Tomosul către Flavian al papei Leon cel Mare

download Tomosul către Flavian al papei Leon cel Mare

of 12

Transcript of Tomosul către Flavian al papei Leon cel Mare

  • 7/26/2019 Tomosul ctre Flavian al papei Leon cel Mare

    1/12

    Dans son enseignement sur le mystre du Christ, le concile deChalcdoine (en lan 451) sest explicitement fond sur cinq documentsdogmatiques: le Symbole de foi du premier concile de Nice, le Symbole defoi du premier concile de Constantinople (les deux Symboles furent solen-nellement proclams puis reproduits in extenso dans les Actes deChalcdoine), la deuxime Lettre de saint Cyrille dAlexandrie Nestorius(canonise au concile dphse en 431), la Formule dunion de 433(change de lettres de Jean dAntioche et de saint Cyrille dAlexandrie) ainsique le Tome que le pape saint Lon le Grand adressa au patriarche deConstantinople Flavien en date du 13 juin 449 (lu publiquement Chalcdoine et cit in extensodans les Actes de ce concile). Ce Tome(Lettre)de saint Lon, pape de 440 461, fournit un enseignement trs riche sur le

    mystre du Christ, vrai Dieu et vrai homme, une seule personne en deuxnatures, le Fils ternel du Pre qui est n dans le temps de la Vierge Mariepour notre salut. Il offre une lumire profonde pour saisir, dans la foi, lemystre de Nol et la maternit divine de la Vierge Marie. Aprs une prsen-tation de certains lments historiques et doctrinaux qui sont requis pour lalecture de ce Tome, nous proposons den exposer ici les principaux thmes.

    Du concile dphse l hrsie dEutychs

    En 431, le concile dphse a solennellement enseign que lunion duFils de Dieu avec lhumanit forme dans le sein de la Vierge Marie sestfaite selon lhypostase (kathhupostasin), de telle sorte que le Fils incarnest une seule hypostase, un seul et le mme (heis kai ho autos)1. Dans

    NOVA ET VETERA, LXXXVIIe ANNE - REVUE TRIMESTRIELLE OCT. NOV. DC. 2012 397

    Le mystre de lIncarnation dans

    le Tome Flaviende saint Lon le Grand

    1. Le sens originelde lexpression selon lhypostase est exprim dans cet extrait dunelettre de saint Cyrille dAlexandrie Thodoret de Cyr:

    Luttant contre les [doctrines deNestorius], nous avons t oblig de dire que lunion stait faite selon lhypostase (kathhupo-stasin). Laddition kathhupostasin signifie seulement que la nature ou hyp ostase du Verbe,cest--dire le Verbe lui-mme, stant uni en vrit une nature humaine, sans aucun chan-gement ni confusion, comme nous lavons dit bien des fois, est conu et est un seul Christ, lemme Dieu et homme. Traduction et rfrences chez M. RICHARD, Lintroduction du mothypostase dans la thologie de lincarnation

    , Mlanges de Science Religieuse2 (1945) 5-32 et243-270, ici p.252.

    qui semblent sympathiques , aisment acceptables. Un des motifs du rejetde la foi peut tre la peur de ses exigences, mais ne pas annoncer cesexigences donne limpression que lEglise na rien de spcial offrir: Lespaens eux-mmes nen font-ils pas autant? (Mt 5,47) En outre le choix dela foi est rendu plus difficile par les mauvais exemples laisss par les chr-tiens. cet gard les demandes de pardon prsentes notamment par Jean-

    Paul II sont fondamentales, car elles montrent que lEvangile nest pas lacause des pchs, mais ce qui permet de reconnatre et rejeter ces pchs.En parlant de lAllemagne, le pape Benot XVI rsume la situation reli-

    gieuse des pays industrialiss, indiquant la fois le mal et le remde :

    Imaginons-nous quun tel programme exposure20 ait lieu ici en Allemagne.Des experts provenant dun pays lointain viendraient vivre pour unesemaine auprs dune famille allemande moyenne. Ici, ils admireraient beau-coup de choses, par exemple le bien-tre, lordre et lefficacit. Mais, avec unregard non prvenu, ils constateraient aussi beaucoup de pauvret:pauvret pour ce qui concerne les relations humaines et pauvret dans ledomaine religieux. [] Nous voyons que dans notre monde riche occi-dental il y a un manque. Beaucoup de personnes manquent de lexprience

    de la bont de Dieu. Elles ne trouvent aucun point de contact avec lesEglises institutionnelles et leurs structures traditionnelles. Mais pourquoi?Je pense que cest une question sur laquelle nous devons rflchir trssrieusement. [] Permettez-moi daborder ici un point de la situationspcifique allemande. En Allemagne, lEglise est organise de manireexcellente. Mais, derrire les structures, se trouve-t-il aussi la force spiri-tuelle qui leur est relative, la force de la foi au Dieu vivant? Sincrementnous devons cependant dire quil y a excdent de structures par rapport lEsprit. Jajoute: la vraie crise de lEglise dans le monde occidental est unecrise de la foi. Si nous narrivons pas un vritable renouvellement de la foi,toute la rforme structurelle demeurera inefficace21.

    + CHARLES MOREROD, OP

    vque de Lausanne, Genve et Fribourg

    NOVA ET VETERA

    396

    20. Des personnes extrieures une socit y entrent pendant un certain temps pouressayer de comprendre leur situation de lintrieur. En gnral des personnes de pays richesvivent un certain temps la vie de pauvres du Tiers-Monde.

    21. BENOT XVI, Rencontre avec le lacat catholique allemand (ZDK), Sminaire deFreiburg im Breisgau, samedi 24 septembre 2011.

  • 7/26/2019 Tomosul ctre Flavian al papei Leon cel Mare

    2/12

    est devenu chair (gegone sarx) [] par assomption de la chair, en demeu-rant ce quil tait3.

    La rception de cet enseignement suscita bien des difficults parmi desvques et des thologiens que lon associe avec quelque approximation latradition thologique dAntioche (les Orientaux, comme on les appelle

    habituellement)4

    . La premire esquisse dun accord doctrinal fut trouve en433 dans ce quon appelle la Formule dunion 5. Le dbat demeuraitcependant vif et parfois confus. La ncessit dune explicitation doctrinaleplus labore apparut spcialement lorsquintervint lhrsie dEutychs, quiconstitua loccasion prochaine de la Lettrede saint Lon Flavien et de larunion du concile de Chalcdoine.

    Eutychs tait le suprieur dune importante communaut monastique Constantinople. Malgr sa grande pit, la tradition a gard de lui le souvenir

    LE MYSTRE DE LINCARNATION DANS LE TOME FLAVIEN

    399

    3. Concile dEphse (deuxime lettre de saint Cyrille Nestorius) dans Les conciles cum-

    niques, tome II-1, p.

    109-111.4. Ce courant tait spcialement soucieux de bien distinguer Dieuet lhommedans le Christ(ce qui, de soi, est requis par la foi); cependant, dans certaines de ses formes, il comportait ledanger de ne pas saisir lunit de la personne du Christ dans toute sa profondeur. Tandis que lachristologie de saint Cyrille, du concile dEphse et des conciles ultrieurs considre principale-ment le Christ comme

    le Verbe fait chair (christologieLogos-sarx), le courant que lon associeavec quelques simplifications la tradition antiochienne tendait plutt considrer le Christcomme le Verbe uni un homme (christologie Logos-anthrpos), avecparfois(chez Nestoriuspar exemple) le risque de poser cet homme

    ct

    du Verbe dans la personne du Christ.5. Lettre de Jean dAntioche saint Cyrille (433): Nous confessons que notre Seigneur

    Jsus, le Christ, le Fils de Dieu, lunique engendr, est Dieu parfait et homme parfait (Theonteleion kai anthrpon teleion), compos dune me raisonnable et dun corps, engendr du Preavant les sicles selon la divinit, le mme la fin des jours, cause de nous et pour notresalut, engendr de la Vierge Marie selon lhumanit, le mme consubstantiel (homoousion) auPre selon la divinit et consubstantiel (homoousion) nous selon lhumanit. Il y a eu en effet

    union des deux natures (duo phusen hensis): cest pourquoi nous confessons un Christ, unseul Fils, un seul Seigneur. En raison de cette notion de lunion sans mlange, nous confessonsque la sainte Vierge est Mre de Dieu (Theotokos), parce que le Dieu Verbe sest incarn, quilest devenu homme et que ds le moment de sa conception il sest uni lui-mme le Templequil a tir de l a Vierge. Quant aux expressions vangliques et apostoliques sur le Seigneur,nous savons que les thologiens appliquent les unes de manire commune parce quellesvisent une seule personne (prospon) et divisent les autres parce quelles visent les deuxnatures (epi duo phusen), et en ce cas attribuent la divinit du Christ celles qui conviennent Dieu et son humanit celles qui marquent son abaissement. Ce symbole une fois accept,il nous a plu, pour supprimer toute contention, pour que la paix cumnique soit accordeaux glises de Dieu, pour que disparaissent les scandales qui ont surgi, de tenir pour dposNestorius prcdemment vque de Constantinople. Nous anathmatisons ses bavardagespervers [] (Les conciles cumniques, tome II-1, p. 163-165).

