas-tu? Où le conduisez-vous? Où allaient-ils? Où est-il? Où pensez-vous aller? „Où prends-tu cette audace et ce nouvel orgueil,/ De paraître en des lieux que tu remplis de deuil ?” (Corneille, Cid, III, 1). Comment faites-vous? Comment vous appelez-vous? Comment a-t-il fait? Il y a longtemps que vous êtes ici? Comment ne vous ai-je pas entendu plus tôt? Comment vous portez-vous? Comment vous êtes-vous avisé de venir ici? Pourquoi faites-vous ces préparatifs? Pourquoi a-t-il dit cela? Pourquoi rit-il? Combien d’enfants avez-vous? (combien est employé devant un nom et il est suivi de la préposition de). Combien coûte cette bague de fiançailles?

Remarques. 1. En français familier on peut dire : Vous partez quand? Quand vous partez? Vous allez où? Tu t’appelles comment? Comment vous vous appellez? Combien d’enfants tu as? Tu as combien d’enfants? Tu fais ça pourquoi? Pourquoi tu fais ça? Quand je pourrais te voir? Je pourrais te voir quand?

2. En français familier, on peut dire aussi, en employant est-ce que: Où est-ce que vous allez? Comment est-ce que vous vous appelez? Combien

de voitures est-ce qu’ils ont? Pourquoi est-ce que vous faites ça? Quand est-ce que nous partons? Quand est-ce que je pourrais te voir?

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Lorsque la phrase interrogative contient les mots interrogatifs où, comment, combien, pourquoi, quand et que le sujet du verbe n’est pas un pronom, mais un groupe nominal, on peut se trouver en présence de trois cas:

1. L’ordre des termes est groupe nominal + groupe verbal. On dit en français familier: Les événements se sont passés comment? ou

Comment est-ce que les événements se sont passés? Les touristes arriveront quand? Quand est-ce que les touristes arriveront?, etc.

2. L’ordre des termes est groupe verbal + groupe nominal. On dit en français familier: Comment se sont passés les événements? Quand

décolle l’avion? Combien coûte cette montre? Où va ce groupe de touristes? 3. L’ordre des termes est groupe nominal sujet + verbe + pronom

personnel (il, ils, ou elle, elles) qui reprend le groupe nominal sujet (inversion complexe ou composée).

On dit dans la langue soutenue: Comment les événements se sont-ils passés? „Comment l’historien juge-t-il qu’un fait est notable ou non? Il en juge arbitraire-ment selon son goût et son caprice, à son idée, en artiste enfin!” (A.France, Crime de Sylvestre Bonnard). „Avec cette blessure au coeur, comment le gouvernement du roi Louis-Philippe, fit-il face aux difficultés nombreuses qui l’assaillirent dès les premiers jours?” (Renan, Philosophie de l’hist. contemp.). Où ce chemin conduit-il? Où la vertu va-t-elle se nicher? Combien cette voiture coûte-t-elle? Quand Henri arrivera-t-il à Nice? Combien ce tableau de Matisse coûte-t-il?

Remarque. L’interrogation complexe est obligatoire: a) Lorsque le groupe verbal est constitué d’un verbe suivi d’un complément

d’objet direct. Ex.: Quand Flaubert écrivit-il Madame Bovary? Quand le ministre annonça-t-il

sa démission? b) Quand un GV contient un attribut du sujet. Ex.: Quand cet homme deviendra-t-il sage? Quand Eugène Ionesco a-t-il été

élu académicien? c) Lorsque la phrase est introduite par l’adverbe interrogatif pourquoi. Ex.: Pourquoi ce médicament fait-il dormir? „Pourquoi mon coeur bat-il si

vite? …./ Pourquoi ma lampe à demi morte/ M’éblouit-t’elle de clarté?” (Musset, Nuit de mai).

Les interrogations réalisées au moyen des déterminants interrogatifs La question porte sur le nom déterminé par le déterminant interrrogatif. I. Quel (quelle; quels, quelles) remplit la fonction d’épithète. Ex.: Quel âge a-t-elle? „Pour travailler, pour faire sereinement une oeuvre,

une grande oeuvre, il faudrait ne voir personne, ne s'intéresser à personne. Mais alors, quelle raison aurait-on de faire une oeuvre?” (Duhamel, Pasquier). „Quelle bête faut-il adorer? Quelle sainte image attaque-t-on? Quels coeurs briserai-je? Quel mensonge dois-je tenir?” (Rimbaud, Saison en enfer).

II. Quel (quelle; quels, quelles) remplit la fonction d’attribut. Dans ce cas, il est séparé du nom par le verbe être. Le déterminant interrogatif peut servir à inter-roger sur:

a) la qualité Ex.: „Il pleure dans mon coeur/ Comme il pleut sur la ville. Quelle est cette

langueur/ Qui pénètre mon coeur ?” (Verlaine, Ariettes oubliées).

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b) l’identité Ex.: Quel est donc cet orateur distingué qui a pris la parole à ce congrès?

Quelle est l’ombre qui rend plus sombre encor mon antre? (Heredia). c) la mesure Ex.: Quelle est la hauteur de la Tour Eiffel? d) la manière d’être, etc. Ex.: „Quels sommes-nous, nous autres d’aujourd’hui qui renonçons, sans

même en avoir conscience, à nommer la vertu?” (Valéry, Variété; Grev.).

Expressions de la langue familière formées au moyen du déterminant inter-rogatif quel

Ex.: C’est quel département? Quel département c’est? Quel département est-ce que c’est? Vous avez vu quelle pièce de théâtre? Quelle pièce de théâtre vous avez vue? Quelle pièce de théâtre est-ce que vous avez vue? Vous vous êtes inscrits à quel concours? À quel concours vous vous êtes inscrits? À quel concours est-ce que vous vous êtes inscrits? Vous votez pour quel candidat? Pour quel candidat vous votez? Pour quel candidat est-ce vous votez?

L’interrogation est introduite par si 1. Dans un dialogue, on peut employer des interrogations de reprise. L’allocutaire répète une question posée par le locuteur en employant si. Ex.: „Alors tu le connais le grand Julot? – Si je le connais?…. c’est un de

mes meilleurs amis intimes” (Proust, Le Temps retrouvé; L.B.). 2. Il y a des phrases qui expriment l’alternative dans l’interrogation directe et

dans ce cas le second membre de ces phrases peut être introduit par ou si (langue familière).

Ex.: „A-t-il la fièvre, cet homme si calme? Ou si c’est cette lettre qui vient le torturer encore?” (Montherl, Équinoxe de septembre; Grev.). „Ordonne-t-elle ou bien inspire-t-elle? Propage-t-elle l’émotion religieuse ou si elle la subit?” (Maeterlinck, Vie des abeilles; L.B.). „Oui ou non m’as-tu entendu? Ou si tu veux une paire de claques pour t’apprendre que je suis ton père?” (Aymé, Passe-muraille; Grev.).

Remarques. 10. Ces phrases sont caractérisées par le fait qu’elles marquent une rupture de construction, une anacoluthe: „à la première interrogation dans laquelle le sujet est régulièrement inverti, en succède une seconde, sans inversion; la conjonction ou qui introduit une alternative suffit à marquer la similitude de fonctions des deux propositions” (R. Le Bidois, L’inversion du sujet…., p. 49).

20. Cette construction est encore en usage dans la langue littéraire et dans le code parlé en Bourgogne, en Auvergne et dans la Suisse romande.

30. La question est présentée sous la forme d’une suggestion introduite par si. Ex.: Si j’appelais le médecin? „Si on y allait? Si on allait regarder l’apparte-

ment?” (N.Sarraute, Le Planétarium). „Si nous allions faire quelques pas dans le jardin, monsieur, dis-je à Swann….” (Proust, Sodome et Gomorrhe).

40. Par la question posée on exige une justification, une motivation. Ex.: „Si vous m’avez pas vu, quoi donc que vous avez vu?” (Bernanos, Un crime). 50. La construction savoir si. Soit la phrase Me rendront-ils mes livres? La question contenue dans cette

phrase peut être représentée d’une façon détournée au moyen de l’expression figée

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savoir si (ou qui sait si): Savoir s’ils me rendront mes livres. „Savoir si l’usine de Bertrand est en grève?” (J.Romains; L.B.). Qui sait s’ils me rendront mes livres? „Qui sait si elle ne connaissait pas Léa et n’irait pas la voir dans sa loge?” (Proust, La prisonnière).

La phrase injonctive ou impérative

Le type de phrase injonctif ou impératif est associé à la gamme des actes directifs par lesquels le locuteur veut agir sur l’interlocuteur pour obtenir de lui un certain comportement, conformément à la fonction conative du langage (Roman Jakobson emploie le terme de fonction conative pour désigner la fonction impé-rative ou injonctive qui tend à imposer au destinataire un comportement déterminé; v. J.Dubois, Dict. de linguistique et Roman Jakobson, Essais de Linguistique générale, Paris, Éd. de Minuit, 1963, p. 212 sq. Ce dernier souligne que „la fonc-tion conative trouve son expression grammaticale la plus pure dans le vocatif et l’impératif”. Jakobson précise que, à la différence des phrases déclaratives, les phrases injonctives ou impératives ne peuvent pas être soumises à l’épreuve de vérité: „Quand, dans la pièce, de O’Neill, La fontaine, Nano (sur un violent ton de commandement) dit „Buvez!, l’impératif ne peut pas provoquer la question „est-ce vrai ou n’est-ce pas vrai?” qui peut toutefois se poser après des phrases telles que: „on bouvait”, „on boira”, „on boirait”. Ce linguiste précise aussi que les phrases impératives ne peuvent pas être converties en phrases interrogatives. Contrairement à ce type de phrase, les phrases déclaratives peuvent être converties en phrases interrogatives (ex.: „buvait-on?”, „boira-t-on?”, „boirait-on?”).

Définition. Une phrase injonctive ou impérative (cette phrase n’est pas expri-mée seulement au moyen de l’impératif) est une phrase qui exprime, en général, un ordre (ou un conseil, une prière, un souhait, une invitation qui peuvent être consi-dérés des nuances de l’ordre).

Ex.: a) un ordre proprement dit: „Avancez, avancez!” ordonna le sergent. Présentez armes! (commandement militaire).

b) un conseil: Acceptez cette offre, croyez-moi! „Soyez simple de coeur,” aimez qui vous aime et …. Ne demandez ni clair de lune, ni gondole sur le lac Majeur” (Th.Gautier; Dj.).

c) une invitation: Prenez place, Monsieur. Asseyez-vous sur cette chaise, s’il vous plaît.

d) une prière: „Donnez-moi la force de faire immédiatement mon devoir tous les jours….” (Baudelaire, Journaux intimes; P.R.). „– Protège-moi, mon doux Jésus!… Ne permets pas que le fantôme accomplisse ce que n’a point accompli le corps….” (A.France, Thaïs). „Mon Dieu, ne me forcez pas à désobéir à papa” (Gide; Dj.).

La phrase injonctive est caractérisée, en général, par une courbe intonatoire spécifique, descendante.

4 Pre- 3 nez 2 ce 1 verre (!)

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Remarques. 1) Il y a plusieurs manières de prononcer une phrase injonctive, mais il est toujours correct de commencer asez haut pour descendre ensuite en escalier jusqu’à la fin; le sommet de hauteur se trouve, en général, sur le premier mot qui est le verbe contenant l’ordre (v. Monique Léon, Exercices systématiques de prononciation française, Paris, B.E.L., s.d.).

2) L’intonation injonctive correspond dans le code écrit, en général, au point ou au point d’exclamation.

La forme de la phrase injonctive la plus souvent rencontrée est la phrase ayant le verbe à l’impératif.

La transformation impérative détermine l’effacement du pronom sujet à la deuxième personne du singulier et à la première et à la deuxième personnes du plu-riel. C’est la seule forme verbale qui n’exige pas la présence d’un sujet gram-matical (Sors, sortons, sortez!).

L’impératif n’a pas toutes les personnes, mais seulement la 2e personne du singulier (chante, finis, vends) et les 1re et 2e pl. (chantons, chantez, finissons, finis-sez, etc.); pour les autres personnes on a recours au subjonctif.

L’impératif ne peut s’employer que dans le discours direct, étant donné qu’il ne peut se construire en subordination avec un autre verbe. Lorsqu’on emploie le discours indirect, il est remplacé par l’infinitif ou par le subjonctif: Je lui ai dit de relater les derniers événements. J’ai dit qu’il relatât les derniers événements.

Les verbes terminés en –er à l’infinitif n’ont pas de s à la deuxième personne de l’impératif, sauf devant les pronoms adverbiaux en et y, dans certains cas.

Ex.: Parles-en à ton directeur. Touches-y pour voir. Penses-y. Cherches-en les motifs.

Si les pronoms adverbiaux en et y sont suivis d’un verbe à l’infinitif ou si en est préposition, la deuxième personne du verbe à l’impératif s’écrit sans s et sans trait d’union.

Ex.: Daigne en agréer les hommages (formule de respect). Laisse y porter remède. Les verbers assaillir, couvrir, cueillir, défaillir, offrir, ouvrir, souffrir, tressaillir,

savoir, vouloir se terminent en e caduc, à l’impératif, à la 2e personne du singulier. Ex.: Cueille, ouvre, souffre, tressaille, sache, veuille, couvre, offre. Le verbe aller présente l’impératif va à la 2e personne du singulier, à l’impératif. Les verbes mentionnés ci-dessus à l’impératif, à la 2e personne du singulier,

prennent un s en position finale, lorsque les pronoms adverbiaux en et y suivent immédiatement ces impératifs.

Ex.: Offres-en. Vas-y. Cependant ces formes verbales à l’impératif s’écrivent sans s ni trait d’union

si elles sont suivies d’un infinitif. Ex.: Va y mettre ordre. Va y mettre ton grain de sel. Va en savoir des

nouvelles. Va y donner ordre (Acad.). Ces formes verbales à l’impératif s’écrivent sans s ni trait d’union si elles

sont suivies de la préposition en. Ex.: Va en avion. Va en paix. Va en France.

Place des pronoms personnels compléments Les pronoms personnels compléments du verbe à l’impératif ont la

particularité d’être placés à droite du verbe, alors que dans la phrase déclarative ils se trouvent à gauche du verbe.

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Ex.: Tu le regardes Regarde-le. I. Lorsqu’il n’y a qu’un pronom complément, plusieurs cas peuvent se

présenter: 10. Si l’impératif est affirmatif le pronom personnel complément suit le

vetrbe (il s’agit des pronoms moi, toi, le, la, lui, nous, vous, les, leur; il faut préci-ser que les pronoms moi et toi peuvent remplir le rôle de compléments directs ou indirects).

Ex.: Dis-le. Donne-lui. Parle-leur. Écoute-moi. Parlez-moi. Critiquez-moi. Attends-moi. Regarde-toi.

20. Lorsque l’impératif est négatif, le pronom personnel complément d’objet est placé avant le verbe.

Ex.: Ne me parle pas. Ne la regarde pas. Ne t’inquiète pas. Ne leur obéissez pas. II. L’impératif est construit avec deux pronoms personnels compléments. 10. Après un impératif à la forme affirmative le pronom personnel complé-

ment d’objet direct précède le pronom personnel complément d’objet indirect. Ex.: Donne-le-lui. Donnez-le-leur. Rends-le-moi. Envoyez-les-leur. Rendez-

nous-la. Envoyez-les-lui. 20. Lorsque l’impératif est négatif, le pronom personnel d’objet indirect est

placé avant le pronom personnel d’objet direct. Ex.: Ne me le dites pas. Le pronom lui de la troisième personne du singulier ayant la fonction de

complément d’objet indirect, ainsi que le pronom leur de la troisième personne du pluriel ayant la même fonction doivent être placés après le pronom complément d’objet direct.

Ex.: Ne la lui donnez pas. Ne la leur demandez pas. Remarques. 1. Le verbe à l’impératif d’une phrase injonctive peut être

renforcé par un peu, donc. Ex.: Réfléchissez-y donc! Attends un peu que je te le dise!

N.B. L’expression un peu (un petit peu) fait partie de la langue familière.

2. L’impératif peut être renforcé au moyen d’un pronom personnel explétif de la 1re ou de la 2e personne (il s’agit du dativus ethicus). Au moyen de cette cons-truction on exprime l’intérêt que le locuteur prend à l’action ou on presse l’allocu-taire de s’intéresser à l’action.

Ex.: Regarde-moi celui-là! Enlevez-moi ces tas de gravats tout de suite! 30. L’injonction exprimée à l’aide d’un verbe à l’impératif est atténuée au

moyen d’une périphrase de politesse, d’une formule exprimant la déférence. Ex.: Faites-moi le plaisir de venir me voir. Veuillez bien entrer. Donnez-vous

la peine de vous asseoir.

Le passé de l’impératif Lorsqu’on envisage le fait dans le futur et si l’on veut qu’il soit acompli à tel

moment du futur, on emploie l’impératif passé; il marque que l’action, objet de l’ordre, de la demande ou du conseil, etc. doit être accomplie avant un moment fixé d’avance. Ce moment du futur avant lequel l’action doit être accomplie est exprimé par un circonstant de temps (adverbe, groupe nominal, proposition temporelle à verbe fini).

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Ex.: Soyez revenus à quatre heures. Ayez fini ce travail quand je reviendrai. – Les pronoms adverbiaux en et y construits avec des pronoms personnels

compléments d’objet sont placés après ces pronoms compléments. Ex.: Parle-nous-en. Ne nous en parle pas. Ne lui en donne pas. Soyez-leur-en

reconnaissants. Ne leur en soyez pas reconnaissants. Retirez-les-en. Si votre jeune fille aime le cinéma accompagnez-l’y. Fiez-vous-y. Donnez-m’en. Menez m’y (forme peu courante).

On peut encore exprimer l’injonction par des modes et des temps verbaux autres que l’impératif.

1. On exprime l’injonction au moyen du subjonctif introduit par que employé surtout à la troisième personne du singulier ou à la troisième personne du pluriel.

Ex.: Qu’elle sorte! Qu’ils sortent immédiatement de cette maison! Que les enfants partent se promener! Qu’ils se taisent!

N.B. On peut trouver, mais rarement une phrase injonctive ayant le verbe à la première personne du subjonctif.

Ex.: Que je chante!

– La conjonction que introduisant le subjonctif est omise lorsque le sujet est une proposition relative sans antécédent dans une expression figée.

Ex.: Sauve qui peut! (cri signifiant proprement „que se sauve celui qui le peut”). Comprenne qui pourra. Advienne que pourra.

Que est supprimé parfois dans la langue littéraire. Ex.: „Et le salut soit sur la face des terrasses…” (Saint-John Perse). „Qui veut

venir avec moi voir à Ispahan la saison des roses prenne son parti de cheminer lentement à mes côtés” (P. Loti, Vers Ispahan; Grev.).

Que est omis dans l’expression Soit dit entre nous. 2. On peut exprimer l’injonctif au moyen de l’indicatif en employant: a) le présent de l’indicatif dans une phrase interrogative. Ex.: Veux-tu sortir immédiatement! Veux-tu te taire, polisson! Veux-tu finir! b) le présent de l’indicatif exprimé au moyen d’un verbe à la forme affirmative. Ex.: Tu ranges tes livres dans la bibliothèque! c) les verbes falloir ou devoir au présent de l’indicatif. Ex.: Il faut partir! Tu dois lui dire la vérité! d) l’emploi du futur simple pour atténuer le contenu de l’énoncé. Ex.: Vous voudrez bien m’excuser, je vous prie! Vous emmènerez les

enfants! Vous prendrez ma voiture et vous porterez mes bagages à la gare. e) le futur simple dans une fausse interrogation. Ex.: Rangeras-tu les livres dans la bibliothèque! f) le futur prochain (ou immédiat) périphrastique. Ex.: Tu vas me faire le plaisir d’obéir, hein! Oh! monsieur vous n’allez pas

le battre! Tu vas me donner ça, c’est ma part! Mais vous allez vous dépêcher, tous les deux!

3. On peut exprimer l’injonctif au moyen d’une forme hypothétique (l’ordre est atténué).

Ex.: Si tu rangeais tes livres dans la bibliothèque. 4. L’infinitif peut servir parfois à exprimer l’injonctif. Il est employé: a) dans les proverbes: Bien faire et laisser dire.

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b) dans les formules scolaires: Établir par raisonnement les formules des intérêts simples. Extraire les entiers contenus dans un nombre fractionnaire.

c) dans les avertissements publics: ralentir au tournant. Ne pas se pencher au dehors. Pour renseignements s’adresser au secrétariat de la Faculté des Lettres.

d) dans les prescriptions médicales et les modes d’emploi: Prendre 2 à 3 com-primés par jour. Ne pas dépasser la dose prescrite. Prendre trois cuillerées à soupe par jour. Ne pas laisser à l’humidité. Dissoudre le comprimé dans un verre d’eau tiède. Agiter le flacon avant de s’en servir.

e) dans les formules culinaires (recettes de cuisine): mettre dans une casserole un peu de beurre et laisser roussir cinq minutes. Battre les oeufs en neige. Faire cuire à feu doux. Ne pas laisser bouillir. Dorer le gâteau.

L’injonction peut s’exprimer à l’aide des phrases averbales : Garçon, un demi! Arme sur l’épaule! Demi-tour à gauche! À droite alignement! Feu à volonté! (= commandements militaires). En arrière!

Certaines interjections peuvent avoir une valeur injonctive: Ex.: chut! (un cri à faire taire); hé, pst! Holà vous là-bas, venz ici! (cris

servant à appeler). La phrase optative peut être considérée comme faisant partie du domaine de

la phrase injonctive (v. M. Grevisse, le B.U., 1997, p. 625). Le mode le plus sou-vent employé dans la phrase optative est le subjonctif introduit par la conjonction que (1) ou par la locution conjonctive pourvu que (2).

Ex.: 1) Qu’il repose en paix! „Que son nom soit béni; que son nom soit chanté./ Que l’on célèbre ses ouvrages/ Au-delà des temps et des âges/ Au-delà de l’éternité” (Racine, Esther, III, 9). „Oh! que mon génie fût une perle et que tu fusses Cléopâtre !” (Musset, Histoire d’un merle blanc). „Que le bon Dieu vous garde tel, à jamais!” (G. Bernanos; H.B.). „Ah! Que je hante encore le sommet des montagnes,/ Que je livre mes bras aux vents de l’Occident” (Noailles, Vivants et Morts; L.B.).

2) Pourvu qu’il ne lui arrive pas malheur. Pourvu que ça dure! „Oh! pourvu que je tienne jusqu’à l’aube!” (Daudet, Lettres de mon moulin; P.R.). Pourvu qu’il ne s’égare pas, pourvu qu’il ne se trompe pas de chemin!

Remarque. Parfois, en pareil cas, le subjonctif optatif s’exprime sans que. Cet emploi est fréquent dans le style soutenu.

1. Tours où l’on remarque l’inversion du sujet. a) le sujet est un pronom personnel conjoint. Ex.: Puissé-je vous suivre!

Puisses-tu dire vrai! „Puissé-je de mes yeux y voir tomber ce foudre!” (Corneille, Horace, IV, 5). „O, puissé-je, en expiation, … souffrir de longues heures, abandonné de tous, avant de mourir” (Proust, Le Temps retrouvé). „Puissiez-vous y avoir laissé votre coeur….” (Proust, Du côté de chez Swann).

b) le sujet est un groupe nominal. Ex.: „Périsse le Troyen auteur de nos alarmes!” (Racine, Iphigénie, 569).

„Puissent tous ses voisins ensemble conjurés/ Saper ses fondements encor mal assurés!…” (Corneille, Horace, IV, 5). „Ah! Puisse mon esprit laisser tomber ses idées mortes! Comme l’arbre ses feuilles flétries!” (Gide, Journal, Feuilles d’automne; P.R.). „Meure ma jeunesse, meurent les souvenirs, meurent les soucis et les regrets!” (Musset, Confess….; L.B.). „Fasse le ciel que nous ne regrettions pas, toi, ta grande bonté, et moi, ma trop grande faiblesse!” (Gyp, Bijou).

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2. Le sujet exprimé par un groupe nominal ne s’invertit pas toujours. Ex.: Dieu vous entende! Dieu veuille me pardonner! „Le Seigneur, dit-il, soit

avec toi!” (A.France, Thaïs). Le Ciel l’entende!

N.B. Dans une telle structure, on peut rencontrer l’inversion complexe. Ex.: „Dieu puisse-t-il me l’accorder le cas échéant!” (Stendhal, le Rouge et le Noir; Grev.).

La phrase exclamative La phrase exclamative bien qu’étant, en ce qui concerne le contenu séman-

tique analogue à la phrase déclarative (vu qu’elle apporte une information), elle présente la particularité d’ajouter au message, si bref soit-il, une connotation affective: „Quelquefois, dit Condillac, le langage du sentiment est rapide; c’est une exclamation qui tient lieu d’une phrase entière” (Art d’écrire).

La phrase exclamative exprime les manifestations d’étonnement, d’admi-ration, de plaisir, de colère, de tristesse, etc. du locuteur dans certaines situations; elle marque les réactions affectives du sujet parlant devant un événement, les réactions du locuteur à l’égard du fait énoncé par l’allocutaire.

Les phrases exclamatives se caractérisent par une intonation spécifique, par un ton plus fort dans le code oral et par un point d’exclamation dans le code écrit.

Expression de l’exclamation (les structures exclamatives, les marques de l’exclamation)

L’exclamation et l’intonation Dans le code oral, l’exclamation est marquée par la ligne mélodique. Les courbes intonatoires qui caractérisent la phrase exclamative appartien-

nent à deux types mélodiques: A) un type mélodique descendant. La ligne mélodique descendante peut marquer un sentiment d’admiration, de

tendresse, mais aussi un sentiment de tristesse, d’horreur, etc. a) admiration: Que c’est beau! Quel homme c’était! Le joli tableau! b) tendresse: Qu’il est mignon! c) tristesse: Quelle misère d’en être là! d) horreur: Quelle horreur! 4 Que 3 c’est 2 beau ! 1 4 Quelle mi- 3 sère d’en 2 être 1 la ! Dans les exemples mentionnés, les phrases exclamatives commencent très

haut pour descendre ensuite jusqu’à la dernière syllabe. B) un type mélodique ascendant.

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La ligne ou courbe mélodique ascendante exprime l’enthousiasme, la gaieté, l’optimisme.

Ex.: Mais c’est formidable! C’est magnifique! Je suis contente! C’est parfait! 4 dable! 3 mi for 2 Mais c’est 1 Ce type de courbe mélodique commence sur un ton normal et monte assez haut.

L’exclamation marquée par la seule intonation Bien des phrases exclamatives ne se distinguent des phrases déclaratives que

par l’intonation dans le code oral et par un point d’exclamation dans le code écrit. Dans ce cas, l’exclamation conserve l’ordre des mots de la phrase déclarative.

Ex.: „Nicole, vous vous montrez souverainement antipathique!” (Camus, La Peste). „Excusez-moi, bredouilla-t-il. Je ne sais pas ce que j’ai, ce soir!” (Camus, id.). „Je ne tolère pas ça, chez moi!” (Proust, Le temps retrouvé). „Je crois bien que je connais Balbec!” (Proust, Du côté de chez Swann). „J’étais donc sûr de leur perte! Ils ne pouvaient m’échapper” (Lautréamont, Chants de Mald.; Grev.). „Vous parlez d’une fête réussie!” (Benoit, Compagnons d’Ul.; L.B.). „J’aime la marine française” (Pagnol; Ri.).

Remarque. Lorsque l’exclamation est réalisée au moyen de l’intonation, un accent d’intensité peut faire son apparition; il est mis sur le constituant qui marque le plus la réaction affective du locuteur.

Ex.: Marie est partie! Isabelle est malade! L’accent d’intensité porte dans ces exemples sur partie, malade. La phrase exclamative peut se présenter, en général, sous les formes suivantes: a) une phrase incomplète Ex.: Il est tellement heureux! S’il avait eu de l’argent! Si seulement ils

pouvaient revenir! Si encore il faisait preuve de bonne volonté! Si encore il comprenait ce qu’on fait pour lui!

b) une phrase anomale (anomal se dit de toute forme ou construction gram-maticale qui présente un caractère aberrant par rapport au type normal, à la cons-truction régulière).

Ex.: Il lui fait une peur! (= peur est un nom non comptable). Il y a des expressions d’une délicatesse! (= délicatesse est un nom non comptable).

c) une phrase „liée” ((v. P.Zumthor, Syntaxe, p. 39) = c’est-à-dire une phrase ayant un sens complet)).

Ex.: Qu’il est beau! d) une phrase nominale Ex.: Grand fou! Fainéant! Flemmard! Une catastrophe! Un désastre! Une

surprise! e) des exclamations „interjectives” (v. R. Le Bidois, L’inversion du sujet).

Dans ce type d’exclamations qui font partie du domaine de la fonction émotive ou expressive du langage, la connotation affective est exprimée au moyen d’un mot

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(ou d’une locution invariable) qui est ordinairement placé en tête de la phrase, mais il peut se trouver parfois à la fin de la phrase ou à l’intérieur de celle-ci.

Ex.: „Ah! non, dit le concierge, je fais le guet, vous comprenez!” (Camus, La Peste). „Oh! dit le prêtre, ce doit être une épidémie” (Camus, id.). Hein! comme c’est drôle! „Bon! remarqua Cottard, sur un ton aimable qui n’allait pas avec son affirmation, nous allons tous devenir fous, c’est sûr” (Camus, id.). „Hélas! je sens d’avance la vanité de toute diversion” (Colette, Vagabonde). „La chair est triste, hélas! et j’ai lu tous les livres” (Mallarmé, Brise marine). „Hép! Arrêtez-vous, mes enfants!” (Colette, Vrilles de la vigne).

L’exclamation au moyen des mots (marqueurs) exclamatifs Les marqueurs exclamatifs les plus employés sont les suivants: 1. L’adverbe que a) Que exclamatif peut porter sur les noms; dans ce cas, il est joint aux noms

par de et l’exclamation concerne une qualité ou une quantité. Ex.: „Que de difficultés, en effet, je prévois! que d’habitudes d’esprit j’aurai

à changer! que de souvenirs charmants je devrai arracher de mon coeur!” (Renan, Souvenirs d’enfance). „Que peu de temps suffit pour changer toutes choses!/ nature au front serein comme vous oubliez! Et comme vous brisez dans vos métamor-phoses/ Les fils mystérieux où nos coeurs sont liés!” (V. Hugo, Tristesse d’Olympio). Que d’hommes ont passé devant ce monument! „Ô liberté, que de crimes on commet en ton nom!” (paroles attribuées à Mme Roland montant à l’échafaud).

b) Que exclamatif peut porter sur les adjectifs attributs. Ex.: Que cette jeune fille paraît heureuse ! „Que les soleils sont beaux dans

les chaudes soirées!/ Que l’espace est profond! que le coeur est puissant! En me penchant vers toi, reine des adorées:/ Je croyais respirer le parfum de ton sang.” (Baudelaire, Le Balcon). Oh! qu’elle est belle! Qu’il est intelligent!

c) Que exclamatif peut porter sur les adverbes. Ex.: Oh! qu’il parle bien! Qu’il court vite! Qu’elle danse gracieusement! d) Lorsqu’il porte sur un verbe en -er, le que exclamatif est souvent précédé

de ah! Ex.: Ah! qu’il chante bien! Ah! qu’il travaille!

N.B. L’interjection ah! sert à distinguer le que exclamatif du que du subjonctif. Dans ce cas, on emploie comme plutôt que le que exclamatif devant les verbes.

e) Que ayant le sens de „pourquoi” peut introduire non seulement une phrase interrogative, mais aussi une phrase exclamative.

La phrase exprime souvent un regret et elle est à la forme négative. Ex.: „Que ne suis-je assise à l’ombre des forêts!” (Racine, Phèdre). „Que ne

suis-je à leur place!” (Camus, Caligula; Grev.). Oh! que n’es-tu là pour que je regarde toutes ces choses par tes yeux à toi ….! (M. Prévost, Mort des ormeaux; L.B.).

Remarque. La langue familière et la langue populaire emploient souvent ce que, qu’est-ce que au lieu de que.

Ex.: Ce qu’il est solide! Ce qu’il est beau! „A! mon Dieu! cria le premier, ce que j’ai eu tort, en 48, de ne pas les saigner tous” (Zola, La terre). Ce qu’il est bête! Ce qu’il m’énerve! „Qu’est-ce qu’elle a dû pleurer quand elle a appris la mort de son garçon!” (Proust, À la recherche….). Qu’est-ce qu’il est habile !

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2. L’adverbe comme Comme introduit une exclamation qui porte sur l’intensité d’un fait. a) il porte sur un adjectif. Ex.: Comme il est stupide! Comme tes lettres sont gentilles! Comme tu es fort! b) comme peut porter sur un adverbe. Ex.: Comme il parle bien! „Comme vous êtes loin, paradis parfumé,/ Où sous

un clair azur tout n’est qu’un amour et joie….” (Baudelaire, Moesta et Errabunda). 3. L’adverbe comment ne s’emploie aujourd’hui avec une valeur exclama-

tive que dans la langue familière et dans la langue populaire, lorsqu’on veut mar-quer l’étonnement ou l’indignation.

Ex.: Comment, tu es encore ici! „Comment! on t’offre un poste de chroni-queur dans un bon journal et tu repousses cette offre!”

Comment peut s’employer emphatiquement en signe d’approbation. Ex.: – Puis-je entrer? – Mais comment donc! L’expression et comment, appartenant à la langue familière, sert à renforcer une

affirmation; elle marque l’intensité et porte souvent sur un énoncé déjà exprimé. Ex.: Il étale sa richesse. Et comment! (Acad. 1988). „Et comment que je

l’aurai! je l’aurais, et comment” (Z.). „– Tu parles bien l’anglais – Et comment!” (= bien sûr). „Tu acceptes sa proposition? – Et comment!”, C’était faux? – Et com-ment! „Tu t’en vas sans eux? – Et comment!”.

4. Combien exclamatif. a) combien peut être pronom exclamatif Ex.: Combien voudraient être à votre place! (Acad.). Combien vont périr

dans cette expédition! b) comme adverbe combien peut modifier: 10. un verbe Ex.: Combien je suis heureuse de te revoir! Combien il a changé! 20. un adjectif Ex.: Combien rares sont ceux qui restent fidèles à leurs amis! Cette mesure

est impopulaire, mais combien efficace! Combien émouvant est son sacrifice! 30. un adverbe Ex.: Combien facilement il oublie ses promesses! La structure combien de + nom Ex.: Combien de gens voudraient être à votre place! „Oh! combien de marins,

combien de capitaines qui sont partis joyeux pour des courses lointaines,/ Dans ce morne horizon se sont évanouis!” (V. Hugo, Oceano nox).

5. Le déterminant exclamatif quel Ce déterminant a les mêmes formes que le déterminant interrogatif. Il

exprime l’admiration, l’indignation, la surprise, etc. 10. Quel peut être attribut: „Quelle est votre erreur! ma chérie. Comme on voit bien que vous ignorez

ces tourments!” (J. Romains, Hommes de bonne volonté).

N.B. Quel en fonction d’attribut peut être employé avec une négation de valeur rhétorique.

Ex.: Quelle ne fut pas ma surprise en le voyant revenir!

20. Quel peut avoir la fonction d’épithète.

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Ex.: quel artiste de génie périt avec ce peintre! „Quelle joie ce fut pour la cour, au siècle dernier, de pouvoir pendre un pair, lord Ferrers! Du reste, on le pendit avec une corde de soie. Politesse….” (V. Hugo, L’homme qui rit).

N.B. Quel en fonction d’épithète peut être précédé de la conjonction et pour des raisons stylistiques.

Ex.: „Deux guerres, et quelles guerres, ont en trente ans changé la face et l’équilibre du monde….!” (Siegfried, Âmes des peuples).

– Quel en fonction d’épithète peut accompagner un nom complément d’objet. Ex.: Quelle chance il a eue! – Le groupe nominal ayant comme spécifieur l’exclamatif quel peut former à

lui seul une phrase averbale exclamative. Ex.: Quelle obscurité! Quelle clarté! Quelle beauté! Quelle musique savante! 6. Le pronom interrogatif peut être aussi employé dans un énoncé exclamatif. Ex.: Qui ne connaît mon frère dans le quartier ! „Qui n’aurait par eu peur !”

(Saint-Exupéry; Ri.). 7. Le pronom qui relatif peut être employé dans un énoncé exclamatif. Ex.: Et Pierre qui n’arrivait pas! „Et moi qui vous avais prise pour un

homme!” (P. Morand, Europe gal.; L.B.). „L’idiote, qui croit que je ne pourrai pas me guérir d’elle!” (Mauriac, Destins; L.B.).

8. Le pronom quoi suivi d’un point d’exclamation dans le code écrit est un mot-phrase (v. Grevisse, B.U., 1997, p. 1073) qui exprime d’habitude l’étonnement, l’indignation.

Ex.: Quoi! tu m’abandonnes! Quoi! ils n’ont pas fait leurs devoirs! „Et quoi! n’en pourrons-nous fixer au moins la trace? (= la trace „des moments d’ivresse,/ Où l’amour à long flot nous verse le bonheur). Quoi! passés pour jamais? quoi! tout entiers perdus!….” (Lamartine, Le lac).

9. L’article défini peut être employé avec une valeur exclamative. Ex.: La belle vedette! Oh! le beau chien! Oh! la belle voiture! La belle

affaire! L’admirable réponse! 10. Dans certaines structures exclamatives employées surtout dans la langue

familière, l’article indéfini a une valeur emphatique ou de mise en relief des séquences où il figure.

Ex.: C’est un géant! C’est un pygmée. Il a éprouvé une joie infinie! Il fait une chaleur! Il était dans une colère! „Je ne peux pas dire comme je trouve que Swann change, dit ma grand-tante, il est d’un vieux!” (Proust, Du côté de chez Swann).

11. L’exclamation peut être introduite par certaines formules du type suivant: a) Dire que (ou et dire que). Ex.: Dire qu’il n’a pas encore attendu sa majorité! „Et dire que pendant que

nous sommes là parqués comme un bétail…. tous ces beaux fils de la Commune à écharpes d’or… tous ces lâches qui nous poussaient en avant, sont bien tranquilles dans des cafés, dans des théâtres…. tout près de France.” (Daudet, Contes du lundi). „Dire qu’elle s’était crue heureuse d’aller ainsi trente années devant elle… n’ayant pour combler le vide que son orgueil de femme honnête!” (Zola, Page d’amour; Grev.). „Capri, c’est fini! Et dire que c’était la ville de mon premier amour!” (Chanson).

b) Penser que (ou et penser que) Ex.: Et penser que dans ce château est né Pierre de Ronsard!

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N.B. Le verbe penser (que) employé à un mode personnel peut se trouver dans des phrases exclamatives.

Ex.: Vous pensez bien qu’il n’aurait jamais approuvé une telle chose!

Exclamation avec inversion du sujet L’exclamation partielle I. Le sujet est un pronom personnel ou l’un des pronoms ce ou on. 10. L’inversion n’est pas pratiquée lorsque la phrase commence par que ou

comme sans complément déterminatif. Ex.: Que vous êtes gai! Comme il est changé! Remarques. I. L’inversion est possible lorsque la phrase exclamative com-

mence par Que de fois… Ex.: Que de fois moi-même me suis-je dit que j’avais raison! II. L’inversion du sujet est obligatoire quand le verbe de la phrase excla-

mative introduite par que est à la forme négative. Ex.: Que de tâches n’assume-t-on pas pour pouvoir subsister ! En quelques

jours que de pages n’avait-il pas écrites! Que de précautions n’a-t-il pas prises ! 20. Après combien, on peut employer ou non l’inversion du sujet. a) l’emploi du tour non inverti Ex.: Combien je suis heureux! Combien généreux est son dévouement!

Combien tu es lourd! Combien courageuse fut son attitude! Combien je l’admire! Combien je voudrais qu’il vienne! „Mais combien en revanche j’avais envie de savoir si Swann avait son manteau à pèlerine!” (Proust, À la recherche du temps perdu).

b) on pratique l’inversion du sujet. Ex.: „Combien voit-on de gens sévères pour les autres, indulgents pour eux-

mêmes! Combien dans cet exil ai-je souffert d’alarmes! Combien à vos malheurs ai-je donné de larmes!” (Racine, Andromaque, I, 1). „Semblant déjà insolents à ceux qui le lisaient, combien étaient-ils plus cruels pour la jeune femme!” (Proust, La Prisonnière).