    lincarnation, lunion du Fils de Dieu et de lhumanit nest pas extrieureou accidentelle; ce nest pas simplement une union morale ni une unionselon la dignit et la souverainet, mais une union la profondeur deltre personnel du Fils de Dieu. Cet enseignement rend compte de lunitde la personne du Sauveur. Comme saint Cyrille dAlexandrie l a inlassable-ment rpt dans sa controverse avec Nestorius, cest cette condition

    seulement que lon peut reconnatre que le Fils de Dieu a vritablementsouffert sur la croix : celui qui nat de la Vierge Marie, qui souffre, qui meurtet qui ressuscite, cest le Fils de Dieu en personne. Telle est aussi la raisonpour laquelle la Vierge Marie est, en toute vrit, la Mre de Dieu, cellequi a engendr Dieu (Theotokos)2. Avec saint Cyrille, le concile dphse agalement ajout dimportantes prcisions. Pour carter certains souponsque Nestorius portait lendroit de la doctrine christologique de saintCyrille (adopte par le concile dphse), ce concile enseigne clairement quele Fils de Dieu na pas souffert selon sa divinit mais selon son humanit:dans lincarnation comme dans la passion, la divinit du Verbe na subiaucun changement. De mme, le Fils de Dieu a pris une nature humainecomplte, corps et me: il est vritablement et pleinement homme (teleios

    anthrpos). Mais surtout, face un danger discern par saint Cyrille, leconcile dphse enseigne que la nature humaine prise par le Verbe najamais exist indpendamment de son assomption par le Verbe : Ce nestpas un homme ordinaire qui a dabord t engendr de la sainte Vierge etsur lequel ensuite le Verbe serait descendu, mais cest parce quil a t uni son humanit ds le sein mme quil est dit avoir subi la gnration char-nelle, en tant quil sest appropri la gnration de sa propre chair. []Nous ladorons comme un seul et le mme []. Lcriture ne dit pas quele Verbe sest uni la personne dun homme (anthrpou prospon), mais quil

    NOVA ET VETERA

    398

    2. SAINT CYRILLE, Deuxime Lettre Nestorius:

    Nous disons ceci: le Verbe, stant uniselon lhypostase (kathhupostasin) une chair anime dune me raisonnable, est devenu hommedune manire indicible et incomprhensible et a reu le titre de Fils dhomme. [] Et nousdisons que diffrentes sont les natures (phuseis) rassembles en une vritable unit, et que desdeux il est rsult un seul Christ et un seul Fils, sans que la diffrence des natures ait tsupprime par lunion. [] Puisque, stant uni selon lhypostase (kathhupostasin) llmenthumain cause de nous et de notre salut, il est sorti dune femme, pour cette raison il est ditavoir t engendr selon la chair. [] Si lon rejette lunion selon lhypostase (tn kathhupo-stasin hensin) comme impossible ou comme choquante, on se trouve alors forc de dire quil ya deux Fils; car de toute ncessit il faut diviser. Avec quelques modifications de la traduc-tion, nos rfrences la deuxime Lettre de saint Cyrille Nestorius (concile dphse) sonttires de: Les conciles cumniques, tome II-1: Les dcrets de Nice Latran IV, Sous la directionde G. Alberigo, Paris, 1994, p.105-113, ici p.106-111.

  • 7/26/2019 Tomosul ctre Flavian al papei Leon cel Mare

    3/12

    dage dphse; lexpression brigandage provient de saint Lon lui-mmequi crivit: Ce ne fut pas un jugement, mais un brigandage (latrocinium).Le pape saint Lon et lempereur saccordrent sur la ncessit de runir unconcile. Ce fut le concile de Chalcdoine.

    loccasion du brigandage dphse, le pape saint Lon remit ses

    lgats une lettre doctrinale adresse Flavien, patriarche de Constantinoplede 446 449. Cette Lettre ou Tome expose la doctrine christologique dupape: elle est trs proche des sermons de saint Lon sur Nol 7. Lon leGrand la lui-mme rdige, soit directement, soit peut-tre sur la base dunepremire bauche que Prosper dAquitaine (son secrtaire) a pu effectuer partir des crits de saint Lon sur la Nativit8. Cest, dans le prolongementde Tertullien et de saint Augustin, une vritable synthse de la christologie

    patristique latine. Cette Lettre constitue lun des premiers documents dogma-tiques dun pape qui revte une telle ampleur. Cest probablement le docu-ment christologique le plus important en son genre que lglise latine aitproduit dans lAntiquit. Saint Lon ouvrit la voie la doctrine deChalcdoine. Lorsque ce Tome fut solennellement lu lors de la troisime

    session du concile de Chalcdoine, en 451, les vques du Concile rpondi-rent: Cest l la foi des Pres. Cest l la foi des Aptres. Nous croyons tousainsi. Nous, orthodoxes, croyons ainsi. [] Cest Pierre qui par Lon a ditces choses9. Cest un document important aussi bien cause de lampleurde son contenudoctrinal quen raison de sa mthodedogmatique.

    Ce Tomecomporte six parties: 1salutation et introduction ; 2le Christen ses deux natures suivant le Credo et lcriture; 3les deux natures danslunit de la personne du Christ; 4le mode dopration des deux natures;

    LE MYSTRE DE LINCARNATION DANS LE TOME FLAVIEN

    401

    7. Loffice des lectures de la Liturgie des heuresnous en offre quelques beaux exemples.8. Voir D. MOREAU,

    Notes pour servir de complment la nouvelle dition du Tome Flavien, Cristianesimo nella Storia29 (2008) 475-521, ici p. 478-479.

    9. Avec quelques lgres modifications, nous reprenons la traduction franaise du Tomedesaint Lon Flavien effectue par le Pre Festugire: Actes du concile de Chalcdoine, SessionsIII-VI (La Dfinition de La foi) , Traduction franaise p ar A.-J. Festugire O.P., Genve, 19 83,p.32-37 (ici p. 37, lignes 27-30). Nos rfrences au texte latin sont tires de: Conciliorumcumenicorum Generaliumque Decreta, Editio critica, t. 1 : The Oecumenical Councils FromNicaea I to Nicaea II (325-787), Curantibus G. Alberigo et alii, Corpus Christianorum,Turnhout, 2006, p.127-132. On peut voir aussiLes conciles cumniques, tome II-1, p. 180-191(texte latin et traduction franaise); M.-J. NICOLAS, La doctrine christologique de saintLon le Grand

    , Revue Thomiste51 (1951) 609-660 (texte latin et traduction franaise auxp.612-624).

    dun vieillard ignorant, born, imprudent et obstin6. Dans son Tome Flavien, le pape saint Lon explique quEutychs sest montr grandementimprudent et excessivement inexpriment. La pense dEutychs peut sersumer dans une formule quil rptait avec obstination et qui devint le motde ralliement de ses partisans (les monophysites): Je confesse que leSeigneur consistait de deux natures (ek duo phusen) avant lunion, mais

    aprs lunion je confesse seulement une nature (mia phusis)

    . Cette formuledEutychs est juge absurde et perverse par saint Lon qui la cite la finde son Tome Flavien. Les deux expressions centrales de cette formule sontissues de saint Cyrille, mais Eutychs leur donne un sens profondment diff-rent de celui quelles recevaient chez saint Cyrille. Eutychs veut rsoudre laquestion en introduisant le critre dun avant et dun aprs . Cetavant et cet aprs concernent les rapports de la divinit et de lhuma-nit du Christ: il y aurait dualit des natures avant lunion mais non pasaprs. Eutychs refuse dadmettre que, aprs lunion que constitue lincar-nation, il y ait une distinction relle de la divinit et de lhumanit du Christ.Dans le Christ Jsus, la nature humaine se fond alors dans la nature divine: ledivin a pour ainsi dire absorb lhumain. En refusant lhumanit du Christ

    la ralit que lon dsigne en parlant de nature humaine aprs lunion,Eutychs fait svanouir la consistance humaine du Christ. En consquence,lhumanit du Christ nest pas consubstantielle la ntre: elle nest pas de lamme nature que la ntre puisquaprs lunion il ny a qu une nature dansle Christ (cest prcisment la dfinition du monophysisme). Outre leproblme que pose la distinction dun avant et dun aprs (quelle peuttre, suivant la formule dEutychs, la ralit de la nature humaine avantlunion?), il faut noter que dsormais, cause dEutychs, la formule affir-mant que le Christ est dedeux natures (prposition ex: partir de deuxnatures) ne suffira plus pour exprimer la foi catholique avec la prcisionrequise pour carter les erreurs. Cest pourquoi lglise enseignera que leChrist est une personne endeux natures: la proposition en signifieraclairement que la dualit des natures subsiste de manire permanente aprslunion. La doctrine dEutychs fit lobjet dun procs lors dun synode runipar le patriarche Flavien de Constantinople en 448, dont saint Lon eutconnaissance. Mais les partisans dEutychs le dclarrent orthodoxe en 449dans un pseudo-concile que lon dsigne gnralement par le nom de brigan-

    NOVA ET VETERA

    400

    6. Sur Eutychs et le brigandage dphse, cf. B. SESBO, Le Dieu du salut, Histoiredes dogmes 1, Paris, 1994, p. 394-398. Voir aussi A.