Remarques. 1. L’inversion du sujet est fréquente après combien de fois. Ex.: Combien de fois lui ai-je répété de venir! „Combien de fois plus tard fus-

je frappé dans un salon par l’intonation ou le rire de tel homme…” (Proust, À la recherche …). „Combien de fois essaya-t-il d’arracher le bandeau fatal qui fermait ses yeux à la vérité!” (Fléchier, Turenne).

2. L’inversion du sujet est très fréquente, lorsque le verbe de la phrase excla-mative est à la forme négative.

Ex.: À combien de tentatives n’est-il pas exposé! Combien de situations dangereuses n’a-t-il pas évitées!

Après quel exclamatif, accompagné d’un nom, le sujet de la phrase réalisé par un pronom personnel n’est pas, en général, inversé.

Ex.: „Ce n’est qu’un mot… mais voyez, quelle fortune il a fait, comme toute la presse le répète, quel intérêt il éveille, quel son nouveau il a rendu!” (Proust, À la recherche…). Quel chemin il a fait depuis!

Remarque. Il y a aussi des exceptions à cette règle. Ex.: „Avec quel art, parmi tant d’invectives virulentes, développe-t-il le vaste

poème de l’Expiation. Avec quel art jette-t-il de larges taches de nature….!” (Gustave Lanson, Histoire de la littérature française).

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III. Le sujet est un nom 1. On emploie l’inversion simple du sujet après le déterminant exclamatif

quel dans les cas suivants: a) quel remplit la fonction d’attribut. Ex.: Quelle est son habileté! „Ô, Fortune, quelle est ton inconstance!”

(Molière, Précieuses ridicules). Quelle fut ma joie quand je l’aperçus! Quelle est votre erreur!

b) quel est le spécifieur d’un groupe nominal complément d’objet (GN2). Ex.: Quel plaisir m’a fait ce cadeau!

N.B. On peut rencontrer l’inversion complexe (ou composée) quand la phrase exclamative contient une négation.

Ex.: „Quels bienfaits la raison ne répandra-t-elle pas sur les hommes soumis à son empire!” (A.France, Étui de nacre; L.B.).

2. On peut rencontrer quatre constructions après combien suivi d’un attribut. a) le sujet est placé devant le verbe. Ex.: Combien le monde est méchant! Combien les aventures de ces deux

explorateurs étaient passionnantes à entendre! b) le sujet est placé après le verbe de même que l’attribut. Ex.: Combien est injuste pour lui cette affirmation! c) le sujet est postposé au verbe, mais l’attribut est placé devant le verbe. Ex.: Combien vive est ma joie de te revoir après une si longue absence! d) très rarement, on peut rencontrer après combien l’inversion complexe (ou

composée). Ex.: „Au début du XVIe siècle, combien le français est-il éloigné du latin!”

(A. Dauzat; L.B.). „Combien de Français ne doivent-ils pas relire à plusieurs reprises certains vers elliptiques de Mallarmé!” (R. Le Bidois, Mél. Ch. Bruneau).

Dans l’exclamation totale, l’énoncé ne contient aucun mot exclamatif, mais le signe d’exclamation dans le code écrit et l’intonation dans le code oral indiquent qu’il s’agit d’une exclamation.

Ex.: Elle a une beauté ensorcelante! Dans l’exclamation totale, on peut, en général, invertir le sujet. Ex.: Regarde un peu cette orchidée; est-elle magnifique! Remarques. 1. Lorsque le sujet est un nom, il peut être placé en fin de

phrase, par dislocation. Ex.: Est-elle énorme, vue d’ici, la Tour Eiffel! 2. On peut rencontrer parfois une inversion complexe. Ex.: Cette femme a un sacré caractère! Cette femme a-t-elle un sacré

caractère! Dans les phrases exclamatives, les modes sont les mêmes que dans les

propositions déclaratives. Il faut souligner cependant que l’infinitif est d’un emploi assez fréquent.

Ex.: Moi, mentir! Voir Naples et mourir! Ah! dormir seulement deux heures! „Non, je n’en reviens pas, un homme comme vous s’avilir, s’abaisser jusqu’à faire des pamphlets!” (Veuillot, Pamphl. des pamphlets; L.B.). „À votre âge, Monsieur, m’eût-elle dit, être si peu raisonnable !” (A. France, Crime de S.Bonnard). Moi, avoir cette opinion de vous! Vous, oser faire cela! (Acad.).

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On peut trouver aussi dans les phrases exclamatives, surtout dans la langue littéraire, le subjonctif au moyen duquel on exprime une hypothèse que l’on repousse avec fermeté.

Ex.: Moi, monsieur que j’eusse une telle pensée! Moi, que je fusse si cruel (lâche, ingrat)!

Le subjonctif plus-que-parfait est employé dans la langue littéraire au lieu du conditionnel passé pour exprimer un regret: Qu’il eût été enchanté de voir son projet réalisé!

Le subjonctif peut être rencontré dans des phrases exprimant le souhait et ayant un contour exclamatif du type Qu’il soit béni! Béni soit-il! Puisses-tu dire vrai!

Le renforcement de l’exclamation Le renforcement de l’exclamation peut avoir lieu: a) par la dislocation de la phrase exclamative. Ex.: Qu’il est courageux, ce soldat! (phrase exclamative normale: Que ce

soldat est courageux!). b) par l’introduction d’un adverbe à sens hyperbolique. Ex.: Elle est rudement belle! (fam. Elle est vachement belle!) c) par la mise en évidence d’un constituant au moyen du présentatif c’est ….. qui. Ex.: C’est sa mère qui va être surprise! d) par la mise en évidence d’un constituant au moyen du présentatif c’est …. que. Ex.: C’est maintenant que tu le dis! C’est le vase de Saxe que Jean a cassé!

La phrase négative

La phrase négative exprime l’inexistence d’un fait; elle nie une assertion. La proposition négative Jean n’est pas là, possède une valeur de vérité contraire à la proposition affirmative correspondante, Jean est là. Le locuteur qui donne une valeur de vérité négative à un contenu propositionnel montre que celui-ci ne correspond pas à la réalité.

On emploie aussi la phrase négative dans le domaine de la logique, lorsqu’on étudie les propositions contraires, les propositions contradictoires, le principe du tiers exclu.

La structure de la phrase négative varie en fonction des niveaux de la langue et de la distinction entre le code oral et le code écrit.

Par exemple, le terme ne (la première partie de la négation) est parfois omis en français familier dans le code oral (Je vais pas le voir au lieu de Je ne vais pas le voir), tandis qu’il est employé dans le code écrit soigné. L’emploi de la particule ne appelée explétive, discordantielle est courant dans le français écrit soutenu (Je crains qu’il ne vienne) par rapport au français familier où ne explétif est souvent omis.

La négation exprimée par des moyens lexicaux La négation peut être exprimée par des moyens lexicaux. Au point de vue

lexical, la négation peut s’exprimer au moyen de l’antonymie qui est basée, en général, sur l’opposition de lexèmes de sens contraire.

A. Unités lexicales opposées ou contraires sans qu’elles aient des rapports morphologiques.

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10. lexèmes qui expriment une opposition fondée sur la qualité. Ex.: Chaud / froid. Sucré / salé. 20. lexèmes qui expriment une opposition fondée sur la quantité. Ex.: Beaucoup / peu. Long / court. 30. lexèmes qui présentent des sens d’opposition extrême. Ex.: Vrai / faux. Vertueux / vicieux. Loin / près. B. Les unités lexicales opposées peuvent entretenir une relation basée sur le

procédé de dérivation. Ce procédé qui concerne surtout les adjectifs et les verbes utilise des préfixes.

10. Négation concernant les adjectifs a) Préfixe in- Ex.: possible / impossible; connu / inconnu; volontaire / involontaire; salubre

/ insalubre. b) Préfixe i- (et redoublement de la consonne) Ex.: lisible / illisible; réel / irréel. c) Préfixe mal- Ex.: propre / malpropre d) Préfixe mé- Ex.: connu / méconnu; content / mécontent. e) Préfixe dis- Ex.: courtois / discourtois 20. Négation concernant les verbes a) Préfixe dé- Ex.: faire / défaire; régler / dérégler b) Préfixe dés- Ex.: apprendre / désapprendre; unir / désunir. C. Un procédé qui se rapproche de la négation grammaticale emploie non et

pas comme des préfixes (niveau familier de la langue). Ex.: Un temps chaud / un temps pas chaud. Un travail fatiguant / un travail

pas fatiguant. Un hôtel cher / un hôtel pas cher. Des magasins chers / des magasins pas chers. L’agression / la non-agression. La réussite / la non-réussite. Un combat-tant / un non-combattant. La contradiction / la non-contradiction.

La négation exprimée par des moyens grammaticaux La phrase négative est un type de phrase combinable avec un type de phrase

obligatoire déclaratif, interrogatif ou injonctif. Ex.: Phrase déclarative + négation: Il n’a pas encore fait ses devoirs. Phrase interrogative + négation: Pourquoi n’est-il pas venu? Phrase injonctive + négation: Ne descendez pas avant l’arrêt du train en gare!

Portée de la négation La place des termes négatifs dans l’énoncé n’indique pas obligatoirement sur

quoi porte la négation. Les grammairiens ont distingué plusieurs portées de la négation. I. La négation totale La négation totale porte sur toute la proposition; elle est caractérisée par

l’emploi des éléments négatifs ne… pas, etc. qui marquent une négation absolue dans ce cas.

Ex.: Pierre ne dort pas; il se tourne et se retourne dans son lit.

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II. La négation partielle La négation partielle ne porte que sur un élément syntaxique de la pro-

position. Ex.: Il n’a pas rangé toutes ses chemises dans l’armoire. Il n’aime pas le

chocolat aux noisettes mais le chocolat au lait. Marie ne sort pas le dimanche, mais le lundi. Je n’ai pas vu Marianne, mais Hélène.

La négation restrictive ou exceptive (la restriction) fait aussi partie de la négation partielle. Elle est constituée au moyen de ne …. que et elle a le sens de seulement, uniquement.

Ex.: Il ne souhaite que le bonheur de sa jeune fille. Ne et que sont placés d’une part et d’autre du verbe lorsque ce dernier se

trouve à un temps composé. Ex.: Elle n’a lu que deux heures dans la bibliothèque de la Faculté. On peut mettre en relief la négation restrictive, s’il y a lieu, en ajoutant

l’expression et rien d’autre. Ex.: Il ne boit que du Coca-Cola (et rien d’autre). La négation restrictive ou exceptive peut concerner différents constituants de

la phrase. a) le complément d’objet direct Ex.: Il n’a acheté que deux vidéodisques. b) le complément d’objet indirect Ex.: Hélène ne s’intéresse qu’au théâtre. Il ne pense qu’à son bonheur perdu. c) l’attribut du sujet Ex.: „Agrigente n’est plus qu’une ombre, et Syracuse/ Dort sous le bleu

linceul de son ciel indulgent” (J.-M. de Heredia, Médaille antique). „L’homme n’est qu’un roseau” (Pascal, Pensées).

La négation restrictive a une portée limitée; elle ne peut pas porter sur le verbe lui-même, lorsqu’il se trouve à un mode personnel. Une restriction sur le verbe peut s’exprimer au moyen des expressions ne faire que, ne rien faire d’autre.

Ex.: Elle ne fait que regarder la télé. Elle ne fait rien d’autre que courir les magasins.

Une restriction sur le sujet s’exprime au moyen de seul ou de l’expression il n’y a que… qui.

Ex.: Seule Marie est venue me voir. Il n’y a que Marie qui soit venue me voir.

La suppression de la restriction La restriction peut être annulée si un terme négatif est combiné avec ne…. que. Ex.: Suzanne ne s’interesse pas qu’au théâtre (= Suzanne ne s’interesse pas

seulement au théâtre. Suzanne s’intéresse aussi à d’autres choses qu’au théâtre). La suppression de la restriction se rencontre souvent avec le gallicisme il y a

à la forme négative suivi de que: il n’y a pas que (= il n’y a pas seulement). Ex.: „Il n’y avait pas que des hommes dans cette cohue” (Th.Gautier,

Fracasse; Grev.). „Il n’y a pas que vous, il y a le bonheur de nos enfants” (Montherlant; R.G.). Il n’y a pas que cette propriété qu’il possède.

Remarque. Ce tour, quoique correct, n’est pas à conseiller.

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III. La négation et la coordination. Lorsque la phrase est négative, les éléments sont coordonnés par ni ((842,

Serments de Strasbourg, sous la forme de ne, du lat. nec; ni apparaît en 1229 selon W. von Wartburg (Französisches etymologisches Wörterbuch (F.E.W.)).

Cette conjonction négative sert à joindre mais en les distinguant en même temps les groupes nominaux, les épithètes, les pronoms et les propositions: „Dans certains cas, il n’y a point de règle formelle qui impose et ou bien ni. Mais des finesses de sens se marquent dans ce choix. Ni, tout en joignant les termes, disjoint les idées” (F.Brunot, Pensée et langue, p. 126).

Ni joignant des éléments de même fonction dépendant d’une négation a) Ni se trouve après la négation ne… pas, etc. Ex.: „La vie vaut-elle plus que l’honneur? L’honneur plus que la vie? Qui ne

s’est pas posé une fois la question ne sait pas ce qu’est l’honneur ni la vie” (Bernanos, Scandale de la vérité). „Elle est belle, il faut en convenir, mais c’est lourd, comme un vaisseau de guerre. Elle n’a rien de fin ni de distingué” (Balzac, Mém. deux j. mariés; P.R.). Je ne lui demande pas son aide ni sa pitié (Z.).

Remarque. Lorsque ni est employé dans la phrase, ne peut se faire suivre d’une autre négation (pas, personne, rien, jamais, etc.).

Ex.: „Sa gerbe n’était point avare ni haineuse” (V. Hugo, Booz endormi). Je n’ai jamais vu son frère ni sa soeur. Les idées ni les connaissances n’étaient pas le principal intérêt de la conversation dans les salons au XVIIe siècle.

b) Ni placé en tête de la phrase est répété devant chaque terme. Ex.: Ni sa sagesse ni son courage ne seront oubliés. Ni les conseils de ses

amis ni les critiques de son frère ne peuvent le faire changer d’avis. Ni l’or ni la grandeur ne nous rendent heureux.

c) Ni ne se trouve pas en tête de la phrase, mais il est placé avant la négation ne et il unit deux sujets.

Ex.: „L’instituteur ni le curé n’ont besoin d’avoir un nom qui les distingue” (Fr. Mauriac, Le sagouin; P.R.). „L’absence ni le temps, je vous le jure encore,/ Ne vous peuvent ravir ce coeur qui vous adore” (Racine, Bérénice, II, 4).

d) Ni qui suit le verbe (précédé de ne) est répété devant chaque terme. Ex.: Je ne suis ni naïf ni sot. „L’homme d ‘affaire ne connaît ni père, ni mère,

ni oncle, ni tante, ni femme, ni enfant, ni beau, ni laid, ni propre, ni sale, ni chaud, ni froid….” (Bloye; D.P.). Je ne vous parlerai ni d’architecture, ni de sculpture. Heureux qui n’a ni dettes ni procès (Littré).

Ni coordonnant plusieurs propositions négatives 10. Ni joignant des propositions ayant le même sujet. Ex.: Il n’avance ni ne recule. „Pourtant les yeux ne se ferment ni ne se

brouillent” (Romains, Hommes de b. volonté). „Jamais pécheur ne demanda un pardon plus humble, ni ne s’en crut plus indigne” (Bossuet, Le Tellier; H.D.T.).

20. Ni coordonnant des propositions ayant des sujets différents. Ex.: „Ne fallait-il voir là qu’une suite fortuite d’événements ou chercher entre

eux quelque rapport? Ni Casimir n’aurait su, ni l’abbé voulu m’en instruire. Force était d’attendre avril.” (Gide, Isabelle). „Mais ni la haute différenciation de mes idées cette nuit, n’était imaginaire ni l’état semi-fruste où je les retrouve” (J. Romains, H. de b. vol.; P.R.).

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D. Ni est employé parfois en vue de coordonner des propositions subordon-nées dont le verbe est à la forme négative.

Ex.: Je remarque que vous ne voulez pas travailler à ce projet ni ne cherchez à améliorer les méthodes de vos recherches. Si vous ne pouvez ni ne voulez, il faut le dire.

Remarque. Ne peut suffire à marquer la négation bien qu’il ne soit accom-pagné que d’un seul ni.

Ex.: Le soleil ni la mort ne peuvent être regardés fixement. Il ne boit ni ne mange (Acad.).

Remarques sur la phrase négative 1. La double négation Deux négations peuvent donner à la phrase un sens affirmatif. Ex.: „Mille intentions ne valent pas un geste; non que les intentions n’aient

aucune valeur, mais le moindre geste de bonté, de courage, de justice, exige plus d’un millier de bonnes intentions” (Maeterlinck, Sagesse et destinée). „Non qu’il n’ait connu ce dégoût” (De Boer, Syntaxe, p. 13).

La double négation peut être employée pour des raisons stylistiques en vue d’attenuer l’affirmation.

Ex.: Je ne dis pas qu’il n’est pas très travailleur (= il est très travailler, sans doute).

2. La négation figurée Cette espèce de négation est exprimée au moyen de phrases négatives à sens

positif. Ex.: Il n’a pas raison de dire qu’il ne connaît pas la situation. N’est-il pas le

P.-D.G. de cette société en difficulté? Que de voyages n’a-t-il pas faits?

Emplois des termes négatifs Non et ne Non et ne remontent au latin non. Cette forme latine est devenue ne, forme

atone, devant une consonne et nen devant une voyelle (Nen subsiste en français dans nenni). Le latin non a donné non, forme accentuée:

„Non est la forme accentuée de la négation, ne en est la forme atone. Ces deux mots diffèrent en ceci d’abord que le premier ne peut plus, à lui seul, modifier un verbe, tandis que le second doit nécessairement s’appuyer sur le verbe. D’autre part, non n’a pas besoin d’un autre mot pour exprimer l’idée négative, alors que ne s’emploie le plus souvent en corrélation avec pas, point, plus, etc.” (G. et R. Le Bidois, Syntaxe du français moderne, § 1761).

I. La négation non Non peut équivaloir à une proposition négative (c’est un mot-phrase). Cette négation peut être employée dans une réponse négative: Cette

cantatrice chante-t-elle toujours? – Non. „Ton coeur bat-il toujours à mon seul nom? Toujours vois-tu mon âme en rêve? – Non.” (Verlaine, Colloque sentimental). Voulez-vous cet emploi ou non? dit-il. – Non. Je ne veux même pas en entendre parler.

Non peut être répété afin d’insister sur une idée, sur un fait. Ex.: „N’étais-je pas au bord de la folie? Non, non, ne parlons pas ici de folie”

(F. Mauriac, Noeud de vipères).

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Le renforcement de non Non peut être renforcé par mais non; non, merci; ma foi, non; ah! ça non!;

que non! certes non; non pas; non, rien à faire; sûrement non; certainement non; vraiment non ; mon Dieu, non!

Ex.: „Mais non, monsieur, mais non! Le verbe aimer, suivi d’un infinitif, demande la préposition”. „Mon père se mit à sourire, de ce sourire féroce qui nous jetait dans l’épouvante” (Duhamel, Pasquier). – Voudriez-vous une cigarette? Non merci, je ne fume pas. „La politique, hélas! Voilà notre misère!/ Mes meilleurs ennemis me conseillent d’en faire./ Être rouge ce soir, blanc demain, ma foi, non” (Musset, Sonnet au lecteur). „Un fou sadique Landru? Que non. Il est bien plus impénétrable…” (Colette, Prisons et paradis). Je danse si mal! – Oh! que non! Vous ne dansez pas mal. – Vous avez brisé, par mégarde, le vase de Sèvres? – Non pas! il se trouve au salon, sur le buffet. Viendrez-vous? – Non, certes.

Non peut être complément d’objet direct. Ex.: Il ne sait jamais dire non. Il n’a jamais dit non. Je ne dis pas non (fam.). Non peut se trouver dans une subordonnée complétive elliptique après que. Ex.: „Allons, allons, Thibault, soyez serieux. Réfléchissez. Que peut un

gouvernement en guerre? Diriger les événements? Vous savez bien que non.” (Martin du Gard, Thibault).

– Nous disions: „C’est un brave homme, mais il n’est pas assez fort” – Et vous ne le jugiez pas très fort? – Oh, pour moi, il était bien assez fort. Pour d’autres, il paraît que non.” (J.Romains, Knock).

Placé en tête de phrase, non peut annoncer et rendre plus forte l’idée de négation. Ex.: Non, je ne regrette rien. „Rodolphe était resté muet. Et Charles, la tête

dans ses deux mains, reprit d’une voix éteinte et avec l’accent résigné des douleurs infinies: – Non, je ne vous en veux plus! Il ajouta même un grand mot, le seul qu’il ait jamais dit: – C’est la faute de la fatalité!” (Flaubert, Bovary). Non, il ne viendra pas et vous savez pourquoi.

Non, au début d’une phrase déclarative, peut être employé pour nier un terme d’un énoncé antérieur, ou pour le renforcer.

Ex.: „Il est un ton, à quoi reconnaître à distance la passion partisane. Ce n’est pas (comme on le suppose) un ton chaud et persuasif. Non. Mais plutôt un ton froid, détaché, extérieur.” (Paulhan, Entretiens ….).

La structure et non Non précédé ou non de et peut opposer deux termes. Ex.: C’est un satellite artificiel et non une soucoupe volante. „La langue est

une forme et non une substance” (F. de Saussure, Cours de linguistique générale). Je désire du Coca-Cola non de la bière.

La structure et non pas Ex.: „Aimez qu’on vous conseille et non pas qu’on vous loue.” (Boileau, Art

poétique I).

La structure mais non pas, mais non point Ex.: „Ton bras est invaincu mais non pas invincible” (Corneille, le Cid, II, 2).

„On peut concevoir et s’expliquer par les images mais non pas juger et conclure”

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(Joubert, Pensées). „Il désirait inspirer confiance, mais non point se confier à l’aveuglette” (J. Romains, Hommes de bonne volonté).

La structure ou non marquant l’alternative „– Monsieur de Gondi, vous savez ce qui vient de se passer: le Roi a dit tout

haut: – Que notre impérieux Cardinal le veuille ou non, la veuve de Henri-le-Grand ne sera pas plus longtemps exilée…” (Vigny, Cinq-Mars; P.R.).

La structure non plus Non accompagné de plus peut avoir le sens de aussi (Cette structure remplace

aussi dans une proposition négative ou dans une proposition négative elliptique). Ex.: Lui non plus n’y a rien compris. Vous ne le voulez pas, moi non plus.

La structure non pas …. mais, non point …. mais Ex.: „Elle nous adressait la parole à la troisième personne d’une voix non pas

servile, mais soumise et presque glacée” (Duhamel, Pasquier). „Je l’aime, non point tel que l’ont vu les enfers,/ Volage adorateur de mille objets divers. – Mais fidèle, mais fier, et même un peu farouche…” (Racine, Phèdre, II, 5). Elle se tenait devant nous non pas fâchée mais un peu triste.

Les structures non seulement ….. mais; non seulement …. mais encore; non seulement …. mais aussi

Ex.: „On ne faisait point de tels vers avant Racine; non seulement personne ne savait la route du coeur, mais presque personne ne savait les finesses de la versification.” (Voltaire, Dict. philosophique, Art dramatique; P.R.). Non seule-ment on le respecte, mais encore on l’aime. „Frères! Non seulement le même sang, mais les mêmes racines depuis le commencement des âges, exactement le même jet de sève, le même élan! Nous ne sommes pas seulement deux individus Antoine et Jacques: nous sommes deux Thibault, nous sommes les Thibault.” (Martin du Gard, les Thibault). „On eût pu reconnaître dans nos soldats non seulement le peuple héros, mais le peuple militaire” (ap. Michelet, Hist. Révol. française). „On ne peut mettre en doute que dans notre pays, qui est non seulement celui de Descartes, mais aussi celui des moralistes, chacun ne considère comme l’idéal suprême de l’existence….. de réduire toutes ses opinions à des idées claires et distinctes” (L. Le Penne, Introduction à la philosophie; P.R.). „J’ai bien peur …. que non seulement ces soi-disant astrologues, mais encore que tous les mages, que tous les théosophes, que tous les occultistes et kabbalistes de l’heure actuelle ne sachent absolument rien” (Huysmans, Là-bas).

Le fonctionnement de ne Ne employé seul Ne peut s’employer seul pour marquer la négation. 1. Dans certains proverbes: Ex.: Il n’est pire eau que l’eau qui dort. Il n’est pire sourd que celui qui ne

veut pas entendre. 2. Dans les expressions calquées sur les proverbes.

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Ex.: Il n’est pire douleur qu’un souvenir heureux dans les jours de malheur. Il n’est si modeste besogne qui ne demande beaucoup de tendresse (J.Romains). Il est peu de beautés que le temps ne détruise.

3. Dans certaines locutions constituées du verbe avoir et d’un nom complé-ment d’objet ayant l’article zéro.

Ex.: N’avoir crainte (N’ayez crainte). N’avoir cure d’une chose ((cette ex-pression a vieilli; ex.: il n’en a cure (= il ne s’en soucie pas)). N’avoir garde de faire une chose ((= n’avoir aucunement l’intention de faire une chose); ex.: il n’a garde de tromper, il est trop honnête homme)).

4. Dans les locutions: ne dire mot, ne souffler mot, ne voir âme qui vive. 5. Dans certaines locutions impersonnelles Ex.: Il n’empêche (que). N’empêche (que) = syn. pourtant, (et) cependant.

N’importe. Ne vous en déplaise. À Dieu ne plaise. Qu’à cela ne tienne. N’en dé-plaise pas.

6. Dans les locutions hypothétiques: si ce n’est, si ce n’était, si ce n’étaient, si ce n’eût été, si ce n’eussent été, n’eût été, etc.

Ex.: „Évidemment, Vendredi m’obéit au doigt et à l’oeil. Mais il y a dans cette soumission quelque chose de trop parfait, de mécanique qui me glace, si ce n’est hélas ce rire dévastateur qu’il paraît ne pas pouvoir réprimer dans certains cas” (Tournier, Vendredi). N’était l’amitié que j’ai pour vous, je me fâcherais. „Minnet s’y fût assis volontiers, n’eût été son costume” (J.Romains, Hommes de bonne volonté). Vous devriez aller quelques jours au bord de la mer, ne fût-ce que pour changer de paysage.

7. Dans la structure n’avoir que faire de (= n’avoir aucun besoin de; rester indifférent à, etc.)

Ex.: Elle n’a que faire de toutes ces robes. Je n’ai que faire de ses louanges. Il n’y a que faire de vos promesses.

8. Dans certaines structures affectives ayant une forme interrogative ou exclamative.

a) Après le déterminant interrogatif quel dans une interrogation rhétorique. Ex.: „Quel esprit ne bat la campagne?” La F., VII, 10). Quel homme ne serait

impressionné de cette tragédie? b) Après le pronom interrogatif dans une interrogation rhétorique. Ex.: Qui ne connaît mon frère dans le quartier ? „Qui ne fait des châteaux en

Espagne ?” (La F., VII, 10). Qui n’en conviendrait? Qui ne serait touché de cette mort tragique?

c) Après le pronom exclamatif: Ex.: „Bonne Thérèse qui ne vous bénirait serait un ingrat!” (G.Sand, Elle et

lui). Qui ne serait émerveillé par ce paysage! d) Après le pronom que interrogatif ou exclamatif employé au sens de

pourquoi. Ex.: „Dieu! que ne suis-je assise à l’ombre des forêts” (Racine, Phèdre, I, 3).

Que ne le disiez-vous? Que ne suis-je parti pour la campagne? 9. Dans une proposition relative après une principale négative ou interrogative. Ex.: Il n’est point de jour qui ne soit plein de surprises. Il n’y a personne qui

ne veuille participer à cette action. Y a-t-il quelqu’un dont il ne médise? (Ac.) Ne pouvez-vous pas dire un mot qui ne soit une insulte?

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10. Dans les propositions subordonnées de conséquence introduites par tele-ment … que, si … que.

Ex.: Elle est tellement belle qu’on ne s’abstient de le lui dire. Il est si intel-ligent qu’on ne trouve de problèmes qu’il ne puisse résoudre. „Mais ce champ ne se peut moissonner tellement que les derniers venus n’y trouvent à glaner.” (La F., III, 1), „Nous n’avions pas si courte vue que déjà nous ne sussions le reconnaître” (A. Gide, in N.R.F.; P.R.).

11. Dans un circonstant de cause constitué d’une proposition à verbe fini introduite par les locutions conjonctives ce n’est pas que, non pas que, dans cer-tains contextes.

Ex.: Il a continué ses recherches sans relâche; ce n’est pas qu’il n’ait enregistré quelques échecs. Il n’est pas allé visiter cette exposition; non qu’il n’en ait eu envie.

Ne employé parfois seul 1. Avant certains verbes (cesser, oser, pouvoir; surtout aux temps simples et

suivis d’un infinitif). Ne cesser de …. indique la constance dans l’action. Ex.: Il ne cesse de criti-

quer ce livre et son auteur. „Les années qui précèdent l’âge mûr ne cessent d’ac-croître les ressources intérieures d’un écrivain” (J. Romains, Hommes de bonne volonté).

N’oser + infinitif (= s’abstenir, se retenir de dire ou de faire quelque chose). Ex.: Il n’ose accepter cette offre. Elle n’osa faire un seul pas! „Certes, dit-il, mon père était un pauvre sire:/ Il n’osait voyager, craintif au dernier point” (La F., VIII, 9).

Pouvoir. L’adverbe ne employé seul avec pouvoir suffit à exprimer la négation. Ex.: Je ne peux vous le dire. Il n’a pu répondre à cette question. „Les idées a

priori sont celles qui ne peuvent avoir été acquises par l’expérience: les idées a posteriori sont celles qui n’ont pu être fournies que par l’expérience….” (Goblot, Le Vocabulaire philosophique). Il ne pouvait s’en passer.

Savoir. Ce verbe peut être employé sans pas dans les cas suivants: a) au présent de l’indicatif, à la première personne, lorsqu’on doit répondre à

une question de l’interlocuteur. – Quand est-il parti pour Marseille? – Je ne sais.

N.B. Selon Damourette et Pichon (Essai de grammaire § 2235) la nuance sémantique entre je ne sais et je ne sais pas est assez sensible. Je ne sais marque l’incertitude, l’hésitation, tandis que je ne sais pas marque clairement qu’on est certain de ne pas savoir.

b) lorsque savoir signifie „être certain” et qu’il est suivi d’un mot interrogatif tel que qui, que, quoi, lequel, combien, comment, où, quand, pourquoi.

Ex.: Elle est partie avec je ne sais qui. Il ne sait comment faire. Il ne sait combien il doit payer. Je ne sais où il travaille. Je ne sais quand il viendra. „Vous ne savez quoi inventer pour dépenser de l’argent” (Balzac, Eugénie Grandet). Je ne sais pourquoi elle pleure. Elle ne sait que dire. Je ne sais laquelle des deux cravates il préférera.

c) lorsque savoir est employé au sens de pouvoir; dans ce cas, il est au conditionnel (surtout au présent) et il est suivi d’un infinitif.

Ex.: On ne saurait penser à tant de choses. „On ne saurait rien imaginer de plus radieux, de plus étincelant, d’une lumière plus diffuse et plus intense à la fois”

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(Gautier, Voyage en Espagne). „Poésie! o trésor! perle de la pensée/ Les tumultes du coeur, comme ceux de la mer,/ Ne sauraient empêcher ta robe nuancée/ D’amas-ser les couleurs qui doivent te former” (A. de Vigny, Destinées). Je ne saurais vous le dire.

Bouger. Selon l’Académie ce verbe doit se construire sans pas dans les struc-tures Je ne le bougerai de là. Ne bougez de là.

2. Ne peut s’employer seul dans les expressions si je ne m’abuse, si je ne me trompe, si je ne fais erreur.

Certains auteurs emploient ne seul dans les propositions hypothétiques, mais cette construction est moins fréquente que celle où l’on utilise ne …. pas.

a) ne est employé seul. Ex.: „Flaubert n’eût pas réalisé ce chef-d’oeuvre (il s’agit de Madame

Bovary) s’il ne s’était identifié à son héroïne, n’avait vécu de sa vie, ne l’avait crée, non seulement avec des souvenirs de son âme, mais des souvenirs de sa chair” (Thibaudet; Dj.). „Et ces plaisirs légers qui font aimer la vie/ Si tu n’avais pleuré, quel cas en ferais-tu?” (Musset, Nuit d’octobre). „Aucune parole n’est possible si elle n’est prélevée dans le trésor de la langue” (R.Barthes, Éléments de sémiologie; Grev.). „Console-toi, tu ne me chercherais pas, si tu ne m’avais trouvé” (Pascal, Pensées).

b) ne est accompagné de pas. Ex.: „Lorsqu’il avait annoncé qu’il se priverait de nourriture si l’on ne

reconnaissait pas les droits des Intouchables, il ne s’agissait pas de „jeûner, mais de mourir de faim” (A.Malraux, Antimémoires; H.).„Si vous ne m’aviez point fermé la bouche, je vous en dirais davantage” (Madame de Sévigné, Lettres; P.R.). „Si vous n’êtes pas content de vos cheveux, mettez-en d’autres ….” (A.Robbe-Grillet, Projet …….).

Remarque. Si le verbe est le dernier élément de la phrase, l’emploi de pas est nécessaire parce que cette négation porte l’accent de l’énoncé.

Ex.: J’irai le voir s’il ne répond pas. 3. Ne peut être employé seul dans les systèmes temporels formés au moyen de: a) Il y a …. que. Ex.: Il y a deux mois que je ne l’ai vu. Il y a longtemps qu’il

n’a écrit à ses parents. Il y a longtemps que je ne l’ai rencontré. b) Voici … que. Ex.: Voici bien deux ans que je n’ai quitté Strasbourg. Voici

trois mois que je ne suis allé chez mes grands-parents. c) Voilà … que. Ex.: Voilà une semaine que je n’ai reçu de ses nouvelles.

Voilà dix jours que je n’y suis allé. Remarque. Avec un temps composé, la négation ne pas est souvent réduite à

ne dans une construction où figure depuis que. Ex.: „Plusieurs années se sont passées depuis que je ne l’ai vu, depuis qu’on

ne s’est vu” (v. J.Hanse et A.Thomas, Dictionnaire des difficultés). 4. Ne seul devant d’autre(s) suivi de que Ex.: Je n’ai d’autre désir que faire votre bonheur. „Il ne connaît encore d’autre

père que vous” (Racine). „Je n’avais d’autres sorties que le matin” (Daudet, Hist. de mes livres; P.R.).

Ne est utilisé seul s’il est suivi d’une indication temporelle introduite par de (rare).

Ex.: Il ne m’a vu de trois semaines.

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Ne s’emploie nécessairement seul sans pas ou point 1. Lorsque la proposition contient un pronom indéfini faisant partie des quan-

tificateurs (quantifiants, quantifieurs) de „l’ensemble vide” (v. M. Arrivé, La Gram-maire d’aujourd’hui): aucun, aucune; nul, nulle; rien, personne (voir La négation constituée par des quantificateurs de l’ensemble vide).

2. Quand la proposition contient un adverbe comme aucunement, nullement. Ex.: Il n’en a été aucunement question. Cela ne modifie aucunement mon

opinion. Il n’est nullement propre à cet emploi. „L’écriture n’est nullement un moyen de communication” (Barthes, Degré zéro; Grev.).

Ne explétif Ne dit explétif, modal ou discordantiel s’emploie après un certain nombre de

verbes ou de locutions conjonctives, dans une proposition subordonnée au subjonctif. Il n’a pas de valeur proprement négative et s’oppose, en ce qui concerne le sens, à la négation marquée par ne … pas.

Ne explétif est employé surtout dans la langue soignée (le style soutenu): 1. Après des verbes qui marquent la crainte. Craindre que Ex.: Je crains qu’il ne vienne (comparez: je crains qu’il ne vienne pas).

Craignez-vous qu’il ne parte? Ne explétif est employé à la forme interro-négative. Ex.: Ne craignez-vous qu’il ne parte? Remarque. Ne explétif est exclu de la forme négative. Ex.: Je ne crains pas

qu’il fasse cette faute. Je ne crains pas qu’il vienne. Redouter que Ex.: „Chacun redoutait que l’autre ne lui posât des questions précises et ne

l’obligeât d’expliquer ce que sa propre conscience ne lui expliquait pas” (Hermant, Les épaves; P.R.). Il redoutait qu’on ne les vît.

Trembler „Il trembla même que son ancienne et future amie ne fût propriétaire de

quelque petit hôtel d’artiste” (A. Hermant, M. de Croupière; P.R.). Ayant été surpris par un puissant orage, les pilotes tremblaient que leur avion ne fût frappé par la foudre.

2. Ne explétif est employé dans les locutions de peur que ne, de crainte que ne, dans la crainte que ne, qui introduisent des propositions subordonnées de but.

Ex.: „Mais grand-mère, elle par tous les temps, même quand la pluie faisait rage et que Françoise avait précipitamment rentré les précieux fauteuils d’osier de peur qu’ils ne fussent mouillés, on la voyait dans le jardin vide et fouetté par l’averse, relevant ses mèches désordonnées et grises pour que son front s’imbibât mieux de la salubrité du vent et de la pluie” (Proust, Du côté de chez Swann). Il avait décroché le téléphone de peur que quelqu’un ne le dérangeât. Fermez la fenêtre de crainte que le courant d’air ne vienne à briser la vitre. De crainte que vous ne manquiez le train, je vous emmenerai moi-même à la gare. Il lui avait de nouveau téléphoné dans la crainte qu’il ne vînt trop tard.

3. Après des locutions verbales, des expressions marquant la crainte. Ex.: J’ai crainte qu’il ne lui soit arrivé malheur. Il vivait dans une peur

constante qu’il ne tombât, qu’il n’êut froid. Il avait peur qu’on ne le trompât. „J’ai

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peur que mon héros ne vous paraisse étrange” (Musset, Nemouna; P.R.). J’ai peur qu’il ne vienne. J’ai peur qu’il ne lui soit arrivé un accident.

4. Après des verbes tels que empêcher, éviter, prendre garde. Ex.: La pluie empêche qu’on n’aille se promener. „Cette couronne de lauriers

que mettait César pour empêcher qu’on ne vît qu’il était chauve” (Montesqieu, Correspondance; P.R.). Il empêche qu’elle ne sorte. J’empêche qu’il ne vienne. Évitez qu’il ne vous parle „… pour éviter que les conversations ne devinssent difficiles” (Maurois, Cercle de fam.; P.R.). Il avait pris garde qu’on ne le trompât. Prenez garde qu’il ne s’en aperçoive.

5. Après les verbes douter et nier en phase négative et interrogative. Douter. Ex.: Je ne doute pas qu’il ne l’ait dit. Je ne doute pas qu’il ne puisse

mieux faire. Je ne doute pas qu’il ne vienne bientôt (Acad.). Doutez-vous que je ne tombe malade si je fais cette imprudence? (Acad.). Doutez-vous qu’il n’arrive un jour au but? Doutez-vous qu’il ne vous aimât?

Nier. Je ne nie pas qu’il ne soit coupable. Je ne nie pas que je ne sois infiniment ému. Nierez-vous que la réalisation de ce projet ne soit devenue trop coûteuse? Nierez-vous qu’il ne soit un véritable prophète?

6. Après les locutions Il n’y a pas de doute, il n’est pas douteux, nul doute. Ex.: Il n’y a pas de doute qu’il ne vienne. Il n’y a point de doute que vous ne

soyez le flambeau même de ce temps (Valéry, Mon Faust; P.R.). Il n’est pas douteux qu’il ne remporte la première manche. Nul doute qu’il ne se soit trompé. Nul doute que cela ne soit (Acad.).

7. Après les verbes contester, désespérer, disconvenir, dissimuler, mécon-naître employés en phrase négative.

Ex.: Je ne conteste pas qu’il n’ait raison. Je ne désespère pas que ce champion ne réussisse à gagner cette année la course de slalom. Je ne disconviens pas qu’il n’ait trouvé la solution la plus juste. Je ne dissimule pas que mon opinion n’ait beaucoup changé. Il ne méconnaît pas qu’il n’y ait des difficultés dans cette entreprise.

8. Dans la phrase de comparaison exprimant l’inégalité après autre, autre-ment, meilleur, mieux, moindre, moins, pire, pis, plus, plutôt … que.