    GRILLMEIER, Le Christ dans la traditionchrtienne: De lge apostolique Chalcdoine (451), 2e dition, Paris, 2003, p. 976-979.

  • 7/26/2019 Tomosul ctre Flavian al papei Leon cel Mare

    4/12

    Largumentation de saint Lon reprsente un modle du genre. SaintLon part en effet du Credo, plus prcisment du Symbole de lglise deRome (qui se trouve lorigine du Symbole des Aptres)12. La base de sarflexion christologique rside dans ces trois propositions du Credo: nouscroyons en Dieu le Pre Tout-Puissant , en Jsus-Christ son Filsunique, notre Seigneur, lui qui est n de lEsprit Saint et de la Vierge

    Marie

    . Lenseignement de saint Lon ne droge pas aux principes de laraison, mais il na pas dabord pour but de satisfaire aux exigences de laraison (tandis quun certain rationalisme, spcialement soucieux de mettre ladivinit labri des passions que le Christ a vcues en son humanit, peuttre dcel chez Nestorius). Il a pour but de saisir ce qui est impliqu dans leCredo dont lautorit lui parat suffisante pour rsoudre la question. Ce pointde dpart est remarquable. Il sexplique tout dabord par un motif pdago-gique et cumnique(luniversalit des fidles) : le Credo est une rfrenceindiscute, accepte par tous les chrtiens et donc capable de les runir. Maisce point de dpart revt galement une importance thologique de porteproprement dogmatique: le point de dpart est le donn de la foi, plus prci-sment un donn de la foi dj traduit en des formules dogmatiques. Nous y

    reviendrons plus bas. Pour linstant, il faut souligner ceci : lorsque lcrituredonne lieu plusieurs interprtations qui divisent les croyants, le Symbolede foi fournit la rgle de lecture des critures, une rgle qui doit treprfre aux interprtations particulires. Ainsi, aprs avoir rappel la rgledu Credo, saint Lon prsente lenseignement de lcriture:

    Mais si Eutychs ne pouvait puiser une intelligence non altre, en la tirantde cette source toute pure de la foi chrtienne, parce quil avait entnbrpour lui, par un aveuglement propre, la splendeur de la vrit vidente, ilet d se soumettre la doctrine vanglique, alors que Matthieu dit:Livre de la gnration de Jsus-Christ, fils de David, fils dAbraham (Mt1,1), il et d rechercher linstruction de la prdication apostolique et,quand il lisait dans lptre aux Romains: Paul serviteur du Christ Jsus,

    aptre par vocation, mis part pour annoncer lvangile de Dieu, quedavance il avait promis par ses prophtes dans les Saintes critures,concernant son Fils, issu de la ligne de David selon la chair (Rm1,1-3),il et d reporter une pieuse sollicitude aux pages des Prophtes; quand iltrouvait la promesse de Dieu Abraham disant (Gn 22,18): Dans ta

    LE MYSTRE DE LINCARNATION DANS LE TOME FLAVIEN

    403

    12. Le texte exact du Symbole de lEglise de Rome demeure un sujet de dbat parmi lesexperts. Pour la formule dont se sert saint Lon, voir L.H. W ESTRA, The Apostles Creed:Origin, History, and Some Early Commentaries, Instrumenta Patristica et Mediaevalia 43,Turnhout, 2002, p. 210-211 (cf. aussi p. 26-27 et 540).

    5la communication des proprits et le salut par le Christ; 6conclusionsur lerreur dEutychs. Sans suivre exactement lordre de ces six points, etsans exposer tous les thmes du Tome Flavien, nous proposons den lirequelques extraits qui en montrent les principaux lments doctrinaux10.

    Les ressources doctrinales du Tome Flavien

    Saint Lon commence son expos par un rappel de lenseignement duSymbole de la foi:

    Ignorant donc ce quil faut percevoir sur lincarnation du Verbe de Dieu etne voulant pas travailler dans le vaste champ des Saintes critures pourmriter la lumire de lintelligence, il [Eutychs] et d au moins couteravec sollicitude la confession commune et uniforme, par laquelle luniversa-lit des fidles fait profession de croire en Dieu le Pre Tout-Puissant et enJsus-Christ son Fils unique, notre Seigneur, qui est n de lEsprit Saint et de laVierge Marie, trois propositions par lesquelles sont dtruites les machinesde presque tous les hrtiques. Quand en effet Dieu est cru et omnipotent etPre, on dmontre du mme coup que son Fils lui est coternel, ne diffranten rien du Pre, puisquil est Dieu n de Dieu, omnipotent n de lomnipo-

    tent, coternel puisquissu de lternel, non postrieur dans le temps, noninfrieur quant au pouvoir, non dissemblable en gloire, non spar quant lessence. Mais en mme temps, ce mme Fils unique ternel dun Gniteurternel est n de lEsprit Saint et de la Vierge Marie. Et cette nativit, qui aeu lieu dans le temps, na rien diminu, rien ajout la nativit divine etsempiternelle, mais sest compltement dpense pour la rparation delhomme qui avait t tromp, pour quil vainqut la mort et dtruist par saforce le diable qui dtenait lempire de la mort. Nous ne pouvions en effetlemporter sur lauteur du pch et de la mort, si celui-l navait pas assumnotre nature et ne lavait faite sienne, lui que ni le pch na pu contaminerni la mort retenir. Certainement donc, il a t conu du Saint-Esprit dans lesein de la Vierge Mre, qui la mis au monde en sauvegardant sa virginitcomme elle lavait sauvegarde quand elle la conu11.

    NOVA ET VETERA

    402

    10. Mme lorsque nous nindiquons pas de rfrence explicite, nos explications repren-nent plusieurs lments de M.-J.

    NICOLAS, La doctrine christologique de saint Lon leGrand, Revue Thomiste51 (1951) 609-660; A.GRILLMEIER, Le Christ dans la tradition chr-tienne: De lge apostolique Chalcdoine (451), 2e dition, Paris, 2003, p. 986-999; B. SESBO,Le Dieu du salut, Histoire des dogmes 1, Paris, 1994, p. 399-403 ; L.CASULA, La cristologia diSan Leone Magno, Il fondamento dottrinale e soteriologico, Milano, 2000; H.FEICHTINGER,Die Gegenwart Christi in der Kirche bei Leo dem Groen, Frankfurt a.M., 2007.

    11. SAINT LON, Tome Flavien 2; trad. Festugire (lgrement modifie), p. 32[ligne30] - p.33 [ligne12].

  • 7/26/2019 Tomosul ctre Flavian al papei Leon cel Mare

    5/12

    Si largumentation biblique vient aprs le rappel du Credo, les deuxmoments sont intimement unis: il sagit de lcriture lue selon la rgle duCredo. La rflexion rationnelle ou la spculation noccupe pas la placecentrale chez saint Lon : dans ce document de nature spcifiquement magis-trielle concernant le Christ Jsus, le pape ne propose pas une rflexionhumaine mais il enseigne la foi divine. Cest le Credo, et non pas la rflexion

    rationnelle, qui fait entrer proprement dans le mystre de la foi. Le Credo esthomogne lcriture: il prsente la norme de lecture de lcriture et il estdestin saisir la vrit de lcriture en faisant retour sur lcriture dont ilest issu. Cette dmarche qui part du Credo pour faire retour sur lcritureest, en quelque faon, une premire bauche de ce que le Cardinal Journetappelait la mthode rgressive : on dsigne par l une mthode doctrinalequi, partirdune vrit de foi confesse et enseigne explicitementaujour-dhui par lglise (en loccurrence le Credo de lglise romaine), remonte son enracinement (en loccurrence lcriture) pour lclairer et pour en treclaire14.

    Les deux naissances ou

    nativits

    du Verbe

    Dans le Credo et lcriture, le premier thme que saint Lon a dgag estcelui des deux nativits ou naissances du Verbe: la nativit divine (nati-vitas divina: ternelle) et la nativit temporelle (nativitas temporalis: nati-vit dans le temps). Saint Lon explique: Cette nativit, qui a eu lieu dansle temps, na rien diminu (nihil minuit), rien ajout (nihil contulit) la nativitdivine et sempiternelle, mais sest compltement dpense pour la rparationde lhomme. Ce thme des deux naissances du Fils de Dieu reprend trsexactement deux propositions du Credo qui ont t places en tte de lex-pos: 1la confession du Fils unique engendr du Pre (nativit ternelle duFils); 2la confession du Christ n du Saint-Esprit et de la Vierge Marie(nativit temporelle). La nativit ternelle a t explicite dans le bref

    commentaire du Credo donn par saint Lon: le Fils est coternel et consub-stantiel au Pre (cela rsume la doctrine de lglise en rponse larianisme).Ds les premires lignes, saint Lon est trs ferme sur la vraie et parfaite

    LE MYSTRE DE LINCARNATION DANS LE TOME FLAVIEN

    405

    14. La mthode rgressivese distingue de la mthode gntiquequi, de son ct, suit la gensehistorique de la doctrine de la foi partir de lcriture vers les formules de foi et les explici-tations de la foi. Ces deux mthodes ne sexcluent pas mais sont complmentaires. Sur lesprincipes et les enjeux actuels de cette mthode, voir Ch.MOREROD, Mthode historique etmthode rgressive en thologie

    , dans La vrit vous rendra libres, Hommage au CardinalGeorges Cottier O.P., Paris, 2004, p. 117-128.

    semence toutes les nations seront bnies, pour viter tout doute quant larfrence de cette semence, il et d suivre lAptre disant (Ga3,16):Cest Abraham que les promesses furent adresses et sa descendance.Lcriture ne dit pas et aux descendants, comme sil sagissait deplusieurs; elle nen dsigne quun: et ta descendance, cest--dire leChrist. Il et d apprhender aussi par loreille intrieure la prdicationdIsae qui dit (7,44): Voici que la Vierge concevra dans son sein, elle

    mettra au monde un fils et on lappellera Emmanuel, qui veut dire Dieu avecnous, et il et d lire loyalement, du mme prophte, les mots (9,6) : Unfils nous est n, un fils nous a t donn, le principat repose sur ses paules;on proclame son nom: Ange du grand conseil! Dieu fort! Prince de paix!Pre du sicle futur !. Et alors il ne parlerait pas dune manire aussitrompeuse, en disant que le Verbe a pris chair en telle manire que le Christ,n du sein de la Vierge, a eu sans doute forme dhomme, mais na pas eu laralit du corps de sa mre. Ou bien peut-tre a-t-il pens que NotreSeigneur Jsus-Christ na pas t de notre nature pour cette raison quelange envoy la bienheureuse Marie dit: LEsprit Saint viendra en toi etla puissance du Trs-Haut te couvrira de son ombre, et cest pourquoi ltresaint qui natra de toi sera appel Fils de Dieu (Lc1,35), dans la supposi-tion que, comme la conception de la Vierge a t une opration divine, la

    chair de ltre conu ne pouvait tre de la nature de celle qui concevait?Mais il ne faut pas comprendre cette gnration uniquement merveilleuseet merveilleusement unique en ce sens que les proprits de son espce aientt cartes par la nouveaut de sa production. Car bien que ce soit lEspritSaint qui ait donn fcondit la Vierge, nanmoins cest un corps rel quia t conu de son corps, et la Sagesse stant bti une maison (Pr9,1), leVerbe est devenu chair et a habit en nous (Jn 1,14), ce qui veut dire danscette chair quil a tire de lhomme et quil a anime du souffle de la vierationnelle13.

    Cet aperu biblique constitue le deuxime moment de largumentation.Puisque lerreur dEutychs mettait spcialement en pril la vraie humanitde Jsus, saint Lon ne sattarde pas sur laffirmation de sa divinit que lerappel du Credo a dj mise en vidence, mais il runit plusieurs passagesbibliques qui montrent que Jsus est un homme vritable n dune femme.Comme la fin de lextrait cit le montre bien, lexpos se concentre sur lavrit de lhumanit de Jsus: le Christ Jsus possde un vrai corps humainetune vraie me humaine, il est un homme complet.

    NOVA ET VETERA

    404

    13. SAINT LON, Tome Flavien2; trad. Festugire (lgrement modifie), p.33 [ligne13] - p.34 [ligne2].

  • 7/26/2019 Tomosul ctre Flavian al papei Leon cel Mare

    6/12

    anti-nestorien, dans la ligne de saint Cyrille dAlexandrie, est manifeste: enparlant de naissance, saint Lon exprime trs fermement lidentit de celuiqui sest incarn: celui qui nat de manire humaine, cest le Fils ternel duPre. Le mme et unique Fils de Dieu est le sujet de sa naissance divine et desa naissance humaine. Le thme des deux naissances permet donc saintLon dinsister sur lunique sujet des deux naissances (la suite du texte prci-

    sera: lunique

    personne

    du Fils incarn) et dcarter radicalement lenestorianisme qui tendait diviser lhumanit et la divinit du Christ enattribuant chacune une personnalit distincte. Ce mme Fils uniqueternel dun Gniteur ternel est n de lEsprit Saint et de la Vierge Marie :le mme sujet divin qui nat ternellement du Pre nat temporellement danslhumanit. Le thme des deux nativits met ainsi en relief lunit person-nelle du Christ, le Verbe incarn.

    Les deux natures e t le s deux oprations de l unique personne du

    Verbe incarn

    a) Les deux natures

    Lenseignement de saint Lon sur les deux natures du Christ se prsentedans le prolongement direct du thme des deux naissances. En effet, laffir-mation des deux natures apparat comme une consquencede laffirmation desdeux naissances du Fils : une naissance par laquelle le Fils reoit et possdela nature divine, et une naissance par laquelle il reoit et possde la naturehumaine. Cest probablement, aujourdhui encore, la manire la plus simpleet la plus forte pour rendre compte des deux natures du Verbe incarn, car ceque lon reoit en naissant, cest la nature du gniteur(on peut stonner que cettevidence napparaisse gure chez les thologiens qui, aujourdhui, critiquentlusage du terme nature en christologie). Puisquil est n du Pre, le Filspossde la nature divine du Pre; et puisquil est n de la Vierge Marie, il

    possde une nature humaine.Ainsi donc cest dans la nature totale et parfaite dun homme vrai quest nle vrai Dieu, complet dans ce qui lui est propre, complet dans ce qui nous estpropre. Par ce qui nous est propre, jentends la condition dans laquellele crateur nous a tablis lorigine et quil a entrepris de restaurer: car dece que le Trompeur a apport et que lhomme abus a accept, il ny a nulletrace dans le Sauveur15.

    LE MYSTRE DE LINCARNATION DANS LE TOME FLAVIEN

    407

    15. SAINT LON, Tome Flavien3; trad. Festugire, p.34 [lignes 9-13].

    divinit du Fils. Quant la nativit temporelle du Fils, elle est expose,conformment au Credo, en rfrence Marie (dont saint Lon souligne lavirginit in partu) et laction de lEsprit Saint.

    Le nerf de lexpos se trouve ici: cest partir de laffirmation des deuxnativits du Fils que saint Lon montre la parfaite divinit et surtout la parfaitehumanit du Verbe incarn. Eutychs admettait que le Verbe a pris formehumaine, mais pour Eutychs le Verbe incarn nest pas consubstantiel nous: pour Eutychs, le Verbe aprs lunion na quune seule nature qui nepeut pas tre la ntre. Saint Lon rpond Eutychs: lEnfant n de Mariereoit la mme nature que sa Mre. La nouveaut de sa production (lemode admirable de la naissance temporelle du Fils par laction de lEspritSaint) ne supprime pas les proprits de son espce (proprietas g eneris:lintgrit de la nature humaine du Christ Jsus). Par sa naissance tempo-relle de Marie, le Verbe prend une nature humaine complte et vritable.Cette nature humaine nest pas spcifiquement modifie par son union lanature divine: elle est et reste une nature humaine comme la ntre.Semblablement, la nature divine nest pas modifie par son union la nature

    humaine : la nature divine est et reste la nature divine par laquelle le Fils estconsubstantiel son Pre. Ds le premier instant de la conception du Christpar la Vierge Marie, les deux natures coexistent dsormais dans le Christsans que la nature divine absorbe la nature humaine. Les deux natures, quele Christ reoitpar ses deux naissances, subsistent en lui de faon intgrale etstable.