Ex.: Il est autre que je ne croyais (Acad.). On se voit d’un autre oeil qu’on ne voit son prochain. N’essayez pas de faire passer ces choses pour d’autres qu’elles ne sont. Il agit autrement qu’il ne parle (Acad.). Il est fait autrement que vous ne le croyez. „Puis-je autrement marcher que ne fait (= marche) ma famille?” (La F., XII, 10). Le temps est meilleur qu’il n’était hier (Acad.). Cet homme est meilleur que je ne le pensais. Il a réussi mieux que je ne croyais. Son domaine est moindre qu’il ne disait. La distance est moindre que vous ne le croyez. La structure du noyau atomique est moins simple qu’elle n’avait paru d’abord. Elle est moins intelligente qu’elle ne le croit. Il est pire que je ne l’aurais cru. Ils ont payé cette voiture plus cher qu’elle ne vaut. Il est plus heureux que vous ne l’êtes (Acad.). Il court plutôt qu’il ne marche. Elle suggère plutôt qu’elle n’affirme.

9. Après les expressions suivantes formées au moyen du verbe falloir. a) Il s’en faut de peu Ex.: Il s’en faut de peu qu’il ne gagne ce concours. Il s’en est fallu de peu, ce

soir-là, qu’il ne fût renversé par une voiture. b) Peu s’en faut Ex.: Peu s’en est fallu qu’il ne fût refusé à l’examen.

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c) Il ne s’en faut guère Ex.: Il ne s’en est guère fallu qu’il ne participât à cette expédition. 10. Après les expressions formées au moyen du verbe tenir: a) Il tient à peu de chose que … ne Ex.: Il a tenu à peu de chose qu’il ne perdît son emploi. b) Il ne tient que … que … ne Ex.: „Il n’a tenu qu’à vous que ce débat ne sortît des limites correctes”

(P.Benoit, Bethsabée; P.R.). 11. Après les locutions conjonctives avant que (ne), à moins que (ne). La locution avant que qui introduit un circonstant de temps constitué par une

proposition à verbe fini se construit le plus souvent avec le ne explétif (modal ou discordantiel).

10. La locution conjonctive avant que suivie de ne explétif. Ex.: „Robinson pensait aux armes et aux provisions de toute sorte que

contenaient les flancs du navire et qu’il devait bien sauver avant qu’une nouvelle tempête ne balayât définitivement l’épave” (Tournier, Vendredi).

20. La locution avant que employée sans ne explétif. Ex.: „Voilà que le sommeil l’a pris en traître d’un coup sur la nuque avant

même qu’il ait fermé les yeux.” (Bernanos, M.Ouine). Remarque. L’antériorité peut être marquée par la conjonction que suivie de

la particule ne après une principale négative ou interrogative au lieu de avant que. Ex.: Ne partez pas que tout ne soit terminé (H.). A-t-on jamais vendu la peau

de l’ours qu’on ne l’ait mis par terre? „Ne te montre point que je ne t’appelle” (Musset ; F.B.).

La locution à moins que … (ne) qui introduit un circonstant hypothétique constitué par une proposition à verbe fini a le sens de „si ce n’est que, sauf le cas où”; elle montre comment une exception peut porter sur une éventualité; l’adverbe moins qui entre dans la formation de cette locution fait de celle-ci le type de la restriction et de l’exception hypothétique: „par à moins que on désigne qu’une action quelconque se réalisera dans tous les cas, excepté précisément celui présenté par la subordonnée”.

Ne accompagné par les auxiliaires de négation I. Mie (XIIe s., „parcelle”, spécialt. „parcelle de pain” jusqu’au XVIIe s.).

C’est une particule qui sert à renforcer la négation ne: „Mie (du lat. mica, miette) a été jusqu’au XVIe siècle, le principal concurrent de pas comme auxiliaire de ne…. Dès le XVIIe siècle, son emploi était pure fantaisie d’archaïsme: „N’écoutez mie” ((La F., IV, 16). Le Bidois, Syntaxe, § 1776)). Mie est encore employé parfois dans la langue littéraire.

Ex.: „Ce jour-là … amena pour eux de nouvelles peines auxquelles ils ne s’attendaient mie” (G. Sand, Petite Fadette). „D’autres, que je ne nommerai mie, accomplissent leur devoir en faisant d’assez bonnes leçons” (Duhamel; Z.).

II. Goutte (lat. gutta). Goutte forme en combinaison avec la particule ne et les verbes voir, enten-

dre, comprendre, connaître, etc. une négation renforcée. Ex.: „Ceux qui ont beaucoup de temps à eux et beaucoup de livres, en avalent

tant qu’ils peuvent et se mettent tant de sortes de choses dans la tête, que le Bon Dieu n’y connaît plus goutte.” (G.Sand, Fr. le Champi). „Mais qu’il fait sombre!

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On n’y voit goutte…/ Lève donc un peu l’abat-jour!” (P.Géraldi, Toi et Moi). N’y entendre goutte (= ne rien comprendre). „Elle suivait du regard le jeu de bridge auquel elle ne comprenait goutte” (P.Véber, Fardeau de la jeunesse; P.R.).

III. Pas (XIIe s.; du lat. passus) La forme ne …. pas est la plus fréquente de toutes les formes de la négation. Pas est le résultat de la spécialisation du nom pas avec les verbes aller,

marcher, etc. G. et R. Le Bidois dans la Syntaxe du français moderne § 1776 expliquent l’ap-

parition de pas en tant que deuxième élément de la négation de la façon suivante: „Des substantifs qui énoncent des quantités infimes ont été de bonne heure

ajoutés comme complément d’objet ou complément circonstanciel (adverbial) au verbe accompagné de ne. Pas est le plus ancien, et de beaucoup le plus usité de ces auxialiaires de ne. Continuation du nom latin passum (un pas), il est possible qu’il se soit d’abord employé comme complément de verbes de mouvement; très tôt, il s’est appliqué à toutes espèces de verbes”.

Ne … pas peut marquer la négation absolue ou totale. Ex.: „Garcia ne répondit pas. Près de la buvette, il s’arrêta et se tourna vers

Rambert pour la première fois.” (Camus, La Peste). „Il est vrai que dès ce temps-là, le dos tourné, Lamartine ne se gênait pas et disait en parlant de Chateaubriand: „Je le voyais à la messe, l’autre jour; figure de faux grand homme; un côté qui grimace” (Sainte-Beuve, Chateaubriand).

La négation discontinue ne …. pas employée avec un adverbe 10. Ne … pas devant un adverbe de quantité. Ex.: „Le ciel n’est-il pas assez vaste, cet amour n’est pas assez doux?”

(Flaubert, Éducation sentimentale). Il n’a pas lu beaucoup de livres cette année. Il n’a pas tant d’argent qu’on lui demande pour qu’il puisse acheter cette maison. „Au sortir de ce bain de jouvence qu’est le dormir, je ne sens pas trop mon âge” (Gide, Journal). Je n’insisterai pas davantage sur ce problème.

20. Ne … pas devant d’autres espèces d’adverbes. Ex.: Il sait ce qu’il voudrait faire et il ne peut pas toujours le faire. „L’intérêt

spirituel et l’intérêt temporel ne marchent pas toujours de front” (Duhamel, Défenses des lettres; P.R.). „J’ai vu peu d’intelligences aussi précoces, plus déliées, plus promptes, plus sensibles que la sienne. La profondeur chez les Italiens, n’est pas du tout ennemie de la vivacité ni de la verve” (Valéry, Variété). „Ceux qui ne lisent pas seulement par curiosité regrettent que les qualités d’imagination et d’observation qui n’ont jamais fait défaut à M. Eugène Sue ne soient pas enchâssées dans un style plus pur, plus ciselé, plus littéraire enfin” (Gautier, Souv. de théâtre; P.R.). L’homme ne vit pas seulement de pain. Son activité n’est pas précisément brillante. Il n’est pas autrement intelligent. Il ne s’en soucie pas autrement. Ce n’est pas évidemment une proposition acceptable. [Autres adverbes employés avec ne… pas sont: absolument, certainement, probablement, à peu près, pourtant, etc.].

Ne … pas devant un comparatif Ex.: On ne souffre pas autant qu’on le croit. „Pour être fée, on n’en est pas

moins femme.” (M.Aymé, Au clair de la lune). Ne …. pas devant un nom de nombre Ex.: Il n’avait pas dix ans quand il perdit sa mère. Je n’ai pas acheté deux

cravates mais trois.

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Place des éléments de la négation ne … pas 10. Si le verbe est à un temps simple, il s’intercale entre ne et pas. Ex.: Il ne viendra pas. Seuls, les pronoms personnels objets peuvent s’intercaler entre ne et le verbe. Ex.: Il ne vous recevra pas. 20. Si le verbe est à un temps composé, c’est l’auxiliaire qui est intercalé

entre ne et pas. Ex.: Il n’a pas téléphoné. Il n’est pas venu. La négation qui encadre les verbes vouloir, falloir (dans il faut) porte logi-

quement sur la complétive qui dépend de ces verbes. Ex.: Elle ne veut pas qu’ils viennent. Il ne faut pas que cela se sache. Il ne

faut pas qu’elle parte demain. Remarques. I. Lorsque le verbe encadré par ne … pas est suivi d’un nom: a) Si la négation porte sur le nom, on emploie de. Ex.: Il ne boit pas de café. „Elle n’avait pas d’heures fixes, comme nos deux

frères aînés. Elle arrivait tantôt par le train, tantôt par le tramway” (Duhamel, Pasquier; P.R.).

b) Lorsque la négation ne porte pas sur le nom, on emploie le partitif. Ex.: Il n’avait pas du vin à vendre. II. Lorsque le nom est attribut, on doit employer le partitif. Ex.: Ce n’est pas de l’or qu’il cherchait. „Ce jour n’était pas du jour; c’était

de la lueur.” (Hugo, L’homme qui rit; P.R.). III. Lorsque l’élément négatif pas est placé devant l’adverbe il peut modifier

l’adverbe. Si cet élément est placé après l’adverbe, c’est ce dernier qui modifie la négation.

Ex.: Il ne part pas toujours par le train (= parfois, il emploie d’autres moyens de transport). Il ne part toujours pas par le train (= il emploie d’autres moyens de transport; il n’a pas encore commencé à prendre le train).

L’emploi de ne … pas (ne pas) dans une construction infinitive Si le verbe est à l’infinitif les deux éléments de la négation se trouvent placés

devant ce dernier. Ex.: Il ordonna de ne pas bouger de place (Acad.). Il croit ne pas pouvoir

venir (Acad.). „Il lui arrive assez souvent de ne pas achever ses phrases ce qui donne à sa pensée une sorte de flou poétique” (A.Gide, Faux-monnayeurs). „Je lui avais annoncé qu’irrévocablement j’étais décidé à ne pas épouser Albertine…” (Proust, À la recherche ….).

Les pronoms personnels compléments sont précédés par ne pas. Ex.: Ne pas lui envoyer l’argent promis serait regrettable. „Louer quelqu’un

en face …. Qu’est-ce faire autre chose sinon le taxer de vanité? Non, non; je l’honore trop (= Mme de Wolmar)” pour ne pas l’honorer en silence” (Rousseau, Julie; P.R.).

En français classique, les deux éléments de la négation peuvent encadrer l’infinitif et les pronoms atones.

Ex.: „Je rends grâce à Dieu de n’être pas Romain” (Corneille, Horace, v. 481). „Je le perds pour ne le perdre pas” (Corneille, Polyeucte, III, 5). „Peut-on en le voyant, ne le connaître pas?” (Molière, Misanthrope, I, 1). Vos yeux auraient pu feindre, et ne m’abuser pas (Racine, Britannicus, v. 994).

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Lorsque l’infinitif est accompagné d’un pronom personnel complément, l’or-dre des termes peut être: a) ne + pronom + pas + infinitif : „Monsieur, je ferai tout pour ne vous pas déplaire” (Racine, Les Plaideurs, v. 492); b) ne + pronom + infinitif + pas: „Vos yeux auraient pu feindre, pour ne vous déplaire pas” (Racine, Les Plaideurs).

N.B. Ces constructions peuvent être encore rencontrées en français littéraire: Ex.: „De la sottise avec brillant ou de la sottise sans brillant comment ne préférer pas

la seconde?” (Montherlant, Les célibataires; P.R.). „Pascal paraît vouloir dire qu’il y a également inconvénient à louer l’enfance et à ne la pas louer” (Sainte-Beuve, Port-Royal; Grev.).

– Lorsque l’infinitif est au passé ou au passif, pas peut être placé avant ou après l’auxiliaire.

Ex.: Je crains de ne pas être compris; je crains de n’être pas compris; je crains de ne pas avoir compris. Je crains de n’avoir pas compris.

Pas employé seul 1. Pas est employé seul dans les réponses, dans un système de phrases elliptiques. Il doit être renforcé par un adverbe de quantité (pas trop, pas beaucoup, pas

tant, etc.), un adverbe de manière (absolument pas, sûrement pas), des expressions négatives (pas du tout; pas le moins du monde; pas avant de, construction infinitive), des termes renvoyant à la situation spatio-temporelle (pas si loin, pas si haut, pas ici, pas encore, pas aujourd’hui).

Ex.: – Est-il fâché de cet échec? – Pas tant que vous le pensiez. – Est-ce que je suis arrivé trop tôt? – Non. Pas du tout. – Vas-tu mieux? Absolument pas.

2. Pas employé seul dans une interrogation (emploi familier). Ex.: Ai-je pas réussi? Tu m’écriras pas? (pour n’est-ce pas?). „Fit-il pas

mieux que de se plaindre?” (La F., III, 11). „Dirait-on pas des yeux jaloux qui nous observent?” (V.Hugo, Hernani). Ai-je pas tenté de la rendre heureuse?

3. Pas utilisé après l’adverbe interrogatif pourquoi. L’expression pourquoi pas? peut remplacer la locution pourquoi non? qui

appartient au style soutenu. Ex.: „Je nommai le cochon par son nom; pourquoi pas?” (V.Hugo,

Contempl.; P.R.). – Parlez-vous sérieusement? – Pourquoi pas? „Mon esprit se plie facilement à ce genre de travail: pourquoi pas?” (Chateaubriand, Mém.; Grev.).

Pas employé seul dans des phrases elliptiques a) dans les exclamations: Ex.: Pas réussie cette robe! „Je devrais éprouver le saisissement du choc, puis

la peur, puis la détente. Pensez-vous! Pas le temps!” (St. Exupéry, Pilote de guerre; P.R.). Pas vu, pas pris! „Pas changé, celui-là par exemple! Toujours sa même figure qui n’a pas d’âge, toujours son masque incolore qui tient à la fois du moine et du détrousseur” (P.Loti, Ramuntcho). Pas fameux, ce projet! Pas folle, la guêpe! (= elle est assez habile, pour éviter le guet-apens).

b) dans les phrases déclaratives devant un adjectif ou un participe. Ex.: „Je vous dirais que de vous galvauder ainsi dans ce milieu de faux

monde cela vous donnerait un air pas sérieux, une réputation d’amateur, de petit musicien de salon, qui est terrible à notre âge” (Proust, À la recherche ….).

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Pas de employé dans les phrases sans verbe. Ex.: „Oh! pas d’histoire, affirma-t-il. L’affaire est entendue” (Carco, Jésus-

la-Caille; P.R.). Pas d’histoire, dit-il, je vous veux du bien. Pas de blague, rendez-moi tout de suite l’argent que je vous ai prêté. „Hideuses et froides, ces caricatures ne manquent pas de cruauté, mais elles manquent de comique: pas d’expansion, pas d’abandon; le grand artiste (= Léonard de Vinci) ne s’amusait pas en les dessinant…” (Baudelaire, Curiosités esthétiques). Pas de chance!

Et pas, ou pas, mais pas employés sans verbe. C’est son propre intérêt qui l’a fait agir et pas le bien d’autrui. „D’ailleurs,

reprit encore M. de Meillan, âme ou pas âme, il n’y a guère moyen d’être heureux” (Miomandre, Écrit sur l’eau; P.R.). Grand chimiste ou pas il a fait une découverte importante. Je veux bien participer à ce colloque mais pas lui.

La locution Voilà-t-il pas Cette locution peut s’employer dans les interrogations ou les exclamations

(elle est employée dans la langue populaire ou familière). Ex.: „Voilà-t-il pas une instructive histoire?” (Barrès, Maîtres; Grev.). –

„Voilà-t-il pas, pauvre homme,/ Que j’ai peur de le voir rentrer, moi, maintenant!” (V. Hugo, Lég. des siècles; P.R.). „À Moscou! – Va pour Moscou! dit l’armée. Nous prenons Moscou. Voilà-t-il pas que les Russes brûlent leur ville!” (Balzac, Médecin de campagne).

Pas employé seul dans les formules familières et populaires: Si c’est pas malheureux! Faut pas s’en faire. Faut pas louper son tour.

Ex.: Je suis arrivé en retard à la gare et de plus j’ai oublié l’une de mes valises dans le métro; si c’est pas malheureux! Dans la vie faut pas s’en faire.

IV. Point (milieu du XIe s.; spécialisation du nom point au sens de „petite parcelle d’étendue ou de temps”; il a été ensuite employé comme auxiliaire de ne, équivalant à pas).

Point s’emploie ordinairement en corrélation avec ne pour marquer une néga-tion totale.

Ex.: Le coeur a ses raisons que la raison ne connaît point (Pascal, Pensées). „Ils montrèrent, du reste, que je ne les gênais guère; c’est-à-dire qu’ils ne se gênèrent point” (A. Gide, Si le grain; P.R.).

Remarque. À l’heure actuelle, point est moins usité que pas; il est souvent considéré archaïque, littéraire, ou régional. En français classique point était d’un usage assez courant: „Va je ne te hais point” (Corneille, le Cid). „Ne forçons point notre talent!” (La F., III, 2). „Je n’ai te point aimé” (Racine, Andromaque, IV, 5). Girault-Duvivier marque de la façon suivante la différence d’emploi entre pas et point: „Pas énonce simplement la négative, point l’exprime avec beaucoup plus de force. Le premier souvent ne nie la chose qu’en partie ou avec modification; le second la nie toujours absolument, totalement et sans réserve” (Grammaire des grammaires, t. II).

J. Hanse fait à ce sujet la remarque suivante: „Sans doute, dit-il, si l’on tient compte de l’étymologie, point nie plus fortement que pas: Je n’avance pas d’un point dit plus que Je n’avance pas d’un pas. Mais ce sens étymologique est aujourd’hui bien loin de l’usage. Celui-ci quoiqu’on prétende encore parfois, ne distingue pas les deux adverbes par le sens mais par l’euphonie ou dans l’emploi.

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Point est infiniment moins fréquent et par là il peut certes prendre, occasionnel-lement une valeur plus forte … Il peut toujours être remplacé par pas, sauf dans le cas – rare d’ailleurs où il correspond à non dans une réponse elliptique: En voulez-vous? Point (Ac.) ou Point du tout. On pourrait répondre pas tout seul; on dirait: Non ou Pas du tout. Pas encore. Pas plus que vous, etc.” (Nouveau dictionnaire des difficultés du fr. mod.).

Remarques sur l’emploi de ne … point 1. Ne ….. point suivi d’un nom. Ex.: Je n’ai point d’argent. „Si nous n’avions point de défauts, nous ne

prendrions pas tant de plaisir à en remarquer dans les autres” (La Rochefoucauld, Maximes). „On croit que les rêveurs ne font point de mal, on se trompe: il en font beaucoup” (A. France, Lys rouge; P.R.). Je n’ai point de chance. Amour n’a point de lois. „Il n’y a point de secrets que le temps ne révèle” (Racine, Britannicus, IV, 4).

2. Ne … point, accompagné d’un adverbe. Ex.: „Je ne veux point aujourd’hui d’autres affaires que de plaisir.” (Molière;

P.R.). Je ne veux point demain regretter cette démarche. „Il vous écoute, il ne se fâche point contre vos idées, il a l’air d’y entrer et n’y entre point du tout” (Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe). „Mais contre l’attente de la belle-mère, Cadet Blanchet ne se fâcha presque point” (G. Sand, Fr. le Champi).

Place de point dans la négation 1. Lorsque le verbe est à un temps simple, il est placé entre ne et point. Ex.: L’amour n’a point de lois. „L’homme n’a point de port, le temps n’a

point de rive;/ Il coule, et nous passons!” (Lamartine, Le lac). „Rome n’attache point le grade à la noblesse” (Corneille; Besch.).

2. Si le verbe est à un temps composé, c’est l’auxiliaire qui est intercalé entre ne et point.

Ex.: Ne l’ai-je point convaincu de ma sincérité? „Les rois ne sont point protégés par les lois” (Chénier; Besch.).

3. Point peut, dans certains cas, être placé devant ne. Ex.: Point n’est besoin de voir le lieu: elle connaît assez bien l’aspect

redoutable des grands bois.” (L. Hémon, M.Chapdelaine; L.B.). Point n’est besoin de continuer vos recherches dans cette direction.