    Ce thme des deux naissances du Verbe exclut tout doctisme (du verbegrec dokein: apparatre, sembler; le doctisme est lerreur qui considre lachair du Christ comme une pure apparence), et il carte aussi le danger dediviser le Christ. Regardons cela de plus prs. Saint Lon part du Symbole defoi qui confesse que le Fils de Dieu est n (natus est) de lEsprit Saint et dela Vierge Marie

    . Ce vocabulaire de la naissance est tout fait concret; ilexprime le ralisme de lincarnation de la faon la plus simple et forte: lin-carnation du Fils, cest sa naissance de la Vierge Marie (ou, plus prcismentencore, sa conceptionde la Vierge Marie). Il pourrait sembler que cela aille desoi, mais cette prcision ntait pas acquise pour tous. En identifiant lincar-nation et la nativitashumaine, saint Lon montre quil ny a pas, dun ct,lacte par lequel lhumanit est forme dans le sein de Marie, et, de lautrect, lacte par lequel le Verbe prend cette humanit qui vient de Marie. Ilsagit de la mme ralit: la conception ou naissance, cest lincarnation. Lenjeu

    NOVA ET VETERA

    406

  • 7/26/2019 Tomosul ctre Flavian al papei Leon cel Mare

    7/12

    La formule centrale se trouve au dbut de lextrait cit. Premirement,chaque nature du Christ conserve ses caractristiques propres ( salva igitur

    proprietate utriusque naturae); deuximement, les deux natures sont runiesdans une seule personne (et in unam coeunte personam). Cette explication desaint Lon rsume une longue et importante tradition latine : elle est issue deTertullien18 et de saint Augustin19 qui avaient enseign que lunion de la

    divinit et de lhumanit du Fils sest faite en une personne (persona). Ellesera reprise par la dfinition christologique du concile de Chalcdoine20.Suivant cette formule, les deux natures sont unies par convergence dans lunit dela personne. Lunit est exprime ici de faon dynamique (avec le verbe latin coire : aller ensemble, se joindre, sunir). Il ne sagit pas dune simplejuxtaposition mais dun acte dunion et de convergence dans lunit de ltrepersonnel. La personne du Christ nest pas le rsultat de lunion (commesi lincarnation avait donn lieu une nouvelle personne); le contexte duTome Flavienmontre bien que le Fils incarn est une personne prexis-tante: cest la mme personne qui nat ternellement du Pre et qui, par sonincarnation de la Vierge Marie, existe dsormais dans ses deux natures. Leterme personne (persona), qui dsigne en toute clart lunit dtre du

    Christ, est repris et consacr par saint Lon pour exprimer ce en quoi le

    LE MYSTRE DE LINCARNATION DANS LE TOME FLAVIEN

    409

    18. Au dbut du IIIe sicle dj, Tertullien crivait dans son Contre Praxas: Nous voyons[dans le Christ] une double condition, qui nest pas confusion mais conjonction dans uneunique personne, Dieu et lhomme Jsus (videmus duplicem statum, non confusum sed coniunctumin una persona, Deum et hominem Iesum) []. De la sorte, la proprit de chacune des deuxsubstances est maintenue (salua est utriusque proprietas substantiae) (Adversus Praxean27,11;Corpus Christianorum, Series Latina

    2, Turnhout, 1954, p.

    1199). Cf.

    aussi TERTULLIEN, Lachair du Christ5,7-8: La provenance de ses deux substances (utriusque substantiae) a montrquil tait la fois homme et Dieu []. Dun ct il est mourant, de lautre vivant. La propritdes deux conditions (proprietas condicionum), humaine et divine, est maintenue distincte parlgale vrit de ses deux natures (naturae) []. Pourquoi livrer la moiti du Christ aumensonge? Tout en lui fut vrit

    (Sources chrtiennes

    216, Paris, 1975, p.

    230-231).19. Voir B. STUDER, Una persona in Christo. Ein augustinisches Thema bei Leo dem

    Grossen

    , Augustinianum25 (1985) 453-487. Cette tude montre que, dans la christologie desaint Lon, la doctrine de lunit de la personne du Christ trouve sa source chez saintAugustin.

    20. Concile de Chalcdoine: Nous enseignons tous unanimement que nous confessons[] un seul et mme Christ, Fils, Seigneur, lunique engendr, reconnu en deux natures[], la diffrence des natures ntant nullement supprime cause de lunion, la proprit delune et lautre nature tant bien plutt sauvegarde et concourant en une seule personne etune seule hypostase (nusquam sublata differentia naturarum propter unitionem magisque salva

    proprietate utriusque naturae et in unam personam atque subsistentiam concurrente) (Les concilescumniques, tome II-1, p. 198-199). Cet extrait fait partie de la dfinition qui constitueluvre propre de Chalcdoine: il nest pas difficile dy discerner linfluence directe du Tomede saint Lon Flavien.

    Le vrai Dieu (verus Deus) est n dans la nature totale et parfaite dunhomme vrai (integra ergo veri hominis perfectaque natura). Cela carte la diffi-cult de ceux qui refusaient de reconnatre que Dieu est n de la ViergeMarie ou que Dieu a souffert par crainte de soumettre la divinit auchangement et la condition temporelle. Saint Lon ne possde pas encoretous les outils conceptuels adquats, mais son explication fait bien la distinc-tion entre le mot Dieu dsignant la naturedivine (la divinit : ce qui luiest propre

    ), et le mot

    Dieu

    dsignant lapersonnedistincte quest le Fils(le vrai Dieu). Quand il explique que le vraiDieu est n dans la naturetotale et parfaite dun homme vrai, le mot Dieu ne dsigne pas la naturedivine, comme le craignait Nestorius, mais le sujet personnel: ce nest pas lanature divine qui nat de la Vierge, mais cest Dieu le Verbe comme sujetprexistant qui nat temporellement selon une autre nature, sa naturehumaine (complte dans ce qui nous est propre). En affirmant ainsi queDieu nat dans une nature dhomme, saint Lon maintient laspect de lunit duChrist(cest Dieu le Verbe qui nat) et souligne lintgrit des deux naturesaprslincarnation (le Verbe incarn est complet en lune et lautre natures).Lusage du terme nature permet galement de prciser que le Christ est

    immacul: le Christ est absolument sans pch, dans une nature humaineintgre (la condition dans laquelle le crateur nous a tablis lorigine etquil a entrepris de restaurer)16. En rsum, le paralllisme des deux nais-sances amne tenir lgale et pleine vrit des deux natures du Christ. Parantithses et paralllismes, le Tome Flavienarticule constamment et avecprcision le thme de lunit personnelle et celui de la distinction des natures.Voici lexpression-cl qui retiendra toute lattention des conciles ultrieurs:

    Ainsi donc, tant maintenues sauves les proprits de lune et lautrenatures, et ces proprits se runissant dans une seule et mme personne,lhumilit a t assume par la majest, la faiblesse par la force, la mortalitpar lternit, et, pour teindre la dette de notre condition, la nature invio-lable sest unie la nature passible, en telle sorte que, comme il convenait

    notre gurison, un seul et mme mdiateur de Dieu et des hommes,lhomme Christ Jsus (1Tm2,5), ft tout la fois susceptible de mourirselon lune [la nature humaine] et non susceptible de mourir selon lautre[la nature divine]17.

    NOVA ET VETERA

    408

    16. La saintet du Christ, exempt de tout pch et de toute concupiscence, est dveloppedans la suite du texte ( 4, en rfrence sa naissance temporelle).

    17. SAINT LON, Tome Flavien3; trad. Festugire (lgrement modifie), p.34 [lignes3-9].

  • 7/26/2019 Tomosul ctre Flavian al papei Leon cel Mare

    8/12

    ds l que lhumilit de lhomme et llvation de la dit toutes deux serencontrent ici22.

    Une fois encore, la nature humaine du Christ est considre dans leprolongement de sa naissance humaine (le Christ a une nature humaineparce quil est n de la Vierge Marie). Le Christ est vrai homme (verus homo),non pas parce quil aurait assum un homme dj existant, mais parce que le

    Fils de Dieu a assum une vritable naturehumaine (natura).

    b) Les deux oprations du Verbe incarn

    Outre lunit de la personne du Christ et la dualit de ses natures, saintLon reconnat et affirme deux oprations dans le Christ. Ces deux opra-tions collaborent laccomplissement de la mme et unique uvre de salut.

    Chaque nature accomplit ce qui lui est propre en communion avec lautrenature, en ce sens que le Verbe opre ce qui est du Verbe, et la chair met excution ce qui est de la chair (agit enim utraque forma cum alterius commu-nione quod proprium est, Verbo scilicet operante quod Verbi est, et carne exequentequod carnis est). Lune des deux resplendit de miracles, lautre succombe aux

    outrages. Et de mme que le Verbe ne cesse pas dtre en galit de gloireavec le Pre, de mme la chair ne renonce pas la nature de notre race. Carcest le mme, comme il faut le dire souvent, qui est vrai Fils de Dieu et vraifils de lhomme []. La nativit de la chair est la manifestation de la naturehumaine, laccouchement dune vierge est lindice dune puissance divine.[] Avoir faim, avoir soif, tre fatigu et dormir sont manifestement destraits humains, mais nourrir cinq mille hommes avec cinq pains, donner laSamaritaine de leau vive dont les gorges font que celui qui boit na plusjamais soif, marcher sur la surface de la mer avec des pieds qui nenfoncentpas, aplanir les hautes vagues des flots par une invective la tempte, cestsans ambigut divin23.

    La formule centrale se trouve au dbut de lextrait cit: dans le Christ

    Jsus, chaque nature accomplit ce qui lui est propre en communion aveclautre. Cet enseignement revt une grande importance. Auparavant, saintLon a manifest lunit du Christ en ses deux natures, mais ici il va plusloin: il montre que chaque nature, la divine et lhumaine, est un principedistinct dactivit. Dans le Christ Jsus, chaque nature opre selon sa puis-

    LE MYSTRE DE LINCARNATION DANS LE TOME FLAVIEN

    411

    22. SAINT LON, Tome Flavien4; trad. Festugire (lgrement modifie), p.34 [lignes37-41].

    23. SAINT LON, Tome Flavien4; trad. Festugire (modifie), p.35 [lignes 2-23].

    Christ est un et le mme. Ainsi, la formule de saint Lon affirme claire-ment lunit du Christ qui rside dans sa personne. Dun ct, le termepersonne ne signifie pas seulement la manifestation extrieure mais bienlunit dtre: cela fait droit la vise de saint Cyrille dAlexandrie (lunionselon lhypostase). De lautre, cette formule maintient fermement la consistance

    propre et distincte des deux natures: cela fait droit la proccupation majeure dela christologie de type antiochien. Cet quilibre en profondeur est bienexprim par le recours lhymne aux Philippiens (Ph

    2,6-11, un textemajeur de la christologie augustinienne). De ce texte biblique, saint Londgage, premirement, laffirmation du sujet divin de lincarnation et,deuximement, la reconnaissance de la pleine intgrit des deux naturesaprs lunion:

    Celui qui, demeurant dans la forme de Dieu (manens in forma Dei), a faitlhomme, a t fait homme dans la forme desclave (in forma servi factus esthomo) : lune et lautre natures retiennent sans perte leur proprit particu-lire (tenet enim sine defectu proprietatem suam utraque natura) et, de mme quela forme de Dieu na pas supprim la forme desclave, de mme la forme des-clave na pas amoindri la forme de Dieu21.

    Laffirmation de la parfaite et permanente intgrit des deux natures viseprincipalement carter lhrsie dEutychs et rpond aussi la proccupa-tion centrale de la christologie antiochienne. Les caractristiques constitu-tives de chaque nature demeurent intactes: lincarnation ne blesse en rien lanature divine (qui demeure sans aucun amoindrissement) et elle ne dissoutpas lhumanit dans la divinit (lhumanit du Christ demeure complte etintacte en tous ses principes constitutifs). Il faut observer que lintgrit dechaque nature est pose ici aprslaffirmation de lunit de la personne: celuiqui a t fait homme est celui qui existe de toute ternit dans la forme deDieu. Dans lexplication doctrinale, le moment de la distinction intervientaprs le moment de lunit qui reoit la priorit. Le Tome Flavien lexprime

    encore trs bien quelques lignes plus bas:Le Seigneur a assum la nature de sa mre, non la faute, et dautre part dansle cas de Notre Seigneur Jsus-Christ n du sein dune Vierge, de ce que sanaissance est miraculeuse, il nen rsulte pas que sa nature soit diffrente dela ntre. Car celui qui est vrai Dieu est, le mme, vrai homme (qui enim verusest Deus, idem verus est homo). Car dans cette unit il ny a pas de mensonge,

    NOVA ET VETERA

    410

    21. SAINT LON, Tome Flavien3; trad. Festugire (lgrement modifie), p.34 [lignes17-20].

  • 7/26/2019 Tomosul ctre Flavian al papei Leon cel Mare

    9/12

    La communication des propri ts

    En raison de ce qui prcde, saint Lon enseigne et applique la communi-cation des propritsdans le Christ: ce qui revient en propre chaque naturedistincte peut tre attribu la personne qui subsiste dans lune et lautre deces natures.

    En raison donc de cette unit de personne quil faut reconnatre dans les

    deux natures (propter hanc ergo unitatem personae in utraque natura intelle-gendam), tout la fois on lit que le fils de lhomme est descendu du ciel,quand le Fils de Dieu a assum une chair tire de la Vierge de laquelle il estn, et linverse le Fils de Dieu est dit crucifi et enseveli, bien quil ait subices choses non dans la divinit mme par laquelle le Fils unique estcoternel et consubstantiel au Pre, mais dans la faiblesse de la naturehumaine. Do vient que nous professons aussi tous dans le Credo que leFils unique de Dieu a t crucifi et enseveli, selon ce mot de lAptre(1Co2,8): Car sils avaient su, ils nauraient jamais crucifi le Seigneur degloire26.

    Commenons par observer les exemples. Dans cet extrait du Tome Flavien, lexpression fils de lhomme signifie la personne du Christ

    subsistant en sa nature humaine; or au

    fils de lhomme

    est attribue uneaction divine: descendre du ciel. Rciproquement, lexpression Fils deDieu signifie la personne du Christ subsistant dans sa nature divine: auFils de Dieu sont attribues des proprits humaines: natre de la Vierge,tre crucifi, tre enseveli. Cest ainsi que la Vierge Marie est dclare envrit Mre de Dieu. Le fondement, trs clair et mr, est bien nonc : lacommunication des proprits se fait en raison donc de cette unit depersonne quil faut reconnatre dans les deux natures. Explicitons brive-ment cela. Le fondement objectif de la communication des proprits rsidedans le fait que les deux natures du Christ sont unies dans une seule etunique personne; on attribue donc les proprits de chaque nature cettepersonne unique. Plus tard, saint Thomas dAquin expliquera la communi-cation des proprits ou

    idiomes

    en ces termes :

    Dans le mystre de lin-carnation, il y a une communication des proprits appartenant chaquenature: tout ce qui revient une nature peut tre attribu la personne quisubsiste dans cette nature, quelle que soit la nature signifie par tel ou telnom27. La communication des proprits nest pas un artifice de langage

    LE MYSTRE DE LINCARNATION DANS LE TOME FLAVIEN

    413

    26. SAINT LON, Tome Flavien5; trad. Festugire, p.35 [lignes 34-41].27. SAINT THOMAS DAQUIN, Somme de thologieIII, q.3, a.6, ad3; pour les applications,

    voir Somme de thologieIII, q.16.

    sance propre, sans toutefois cesser dagir en coopration avec lautre. Cetteformule est proche de ce quenseignait dj Tertullien. Il faut bien noter queles deux natures ne sont pas des principes daction spars : saint Lon naf-firme pas une juxtaposition mais une communionmutuelle, et il maintientfermement lunit du sujet agissant(car cest le mme, comme il faut le diresouvent, qui est vrai Fils de Dieu et vrai fils de lhomme). Si chaque natureconserve son opration propre, ce nest pas en tant que sujet concret (lesnatures ne sont pas les sujets de laction) mais en tant que principe daction,dans la mesure o lactivit est unepropritde la nature et senracine dans lanature. Saint Lon distingue bien lunique personne qui agitet les deuxprin-cipes formels dactivit distincte (ce par quoi on agit, cest--dire la nature).

    Car, bien que dans Notre Seigneur Jsus-Christ Dieu et lhomme ne fassentquune seule personne (una persona), autre est pourtant ce do provient(aliud tamen est unde) loutrage commun Dieu et lhomme, et autre est cedo provient (aliud unde) la gloire commune. De nous, en effet, il tient lhu-manit qui est infrieure au Pre, du Pre il tient la divinit qui le rend galau Pre24.

    En rsum: le Christ est une seule personne agissant selon ses deux

    natures qui sont des principes distincts dactivit, chaque nature uvrant encommunion avec lautre pour la ralisation de lunique uvre du salut. SaintLon montre que laffirmation fondamentale de lunit de la personne duChrist permet de distinguer son activit humaine et son activit divine sansrisquer de diviser le Christ et sans risquer de diviser son action. Cettedoctrine de la double activit (sans confusion ni sparation, mais en communion) delunique personne du Christ constitue un progrs de saint Lon par rapport saint Cyrille dAlexandrie. Elle ne sera pas reprise en ces termes par leconcile de Chalcdoine, mais elle sera dogmatise plus tard, au VIIe sicle, parle concile du Latran de 649 puis par le troisime concile cumnique deConstantinople en 680-68125.