L’emploi de ne …. point (ne point) dans une construction infinitive Lorsque le verbe est à l’infinitif, les deux éléments de la négation se trouvent

placés devant l’infinitif et devant les pronoms compléments d’objet, s’il y a lieu. Ex.: Ne point leur parler avec politesse serait impardonnable. „Victor a ceci

de commun avec son père: se proposer de faire telle chose, l’annoncer bien haut, puis de ne point la faire” (A. Gide, Journal).

En français classique, ne et point peuvent encadrer l’infinitif et les pronoms conjoints (s’il y a lieu).

Ex.: „Être avec des gens qu’on aime, cela suffit: rêver, leur parler, ne leur parler point, penser à eux, penser à des choses plus indifférentes, mais auprès d’eux, tout est égal” (La Bruyère, Les Caractères).

Point employé seul sans ne 1. Dans les réponses (phrases elliptiques), surtout en français classique.

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Ex.: „Angélique: Montrez-vous généreux. – Dandin: Non. – Angélique: De grâce! – Dandin: Point.” (Molière, G. Dandin, III, 6).

2. Dans les interrogations Ex.: „Vous ennuyez-vous point/ De coucher toujours seul?” (La F. VIII, 11).

Venez-vous? Point. Autres exemples de point employé seul: „Belle tête, dit-il, mais de cervelle point” (La F. IV, 14). „Ils croyaient qu’il

suffirait d’un mot pour tempérer son ardeur combative – Point. Christophe n’écoutait rien” (R. Rolland, Jean-Christ.; P.R.). „L’amour peut être aveugle; L’amitié point; elle se doit de ne point l’être” (A. Gide, Journal).

L’expression point de Ex.: Point de roses sans épines. Point d’argent, point de suisse. „De la

bienveillance en paroles, et de l’amitié tant qu’il vous plaira, mais de l’argent, point d’affaires” (Molière, Avare, II, 4). „L’hiver revint. Jours courts, moins de travail. L’hiver point de chaleur, point de lumière, point de midi, le soir touche au matin” (Hugo, Misérables; P.R.). „Rien qui fasse diversion à ce travail affolant. Point de jeux, point d’amis.” (R.Rolland, Jean-Christophe).

Remarques sur les différents emplois de point 1. Point devant un adjectif Ex.: „Elle sautait, allait, venait,/ Comme un volant sur la raquette: Fraîche

sous son petit bonnet,/ Belle à ravir et point coquette.” (A. Daudet, Les Prunes). „Leur fille Mathilde tenait de son père pour la forme et la santé; belle fille peut-être sous le vermillon de son visage et le fagotage de sa personne, et point sotte non plus que ses parents” (A. France, Vie en fleur; P.R.).

2. Point devant un participe Ex.: „Julien était silencieux et point trop troublé” (Stendhal, Le rouge et le

noir). Elle était triste point désespérée. 3. Emploi de point sans ne dans une construction vieillie. Ex.: „Mignonne, allons voir si la rose/ Qui ce matin avait déclose/ Sa robe de

pourpre au soleil,/ A point perdu, cette vêprée,/ Les plis de sa robe pourprée….” (Ronsard, À Cassandre).

V. Guère ((1080, Roland (guaire); du francique waigaro, beaucoup; ne …. guère (surtout à partir du XVIIe s.)).

Guère employé avec ne Guère utilisé avec ne signifie „pas beaucoup, pas très” ou „pas longtemps,

pas souvent”. Au sujet de l’adverbe guère, G. et R. Le Bidois font la précision suivante: „L’adverbe guère et la négation ne ont contracté une alliance si invétérée, si

étroite que, depuis le XVIIe siècle aucun supplément négatif (tel que pas, point) ne s’immisce dans leur union. Guère doit à son association fréquente avec ne de paraître négatif (pas beaucoup), alors qu’en réalité c’est un adverbe positif (en grande quantité)” (Syntaxe du français moderne).

Remarques sur l’emploi de ne … guère 1. Ne …. guère devant un adjectif, un participe. Ex.: Vous n’êtes guère sage. „C’est au sein de pareils villages qu’il fallait

chercher des vieillards durables, plutôt des villardes car – selon le mot désabusé

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d’une de celles-ci, – ce n’est guère solide un homme” (Colette, Belles saisons; P.R.). Tu n’est guère inspiré en ce moment.

2. Ne …. guère devant un adverbe. Ex.: Il ne va guère mieux. Il ne va guère loin chercher dans son coeur pour y

trouver de l’affection pour elle. 3. Ne …. guère devant un comparatif. Ex.: Son ouvrage n’est guère plus avancé qu’il ne l’était il y a deux mois. Cet

échec n’est guère moins excusable qu’un autre. „Pendant longtemps le roi n’aura guère plus d’importance qu’un duc ou un comte ordinaire” (Michelet, Histoire de France; P.R.). Il n’est guère plus riche que vous.

Guère peut marquer une durée très brève. Ex.: La paix ne dura guère (Acad.). Je n’y séjournerai guère. „C’est, dit-il (en

s’adressant à la Mort), afin de m’aider/ À recharger ce bois ; tu ne tarderas guère” (La F., I, 16). Ces amitiés ne dureront guère, vu que la carrière du critique ne peut s’accorder longtemps avec les amitiés particulières, toutes vouées à de plus ou moins fatales ruptures (ap. Henriot, Romantiques).

Guère peut indiquer la fréquence d’une action. Ex.: Vous ne venez guère nous voir (Acad.). Je ne vais guère au théâtre. „On

passe souvent de l’amour à l’ambition mais on ne revient guère de l’ambition à l’amour” (La Rochefoucauld, Maximes). „En résumé, ses revenus industriels strictement calculés ne tombaient guère au-dessous du million et le dépassaient le plus souvent” (J. Romains, Hommes de bonne volonté; P.R.).

Guère précédé d’une préposition Les formes à guère, de guère, étaient fréquemment employées au XVIIe siècle. Ex.: „Le pauvre Segrais ne tient à guère” (Sévigné, 147 ; H.D.T.). „L’un fait

beaucoup de bruit qui ne lui sert de guère” (Molière, École des femmes, I, 1). „Il ne servira plus à guère de gens” (Pascal, Prov. 4). „Par ma foi l’âge ne sert de guère” (Molière, École des maris, III, 5).

Les expressions Il ne s’en faut de guère (vx.), il ne s’en faut guère, il ne s’en est guère fallu.

Il ne s’en faut de guère est un tour vieilli. Littré le recommandait encore dans son Dictionnaire. On emploie en français contemporain il ne s’en faut guère (= il s’en faut de peu, il ne manque pas grand-chose): Il ne s’en faut guère que tous les employés de cette entreprise soient ponctuels (= presque tous les employés arrivent à l’heure fixée, convenue).

– Guère introduit un nom qu’il détermine et auquel il est relié par de Ex.: Il n’a guère d’argent. Il n’a guère de vin. Il n’a guère de courage. „Il

n’est guère de passion sans lutte” (Camus, Mythe de Sisyphe). Il n’est guère venu de touristes.

Le tour ne …. plus guère Guère ne peut s’employer avec ne … pas mais il peut se construire avec ne

…. plus. Ex.: Moult est un mot qui n’est plus guère employé. C’est un vieux avocat

qui n’exerce plus guère. Il n’a plus guère à vivre (Acad.). Le tour ne …. guère que (= presque, seulement, si ce n’est) Ex.: Il n’y a guère que ce savant qui puisse trouver la solution à ce problème.

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Guère employé sans ne Guère est employé sans ne (= pas beaucoup) dans certaines constructions

elliptiques (niveau familier de la langue). Ex.: – Aimez-vous ce tableau – Guère (= je ne l’aime pas). Elle doit avoir

une vingtaine d’années, guère plus. VI. Plus (980, Passion, du lat. plus ; ne …. plus apparaît dans la Chanson de

Roland, 1080)

Plus précédé de ne (ne …. plus). Cette construction donne à plus un sens négatif qui marque „la cessation de

quelque action ou de quelque état ou l’absence de quelque chose qu’on avait aupa-ravant” (Littré). Selon M.Riegel plus indique la rupture d’une continuité temporelle car il découpe la succession temporelle en distinguant un avant et un après: Elle ne vient plus s’oppose à elle venait avant (v. Grammaire méthodique, p. 418).

Plus peut marquer l’existence d’un présupposé: Il ne fume plus présuppose Il fumait auparavant.

Ex.: Il n’en veut plus entendre parler. Il n’y pense plus. Je ne vous en veux plus. „N’espérons plus mon âme aux promesses du monde” (Malherbe, Paraphrase au Psaume 145). „Son coeur battait si fort qu’elle y avait appuyé sa main et n’osait plus la retirer” (Martin du Gard, Thibault).

Ne … plus accompagné d’un adverbe Ex.: Il n’entend presque plus. „Il avait une voiture neuve à laquelle il avait

appliqué de si nombreux perfectionnements qu’elle ne marchait plus du tout” (A. Maurois, R. Quesnay).

Plus accompagné de personne, aucun, jamais, rien Aucun ne peut se construire avec ne pas ou ne point; il peut en revanche se

construire avec plus. Ex.: Je n’y vois plus aucun remède (Acad.). Personne: Il n’y avait plus personne quand les policiers sont arrivés.

L’expression il n’y a plus personne (fam.). Cette expression est employée lorsqu’on veut reprocher à quelqu’un sa

paresse, sa mauvaise volonté. Toujours prêt à s’amuser; mais quand il s’agit de travailler, il n’y a plus personne.

Jamais: Je ne le ferai plus jamais (ou Je ne le ferai jamais plus). Nous ne le revîmes jamais plus. „Elle avait eu un air de porter le diable en terre, toute droite, figée, avec une voix triste dans les plus simples choses, lente en ses mouvements; elle ne souriait plus jamais” (Proust, À la recherche du temps perdu). „Le bon sens populaire a fait, depuis longtemps, justice d’une expression malheureuse: on ne dit plus jamais fille de joie, on pense parfois fille de douleur” (Duhamel, Biographie …; P.R.). Je ne veux plus jamais lui parler.

Rien: Je n’entends plus rien. „Arrivera-t-il jusqu’à la surface de ma claire conscience, ce souvenir, l’instant ancien que l’attraction d’un instant identique est venue de si loin solliciter, émouvoir, soulever tout au fond de moi? Je ne sais. Maintenant je ne sens plus rien, il est arrêté, redescendu peut-être: qui sait s’il remontera jamais de sa nuit?” (Proust, À la recherche ….; P.R.).

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Le tour ne … pas plus … que Ex.: „Le magnétisme, la science favorite de Jésus et l’une des puissances

divines remises aux apôtres ne paraissait pas plus prévu par l’Église que par les disciples de Jean-Jacques et de Voltaire” (Balzac, Ursule Mirouët). Ce proverbe n’est pas plus vrai que tout autre proverbe. Cette jeune fille n’est pas plus belle que sa soeur.

Plus employé seul (on sous-entend il n’y a…, il n’y avait) Ex.: „Paris était mort. Plus d’autos, plus de passants – sauf à certaines heures

dans certains quartiers…” (Sartre, Situations III). „Plus d’amour, partant plus de joie” (La F., VII, 1).

N.B. Plus s’emploie sans ne dans une phrase nominale, avec une valeur d’impératif; plus ainsi employé nie l’existence du référent.

Ex.: „Plus de guerres,/ Plus de sang! Désormais vivez comme des frères,/ Et tous, unis, fumez le Calumet de Paix!” (Baudelaire, Poèmes ajoutés à l’édition posthume). „Plus d’écritures! plus de chefs! plus même de terme à payer!” (Flaubert; M.R.).

La négation constituée par des quantificateurs (quantifieurs, quantifi-ants) de l’ensemble vide (v. M. Arrivé et alii, La grammaire d’aujourd’hui).

Ces quantificateurs sont les suivants: 10. déterminants: aucun (aucune), nul (nulle), pas un (pas une). 20. pronoms (substituts): rien, personne, aucun (aucune), nul (nulle), pas un

(pas une). Aucun aucune; déterminant (du lat. pop. aliquunus, dér. de aliquis, quelqu’un

et unus, un). Employé avec une valeur négative. Précédé ou suivi de ne, il marque la quantification nulle (il est quantita-

tivement du degré zéro, il marque une quantité nulle) du groupe nominal où il se trouve.

Ex.: Il n’a trouvé aucun ouvrage sur le problème qu’il doit étudier. Le directeur ne perdait aucune occasion de critiquer ses subalternes.

Aucune vie n’est assez courte pour que l’ennui n’y trouve pas sa place (Renard, Journal). Aucun homme n’est irremplaçable. Aucun étudiant n’est là.

Aucun s’emploie au pluriel sous les formes aucuns, aucunes devant certains noms qui n’ont pas de singulier (des noms pluralia tantum): frais, funérailles, obsèques, armoiries.

Ex.: Vous ne supporterez aucuns frais. On ne lui fit aucunes funérailles. Cette famille qui se croit noble n’a aucunes armoiries.

Nul (nulle); 842, Serments de Strasbourg („Et ab Luther nul plaid nunquam prindrai qui meon vol cist meon fradre Karle in damno sit” = et avec Lothaire je ne traiterai jamais nul accord qui soit par ma volonté, au préjudice de mon frère Charles, ici présent”, du lat. nullus).

Ce déterminant appartient à la langue cultivée. Il est surtout employé dans la langue poétique et dans le style juridique. Dans la langue populaire, il est employé seulement dans la locution nulle part.

Ex.: Je n’ai nulle envie de faire cette déamarche. Nul citoyen ne doit ignorer la loi. Je ne trouve nul lieu plus plaisant que cette station balnéaire. „Tout attachement est un signe d’insuffisance: si chacun de nous n’avait nul besoin des

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autres, il ne songerait guère à s’unir à eux” (Voltaire, Questions sur l’Encyclo-pédie; P.R.). „Tout ce monde visible n’est qu’un trait imperceptible dans l’ample sein de la nature. Nulle idée n’en approche. Nous avons beau enfler nos concep-tions au-délà des espaces imaginables, nous n’enfantons que des atomes, au prix de la réalité des choses” (Pascal, Pensées). „Nulle humaine prière/ Ne repousse en arrière/ Le bateau de Charron, Quand l’âme nue arrive/ vagabonde en la rive/ De Styx ou d’Achéron” (Ronsard, Odes, IV, 5).

Nul peut être suivi par autre Ex.: L’on pourrait dire que nul autre élève que lui n’aurait plus besoin des

conseils d’un professeur. Sa profession ne peut se comparer avec nulle autre.

Nul suivi de part Nulle part situe la négation dans l’espace. Cette locution adverbiale signifie

„en aucun lieu”. Ex.: Je ne trouve ce dictionnaire nulle part. Il n’avait vu cela nulle part.

„Comme il veut qu’elle l’accompagne partout, il n’ose plus aller nulle part.” (Gide, Journal).

Nul employé au pluriel Ex.: Il n’avait pris nulles précautions. „Il n’y a nuls vices extérieurs et nuls

défauts du corps qui ne soient aperçus par les enfants” (La Bruyère, Les Caractères). „Ils croiront que ces monstres obéissent à des forces que nuls esprits ne peuvent définir.” (A. France, Rév. des anges). Nulles funérailles n’atteignirent jamais à telle pompe.

Pas un (pas une), déterminant Il exprime avec force l’idée négative. Il signifie „absolument aucun”. Ex.: Pas un mot d’encouragement n’avait été prononcé par ses amis. Pas une

feuille ne bouge. Il n’y a pas un roman policier dans cette bibliothèque.

Pronoms indéfinis négatifs Rien, auxiliaire négatif de ne Etym. Du lat. rěm, accusatif de res, chose. Il signifie „aucune chose, nulle

chose”. 1. Rien pronom employé comme complément direct ou indirect. Ex.: Il ne sait rien. Il n’a rien entendu. Elle n’a rien compris. Ils n’ont rien

vu. Je n’y comprends rien. Il ne se refuse rien. Cette promesse n’engage à rien. „Les épines, ça ne sert à rien, c’est de la pure méchanceté de la part des fleurs” (St. Exupéry, Petit prince). Cette démarche ne rime à rien.

2. Rien employé comme sujet Ex.: „Rien ne m’est étranger de leur joue à ma joue/ Et l’espace nous lie en

pensant avec nous” (Jules Romains, Qu’est-ce qui transfigure). „Jadis plus d’un amant, aux jardins de Bourgueil,/ A gravé plus d’un nom dans l’écorce qu’il ouvre,/ et plus d’un coeur, sous l’or des hauts plafonds du Louvre,/ À l’éclair d’un sourire a tressailli d’orgueil./ Qu’importe? Rien n’a dit leur ivresse ou leur deuil” (Jose-Maria de Heredia, Sur le livre des amours de Pierre de Ronsard). „Voici le soir. Au ciel passe un vol de pigeons. Rien ne vaut pour charmer une amoureuse

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fièvre,/ O chevrier, le son d’un pipeau sur la lèvre/ Qu’accompagne un bruit frais de source entre les jours.” (Heredia, La flûte).

3. Rien employé comme attribut Ex.: „Ci-gît Piron qui ne fut rien,/ Pas même académicien” (Piron, Mon

épitaphe). „quel que soit le plaisir que cause la vengeance/ C’est l’acheter trop cher que l’acheter d’un bien/ Sans qui les autres ne sont rien” (La F., IV, 13).

Rien employé avec une comparaison. Ex.: „Rien n’est beau que le vrai: le vrai seul est aimable” (Boileau, Épître

IX, à M. le marquis de Seignelay). Rien n’a l’air plus faux que le vrai (P.R.). „Beaucoup de choses sont admirables, mais rien n’est plus admirable que l’homme” (Gide, Oedipe, I).

Rien employé comme antécédent d’un pronom relatif. Dans ce cas, il est suivi du subjonctif.

Ex.: „On a l’impression que l’homme est capable de tout… – Mais non, il est incapable de souffrir ou d’être heureux longtemps. Il n’est donc capable de rien qui vaille” (Camus, La Peste). „Il est vrai que la société n’est qu’une organisation d’individus, qu’elle est, comme Spencer l’avait dit jadis, ce que la font les individus qui la composent, mais il est vrai aussi que ces individus qui créent la société sont créés, pétris, sculptés par elle. Il n’est rien dans l’individu qui ne soit social…” (P.Paulhan, Les transformations sociales des sentiments; P.R.). „Rien en lui qui ne croie au bonheur, qui n’y tende de toutes ses petites forces passionnées” (R.Rolland, Jean-Christophe).

Rien employé avec de Ex.: Il n’y a rien de plus beau que cet édifice. „Elle eut horreur de cette

malade qui n’avait rien de mieux à faire que d’épier les autres…” (Green, A.Mesurat).

Place de rien Rien est placé après le verbe lorsqu’il est employé comme complément

d’objet direct. Ex.: Je n’y comprends rien. Dans les temps composés, rien est placé après l’auxiliaire. Ex.: Il n’a rien entendu. Elle n’a rien vu. Je n’ai rien dit de semblable (Th.). Parfois rien est séparé de l’auxiliaire pour être placé tout près de ce qui le

complète. Ex.: Je n’ai jamais vu rien de tel (H.). Dans une phrase où il y a un infinitif présent, rien précède, en général, cet

infinitif. Ex.: „Ne rien faire est le bonheur des enfants et le malheur des vieillards”

(V.Hugo, P.-S. de ma vie. L’esprit. Tas de pierres). Passer sa vie à ne rien faire (Th.). Lorsque dans une phrase, il y a un infinitif, rien est placé après l’auxiliaire. Ex.: N’avoir rien entendu.

Personne, pronom (1180; empr. lat. persona, „personnage, personne”, mot d’origine etrusque).

Employé avec un sens négatif, il signifie „aucune personne”, „nul, aucun”. Ex.: Je n’accuse personne. „gardez-vous bien surtout de remettre à l’au-

tomne;/ L’hiver vient aussitôt: rien n’arrête le temps,/ Clymène, hâtez-vous, car il

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n’attend personne” (La F., Clymène). Je ne connnais personne dans cette ville. „Non, l’avenir n’est à personne!/ sire! l’avenir est à Dieu” (V.Hugo, Napoléon III). Personne ne l’a vu. Personne ne le sait. „Personne ne dansait mieux et personne n’était si coquet” (Hamilt. Gram.; H.D.T.). „D’où vient que personne en la vie n’est satisfait de son état?” (La F. XII, 9). – Quelqu’un s’occupe de cette affaire? – Non, personne ne s’en occupe. Personne ne sera assez hardi pour le faire (Acad.).

Aucun, pronom Employé avec une valeur négative. Dans ce cas, il est accompagné de la

particule négative ne (sans pas ou point; mais on peut mettre plus ou jamais). Ex.: Il attendait plusieurs invités. Il n’en est venu aucun. – Tu as lu ses pièces

de théâtre? – Non, je n’en ai lu aucune. Aucun peut être suivi d’un complément à valeur partitive. Ex.: Aucun d’entre vous ne permettra cette injustice (ap. le Lexis). Aucun

d’eux ne le trahira. Devant l’adjectif ou le participe qui qualifient le pronom aucun, l’emploi de

la préposition de est facultatif. Ex.: Il a des amis, mais il n’a aucun de fidèle, aucun fidèle (Grev.).

Nul, pronom Employé avec ne, il exprime l’idée de négation avec plus de force que

personne ou aucun. Ce pronom appartient au style soutenu, à la langue littéraire. Dans le code oral, il est généralement remplacé par personne. Un autre trait carac-téristique de nul est le fait qu’il peut être sujet.

Nul (sujet) Ex.: Nul n’est censé ignorer la loi. Nul d’entre nous (nul de nous) ne l’a dit

(H.). Nul ne doit être inquiété pour ses opinions (P.R.). Nulle de vos amies n’est allée au vernisage. Nul n’est prophète en son pays.

Pas un, pronom Accompagné de ne, pas un exprime l’idée de négation avec une force toute

particulière. Ex.: „Une nuit claire, un vent glacé. La neige est rouge./ Mille braves sont là

qui dorment sans tombeaux./ L’épée au poing, les yeux hagards. Pas un ne bouge./ Au-dessus tourne et crie un vol de noirs corbeaux” (Leconte de Lisle, Le coeur de Hialmar). Pas un n’essaya de se soustraire à son devoir. Il n’en est pas un qui ne puisse résoudre ces problèmes.

Remarques. 1. Comme complément d’objet direct pas un est suivi d’un complément partitif.

Ex.: Je ne connais pas un de vos amis.

N.B. L’emploi de la préposition de est facultatif devant l’adjectif ou le participe qui qualifient pas un: De tous ces fruits, il n’en reste pas un de mûr, pas un mûr.

Les adverbes qui situent la négation dans l’ordre temporel ou dans l’espace Jamais (XIe s.; composé de ja, lat. jam, „déjà” et de mais, lat. magis „plus”)

sert à former une négation de temps. Jamais accompagné de ne signifie „en aucun temps”, „à aucun moment” (ne … jamais; jamais … ne).

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Ex.: Je ne l’ai jamais rencontré. „Je trône dans l’azur comme un sphynx incompris;/ J’unis un coeur de neige à la blancheur des cygnes;/ Je hais le mouvement qui déplace les lignes,/ Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris” (Baudelaire, La Beauté). Nos beaux jours ne reviennent jamais. On ne sait jamais ce qui peut arriver. Elle n’est presque jamais dimanche chez elle.

Remarque. L’article indéfini est souvent supprimé après jamais, devant un nom en fonction de sujet ou d’objet.

Ex.: „Jamais vocation d’écrivain ne fut plus évidente; jamais vie ne fut plus entièrement consacrée à une oeuvre” (A. Maurois, M. Proust). Jamais gourmand ne mangea bon hareng (proverbe).

Ne … jamais plus, ne plus jamais Ex.: Il ne lui parla jamais plus. Ils ne se revirent jamais plus. Je ne le ferai

jamais plus. (H.). Il ne lui accorda plus jamais sa confiance. Il ne refit plus jamais ce geste.

La phrase emphatisée La phrase emphatisée est un type facultatif de phrase. On peut combiner

l’emphase avec les types obligatoires. Assertion + emphase: C’est la semaine passée qu’il est arrivé de Paris. Interrogation + emphase: C’est Hélène qui t’a donné cette photo? Impératif (injonctif) + emphase: Toi, lève-toi et sors! Tous les procédés d’insistance et de mise en relief sont regroupés sous le nom

d’emphase. Le français contemporain emploie généralement plusieurs moyens phoné-

tiques et formels pour mettre en évidence un constituant de la phrase. 1. L’accent d’insistance L’accent d’insistance a pour effet de mettre en évidence une idée ou une

notion avec l’intention de la définir, de la distinguer, de la caractériser. L’accent d’insistance frappe la première voyelle du mot que l’on veut mettre en relief. Si la voyelle est précédée d’une consonne ou d’un chaînon consonantique ceux-ci sont à leur tour légèrement modifiés par l’accent.

Ex.: „Il y a des millions d’années que les fleurs fabriquent des épines” (Saint-Exupéry). „C’est une preuve irréfragable!”

2. L’accent affectif L’accent affectif se marque par un renforcement de la première syllabe

commençant par une consonne: Ex.: „C’est é/pou/van/table!” „C’est for/mi/dable!” Sous l’impact de l’accent affectif, la première consonne du mot s’allonge et se

renforce; l’accent affectif modifie le premier chaînon explosif (la première consonne croissante ou le premier groupe de consonnes croissantes). La voyelle suivante s’intensifie mais reste brève. L’accent affectif „ne modifie pas la trame rythmique du français parlé, constamment dessinée par l’accent oxyton” ((v. H. Morier, Diction-naire de poétique) et J. Marouzeau, Lexique de la terminologie linguistique)).

Cet accent peut traduire une attitude d’approbation ou de désapprobation et il concerne surtout les mots dont la valeur sémantique se prête à l’accentuation affective (magnifique, formidable, désolant, pitoyable, affreux, etc.).

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I. La dislocation de la phrase et l’emphase 1. Lorsqu’on veut insister avec plus ou moins de force sur un terme ou sur un

constituant, on peut l’annoncer par un pronom: c’est la dislocation par anticipation. Ex.: Ils ne sont pas des héros, les soldats qui passent sous l’arc de triomphe.

„Ils ne sont pas morts, ces obscurs enfants du hameau” (Renan, Avenir science; L.B.). Dans ces exemples, il y a une anticipation du sujet exprimé dans la phrase par

un groupe nominal. Il y a aussi des cas d’anticipation du complément d’objet direct ou du

complément d’objet indirect au moyen de pronoms personnels compléments. a) anticipation du complément d’objet direct; ex.: Je l’ai connu pendant la

guerre, votre père. Je la trouve passionnante, son hypothèse. „Il fallait l’éblouir ou l’attendrir, cette femme” (A. France, Désirs de J.S.). „Aucune arme ne peut l’atteindre, aucun fer le trancher, le souffle divin que tu portes en toi” (Dorgelès, Saint Magloire; L.B.).

b) anticipation du complément d’objet indirect. Ex.: „j’avais peu à peu perdu la mauvaise habitude de leur promettre la santé

à mes malades” (Céline; M.R.). Je leur avais souvent fait preuve d’amitié, à mes voisins.

2. La dislocation par reprise. Cette espèce de dislocation est un procédé qui s’oppose formellement au procédé par anticipation: on exprime d’abord un mot, un groupe nominal et on le reprend ensuite par un représentant pronominal. Entre ces deux types de dislocation, il y a une différence de valeur: „Tandis que l’anticipa-tion est essentiellement affective et rélève au premier chef de la stylistique, la reprise semble avoir surtout pour rôle de mettre un terme en relief, soit afin de rendre l’expression plus claire ou plus vigoureuse, soit en vue de rattacher étroitement le terme en question à la phrase précédente. La valeur stylistique de la reprise s’allie donc, le plus souvent, à une valeur purement logique.” (G. et R. le Bidois, Syntaxe, II, p. 61).

Cette sorte de reprise était très fréquente en français classique. Ex.: a) pour rappeler un GN ayant la fonction de sujet lorsqu’il est séparé du

verbe: „Ce prince voulant les contredire d’accepter la paix, il a tout à coup fait sortir comme de terre deux armées de quarante mille hommes” (Boileau, Remerciement à l’Académie française).

b) pour rappeler un GN sujet, quand il est séparé du verbe par une proposition relative: „Le même Euclide qui a ôté à l’unité le nom de nombre … il définit ainsi les grandeurs homogènes” (Pascal, Pensées, I, 144).

c) pour rappeler un sujet représenté par un relatif: „Quiconque vous mépri-sera, il méprisera ma personne” (Balzac, Dissertations). „Qui rit ce jour, il rit toute l’année” (La F., Épîtres, II, 32).

Remarques. 10. Un pronom personnel clitique (atone) peut reprendre un pronom personnel

tonique (disjoint) placé en tête de la phrase. Ex.: Moi, je le ferai. Toi, je ne veux plus te serrer la main. Toi, je ne te salue

plus. Toi, tu n’es pas sérieux. Lui, il ne veut jamais accepter la vérité. Un pronom personnel disjoint (tonique) peut reprendre un pronom person-

nel atone. Ex.: Il le fera, lui, j’en suis sûr.

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20. La dislocation peut concerner plus d’un constituant en même temps; souvent, le sujet et l’objet sont affectés par ce détachement.

Ex.: Jean, cette belle cantatrice, il ne l’avait jamais entendue chanter. 30. Dans le code oral, un constituant peut être parfois disloqué en tête de

phrase sans qu’il soit repris par un pronom (niveau familier de la langue; langue populaire).

Ex.: La musique rap, j’adore. Corneille, Racine, connais pas. 40. L’attribut réalisé par un adjectif peut être détaché et placé en tête de la

phrase. Elles sont travailleuses. Travailleuses, elles le sont. Il est intelligent. Intelligent, il l’est. L’attribut détaché peut être renforcé au moyen de pour + être. Ex.: Pour méchant, il l’est. Pour jolie, elle l’avait toujours été comme personne. 50. Les pronoms démonstratifs ce, cela, ça peuvent entrer en concurrence

avec le pronom personnel pour reprendre ou annoncer un GN. Ce devant le verbe être peut reprendre un GN déjà exprimé. Ex.: Lorsque l’attribut est un pronom, l’emploi du pronom démonstratif ce

est nécessaire. Ex.: Le doyen de la Faculté c’est lui. 60. Un groupe nominal ayant comme spécifieur un article indéfini se fait

souvent suivre de ce (c’est): Un enfant, c’est étonnant. Une nation c’est une âme. Tandis que le pronom personnel donne à l’énoncé un sens particulier et indi-

vidualise le référent, le pronom ce (c’est) confère au message une valeur générique. Ex.: Le médecin, il a encore oublié de venir t’examiner. Le médecin c’est un

bienfaiteur de l’humanité. Ce devant le verbe être peut précéder un adjectif qualificatif qui concerne un GN. Ex.: C’est fragile, vous savez, un petit enfant. Les pronoms cela et ça s’emploient comme formes de renforcement qui

accompagnent c’est. Ex.: La répétition, cela (ça) c’est important (fam.). Ces pronoms peuvent s’employer pour marquer l’emphase avec d’autres

verbes, non seulement avec le verbe être. Ex.: La musique cela (ça) repose.

Formes particulières d’emphase Certaines expressions et certaines structures soulignent la dislocation de la

phrase: 10. En ce qui concerne Ex.: En ce qui concerne son attitude, je m’abstiens de la commenter, de dire

quoi que ce soit. 20. Pour ce qui est de Ex.: Pour ce qui est des résultats de ses recherches, on parlera plus tard. Pour

ce qui est de cette découverte, je la trouve extraordinaire. 30. Pour moi Ex.: „Petit poisson deviendra grand/ Pourvu que Dieu lui prête vie./ Mais le

lâcher en attendant,/ Je crois, pour moi, que c’est folie.” (La F., Le héron).

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40. Quant à Ex.: Pars si tu veux, quant à moi, je reste. Quant à sa dernière phrase, elle

manque d’à-propos. 50. Pour + groupe nominal + c’est + groupe nominal (pour suivi d’un double

groupe nominal) Ex.: Pour un orateur, c’est un orateur. Pour un spectacle, c’est un spectacle.

Pour une farce, c’est une farce. II. L’extraction L’extraction est un procédé emphatique qui est basé sur l’association d’un

présentatif et d’un relatif. Ce procédé permet d’extraire un constituant de la phrase et de le focaliser (= emphatiser). La phrase ainsi obtenue est appelée clivée (angl. cleft sentence).

Le constituant que l’on veut mettre en relief est placé en tête de la phrase et il est encadré par le présentatif c’est et par les pronoms relatifs qui ou que.

Ex.: Le petit Pierre aime le Coca-Cola. C’est le petit Pierre qui aime le Coca-Cola. Il a rencontré Marie sur la plage. C’est Marie qu’il a rencontrée sur la plage.

Les constituants affectés par l’extraction peuvent exercer différentes fonc-tions dans la phrase.

1. L’extraction qui associe le présentatif c’est et le relatif qui met en évidence le sujet. Dans ce cas, le sujet peut être:

a) un nom propre: C’est Mihai Eminescu qui est le plus grand poète national de la Roumanie.

b) un nom commun: „C’est un ange qui tient dans ses doigts magnétiques/ Le sommeil et le don des rêves extatiques” (Baudelaire, Les Fleurs du Mal).

c) un pronom: „C’est lui (= le soleil) qui rajeunit les porteurs de béquilles/ Et les rend gais et doux comme des jeunes filles.” (Baudelaire, Le Soleil) .

N.B. Les pronoms personnels prennent la forme tonique.

2. L’extraction qui associe le présentatif c’est et le relatif que met en relief l’objet.

L’objet peut être constitué par: a) un groupe nominal: C’est une amie de Pierre que j’ai aperçue dans la salle

de concerts. b) un pronom personnel qui prend la forme tonique: C’est lui qui a remporté

le premier prix. 3. Au moyen de c’est … que on peut extraire un circonstant constitué par: a) un groupe nominal; ex.: C’est la semaine prochaine qu’il reviendra. b) un groupe prépositionnel; ex.: C’est pour sa sagesse qu’il est estimé. c) un adverbe ou une locution adverbiale; ex.: C’est au dehors que la fenêtre

s’ouvre. „C’est là que j’ai vécu dans les voluptés calmes,/ Au milieu de l’azur, des vagues, des splendeurs….” (Baudelaire, La Vie antérieure).

d) un gérondif; ex.: C’est en débarquant dans le port que j’eus la surprise de l’apercevoir.

e) une proposition à verbe fini; ex.: C’est à partir du moment où il la ren-contra qu’il l’aima.

f) un complément d’adjectif attribut; ex.: C’est d’archéologie qu’il est féru.

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Les phrases pseudo-clivées Ces espèces de phrases sont aussi nommées semi-clivées. Elles combinent

l’extraction et le détachement. Ex.: Ce que j’ai trouvé, c’est un livre rare. Ce que je veux c’est qu’elle parte.

Ce que je sais c’est qu’il ne viendra pas. Ce qu’elle désire c’est (d’)aller voir les Pyramides. Celui qui a remporté le premier prix, c’est mon frère.

Le premier élément de la phrase semi-clivée est. en général, une relative; le second élément introduit par le gallicisme c’est, est un groupe nominal, un infinitif ou une proposition complétive essentielle.

La phrase passive

Suivant J.Dubois et alii (Dictionnaire de linguistique, Paris, Larousse, 1993), on appelle phrase passive „une phrase correspondant à une phrase active transitive dans laquelle le sujet de la phrase active est devenu l’agent (introduit par la préposition de ou par) et où l’objet de la phrase active est devenu le sujet d’un verbe constitué de l’auxiliaire être et du participe du verbe transitif.”

Dans la structure de la phrase passive, on trouve par conséquent l’auxiliaire être suivi du participe passé d’un verbe transitif et d’un groupe prépositionnel formé d’une préposition et d’un groupe nominal. Ce groupe prépositionnel est appelé par les grammairiens complément d’agent.

En général, seules les phrases constituées sur le schéma suivant peuvent être soumises à la transformation passive: sujet – verbe – complément d’objet direct.

Il faut souligner que la transformation passive n’est pas toujours possible car un certain nombre de verbes transitifs directs ne peuvent être mis au passif. Il s’agit des verbes tels que avoir (il peut être transitif seulement quand il est employé au sens de tromper, dans la langue familière: Il a été eu par ses créanciers. On l’a eu), pouvoir, comporter, contenir. Dans la même catégorie, on peut ranger: les verbes de mesure (peser, valoir), les verbes d’état (être, devenir ….) suivis d’un groupe adjectival, les locutions verbales ou les exprsssions figurées telles que prendre son temps, prendre la fuite, perdre la tête, garder la tête froide, etc.

Ces verbes et ces expressions „ont en commun, dit Maingueneau, d’être difficillement rapportables à un agent, à une instance qui puisse déclencher un processus c’est-à-dire jouer le rôle de complément d’agent” (Grammaire, p. 210).

La passivation (ou la transformation passive) dépend du trait sémantique du groupe nominal objet.

On peut dire par exemple Jean aime la glace à la vanille mais on ne peut pas dire La glace à la vanille est aimée par Jean.

Par le moyen indirect d’une restriction sélective, le lexique est étroitement lié à la syntaxe et à la sémantiqe.

Le complément d’agent du verbe passif Lorsqu’une phrase est mise au passif le sujet de la phrase active devient le

complément d’agent. Ex.: Des brumes basses recouvraient les bois. Les bois étaient recouverts

de brumes basses. Le désir de commencer enfin son travail l’obsédait. Il était obsédé par

le désir de commencer enfin son travail.

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Remarque. Le complément d’agent du verbe passif désigne la cause ef-ficiente de l’action, c’est-à-dire l’être ou l’objet par lequel l’action est accomplie.

Construction du complément d’agent du verbe passif Le complément d’agent du verbe passif est introduit par l’une des préposi-

tions par ou de. Les grammairiens n’ont pas réussi à établir des règles précises en ce qui concerne l’emploi des prépositions par et de devant le complément d’agent, à cause des flottements dans l’usage.

En général, le complément d’agent est introduit par la préposition par lors-qu’il s’agit d’un verbe concernant une opération matérielle et d’un agent précis.

Ex.: „Un carpeau (qui n’était encore que fretin)/ Fut pris par un pêcheur au bord d’une rivière” (La F., V, 3). Le piéton a été renversé par un chauffard. „La civilisation a été imposée à nos ancêtres par le fer et par le feu et elle a été payée par beaucoup de sang.” (Bainville, Histoire de France).

En se rapportant à l’emploi de la préposition par qui introduit un complément d’agent, G. et R. Le Bidois précisent: „Le complément d’agent se construit avec par quand il importe de souligner non pas le résultat de l’action ou son prolon-gement dans la durée, mais sa réalisation proprement dite, et l’agent qui l’a ac-complie…. Il en résulte que plus le verbe énonce une activité physique (materielle) et suppose une intervention de la volonté, une intention ….. plus l’emploi de par s’impose devant le complément d’agent … On remarque encore que par sert géné-ralement à introduire un agent accompagné d’un qualificatif ou d’une détermina-tion précise: „Ils se serrèrent la main, secoués des pieds à la tête par d’invincibles tremblements” ((Maupassant, Deux amis) (Syntaxe du français moderne; § 1861)).

Le complément d’agent est introduit, en principe, par la préposition de lors-qu’il s’agit des verbes pris au figuré ou des verbes marquant un sentiment, un état affectif.

Ex.: Le professeur de mathématiques était craint de ses élèves. En principe, la préposition de ne peut pas introduire un complément d’agent

d’un „verbe dynamique” employé à la voix passive. On ne peut pas dire: *De bons petits plats ont été cuisinés de ma soeur. *Cet

arbre a été renversé de l’orage. Le complément d’agent construit avec de peut être représenté par le pronom en. Ex.: Il aime ses camarades et il en est aimé (Il est aimé de ses camarades). Il a

beaucoup de fans et il en est admiré (Il est admiré de ses fans). Remarque. Occasionnellement, on peut rencontrer des compléments d’agent

construits avec la préposition à. Ex.: Il portait un veston qui était mangé aux mites. Dans la phrase passive, le complément d’agent peut parfois être effacé.

L’effacement de l’agent peut être rencontré dans le langage des journalistes, des présentateurs à la radio ou à la télévision, dans les articles des journaux, des hebdomadairesEx.: Le premier prix de composition française a été décerné (par le jury) à l’élève Dupont du lycée Louis le Grand.

Le voyage du président de la République en Alsace a été ajourné (l’agent est indéterminé).