    NOVA ET VETERA

    412

    24. SAINT LON, Tome Flavien4; trad. Festugire (modifie), p.35 [lignes 29-33].25. Pour le concile romain du Latran en 649, uvre du pape saint Martin Ier, voir

    Denzingern500 et n510-516 (ce mme concile reprend aussi le thme des deux naissancesdu Verbe et celui de lintgrit de ses deux natures, en des termes proches de ceux de saintLon le Grand: Denzingern504 et n509). Pour ConstantinopleIII, voir Les conciles cum-niques, tomeII-1, p.278-291. De plus, comme ces conciles lenseigneront, saint Lon affirmedj lexistence de deux volontsdans le Christ: la volont divine et la volont humaine (lavolont est en effet une proprit de la nature rationnelle); cf. L.

    CASULA, La cristologia di SanLeone Magno, p.124-129.

  • 7/26/2019 Tomosul ctre Flavian al papei Leon cel Mare

    10/12

    La fin de cet extrait signifie clairement le propos de saint Lon : le Christest notre Sauveur parce quil est insparablement vrai Dieu et vrai homme.Laffirmation dogmatique concernant lunique personne du Christ en sesdeux natures est directement et intrinsquement lie luvre du salut. Enexposant, dans ce contexte, ce quon peut appeler la constitution ontolo-gique du Christ30, cest lidentit et luvre du Christ comme Sauveur etMdiateurque saint Lon dfend. Pour que lunion de Dieu et de lhommedans le Christ soit source effective de salut, il faut quelle permette de direproprement que le Fils de Dieu en personne est n, a vcu, est mort et estressuscit dans la nature humaine. Et chez saint Lon, cet argument trouveplace dans une considration de lconomie du salut. Nous avons cit plus hautun extrait qui signifie bien cet aspect: Pour teindre la dette de notrecondition, la nature inviolable sest unie la nature passible, en telle sorteque, comme il convenait notre gurison, un seul et mme mdiateur deDieu et des hommes, lhomme Christ Jsus (1 Tm 2,5), ft tout la foissusceptible de mourir selon lune [la nature humaine] et non susceptible demourir selon lautre [la nature divine] 31. On observe ici un cho de ladoctrine du pch originel et de ses consquences (teindre la dette de

    notre condition

    ). Si le Fils de Dieu devient homme, cest pour nous sauverpar la nature humaine quil assume : cest dans cette nature humaine quil estsoumis la mort et quil la vainc. Le motif ou le but de lincarnation, cestnotre rdemption. Il faut galement observer la place centrale du thme dumdiateur, dans la ligne des Pres grecs: le Christ Jsus tant vraimentconsubstantiel au Pre et de mme nature que nous, il est le mdiateur de larconciliation de Dieu et des hommes. cela sajoute le thme de la divinisa-tionpar lincarnation: le salut ne consiste pas seulement dans la gurison dupch (face ngative), mais il consiste fondamentalement dans llvationde notre humanit pour quelle entre en communion avec Dieu (face posi-tive). Cette divinisation de lhumanit saccomplit dans et par la personnemme du Christ, en vertu de son incarnation:

    LE MYSTRE DE LINCARNATION DANS LE TOME FLAVIEN

    415

    30. SAINT LON, Tome Flavien5; trad. Festugire, p.36 [lignes 18-24]: Derechef, lemme leur montrait la plaie de son ct, les marques des clous et tous les signes de sa passiontoute rcente; il disait: Voyez mes mains et mes pieds, cest bien moi! Palpez-moi et rendez-vous compte quun esprit na ni chair ni os, comme vous voyez que jen ai (Lc 24,39), pour quenous reconnaissions quen lui les proprits de la nature divine et de lhumaine subsistentinsparables et quainsi nous sachions que le Verbe nest pas la mme chose que la chair, maisen ce sens que nous confessions que le seul Fils de Dieu est tout la fois et Verbe et chair.

    31. SAINT LON, Tome Flavien3; trad. Festugire (lgrement modifie), p.34 [lignes5-9].

    mais elle exprime la ralit de ltre du Christ. Puisque la personne est une,les proprits de chaque nature (y compris laction qui est une propritde la nature) sont attribues la personne, soit que cette personne se trouvedsigne par un nom la signifiant dans la nature humaine, soit que cettepersonne se trouve dsigne par un nom la signifiant dans la nature divine.La communication ne se fait pas au plan de la nature mais au plan de la

    personne, cest--dire au plan mme o sopre lunion; le plan ou niveaude la communication est celui-l mme de lunion28.

    Le salut par le hris t

    Lensemble du Tome Flavienest port par le thme du salut: le Christ yest constamment considr comme notre Sauveur, le mdiateur de Dieu et deshommes, celui qui nous apporte la gurison et la divinisation (sanctification).Saint Lon reprend en particulier un thme sotriologique traditionnel:

    Quand notre Seigneur et Sauveur a voulu instruire ses disciples par sesinterrogations: Au dire des gens , demande-t-il, qui est le fils delhomme? (Mt 16,13), et aprs que les disciples lui avaient dvoil lesdiverses opinions des autres, il demande: Mais pour vous, qui suis-je?

    (Mt 16,15) moi, cest--dire, qui suis fils dhomme et que vous voyez dansla forme desclave et dans la vrit de la chair, qui dites-vous que je suis ? ,alors le bienheureux Pierre, inspir par Dieu et destin par sa confession tre de secours pour toutes les nations, a dit: Tu es le Christ, Fils du Dieuvivant (Mt16,16). Et cest bon droit quil a t prononc bienheureuxpar le Seigneur et quil a tir de la pierre matresse la solidit du pouvoir queson nom aussi exprime, lui qui, par une rvlation du Pre, a confess lemme et comme Fils de Dieu et comme Christ, parce que lun de ces deuxpris part de lautre ntait pas de secours au salut, et quil tait dgal prildavoir cru que Notre Seigneur Jsus-Christ tait ou Dieu seulement sanslhomme, ou homme seulement sans Dieu29.

    NOVA ET VETERA

    414

    28. Prcisons bien. Saint Lon nattribue pas les proprits de la nature divine la naturehumaine, ni les proprits de la nature humaine la nature divine. On ne dira pas

    la naturedivine est morte sur la croix

    ni

    la nature humaine du Christ a cr le monde

    : ces propo-sitions sont errones car elles confondent les natures. La communication des proprits nestpas lattribution dune proprit de telle nature lautre nature, mais cest lattribution duneproprit divine ou humaine lapersonnedu Christ. Dans la communication des proprits, lesujet dattribution est toujours la personne (Fils de Dieu, Christ, Jsus, fils deMarie

    ,

    cet homme Jsus

    , etc.). La communication des proprits se fait toujours au plande la personneparce que, dans lincarnation, lunion de Dieu et de lhumanit sest accompliedans la personnedu Fils (et non pas dans la nature, car les deux natures conservent leurdistinction et leurs proprits respectives).

    29. SAINT LON, Tome Flavien5 ; trad. Festugire, p.35 [ligne 41] - p.36 [lignes1-11].

  • 7/26/2019 Tomosul ctre Flavian al papei Leon cel Mare

    11/12

    courant associ Nestorius34. Peut-tre la pense latine ne disposait-elle pasde toutes les subtilits techniques de la pense grecque, mais son gniepropre lui a permis de sortir des difficults poses par la christologie alexan-drine et antiochienne. Chez saint Cyrille, la nature (phusis) dsignait laralit concrte, tel point que Cyrille parlait parfois indiffremment de

    phusiset dhupostasis. Pour saint Cyrille, parler de deux phuseis (deuxnatures) pouvait comporter le danger dadmettre deux hypostases dansle Christ, et donc de diviser le Christ. Saint Lon le Grand na pas ceproblme: dans sa pense latine, la nature (natura) na pas de subsistanceindpendante : cest une essence et non pas un sujet personnel ou une hypo-stase: la nature ne subsiste que dans un sujet concret (en loccurrence, lapersonne du Christ) et nexiste pas hors de ce sujet concret. Saint Lon peutdonc parler de deux natures sans risque de diviser le Christ. Quant lanotion de personne (persona), elle ne se limite pas une manifestation ext-rieure (ctait le danger de la notion de prospondans certaines interprta-tions de Nestorius). Pour saint Lon, lapersonneest lindividu singulier, sujetde ses actes, non seulement dans lordre de la manifestation mais dans laralit mme. Saint Lon parle ainsi dune seule personne du Fils de Dieu

    incarn. Avec saint Lon, la tradition latine tient dj le contenu de la notionde personne que le concile de Chalcdoine consacrera. En parlant dunepersonne en deux natures, saint Lon fut donc capable de proposer unesynthse latine qui dpasse les difficults de la christologie alexandrine(la version cyrillienne de la christologie Logos-sarx) et de la christologieantiochienne (Logos-anthrpos), et qui pourtant fait pleinement droit lintention foncire de chacun de ces courants christologiques (lunit duChrist et la pleine intgrit de ses deux natures). Lemploi prcis des notionsde natureet depersonne, que le Tome Flavienfonde dans le thme des deux