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La phrase impersonnelle

On apelle, en général, phrase impersonnelle la construction syntaxique où le groupe nominal sujet est représenté par un pronom neutre de la troisième personne il. Ce pronom peut être remplacé, dans certains cas, par les pronoms déminstratifs ce, cela, ça.

La phrase Il est arrivé un inspecteur est une construction impersonnelle issue de Un inspecteur est arrivé; dans la phrase mentionnée (Il est arrivé un inspecteur), le groupe verbal est arrivé a pour sujet apparent le pronom impersonnel il et pour sujet réel un inspecteur, placé après le verbe.

Le sujet exprimé par il apparaît: 10. Avec un verbe qui marque un phnomène météorologique et qui est, en

principe, impersonnel. Ex.: Il pleut, il grêle, il neige, in vente, il bruine, il tonne. À ces verbes (pleuvoir, grêler, neiger, venter, bruiner, tonner) il faut ajouter

les formes dérivées avec le préfixe re-: repleuvoir et reneiger. Certains verbes impersonnels exprimant des phénomènes météorologiques

peuvent être suivis d’un groupe nominal (ou d’un groupe nominal étendu) appelé par les grammaires traditionnelles sujet réel; ces verbes peuvent marquer quelque aspect particulier du phénomène météorologique. Ex.: Il pleut de grosses gouttes. Il neigeait de gros flocons.

Le groupe nominal qui accompagne le verbe impersonnel exprimant un phé-nomène météorologique peut prendre une valeur métaphorique. Ex.: Il pleut des cordes (fam. Il pleut beaucoup), il pleut des hallebardes (fam. Il pleut très fort).

Les verbes impersonnels marquant des phénomènes météorologiques sont employés parfois dans la langue littéraire (au figuré) sans que ces verbes expriment un phénomène météo.

Ex.: „Il neige lentement d’adorables pâleurs.” (A.Samain, Au jardin de l’infante). 20. Avec faire comme verbe impersonnel a) suivi d’un nom, il peut indiquer un phénomène météorologique ou un

moment de la journée. Ex.: Il fait du verglas, du vent, de la pluie, du l’orage, du brouillard. Il fait une

chaleur étouffante. Il fait jour. Il fait nuit noire. Il fait clair de lune. Il fait beau temps. b) suivi d’un adjectif, il indique un phénomène météo. Ex.: Il fait froid. Il fait chaud. Il fait frais. Il fait tiède. Remarque. Faire employé impersonnellement peut encore indiquer: a) l’état des lieux Ex.: „La pluie était mêlée de neige. Il faisait froid et sale” (Aragon, Semaine

sainte; Grev.). b) une impression affective: Ex.: „Il fait triste sans toi” (Aragon, Beaux quartiers; Grev.).

N.B. La locution Il ne fait pas de doute que. Cette locution se construit rarement avec le subjonctif.

Ex.: „Il ne faisait pas de doute que Schordler entrât en agonie” (Druon, Chute des corps).

Après cette locution, on emploie ordinairement l’indicatif. Ex.: Il ne faisait pas de doute qu’il avait découvert la vérité.

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30. Avec Se faire. Ex.: Il se fait tard. Il se fit un grand silence. „Il se faisait un grand tapage

qu’on entendait jusque dans la rue” (Daudet, Dern. classse). Il se fait nuit. 40. Avec des verbes énonçant la nécessité, l’obligation, l’opportunité. I. Falloir (être l’objet d’une nécessité, d’une obligation). 1. Falloir suivi d’un infinitif. Ex.: Il faut travailler pour vivre. Il faut réfléchir avant de parler. Il ne faut pas

espérer pour entreprendre ni réussir pour perséverer. Falloir suivi d’une construction infinitive Ex.: Il faudra bien du temps pour en venir à bout. 2. Falloir suivi de la conjonction que et d’une proposition ayant le verbe au

subjonctif. Ex.: Il faut que nous partions après-demain au plus tard. Il faut qu’il le sache.

„Il faut que cette force cachée dans une race, aboutisse enfin! C’est en nous que l’arbre Thibault doit s’épanouir: L’épanouissement d’une lignée! Comprends-tu ça?” (Martin du Gard, Thibault).

L’expression Il le faut Ex.: Vous irez le voir, il le faut. Résignons-nous puisqu’il le faut. Viens nous

voir, il le faut. Il faut employé en position finale (avec ellipse de la séquence). Ex.: „C’est une nature, elle a une personnalité, de l’intuition; elle jette à

propos la parole qu’il faut.” (Proust, Sodome et Gomorrhe). Il se met en avant dans cette affaire, beaucoup plus qu’il ne faudrait.

Comme il faut Ex.: Il ne s’y prend pas comme il faut. Il ne sait pas manipuler le calculateur

comme il faut. II. Falloir (= être nécessaire, selon la logique du raisonnement) Ex.: Il faudra voir avant de se décider. Convenir a) Convenir suivi d’un infinitif Ex.: Il convient de dénoncer avec force le vice. „Il convenait de se taire

jusqu’à ce que certaines obscurités fussent éclaircies” (V.Hugo, L’homme qui rit). b) Convenir suivi de la conjonction que et d’une proposition ayant le verbe au

subjonctif Ex.: Il convient que vous lui rendiez visite. Il convient que chacun fasse son

devoir. Il convient que l’impôt soit payé par celui qui emploie la chose taxée. Importer Il importe de, suivi d’un infinitif Ex.: Il importe de lui faire parvenir l’argent dans les plus brefs délais. Il importe que suivi du subjonctif Ex.: Il importait qu’il donnât cette conférence. Il importe que chacun fasse

son devoir. Seoir Ex.: „Il sied de se défier de ce qui vous flatte” (A.Gide; P.R.). Il ne sied pas à

un enfant de contredire ses parents. Suffire 1. Le verbe suffire suivi d’un groupe nominal introduit par de

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Ex.: Il suffirait d’une seule goutte d’eau pour faire déborder le vase. „Il suffit de l’addition d’une quantité de petits faits très simples et très naturels, chacun pris à part, pour obtenir un total monstrueux” (A. Gide, Faux Monnayeurs).

2. Suffire suivi d’un infinitif précédé de de Ex. Il ne suffit pas d’avoir de l’argent pour être heureux (D.). Il ne suffit pas

de posséder une vérité, il faut que la vérité nous possède. „Il ne suffit pas de croire aux sirènes pour en rencontrer sur les eaux, mais il suffit parfaitement de croire à l’influence des mots pour que cette influence aussitôt surgisse.” (Paulhan, Fl. de Tarbes; P.R.).

3. Suffire suivi d’une proposition introduite par que …. avec le subjonctif Ex.: „Il suffit qu’elle (= la soeur de Pascal) en ait eu le modèle sous les yeux

pour donner l’idée de cette grandeur incomparable: un homme (Pascal) que la nature a créé pour son triomphe, et qui ne vit que pour triompher de la nature” (Suarès, Trois hommes, Pascal). Il suffit qu’on lui interdise une chose pour qu’il la fasse aussitôt (le Lexis).

Aller (lorsqu’il marque l’importance, l’enjeu de l’action; il y va de quelqu’un ou de quelque chose = quelqu’un ou quelque chose sont en cause, sont entièrement engagés).

Ex.: Dans cette situation difficile, il y va de votre honneur. Manquer „Notre coeur est un instrument incomplet, une lyre où il manque des cordes,

et où nous sommes forcés de rendre les accents de la joie sur le ton consacré aux soupirs” (Chateaubriand, René; P.R.). Il manque un mot dans cette phrase. Il manque trois avions après ce combat. Il ne manquait plus que cela! Cet ingénieur s’en ira-t-il aussi? Il ne manquerait plus que cela (= ce serait ce qui pourrait arriver de pis; B.). „Il eut tout à coup la sensation qu’il lui manquait quelque chose, comme il arrive lorsque l’on vient de perdre la bague que l’on portait toujours au doigt” (Martin du Gard, Thib.; P.R.).

Advenir. Ex.: Il est advenu que nous soyons en retard. Remarque. Après il advint que, on emploie l’indicatif pour souligner la

constatation d’un fait. Ex.: „Cependant il advint qu’au sortir des forêts/ Ce lion fut pris dans des

rets” (La F., II, 12). Il advint que le train dérailla. Être L’emploi impersonnel du verbe être appartient surtout à la langue littéraire.

La locution Il est de Ex.: Il est des vérités qu’on n’aime pas entendre. Il est des moments où l’on

est très heureux. „il est des noeuds secrets, il est des sympathies,/ Dont par le doux rapport les âmes assorties/ S’attachent l’une à l’autre, et se laissent piquer/ Par ce je ne sais quoi qu’on ne peut expliquer” (Corneille, Rodogune, I, 4). „Il est des parfums frais comme des chairs d’enfants” (Baudelaire, Les Fleurs du mal).

La locution Il en est de Ex.: „Il en est des organes linguistiques comme des organes corporels: ils ne

peuvent fournir qu’une somme déterminée de travail” (Ch. Bally; Grev.). Il en est de la vie comme de l’argent; on ne peut les dépenser deux fois.

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L’expression Il n’est …. que de Ex.: Il n’est bon vin que de Cotnari. „quoi que l’on die (= dise) d’Italiennes,

Il n’est bon bec que de Paris” (Villon, Ballade des femmes de Paris). On emploie le verbe être impersonnellement lorsqu’on parle d’un moment

dans le temps. Ex.: Il est midi. Il est minuit, etc.

La locution il est à redouter que (= on peut redouter que) Ex.: Il est à redouter qu’il ne se fâche. Locutions de forme impersonnelle composées avec être suivies d’une

complétive sujet réel. I. Locutions de forme impersonnelle suivies d’une complétive ayant le verbe

à l’indicatif. Ex.: Il est acquis que (Il est acquis qu’il a fait son devoir). Il est avéré que (il

est avéré qu’il a toujours été discipliné). Il est certain que (Il est certain que les meilleurs seront récompensés). Il est clair que (Il est clair qu’il a dépensé tout son revenu). Il est constant ((= il est certain; il est constant que les lois de la nature sont universelles)). Il est établi que (Il est établi que la quadrature du cercle est un problème insoluble). Il est évident que (Il est évident que la lecture des chefs-d’oeuvre enrichit notre esprit). Il est manifeste que („Il est manifeste que nous avons été dans un dégré de perfection dont nous sommes malheureusement déchus” (Pascal, Pensées)). Il est notoire (Il est notoire que ses affaires ont mal tourné). Il est probable que (Il est probable qu’il est là). Il est sûr que (Il est sûr qu’il vous trompera). Il est vrai que (Il est vrai que j’ai beaucoup travaillé, mais mes efforts ont été récompensés). Il est vraisemblable (Il est vraisemblable qu’il s’en est aperçu).

II. Locutions de forme impersonnele composées avec être et suivies d’une complétive ayant le verbe au subjonctif.

Ex.: Il est bon que (Il est bon que nos actions soient accomplies suivant un plan bien établi). Il est bien dommage que (Il est bien dommage que vous n’ayez pu arriver à temps). Il est bien étrange que (Il serait bien étrange qu’il refusât cet emploi). Il est fâcheux que (Il est fâcheux que nous ne puissions pas nous entendre). Il est faux que (Il est faux qu’on puisse résoudre ce problème). Il est heureux que (Il est heureux qu’elle soit arrivée à temps). Il est honteux que (Il est honteux que vous soyez si maladroits). Il est important que (Il est important que vous sachiez leurs projets). Il est impossible que (Il est impossible qu’on ne l’ait pas averti). Il est indispensable que (Il est indispensable que vous veniez). Il est juste que (Il est juste que les méchants soient punis). Il est nécessaire que (il est nécessaire que nous fassions cette enquête). Il est possible que (Il est possible qu’il fasse froid cette nuit). Il est rare que ((„Miguel connaissait beaucoup de monde et il était rare qu’il fît plus de quelques pas sans être arrêté par celui-ci ou celui-là, qui s’enquéraient de sa santé”(Exbrayat, Paco)). Il est regrettable que (Il est regrettable qu’ils se soient immiscés dans cette affaire). Il est souhaitable que (Il est souhaitable qu’il parte au plus vite). Il est surprenant que (Il est surprenant que les découvertes importantes faites par ce savant ne lui aient pas acquis la réputation dont il avait besoin pour recevoir le prix Nobel). Il est temps que (Il est temps que

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nous partions). Il est triste que (Il est triste qu’elle ait perdu son fiancé à la guerre). Il est urgent que (Il est urgent qu’ils puissent obtenir les fonds nécessaires à la construction de cette usine).

Le verbe avoir employé impersonnellement avec la particule y

Il y a Ex.: Il y a beaucoup de fruits cet automne. Il y a de la folie à agir ainsi. Il y a

eu un accident de chemin de fer. Il y a déjà un mois qu’il est parti pour la France.

Il n’y a pas …. qui (suivi du subjonctif) Ex.: „Il n’y avait pas jusqu’aux domestiques qui ne montrassent un zèle

inusité à me servir” (Boylesve, Le meilleur ami).

Il n’y a qu’à + infinitif Ex.: Il n’y a qu’à parler et vous serez obéi.

Il y a suivi d’une indication de temps ou de distance. Ex.: Il y a trois ans que je ne l’ai vu. Il y a quatre-vingts kilomètres jusqu’à

Târgovişte.

Locutions constituées avec il y a:

Il y a apparence (et le subjonctif) Ex.: „Il y a toute apparence que le destin de l’homme ne suive pas la même

voie” (Bedel; Grev.).

Il y a de l’apparence que (et l’indicatif) Ex.: „Il y a de l’apparence qu’il disait vrai” (Racine, Port-Royal; H.D.T.).

Il n’y a pas de doute que Après cette locution, on emploie ordinairement l’indicatif à cause de la

négation très forte du doute. Ex.: „Il n’y a donc aucun doute qu’après la mort nous verrons Dieu”

(Claudel, Présence et prophétie).

N.B. Certains auteurs emploient le subjonctif après cette locution. Ex.: „Il n’y a point de doute que vous ne soyez le flambeau même de ce temps”

(Valéry, Mon Faust).

Le pronom neutre il peut introduire des verbes d’état.

Il paraît que (et l’indicatif dans les phrases déclaratives): Il paraît qu’il n’est pas heureux. Il paraît que suivi du conditionnel si le fait énoncé est hypothétique: Il paraît qu’il aurait eu un accident.

Il paraît nécessaire que exige l’emploi du subjonctif: Il paraît nécessaire que vous veniez.

Il me paraît que se construit avec le subjonctif. Ex.: „Il me parut soudain que ma nature y eût trouvé son équilibre”

(Lacartelle, Amour nuptial; Grev.). Il semble que, pris affirmativement, négativement et interrogativement, est en

principe suivi du subjonctif.

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Ex.: Il semble que nous nous soyons trompés. Il ne semble pas qu’on puisse le nier. Vous semble-t-il qu’il puisse réussir?

Remarques. 1. Il semble que, pris affirmativement est suivi de l’indicatif lorsqu’il a presque le sens de il est certain que; l’indicatif est employé pour indiquer que les faits se présentent ainsi selon toute apparence.

Ex.: Il semble que la logique est l’art de convaincre de quelque vérité. 2. Il semble que, pris affirmativement et ayant un complément d’objet

indirect (il s’agit de formes telles que il me semble que, il lui semble que, il semble à ses amis que, etc.) est suivi de l’indicatif.

Ex.: Il me semble qu’on peut lui faire confiance. Il semblait à Jeanne qu’un souffle glacial lui cinglait les joues.

Le pronom il employé avec d’autres verbes construits impersonnellement. Arriver. Il arrive que (et le subjonctif): Ex.: Il arrive souvent qu’elle soit en retard. Il arrive parfois qu’elle vienne à

ma rencontre.

N.B. Il arrive, il arriva que est employé très rarement avec l’indicatif et surtout lorsque il arriva que a le sens de il se fit que. Ex.: Il arriva que les vues du président à ce moment-là l’emportèrent.

Déplaire (dans les structures il me déplaît de, il me déplaît que). Ex.: Il me déplairait d’être obligé de vous punir. Rester. Il reste que (et l’indicatif) = il est vrai néanmoins. Ex.: „Cette affaire est incertaine, ou en admettant même qu’elle n’implique

aucun risque, il reste qu’elle implique un crédit à long terme” (Malacroix, Lexis). Résulter. Il résulte que (et l’indicatif). Ex.: Il résulte de cet exposé que la situation géographique de Lyon au

carrefour de grands axes de communication a été favorable à son développement. Survenir. Il survient que (et le subjonctif). N.B. On met le subjonctif après il survient que si le fait est simplement

envisagé dans la pensée. Ex.: „Il survenait qu’en pleine opération ses confrères tombassent sur un

néoplasme” (M. Van der Meersch, Corps et âmes). Tarder (dans il me tarde que). Ce verbe est suivi du subjonctif; il me tarde que a le sens de „j’attends avec

impatience”. Ex.: Il me tardait que cette oeuvre fût achevée (H.D.T.). Il lui tardait que le

garçon revînt le voir. Tenir (dans l’expression : Il ne tient qu’à vous de). Ex. : Il ne tient qu’à vous de gagner la coupe. Valoir mieux. Il vaut mieux que (et le subjonctif). Ex. : Il vaut mieux qu’elle écrive dix phrases inutiles que d’en omettre une

intéressante. Il vaudrait mieux qu’il se tût plutôt que de parler sur ce ton (Acad.). Venir. Ex.: Il est venu trois personnes pour vous voir. „Il vint à Genève un charlatan

italien” (Rousseau, Confessions I).

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S’ensuivre. Il s’ensuit que (et l’indicatif). Ex.: Il s’ensuit de là que vous avez raison. Remarque. Il s’ensuit que affirmatif est suivi de l’indicatif; négatif ou

interrogatif il est suivi du subjonctif (Il ne s’ensuit pas de là que vous ayez tort. S’ensuit-il de là que vous ayez menti?)

Se pouvoir. Il se peut que (et le subjonctif lorsqu’on veut marquer la possibilité). Ex.: Il se peut que je n’aie pas fait attention à cela. Il se peut que votre projet

réussisse.

N.B. Après Il se peut que, on emploie le conditionnel pour marquer la probabilité, l’éventualité.

Ex.: Il se peut qu’avec lui vous réussiriez.

Se trouver. Il se trouve que (et l’indicatif). L’indicatif est très fréquent après cette structure.

Ex.: „Il se trouva que les plus beaux rêves transportés dans le domaine des faits avaient été funestes” (Renan, Souvenirs d’enfance). Il se trouve que je le con-nais bien.

Dans certains cas, le pronom il peut être remplacé par les pronoms démons-tratifs ce, ça, cela.

1. Le pronom ce. Ex.: Vous avez vu cet ensemble montagneaux, recouvert en grande partie de

neiges éternelles? C’est le massif du Mont-Blanc. 2. Ça peut parfois être utilisé au lieu de il dans la langue familière. Ex.: „Cette année-là, il avait fait mauvais. Tous les matins, cette angoisse ma-

chinale avant d’ouvrir les rideaux: et si ça faisait beau pour changer?” (Aragon, Blanche ou l’oubli; Grev.).

En faisant ressortir le fait que ça peut remplacer parfois il, F.Brunot écrit: „Les impersonnels tendent à prendre un autre sujet que il. Dans beaucoup de cas, ça représente une idée exprimée antérieurement, il joue le rôle de représentant: Ne vous fourrez pas dans cette affaire, ça sent la faillite; ça renvoie à cette affaire. Mais en outre, surtout dans le langage familier, on emploie souvent de nos jours le mot ça sans qu’il représente un autre sujet: ça me fâche de penser que vous êtes parti sans m’avertir” (La Pensée et la Langue, VIII).

3. Cela peut s’employer comme une sorte de sujet vague ayant presque la même valeur que le pronom il des verbes impersonnels.

Ex.: „Quelle activité dans l’atelier! Cela frappe, cela lime, cela ajuste, cela forge” (Grev.). Cela ne fait rien.

N.B. L’expression impersonnelle formée au moyen de c’est …. que (et le subjonctif). Ex.: C’est dommage que vous n’ayez pas appris cela plus tôt. C’est peu qu’il veuille

être le premier, il voudrait être le seul (Acad.). „C’est peu qu’en un ouvrage où les fautes fourmillent/ Des traits d’esprit semés de temps en temps pétillent” (Boileau, Art poétique).

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BIBLIOGRAPHIE

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Redactor: Janeta LUPU Tehnoredactare: Brînduşa BĂRBAT

Bun de tipar: 07.05.2007; Coli tipar: 10,25

Format: 16/70x100

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