    LE MYSTRE DE LINCARNATION DANS LE TOME FLAVIEN

    417

    dune seule nature incarne du Dieu Verbe (mian phusin tou Theou Logou sesarkmenn), ne prendpas ces formules au sens o les saints Pres les ont enseignes, cest--dire que, lunion selonlhypostase (kathhupostasin) stant faite partir de la nature divine et de la nature humaine, ilen est rsult un Christ un ; mais si, laide de ces e xpressions, il entreprend dintroduire uneseule nature (mian phusin) ou substance (ousian) de la divinit et de la chair du Christ, quil soitanathme

    (Les conciles cumniques, tome II-1, p.260-263). Dans linterprtation de saintCyrille carte par Constantinople II, on reconnat lopinion errone dEutychs.

    34. Le concept de personne (prospon) chez Nestorius est fort complexe. Il a parailleurs connu une volution. En simplifiant quelque peu, on peut dire que Nestorius attri-buait chaque nature du Christ un prosponpropre, leprosponde la nature humaine et le

    prosponde la nature divine tant rciproquement unis ou conjoints dans un prospondunion

    . Cette explication ne suffisait pas pour affirmer en toute rigueur que

    Dieu le Verbea souffert et que Marie est Theotokos.

    Il a assum la forme de serviteur sans la souillure du pch, enrichissantlhumain sans diminuer le divin (humana augens, divina non minuens), parceque cet anantissement par lequel lInvisible est rendu visible et le Crateuret Matre de lunivers a voulu tre lun des mortels, fut une condescendancede misricorde, non une dficience de puissance32.

    Lassomption de la nature humaine par le Verbe divin lve et consacre ladignit de lhomme. Le Tome Flaviensuggre que le Christ ne nous sauvepas seulement par sa passion et sa mort, mais dj par la divinisation de sapropre humanit unie sa divinit (enrichissant lhumain). En prenantune nature humaine, le Verbe lui communique la vie divine. Le fondement dusalut des hommes est pos dans ltredivino-humain du Christ. On reconnatici le thme de ladmirable change de la liturgie de Nol. Par ailleurs, laknose (cet anantissement : exinanitio, en rfrence implicite Ph2,7) nese comprend en aucune faon comme une modification de la divinit duChrist, mais bien comme lassomption dune nature humaine qui sen trouveleve. Lincarnation nenlve rien Dieu mais elle ajoute lhomme:humana augens, suivant la splendide expression de saint Lon. Ainsi, lensei-gnement du Tome Flavien sur lunique personne du Christ et ses deux

    natures sinscrit dans une rflexion sur lhistoire du salut, centre sur notrerdemption et notre divinisation par la naissance, la vie, la passion, la mortet lexaltation du Fils de Dieu. Le fondement de la vie nouvelle et de ladignit des croyants est dj pos dans lincarnation du Fils en qui la naturehumaine est leve la pleine communion avec Dieu.

    onclusion

    Outre le modle de mthode doctrinale quon y trouve, la valeur remar-quable de la christologie du Tome Flavienprovient du fait que saint Londispose dun concept de nature plus prcis que celui de saint CyrilledAlexandrie33 et dun concept depersonnebeaucoup plus solide que celui du

    NOVA ET VETERA

    416

    32. SAINT LON, Tome Flavien3; trad. Festugire (lgrement modifie), p.34 [lignes14-17].

    33. Si la doctrinede saint Cyrille constitue bien des gards le sommet de la christologiepatristique grecque, son vocabulaire (en particulier lusage des termes phusiset hupostasis)posait de rels problmes; tel est notamment le cas de lexpression cyrillienne une seule

    phusisincarne du Dieu Verbe, dans laquelle le terme phusisdoit tre pris au sens de lapersonne ou de lhypostase, et non pas au sens de la nature. En 553, le deuxime concile deConstantinople (canon 8) intervint en donnant une exgse autorise dexpressions desaint Cyrille qui avaient donn lieu de graves malentendus:

    Si quelquun, confessant quelunion de la divinit et de lhumanit sest faite de deux natures ( ek duo phusen), ou parlant

  • 7/26/2019 Tomosul ctre Flavian al papei Leon cel Mare

    12/12

    Le concile Vatican II, qui souvre en 1962, sonne le glas du thomisme 2.

    Du moins dune certaine figure du thomisme, celle qui stait mise en placedepuis Lon XIII et qui est parfois qualifie de no-scolastique ou de no-thomisme3. Une premire rupture est consomme le jour o lassembleconciliaire rcuse les schmas prparatoires labors par une Commissionthologique qui tait pour une large part lmanation du thomisme romaindu Saint-Office4. Par la suite, les textes conciliaires feront peu rfrence saint Thomas dAquin5. Certes, lAquinate nest pas absent de laulaconci-

    NOVA ET VETERA, LXXXVIIe ANNE - REVUE TRIMESTRIELLE OCT. NOV. DC. 2012 419

    Le thomisme de 1962 2012.Vue panoramique1

    1. Bibliographie: E. TOURPE Thomas et la modernit, Revue des sciences philosophiqueset thologiques2001 (85), p.433-460; F. KERR, After Aquinas, Versions of Thomism, Oxford,2002; ID., Thomas Aquinas: Conflicting Interpretation in Recent Anglophone Literature,

    dans: Aquinas as Authority, A collection of studies presented at the second conference of theThomas Instituut te Utrecht, December 14-16, 2000, P. Van Geest, H. Goris, C. Leget (ed.),Louvain, 2002, p.

    165-186; O.-H. PESCH, Thomas Aquinas and Contemporary Theology,dans: Aquinas as Authority, p. 123-163; S.-T. BONINO, Le thomisme aujourdhui.Perspectives cavalires, Revista espaola de teologia63 (2003), p. 167-181;ID., Lavveniredel progetto tomista

    , Annales theologici18 (2004), p.199-214; J.-P. TORRELL, Situationactuelle des tudes thomistes

    , dans: Nouvelles tudes thomasiennes, Bibliothque thomiste,61, Paris, 2008, p.177-202 [reprise de:Recherches de science religieuse91 (2003), p. 343-371].

    2. Cf. M. FOURCADE, Thomisme et antithomisme lheure de Vatican II , dans:Antithomisme. Histoire, thmes et figures, II. Lantithomisme dans la pense contemporaine,Revue thomiste108 (2008), p. 301-325.

    3. Pour une premire approche du no-thomisme, cf., par exemple, T. OMEARA, ThomasAquinas Theologian, Notre Dame, 1997, p. 167-198; G.MCCOOL, The Neo-Thomists, Marquette,20033 Sur le projet lonin, cf. S.-Th. BONINO, Le fondement doctrinal du projet lonin:Aeterni Patriset la restauration du thomisme, dans: Le pontificat de Lon XIII, Renaissancesdu Saint-Sige? Etudes runies par Ph. Levillain et J.-M. Ticchi,

    Collection de lEcole fran-

    aise de Rome, 368

    , Rome, 2006, p. 267-274.4. Cf. Lettre du P. Georges Cottier Jacques Maritain, 17 dcembre 1962, dans: JOURNET-

    MARITAIN, Correspondance, vol. 5, Saint-Maurice [Suisse], 2006, p. 745 : En bref, les tholo-giens romains ont rendu un terrible service saint Thomas; leurs projets, dont le rejet taitprvisible et souvent heureux, refltaient le langage des manuels, et, plus gravement, taientlexpression dune thologie base de saint Robert Bellarmin, dencycliques et de droit canon :cest cela que partout, ignorance ou mauvaise foi, on veut prendre pour le thomisme (lascolastique). Le rsultat est que toutes les autres coles, y compris les plus inquitantes,triomphent

    5. Le Docteur commun est cit plusieurs reprises dans les notes des documents conci-liaires, mais il napparat que deux fois dans les textes eux-mmes. Il sagit dans les deux casdun document relatif lducation: Optatam totius, n16; Gravissimum educationis momentum,

    nativits du Verbe et dveloppe dans une vue profonde de lconomie dusalut, constitue un apport dcisif de lglise latine lexplicitation de la foiau Christ.

    Fr. Gilles EMERY, OP

    NOVA ET VETERA

    418